mercredi 21 mars 2012

Le Corbeau de Mizzaro Pirandello ( Conte Italie )



Luigi Pirandello naît le 28 juin 1867 à Agrigente  ( Girgenti en Sicile ).Le choléra sévit, peu d'enfants résistent à l'épidémie mais Luigi " le ver luisant " comme il se nomme survit.  Dramaturge, auteurs de nouvelles ( 237 ), s'est installé ) à Rome avec son épouse Maria Antonietta et ses trois enfants. Le Corbeau de Mizzaro parut en 1902 pour la première fois dans Il Marzocco avant d'être intégré le recueil de nouvelles " Le Carnaval des Morts ".

                                                                            Le Corbeau de Mizzaro

                 Des bergers désoeuvrés qui grimpaient un jour sur les coteaux de Mizarro surprirent dans son nid un gros corbeau en train de couver paisiblement.
                - Oh vieux gaga, que fais-tu là ? Regardez-moi ça ! Il couve ! C'est à ta femme de le faire, vieux gaga !
                Qu'on ne s'imagine pas que le corbeau n'ait pas crié ses raisons, il les cria fort bien mais en bon corbeau et naturellement il ne fut pas entendu. Ces bergers se divertirent une journée entière à le tourmenter puis l'un d'eux l'emporta au pays. Toutefois le lendemain, ne sachant qu'en faire, il lui attacha au cou une clochette en bronze et lui rendit la liberté :
               - Profites-en tout ton saoul !

               Quelle impression cette breloque sonore faisait au corbeau, lui seul le sut qui l'emportait à travers le ciel. D'après les amples envolées auxquelles il s'abandonnait, il semblait s'y complaire, puisqu'il en oubliait son nid et sa compagne.
               - Drelin, drelin... drelin, drelin...
               A ce tintement de cloche, les paysans courbés sur leur travail se redressaient, scrutaient de tous côtés la plaine à perte de vue sous la flambée du soleil.
               - Où ça sonne donc ?
               Pas un souffle de vent ; de quelle église lointaine arrivait donc ce carillon de fête ?
               Ils pouvaient tout imaginer sauf qu'un corbeau sonnait ainsi en plein ciel. " Des esprits ! " pensa Ciché seul et en train de creuser des trous autour de plants d'amandiers pour les remplir de fumier. Et il se signa.Car il y croyait, lui, aux esprits et comment ! Même qu'il s'était entendu quelquefois appeler le soir quand il rentrait très tard le long de la route près des  Fornaci, ces anciens fours éteints où au dire de tous  ils avaient élu domicile.Appeler , et comment ! Appeler : Ciché ! Ciché ! comme ça.Et ses cheveux s'étaient dressés sous son bonnet.
               Or, ce carillon, il l'avait d'abord entendu de loin puis de plus près puis encore de loin ; cependant, aux alentours pas âme qui vive: des champs, des arbres et des plantes qui ne parlaient ni n'entendaient et dont l'impassibilité n'avait fait qu'accroître sa frayeur.Ensuite, comme il allait déjeuner puisqu'il s'était apporté la moitié d'une miche de pain avec son oignon dans son cabas pendu un peu plus loin à une branche d'olivier avec sa veste, et bien, bonnes gens, sûr qu'il l'avait retrouvé dans son cabas mais pas son pain.Et cela en quelques jours seulement.
              Il n'en parla à personne car il savait que lorsque les esprits prennent quelqu'un pour cible, gare à s'en plaindre ! Ils vous retrouvent au tournant quand bon leur semble et même ils en remettent.
              - Je ne me sens pas à mon aise, répondait Ciché le soir à sa femme qui lui demandait pourquoi il avait cet air ahuri.
              - Tu manges bien, pourtant , lui faisait observer sa femme peu après, en le voyant avaler deux ou trois assiettées de soupe d'affilié.
              - Eh oui, je mange ! mastiquait Ciché à jeun depuis le matin et fou de rage de ne pouvoir se confier à sa femme.
              Jusqu'au moment où la nouvelle se répandit dans les villages qu'un corbeau maraudeur s'en allait dans le ciel en sonnant une clochette.Ciché eut le tort de ne pas en rire comme les autres paysans qui avaient conçu quelques appréhensions.
              - Je jure, dit-il, que je le lui ferai payer !
              Et que fit-il ? Il emporta dans son cabas avec sa moitié de miche et son oignon quatre fèves sèches et quatre aiguillées de ficelle, à peine arrivé dans son champ, il ôta le bât de l'âne et l'achemina vers la colline pour qu'il aille brouter les chaumes.Selon l'habitude des paysans, Ciché causait avec son âne de temps en temps, et l'âne dressant tour à tour une oreille, reniflait de temps en temps pour lui répondre à sa manière.
              - Va, Ciccio, va, lui dit ce jour-là Ciché.Tu vas voir, nous allons bien nous amuser.
              Il fit un trou dans les fèves, les attacha au bât par la ficelle, et les disposa par terre sur son cabas ; après quoi il alla piocher un peu plus loin.
              Une heure passa pis deux..De temps à autre, Ciché interrompait sa besogne, croyant toujours entendre la clochette ; se redressant, il tendait l'oreille.Rien.Alors il se remettait à piocher.
              Vint l'heure du déjeuner.Perplexe, se demandant s'il irait chercher son pain où s'il attendrait encore un peu ; à la fin Ciché se mit en marche mais quand il aperçut l'amorce encore sur le cabas, il se refusa à la déplacer.Là-dessus, se fit entendre clairement un tintement lointain ; il leva la tête.
              - Le voici !
              Et coi et courbé, le coeur battant il alla se cacher un peu plus loin.
              Si ce n'est que le corbeau, comme s'il prenait plaisir au son de sa clochette, tournait et virait en haut, tout en haut, et ne descendait pas....
 
