samedi 7 décembre 2024

La belle Ambitieuse et le Sabot philosophique Alexandre Dumas ( Nouvelle France )

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                                                                                  La belle Ambitieuse

                                                                                et

                                                                                 le Sabot Philosophe

             Vous savez tous ce que c'est qu'une balle, mes chers petits amis, car je ne doute pas que vous sachiez déjà jouer à la balle au mur et à la balle empoisonnée.
            Vous savez tous ce que c'est qu'un sabot, ce cône arrondi que vous faites courir et tourner devant vous à grands coups de lanières.
            Ces deux questions importantes, préliminairement posées, je vais vous raconter l'histoire d'une balle et d'un sabot.
            C'était encore dans cette époque arriérée où la balle ne connaissait ni l'élastique ni le caoutchouc et se faisait avec du liège.
            Quant au sabot, le progrès a passé sur lui : l'électricité, la vapeur et le télégraphe ont été inventés sans rien changer à sa forme ni à sa matière.
            C'est tout simple, la balle voyage, elle va, elle revient, elle s'élève, elle retombe, elle rebondit, fait du chemin et voit du pays ; tandis que le sabot ne quitte pas la terre et se contente de tourner sur lui-même, si rapidement qu'il en est tout désorienté et qu'il ignore complètement ce qui se passe autour de lui, à plus forte raison au-dessus de lui.
            Notre balle et notre sabot appartenaient au même enfant, joli petit garçon de dix à douze ans, et se trouvaient l'un à côté de l'autre dans une boite où il y avait encore beaucoup d'autres joujoux.
            Un soir que le sabot et la balle venaient de rentrer à leur domicile, le sabot dit à la balle :
            - Pourquoi ne nous marions- nous pas ensemble, puisque depuis les dernières étrennes nous vivons déjà côte à côte et habitons la même maison.   
            Mais la balle, qui était de maroquin vert, lequel avant d'être balle avait été pantoufle, était toute fière de son origine, car cette pantoufle prétendait descendre de celle qui fit la fortune de Cendrillon. Mais la balle, disons-nous, non seulement ne répondit point, mais se tourna de façon à ne pas même toucher le sabot.
            Le sabot soupira et se tut.
            Le lendemain, l'heure de la récréation étant arrivée, le petit garçon à qui appartenaient les joujoux prit le sabot, le peignit en raies rouges et jaunes alternées, et au centre de ces raies planta un beau clou de cuivre tout reluisant.
            Cette parure toute de luxe faisait un effet magnifique lorsque le sabot tournait.
             Aussi fit-elle au sabot force compliments, qui lui rendirent un peu d'espérance.
            De sorte qu'en rentrant dans la boîte le sabot dit à la balle :
            - Regardez-moi un peu, voisine ; que pensez-vous maintenant? est-ce que ma nouvelle parure ne vous décidera point à faire de moi votre époux ? Vous êtes jaune et verte, je suis jaune et rouge, voilà pour le physique. Vous dansez, moi je valse, voici pour le moral. A mon avis, nous nous convenons parfaitement.                                                                                                          .leboncoin.fr
            - C'est votre avis, lui répondit la balle, mais ce n'est pas le mien. D'abord, vous ne savez pais qui je suis. Je suis fille d'une pantoufle appartenant à une duchesse, et qui descendait de même à une pantoufle célèbre. Ensuite je suis faite en-dedans de véritable liège d'Espagne, tandis que vous, vous n'êtes qu'un bois grossier.
            - C'est vrai, répondit le sabot, que je ne suis ni d'acajou, ni d'ébène, ni de palissandre, mais je suis de buis, et le buis est un bois bien autrement solide que tous ces colifichets de bois-là. En outre, j'ai été tourné par le bourgmestre lui-même, qui a un tour chez lui, et qui dans ses moments de loisir fait toutes sortes de jolis joujoux comme moi.
            - Dites-vous la vérité ? demanda la balle.
            - Que l'on me donne le fouet si je mens, répondit le sabot.
            - Eh bien, alors, je crois que je puis me confier à vous, dit la balle, voici ma position : je ne puis prendre d'engagements avec vous, attendu que je suis à peu près fiancée à un moineau qui a son domicile dans le mur, contre lequel je rebondis à peu près tous les jours. Chaque fois que je monte en l'air il sort la tête de son trou, et me dit :
            " - Voyons, est-ce décidé, et venez-vous chez moi ? J'ai un petit appartement, tout capitonné de foin, et tout tapissé de plumes. Je vous en offre la moitié, sans compter qu'une fois ma femme, les ailes vous pousseront et vous deviendrez oiseau. 
            Voilà des avantages, n'est-ce pas ? "
             - Si bien que vous avez dit oui ? demanda le sabot.
             - Tout bas, répondit la balle, si non tout haut ; de sorte que je me tiens pour engagée. Mais soyez tranquille, même si je deviens oiseau, je ne vous oublierai pas.
            - Belle consolation ! fit le sabot.
            Mais comme tout sabot de buis qu'il était il avait sa fierté, à partir de ce moment il n'adressa plus une seule parole à la balle qui, préoccupée de son moineau, garda de son côté le silence.
            Le lendemain, le petit garçon prit la balle et son sabot pour jouer comme d'habitude ; mais comme son caprice était de commencer par la balle, il posa son sabot dans un coin, en lui disant 
            - Tiens-toi tranquille ; ton tour viendra tout à l'heure.
            Le sabot obéit, seulement il se tourne de façon que, tout en montant, en descendant et en rebondissant, la balle pût voir sa peinture jaune et rouge et son beau cou reluisant.
