jeudi 1 mars 2012

Lettres à Madeleine 13 Apollinaire

                    Lettre à Madeleine

                                                                                                          13 août 1915

                   Madeleine,
             
                   2 adorables lettres de vous, du 6 et du 7 - En effet j'attendais de vos nouvelles. Les confessions vous avaient un peu frappée. Vous êtes en effet toujours harmonieuse. Et des Photos ! J'espère que le coeur est maintenant à sa place. Mais il est possible qu'il faille le mettre à l'abri car l'aluminium est un métal très tendre. Vous avez raison , nous cacherons notre amour, il ne sera qu'à nous seuls. vous serez toujours d'avantage à moi. - Mais quelle est la 3è naissance ? Je n'ai pas bien compris. Mais oui, enfant chérie, je vous pressentais. Et les goûts dont vous devez me parler et aussi me parler de votre cher vous que j'adore. Vous ne me parlez plus que de moi. Mais vous m'avez donné votre bouche. Je la savoure, je la dévore et toute vous jusqu'au plus secret de vous, que je suis content que vous alliez mieux. Je vois à peu près où vous habitez. µIl est possible que nous nous voyions fin septembre. Maintenant ma chérie que nous sommes bien l'un à l'autre nous pouvons écrire librement et que dire de l'immense désir que j'ai de votre jeune chair. Je suis comme un ogre à qui on présente un petit enfant à manger. Je prends vos lèvres follement comme un fruit exquis et mes mains voudraient tout ce que le poème vous faisait ressentir. Madeleine, ma chérie adorée, écrivez-moi une longue lettre. Il pleut à verse. Je crains que la paix ne vous rende qu'un promis podagre, perclus de douleurs et dont vous ne voudrez plus. Ah ! que d'amour il faudra pour sécher cette indélébile humidité.


                                                                                                                   Gui















mardi 28 février 2012

Le Rossignol et la Rose Oscar Wilde ( 3 suite et fin )

