mardi 13 novembre 2012

Lettres à Madeleine 53 Apollinaire France )


                                                    Lettre à Madeleine

                                                                                                          13 décembre 1915

            Mon amour adoré, 3 lettres de toi, celle du 29 nov. qui arrive en retard  celle du 4 et du 5, Je t'adore. Hier j'ai passé à la 7è Cie pr remplacer l'officier parti en permission, mais ne modifie pas l'adresse, ce n'est que pour quelques jours. Nous étions en réserve. Résultat nul. Tout le monde fatigué. Mais les gros sont furieux, ils n'y viennent jamais voir dans les tranchées. Pas pu t'écrire hier soir. Dormi par terre ou plutôt pas dormi par terre... Je t'adore. J'ai maintenant touts les renseignements pour la perm. Il est probable que comme officier voyageant en 1è je trouverai place dans le premier bateau partant. Donc si tu n'es pas au débarquement et que je n'ai pu te prévenir ( je le ferai autant que possible ) je prendrai une voiture à n'importe quelle heure et me ferai conduire à l'école de filles de Lamur. Si c'est nuit, je frapperai en t'appelant. Je crains que d'ici là cette histoire de tranchée pas reprise, mais que nous n'avons pas nous, ne nous occasionne bien des misères. Les souffrances de l'infanterie sont au-dessus de tout ce qu'on peut imaginer, surtout en cette saison et dans cette sale région. Les autres armes ne font pas la guerre. - Je t'adore. Ta pensée m'anime. Hier où nous avons été à deux doigts de partir à l'assaut, je n'ai pas eu une minute de tristesse et Dieu sait s'il y avait de braves gens et de gens braves tristes, mon lieutnt Cnt de Cie qui est le fils du capitaine Deloncle commandant le vaisseau la Bourgogne qui périt dans ton enfance et dont le naufrage fit beaucoup de bruit, m'avait donné des commissions en vue d'accident pour lui. Mon amour, je n'étais pas triste je pensais à toi. Tes cheveux sont admirables, amour, n'en dis aucun mal. Je t'adore et je prends follement ta bouche. J'adore ce que tu dis de nos étreintes. Je te rappelle que plusieurs fois déjà je t'ai demandé d'insister sur ta croupe et la 9è porte que je connais encore mal. Je prends profondément ton parvis. J'adore la forme de ton parvis. Ma bouche follement amoureuse boit follement la liqueur divine que tu distilles. J'aime que tes sensations se précisent, amour ! Maintenant je jouis comme un fou en pensant à toi ! C'est merveilleux ! J'adore tes cheveux embrouillés ma très jolie. J'adore tes parties rousses "...??? " quelques parties de ta toison secrète. J'adore le parfum de tes cheveux. J'adore tes cils palpitants. Tu es mon esclave chérie. L'opinion de Bourget est fausse pour les très très grands artistes. Racine, Goethe, Hugo même, Gautier ont été très heureux par les femmes et bien d'autres.
            Ma solitude est avec toi, d'ailleurs je n'aime pas la solitude, je l'aime à 2 c'est-à-dire avec toi. Je t'adore, je te déshabille, je te prends follement, follement : oui, amour, le 1er passage dans la 9è porte sera un peu douloureux. Mon amour je t'aime d'une tendresse enragée et je prends ta bouche.


                                                                                   Gui                                                                                                                                                                                                      

            Lettres des 14, 15 et 16 décembre. Le  poète écrit : "  Si tu savais comme on est las dans cette cagnât où il pleut... Dis-moi, amour si la largeur de tes hanches est supérieure ou inférieure à la largeur de tes épaules... Mon amour, j'aimerais que m permission coïncidât avec tes vacances... " Il poursuit avec le souvenir de leur 1è rencontre dans le train, et son grand besoin d'amour.


                                                                                                     18 décembre 1915

            Mon amour,le colonel m'a fait dire de me tenir prêt à partir en permission le 23 - Ce soir nous remontons en 1è ligne. Je n'ai pas eu de lettres de toi hier. - Hier en reconnaissance, boue énorme, obus. Je suis fatigué de devoir faire cette rote ce soir.
             Mon amour, j'ai pensé à toi toute la nuit. Tu es mon amour exquis et j'adore tout ce que tu penses de notre amour. Dès que je pourrai je télégraphierai à Lamur. En principe cette lettre doit te parvenir le jour de Noël. Je serai en route, mais avant tout je t'embrasse bien pour la Noël. Prends tous les renseignements pour les démarches que j'aurai à faire pr avoir la plus longue perme possible. Je crois que j'arriverai juste aussi pr ta permission à toi ô mon amour adoré.
            Je pense à ta beauté, à ta chère beauté potelée. Je pense à ta toison, aux 9 portes adorables et au gouffre rose et blanc de ta bouche exquise.
            Je pense à ta chair duvetée, à ta grande porte. Tu es délicieusement gracieuse mon amour.
            Mon amour, un pâle rayon de soleil joue sur quelques pâles bouleaux. Il y a longtemps que je n'avais plus vu de soleil. Mais la boue est épaisse d'une façon inimaginable.
            J'attends ce 23 avec impatience, encore 6 jours ! Et toi mon amour ? Je trouverai la réponse à Lamur.
             Au reçu de cette lettre n'écris plus, mon amour, moi je te tiendrai par des télégrammes au courant de tout mon voyage. Je t'adore je t'embrasse passionnément, mon âme. Je prends ta bouche, nos langues jouent divinement et nos mains caressent nos corps. Je baise tes longs cheveux et je t'adore amour chérie, belle, divine, ma Madeleine à moi.