            Bientôt la balle s'élança dans l'air avec tant de légèreté qu'en vérité on eût cru que les ailes commençaient à lui pousser.
            Cependant elle redescendait toujours, mais bondissait si fort en touchant la terre que l'on sentait le désir qu'elle avait de vivre définitivement dans le domaine des oiseaux.
            Enfin, une belle fois, la balle s'éleva si haut que le petit garçon l'attendit vainement : la balle ne retomba plus. Le petit garçon la chercha longtemps. Enfin, ennuyé de ne pas réussir à la retrouver, il alla ramasser son sabot en disant :
            - Maudite balle, où diable peut-elle être ?
            - Ah ! je le sais bien où elle est, soupira le sabot : elle a épousé le moineau, et elle demeure dans son nid. Puisse-t-elle être heureuse ! Mais je doute qu'une balle soit faite pour être la femme d'un moineau. Quant à moi, j'avais eu tort de penser un instant à elle, et si je rencontre quelque jolie toupie qui veuille de moi, noble ou non je l'épouse.
            Le hasard servit admirablement les désirs du sabot. Aux étrennes nouvelles on fit cadeau au petit garçon d'une quantité de joujoux, parmi lesquels se trouvait une toupie d'Allemagne. 
            Le sabot fut d'abord un peu intimidé du gros ventre et de l'humeur grondeuse de sa nouvelle amie ; mais au demeurant il s'aperçut bientôt qu'elle était bonne fille ; que si elle grondait c'était quand on la faisait tourner ; mais que le reste du tems elle demeurait muette et après s'être bien assuré de son humeur pacifique, il lui fit les mêmes propositions qu'il avait faites à la balle, et qui cette fois furent acceptées                                                                                                   .                          .beebs.app/fr
            Ils vécurent trois ans dans la plus étroite et la plus heureuse union.
            Quelquefois, et surtout pendant la première année, le sabot avait pensé à la balle ; au printemps surtout, il avait vu sortir du trou une foule d'oisillons, et il s'était dit :
            " Voilà les enfants de mon ancienne amie ! "mie et de son pierrot ; il parait que décidément les ailes lui ont poussé et qu'elle est heureuse là-haut, tant mieux ! "
           Puis, reportant son regard sur sa toupie d'Allemagne, il la trouvait si mrajestueuse avec son gros ventre, qu'il se regardait comme le plus heureux sabot qu'il y eût au monde;
            Au bout de trois ans, le petit garçon, devenu plus fort, tira un jour, en jouant avec sa toupie d'Allemagne, si violemment la ficelle, que la toupie alla heurter l'angle d'un mur et,  comme elle était évidée en dedans, s-y brisa. de la toupie au sabot
            Le sabot se trouva veuf..
            Le petit garçon qui avait cru remarquer une certaine intimité entre le sabot et la toupie d'Allemagne, eut alors une singulière idée, c'était de faire porter le deuil de la toupie au sabot.
            Il peignit alors le sabot tout en noir.
            Le sabot trouva une grande consolation à ce vêtement, qui était selon son coeur.
            De son côté, le petit garçon, pour lui donner le plus de distraction possible, le faisait tourner de toutes ses forces. Enfin, un beau jour, il le fouetta si bien qu'il l'envoya à perte de vue, et que le sabot disparut à son tour comme avait disparu la balle.
            Le petit garçon, qui aimait beaucoup son sabot, le chercha inutilement.
            Il était tombé dans une immense caisse aux ordures,, placée sous la gouttière, dans un angle de la cour.
            Le sabot fut d'abord un peu étourdi de sa chute, mais en reprenant ses sens et en regardant autour de lui, il se vit au milieu de toutes sortes de balayures parmi lesquelles foisonnaient les trognons de choux, les fanes de carottes et les queues d'artichauts.
            Puis, en regardant plus attentivement, il remarqua un objet rond qui ressemblait à une pomme ratatinée, mais qu'après un examen plus approfondi, il reconnut être une vieille balle.
            - Dieu merci ! dit celle-ci en apercevant le sabot, qu'elle ne reconnut point d'abord comme son vieil ami, à cause de son vêtement de deuil, voici un de mes pareils avec lequel je pourrai causer.
            Puis, se tournant vers le sabot qui la regardait avec étonnement :
            - Monsieur, lui dit-elle, pourriez-vous me donner des nouvelles du monde d'où vous venez ?
            -  Volontiers, lui répondit le sabot qui commençait à reconnaître à qui il avait affaire. Mais d'abord à qui ai-je l'honneur de parler ?
            - Je suis une balle de bonne maison, répondit la balle. J'ai refusé de me marier avec un individu de votre espèce, attendu que j'étais fiancée à un moineau. Mais un jour qn maroquin était ue j'avais fait un effort pour monter sur le toit où il était, je retombai dans la gouttière où je restai trois ans. Le dernier grand orage m'emporta et je tombai où vous êtes tombé vous-même, à ce qu'il paraît, c'est-à-dire dans la caisse aux ordures.
            Quoiqu'il trouvât la balle énormément changée, son liège avait gonflé et son maroquin était pourri dans la gouttière, le sabot qui était bon garçon allait lui répondre et se faire reconnaître ; mais en ce moment, la servante qui venait pour vider la caisse aux ordures, ce qu'elle faisait tous les mois, aperçut le sabot et s'écria :
            - Ah ! voilà le sabot que monsieur Paul a tant cherché.
            Et sans attention à la balle, elle prit le sabot et le rapporta à son jeune maître, qui lui rendit à l'instant même tous ses honneurs et toute sa considération.
            Mais de la balle il n'en fut pas question, et plus jamais le sabot n'en entendit parler.
            De cet événement naquit le proverbe allemand qui dit :
            - Une balle qui veut épouser un moineau risque à moisir dans une gouttière.