                   Le Rossignol et la Rose

                   Quand il eut fini son chant, l'Etudiant se leva et tira un carnet et un crayon de sa poche.
" Il a de la technique ", se dit-il en traversant le bosquet, " on ne peut le lui dénier ; mais a-t-il du sentiment ? Je crains bien que non. En réalité, il est comme la plupart des artistes ; il est tout style et sans sincérité. Il ne sacrifierait pas pour les autres. Il ne pense qu'à la musique, et chacun sait que les arts sont égoïstes. Et pourtant il faut admettre qu'il a quelques belles notes dans la voix. Quel dommage qu'elles ne signifient rien ou ne servent pas à quelque chose ! " Et il rentra dans sa chambre, s'étendit sur son grabat, et se mit à songer à son amour ; et, après un certain temps, il s'endormit.
                   Et quand la lune brilla dans le ciel, le Rossignol vola vers le Rosier et mit sa gorge contre l'épine. Toute la nuit, il chanta, avec sa gorge contre l'épine, et la froide lune de cristal se pencha pour écouter. Toute la nuit il chanta, et l'épine entra de plus en plus profondément dans sa gorge, et le sang de sa vie s'en alla de son corps.  
                   Il chanta d'abord la naissance de l'amour dans le coeur d'un jeune homme et d'une jeune fille. Et sur la plus haute branche du Rosier fleurit une rose merveilleuse, pétale après pétale, comme chant après chant. D'abord elle fut pâle comme les vapeurs suspendues au-dessus de la rivière, pâle comme les pieds du matin, et argentées comme les ailes de l'aube. Comme l'ombre d'une rose dans un miroir d'argent, comme l'ombre d'une rose dans un étang, ainsi était la rose qui fleurit sur la plus haute branche du Rosier.
                   Mais le Rosier cria au Rossignol de se presser plus fort contre l'épine. " Presse-toi plus fort, petit Rossignol ", cria le Rosier, " sinon le Jour viendra avant que la rose soit finie.
                    Et le Rossignol se pressa plus fort contre l'épine, et son chant s'éleva de plus en plus, car il chantait la naissance de la Passion dans l'âme d'un homme et d'une femme.
                    Et une délicate rougeur apparut sur les pétales de la rose, comme la rougeur sur le visage de l'époux quand il baise les lèvres de l'épousée. Mais l'épine n'avait pas encore atteint son coeur, de sorte que le coeur de la rose demeurait blanc, car seul le sang du coeur d'un Rossignol peut empourprer le coeur d'une rose.
                    Et le Rosier cria au Rossignol de se presser plus fort contre l'épine, et l'épine toucha son coeur, et une douleur cruelle le transperça. Plus cruelle était la douleur et plus farouche devint son chant, car il chanta l'Amour qui est parachevé par la Mort, l'Amour qui ne meurt point dans le tombeau.
                   Et la rose merveilleuse devint pourpre, comme la rose du ciel d'Orient. Pourpre était le cercle des pétales, et pourpre comme un rubis était le coeur.
                   Mais la voix du Rossignol s'affaiblit de plus en plus, et ses petites ailes se mirent à battre, et un voile descendit sur ses yeux. Son chant s'affaiblit de plus en plus et il se sentit étouffer.
                   Puis son chant jaillit pour la dernière fois. La Lune l'entendit, elle en oublia l'aube et s'attarda dans le ciel. La rose rouge l'entendit, et elle trembla toute d'extase, et ouvrit ses pétales à l'air frais du matin. L'écho le porta jusqu'à sa caverne violette, sur la colline, et éveilla de leurs rêves les bergers endormis. Il flotta à travers les roseaux de la rivière, qui portèrent son message jusqu'à la mer.
                   " Regarde, regarde ! " s'écria le Rosier, " la rose est finie, maintenant " ; mais le Rossignol ne répondit pas, car il était mort et couché dans l'herbe haute, avec l'épine dans son coeur.
                   Et à midi, l'Etudiant ouvrit sa fenêtre et regarda dehors.
                   " Quoi, quelle chance merveilleuse ! " s'écria-t-il ; " voici une rose rouge ! Je n'ai jamais vu de ma vie une rose pareille. Elle est si belle qu'elle doit avoir, j'en suis sûr, un nom latin très long " ; et il se pencha et la cueillit.
                  Puis il mit son chapeau et courut à la maison du Professeur, avec la rose dans sa main.
                  La fille du Professeur était assise sur le seuil, enroulant de la soie bleue sur un dévidoir, et son petit chien était couché à ses pieds.
                  " Vous avez promis de danser avec moi si je vous apportais une rose rouge ", s'écria l'Etudiant.  "  Voici  la rose la plus rouge du monde. Vous la porterez ce soir près de votre coeur, et, tandis que nous danserons ensemble, elle vous dira combien je vous aime."
                  Mais la jeune fille fronça le sourcil.
                  " Je crains qu'elle n'aille pas avec ma robe ", répondit-elle ; " et, de plus, le neveu du Chambellan m'a envoyé quelques vrais joyaux, et tout le monde sait que les joyaux coûtent beaucoup plus que les fleurs. "
                 " Eh bien! sur ma parole, vous êtes une ingrate ", dit l'Etudiant avec colère ; et il jeta la rose dans la rue, où elle tomba dans le ruisseau et fut écrasée par une voiture.
                 " Ingrate ! " dit la jeune fille. " Je vous dis, moi, que vous êtes bien impoli ; et, après tout, qu'êtes-vous donc ? Vous n'êtes qu'un étudiant. Vraiment, je ne crois même pas que vous ayez à vos souliers des boucles d'argent, comme en a le neveu du Chambellan. " Et elle se leva de sa chaise et rentra dans la maison.
                " Quelle chose absurde que l'Amour ", dit l'Etudiant en s'en allant. " Il n'est pas à demi aussi utile que la Logique, car il ne prouve rien, et il raconte toujours des choses qui n'arrivent jamais, et il vous force à croire des choses qui ne sont pas vraies. En fait, ce n'est rien de pratique, et comme à cette époque être pratique est l'essentiel, je retournerai à la Philosophie et j'étudierai la Métaphysique. "
                 Et il revint dans sa chambre, tira un gros livre poussiéreux et se mit à lire.


                                                                   
                                                                         Fin


                                                                                                               Oscar Wilde




dimanche 26 février 2012

Le Rossignol et la Rose Oscar Wilde ( suite 2 )


                                 
 Le Rossignol et la Rose 
               suite 2


...