                      
                                                                                                      Gui


                                                                                  20 déc. 1915
oiseaublesse1photo.gif            Mon amour, je n'ai pas pu t'écrire hier. Je n'ai pas eu une minute à moi. J'ai reçu ton adorable petite lettre du 13. Ce petite poulet me promet une nouvelle lettre-volupté qui arrivera peut-être aujourd'hui. Mon amour au reçu de cette lettre écris-moi une lettre poste restante à Marseille ou plutôt non, écris-moi encore ici jusqu'à ce que tu reçoives le télégramme que je suis réellement parti, parce qu'avant d'être parti on n'est pas sûr. Je suis de nouveau en première ligne. Je t'ai écrit, mon amour le 18 où je te faisais part de la reconnaissance de la veille et que nous remontions aux tranchées le soir. Donc je suis parti avec la 7è Cie le lieutnt qui la commandait depuis 13 mois est allé suivre un stage de mitrailleur. Moi je remplace le lieutnt permissionnaire après qui je dois partit et 1 nouveau capitaine est arrivé. Nous sommes 2 officiers. Mon capitaine qui vient des chasseurs d'Afrique, vient du Maroc, si bien que nouveau fantassin je suis plus au courant que lui, plus nouveau que moi. Nous sommes partis à la nuit, il y avait clair de lune, la boue infâme de la veille avait séché. Comme j'avais fait la reconnaissance c'est moi qui allais en tête de la colonne. Comme je craignais la boue des boyaux nous allions à découvert. A la lisière d'un bois je vois des canons sans abri mais recouverts de serpillière, j' ai pensé à ma pièce. C'est curieux. Aussitôt j'entends des voix qui chuchotent : " C'est peut-être la Cie à  Kostro " ( c'est l'abréviation dont on me désignait entre sous-off. à ma batterie, les hommes eux qui n'ont jamais pu dire exactement le nom prononçaient Kostro l'exquis ou Cointreau Whisky selon qu'ils étaient Picards ou Flamands ). J'ai entendu tourné la tête en un clin d'oeil arrêté la la Cie et aperçu dans les arbres mes anciens camarades, l'adjudant de la batterie un nommé Benoît qui est buraliste à Carcassonne et le chef de la 3è pièce Horb cultivateur de l'Aisne, ils m'ont reconnu aussitôt et j'ai vu leur émotion qui m'a fait quelque chose, surtout qu'il s'agit de gens très froids surtout Horb. La Batterie a bien avancé, elle est près des secondes lignes dans un endroit dangereux et les canons n'ont pas d'abris. J'ai causé deux minutes avec mes anciens camarades et ai eu le temps d'apprendre des choses qui m'ont fait bien de la peine et dont je ne connaîtrai jamais les détails vraisemblablement, car j'ai eu à peine le temps d'échanger quelques mots avec eux et qui sait quand je les rencontrerai de nouveau ! Quoiqu'il en soit, presque toute ma pièce a été massacrée ou blessée. Mon maître pointeur Louis Déportère, de Lille a été tué. C'était un garçon au-dessus ( comme âme non comme instruction ) de sa condition d'ouvrier, il ressemblait au portrait de Beethoven jeune, grand front pur, très doux, très volontaire, très sérieux. Pointeur épatant, 1er prix de tir. Je lui avais trouvé comme parrain et marraine Gaston Picard ( qui rédige le Bulletin des écrivains ) et sa femme que je ne connais pas. Déportère était jeune marié et avait laissé sa femme enceinte à Lille. Il n'avait jamais pu avoir de nouvelles d'elle ni de personne de sa famille. Il y a 12 jours j'ai reçu un mot de Gaston Picard, me disant que Déportère était content parce qu'il avait eu enfin des nouvelles de sa femme et d'une fille qui était née depuis la guerre.
             Je ne me souviens plus tant l'émotion fut forte des autres pertes, sauf que mon téléphoniste Montélimart a été blessé...
             C'est ton amour, Madeleine, qui m'a protégé. Si j'étais resté à ma batterie nul doute que j'eusse été au moins blessé, les plus exposés étant le pointeur et le chef de pièce.
             Tout cela fut dit en quelques secondes et en marche de nouveau. La relève se fit épatamment, j'avais reconnu le secteur, qui est un peu à droite d'où nous étions et plus dangereux. Hier j'ai été exténué. Nos prédécesseurs n'ayant rien fait, tout est à faire. J'ai passé la nuit à faire faire des sphères, à les faire jeter, à faire de nouveaux créneaux, placer des chevaux de frise. Mais il y a bien du travail, ces cochons de Boches nous ont lancé quelques rafales qui ont fait ébouler la tranchée. Heureusement pas de mal. Mais nous sommes mal placés et il fait clair de lune. Extrêmement dangereux pour travailler. Hier matin le colonel a passé et m'a redit que je partirai dès que l'officier permissionnaire sera rentré et vraisemblablement le 23. Je commande ici la 2è section, ma cagnat est petite mais bien et bon augure !  elle est dans un petit boyau détourné qui s'appelle le boyau Paget c'est presque Pagès, quand pourrai-je t'enfiler pour de bon mon petit boyau Pagès !! Ma cagnat s'appelle Parvis Madeleine c'est moi qui ai fait graver cela sur la craie, à l'entrée, l'entrée est très  basse à cause des bombes 50 centimètres, sur la 1è marche descendante il y a mon sac et c'est là que mon ordonnance Crapouillot, le plus rigolo des petits soldats, croix de guerre pr avoir fait seul dix prisonniers à la Côte de Tahure et s'être distingué à la côte 196 est en train de coudre un bouton à ma vareuse, sur la seconde marche ( chaque marche a 80 cm de longueur sur 90 de hauteur ) est mon brasero allumé, car il gèle, la nuit il y couche le soldat tourangeau Labin qui est ouvrier en bois et m'a fait l'aménagement. Pendu à la chandelle de droite est l'appareil Draeger qu'ont maintenant les officiers contre les gaz. Il est tout près et plein d'hyposulfite. Sur la troisième marche ma table où je t'écris ( assis sur la 2è marche ). C'est sur la 3è marche que la nuit dort Crapouillot après la 4è marche est mon lit en treillage ( système que j'importe de l'artillerie dans l'infanterie où on couche à même le sol ). Voilà mon amour chéri ce qui se passe. Les Boches travaillent beaucoup mais notre artillerie les embête. Moi j'attends ma permission je t'adore. J'adore ta volupté précise. Je prends ta bouche et ta langue. Ma main gauche caresse tes seins et la droite agace le petit ermite qui se contracte et s'épanche à force, sous mon doigt, longue exquise caresse où tu t'abandonnes, tu es ma fleur exquise et ma virilité se dresse en ton honneur, ma reine exquise.


                                                                                                               Gui

            P.S. Inscription sur la paroi de ma cagnat : Auque Segula clairon d'Inf. 3è Cie 2è section : à moi les femmes à poil à moi la gnôle à volonté.
            Mon amour, je t'adore.