                                                        Alexandre Dumas




             
















































mercredi 20 novembre 2024

Chanson 36 Charles d'Orléans - Rondeau 243 ( Poème France )

 champagneetconfettilancolie romantique






                                  

                     Chanson 36 

            Comment puis-je autant vous aimer
            Et détester mon cœur si fort
            Que m'indiffère l'affliction
             Que vous pourriez lui infliger ?   

            Je supporte son mal avec joie,
            Pourvu qu'il puisse vous servir :
            Comment puis-je autant vous aimer
             Et détester mon cœur si fort ?

            Hélas ! je ne devrais penser
            Qu'à le garder et le chérir,
            Et néanmoins, mon seul désir,
            Pour vous je veux l'aventurer :
            Comment puis-je autant vous aimer !


                     Chançon 36  
              
            Comment vous puis je t ant aimer
            Et mon cueur si tresfort haïr
            Qu'il ne me chault de desplaisir
            Qu'il puisse pour vous endurer ?

            Son mal m'est joyeux à porter,
            Mais qu'il vous puisse bien servir
            Comment vous puis je tant aimer 
            Et mon cueur si tresfort haïr

            Las ! or ne deussé je penser
            Qu'a le garder et chier tenir
            Et non pour tant, mon seul desir,
            Pour vous le vueil abandonner :
            Comment vous puis je tant aimer


                         Rondeau 243

            Dialogue entre le cœur et Souci
                     Le cœur commence

" Souci, cher seigneur, je vous prie !                                                                             spreadshirt.fr 
- Que venez-vous me demander ? 
- Tirez-moi de ce triste tourment !
- Où vous êtes ? En aucun cas  !

" Je veux vous tenir compagnie.
- Hélas ! Non ! Soyez indulgent,
Souci, cher seigneur, je vous prie !
- Que venez-vous me demander !

Parlez-en à Mélancolie !
- Commencez par vous consulter !
- Espoir serait le mieux placé.
- Faites donc qu'il y remédie,
Souci, cher seigneur, je vous prie... "


                Rondel 243

Le cuer - Soussy, beau sire, je vous prie !
Soussy - De quoy ? que me demandez-vous ?
Le cuer - Ostez moy d'anuy et courous !
Soussy -  Ou vus estes ? Non feray mie.
 
Soussy - Tenir je vous vueil compagnie.                                                        
Le cuer - Las ! Non faictes ! Soyez moy douls,                                                 You TTube

                Soussy, beau sire, je vous prie !
Soussy  - Parlez en à Melencolie !
Le cueur - Conseillez premier entre vous !
Soussy  - Espoir y pourroit plus que nous !
Le cueur - Faictes donc qu'il y remedie, 
                  Soussy, beau sire, je vous prie ! 




                   Charles d"Orléans

                                             - 1394 /  1465 -

                                











 

            














            
             


samedi 9 novembre 2024

Rondo 6 Charles d'Orléans ( Poème France )

echo de mon grenier










                      Rondeau 6

            En amour je suis rembruni,
            Ma très gentille Valentine :
            Pour moi vous êtes née trop tôt,
            Moi pour vous je suis né trop tard.

            A qui de vous m'a fait présent
            Pour toute une année, Dieu pardonne :
            En amour je suis rembruni,   
            Ma très gentille Valentine...
            
            Je n'étais pas dans pressentir
            Que ce serait ma destinée
            Avant la fin de la journée.
            Bien qu'Amour en ait décidé,
            En amour je suis rembruni !



            Je suis desja d'amour tanné,
            Ma tresdoulce Velentine
            Car pour moy fustes trop tost née?
            Et moy pour vous fus trop tart né.

            Dieu lui pardoint qui est estrené
            M'a de vous pour toute l'année :                                           
            Je suis desja rembruni.                                                                       paradis-des-albatros.f 

            Bien m'estoye suspeçonnéombien 
            Qu'aroye telle destinée
             Ains que passast ceste journée :
             Combien qu'Amour l'eust ordonné,
              Je suis desja rembruni.


                                       Charles d"Orléans

                                             - 1394 /  1465 -





























         
            

samedi 2 novembre 2024

Lettres de Proust à Reynaldo Hahn 196 / 197 Fin ( Correspondance France )

 







                             ( Lettre 196 )

                  Mi-novembre 1914

            Cher Reynaldo

             Quand vous n'êtes pas la Guerre d'aujourd'hui ( et à la 100è puissance ) vous en êtes le St Simon. Ne vous " épanchez " pas trop avec la personne que vous me dites, excellent en effet mais extrêmement réactionnaire, et qui peut'être vous approuve par timidité. D'autre part ce que vous me dites sur la folie menaçante de l'un de vous m'afflige et m'intéresse.  A quoi discernez-vous, donnez-moi des exemples. Avez-vous dit à Hermann que je m'étais souvent informé de lui. Je ne voudrais pas que sa conduite indécente de l'été dernier lui fît croire que je garde des rancune jusque dans l'Enfer qu'est l'époque actuelle et dont il n'y avait pas besoin des horreurs comme eût dit St Simon ( l'autre qui n'écrivait pas si bien que vous ) pour que j'oubliasse ses incartades et me souvienne seulement de ses obligeances. Quant au pauvre Henri Bardac à qui vous n'avez certainement pas transmis mes sympathies je désire les lui écrire. Savez-vous son adresse.( Les lui écrire est Frey etc. mais c'était pour éviter une fausse interprétation. ) J'ai écrit une lettre que je croyais charmante à M. Guillaume Lyon. Il n'a jamais répondu ( non plus que Wilde etc etc etc ). Je croyais qu'absorbé par la tristesse, il ne pouvait penser à rien d'autre. Mais j'ai vu dans les journaux qu'il adressait des appels : " Sus aux maisons austro-allemandes ! etc. " Si vous pouviez écrire un mot à La ( Croyez-vous que je ne peux pas trouver le nom de votre ancien secrétaire si gentil, d'une famille de robe ) pour son cousin de Monaco, les Agostinelli père et fils sont dans une extrême misère, le Casino de Monte Carlo doit paraît-il rouvrir prochainement et comme beaucoup d'employés sont à la guerre ( ? ) il serait plus facile de les case. J'ai aussi recommandé le fils qui est un excellent mécanicien ou chauffeur au père Gautier Vignal par l'intermédiaire de son fils. Le père est un cocher de 1er ordre ( références Leonino etc ). Parsdon. A propos de noms commençant par La et qui ne sont ni Labruyère, ni La Moricière, ni La Bédoyère, j'ai lu avec tristesse la mort héroïque du jeune La Morandière. Mais est-ce lui ou son frère. Il s'appelait Guy. Cher Reynaldo je serais plus content si vous êtes interprète que dans les tranchées qui ne manqueraient pas par ce froid de vous en donner d'intestinales ; mais ce n'est pas sans risques, et malgré tout ce que vous dites d'Albi, quelque exaspération que vous éprouviez etc, c'et Albi. Le mot de Siyè convient aussi bien en temps de guerre qu'en temps de révolution, quand on ne peut rendre aucun service à la guerre, et qu'on pourra en rendre d'immenses en temps de paix. " Quieta non movere " est un autre proverbe que je vous invite à méditer. Si vous voulez lire des comptes-rendus de la guerre, ce n'est pas dans L'Homme  libre qu'il faut les lire ( des plus médiocres ) mais dans l'admirable article ( j'ignore l'auteur ) que publie chaque jour en 1re page sous ce titre la Situation Militaire, le Journal des Débats. On "voit" les opérations. Le petit compte-rendu d'Hutin dans L'Echo de Paris, très inférieur était cependant assez net. Mais depuis qu'il a changé de place dans le journal il ne vaut plus rien. Le reste ne vaut pas
l'honneur d'être nommé.
Vous ai-je raconté l'histoire de mon prêt à ma Tante. Si non ce sera pour ma prochaine lettre car je suis trop fatigué. Mon petit Reyaldo restez le plus que vous pourrez à Albi où du moins je n'ai pas ( au même degré )  à me dire :