                " Mes roses sont blanches ", répondit-il, " aussi blanches que l'écume de la mer et plus blanches que la neige des montagnes. Mais va voir mon frère qui croît autour du vieux cadran solaire, peut-être te donnera-t-il ce que tu désires. "
                Et le Rossignol vola vers le Rosier qui croissait autour du vieux cadran solaire. 
                " Donne-moi une rose rouge ", s'écria-t-il, " et je te chanterai ma plus jolie chanson. " 
                Mais le Rosier secoua la tête.
                " Mes roses sont jaunes ", répondit-il, " aussi jaunes que les cheveux de la sirène  assise sur un tronc d'ambre, et plus jaunes que le narcisse qui fleurit dans le pré avant que le faucheur ne vienne avec sa faux. Mais va voir mon frère qui croît sous la fenêtre de l'Etudiant, peut-être te donnera-t-il ce que tu désires.                Et le Rossignol vola vers le Rosier qui croissait sous la fenêtre de l'Etudiant.
               " Donne-moi une rose rouge ", s'écria-t-il, " et je te chanterai ma plus jolie chanson. "
               Mais le Rosier secoua la tête.
               " Mes roses sont rouges ", répondit-il, " aussi rouges que les pattes de la colombe, et plus rouges que les grands éventails de corail qui s'agitent sans cesse dans la caverne de l'océan. Mais l'hiver a glacé mes veines et le froid a détruit mes bourgeons, et l'orage a brisé mes branches, et je n'aurai pas de roses cette année. "
               " C'est une rose rouge que je désire ", s'écria le Rossignol, " rien qu'une rose rouge ! N'y a-t-il aucun moyen de l'obtenir ? "
               " Il y a bien un moyen", répondit le Rosier, " mais il est si terrible que je n'ose te le dire. "
               " Dis-le moi ", pria le Rossignol, " je n'ai pas peur. "
               " Si tu veux une rose rouge ", dit le Rosier, " il faut que tu la crées avec de la musique, au clair de lune, et que tu la teintes du propre sang de ton coeur. Il faut que tu chantes pour moi avec ta gorge contre une épine. Toute la nuit, il faut que tu chantes pour moi et que l'épine perce ton coeur, et le sang de ta vie doit couler dans mes veines et devenir mien. "
               " La Mort est un grand prix à payer pour une rose rouge ", s'écria le Rossignol, " et la Vie est très chère à tous. Il est agréable de s'asseoir dans le bois vert et de contempler le Soleil dans son char d'or, et la Lune dans son char de perles. Doux est le parfum de l'aubépine, et jolies sont les campanules qui se cachent dans la vallée, et la bruyère qui fleurit sur la colline. Mais l'Amour vaut mieux que la Vie, et qu'est-ce que le coeur d'un oiseau comparé au coeur d'un  homme ? 
                Et il étendit ses ailes brunes et prit son vol. Il parcourut le jardin comme une ombre, et comme une ombre il vogua vers le bosquet.

               Le jeune Étudiant était encore couché sur l'herbe, là où il l'avait laissé, et il y avait encore des larmes dans ses beaux yeux.
               " Sois heureux ", s'écria le Rossignol, " sois heureux ; tu auras ta rose rouge. Je la créerai avec de la musique au clair de lune, et la teinterai du propre sang de mon sang de mon coeur. Tout ce que je te demande en retour, c'est que tu sois un amant véritable ; l'Amour est plus sage que la Philosophie, bien qu'elle soit sage, et plus puissant que le Pouvoir, bien qu'il soit puissant. Ses ailes sont couleur de flamme, et couleur de flamme est son corps. Ses lèvres sont douces comme miel et son haleine est comme l'encens."               L'Etudiant leva les yeux et écouta mais il ne pouvait comprendre ce que lui disait le Rossignol, car il ne savait que les choses qui sont écrites dans les livres.
              Mais le Chêne Vert comprit, et il s'attrista, car il aimait chèrement le petit Rossignol qui avait fait son nid dans ses branches.
             " Chante-moi une dernière chanson ", murmura-t-il, " et je serai bien seul quand tu seras parti. "
             Et le Rossignol chanta pour le Chêne Vert, et sa voix était comme de l'eau qui coule en murmurant d'un vase d'argent.
                                     ...                          
                                                                                              ( à suivre )

