lundi 5 janvier 2015

Momo des Halles Philippe Hayat ( roman France )

momo des Halles 2

                                               Momo des Halles
   
            143 francs, ce petit pécule trouvé dans la boîte à biscuits,  coffret de sa mère réservé aux courses, seront les seules ressources que les deux enfants emporteront de Fontenay-aux-Roses ce 26 août 1941. Les parents arrêtés, le patron du père se charge de cacher les enfants. Ils traverseront la banlieue, une partie de Paris à pieds. 5 kilomètres d'angoisse pour enfin découvrir ce qui sera leur logis, et pour Marie, la petite soeur de 12 ans, un peu une prison. Les dénonciations fréquentes,  anonymes se multiplient. Rue de la Cossonerie,  aux pieds du Carreau des Halles, la rue Saint Denis. Maurice dit Momo, 16 ans, compte les centimes. Arrivé à la limite de sa réserve,  sans ressource,  il approche les marchands et contre quelques services obtient du poisson,  un légume. Sérieux, infatigable, le sens du commerce, Momo entre danger et inconscience, a conquis quelques amis sûrs. Le marché parallèle n'a de limites que la raréfaction des bons produits. Et Marie, elle lit, Momo tente de lui donner des cours, toujours cachés sous les toits, dans leur chambre glacée. Leurs voisines reçoivent leurs clients, se jalousent, la plus proche, Bulle, 35 ans leur prodigue affection et conseils,  que Momo ne suit guère, pris dans l'engrenage de ses commerces, à l'aise dans son fief. Bulle jalousée, la gestapo, la milice, une dénonciation et le destin bascule. 1943, obligation de porter l'étoile jaune pour les juifs. Camp dans le Nord de Paris. Le livre est passionnant, d'un bout à l'autre. Il ne se lâche pas. Personnages simples, ils se meuvent dans un environnement connu. L'écriture est alerte ne permet pas de s'attarder sur l'effroyable période de cette guerre, les femmes les hommes espèrent contre tout réalisme partir travailler dans les fermes en Pologne. L'auteur, polytechnicien,  entrepreneur, a écrit un premier roman documenté, très vivant sur un sujet dramatique. 

samedi 3 janvier 2015

Anecdotes et Réflexions d'hier pour aujourd'hui Samuel Pepys 39 ( journal Angleterre )


attelage.org

                                                                                                           16 janvier 1661

            J'allai ce matin de bonne heure chez le contrôleur de la Marine puis nous nous rendîmes ensemble à Whitehall pour voir Mr Coventry et lui rendre compte de ce que nous avons fait. Je me rendis ensuite chez milady lui présenter mes hommages. Mais arrivé là j'appris qu'elle était partie en voiture pour Chattam, pensant m'y trouver, ce qui m'embarrassa fort, car je n'avais guère envie de la suivre. Je ne voyais pas, néanmoins ce qu'elle pourrait faire quand elle constaterait mon absence. Dans l'embarras j'allai faire un tour dans la Grand-Salle de Westminster où je tombai sur Mr Child parti avec milady ce matin, mais, ayant un mauvais cheval avait rebroussé chemin. Mon embarras grandissant je résolus de la rejoindre. Retour donc en bateau chez moi. Je mets mes bottes, traverse le fleuve pour me rendre au relais de poste de Southwark où je louai un cheval et un guide pour Dartford. De là à Rochester. Comme j'avais de bons chevaux, une bonne route, j'arrivai une demi-heure environ avant la tombée de la nuit, soit avant 6 heures ( j'étais parti après 2 heures. Je retrouvai milady, sa fille Jemima, Mrs Browne et cinq domestiques, tous bien embarrassés de m'avoir point trouvé. Mais à mon arrivée, elle fut folle de joie. On s'amusa fort qu'elle eût formé le projet de ne pas se faire connaître et que le commandant du " Charles ", qu'elle avait fait venir, lui avait fait force politesses, bien qu'il la reconnût parfaitement et elle aussi. Bref, nous soupâmes dans la joie. Au lit. Plusieurs hommes du " Charles " vinrent me voir avant de me coucher. Le petit page partagea mon lit.


