vendredi 27 septembre 2024

Lettres de Proust à Reynaldo Hahn 149 /151 / 153 ( Correspondance France )

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                                       ( Lettre 149 )

                     Début juillet 1911

                  Cabourg

            Plutôt que d'aimer un meschant
            Contre toute espérance
            Qui fier, et sans raison, de son art et son chant
            Ne répond pas à ma souffrance !
            Er sur les flots d'azur où mainte voile cargue
            Voit venir mes dessins,
            Mais lui ne répond pas, en fait fi, et me nargue
            A dessein !
           Sur le roc arc-bouté comme dans une église
           Il regarde fuser
           Le flot décomposé qui bout et s'opalise  
           Et l'écoute jaser        
           Dans la grotte il descend quoique n'étant pas brave,
           Hasarde un pied mal sûr,
           Et voit sur les cristaux le flot secret qui bave
           Des améthystes et de l'azur ;
           Puis du fond des palais il remonte en fringale
           Car il a toujours faim
           Et dans son cher palais qu'il prétend avoir fui
           La nourriture poissonneuse ou végétale
           Se succède sans fin !
            Alors, Sarah, Clairin, s'exclament " ô mon maître
            Que vas-tu nous chanter ? '
            Mais lui répond " ne pourrions-nous bientôt nous mettre
            à dîner ? "
            Puis il descend au port, accoudé sur le môle
            Ne pense point Marcelche,
            Mais se dit : je pourrais aller voir à la Baule
            Risler aux yeux de Welsche.
            Il revoit le Palais, Sauzon mais n'a point cure
            Des souvenirs défunts
            Ne donne nul penser à l'autre Dioscure
            Qui n'aime pas trop les parfums.
             Assez
 
                                sans signature

                                      (  Lettre 151 )

                         25 juillet 1911

            Grand Hôtel Cabourg
            Monsieur mon bunibuls
            Je pense beaucoup à toi, et je ne t'écris pas parce que Cabourg ne me réussit pas cette année et que j'ai beaucoup asthme. Imagine-toi mon bunibuls que tous les soirs quand le soleil se couche et que je n'ai pas encore allumé l'électricité, je pense à toi dans mon petit lit avec un peu de chasgrin, et à ce moment de grosses femmes viennent jouer au loin sur la plage des valses avec des cors de chasse et des pistons jusqu'à ce qu'il fasse nuit. C'est à se jeter dans la mer de mélancolie. Je crois que tu vas vraiment être décoré et malgré et malgré, je ne peux pas dire quel plaisir bête mais ineffable cela me fera. Adieu mon genstil trop à vous dire et peux pas en ce moment.

                   B.
            Hector a meublé l'appartement au-dessus de sa nouvelle boutique qui semble du dernier confort et élégance. Recommandez cet appartement si vous avez des amis qui vont à Versailles car je crois qu'on y serait très bien et en plus servi par eux.  


                                      
                                  ( Lettre 153 ) 