                           Mon frère a-t-il ce qu'i lui faut ?
                           Pour souper, bon gîte ? ( Je ne me soucie pas " du reste " dont la privation ne peut être qu'excellente ). ( Les deux pigeons La Fontaine )                                                              arts-in-the-city.com 
            
            Adieu mon petit Albigeois et tâchez de la restez.

            Marcel
            P.S. - Avez-vous vu la mort de Casadessus le violoncelliste ( ce n'était pas le visiteur de Tolstoï n'est-ce pas ) et du jeune Gunzbourg, fils supposé de la Bne Guigui. Croyez-vous qu'il soit utile de me faire vacciner même si je ne suis pas pris ? Croiriez-vous que ce matin j'ai lu un article de Franc-Nohain croyant que c'était de Barrès et ne m'en suis pas aperçu. La puissance de la suggestion en art est énorme. Ne croyez pas ce que Bourget dit de Krauss ? C'et bensonges.


                             ( Lettre 197 )

                     Novembre 1915

            Cher Reynaldo
            Sans pouvoir vous dire comme elles que je suis " du côté de l'Aurore " car je suis plutôt du côté du couchant et même couché, je vous dis comme les pauvres Cigognes " ne nous oubliez pas ! Aimez-nous ! " Reynaldo je ne peux vous écrire en détail étant un peu maladch, et malgré ma gde compétence comment l'union de la pureté de Rimsky et de la profondeur du vieux sourd ( Korsakov et Beethoven ) le nom de Rimsky est un blasphème car s'il dit les choses purement il a peu de choses à dire, et chez le vieux sourd l'expression est souvent alourdie. Dans vos valses est atteint l'absolue coïncidence ( au sens géométrique du mot ) où l'expression est tellement débarrassée de tout ce qui n'est pas ce qu'elle veut exprimer qu'il n'y a plus qu'une seule chose, art ou vie je ne sais pas, et non pas deux. Cher gentil, que vous devez être heureux dans votre malheur de vous être incarné pour toujours dans ces formes immortelles et comme vous devez vus f. de tous ennuis après cela ! Que je vous envie ! Vous avez plus d'Incarnations ( car c'est dans ce sentiment religieux que je les adore ) que Vichnou. Je dis plus dans préciser parce que je ne me rappelle plus combien il a de valses ( très moschant. Que dirait Suzette ! ) et que vous avez fait aussi d'autres petites choses dans votre vie, mais aucune aussi gentille, aussi sublime. Vous avez là vos filles immortelles que je préfère beaucoup à Leuctres et à Mantinée. Je voudrais vous copier le commentaire qu'on donne de l'andante du VIIè Quatuor. Cela pourrait être un commentaire de votre dernière valse. Mais même écrit par vous, tout commentaire étant en mots c'est-à-dire en idées générales, laisserait passerC cette particularité, intime, inexprimable, qui fait que les choses sont pour nous ce qu'elles ne sont pour pSCersonne au monde par exemple quand nous sommes ivres ( ivres de vin, ou de chagrin, ou de promenade, etc. ) et que votre musique va chercher au fond insondable de l'être de Reynaldo et nous rapporte, alors que Reynaldo lui-même en parlant ne pourrait nous le rendre. = Génie.                                                                                                            gettyimages.fr
            Mille petites boschancetés à vous raconter, mais fatigué, et bonjour.

               Marcel.












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dimanche 20 octobre 2024

Lettres de Proust à Reynaldo Hahn 193 /195 ( Correspondance France )

 








                                       (  Lettre 193 )