                                                                                                                    17 janvier
                                                                                                                 
            Lever, déjeuner avec milady, puis visite des capitaines Cuttance et Blake, pour la conduire à bord en canot. Traversée de Ham Creed, joli spectacle pendant toute la traversée, splendides vaisseaux, pour aller d'abord jusqu'au " Sovereign ", bâtiment magnifique que je n'avais encore jamais vu, milady Sandwich, milady Jemima, Mrs Browne, Mrs Grace, Mary et le page domestique de milady, ainsi que moi, entrâmes tous ensemble dans le fanal de poupe. Allés ensuite sur le " Charles ", où milady prit grand plaisir à visiter toutes les cabines et à m'entendre lui raconter comment les choses se passent lorsque milord est à bord. Après avoir tout visité les officiers du vaisseau offrirent à milady un bon déjeuner et, alors qu'elle buvait à la santé de milord, ils la saluèrent de cinq coups de canon. Nous nous partîmes ensuite, ils tirèrent encore treize coups de canon en notre honneur. Je dois avouer que c'est pour moi un grand plaisir de voir le vaisseau sur lequel a débuté et heureusement ma carrière. Montés ensuite à bord du " Newcastle ", montré à milady la différence entre un grand et un petit vaisseau. J'ai distribué sept livres au cours de la visite de ces bâtiments. Retour à l'arsenal de Chatham où j'avais commandé la voiture. J'appris là que sir William Batten et sa femme
( je les savais présents mais voulais à tout prix les éviter ) étaient partis pour Londres ce matin. . En voiture, traversée de la ville sans arrêt à notre auberge, laissant toutefois Goods derrière nous pour régler les dépenses. Je voyageai donc avec milady en voiture tandis que le page, à sa demande, prenait le cheval qui m'était destiné. La nuit tombait avant d'arriver à Dartford et à pleuvoir dru, les chevaux se fatiguaient, ce que nous avions grand souci d'éviter, par crainte de déplaire à milord. Nous fîmes donc halte pour la nuit. Nous parlâmes jusqu'au souper. Au souper milady et moi entrâmes dans une vive discussion sur la meilleure façon de disposer de ses biens : les léguer à son fils aîné, la meilleure pour milady contre mon avis, ou les distribuer en parts égales. Nous en discutâmes jusqu'à l'heure du coucher. Mais comme nous étions d'humeur joyeuse nous dîmes bonsoir à milady avec l'intention d'aller au relais de poste écouter une jolie fille jouer du cistre. Trop tard malheureusement, retour à notre auberge, tous les hommes dans la même chambre, où nous fîmes des gorges chaudes de notre abominable logement.


                                                                                                                   18 janvier 1661

            Les capitaines m'accompagnèrent au relais de poste vers 9 heures, et après avoir pris ma boisson du matin, je louai un cheval et un guide pour Londres, où j'arrivai à 11 heures, malgré une pluie légère et un fort vent de face. Trouvé tout en ordre à la maison, à l'exception de la guenon lâchée, ce qui me fâcha. Je la battis jusqu'à la laisser presque morte, pour leur permettre de la rattacher, ce qui me chagrina davantage. L'après-midi au bureau, réunion jusqu'au soir. J'allai ensuite chez mon père que je trouvai en bonne santé et l'emmenai chez Standing pour boire une chope de bière. Il me dit que ma tante était toujours en vie à Brompton, que ma mère s'y trouvait en bonne santé. Arrive William Joyce, ivre et d'humeur bavarde et hâbleuse, nous entretient de sa fortune et de je ne sais quoi, ce qui me contraria fort. Après lui Mr Hollier à qui j'avais donné rendez-vous. Il me donna quelque chose à prendre à titre préventif. Comme Joyce ne nous laissait pas parler comme je l'entendais, je le laissai avec mon père et conduisis Mr Hollier au Lévrier, où il me conseilla surtout, pour la pierre et les pertes de mémoire, dont je me plains, d'éviter de boire souvent, Conseil que je veux suivre si je puis.
            Retour chez moi. Je prends chez le libraire l'"Esope " d'"Ogilvy " qu'il a relié à ma demande, et suis vraiment très content de ce livre.
            Chez moi, et au lit.