                 
                                                                            


samedi 25 février 2012

Le rossignol et la Rose Oscar Wilde

Le Rossignol et la Rose


                       " Elle a promis de danser avec moi si je lui apportais des roses rouges ", s'écria le jeune Étudiant ; " mais il n'y a pas une rose rouge dans tout le jardin. "
                      De son nid dans le Chêne Vert, le Rossignol l'entendit ; il regarda à travers le feuillage et s'étonna.
                      " Pas une rose rouge dans tout le jardin ! " s'écria l'Etudiant, et ses beaux yeux s'emplirent de larmes. " Ah ! de quelles petites choses dépend le bonheur ! J'ai lu tout ce qu'ont écrit les sages, et tous les secrets de la philosophie sont miens, et cependant, faute d'une rose rouge, ma vie devient infortunée. "E
                     " Voilà au moins un véritable amant ", dit le Rossignol. " nuit après nuit, je l'ai chanté sans le connaître ; nuit après nuit, j'ai dit son histoire aux étoiles, et voici que je l'aperçois. Ses cheveux sont aussi sombres que la fleur de jacinthe et ses lèvres aussi rouges que la rose de son désir ; mais la passion lui a fait
un visage de pâle ivoire et la douleur lui a mis son sceau sur le front. "
                    " Le Prince donne un bal demain soir ", murmura le jeune Étudiant, " et ma bien-aimée sera de la fête. Si je lui apporte une rose rouge, elle dansera avec moi jusqu'à l'aube. Si je lui apporte une rose rouge, je la tiendrai dans mes bras, et elle penchera sa tête sur mon épaule, et ma main pressera la sienne.. Mais il n'y a pas de rose rouge dans mon jardin, et je resterai assis et délaissé, et elle m'ignorera. Elle n'aura de moi nul souci, et mon coeur se brisera. "
                 " Voilà, en vérité, un véritable amant ", dit le Rossignol. " Ce qui fait mon chant fait sa souffrance ; ce qui est joie pour moi est peine pour lui. Vraiment, l'Amour est une chose merveilleuse. Il est plus précieux que l'émeraude et plus rare que la fine opale. Les perles et les grenades ne le peuvent acheter, on ne le trouve pas non plus au marché. On ne peut l'acquérir chez les marchands, ni le peser dans la balance contre de l'or. "
                 " Les musiciens seront assis dans la galerie ", dit le jeune Étudiant, " ils joueront de leurs instruments à cordes, et ma bien-aimée dansera au son de la harpe et du violon. Elle dansera si légèrement que ses pieds ne toucheront pas le sol, et les courtisans dans leurs gais atours s'assembleront autour d'elle. Mais elle ne dansera pas avec moi, car je n'ai pas de rose rouge à lui donner. " et il se laissa tomber sur l'herbe, enfouit dans ses mains son visage et pleura.
                 " Pourquoi pleure-t-il ? " demanda un petit Lézard Gris en filant près de lui, la queue dressée.
                 ' Pourquoi, en vérité ? " murmura une Pâquerette à sa voisine, d'une voix basse et douce.
                 " Il pleure pour une rose rouge ", dit le Rossignol.
                 ' Pour une rose rouge ? " s'écrièrent-ils ; " comme c'est ridicule ! " et le petit Lézard, qui était quelque peu cynique, se mit à rire à gorge déployée.
                 Mais le Rossignol comprenait le secret du chagrin de l'Etudiant ; il restait silencieux dans le Chêne  et songeait au mystère de l'Amour.
                 Il étendit soudain ses ailes brunes et prit son vol. Il traversa le bosquet comme une ombre, et comme une ombre il vogua par le jardin.
                 Au centre de la pelouse, il y avait un beau rosier et, quand il le vit, il vola vers lui et se posa sur une branche.
                 " Donne-moi une rose rouge ",  s'écria-t-il, " et je te chanterai ma plus jolie chanson. "
                 Mais le Rosier secoua la tête.

                                                                                                           ( à suivre )

Lettres à Madeleine 12 Apollinaire

                      Lettres à Madeleine

                                                                                                          12 août 1915

                     Ma petite fiancée,

                     Je n'ai pas eu de lettre de vous aujourd'hui. Je suis désolé. Qu'y a-t-il que peut-il y avoir. Songez que je ne vis pas quand je n'ai pas de vos nouvelles. Je vous adore uniquement. Je suis très triste de n'avoir rien de vous aujourd'hui.
                                                        
                  C'est une nuit d'orage
                  Le tonnerre fait rage
                  La mitraillette aussi
                  Mais je suis bien ici
                  Je pense à vous ma fée
                  De raisins noirs coiffée.