                                                                                                 
                                                                                             ......... .........( à suivre )
     

dimanche 18 mars 2012

Le loup de Wall Street Jordan Belfort ( roman Etats-Unis )

Le Loup de Wall Street
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                                                      Le loup de Wall Street                                                                                                                                                                                                                                                                             
                 Diplômé en biologie c'est dans la finance et plus exactement en tant que trader que Jordan Belfort va construire puis détruire une carrière de sur-doué de l'achat et de la vente d'actions. Créant des sociétés paravents pour des introductions à la limite de l'illégalité, il a créé une société de bourse hors Manhattan à Long Island, Stratton, où un millier de courtiers s'efforçaient de vendre des titres. Pour entretenir l'excitation la drogue circulait, les filles passaient, la démesure s'est installée avec l'afflux de millions de dollars. Belfort est aussi un bon auteur. A 34 ans il avait racheté le yacht de Chanel, propriétaire de plusieurs maisons, d'une deuxième épouse Nadine mannequin surnommée Duchesse de Bay Bridge et de deux enfants, 22 personnes à leur service mais il ne jouera pas au golf qui jouxte sa maison car "... n'étant qu'un simple juif... Il était impossible  d'entrer dans un quelconque club sans prouver qu'on était un wasp pur-sang... jusqu'à ce que je comprenne... étaient de l'histoire ancienne, une espèce sérieusement menacée, cousine du dodo ou de la chouette tachetée... "  Continuellement sous Mandrax et cocaïne, Xanax et un nombre infini d'autres substances il emploie toutes ses facultés à entretenir des actifs qui lui permettent un jet privé et un hélicoptère. Les opérations financières sont parfaitement expliquées, les démarches et le blanchiment d'argent vers la Suisse, le choix des passeurs. Ses aventures nombreuses avec par exemple à Genève bien servi par le service d'étages "... allai ouvrir la porte. Je levai les yeux... Il y avait une femme noire d'un bon mètre quatre-vingts... " Des associés hypocrites tout aussi shootés, le FBI intrigué par cette société avide de dollars les yeux fixés sur la bande jaune, et son patron qui dérive publiquement bavant ou s'endormant la tête dans une assiette de coke. Cependant Jordan est un génie "... Je suis un passionné d'histoire, Roland, je crois dur comme fer que qui n'étudie pas les erreurs du passé est condamné à les reproduire." Assez drôle il raconte sa vie délirante avec des mots très crus  et sous-titre le livre Vie et Moeurs des riches détraqués. Une over-dose, près de mourir, "... la toxicomanie est une saloperie de maladie... les limites du sens commun s'estompent dans le feu de l'action... " Le livre ne se lâche pas, 600 pages d'aventures vécues.                                                          
            2013 - Martin Scorses met en scène Le Loup de Wall Street. En vedette Leonardo di Caprio.

Miniature

                                                                                                                                                                                                     

samedi 17 mars 2012

Lettres à Madeleine 22 Apollinaire


1925

                                          
                                                      Lettre à Madeleine

                                                                                                                  17 septembre 1915

                Mon amour, j'ai aujourd'hui ta lettre du 11. Je n'écris plus à Narbonne Les lettres n'y parviendraient point à te joindre. Vénus se serait embarquée dans son port. Je crois que le bal va commencer ici. On nous montera demain des vivres pour 3 jours et de l'eau aussi. Par conséquent je croîs que nous n'aurons pas de lettres et que tu n'en recevras pas. Il faut ma chérie, que tu ne t'inquiètes pas de quelques jours sans lettres. Mais je t'écrirai tout de même chaque jour et toi aussi -
                D'autre part mon amour, il faut que tu gardes avec ton coeur nouveau de femme, dis-tu, ton coeur virginal de jeune fille. Les deux sont toi, n'en chasse aucun, les deux sont moi aussi.Si tu savais...
              Mais si, mon amour tu me rends très très heureux. Je trouve tout en toi et le bonheur que tu me donnes dans tes lettres bien que très voluptueux est d'une pureté merveilleuse. Non je ne souffre pas misérablement et honteusement. Je sais me dominer. Je ne souffre que de notre éloignement et aussi évidemment je préférerais t'avoir toute vraiment. Mais c'est tout. Je te désire infiniment et ce m'est délicieux. Je n'ai souffert que dans les temps où je ne savais pas encore - je le savais cependant - combien tu étais à moi. Mais maintenant il y a eu en moi toute la curiosité de mon amour pour toi mais rien de bas. Je t'adore mais j'ai trop le sentiment du devoir pour m'épuiser en imaginations qui pouvaient hanter un solitaire de la Thébaïde livré à lui-même et sans but, sinon un but métaphysique, mais non au soldat. D'ailleurs un soldat doit être chaste. Au début mon amie de Nice m'avait proposé de venir en seconde zone de secteur 59 où il y avait encore des patelins, je n'ai pas voulu. Je voulais être chaste. Je comptais me rattraper après la guerre ou en permission.Tu es venue ensuite à mon appel et tout le reste s'est écroulé. J'ai eu des occasions comme tout le monde dans le secteur 59 dans les villages de 2è zone, mais si même j'avais pu me laisser aller, ton souvenir, qui devenait un avenir, m'aurait retenu. J'aime ma chasteté actuelle parce qu'elle me permet de supporter les fatigues, de n'être pas malade et surtout parce qu'elle me permet d'être digne de Madeleine et que mon désir ne pourrait aller qu'à elle-même, en corps et âme. Mon désir va vers toi et non à une émanation, viendrait-elle de toi et pour rien au monde je ne voudrais être semblable à ce malheureux Ixion qui fit dodo avec un fantôme de nuées fait à la semblance de Junon. J'aime Madeleine et j'aime qu'elle m'écrive parce que ses lettres sont fines, intelligentes, voluptueuses, aimables, délicates, pleines d'aperçus sur elle, sur nous, mais ce ne sont pas ses lettres que j'aime, et un amour aussi monstrueux m'abaisserait trop à mes yeux pour qu'il puisse même être question d'une souffrance comme celle-là, tes lettres devenant les pommes du pauvre Tantale, non ne crains rien. Loin de me faire de la peine, tes lettres en me prouvant ton amour augmentent au contraire ma joie, ma joie de t'aimer toi si juvénile, si femme même si prête à notre amour complet. Et moi aussi quoique ce ne soit pas évidemment afin de créer la chasteté entre nous - au contraire - je prends tes lèvres purement et chastement. C'est-à-dire que je fais aux lettres la part qu'elles peuvent avoir mais que l'homme t'est tout entier réservé. Aussi te désiré-je infiniment pour le moment où je pourrai t'avoir.
             Je savais bien que tu ne portais pas de corset ! C'est merveilleux cette divination ! Je ne t'en ai parlé que parce que j'en avais l'intuition absolue. Je n'ai cependant pas insisté parce que j'aurais pu me tromper.Tu ne peux te figurer à quel point cette merveilleuse et importante nouvelle m'a fait plaisir.Ton buste est libre... Ma Madeleine.Tu es donc une divinité ! Et quant à la nouvelle qui concerne tes hanches de déesse, je l'avais aussi pensé à tes photos et à ta démarche, patent incessu dea. Tu as exactement les hanches que je préfère. Et pardonne à mon impudeur, je suis impudique avec une ingénuité de sauvage tu verras, mais pardonne-moi de te le dire aussi crûment, je crois que je ne pourrais pas aimer une femme qui n'aurait pas les hanches comme tu dis et comme tu les as. Sans y mettre aucun vice et aucune manie, j'ai l'âme des Grecs qui adoraient Vénus Callipage et je n'ai aucune honte d'un goût aussi hellénique. Donc, tue n'as pas à t'en consoler mais à t'en réjouir, ma très belle Madeleine. Mais où as-tu lu que Néron n'aimait pas les femmes aux hanches étroites ? Moi je les abomine.
               Ce Néron était donc bien remarquable. Je crois au demeurant qu'on a fait justice de toutes les accusations portées contre lui.
               Tes formes ma chérie sont admirables.Je l'avais vu dans ta photo en peignoir et aussi dans celle où tu es sur la terrasse et où ta jambe gauche est dessinée. J'attends avec impatience ta photo de Narbonne.
              Que j'aime ta phrase sur notre bonheur. Elle montre combien nos goûts coïncident en tout puisque tu la mets après m'avoir livré un peu, beaucoup même de ton corps que je devine admirable comme ta figure.
              Mon aimée, embrasse pour moi tes pieds, ces chers souffrants comme disaient les Précieuses qui, ma foi, n'étaient pas toujours ridicules.
              Oui mon amour nous donnerons mutuellement beaucoup beaucoup d'amour. Et puis pardonne à mon ingénuité qui me fait appeler les choses avec une précision qui est dans ma nature et dans la tienne aussi, car tu es aussi franche, aussi nette que moi, et va, mon amour, bien que j'aie plus vécu, je suis pur aussi et digne de ta merveilleuse pureté si voluptueuse.
             Et quand je pense à toi, ma chérie, chaque fois, brusquement c'est au Cantique des Cantiques que ton image me fait penser. Cette merveilleuse pastorale est comme un décor qui va si bien aux retraites africaines d'où tu m'écris, d'où tu m'appelles et me tends dans le plus pur des désirs le corps le plus beau, le plus vierge qui soit et aussi le plus voluptueux, ô mon amour.