                                                                                                                           19 janvier

            Allé chez le contrôleur de la Marine, puis ensemble en voiture à Whitehall.Vu en chemin sur une claie Venner et Prittchard, ils ont été pendus aujourd'hui avec deux autres hommes de la Cinquième Monarchie, les deux premiers de surcroît écartelés puis coupés en quartiers. Arrivés nous fîmes les cent pas et finîmes par trouver sir George Carteret que je n'avais pas vu depuis longtemps. Nous discutâmes de l'aide que nous pourrions apporter aux commissaires pour le désarmement et le paiement de la flotte. Nous avons l'intention de la leur refuser.A ce propos le trésorier général me dit qu'il soupçonnait Thomas Hayter de leur fournir des renseignements à cette fin, ce que nous considérons comme un amoindrissement de notre autorité. Ceci me préoccupe et j'entends bien tirer l'affaire au clair.                                                      
            Ensuite chez milady qui m'apprend que Mr Hetley est mort de la petite vérole sur le chemin de Portsmouth où il se rendait avec milord. Milady partit dîner chez son père. J'allai à la taverne de la Jambe
dans King Street, où je dînai d'un lapin, avec mon valet Will. Je le renvoyai ensuite à la maison, tandis que j'allai au théâtre où je vis  " La Dame perdue ", qui ne me plut guère. Gêné d'y être vu par quatre de nos commis qui occupaient une loge à une demi-couronne tandis que j'étais dans les travée à 1 shilling 6 pence.
            Pris un flambeau et allai acheter deux souricières chez Thomas Pepys, le tourneur. Je m'en fus boire une chope de bière avec lui, puis retour chez moi. J'écrivis une lettre à milord que j'expédiai par la poste à Portsmouth, et au lit.
                                                                                                                           

                                                                                                              20 janvier
                                                                                              Jour du Seigneur
            A l'église le matin. Dîner chez moi. Ma femme et moi à l'église l'après-midi. Cela fait, chez mon oncle et ma tante White. J'y laissai ma femme, revins en m'arrêtant chez sir William Penn, qui n'est pas encore remis. Puis retour auprès de ma femme, y soupai. Nous étions de bonne humeur. Retour chez nous et, après la prière, je m'occupai à rédiger mon journal des cinq derniers jours. Ensuite, au lit.


                                                                                                              21 janvier

            Ce matin, sir William Batten, le contrôleur de la Marine et moi à la Grand-Salle de Westminster, chez les commissaires chargés du paiement des soldes de départ de l'armée et de la marine. S'y trouvait le duc d'Albermarle. Nous siégeâmes sans ôter notre chapeau et discutâmes du désarmement des bâtiments? Nous constatons qu'ils ont l'intention de s'en occuper sans notre aide, et nous nous en félicitons, car c'est une affaire qui va déplaire fort aux malheureux marins et nous sommes heureux de ne pas y être mêlés.
            De là à l'Echiquier où je pris 200 livres que j'emportai chez moi. Puis retour au bureau jusqu'au soir. Allai voir ensuite sir William Penn. Il reçut la visite de lady Batten et de sa fille. J'envoyai chercher ma femme et nous restâmes à deviser jusque tard. Souper à la maison. Puis au lit, sans avoir dîné aujourd'hui.
            Drôle de temps cet hiver, pas le moindre froid, mais les chemins sont poussiéreux, des mouches partout et les rosiers couverts de feuilles. Un temps comme il ne s'en était jamais vu en ce monde pour cette
saison. Aujourd'hui pendaison de beaucoup d'autres hautes personnalités  de la Cinquième Monarchie.