                     Aurai-je moins de lettres et de moins longues de Nice que de votre ancienne résidence ?
                     J'attends impatiemment de vos nouvelles et de très tendres.
                     Ici, les mouches recommencent les orages aidant à tenter de nous rendre la vie insupportable. Elles n'y réussissent d'ailleurs que les jours où je n'ai pas de lettre de vous. Je baise vos cheveux et vos yeux.

                                                                                                                    
                                                                                                                 Gui
                                      








Parce que de la viande Stéphane Mallarmé

Texte lu à des amis en 1862. Le poème est retrouvé beaucoup plus tard dans une lettre manuscrite ne sera publié qu'en 1945 dans ses Oeuvres complètes. Certains contestèrent parfois la paternité de ces lignes à Mallarmé.

                                    
                                   Parce que de la viande

                        Parce que de la viande était à point rôtie,
                        Parce que le journal détaillait un viol,
                        Parce que sur sa gorge ignoble et mal bâtie
                        La servante oublia de boutonner son col,

                        Parce que d'un lit, grand comme une sacristie,
                        Il voit, sur la pendule, un couple antique et fol,
                        Ou qu'il n'a pas sommeil, et que, sans modestie,
                        Sa jambe sous les draps frôle une jambe au vol,

                        Un niais met sous lui sa femme froide et sèche,
                        Contre ce bonnet blanc frotte son casque-à-mèche
                        Et travaille en soufflant inexorablement :
                       
                        Et de ce qu'une nuit, sans rage et sans tempête,
                        Ces deux êtres se sont accouplés en dormant,
                        O Shakspeare et toi, Dante, il peut naître un poète !


                                                                                                  Stéphane Mallarmé

vendredi 24 février 2012

Les Fenêtres Stéphane Mallarmé

Mai 1863 à Londres où il se trouve Mallarmé ne goûte guère la vie.et poursuit son Idéal de Beauté qui ne peut se trouver que dans le Rêve non dans l'Action, apparît le futur athéiste.  Il publie ce poème paru trois ans plus tard en 1866 au début de dix autres textes dans Le Parnasse Contemporain.


                               Les Fenêtres

                Las du triste Hôpital, et de l'encens fétide
                Qui monte en la blancheur banale des rideaux
                Vers le grand crucifix ennuyé du mur vide,
                Le moribond sournois y redresse un vieux dos,

                Se traîne et va moins, pour chauffer sa pourriture
                Que pour voir du soleil sur les pierres, coller
                 Les poils blancs et les os de la maigre figure
                Aux fenêtres qu'un beau rayon clair veut hâler,

                 Et la bouche, fiévreuse et d'azur bleu vorace,
                 Telle, jeune, elle alla respirer son trésor,
                 Une peau virginale et de jadis ! encrasse
                  D'un long baiser amer les tièdes carreaux d'or.

                  Ivre, il vit, oubliant l'horreur des saintes huiles,
                  Les tisanes, l'horloge et le lit infligé,
                  La toux ; et quand le soir saigne parmi les tuiles,
                  Son oeil, à l'horizon de lumière gorgé,

                  Voit des galères d'or, belles comme des cygnes,
                  Sur un fleuve de pourpre et de parfums dormir
                  En berçant l'éclair fauve et riche de leurs lignes
                  Dans un grand nonchaloir de souvenirs !

                  Ainsi, pris du dégoût de l'homme à l'âme dure
                  Vautré dans le bonheur, où ses seuls appétits
                   Mangent, et qui s'entête à chercher cette ordure
                   Pour l'offrir à la femme allaitant ses petits

                   Je fuis et je m'accroche à toutes les croisées
                   D'où l'on tourne l'épaule à la vie, et, béni,
                   Dans leur verre, lavé d'éternelles rosées,
                   Que dore le matin chaste de l'Infini

                   Je me mire et me vois ange ! et je meurs, et j'aime
                   - Que la vitre soit l'art, soit la mysticité -
                   A renaître, portant mon rêve en diadème
                   Au ciel antérieur où fleurit la beauté !