                                                                                                                     Gui









vendredi 16 mars 2012

La tache sur l'ongle Miguel de Unamuno ( conte Espagne )

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raidergazette.com

                                  Miguel de Unamuno Bilbao 1864 Salamanque 31 décembre 1936
                                            ( conte paru le 25 janvier 1923 dans Les Lunes de El Impartial )

                                           La tache sur l'ongle

               Procopio cultivait ce qu'on pourrait appeler la superstition des superstitions, c'est-à-dire celle de n'en avoir aucune. Le monde était pour lui un mystère, mais vide de sens. Rien ne signifie rien, était sa devise.Vouloir tout expliquer est une invention de l'homme, superstitieux par nature. Toute la philosophie - et pour Procopio, la religion était une philosophie à l'usage des enfants ou des vieillards, avant ou après leur développement mental - se réduisait à l'art de poser des charades où le tout procède des parties, mon premier, mon second, mon troisième etc. Tel était l'abc de sa sagesse. Mais à quoi correspond ce rien qui a cependant un sens qu'il traduit sans le vouloir ? A la rigueur, l'homme ne pense que pour parler, pour communiquer avec ses semblables et se persuader ainsi qu'il est un homme.
            Un jour que Procopio se préparait à se couper les ongles - opération à laquelle il se livrait fréquemment - il remarqua à la base de l'ongle du majeur de la main droite, un peu vers la gauche, une petite tache blanche de la dimension d'une lentille. Incident naturel non contagieux, affaire de tissu. " Bah ! se dit-il, elle montera avec la croissance de l'ongle et finira par disparaître.Un jour je la ferai sauter en coupant l'ongle. " Mais l'homme propose et Dieu dispose, et Dieu fit que Procopio ne put s'empêcher de chasser de son esprit cette petite tache blanche sur son ongle.
Afficher l'image d'origine*           Aussi, lorsqu'il entreprit, quelques jours après cette découverte, de prendre une plume, la tache l'empêcha de la faire courir à son gré. " Mais c'est idiot, se disait-il, furieux contre lui-même, puisque cela ne veut rien dire ! superstitions avilissantes ! " Il se rappelait qu'étant enfant on lui avait expliqué que ces petits points blancs sur les ongles représentent autant de mensonges et qu'ils surgissent sur les ongles des enfants menteurs. Mais il n'était plus un enfant - encore moins un vieillard - et il n'avait aucun souvenir d'avoir fait récemment un gros mensonge ou de s'être menti à lui-même. Au reste, tout cela ne voulait rien dire, et il partit à la campagne pour voir si le soleil et le grand air lui feraient oublier cette petite tache sur l'ongle du majeur.
               Mais quoi ? Il lui eût été plus facile de faire disparaître de son ongle la petite tache." Mais qu'est-ce que cela veut dire ? se demandait-il, sans vouloir se le dire, qu'est-ce que cela signifie ? Certainement rien ! Quelque chose, certainement ! car il n'est pas d'effet sans cause et, indubitablement, il y a un effet, un effet de quelque chose. Ce n'est pas sans raison que cette petite tache s'est faite sur mon ongle et précisément sur l'ongle du majeur et de la main droite, et non sur quelque autre de mes dix doigts. C'est à voir ? " Et il se mit à examiner ses autres ongles." Il n'y a pas d'effet sans cause, pas de cause sans effet.Pourquoi cette petite tache est-elle survenue ?... Une petite tache ? " Il entreprit de discuter de l'existence même de la tache.Or, les taches lui paraissaient généralement tirer sur le noir." Cependant, cependant, blanc sur noir est une tache, aussi bien  que noir sur blanc. Sur un vêtement noir, le lait fait une tache comme l'encre sur le plastron d'une chemise blanche. " Il espérait par ces sophismes chasser de son imagination la petite tache. Mais quoi ? pas même cela, et le problème n'était plus dans la découverte de la signification de la petite tache, mais celui de savoir si elle avait une signification... Au vrai, de préciser si quelque chose signifie quelque chose.
                Procopio était persuadé de ne pas croire aux " présages ", prédictions et autres superstitions - un pêché, comme l'enseigne le père Astète - mais la superstition de Procopio était de croire que rien ne signifie rien et que rien n'est explicable. " Et si nous cherchions plus avant : quelle signification apporter au fait qu'on m'ait appelé Procopio ? pourquoi mon père, qui avait pour prénom Wilibrod, m'a-t-il fait baptiser sous ce nom ? et je sais qu'il avait un frère, mon oncle, Burgundôforo... " Mais en vain... Non, il ne réussissait même pas par ces digressions à chasser l'obsession de la petite tache blanche. Elle était toujours là, sur l'ongle, le narguant, comme pour lui dire : Devine, c'est une devinette. Que fait l'oeuf dans la paille ? Et moi, qu'est-ce que je fais ici ?...                                                                                          pixers.fr