                                                                                                                 22 janvier

            Allé chez le contrôleur de la Marine où j'ai lu ses propositions au lord amiral pour la réorganisation du corps des officiers de la marine. Il les as lus avec le plus grand sérieux. L"ennui est qu'il en semble trop satisfait. Ensuite à la chapelle des merciers, dans son carrosse. Monté dans la Grand-Salle, où nous tînmes conseil avec le Conseil royal du commerce pour discuter de certaines de leurs propositions en vue d'organiser des convois pour tout le commerce anglais. A cet effet nous fîmes affecter par le roi 33 navires, 4 du quatrième rang, 19 du cinquième, 10 du sixième. Propositions discutées par de nombreuses personnes de condition et des négociants qui se trouvaient présents. J'appréciai fort d'être ici en cette qualité, moi qui m'y étais autrefois rendu pour présenter ma demande de bourse pour le collège Saint-Paul. De plus sir George Downing, que je servis naguère, y siégeait comme président, ce qui me toucha également.
            Retour chez moi, et après un dîner léger, ma femme et moi nous rendons en voiture à Londres pour acheter des verres, puis à Whitehall pour voir Mrs Fox, mais comme elle était sortie ma femme se rendit chez maman Bowyer et je rencontrai le Dr Thomas Fuller que j'emmenai au Chien où il me parla de son dernier ouvrage qui paraît en ce moment. Il S'agit de son histoire de toutes les familles d'Angleterre; Il put m'en dire davantage sur ma propre famille que je n'en savais. Il me raconta que dernièrement il a dicté simultanément des textes en latin à quatre éminents érudits sur des sujets différents choisis par eux, plus vite qu'ils ne pouvaient les prendre jusqu'à ce qu'ils fussent fatigués.
            Il me dit incidemment que la meilleure façon de commencer une phrase dans un exposé, si l'on est pris de court et que l'on ne se souvienne plus de sa dernière phrase, ce qui ne lui est jamais arrivé, est, en dernier recours, de commencer par Utcunque ( cependant  ).
            Allai ensuite chez Mr Bowyer où je restai quelque temps. Puis chez Mr Fox où je restai un moment. Puis retour chez moi en voiture. Ensuite visite à sir William Penn chez qui je trouve Mrs Batten et deux autres jolies femmes. Nous restâmes pour le souper qui fut fort gai. Retour chez moi pour me coucher.


                                                                                                                 23 janvier

            Au bureau toute la matinée. Mes gens et ma femme s'affairent à la maison pour préparer le dîner de demain. A midi sans dîner, me rends dans la Cité. Y rencontrai Greatorex et nous allâmes boire une chope de bière. Il me dit avoir le projet d'aller faire des expériences à Ténériffe. Avec lui à Gresham Collège, je n'y étais jamais allé. Je prends l'air de la maison et trouve force personne du plus haut rang.
            Après quoi chez mon libraire pour y chercher des livres. Chez Stephens l'orfèvre pour faire nettoyer l'argenterie pour demain. Retour chez moi en acquittant en chemin nombre de petites dettes concernant l'achat de vin, de gravures, etc, ce à quoi je prends grand plaisir.
            Chez moi, trouve un grand remue-ménage. Slater notre messager venu comme cuisinier jusque très tard le soir.
            Dans mon cabinet de travail toute la soirée à feuilleter les oeuvres d'Osborne et ma nouvelle édition des " Patriarchae " d'Emmanuele Tesauro.
            Au lit tard, n'ayant rien mangé d'autre aujourd'hui qu'un morceau de pain et de fromage à la taverne, avec Greatorex, et une tartine de beurre chez moi.


                                                                                                                   24 janvier

            Chez moi toute la journée. Dîner avec sir William Batten, sa femme et sa fille, sir William Penn, Mr Fox, sa femme malade ne put venir, et le capitaine Cuttance.                    
            Premier dîner que j'offre depuis que je suis ici. Il me coûte plus de 5 livres. Et nous étions pleins d'entrain, mais ma cheminée fume.
            L'après-midi Mr Hayter m'apporte mon dernier terme de salaire. J'ai maintenant en main l'argent de Mr Barlow.
            Tous mes convives s'en vont. Mais très vite les deux sirs William ainsi que lady Batten et sa fille revinrent, soupèrent avec moi, et restèrent parler tard. Au lit, heureux d'en avoir terminé avec ces tracas.
                                                                                                               