                   Mais, hélas ! Ici-bas est maître : sa hantise
                   Vient m'écoeurer parfois jusqu'en cet abri sûr,
                   Et le vomissement impur de la Bêtise
                   Me force à me boucher le nez devant l'azur.

                   Est-il moyen, ô Moi qui connais l'amertume,
                   D'enfoncer le cristal par le monstre insulté
                   Et de m'enfuir, avec mes deux ailes sans plume
                   - Au risque de tomber pendant l'éternité ?

                                                                                                           Stéphane Mallarmé

jeudi 23 février 2012

Intermittence Andréa Camilleri ( roman Italie )

                                             
IntermittenceIntermittence

                           Abandonné Montalbano, éloignée la Sicile, nous voici en Italie plongés dans une aventure qui trouvera son dénouement rapidement, c'est ce qu'espère Mauro de Blasi le directeur général de la Manuelli usine au centre de l'affrontement entre ouvriers qui craignent leur licenciement, et Birolli patron d'Arténia. Un jeu d'écritures, des négociations secrètes, des millions attendus, guère défendus. Fusion d'entreprises, le travail délocalisé en Chine, tout l'univers de l'économie, de l'industrie traité comme une comédie italienne. Il y a la bonne-espionne, l'excellente secrétaire qui tombe malheureusement amoureuse et Marisa jeune, frivole épouse, qui prend des coups et un drame sournois De Blasi est-il victime d'hallucinations ou... " ce fut alors qu'il eut la certitude déchirante de la proximité de sa mort... " Tout cela sous la plume de Camilleri. C'est vif, agaçant, on couche beaucoup, tous les âges se mêlent, scabreux, drôle.




                                         

                                       

mercredi 22 février 2012

le Grelot Andréa Camilleri ( roman Italie )








Le Grelot









Le Grelot

                Le premier jour de février du siècle dernier, le curé de Vigàta appelle les fidèles à l'église
très tôt car il a eu un pressentiment et ce qu'il va leur annoncer ce n'est pas " des charamènes ".
En ce temps là dans ce village très pauvre de bord de mer les pêcheurs louaient leurs enfants de 7 à 14 ans aux propriétaires des mines de souffre. Petits ils circulaient dans d'étroits couloirs, mais ils ressortaient voûtés, malades. Cette année-là l'un d'eux, Giurla, eut la chance de partir dans les hauts pâturages garder de gros troupeaux de chèvres.
Et Camilleri nous promène dans une vie faite de nature, de roches et de lacs, d'orages et de soleil et surtout de silence. L'adolescent Giurla n'est pas sot, il observe, les trayeuses sont bonnes femmes, de plus il lit Lucrèce tant bien que mal, livre trouvé dans la cabane. Quels sentiments poussent une jolie chevrette vers le jeune chevrier ? La solitude a tôt fait de rapprocher le jeune homme de Béba. Il lui livre ses pensées, elle répond " béé... béé... " dort dans le cabanon toute proche à ses côtés. Puis apparaît dans l'histoire une jeune femme fille du propriétaire. Béba boude, Béba est jalouse. Giurla travailleur honnête va vivre un drame, un jour où le vent, l'orage, la pluie emportent tout ce qui se trouve au bord du lac. Roman pastoral, plein de verdeur et de verdure. Le sujet serait scabreux sous certaines plumes il est écrit là dans le langage Camilleri qui propose le 3è volet des Métamorphoses. " ... Les botians se chauchent à coups de cornes... ils peuvent te charger... de collagne..." " ... Le silence de la campagne... riche de cent parfums... des couleurs à revorge..."
Un joli roman pour amoureux du naturel."...Les quatre voyages de Christophe... il a su tracer un chemin sur la mer... il a doublé la surface du monde, il a peuplé l'horizon... " Ainsi parle Bartolomé au terme de sa vie.





