                                                                                                              Gui !!

dimanche 11 novembre 2012

Anecdotes et Réflexions d'hier pour aujoud'hui Journal 5 Samuel Pepys ( Angleterre )


les joueurs de carte otto dix
joueurs de cartes Otto Dix Musée Berlin
                              
                                                               Journal
                                                                           ( 23 janvier )

            Le matin suis passé porter 20 livres à Mr Downing, puis suis revenu à la maison ; j'ai rencontré Mr Pearse, le chirurgien et l'ai entraîné à la Cognée où je lui ai offert sa bière du matin. De là à mon bureau où je n'ai fis que faire mes comptes. De retour à la maison je trouvai ma femme en train de coiffer la servante de manière qui la rendait très jolie. Ressortis rendre à Wilkinson ce que je lui devais et rapportai à la maison une pièce de boeuf pour le dîner. Repartis payer Waters le marchand de vins et voir Mrs Jemima ; j'y rencontrai Mrs Wright, mais Scot était si saoul qu'il ne s'est pas montré. Je suis resté faire les comptes de Mrs Ann et j'ai fait une ou deux parties de cartes, ensuite suis allé au palais de Westminster ; il faisait nuit noire.J'ai payé Mrs Mitchel, ma libraire, et suis revenu à Whitehall. : en traversant le jardin en direction de la galerie de pierre, comme il faisait très noire je suis tombé dans un fossé. Au bureau des secrétaires j'ai rencontré Simons et Llewellyn et suis allé avec eux au bureau de Mr Mount, au Cockpit, où nous avons mangé un ragoût de gibier admirable arrosé de bière jusqu'à minuit ; et après avoir tous chanté nous sommes rentrés chez nous.. Aujourd'hui le Parlement a siégé tard et a décidé de faire imprimer la déclaration pour répondre aux demandes du peuple à qui on fait beaucoup de belles promesses.

                                                                                  ( 26 janvier 
                                                                                                                                                                                                                                                  
                                                                                                                            Van Reymerswaele
            Au bureau pour y prendre 20 livres à porter à Mr Downing, ce que je fis et retour. Ensuite Mr Frost est venu payer les 500 livres dues à Mr Downing auprès duquel je suis allé chercher l'autorisation de paiement que j'ai rapportée à Mr Frost. Suis allé chercher quelques documents pour Mr Downing à Whitehall. L'un d'eux était un ordre du Conseil privé pour 1800 livres par an payables par fractions mensuelles chaque mois. Et les deux autres des ordres adressés aux commissaires des douanes de laisser passer ses biens sans lui faire payer de droits. Ai quitté mon bureau pour me rendre chez Milord, où ma femme avait préparé un très bon dîner : à savoir, un plat d'os à moelle, un gigot de mouton, une longe de veau, un plat de volailles avec trois poulardes et deux douzaines d'alouettes présentées ensemble, une grande tarte, une langue de boeuf, un plat d'anchois, un plat de bouquets et                                             des fromages.                                             
            Les invités étaient mon père, mon oncle Fenner, ses deux fils et Mr Pearse accompagnés de leur femme et mon frère Tom. Nous étions aussi contents que je pouvais m'efforcer de l'être en cette compagnie. W. Joyce parlant à la manière ancienne et buvant sec ennuyait son père, sa mère et sa femme.Et je me rendais compte que Mrs Pearse devenait si audacieuse qu'elle embarrassait les deux jeunes femmes. La nuit venue ils partirent tous sauf Mr Pearse et W. Joyce et leurs femmes et Tom, qui burent ensuite une bouteille de vin si bien que Will provoqua la franche colère de son père et de sa mère pour être resté. Ma femme et moi en avons été enchantés. Puis ils s'en allèrent tous et je me mis à écrire deux codes pour Mr Downing ; les lui portai à 9 du soir ; il ne les aima pas et les corrigea ; et demain je dois les refaire.
            Retour chez Milord où je m'assis près de la grande cheminée, devant un feu maintenant bien pris en compagnie de ma femme ; mangeâmes un morceau puis à la maison.
            Les nouvelles aujourd'hui sont consacrée à la parfaite identité de vues entre Monck et le Parlement et à rien d'autre, ce que j'ai peine à croire.
            Après dîner, aujourd'hui, mon père m'a montré une lettre de mon oncle Rob, en réponse à ma dernière lettre où je parlais de mon argent que je voulais que mon cousin Beck me rende ; Beck souhaite le garder encore quatre mois, et je ne sais comment l'en empêcher.


                                                                                   ( 28 janvier )

            Je suis allé voir Mr Downing et lui portai trois codes, puis suis allé au bureau et en ai réalisé un autre, tandis que Mr Frost comptait l'argent. Je venais de finir quand Mr Hawley est venu dans le bureau, je l'ai laissé et suis allé porter mon code à Mr Downing, qui m'a alors appris qu'il était décidé à partir pour la Hollande ce matin même.
            Suis donc revenu au bureau et y ai expédié mon travail ; puis me suis rendu avec Mr Hawleu au domicile de Mr Downing après être passé prendre Mr Squibb au palais de Westminster pour l'emmener avec nous ; nous avons attendu un grand moment dans la chambre de Mr Downing avant qu'il ne vienne ; pendant ce temps nous avons fait porter toutes ses affaires au chaland qui attendait au débarcadère de Charing Cross. Il est ensuite arrivé et a pris congé de moi fort civilement au-delà de mes espérances car je craignais qu'il ne me renvoyât au bureau ; il n'en fit rien, et au contraire qu'il était disposé à me rendre tous les services qui étaient en son pouvoir. Je suis alors descendu et ai envoyé un portier chercher chez moi mon meilleur bonnet de fourrure, mais il le ramena trop tard et je n'ai pas pu le lui offrir. De là je me rendis au palais de Westminster et emballai mon bonnet chez Mrs Mitchell  qui le trouva très beau et j'essayai de rattraper la voiture à la Bourse afin de le lui remettre ; mais je rencontrai quelqu'un qui me dit qu'il était déjà parti ; je m'en retournai donc et allai au Ciel ; Llewellyn et moi y dînâmes d'une poitrine de mouton, en discutant des changements dont nous avons été témoins et du bonheur de ceux qui sont propriètaires fonciers. Puis nous nous quittâmes et je me rendis comme prévu à mon bureau afin de payer 500 livres au jeune Mr Walton ; comme il faisait fort sombre il se contenta de 300 livres.
            Il me donna une demi-pièce d'étoffe et m'emmena dans sa voiture jusqu'à St Clément d'où je me rendis chez Mr Crew et m'acquittai de mes dettes auprès Rembrandt - Auto-retrato, 1634 - Gemäldegalerie, Berlin.jpgde Mr Andrew ; j'ai récupéré toutes mes reconnaissances de dettes et lui ai donné un billet pour solde de son compte.Me suis ensuite rendu chez Mrs Wright et lui ai remis la lettre de Milord qu'il m'avait demandé de lui remettre en privé. Puis à la maison, et chez Will pour quelques nouvelles ; ensuite retour à la maison où j'écrivis à milord et delà à Whitehall pour donner mes lettres au garçon de poste. Retour à la maison, et au lit.