Afficher l'image d'origine                La " chose ", comme il l'appelait en se parlant à lui-même, commença à le troubler, il était obsédé par la petite tache. Douleur, non ! Ce n'était pas une douleur ; cela n'arrivait pas jusqu'à la souffrance. C'était quelque chose qui le tracassait, pareil à l'anxiété de celui qui ne se souvient plus du nom de son père, de son fils ou du sien propre. Il se rappela aussi qu'un jour, étant enfant, il dut sortir de l'église où il entendait dévotement la messe, ne pouvant supporter de sentir moucher les cierges de l'autel. Et maintenant il retrouvait les angoisses de son enfance.
               Devait-il peindre son ongle ? le limer ? le couper ? le mieux serait de le laisser pousser. Peut-être même, dans son désir de voir disparaître cette tache mystérieuse - oui, mystérieuse, mystérieuse ! -, l'ongle pousserait-il plus rapidement. Pourquoi pas ?... la volonté n'aurait-elle pas par hasard une action plus ou moins rapide sur la croissance des ongles?
               " On raconte que Newton, se dit Procopio, eut la révélation de la gravitation en voyant tomber une pomme... Un racontar, certainement ! Mais l'apparition de cette petite tache sur un de mes ongles ne serait-elle pas pour moi comme la chute de la pomme pour Newton ? Et maintenant ? que vais-je découvrir ? " Il était indispensable de trouver quelque chose ; l'esprit veut une explication. Seulement, comme rien ne signifie rien... Serait-il amené à découvrir que rien ne signifie rien ? Il croyait avoir trouvé la solution, mais pour lui seul. Mais quand on ne réussit pas à dévoiler aux autres ce qu'ils croient tenu pour découvert, on commence à soupçonner que soi-même  on n'a rien trouvé.
               " Et si je pouvais démontrer que la chose ne signifie rien ? " L'épouvante l'envahit. L'obsession de la petite tache le laissait incapable de penser à des affaires plus sérieuses ?
                Procopio rentra à la maison, pensant à tous les problèmes qu'il aurait à résoudre. La tache de son ongle prenait les dimensions d'un événement cosmique. Il n'osait plus dormir de crainte d'en rêver. Procopio  avait une horreur superstitieuse de la superstition.


*   hubpages.com

                                                                      Miguel de Unamuno

Lettres à Madeleine 21 Apollinaire

Fleur rose rose  rose rouge jpgLettre à Madeleine

(lettre du 15 courrier plus rare, le poète se plaint "... Écris-moi le plus souvent possible puisque tes lettres sont mon paradis " )

                                                                                                            Le 16 septembre 1915

                  Mon amour, je t'envoie encore cette lettre à Narbonne pour que tu ne sois pas sans lettre de moi même un jour.Si elle arrive après toi on te la fera suivre. En même temps que celle-ci j'écris aussi à Lamur et demain j'écrirai simplement à Lamur.Envoie-moi une carte de Port-Vendres où malheureusement le 20 je ne pourrai pas être.Nul doute que l'affaire n'ait commencé ou ne soit sur le point de commencer.J'ai cette fois-ci la plus grande confiance, ce sera la dernière grande tentative, je crois et dit-on.
                 Ce matin mon amour on a repris les masques rudimentaires qu'on nous avait donnés et j'ai maintenant une cagoule.La cagoule est une chose qui a vivement frappé mon enfance.Jµe suis comme tu ne le sais pas encore, bien que d'origine polonaise né à Rome et suis venu en France à l'âge de 3 ans. Mais je me souviens fort bien d'une certaine confrérie qu'on voyait aux enterrements et dont les membres avaient tous des cagoules.
                 Cela m'épouvantait un peu et la dernière chose que j'aurais pu penser c'est que je porterais moi-même la cagoule un jour.
                 J'ai toujours oublié de te dire que l'on avait pris ma voix aux Archives de la Parole que classe à la Sorbonne Ferdinand Brunot aidé de sa femme.Il y a deux disques contenant 3 poèmes  ( ils ont pris la voix de 10 poètes je crois ).
                  Les poèmes sont " Le voyageur ", Le Pont Mirabeau " et Marie ".
                Madame Brunot m'avait offert de me donner un exemplaire de ces disques.La guerre est arrivée, je me rappelle aujourd'hui et note cela ici pour que tu me le rappelles après la guerre et que je les réclame.
                Je t'ai écrit beaucoup de choses d'amour, mon amour sur la lettre qui va à Lamur ( c'est presque l'amour !). Je t'adore, je baise ta bouche rouge et tes seins adorables, je t'étreins de toutes mes forces le plus doucement possible et te câline, ma chère très gracieuse, mon amour tant chéri.
                Je t'aime.