                          Fin octobre 1914

            Cher Reynaldo
            Je vous remercie de tout coeur de votre lettre, impérissable monument de bonté et d'amitié. Mais Bize se trompe entièrement s'il croit qu'un certificat me dispense de quoi qu'il soit. Peut'être un certificat de Pozzi, lieutenant-colonel au Val-de-Grâce, l'eût pu ( et je ne crois pas ). Mais avec des manières charmantes et des procédés parfaits il l'a éludé et refusé. Je vous tiendrai au courant de mes mésaventures militaires quand elles se produiront. 
           Mon cher petit vous êtes bien gentil d'avoir pensé que Cabourg avait dû m'être pénible à cause d'Agostinelli. Je dois avouer à ma honte qu'il ne l'a pas été autant que j'aurais cru et que ce voyage a plutôt marqué une première étape de détachement de mon chagrin, étape après laquelle heureusement j'ai rétrogradé une fois revenu vers les souffrances premières. Mais enfin à Cabourg sans cesser d'être aussi triste ni d'autant le regretter, il y a eu des moments, peut'être de des heures, où il avait disparu de ma pensée.    
           Mon cher petit ne me jugez pas trop mal par là ( si mal que je me juge moi-même ! ). Et n'en augurez pas un manque de fidélité dans mes affections, comme moi j'ai eu le tort de l'augurer pour vous quand je vous voyais regretter pour des gens du monde que je croyais que vous aimiez beaucoup. Je vous ai supposé alors moins de tendresse que je n'avais cru. Et j'ai compris ensuite que c'était parce qu'il
's'agissait de gens que vous n'aimiez pas vraiment. J'aimais vraiment Alfred. Ce n'est pas assez de dire que je l'aimais, je l'adorais. Et je ne sais pourquoi j'écris cela au passé car je l'aime toujours. Mais malgré tout, dans les regrets, il ya une part d'involontaire et une part de devoir qui fixe l'involontaire et en assure la durée. Or ce devoir n'existe pas envers Alfred qui avait très mal agi envers moi, je ne me sens pas tenu envers lui à un devoir comme celui qui me lie à vous, qui me lierait à vous, même si je vous devais mille fois moins, si je vous aimais mille fois moins. Si donc j'ai eu à Cabourg quelques semaines de relative inconstance, ne me jugez pas inconstant et n'en accusez que celui qui ne pouvait mériter de fidélité. D'ailleurs j'ai eu une grande joie à voir que mes souffrances étaient revenues ; mais par moments elles sont assez vives pour que je regrette un peu l'apaisement d'il y a un mois. Mais j'ai aussi la tristesse de sentir que même vives elles sont pourtant peut'être  moins obsédantes qu'il y a un mois et demi ou deux mois. Ce n'est pas parce que les autres sont morts que le chagrin diminue,, mais parce qu'on meurt soi-même. Et il faut une bien grande vitalité pour maintenir et faire vivre intact le "moi " d'il y a quelques semaines. Son ami ne l'a pas oublié, le pauvre Alfred. Mais il l'a rejoint dans la mort et son héritier, le " moi " d'aujourd'hui aime Alfred mais ne l'a connu que par les récits de l'autre. C"est une tendresse de seconde main. ( Prière de ne parler de tout cela à personne ; si le caractère général de ces vérités vous donnait la tentation d'en lire quelques extraits à Gregh ou à d'autres, vous me feriez beaucoup de peine. Si jamais je veux formuler de telles choses ce sera sous le pseudonyme de Swann. D'ailleurs je n'ai plus à les formuler. Il y a longtemps que la vie ne m'offre plus que des

événements que j'ai déjà décrits. Quand vous lirez mon troisième volume celui qui s'appelle en partie a l'ombre des jeunes filles en fleurs, vous reconnaîtrez l'anticipation et la sûre prophétie de ce que j'ai éprouvé depuis. J'espère que ce que je vous ai écrit vous a déjà convaincu et que vous restez à Albi. D'ailleurs j'espère que votre cher Commandant, si vos velléités absurdes persistaient, saurait " commander " et vous " obéir ". Je ne veux pas avoir l'air d'éluder vos questions sur moi-même. Car je sais que vous ne me le demandez pas par politesse ; non je ne me " nourris " pas en ce moment. Mais la fréquence des crises l'empêche. Vous savez que dès qu'elles diminuent, je sais remonter la pente, vous vous rappelez l'année dernière et ma victoire de la Marne. Je regrette un peu ce que je vous ai écrit de Pozzi. Je crois qu'il n'est pas très bien avec Février le directeur du Service de Santé et le côté Galliéni. Du reste tout cela sera sans doute inutile car je ne serai peut'être pas appelé. En tous cas je me suis fait inscrire. Ce qui en dispense c'est une infirmité visible, comme un pouce manquant etc. Des maladies comme l'asthme ne sont pas prévues. Il est vrai que pour mon livre on m'a interviewé dans mon lit ; mais pensez-vous que le Gouvernement Militaire de Paris en sache quelque chose ! Bize fait erreur s'il croit que c'est une dispense légale.
            Mille tendresses de votre
                                                                                                Marcel

            Je reçois à l'instant le certificat de Bize, je vais lui écrire pour lui demander de le faire autrement, sur papier à 0,60, car ce certificat sans valeur de dispense, peut néanmoins le moment venu m'être utile. Mais rien ne presse, je ne serai pas appelé au plus tôt avant un mois ou deux. En tous cas je vais lui écrire.
            P.S. Que ma lettre je vous en prie n'aille pas vous donner l'idée que j'ai oublié Alfred. Malgré la distance que je sens hélas par moments, je n'hésiterais pas même dans ces moments-là à courir me faire couper un bras ou une jambe si cela pouvait le ressusciter.
            3e P.S. Surtout cher petit ne faites quoi que ce soit pour une question de contre-réforme. Ce que vous avez fait était divinement gentil et a été parfait. Mais faire autre chose ne pourrait que m'attirer des ennuis. Je crois que tout se passera très bien. Et d'ailleurs ce ne sera pas avant quelque temps. Que pense le Commandant de la guerre ? comme durée, comme issue, comme présent, comme passé, comme avenir.