                                                                                     ( 30 janvier )

            Ce matin, avant de me lever, je me suis mis à chanter : " Grand, bon et juste etc." et me suis ainsi rappelé que c'était aujourd'hui le jour fatal où il y a dix ans sa Majesté était morte.
            Scull, le marinier, est venu m'apporter une note de Hope de la part de Mr Hawley qui me demandait des instructions quant à son argent, car il restait là-bas jusqu'au départ de son maître.
            A mon bureau où j'ai reçu l'argent de la Régie des mains de Mr Ruddiard, cela fait, je suis allé chez Will et y suis resté jusqu'à 3 heures ensuite j'ai pris les 12 livres et 10 shillings qui me reviennent au titre de mon dernier trimestre de salaire et m'en suis allé par voie d'eau à Londres, à l'ancienne maison du signor Torriano, y suis resté un moment en compagnie de Mr Ashwell, Spicet et Ruddiard. Je suis allé ensuite payer les 12 livres 17 shillings et 6 pence que je devais au capitaine Dick Matthews, comme il me l'avait demandé la semaine dernière dans une lettre. Et ensuite je suis revenu par voie d'eau en jouant du flageolet.
Comme ma femme n'était pas encore rentrée de chez son père, je suis allé passer un moment à jouer aux cartes avec Mrs Jemima dont la servante venait de contacter une fièvre et était tombée malade.
            Puis j'ai repris le chemin de la maison, et ai eu grand besoin de me soulager. Aussi j'ai prétendu que j'avais rendez-vous avec Mr Short le marchand de bois de Whitehall, et me suis soulagé à la Harpe et la Balle. De là à la maison où je suis resté à lire jusqu'à l'heure du coucher, puis au lit.
            Il semble que les rumeurs s'apaisent maintenant, tout le monde tenant pour acquis que Monck a l'intention de se présenter devant le Parlement et rien d'autre. J'ai passé un peu de temps ce soir à fixer des clous dans ma chambre pour mes chapeaux et manteaux.



                                                                               ( 31 janvier 1660 )
Franz Hals
Hals. Bouffon au luth (1623-24)            Ce matin je me suis mis à mon luth jusqu'à 9 heures. Puis me suis rendu au domicile de milord et ai donné l'ordre qu'on porte un baril de savon à Mrs Ann. J'ai rencontré Nick Bartlet qui avait été domestique de milord en mer et je lui offert sa bière du matin chez Harper. Puis au bureau où j'ai payé 1 200 livres à Mr Frost ; à midi je suis allé chez Will et ai offert un pichet de bière à son employé de la Régie qui est venu aujourd'hui rendre compte d'un de ses sacs dans lequel il manquait 7 livres  qu'il a retrouvées dans un autre sac. Suis rentré dîné à la maison avec ma femme ; ai alors vu arriver Mr Hawley fraîchement débarqué et dépêché par son maître. Il m'a remis une lettre d'instruction concernant le procès qui l'oppose à Squibb pour sa maison et son bureau. Après dîner au palais de Westminster où tous les secrétaires moi compris avions reçu l'ordre d'assister à la Commission de la Chambre Étoilée qui doit juger le colonel Jones, et où je devais témoigner des sommes que nous lui avions payées ; mais la commission n'a pas siégé aujourd'hui. De là chez Will où je suis resté une heure ou deux avec Mr Godefrey Austin, notaire dans la rue du roi.
            J'y ai trouvé et ensuite acheté la réplique à la lettre du général Monck ; c'est une très bonne réplique et je la garde sur moi.
            De là, chez Mrs Jemima où je trouvai sa servante couchée en proie à un accès de fièvre, tandis que Mrs Jemima était à l'étage en-dessous au travail avec d'autres gens ; peu à peu elle s'est échauffée et est devenue joyeuse, comme si on lui avait donné à boire du vin, ce qui m'a surpris mais je n'ai rien dit.
            Après une partie de cartes, je suis rentré à la maison et j'ai écrit par la poste et ai posté ma lettre à Whitehall , de retour je suis passé chez Harper et ai pris un verre avec Mr Pulford, un domestique de Mr Waterhouse qui m'a appris qu'alors que Mr Fleetwood aurait dû répondre devant le Parlement aujourd'hui il avait écrit une lettre par laquelle il demandait un peu plus de temps, car il résidait très loin de Londres. Et comment il avait très honte de lui-même et avouait qu'il méritait son sort pour s'être aussi ma conduit envers son beau-frère. Et qu'il est vraisemblable qu'il remboursera une partie de l'argent qui a été versé par l'Echiquier sous le Comité de Sécurité, avec ses propres deniers, ce qui me réjouit. A la maison et au lit, cependant que ma femme lisait Polexandre. Je n'ai rien trouvé dans la lettre que Mr Downing que Hawley m'a remise qui concerne mon poste ; mais j'ai pu percevoir que Hawley pensait que si je devenais secrétaire du Conseil privé, il pourrait avoir un salaire plus élevé ; cependant j'estime qu'il n'est pas sûr pour le moment de changer mon emploi présent pour un emploi public.

            








           

                                                      



                                                                  

jeudi 8 novembre 2012

Lettres à Madeleine 52 Apollinaire



                                                       Lettre à Madeleine

            Le 8 décembre le poète écrit : " Au lieu de 9 jours nous en ferons 10 ou 11 ou plus même dans les
            premières lignes. Aujourd'hui nous avons été soumis à un bombardement épouvantable dont l'écho   
            te parviendra sans aucun doute par les journaux. En ce moment ça continue tout le monde veille aux
           créneaux les autres sont baïonnette au canon... Je t'ai imaginée tout le jour en regardant l'arrivée des
           bombes effrayantes en forme de cigare.
                       Quelle barbe que ces Boches ! Tu sais amour, je laisse pousser la mienne car il n'y a pas
           moyen dans cette vie de me raser régulièrement...