                                                                                                                  25 janvier 1661

            Toute la matinée au bureau. Dîné à la maison avec Mr Hayter. J'ai réglé mes comptes avec lui pour le dernier terme. Après dîner, commençons à examiner les instructions de Northumberland, mais sommes interrompus par l'arrivée de Mr Salsbury, venu me montrer une miniature qu'il a faite de milord. Il est vraiment étrange de voir à quel point de perfection il est parvenu en l'espace d'une année. Allé ensuite chercher des livres à l'enclos de Saint-Paul. Puis retour chez moi. Cette nuit les deux cages que j'ai achetées ce soir pour les canaris, que le capitaine Rooth m'a envoyés aujourd'hui, me sont livrées. Au lit.


                                                                                                                   26 janvier

            Pas sorti de la matinée. Vers midi vient quelqu'un qui me connut autrefois et que je connus aussi, mais dont je ne sais pas le nom, pour m'emprunter 5 livres. Mais j'ai la présence d'esprit de refuser.
            Ont dîné avec moi aujourd'hui les deux Pearse et leurs femmes, le capitaine Cuttance et le lieutenant Lambert, dont nous nous sommes bien divertis en lui ôtant ses rubans et ses jarretières, après avoir tiré de lui qu'il vient de se marier.
            Mes invités partis, je me mis à mon luth jusqu'à la nuit, et au lit.


                                                                                                                   27 janvier
                                                                                                 Jour du Seigneur
            Avant mon lever des lettres me parviennent de Portsmouth m'apprenant que la princesse est maintenant rétablie et que lord Sandwich a pris la mer hier avec elle et la reine pour la France. A l'église, sans ma femme souffrant de ses menses. Sermon médiocre et ennuyeux d'un inconnu. Retour chez moi, et au dîner furieux que mes gens aient mangé un bon pudding, fait jeudi dernier par Slater, le cuisinier, sans la permission de ma femme.
            Retour à l'église. Bon sermon de Mr Mills. Passé ensuite une heure avec William Penn à discuter dans le jardin. Il répondit à beaucoup de mes questions en me rapportant l'opinion de Mr Coventry sur moi et celle de sir William Batten sur lord Sandwich, qui me satisfont l'une et l'autre. Ensuite chez sir William Batten où régnait la bonne humeur. Rencontrai le contrôleur de la Marine, sa femme et sa fille, première fois que je les voyais, ainsi que Mrs Turner, qui dîna avec son mari en notre compagnie, j'avais fait venir ma femme. Après le repas nous nous mîmes à manger des huîtres puis Mr Turner alla chercher de l'eau de vie. Tous de fort bonne humeur, nous nous séparâmes. Retour à la maison, et au lit.
            Aujourd'hui le pasteur lut à l'église une proclamation du roi pour la célébration de mercredi prochain, 30 janvier, jour de jeûne pour commémorer l'assassinat du feu roi.


                                                                                                                    28 janvier

            Toute la matinée au bureau. Dîner à la maison. Parti ensuite à Fleet Street avec mon épée que je porte affiler à Mr Brigden, récemment nommé dans les troupes militaires. Ensemble dans une taverne où je rencontrai Mr Damport. Après avoir un peu parlé de l'exhumation des corps de Cromwell, Ireton et Bradshaw aujourd'hui, j'allai chez Mr Crew puis au Théâtre où je vis une nouvelle fois " La Dame perdue ", qui me plaît davantage. Alors que j'étais assis derrière , dans l'ombre, une dame se retournant, cracha sur moi par mégarde, sans me voir. Mais voyant qu'elle était fort jolie, je ne m'en offusquai pas le moins du monde. Ensuite chez Mr Crew où je rencontrai Mr Moore qui, arrivé récemment en ville, m'accompagna chez mon père et avec lui chez Standing où le Dr Fairbrother nous rejoignit. Je l'emmenai avec mon père à l'Ours où j'offris une pinte xérès et une autre de bordeaux. Il continue à me manifester respect et affection, et me dit que mon frère John sera un excellent étudiant.
            Suivis ensuite le docteur à son logement chez Mr Holden, où j'achetai un chapeau qui me coûta 35 shillings. Retour chez moi au clair de lune et, rattrapé en chemin par le carrosse du contrôleur, raccompagné chez lui. Puis chez moi, et au lit. Ce midi ai fait installer mon armoire dans mon cabinet de travail pour y ranger des papiers.