                           ( lettre 195 )

                   Fin octobre 1914    

            Cher genstil 
          ( car votre lettre m'a tellement fait rire que je ne peux résister à vous appeler autrement ) vous prenez bien inutilement contre moi la défense de quelqu'un que je vous ai toujours vanté. Quant à vous émerveiller qu'il connaisse :
            Elle mourut un soir de décembre
je vois que vous ignorez que cette chanson fait essentiellement partie de mon petit répertoire, que je l'ai chantée des années non pas certes à vous ni aux moqueurs, mais pour des oreilles complaisantes et des âmes naïves. Les autres traits d'érudition que vous me citez me semblent aller à l'encontre de ce que vous voulez démontrer, car les vers cités n'ont aucun rapport avec ce que vous disiez. Or seule la pertinence de la citation peut faire présumer l'étendue du savoir. Si quand vous me parlez d'Albi je vous réponds
            Quand vous irez dans un de vos voyages
            Voir Bordeaux, Pau, Bayonne et ses charmants rivages
            Toulouse la romaine où dans des jours meilleurs
            J'ai cueilli tout enfant la poésie en fleurs
je prouverais que je ne connais pas de vers se rapportant exactement à Albi et que je suis médiocrement lettré. Mais si comme votre interlocuteur je vous réponds simplement
                                                                                                                  Don Eylau
   laclarenciere.be

        C'est un paysan en Prusse, un bois, des champs, de l'eau
            De la glace, et partout l'hiver et la bruine ( Victor hugo )

il vous montre qu'il ne connaît rien précisément se rapportant à ce que vous dites. Sans doute les événements actuels facilitent les choses, car il n'est pas hors de propos de dire au roi d'Italie qu'il peut être " à son gré " :
            Magnanime ou couard
            Cruel comme Guillaume ou bonhomme comme Edouard.
            
            Pour ce dernier on pourra dire :

            Tous chantent, légers, fiers, laissant flotter leurs brides
            C'est Mar, Argyle, Athol, Rothsay, roi des Hébrides
            Graham roi de Stirling, John Comte de Glasgow
            Ils ont des colliers d'or ou de roses au cou.
            Lord Kane est assisté de deux crieurs d'épée. ( TS Victor Hugo )

             Mais pour le premier

            " J'ai le Rhin aux sept monts, l'Autriche aux sept provinces
            Mon sceptre est salué par cent vassaux, tous princes.
            Gand est fille de Troie et mère de Grenoble
            Isidore la nomme une fille très noble
            Les Français ne l'auront jamais. " Il s'appuyait
            Sur le Turc, il régnait sur l'Europe, inquiet
            Seulement du côté de la sombre Angleterre

            ( je suis dérangé, je continuerai cette lettre demain ).
            Mille tendresse de votre Marcel. Ce n'était pas de cette dame que je parlais - mais de notre bon docteur. Hélas sa femme m'a l'air bien malade.



                         
                                      




                  







jeudi 10 octobre 2024

Lettres de Proust à Reynaldo Hahn 155 / 168/ 169/ 179 ( Correspondance France )

 insidewalk.net


           .

                                             ( Lettre 155 )

                                            Lettre au chien de Reynaldo Hahn
   
            Mon cher Zadig
            Je t'aime beaucoup parce que tu as beaucoup de chasgrin et d'amour par même que moi ; et tu ne pouvais pas trouver mieux dans le monde entier. Mais je ne suis pas jaloux qu'il est plus avec toi parce que c'est juste et que tu es plus malheureux et plus aimant. Voici comment je le sais mon genstil chouen. Quand j'étais petit et que j'avais du chagrin, ou pour pour quitter Maman, ou pour partir en voyage, ou pour me coucher, ou pour une jeune fille que j'aimais, j'étais plus malheureux qu'aujourd'hui d'abord parce que comme toi je n'étais pas libre comme je le suis aujourd'hui d'aller distraire mon chagrin et que j'étais renfermé avec lui, mais parce que j'étais attaché aussi dans ma tête où je n'avais aucune idée, aucun souvenir de lecture, aucun projet où m'échapper. Et tu es ainsi Zadig. Tu n'as jamais fait lectures et tu n'as pas idée. Et tu dois être bien malheureux quand tu es triste. Mais sache mon bon petit Zadig ceci, qu'une espèce de petit chouen que je suis dans ton genre, te dit et dit car il a été homme et toi pas. Cette intelligence ne nous sert qu'à remplacer ces impressions qui te font aimer et souffrir par des facsimilés affaiblis qui font moins de chagrin et donnent moins de tendresse. Dans les rares moments où je retrouve toute ma tendresse, toute ma souffrance, c'est que je n'ai plus senti d'après ces fausses idées, mais d'après quelque chose qui est semblable en toi et en moi mon petit chouen. Et cela me semble tellement supérieur au reste qu'il n'y a quand je suis redevenu chien, un pauvre Zadig comme toi que je me mets à écrire et il n'y a que les livres écrits ainsi que j'aime. Celui qui porte ton nom, mon vieux Zadig n'est pas du tout comme cela. C'est une petite dispute entre ton maître qui est aussi le mien et moi. Mais toi tu n'auras pas de querelles avec lui car tu ne penses pas. Cher Zadig nous sommes vieux et souffrants tous deux. Mais j'aimerais bien aller te faire souvent visite pour que tu me rapproches de ton petit maître au lieu de m'en séparer. Je t'embrasse de tout mon cœur et je vais envoyer à ton ami Reynaldo ta petite rançon.
            Ton ami
                         Buncht  


                                         ( Lettre 168 ) 

                       Juillet-Août 1912                                                                    commedesfrancais.com


            Mon petit Guncht
            Puisque tu renonces tellement ta patrie Paris je ne sais comment te saluer, et te prie de ma songer un peu. Regarde cette lettre mon cher ami. Tu verras que j'ai pensé à te faire écrire plutôt par Boltaire et Perlaine. Et c'est parce que Charavay n'avait pas que je t'écris misérablement moi-même quoique tu sois un si dédaigneux militaire qui ne pense plus qu'aux grandeurs et aux servitudes de cet état que j'aurais voulu embrasser. Et je regrette que je ne l'ai pas fait. Car peut'être santé aurait été moins moschante. Je pourrais te démontrer si mieux que je pense que toujours à toi que par la lettre Charavay mais c'est parce qu'elle est là et que je te sens devenir si militaire. Je te salue bien tendrement et t'approuve beaucoup de rester un peu dans la garnison. Comme toi Guncht fit, quand, son service fini, il ne peut se décider à quitter Orléans.
            Je te donne mon petit bonsjour.