                                                                                                                     9 déc. 1915

           Mon amour j'ai reçu tes trois chères lettres du 30 nov. ( 2 lettres ) et du 1er déc. Mon amour, tu es digne de mon amour, - mais je déteste cette guerre autant que toi. J'écris à ta maman les détails de mon passage dans l'Infanterie. Inutile de le répéter ici. Ne souffre pas mon amour, peut-être qu'une blessure est nécessaire à moi aussi pour que je sois digne de toi et pur pr toi.
           Si j'étais prisonnier ou disparu attends-moi.Si je meurs je te donne tout ce que j'ai et cette lettre en fait foi et sert de testament. Je ne cesse de penser à toi et il me semble, je suis sûr que ta pensée me protège mon amour et je te promets de n'être volontaire pour aucun mission périlleuse. Néanmoins il ne faut se dissimuler que le danger est permanent et excessivement grave. Notre régiment au témoignage des fourriers a dévoré 28 000 H. 90 officiers depuis septembre. Mais d'autre part il vaut mieux que j'aie passé comme officier car il y aura certainement des gradés d'artil. qui passeront encore dans l'infant. et peut-être pas immédiatement officiers. Et me vois-tu sergent dans l'infant. Au demeurant nommé temporairement dans l'infant. j'ai été placé comme officier d'active, ce qui est singulier car un maréchal des logis du 9è et dans le même cas que moi mais beaucoup plus jeune ( 22 ans ) a été nommé dans la Réserve et placé comme tel dans un régiment qui attaque moins que le nôtre. De plus une blessure heureuse pour moi pourrait terminer la guerre et me mettre à l'abri. Je t'adore Madeleine. Tu es ma force. Je ne crois pas qu'il m'arrive d'accident grave ni toi non plus tu ne crois pas. C'est notre 10è jour de tranchées je crois que nous serons relevés ce soir. Je t'aime, mon Madelon. Mon amour ce que tu me dis de ton désir d'être fertilisée est si beau que je veux t'adorer à genoux. Je baise tes yeux rougis. Pauvre humanité que nous sommes.           J'adore tes pieds. J'adore ta passion pour notre volupté et tes hardis coups de reins. Mais non, tu n'étais pas laide enfant, tu étais au contraire extrêmement fine et jolie. Je l'adore ma petite mauricaude chérie aux lèvres rouges aux yeux profonds et ardents. Tu es ma panthère chérie. Ce que tu me dis de l'état de la Méditerranée m'inquiète beaucoup pourvu qu'on ne m'empêche pas d'y aller en permission - tu es ma seule victoire ma Madeleine chérie. Je voudrais calmer tes frissons en te caressant doucement. Je sens tes soubresauts, mon amour, je te prends contre moi, je te serre dans mes bras, je te dis mon Madelon et je suis si heureux de notre amour. J'adore ton baiser de couleuvre. Ma bouche et ma virilité prennent ton parvis exquis. J'adore ta peau sensible et électrisante, j'adore ton ventre contre le mien et les jeux de nos langues. J'aime ton âme et ton corps intacts. J'adore tes hanches qui ont fait sauter les baleines. Je prends tes hanches et tes seins et mets ma virilité dans le parvis blanc que forment tes seins serrés.   J'adore tes cheveux ramenés en avant pour que ma bouche puisse bien baiser ta nuque. J'adore caresser tes cheveux avec les mains. J'adore notre volupté infinie. Ô amour nous avons la même idée en même temps car dans la lettre d'hier que tu trouveras avec celle-ci dans la même enveloppe tu verras que je te fais cette caresse exquise sur le gras de tes cuisses si doux au toucher et à la peau au grain si fin et ma langue, entre tes jambes écartées va chercher le parvis adoré et te fait pâmer. Je ferai chaque jour ta conquête, amour, et notre étreinte sera toujours nouvelle. Je suis l'adorateur et le dompteur de la panthère chérie. Amour je te prends ardemment mon amour adoré, je prends ton corps follement. Hier amour et avant-hier le tir de l'artillerie a été effrayant surtout celui de l'artil. boche. Ils ont fait ce qu'on a fait en sept mais sur un tout petit secteur. Ça nous passait sur la tête mais rien chez nous. Il n'y aurait rien eu à faire. C'est ce qui est terrible dans cette guerre depuis 2 jours les hommes n'ont pas dormi. Ils s'endorment aux créneaux et je suis obligé de les secouer et de les menacer du conseil de guerre pr les secouer. D'ailleurs ce sont de braves gens dévoués et pleins de courage. Mais ils mangent mal et pour ainsi dire pas les jours fréquents de riz qu'ils détestent. La vie de fantassin est peu enviable. Elle est à peine supportable comme officier et il y a tous les risques. Mais j'ai confiance en nous, mon amour, confiance en toi en notre avenir et je t'adore follement admirablement. Tu es ma Madeleine. Je prends ta bouche.

               
                                                                                                      Gui

                                                                                  Gromaie  
            Le 10 décembre 1915 Apollinaire écrit : - Mon amour adoré, hier vers quatre heures, une
           action s'est déchaînée, c'était fantastique et effrayant. Le théâtre même ne peut donner une idée du
           bombardement effroyable qui empourpre soudain le ciel, du sifflement des obus qui passent en l'air
           comme des autos passant sur le sol dans une course, de l'éclatement déchirant des bombes et des
           torpilles, du crépitement insensé de la fusillade dominé par le tac tac tac tout proche de la mitrailleus
           Enfin ça s'est calmé, nous n'avons pas eu de mal à la compagnie, c'était proche' mais pas pour nous.
           Le soir on a été relevés et je suis resté pr mettre la nouvelle compagnie en ligne au courant des
           corvées. Nuit  calme je suis parti à 9 h. du matin pr arriver à 2 h. de l'après-midi. Quelle effroyable
           boue dans les effroyables boyaux. J'ai tes lettres du 2 et du 3. Amour, tu es mon amour. Je suis donc
           au repos si peu reposant et qui peut cesser d'un instant à l'autre, dans une cagnat où il pleut. Boue
           sans nom. J'adore tes deux lettres. Je t'écris tant que je peux. Le 1er officier à partir avant moi est
           parti aujourd'hui.
                       Je t'adore forte comme tu l'es. Hier j'étais découragé et ne voyais pas d'issue possible que
           quelque chose d'effroyable à ma situation actuelle. Aujourd'hui le bon sens a repris le dessus. Je suis
           heureux que tu m'aimes comme tu m'aimes, tu es ma femme adorée, ma vierge exquise. J'ai reçu
           aujourd'hui un livre de fou complet que je t'enverrai demain... Ma belle Madeleine, ma Madeleine
           d'élite... Oui je crois que mon regard aura une puissance exquise sur toi mon amour et j'adore ton
           frisson quand je regarde au fon du parvis...  Oui, j'ai eu il y a quelques jours dans une lettre que tu
           n'as pas encore , ( c'était hier, je crois ) l'idée du sacrifice de mon sang sans doute qu'exige la
           perfection paradisiaque de notre amour...