Lettres à Madeleine 11 Apollinaire

                Lettre à Madeleine

                ( après plusieurs lettres toujours pleines de ses sentiments, de quelques confidences - son argent épuisé, sa mère à sa charge son frère parti à Mexico - de son autoportrait " poète fantasque pas buveur pas joueur plus très beau alors qu'il fut un très bel enfant " il informe Madeleine que le courrier sera désormais ouvert et enfin demande la main de la jeune femme à sa mère Madame Pagès  " Aux Armées le 10 août 1915 " signé            brigadier au 38è Rgt d'Artillerie de campagne
                               45è batterie secteur 138 

                                                                                                                 11 août 1915


                  Ma petite fée,
                 
                  J'ai écrit hier à votre maman. -
                  - S i j'ai écrit " fantasque " je n"ai voulu donner à cette épithète que le sens qui procède de fantaisie ; la véritable fantaisie en effet ne vient pas de l'incertitude, ni du changement irraisonné et vous qui êtes une fée, pouvez-vous croire qu'une féerie se développe au hasard ? Mes seuls changements sont dans les nuances comme celles qui animent la gorge d'un pigeon. Au reste, je me suis chanté ainsi

                                             Les jours s'en vont, je demeure
                   Et je ne change oint si on ne me fait pas changer. Entre nous, les liens de l'esprit assureront, bien qu'une telle sûreté soit inutile, les liens du coeur.
                   La vie n'est douloureuse que pour ceux qui se tiennent éloignés de la poésie par quoi il est vrai que nous sommes à l'image de Dieu. La poésie est ( même étymologiquement ) la création. La création, expression sereine de l'intelligence hors du temps est la joie parfaite.
                   L'enfantement seul est douloureux.
                   Le poète doit créer et non pas enfanter. C'est pourquoi les poètes passent souvent pour des paresseux, car ils ne peinent point et c'est leur destinée.
                   C'est ainsi qu'en toutes traverses de bonheur ou autres, j'ai toujours été heureux car la vie même est mon bonheur.
                   Vous êtes ma vie, Madeleine, c'est-à-dire mon bonheur ineffable et cette joie qui ne participe point du temps.
                   Et il ne peut changer celui que la redoutable fuite des heures ne saurait entraîner.
                   Non, il ne faut point voir de tristesse dans mon oeuvre, mais la vie même, avec une constante et consciente volupté de vivre  de connaître de voir, de savoir et d'exprimer.
                   Votre raison, dites-vous, Madeleine, s'accorde parfaitement avec l'amour, moi, c'est un instinct, une fureur prophétique, comme celle dont brûlait la Sibylle, qui m'a poussé vers vous. Pour la fidélité, rien n'est plus fidèle à ses engagements qu'un poète.
                   Et au hasard de l'histoire des lyres, y a-t-il de vie plus dissipée que celle de Racine jusqu'à son mariage ?
                   Et le plus tendre des poètes fut-il moins bon époux d'avoir connu la Champmeslé ?
                   D'ailleurs, Madeleine, je ne pêche point contre vous et je suis absous par votre amour.
                   Je m'attacherai à votre bonheur de toutes mes forces et de toute mon âme...
                   Tristan Bernard m'a envoyé les 15 premiers n° de son Poil civil. Je vous les enverrai un de ces jours. L'esprit qui dicte ce petit pamphlet périodique me plaît assez à cause de la liberté d'esprit qu'il reflète.
Cette liberté d'esprit qui est la plus belle qualité française on ne saurait trop la sauvegarder.
                   Pour nous, soldats du Front la liberté d'écrire ne nous est plus dévolue ; je m'étais d'abord persuadé du peu d'à-propos de cette restriction. Nos lettres envoyées ouvertes sont lues par des officiers censeurs. A la réflexion, je me suis dit que l'art épistolaire allait renaître car chacun s'efforcera d'écrire le mieux qu'il peut, on cherchera des formules nouvelles pour dire ce qu'il faut faire deviner, l'esprit critique qui ayant tant de sujets n'avait plus d'objet va s'exercer le plus finement du monde et notre intelligence aiguisée par la nécessité va redevenir ce qu'elle n'aurait jamais dû cesser d'être : forte et subtile.
                   Voilà qui est de bon augure pour que la guerre finisse et Paul-Louis Courier qui avait tant d'esprit et de si raisonnable pouvait bien écrire sa Pétition pour des villageois qu'on empêche de danser mais se garderait bien de formuler une Pétition pour les soldats qu'on gêne dans leur correspondance. La mesure est excellente. E sur cette réflexion ma fiancée très chérie je vous donne mon âme...