                                                                                                                   29 janvier
                                                                                                                             
            Mr Moore occupé avec moi toute la matinée à faire des comptes, jusqu'à l'arrivée du lieutenant Lambert. Nous traversâmes ensemble le fleuve jusqu'à Southwark puis à travers champs jusqu'à Lambeth où nous nous arrêtâmes pour boire, car il fait un temps chaud, tout à fait superbe, c'en est même étonnant pour la saison. Ensuite chez milord où ne nous trouvâmes point milady partie à Hampton Court avec des gens. Nous nous rendîmes donc tous les trois à Blackfriars, c'est la première fois que je m'y trouve depuis qu'on y donne des pièces, et avec beaucoup de patience, sans me faire trop d'illusions à cause de bien médiocres débuts, je vis trois actes de La Dame au moulin, à ma grande satisfaction et retournai chez moi par le fleuve, en passant le Pont. Puis chez Mr Turner, y trouve le contrôleur, sir William Batten, Mr Davis et leurs femmes. Nous faisons là un dîner des plus élégants, léger mais coûteux, et du meilleur ton. Après cela force plaisanteries déplacées de Mr Davis et quelques chansons, puis nous nous séparons. Au moment du départ, le fils aîné de Mr Davis prit la vieille lady Slingsby dans ses bras et la porta jusqu'à sa voiture. Il est, dit-on, capable de porter trois des hommes les plus lourds de notre compagnie, ce qui m'étonne. A la maison, et au lit.


                                                                                                                  30 janvier
                                                                                                     Jour de jeûne
            Première fois que l'on commémore ce jour. Mr Mills fit un excellent sermon sur le thème de " Seigneur, pardonne-nous nos iniquités ". Parla excellemment de la justice de Dieu, qui punit l'homme pour les péchés de ses ancêtres.
            Retour chez moi. Visite de John Goods et, après le dîner,je lui remis 30 livres pour milady. Ensuite accompagné de sir William Penn allons à  Moorfields et faisons une promenade magnifique, la journée était des plus agréables. Longue conversation et, de surcroît, nous prîmes plaisir à voir les jeunes Davis et Whitton, deux de nos commis, qui passaient près de nous dans le pré. Nous constatons qu'ils se plaisent beaucoup en compagnie l'un de l'autre, et je les ai très souvent vus ensemble au théâtre.
            Retour à la taverne du vieux Jacques de Bishopsgate, où sir William Batten et sir William Rider le rencontrèrent pour discuter des affaires de Trinity House. Pour ma par, retour chez moi. J'apprends que ma mère est de retour, en bonne santé, de Brampton. Reçu une lettre de mon frère John, lettre fort habile, me demande la permission de venir à Londres pour le couronnement.
            Ensuite chez lady Batten. Accompagnée de ma femme rentre chez elle. Sont allées à Tyburn voir pendre et enterrer Cromwell, Ireton et Bradshaw. Retour chez moi.


libraires_fin_XVI                                                                                                                                                                                31 janvier

            Ce matin avec Mr Coventry à Whitehall afin de trouver un bateau pour transporter les planches de milord à Lynn. Nous avons choisi le " Gift " A midi chez milord où nous trouvons milady en mauvaise santé. Je dîne d'une bouchée et vais au Théâtre. Je m'installe au parterre, au milieu d'un groupe de jolies femmes, etc. La salle était archi-comble pour voir " Argalus et Parthenia ", c'était la première représentation. C'est assurément une bonne pièce, quoique gâchées par mes espérances excessives, comme pour tout. Ensuite chez mon père pour voir ma mère qui se porte assez bien depuis son retour de Brampton. Elle me dit que ma tante se porte aussi assez bien, mais ne saurait vivre longtemps. Mon oncle est également en assez bonne santé et elle pense qu'il se remarierait si ma tante venait à mourir, ce qu'à Dieu ne plaise. Retour chez moi.