                                                                                                           Le 12 décembre 1915

            Mon amour, je t'envoie aujourd'hui le singulier bouquin de fou que j'ai reçu. Il est parlé de moi à
propose de mon récit de l'enterrement de Walt Whitman qui avait suscité une polémique fantastique dans le monde entier. J'y joins un porte-monnaie fabriqué par l'ouvrier en cuir de mon ancienne batterie une bague avec un bouton boche que je portais jusqu'ici et que je ne peux plus porter au cas où je serais fait prisonnier et une bague en or ciselé qui est mon cachet et que tu me garderas, tu peux la porter, elle est à toi autant qu'à moi.
            Nous repartons tout à l'heure au combat, les communiqués ont dû te dire l'affaire de la tranchée prise par les Boches ces jours-ci, ce n'est pas nous qui l'avons perdue mais c'est nous qui devons la repreudre -
            J'ai reçu hier le superbe paquet de tabacs cigares et cigarettes. Merci mon amour mais maintenant que je suis officier ne te soucie plus de m'envoyer du tabac, nous en avons, comme officiers en abondance, du fin et des cigarettes.
            Je souhaite de tout mon coeur l'arrivée de cette permission et je voudrais bien que nous soyons revenus de cette affaire. D'ailleurs mes hommes sont épuisés par 11 jours de tranchées.
            Mon amour, je t'adore. Je ne pense qu'à toi, ton corps divin est mon soleil. Je pense à tes lèvres, à toutes tes lèvres mon amour, je pense à ton ardeur exquise à ta beauté.
            Je t'aime le vaguemestre est là. J'écrirai demain.

         
                                                                                          Gui
           


lundi 5 novembre 2012

Les Quais et les Bibliothèques Apollinaire ( Nouvelle in le Flâneur des deux rives France )



                                                     Les Quais et les Bibliothèques

            Je vais le plus rarement possible dans les grandes bibliothèques. J'aime mieux me promener sur les quais, cette délicieuse bibliothèque publique.
            Néanmoins je visite parfois la Nationale ou la Mazarine et c'est à la Bibliothèque du Musée social, rue Las-Cases, que je fis connaissance d'un lecteur singulier qui était un amateur de bibliothèques.
            - Je me souviens, me dit-il, de lassitudes profondes dans ces villes où j'errais et afin de me reposer, de me retrouver en famille,j'entrais dans une bibliothèque.
             - C'est ainsi que vous en connaissez beaucoup.
              - Elles forment une part importante de mes souvenirs de voyages. Je ne vous parlerai pas de mes longues stations dans les bibliothèques de Paris : l'admirable Nationale aux trésors encore ignorés, aux encriers marqués E.F. ( Empire Français ) ; la Mazarine, où j'ai connu des lettrés charmants : Léon Cahun, auteur de romans de premier ordre qu'on ne lit pas assez ; André Walckenear, Albert Delacour, les deux premiers sont morts, le troisième semble avoir renoncé aussi bien aux lettres qu'aux bibliothèques ; la lointaine Bibliothèque de l'Arsenal, une des plus précieuses qui soient au monde pour la poésie et, enfin, la Bibliothèque de Sainte-Geneviève, chère aux Scandinaves.
            Je crois que pour ce qui est de la lumière, la bibliothèque de Lyon est une des plus agréables. Le jour y pénètre mieux que dans toutes les bibliothèques de Paris.
            A la petite bibliothèque de Nice, j'ai lu avec volupté l'Histoire de Provence de Nostradame et m'inquiétais du Fraxinet des Sarrasins, loin des musiques, des confetti de plâtre et des chars carnavalesques.
            A la bibliothèque de Quimper, on conserve une collection de coquillages. Un jour que j'étais là, un monsieur for bien entra et se mit à les examiner.
            - Est-ce vous qui avez peint ces babioles ? demanda-t-il à voix très haute en s'adressant au conservateur.
            - Non, répondit avec calme celui-ci, non monsieur, c'est la nature qui a orné ces coquillages des plus délicates couleurs.
            - Nous ne nous entendrons jamais, repartit le visiteur élégant, je vous cède la place.
            Et il s'en alla.
            A Oxford il y a une bibliothèque ( je ne sais plus laquelle ), où l'on a brûlé tous les ouvrages ayant trait à la sexualité entre autres : La Physique de l'amour de Rémy de Gourmont, Force et Matière de Ludwig Büchner.
            A Iéna, à la Bibliothèque de l'Université, par décision du Sénat universitaire, on a retiré de la salle publique les oeuvres de Henri Heine qui ne sont plus communiquées que sur autorisation spéciale, dans la salle de la Réserve.
            A Cassel, j'espérais toujours voir passer l'ombre du marquis de Luchet qui, vers la fin du XVIIIè siècle, en fut le directeur et, au dire des Allemands, la désorganisa en peu de temps, mettant Wiquefort parmi les Pères de l'Église, inscrivant dans les cartouches des barbarismes comme exeuropeana, qui paraissaient inadmissibles non seulement aux latinistes de Cassel, mais encore à ceux de de Goettingue et de Gotha. Ces derniers menèrent un tel bruit que Luchet dut cesser d'administrer la bibliothèque.  
Suisse            La bibliothèque de Neuchâtel, en Suisse, est la mieux située que je connaisse. Toutes ses fenêtres donnent sur le lac. Séjour enchanteur ! La salle de lecture est charmante. Elle est ornée de portraits représentant les Neuchâtelois célèbres. Il faut ajouter qu'on y est fort tranquille pour lire, car on y voit presque jamais personne. L'administrateur - et par tradition ce poste est toujours confié à un théologien - dort sur son pupitre. On y trouve une riche collection de livres français du XVIIè et du XVIIIè siècle. Quand quelqu'un demande des livres difficiles à trouver il est invité à les chercher lui-même. La bibliothèque s'honore avant tout de conserver des manuscrits de Rousseau dans une grande enveloppe jaune et c'est bien la seule chose qu'on vous communique sans rechigner, tant on en est fier.
            A la bibliothèque de Saint-Pétersbourg on ne communiquait pas Le Mercure de France dans la salle de lecture. Les privilégiés allaient le lire dans l'espace réservé aux bibliothécaires. J'y ai vu d'admirables manuscrits slaves écrits sur de l'écorce de bouleau. La bibliothèque était ouverte de 9 heures du matin à 10 heures du soir. Et dans la salle de lecture se tenaient beaucoup d'étudiants pauvres venus là pour se chauffer.
Ce fut un vrai centre révolutionnaire. Atout moment des descentes de police où chaque lecteur devait montrer son passeport, venaient troubler l'atmosphère studieuse de la bibliothèque. On y voyait des gamines de douze ans qui lisaient Schopenhauer. Grâce à l'influence de Sanine d'Artybachew on y vit ensuite des dames élégantes qui lisaient les oeuvres des derniers symbolistes français.
            L'influence de Sanine eut un moment les résultats les plus étranges. Des lycéens et des lycéennes de quatorze à dix-sept ans avaient fondé des sociétés de sanistes. Ils se réunissaient dans une salle de restaurant. Chacun d'eux apportait un bout de bougie que l'on allumait. Alors on chantait, on buvait, et lorsque la dernière bougie s'était éteinte, l'orgie commençait.
            Peu avant la guerre ce fut, chez les jeunes gens du même âge, une lamentable épidémie de suicides.
            La bibliothèque d'Helsingfors est très bien fournie de livres français, même les plus récents.
            Dans le Transsibérien le wagon-promenoir contenait, avec des pots de fleurs et des rocking-chair, une bibliothèque d'environ cinq cents volumes dont plus de la moitié étaient des livres français. On y voyait les oeuvres de Dumas père, de George Sand, de Willy.
            A la Martinique, Fort-de-France possède une bibliothèque, grande villa coloniale construite après le grand incendie d'il y a une vingtaine d'années. Quand j'y fus, le conservateur était un vieux brave qui est peint dans le célèbre tableau des Dernières Cartouches. Érudit charmant, il faisait lui-même les honneurs de sa bibliothèque, allait chercher les livres, etc. Il se nommait M. Saint-Félix et, s'il vit encore, je lui souhaite longue vie.
            J'ai eu l'occasion de connaître la bibliothèque du savant Edison. Je n'y ai pas vu L'Eve future,dont il est l'un des personnages. Peut-être ignore-t-il encore cette belle oeuvre de Villiers de l'Isle-Adam. Par contre, Edison fait sa lecture favorite des romans d'Alexandre Dumas père. Les Trois Mousquetaires, Le Comte de Mont-Cristo sont ses livres de chevet.
            A NewYork, j'ai fait de longues séances à la Bibliothèque Carnegie, immense bâtiment en marbre blanc qui, d'après les dires de certains habitués, serait tous les jours lavé au savon noir. Les livres sont apportés par un ascenseur. Chaque lecteur a un numéro et quand son livre arrive, une lampe électrique s'allume, éclairant un numéro correspondant à celui que tient le lecteur. Bruit de gare continuel. Le livre met environ trois minutes à arriver et tout retard est signalé par une sonnerie. La salle de travail est immense et au plafond trois caissons destinés à recevoir des fresques contiennent, en attendant, des nuages en grisaille. Tout le monde est admis dans la bibliothèque. Avant la guerre tous les livres allemands étaient achetés. Par contre, les achats de livres français étaient restreints. On y achetait guère que les auteurs français célèbres. Quand M. Henri de Régnier fut élu à l'Académie française, on fit venir tous ses ouvrages, car la bibliothèque n'en possédait pas un seul. On y trouve un livre de Rachilde, Le Meneur de Louves,dans la traduction russe et, dans le catalogue, on trouve le nom de l'auteur en russe, avec la traduction en caractères latins suivis de trois points d'interrogation. Cependant la bibliothèque est abonnée au Mercure depuis une dizaine d'années. Comme il n'y a aucun contrôle, on vole 444 volumes par mois en moyenne. Les livres qui se volent le plus sont les romans populaires, aussi les communique-t-on copiés à la machine. Dans les succursales des quartiers ouvriers il n'y a guère que des copies polygraphiées. Toutefois la succursale de la quatorzième rue ( quartier juif ) contient une riche collection d'ouvrages en yiddish. Outre la grande salle de travail dont j'ai parlé il y a une salle spéciale pour la musique, une salle pour les littératures sémitiques, une salle pour la technologie,une salle pour les patentes des Etats-Unis, une salle pour les aveugles, où j'ai une jeune fille lire du bout des doigts Marie-Claire de Marguerite Audoux : une salle pour les journaux, une salle pour les machines NYPL Seward Park Branch, Manhattan.jpgà écrire à la disposition du public. A l'étage supérieur enfin on trouve une collection de tableaux.
           Et voilà les bibliothèques que je connais.
           - J'en connais moins que vous , répondis-je. Et prenant l'Errant des bibliothèques par le bras , je m'efforçai de mettre la conversation sur un autre sujet.