                           Août 1911

            Cabourg
            Cher petit Gunimels               
          Tu es si faschant dans tes bensonges que tu dis que je n'ai pas une dactylographe. Alors lis donc ceci qui est joint à ma lettre. Genstil le sujet triste auquel tu fais allusion par suite d'une lettre que tu as reçue ( désastre prochain etc ) a été l'objet de correspondances que je taisais par discrétion. Mais il faudra que j'en parle à mon Gunimels ( après des serments effroyables ). Quant à ton petit chouen, je le considère comme inexistant tant que tu ne m'en as pas dit le prix et que je ne l'ai pas hacheté. J'ai eu la visite de quelqu'un que j'aimerais bien si vous ne le déclariez inacceptable, c'est Neufville  Je dois dire du reste qu'il m'a dit des " Voyez-vous le vilain égoïste ! " qui étaient assez " En voilà des 
manières ". Je crois que je vous aviez déjà fait remarquer que le substantif accolé le plus souvent à éternel c'était cigarette. De même savez-vous quelle est l'épithète qu'on joint le plus souvent au nom de Michel Mortier, c'est " ce diable d'homme ". Il faut ajouter qu'Astruc, Frank, Samuel et Marieton sont prétendants au même titre.
            Les Plantevignes ne sont pas ici. Ils ont cette année " délaissé Cabourg au profit de la Mer de glace " ce qui est assez Labiche. - Autre mot qu'on dit souvent ( analogue à Je n'ai pas de succès avec mon thé ) " Ca a l'air bon ce que vous mangez là. " Vous m'avez envoyé Genstil une petite préface où il y a une page ou deux pas mal mais rien d'inouï. Mais ce que vous dites à la fin sur le chant est ce que je connais de plus beau dans aucun écrit sur l'art et enfonce rudement Les Sept Lampes de l'Architecture ( malgré l'analogie de pensée avec La Lampe du Sacrifice ) et La Métaphysique de la Musique de Shopenhauer ( ! ) Il faut que cela soit publié à part. D'ailleurs cela ne fait rien que cela ait paru à l'occasion du livre de ce chanteur réfractaire et désabusé, c'en est déjà séparé et classique. D'autre part l'allégresse à vouloir décourager est Molieresque et charmante.
            Genstil j'aurais mille choses inouïes à vous raconter, dans le sens où vous prenez ce mot, et dont la moins piquante est le Prince Constantin R ( ...  )....... Mais je suis trop fastigué.
             J'ai vu hier Calmette à qui j'ai dit la délicatesse de votre regret ( c'était la première fois que j'avais pu le joindre ). Désespérant de le surpasser à la minute même il m'a demandé votre adresse actuelle pour vs dire son admiration, son affection son espoir que vous serez prochainement décoré. Il pense que vous êtes à Brusselles ( ! ). J'ai eu la honte d'avouer que j'en savais rien et que je vous croyais à Paris. Il m'a offert un verre, j'ai dit assez vulgairement que c'est moi qui aurais voulu le lui offrir, et alors sur ce ton que vous lui connaissez il m'a dit : 
            " - Cela n'a pas d'importance, pourvu que nous soyons ensemble ! "
Je crois au contraire qu'il déteste me rencontrer. J'ai vu Maurice de Rothschild ( et d'autres ) à un bal qu'a donné d'Alton. Je dois reconnaître, après m'être élevé sur ce qu'on disait de sa folie, et, si gentil qu'il ait été avec moi, qu'il a été " impossible ". Sa femme m'a paru crispante. J'ai cru devoir ( c'était à l'hôtel à Cabourg qu'étai le bal de d'Alton ), comme vous m'aviez présenté à lui. Mais il m'a regardé d'un air tellement stupéfait que je n'ai pas insisté. Adieu mon vieux genstil, je ne peux pas dire que je pense souvent à toi, car tu es installé dans mon âme comme une de ses couches superposées et je ne peux pas regarder du dedans au dehors, ni recevoir une impression du dehors au dedans, sans que cela ne traverse mon binchnibuls intérieur devenu translucide et poreux. Adieu mon petit chouen.

fr.muzeo.com                                                     GROUPE.


             Miss Teyte chante régulièrement au Casino mais j'ai toujours été trop malade pour aller l'entendre" A ce titre " elle a paru au bal de d'Alton entre les Noailles et les Bauffremont.

            Concours de choses valant de l'or pour la souffrance qu'ils causent aux dents et qui est égale à une aurification. Présidé par le critique musical du Journal...
            1° Les interviews où on appelle Michel Mortier " ce diable d'homme ".
            2° Ceux où après avoir nommé le vicomte de Breya on ajoute entre guillemets " le roi des impressarios ".
            3° Quand on félicite le Directeur de la Scala d'avoir réuni " l'hilarant Dranem, l'excentrique Sinoël la talentueuse de Lilo ". 
                                                        
 


 







                   

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