                                                                                                                                   Gui
                                                                A MADELEINE

                                          Je serre votre souvenir comme un corps véritable
                                       Et ce que mes mains pourraient prendre de votre beauté
                                       Ce que mes mains pourraient en prendre un jour
                                       Aura-t-il plus de réalité ?
                                       Car qui peut prendre la magie du printemps ?
                                       Et ce qu'on peut avoir n'est-il pas moins réel encore
                                       Et plus fugace que le souvenir ?
                                 Et l'âme cependant prend l'âme même de loin
                                 Plus profondément plus complètement encore
                                 Qu'un corps ne peut étreindre un corps.
                                 Mon souvenir vous présente à moi comme le tableau de la création
                                 Se présentait à Dieu le septième jour
                                 Madeleine mon cher ouvrage
Que j'ai fait naître brusquement
         Votre deuxième naissance
Nice les Arcs Toulon Marseille Prunay Wez Thuizy Courmelois
      Beaumont-sur-Vesle
Mourmelon-le-Grand Cuperly Laval S-Jean-sur-Tourbe Le Mesnil
      Hurlus
Perthes-lès-Hurlus Oran Alger
Et j'admire mon ouvrage
Nous sommes l'un à l'autre comme des étoiles très lointaines
Qui s'envoient leur lumière...
vous en souvenez-vous ?
Mon coeur
Allait de porte en porte comme un mendiant
Et vous m'avez fait l'aumône qui m'enrichit à jamais
Quand noircirai-je mes houseaux
Pour la grande cavalcade
Qui me ramènera près de vous ?
Vous m'attendez ayant aux doigts
Des pauvres bagues en aluminium pâle comme l'absence
Et tendre comme le souvenir
Métal de notre amour métal semble à l'aube
Ô Lettres chères lettres
Vous attendez les miennes
Et c'est ma plus chère joie
D'épier dans la grande plaine où s'ouvrent comme le désir les
     tranchées
                                  Blanches les tranchées pâles
D'épier l'arrivée du vaguemestre
Les tourbillons de mouches s'élèvent sur son passage
Celles des ennemis qui voudraient l'empêcher d'arriver
Et vous lisant aussitôt
Je m'embarque avec vous pour un pèlerinage infini
Nous sommes seuls
Et je chante pour vous librement joyeusement
Tandis que seule votre voix pure me répond
Qu'il serait temps que s'élevât cette harmonie
Sur l'océan sanglant de ces pauvres années
Où le jour est atroce où le soleil est la blessure
Par où s'écoule en vain la vie de l'univers
Qu'il serait temps, ma Madeleine, de lever l'ancre !

                                                                                                                                     Gui













                                      



                     


                                                                                                                                                                                                                                     

                                                                                                               

                                                                                                             

lundi 20 février 2012

Sonnets Stéphane Mallarmé


Stéphane Mallarmé
       portrait
  Edouard Manet                  Sonnets

                            
                                                              Le Cantonnier

                                                      Ces cailloux, tu les nivelles
                                                      Et c'est, comme troubadour
                                                      Un cube aussi de cervelles
                                                      Qu'il me faut ouvrir par jour.


                                            
                                              Le Marchand d'Ail et d'Oignons

                                                      L'ennui d'aller en visite
                                                      Avec l'ail nous l'éloignons.
                                                      L'élégie au pleur hésite
                                                      Peu si je fends des oignons.



                                                     La Femme de l'Ouvrier

                                                      La femme, l'enfant, la soupe
                                                      En chemin pour le carrier
                                                      Le complimentent qu'il coupe
                                                      Dans l'us de se marier.



                                                              Le Vitrier

                                                      Le pur soleil qui remise
                                                      Trop d'éclat pour l'y trier
                                                      Ôte ébloui sa chemise
                                                      Sur le dos du vitrier.



                                                      Le Crieur d' Imprimés

                                                      Toujours, n'importe le titre,
                                                      Sans même s'enrhumer au
                                                      Dégel, ce gai siffle-litre
                                                      Crie un premier numéro.



                                                   La Marchande d'Habits

                                                      Le vif oeil dont tu regardes
                                                      Jusques à leur contenu
                                                      Me sépare de mes hardes
                                                      Et comme un dieu je vais nu.



                                                                                                      Stéphane Mallarmé