          Un jour je rencontrai sur les quais M. Ed. Guénoud qui était gérant d'immeubles à Montparnasse et consacrait ses loisirs à la bibliophilie. Il me donna une petite brochure amusante dont il était l'auteur.
          C'est une plaquette illustrée par Carlègle. Elle est inconnue et par la suite deviendra sans doute célèbre parmi les bibliophiles qui recherchent les catalogues fantaisies En voici le titre :
           Catalogue des livres de la Bibliothèque de M. Ed. G. qui seront vendus le 1er avril prochain à la salle des Bons Enfants.
           Voici quelques mentions tirées de ce catalogue facétieux :
            Abeilard - Incomplet.Coupé
            Alexis ( P. ) - Celles qu'on n'épouse pas.Nombr. taches.
            Allais ( A. ) - Le parapluie de l'Escouade. Percale rouge.
            Ange Benigne -Perdi, le couturier de ces dames.Av. notes
            Aristophane - Les Grenouilles. Papier du Marais.
            Auriac - Théâtre de la foire. Papier pot.
            Balzac ( H. de ) -  La Peau de chagrin. Rel. id.
            Beaumont ( A. ) - Le Beau Colonel. Parf. état de conserv.
            Boisgobey ( F. de ) - Décapitée. En 2 part., tête rog., tr. r.
            Borel ( Pétrus ) - Madame Putiphar. Se vend sous le manteau.
            Carlègle et Guénoud - L'Automobile 217-UU. Beau whatman.
            Clarétie - La Cigarette. Papier de riz.
            Coulon - La mort de ma femme. Demi-chagrin.
            Courteline - Un client sérieux. Rare, recherché.
            Dubut de Laforêt - Le Gaga. Très défraîchi.
            Dufferin ( lord ) -Lettres écrites dans les régions polaires. Papier glacé.
            Dumas ( A. ) - Napoléon. Un grand tome.
            Dumas fils ( A. ) - L'ami des femmes.Complètement épuisé.
            Dumas fils ( A. ) - Monsieur Alphonse. Dos vert. 
            Fleuriot ( Z. ) - Un fruit sec. Couronné par l'Acad. franc.
            Gaignet - Bossuet. Pap. grand-aigle.
            Gazier. - Port-Royal des champs.Rel. janséniste.
            Grandmougin - Le Coffre-fort.Ouvr. à clef.
            Graye ( Th. de ) - Le Rastaquouère. Av. son faux titre.
            Guimbal - Les Morphinomanes.Nombr. piq.
            Hauptmann - Les Tisserands. Toile pleine
            Havard ( H. ) -Amsterdam et Venise. Petites capitales
            Hervilly ( E. d' ) - Mal aux cheveux .Une jolie fig.
            Karr ( A ) - Les guêpes. Piq.
            Kock ( P. de ) - Histoire des cocus célèbres. Nombr. cornes.
            La Fontaine - L'anneau d'Hans Carvel. Mis à l'index.
            La Fontaine - Les deux pigeons. Format colombier. Livre d'heures. in 18 Jésus
            Maeterlinck - La vie des Abeilles. Qques bourdons
            Maindron - Les Armes. Grav. sur acier
            Mattey - Le billet de mille. Très rare
            Maury ( L ) - Abd-el-Aziz. Maroq. écrasé
            Montbart ( G. ) - Le Melon. Tr. coupées
            Rémusat ( P. de ) - Monsieur Thiers. Un petit tome
            Thierry ( G.A ) - Le Capitaine sans façon. Basane
            Vigny - Cinq-Mars. Tête coupée
            Vilmorin - Les Oignons. Pap. pelure
            Voltaire - Le Siècle de Louis XIV. Magnif. ill. en tous genres, etc., etc.
           