            BUNCHT
         

                                     ( Lettre 169 )

                            Mi-juillet 1912

            Mon cher Genstil
            J'ai pris froid et je tousse un peu et ai une espèce de petit rhumatisme. Ce n'est rien mais je n'ose pas me lever et c'est une cruelle souffrance morale pour moi de ne pas aller vous voir aujourd'hui ; mais j'ai mis beaucoup de tricots pour avoir chaud et je pense être bien demain et aller chez vous.
            Votre petit
                                                                                          Birnuls Marcel

            Mon cher Genstil je voudrais bien que vous veniez demeurer chez moi. Je ferais arranger ma
salle à manger qui est très grande, sans que vous vous en rendiez compte, en chambre à coucher pour vous. Je ferais mettre double porte au petit salon qui serait votre salon et où vous feriez musique aussi fort que vous voudriez. Vous auriez salle de bains et cabinet de toilette, Céline vous ferait la cuisine et ainsi vous n'auriez pas l'ennui d'avoir à faire des comptes, du ménage etc. Et si meson vous déplaît je déménagerais et irons où vous voudrez. Qu'en pensez-vous ?


                                                ( Lettre 179 )

                                            Fin janvier 1913

            Mon cher petit Binibuls
            Je t'envoie encor un nouveau bonsjour et je te salue bien. Hambourg a l'air très joli. J'avais voulu t'envoyer un article de Bidou mais il était trop entvieux. Mais ce qui eût pu peut'être balancé un peu l'ennui de l'article eût été sa méchanceté pour l'auteur quand tu sauras que ce dernier " n'est autre " que Lucie Besnard. Au reste le public ne m'a pas paru d'un autre avis. La Folle Enchère ne me semble pas avoir été un succès fou. Quant à Fervaal je ne sais ce qui s'est passé mais le jour où on devait la donner on a joué à sa place Salomé ou... Aïda, une autre fois Faust, puis Le Sortilège, et enfin on annonce le départ en congé de Muratore ( " superbe Fervaal " ). A moins d'être Bréval, on peut accepter de chanter un opéra de d'Indy sans crainte d'être surmené ! - Quant à La Folle Enchère dont le Figaro a publié une scène " capitale " ( comme une exécution ) ( mais faible comme exécutive ), il est étonnant qu'on médite sans cesse Novalis, Shakespeare, Kuno  Fisher et Jean-Paul Richter pour rendre des points, quand on écrit, à Lauzanne ( non pas même Stéphane mais Duvert etc ). Ainsi Saussine compare anxieusement  Wagner, Bach et Chausson dans sa tête, mais au piano semble n'avoir jamais lu que Poise. Tels sont ô Reynaldo les étonnements de ton pauvre Ali. J'ai lu dans Le Figaro une lettre de Loti sur les constructeurs d'hôtels qui dépasse en violence celle sur les égorgements de turcs. Mais il les appelle des cuistres. Je ne croyais pas que ce fût le sens de ce mot. Je te bonjoure.
            Brülez ma lettre vite.

          P.-S.- Quel est le comble du snobisme pour Mme Blumenthal : chercher dans le Gotha  Viollet le Duc et le Roy d'Etiolles. - Ou bien celui-ci : ne supporter que trois artistes ou lyriques : Baron, Duc, et Prince, et à Offenbach préférer... Comte - Offenbach. Excuse ces jeux innocents. T.S.V.P. Etes-vous curieux de savoir comment mon porte-cigarettes ( 350 f ) a été accueilli par Calmette. Je le lui ai porté, dans sa boîte, je lui ai dit : " Je voulais venir la veille du jour de l'an avec le petit porte-cigarettes aussi simple que possible " et je l'ai posé ( dans la boîte à côté de lui ). Il a haussé les épaules d'un air affectueux sans rien dire, j'ai regardé la boîte sans rien dire, j'ai regardé la boîte comme pour dire : "ouvrez ", il a regardé la boîte d'un air vague, n'a pas ouvert. Il m'a dit : " J'espère bien que Poincaré sera élu ", m'a reconduit jusqu'à la porte en me disant d'une voix chaude et modulée " Ce sera peut'être Deschanel ". J'ai jeté à mon porte-cigarettes caché dans sa boîte un regard : " Aimez ce que jamais on ne verra deux fois ." Je suis parti, Poincaré a été nommé, mais Calmette ne m'a jamais écrit.

































  


vendredi 27 septembre 2024

Lettres de Proust à Reynaldo Hahn 149 /151 / 153 ( Correspondance France )

 connaissancedesarts.com







                                       ( Lettre 149 )

                     Début juillet 1911

                  Cabourg

            Plutôt que d'aimer un meschant
            Contre toute espérance
            Qui fier, et sans raison, de son art et son chant
            Ne répond pas à ma souffrance !
            Er sur les flots d'azur où mainte voile cargue
            Voit venir mes dessins,
            Mais lui ne répond pas, en fait fi, et me nargue
            A dessein !
           Sur le roc arc-bouté comme dans une église
           Il regarde fuser
           Le flot décomposé qui bout et s'opalise  
           Et l'écoute jaser        
           Dans la grotte il descend quoique n'étant pas brave,
           Hasarde un pied mal sûr,
           Et voit sur les cristaux le flot secret qui bave
           Des améthystes et de l'azur ;
           Puis du fond des palais il remonte en fringale
           Car il a toujours faim
           Et dans son cher palais qu'il prétend avoir fui
           La nourriture poissonneuse ou végétale
           Se succède sans fin !
            Alors, Sarah, Clairin, s'exclament " ô mon maître
            Que vas-tu nous chanter ? '
            Mais lui répond " ne pourrions-nous bientôt nous mettre
            à dîner ? "
            Puis il descend au port, accoudé sur le môle
            Ne pense point Marcelche,
            Mais se dit : je pourrais aller voir à la Baule
            Risler aux yeux de Welsche.
            Il revoit le Palais, Sauzon mais n'a point cure
            Des souvenirs défunts
            Ne donne nul penser à l'autre Dioscure
            Qui n'aime pas trop les parfums.
             Assez
 
                                sans signature

                                      (  Lettre 151 )

                         25 juillet 1911

            Grand Hôtel Cabourg
            Monsieur mon bunibuls
            Je pense beaucoup à toi, et je ne t'écris pas parce que Cabourg ne me réussit pas cette année et que j'ai beaucoup asthme. Imagine-toi mon bunibuls que tous les soirs quand le soleil se couche et que je n'ai pas encore allumé l'électricité, je pense à toi dans mon petit lit avec un peu de chasgrin, et à ce moment de grosses femmes viennent jouer au loin sur la plage des valses avec des cors de chasse et des pistons jusqu'à ce qu'il fasse nuit. C'est à se jeter dans la mer de mélancolie. Je crois que tu vas vraiment être décoré et malgré et malgré, je ne peux pas dire quel plaisir bête mais ineffable cela me fera. Adieu mon genstil trop à vous dire et peux pas en ce moment.