                                                                                                              Gui

jeudi 15 mars 2012

Lettres à Madeleine 20 Apollinaire ( suite et fin )

Restif de la BretonneLettre à Madeleine
Restif de la Bretonne                      ( suite )

                                                                                                            14 septembre (suite )

            Au fond je goûte la satire des poètes ( Cervantes Gogol Shakespeare La Fontaine Molière Flaubert ) mais la tératologie me répugne. Je n'aime pas qu'on regarde les travers les vices ou les laideurs de l'homme sans sourire ce qui est une façon de comprendre et une façon de remédier en quelque sorte à notre misère en la voilant de grâce intelligente, dût-on en sangloter après. Mais j'ai horreur qu'on reste sérieux  ou qu'on fasse le tragique à propos des choses basses comme chez Zola ou Dostoïewsky.
              Chez Tolstoï il y a autre chose c'est une sorte de pape il est une sorte de Jupiter du roman, il ne sourit pas mais il ordonne ce qui est beaucoup.Il y a en lui de la tragédie classique, chez les autres ( Zola ou Dostoïewsky ) il y a le mélodrame étonnant remarquable mais leur sérieux ne dépasse justement pas ce qu'ils décrivent même quand c'est avec génie comme chez Dostoïewsky.Mais sa vie fut extraordinaire.Il est sorti en partie de ce Restif génial comme peut l'être une chose qui ne se connaît point, c'est un admirable monstre ce Restif, mais son abjection est amusante et toutes les faces sont dans cette hydre littéraire qui fut très lu en Russie et et exerça une très grande influence sur sa littérature.On ne l'a d'ailleurs jamais remarqué.L'émotion et l'agenouillement devant la prostituée si caractéristique du roman russe vient de lui.
              Tu me parles étrangement de L'Hérésiarque. Explique-toi ma chérie. Tu veux que je devines et si tu es le Sphynx, je ne suis pas Oedipe.Un peu de ton coeur, dis-tu, à deviner à propos de L'Hérésiarque et de quelque chose qui nous rapproche étrangement et qui a été une révélation de ta propre nature. Qu'est-ce donc ? Raconte-le-moi donc , ma chère aimée, ne pense pas à la grande chose, imagine que ce soit fait et bannis une angoisse qu'il ne faut pas avoir ma petite vierge adorée. Tu verras, tu deviendras ma femme dans la joie, car je ne veux pas du tout que tu souffres.Le lys deviendra rose et cette métamorphose ne doit point t'inquiéter, mon amour.
             Mais révèle-moi bien ta nature, sans crainte aucune.Tu sais bien que je suis ton maître.
             J'ai envoyé aujourd'hui par le brigadier d'ordinaire venant de l'échelon et qui doit le faire envoyer par le train régimentaire qui l'enverra par chemin de fer un paquet pour toi.J'ai mis ton adresse à Narbonne ne pensant plus que quand il arrivera tu seras peut-être à Lamur. On te le renverra.
             Il y a dedans un encrier creusé dans une fusée de 150 boche.Il n'y a qu'à dévisser le haut pour trouver le trou où mettre un récipient en verre pour l'encre. Il serait bon de faire rajouter dans les trous du petit couvercle à vis 2 tenons qui faciliteront l'ouverture. Pr la vis du bas il faudrait un petit socle en bois triangulaire où l'encrier se visserait.Il n'y a plus aucun danger tu peux être tranquille.La fusée est tombée tout près de la pièce mais nous étions sous l'abri.Elle porte des marques d'ailleurs de sa chute.Le cercle gradué de 1 à 28, c'est la graduation d'évents, il y a plus bas un trait qui sert de repère.Ce cercle gradué peut servir de calendrier la croix qui suit le 28, puis l'index en forme de croix ou d'épée et le 1er trou peuvent indiquer si l'on veut les 29, 30 et 31 qui manquent. Le tout est enveloppé dans un Corriere della Sera où sur la première page tu remarqueras un mot que j'ai entouré d'un trait d'encre. Tu comprendras le mot même le fait entier rapporté là. Nous l'avons vu bien en détail et c'est en réglant notre batterie que c'est arrivé.Je te prends toute ma chère petite Madelon voluptueuse et t'embrasse sur la bouche follement et profondément et pas bouche fermée.

                                                                                                                           Gui

mercredi 14 mars 2012

Lettres à Madeleine 20 Apollinaire

rose rose et le lysLettre à Madeleine

( lettres des 12 et 13 septembre.Chacun raconte son quotidien attend avec impatience la future éventuelle permission d'Apollinaire affirme son sentiment amoureux.Le poète écrit à " son Madelon " et lui écrit " ... tu es ma rose et mon lys... "