            Et voilà un curieux divertissement bibliographique.
            Je revis plusieurs fois M. Ed. Guénoud sur les quais. Il est mort récemment et quand je passe devant les boîtes des bouquinistes près de l'Institut j'évoque la silhouette singulière de ce gérant qui pour la bibliographie facétieuse rivalisait avec Rabelais et celle de Rémy de Gourmont , qui ne manquait jamais avant la tombée de la nuit d'aller faire son tour le long des quais.
            N'est-ce point la plus délicieuse promenade qui se puisse faire à Paris ? Ce n'est pas trop, lorsqu'on a le temps, de consacrer un après-midi à aller de la gare d'Orsay au pont Saint-Michel. Et sans doute n'est-il pas de plus belle promenade au monde, ni de plus agréable.

           

                                                                                                 Apollinaire
                                                                                         (  in Le Flâneur des deux rives )

           


dimanche 4 novembre 2012

Anecdotes et Réflexions d'hier pour aujourd'hui journal 3 Samuel Pepys ( Angleterre )



   Hogarth                                                    Journal
                                                                        ( 13 janvier 1660 )

            En arrivant au bureau le matin, rencontrai Mr Fage et l'emmenai au Swan, Il me raconta avec quelle virulence la nuit dernière Hesilrigz et Morley s'étaient emportés chez le lord maire contre la Cité de Londres, accusant cette dernière d'avoir renié sa charte. Et comment le trésorier de la Cité de Londres les avait remis à leur place, leur rappelant combien ils étaient redevables à la Cité, etc.Il m'a également rapporté que la lettre de Monck qui leur avait été remise par le porte-glaive, était une machination et qu'ils ne lui faisaient guère confiance ; mais qu'ils étaient résolus à ne plus rien demander au Parlement, à ne plus payer un sou, tant que les députés exclus ne seraient pas réadmis ou qu'un parlement libre n'aurait pas été institué.
            De là, à mon bureau, où il n'y avait rien à faire. Aussi allai-je chez Will avec Mr Pinkney qui m'invita à une réception à son club le lundi suivant. Je rentrai ensuite à la maison chercher ma femme et l'emmenai dîner chez Mr Wade. Après quoi nous allâmes visiter Catau , avant de rentrer à la maison. Ma femme ne voulait pas que je reparte et quoique cela ne lui fît pas très plaisir, voulait m'accompagner si je sortais.Comme je m'apprêtais à aller à Whitehall, elle décida de me suivre : je l'attendis et l'emmenai se promener dans Whitehall, et la ramenai à la maison en colère. J'allai ensuite chez Mrs Jemima, que je trouvai debout et joyeuse : il s'avérait qu'elle n'avait pas la petite vérole, mais seulement la varicelle ; je fis donc une ou deux parties de cartes avec elle avant de me rendre chez Mr Vines, où je jouai avec lui et Mr Hudson à divers jeux en compagnie de la femme et de la belle-soeur de Dick. Après cela je rentrai à la maison ; ma femme était partie en visite chez Mr Hunt et rentra quelque peu après moi. Puis, au lit.
      Hogarth   
                                                                                14 janvier

            Rien à faire au bureau. Me rendis donc à Westminster, et juste comme je quittais le palais de Westminster pour aller dîner chez Mr Moore avec qui j'étais resté dans les couloirs pour savoir les nouvelles ( à cette occasion je parlai à sir Anthony Ashley Cooper du logement de milord ), je rencontrai le capitaine Holland qui me dit qu'il avait laissé sa femme chez moi. Je rentrai donc en toute hâte et achetai un plat de viande à leur intention. Ils restèrent avec moi tout l'après-midi et ne partirent que dans la soirée.
            Je sortis alors avec ma femme et la laissai au marché, et allai, pour ma part, au café où j'entendis une argumentation extrêmement convaincante contre l'affirmation de Mr Harrington comme quoi un gouvernement stable implique que les classes au pouvoir possèdent la majorité des biens fonciers.
            De retour à la maison j'écrivis à Hinchingbrooke et envoyai cette lettre avec mes autres lettres que j'avais omis d'envoyer jeudi dernier. Puis, au lit.
imag: Queens Guards                                                                                
                                                                                               
                                                                                                           
                                                                                    15 janvier

            Ayant passé une fort mauvaise nuit à cause des aboiements du chien d'un de nos voisins, qui m'empêchèrent de dormir pendant une ou deux heures, je me réveillai tard. Le matin je pris une purge et restai à la maison toute la journée.
            A midi, mon frère John vint me voir et je corrigeai du mieux que je pus son discours en grec en vue de la joute oratoire quoique, me sembla-t-il, il fut tout aussi capable de le faire que moi. Après cela nous nous mîmes à lire dans le grand Livre des Offices ce qui se rapportait à la bénédiction des cloches dans l'Église romaine.
            Après cela, ma femme et moi discourûmes plaisamment jusqu'au soir, puis nous soupâmes ; j'allai ensuite mettre la touche finale à mes notes pour cette semaine, puis, au lit.
            Comme il faisait froid et qu'il neigeait beaucoup, ma purge ne m'a pas fait autant d'effet qu'elle aurait dû.

                                                                                              Samuel Pepys