                   B.
            Hector a meublé l'appartement au-dessus de sa nouvelle boutique qui semble du dernier confort et élégance. Recommandez cet appartement si vous avez des amis qui vont à Versailles car je crois qu'on y serait très bien et en plus servi par eux.  


                                      
                                  ( Lettre 153 ) 

                           Août 1911

            Cabourg
            Cher petit Gunimels               
          Tu es si faschant dans tes bensonges que tu dis que je n'ai pas une dactylographe. Alors lis donc ceci qui est joint à ma lettre. Genstil le sujet triste auquel tu fais allusion par suite d'une lettre que tu as reçue ( désastre prochain etc ) a été l'objet de correspondances que je taisais par discrétion. Mais il faudra que j'en parle à mon Gunimels ( après des serments effroyables ). Quant à ton petit chouen, je le considère comme inexistant tant que tu ne m'en as pas dit le prix et que je ne l'ai pas hacheté. J'ai eu la visite de quelqu'un que j'aimerais bien si vous ne le déclariez inacceptable, c'est Neufville  Je dois dire du reste qu'il m'a dit des " Voyez-vous le vilain égoïste ! " qui étaient assez " En voilà des 
manières ". Je crois que je vous aviez déjà fait remarquer que le substantif accolé le plus souvent à éternel c'était cigarette. De même savez-vous quelle est l'épithète qu'on joint le plus souvent au nom de Michel Mortier, c'est " ce diable d'homme ". Il faut ajouter qu'Astruc, Frank, Samuel et Marieton sont prétendants au même titre.
            Les Plantevignes ne sont pas ici. Ils ont cette année " délaissé Cabourg au profit de la Mer de glace " ce qui est assez Labiche. - Autre mot qu'on dit souvent ( analogue à Je n'ai pas de succès avec mon thé ) " Ca a l'air bon ce que vous mangez là. " Vous m'avez envoyé Genstil une petite préface où il y a une page ou deux pas mal mais rien d'inouï. Mais ce que vous dites à la fin sur le chant est ce que je connais de plus beau dans aucun écrit sur l'art et enfonce rudement Les Sept Lampes de l'Architecture ( malgré l'analogie de pensée avec La Lampe du Sacrifice ) et La Métaphysique de la Musique de Shopenhauer ( ! ) Il faut que cela soit publié à part. D'ailleurs cela ne fait rien que cela ait paru à l'occasion du livre de ce chanteur réfractaire et désabusé, c'en est déjà séparé et classique. D'autre part l'allégresse à vouloir décourager est Molieresque et charmante.
            Genstil j'aurais mille choses inouïes à vous raconter, dans le sens où vous prenez ce mot, et dont la moins piquante est le Prince Constantin R ( ...  )....... Mais je suis trop fastigué.
             J'ai vu hier Calmette à qui j'ai dit la délicatesse de votre regret ( c'était la première fois que j'avais pu le joindre ). Désespérant de le surpasser à la minute même il m'a demandé votre adresse actuelle pour vs dire son admiration, son affection son espoir que vous serez prochainement décoré. Il pense que vous êtes à Brusselles ( ! ). J'ai eu la honte d'avouer que j'en savais rien et que je vous croyais à Paris. Il m'a offert un verre, j'ai dit assez vulgairement que c'est moi qui aurais voulu le lui offrir, et alors sur ce ton que vous lui connaissez il m'a dit : 
            " - Cela n'a pas d'importance, pourvu que nous soyons ensemble ! "
Je crois au contraire qu'il déteste me rencontrer. J'ai vu Maurice de Rothschild ( et d'autres ) à un bal qu'a donné d'Alton. Je dois reconnaître, après m'être élevé sur ce qu'on disait de sa folie, et, si gentil qu'il ait été avec moi, qu'il a été " impossible ". Sa femme m'a paru crispante. J'ai cru devoir ( c'était à l'hôtel à Cabourg qu'étai le bal de d'Alton ), comme vous m'aviez présenté à lui. Mais il m'a regardé d'un air tellement stupéfait que je n'ai pas insisté. Adieu mon vieux genstil, je ne peux pas dire que je pense souvent à toi, car tu es installé dans mon âme comme une de ses couches superposées et je ne peux pas regarder du dedans au dehors, ni recevoir une impression du dehors au dedans, sans que cela ne traverse mon binchnibuls intérieur devenu translucide et poreux. Adieu mon petit chouen.

fr.muzeo.com                                                     GROUPE.


             Miss Teyte chante régulièrement au Casino mais j'ai toujours été trop malade pour aller l'entendre" A ce titre " elle a paru au bal de d'Alton entre les Noailles et les Bauffremont.

            Concours de choses valant de l'or pour la souffrance qu'ils causent aux dents et qui est égale à une aurification. Présidé par le critique musical du Journal...
            1° Les interviews où on appelle Michel Mortier " ce diable d'homme ".
            2° Ceux où après avoir nommé le vicomte de Breya on ajoute entre guillemets " le roi des impressarios ".
            3° Quand on félicite le Directeur de la Scala d'avoir réuni " l'hilarant Dranem, l'excentrique Sinoël la talentueuse de Lilo ".