                                                                                                         14 septembre 1915

               Mon amour tu es un amour et me donne chaque jour des joies nouvelles.Il est vrai que j'attendais après ta lettre d'hier une lettre où il devait y avoir tant de détails et de choses - Elle n'est pas venue cette lettre - Mais ta lettre du 9 m'a fait tout de même un plaisir exquis . Tu m'y parles de l'exquise délicatesse de tes pieds que j'adore et tu me dis que chaque fois que je me suis intéressé à une partie de ta petite personne  de Madelon à moi c'est toujours c'est toujours ce que tu as de mieux que j'ai aimé. Et là tu nous calomnies l'un et l'autre, mon amour, car il n'y a rien en toi que je n'aime.Je t'ai vu juste assez pour savoir que j'aime tout de toi.Je t'ai vu juste assez pour savoir que j'aime tout de toi car tu es pleine de grâces et il n'y a rien en toi qui ne soit parfaitement aimable et le plus petit brin de ma Madeleine est la beauté même avec toutes ses séductions. Toutefois, j'ai compris que sans doute tu as voulu dire que quand je me suis intéressé dans mes lettres à une partie de ta personne adorable je t'en ai révélé la perfection.Voilà tout. N'est-ce pas cela ? Et voilà mon imagination en marche ... à quoi me suis-je intéressé ? Tu m'en reparleras longuement de tout ce que j'ai mis en évidence dans mes lettres. Ce sont autant que je me souvienne, tes mains tes chères mains pour qui j'ai limé le métal lunaire, ce sont tes cheveux ces grappes de raisins noirs dont une grappe est là et je la regarde extasié comme les Hébreux contemplèrent la grappe venue du pays de Chanaan.C'est ta bouche exquise dont tes bonbons m'ont apporté l'incorruptible saveur, cette bouche rouge qui est à moi et que je mords mon amour.Ce sont aussi tes seins et ce que tu dis dans ta lettre me donne une haute idée de leur adorable perfection et je ne peux songer à ce couple de pigeons sans souhaiter pouvoir les baiser, les caresser avec les précautions qu'on doit prendre pour toucher d'aussi précieuses choses.On moula dit-on, une tasse sur le sein parfait de Marie-Antoinette, je moulerai ma bouche sur le tien et ce sera la tasse où tu boiras : ce sont encore te pieds tes pieds si mignons et si sensibles. Je les adore. - Il y a dit-on un vice ou plutôt une déformation du sentiment qui consiste à aimer les pieds par-dessus tout et partant les chaussures.Je n'ai certes pas ce défaut qui ressortit à la psychopathie sexuelle.C'était le vice de Restif de la Bretonne, il nous a valu, sur ses propres indications, les gracieuses gravures de Binet. C'est au demeurant un vice très répandu en Angleterre et dans les pays germaniques.Mais en faveur de ton pied très chéri et si vivant je me sens prêt à l'adoration. Pour le demeurant je m'intéresse à toutes tes beautés ma chérie et sans avoir de vice spécial à me reprocher ou à nourrir, je voudrais les avoir tous pour mieux t'aimer. En attendant je presse en imagination ton corps chéri contre moi et je songe aussi à la souplesse de ta taille et à sa rondeur. Je crois t'avoir mentionné aussi une fois tes toisons, ma toute brune, et il est vrai que leur évocation m'émeut très profondément.
             Pourquoi demandes-tu s'il est possible que nos corps s'aiment autant que nos âmes ? Il est vrai que l'amour physique est - à ce qu'il semble - limité. Mais nous reculerons indéfiniment ces limites.
             J'ai lu moi-même peu de Dostoïewsky, j'ai feuilleté plutôt que lu l'Idiot ; j'ai lu une mauvaise adaptation de souvenirs sur la Sibérie et j'ai vue jouer Les Frères Karamazov. Je le connais cependant mais il m'attriste et m'abaisse.C'est pourquoi il me répugne un peu bien que je reconnaisse son grand talent et puis il a le détail psychologique plus important que le détail réaliste.J'aime une balance parfaite entre ce deux éléments littéraires.L'auteur russe que je préfère et que je mets près de Shakespeare Flaubert Cervantes La Fontaine Molière c'est Gogol, ce Petit Russien délicieux , ce poète adorable, dont au demeurant j'ai trop peu lu.J'avais commencé Tarass Boulba, ce roman m'enchantait , je l'ai perdu après le 1er chapitre dans le train avec un roman à moi sur la fin du monde : La Gloire de l'olive il devait paraître dans la Revue Blanche et je n'ai jamais eu le courage de le reprendre ( mon roman, pour celui d Gogol, je n'ai jamais pu m'en procurer un autre exemplaire ).
            J'ai savouré les Âmes morte et je le relirai volontiers plus tard....

                                                                                          ...................( à suivre )

mardi 13 mars 2012

Lettres à Madeleine 19 Apollinaire



                                                      
         tr_fle       Lettre à Madeleine

                           ( Lettres des 3-5-7 et 8 septembre le poète répond à Madeleine  ils s'interpellent sur le sens de la vie, du vice et de la vertu, du devoir " il est le principe même de la vie sociale et sans lui les hommes deviendraient bien bas... " par ailleurs  " Les permissions sont suspendues pour un mois ma chérie dans notre secteur... D'ailleurs la guerre reprend sauvagement.On a beaucoup de travail, on en aura encore plus, sans doute, sous peu.
              Le ravitaillement est devenu impossible, nous sommes bornés à l'ordinaire.Ça durera je ne sais combien... )                                                                                  

                                                                                                             10 septembre 1915

                Tes lettres, mon amour , accomplissent des miracles, ce sont les seules qui me parviennent en ce moment de changement de secteur et elles arrivent dans le temps normal. Aujourd'hui il y a eu 9 lettres pour toute la batterie et l'une était de toi pour moi. Pas de journaux. La vie au surplus n'est même plus quotidienne, elle est horaire, que dis-je secondaire !
                 Tu es une fillette charmante, tes lettres sont délicieuses.Je t'écris chaque fois que j'en ai l'occasion et presque tous les jours.Tu le sais bien, mon aimée. Je ne vais plus au poste d'observation puisque je suis maintenant au canon, je commande la 4è pièce.Le mal d'yeux de votre maman me fait beaucoup de peine.Je n'ose pas écrire à Foix, craignant que ma lettre n'arrive point à temps.Si pourtant, je t'enverrai en même temps que cette lettre une carte à Foix.Oui, tu seras toujours mon amour.Tes lettres je les adore et loin de te gronder, ma chérie, je te comprends à un point dont tu n'as même pas idée.Si cependant tu en as idée puisque tu me préviens et t'adore de cette charmante prévenance mon amour !
                Ma chérie, ne parle pas de malheurs - comme à propos de ta jambe qui est mienne - Il ne faut pas tenter Dieu : pour ce qui est de permission je n'y suis point encore.Elles sont dans mon secteur suspendues pr un temps indéterminé, tu comprends aisément pourquoi.
                Pourquoi donc es-tu contente, mon amour d'ignorer la raison qui fait être content de te savoir Vendéenne.
               Je ne sais pas pourquoi tu me parles encore de ce pardon, mais s'il est vrai que j'ai quelque chose à te pardonner je te prie de me pardonner à ton tour de ne pas l'avoir fait plus tôt. Et je prends tes lèvres. Tes lettres sont ravissantes.Je les aime infiniment.
               Tu me demandes quand je travaille pour toi ? le jour quand il y a des loisirs et il y en a ! Quand je t'écris, le soir avant d'aller me coucher ce que je fais vers 10 heures.
               J'ai habité jusqu'à maintenant dans une cabane formée d'un trou fermé par un toit en branches de sapin et en débris e craie mais dès demain soir je vais coucher dans l'abri de mes hommes qui est tout à fait sous terre et surmonté d'un épais remblai qui recouvre des rondins.
              Le cri " A l'Italie " va paraître dans La Voce de Florence en français et on va en faire un tirage à part pour mes amis et moi.
              Ton idée de signer moi est mignonne comme tout. Mais je suis content aussi qu'il y ait eu toi plus loin.Mais ton idée est ravissante.Je t'adore et tu me rends le plus heureux des hommes. Tu m'aimes comme jamais femme n'a su aimer.Tu sais que j'en suis fier aussi d'être aimé par une aussi jolie fille et aussi fine, aussi délicieusement intelligent.Tu es si gentille de vouloir faire mon bonheur même de loin. Je prends ta bouche avec passion et tout toi avec tes mille beautés et tes neuf portes sacrées par notre amour, les neuf portes de ton corps charmant et les mille beautés de ton âme adorable. Tu es ma grappe de raisin noir.Je t'aime mon amour et vais t'écrire une carte à Foix. J'espère que tu l'y recevras.

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                                                                                                                       Gui

                                                                                                          10 septembre 1915

               Je t'envoie ce petit mot à Foix mon amour pour que tu ne sois pas sans nouvelles de ton amour.
               Je t'ai écrit une longue lettre que tu trouveras à Narbonne.
               Je souhaite que ta maman aille mieux.Embrasse-la gentiment de ma part.Elle mérite bien ça puisqu'elle me donne sa mignonne Madeleine, qui est ma rose et mon lys adorés.
                Tu m'as demandé ce que c'est d'être observateur aux lueurs voici un petit poème là-dessus.

                                                                    
                                 


                                                                         LUEURS

La montre est à côté de la bougie qui végète derrière un écran fait avec le fer-blanc d'un seau à
                                   confiture
Tu tiens de la main gauche le chronomètre que tu déclencheras au moment voulu
De la droite tu te tiens prêt à pointer l'alidade du triangle de visée sur les soudaines lueurs lointaines
Tu pointes cependant que tu déclenches le chronomètre et tu l'arrêtes quand tu entends l'éclatement
Tu notes l'heure, le nombre de coups le calibre, la dérive, le nombre de secondes écoulées entre la
                                  lueur et la détonation
Tu regardes sans te détourner, tu regardes à travers l'embrasure
Les fusées dansent les bombes éclatent et des lueurs paraissent
Tandis que s'élève la simple et rude symphonie de la guerre
Ainsi dans la vie, mon amour, nous pointons notre coeur et notre attentive pitié
Vers les lueurs inconnues et hostiles qui ornent l'horizon le peuplent et nous dirigent
 Et le poète est cet observateur de la vie et il invente les lueurs innombrables des mystères qu'il   faut
                                repérer
Connaître ô Lueurs, ô mon très cher amour !

                                                                                                                Gui

dimanche 11 mars 2012

Lettres à Madeleine 18 Apollinaire

    havresac_g_nie_14_18                               Lettre à Madeleine

                                                      ( dans sa lettre le poète décrit son peu de goût pour le théâtre
     mais son espoir d'écrire une pièce et sa préférence pour les décors modernes puis l'assure longuement de son amour. Sa mère n'est toujours pas informée de leur relation mais " ... si je lui ai dit de nous. Non, mais ça n'a pas d'importance... d'ailleurs j'aime beaucoup maman et elle m'aime aussi... " )

                                                                                                  3 septembre 1915

                 Mon aimée tant chérie. J'ai reçu la petite carte tant exquis du 29 et j'attends la longue lettre interminable avec impatience  car sans doute que pour des raisons que je ne puis écrire nous allons rester quatre jours sans communications même avec l'échelon - Mais je t'écrirai chaque jour durant ce temps et tu recevras le tout ensemble. En tout cas toi écris-moi aussi et dans tes déplacements même annoncés répète désormais ton adresse chaque fois de façon à ce que si j'égare comme ça peut arriver une lettre ( ça n'arrive pas d'ailleurs et ta lettre avec l'adresse de Narbonne est dans mon sac à avoine avec d'autres choses qui le bourrent de tout autre chose que d'avoine, ce sac est dis-je, à l'échelon et je ne peux faire fouiller dans ce sac pr qu'on m'apporte la lettre ), si j'égare dis-je encore ou oublie une lettre, j'ai tout de même l'adresse de Madeleine.

                    CHEF DE PIÈCE
                
                  Le margis est à sa pièce
                  Il dort dans son abri à côté du canon
                 Il vit avec ses servants et partage leur cuistance
                 Il écrit auprès d'eux à Madeleine
                 Il joue avec eux tous sept comme des enfants
                 Il songe à la Grande Chose qui va venir
                 Il admire le merveilleux enthousiasme des bobosses
                 Décidément le courage a grandi partout
                 Et l'on est sûr on est certain de la Grande Chose
                 Il pensera tout ce temps-là à Madeleine

                Si vous m'aviez dit Madeleine que vous alliez aller à la belle Antibes, la grecque, je vous eusse dit
d'aller voir près de l'église la pierre tombale de l'enfant du Nord qui vient danser au théâtre d'Antibes, je ne sais plus sous le règne de quel empereur romain. Saltavit et placuit dit l'inscription si pure, si belle, si poétique dans sa brièveté lapidaire - Il dansa et il plut...
                 Je n'avais été à Antibes quand j'étais enfant, j'y ai été plusieurs fois pendant mon séjour à Nice au début de la guerre et l'impression que cette ravissante cité marine m'a donnée est celle que m'en avaient déjà données les Mémoires de Casanova.
                J'habite maintenant à côté du canon. - Vous avez reçu le joli dessin de M. L.. Pour la remercier, comme je lui garde une grande amitié et comme rien ne doit être caché entre nous ( moi et Madeleine ) puisque je n'aurai jamais rien à te cacher je t'envoie, un petit groupe de poèmes que je lui ai envoyés, car elle m'avait fait demander des poèmes qu'elle voudrait illustrer et publier au profit d'une oeuvre charitable. Voilà donc ces poèmes qui forment un petit roman poétique guerrier et qui vont paraître dans la Gazette des Lettres pour le temps de la Guerre.

                                           LE MÉDAILLON TOUJOURS FERME

                                                             La grâce en exil

                                           Va-t-en va-t-en mon arc-en-ciel
                                           Allez-vous-en couleurs charmantes
                                           Cet exil t'est essentiel
                                           Infante aux écharpes changeantes

                                          Et l'arc-en-ciel est exilé
                                          Puisqu'on exile qui l'irise
                                          Mais un drapeau s'est envolé
                                          Prendre la place au vent de bise
                  

tableau Marie Laurencin

LA BOUCLE RETROUVÉE

Il retrouve dans sa mémoire
La boucle de cheveux châtains
    T'en souvient-il à n'y point croire
 De nos 2 étranges destins 

Du boulevard de la Chapelle
Du joli Montmartre et d'Auteuil
Je me souviens murmure-t-elle
Du jour où j'ai franchi ton seuil

Il y tomba comme un automne
La boucle de ton souvenir
Et notre destin qui t'étonne
Se joint au jour qui va finir

REFUS DE LA COLOMBE

Mensonge de l'annonciade
La Noël fut la Passion
Et qu'elle était charmante et sade
Cette renonciation

Si la colombe poignardée
Saigne encore de ses refus
J'en plume les ailes : l'idée
Et le poème que tu fus

LES FEUX DU BIVOUAC

Les feux mourants du bivouac
Éclairent des formes de rêve
Et le songe dans l'entrelacs
Des branches lentement s'élève

Voici les dédains du regret
Tout écorché comme une fraise
Les souvenirs et le secret
Dont il ne reste que la braise

TOURBILLON DE MOUCHES

Un cavalier va dans la plaine
La jeune fille pense à lui
Et cette flotte à Mytilène
Le fil de fer est là qui luit

Comme ils cueillaient la rose ardente
Leurs yeux tout à coup ont fleuri
Et quel soleil la bouche errante
A qui la bouche avait souri

LES GRENADINES REPENTANTES

En est-il deux dans Grenade
Qui pleurent sur ton seul péché ?
Ici l'on jette la grenade
Qui se change en un oeuf coché

Puisqu'il en naît des coqs Infante
Entends-les chanter leurs dédains
Et que la Grenade est touchante
Dans nos effroyables jardins

L'ADIEU DU CAVALIER

Ah Dieu ! que la guerre est jolie
Avec ses chants ses longs loisirs
La bague si pâle et polie
Et le cortège des plaisirs

Adieu ! voici le boute-selle !
Il disparut dans un tournant
Et  mourut là-bas, tandis qu'elle
cueillait des fleurs en se damnant


                                                                                             Guillaume Apollinaire
e
Fleur rose orange orange rose  parc tete d or bouquet de roses




  
                        
               

Lettres à Madeleine 17 Apollinaire

                       
                                                                                                    Lettre à Madeleine

                                              ( le 25 Apollinaire joint  " A l'ITALIE " unique exemplaire à sa   lettre.
                                              " Je suis maintenant maréchal des logis et je suis très fier de cet avancement "
                                            le 26 il répond à Madeleine qui semble ne pas apprécier "  l'Hérésiarque
                                             ... " C'est un livre qui n'est peut-être point pour les femmes...
                           
                                   le 30 devenu observateur" ... dans un observatoire sur une crête  désolée arrosée
                                   par les marmites. J'ai fait un encrier dans un 150 explosif boche . Il faut que j'obtienne
                                   la permission de vous l'envoyer. " Par ailleurs "... Je ne peux vous dire pourquoi, ma
                                   chérie, dans la 1er 15nne de septembre je serai très très exposé... "

                                                                                                                  

                                              1er septembre 1915
entrée d'un abri de poilu

                     Après avoir été obsevateur aux lueurs quelques jours je suis maintenant  chef de pièce au canon. Me voici confiné loin de tout sur la ligne de feu. Plus de cheval sauf en cas de départ. Je vous écrirai plus longuement  et peut-être aurai-je le temps de travailler. J'ai dû laisser à l'échelon presque tout ce que j'ai.
J'ai cependant ici presque toutes vos lettres sauf la dernière qui me donne l'adresse à Narbonne mais je crois
en être sûr aussi n'hésité-je point à vous y écrire mon amour. Ces mois passés par votre frère à Fontainebleau ont dû lui faire du bien. Ici on est séparé du monde et comme ça va être la grande grande fête nous vivons dans des trous très grands et très profonds.
                    J'ai reçu de vos soeurs Denise Marthe et Anne et de vos frères Pierre et Emile une lettre collective qui est le plus joli poème pastoral que je sache. Je leur ai répondu vivement mais courtement car en ce moment j'ai peu de temps, me devant mettre au courant. Remerciez-les bien, ils sont charmants. Pierre et Anne vous ressemblent le plus Pierre surtout. Aussitôt que j'aurai une photo vous l'enverrai.
                    J'ai parlé d'Alger uniquement parce que je croyais qu'il fallait y passer, c'est tout. Mais je n'ai aucune raison d'y aller. Je suis très peu ferré sur la géographie de l'Algérie. Donc Port-Vendres et Oran. Port-Vendres quel augure exquis. Je vous ai connu à Nice ville de la Victoire et vous joindrai en passant par Port-Vendres qui étymologiquement signifie Port de Vénus, c'est-à-dire de la beaué et de l'amour, ce que vous êtes ma chérie tant aimée, mes délices.
                   Je prends tout vous que me donnez si gentiment si passionnément et votre bouche est à moi . Je t'aime, ma Madeleine et je t'adore. Ton

                                                                                                          Gui