                                                                                 .........../ à suivre
                                                                                                         ......../  1er février
             Le bureau..............
       

                                                                                                                                                           
                                                                                                                                               






dimanche 28 décembre 2014

Flash mots d'auteurs et autres 6 Paul Léautaud ( France )

constantin guys




                                                      Extraits du Journal littéraire

                                                                                           22 février 1924

             S'il est vrai qu'on n'est pas un grand homme pour son domestique, on court encore pire avec sa maîtresse.


                                                                     *********************

                                                                                           Dimanche 14 septembre 1924

                                                                                                               *      

            Le pauvre Bailli est mort. Je l'ai trouvé mort dans son   fauteuil......... J'ai eu toutes les peines du monde au moment de la découverte de la mort, à empêcher les concierges de prévenir commissaire de police..... J'ai dû leur dire : " Il y a une veuve.... "            Il n'est pas gai pour un amant de perdre le mari de la maîtresse. Il est obligé d'entendre un panégyrique presque lyrique du défunt, recouvrant soudain toutes les qualités les plus exemplaires, après tous les quolibets et les injures dont on le couvrait de son vivant.


                                                                         *********************


léonor fini                                                                                 Samedi 28 mars 1925

            Mon pauvre Riquet, le plus délicat de mes chats, que j'ai eu tout petit, de la marchande de lacets du Luxembourg en 1913, est mort cette nuit...... sur mon oreiller..... Que de nuits j'ai dormi ainsi : Riquet sur l'oreiller, Bibi dans le lit contre mon dos..... Madame Minne et Lolotte tout contre moi également..... C'est une grande société que je perds..... Quand je découchais, la bonne avait beaucoup de peine à le faire se résigner à rentrer sans moi dans la maison...... Comme cela fait penser combien  le temps passe.....


                                                                        ***********************

                                                                                         Lundi 27 février 1928

            ..... des jetons de présence aux séances de l'Académie. Cela amène Régnier à dire : 
           - Ainsi au "Figaro ", on veut faire une revue pour les enfants. On a formé un comité de lecture. Nous sommes six. Le jeton est de cent francs. 
          Valette lui demande : 
          - Et vous lisez ?
          - Bien sûr que non. C'est un autre qui lit. Celui-là ne touche rien.

                                                   
                                                                       ************************

                                                                                           Vendredi 15 juin 1928

            L'après-midi, visite d'André Malraux..... Il va s'occuper chez Gallimard, de la publication d'une collection : les principaux écrivains français commentés par un écrivain d'aujourd'hui..... Il me propose de faire Chamfort. Quatre ou cinq pages. Cent francs la page...... Je me suis défendu ensuite d'être capable de rien écrire sur Chamfort, à moins de redire tout ce qu'on a dit..... 
            - On a dit par exemple que tout ce qu'a écrit Chamfort se ressentait de la syphilis qu'il a eue. Qu'est-ce que vous voulez qu'on dise de plus. A moins de faire le pédant.
            Malraux me dit :
            - C'est Gourmont qui a dit cela, n'est-ce pas, dans son introduction au volume des " Plus belles pages " ?
           - Il a même dû penser à lui en écrivant cela.....
          .... Malraux me dit qu'il a eu une heureuse surprise en s'occupant de cette affaire : le désintéressement qu'il a trouvé chez tous les écrivains auxquels il s'est adressé. Il n'en a trouvé que deux qui lui ont d'abord demandé combien on leur donnerait...... 
            ..... Finalement, il a été convenu que j'allais réfléchir pour Chamfort et que je lui donnerai une réponse dans les huit jours.......
           André Malraux, garçon tout jeune, trente ans environ, l'air très intelligent, l'esprit très vif, ne parlant pas pour ne rien dire, et pas faiseur de compliments niais.


                                                                       ************************

                                                                                       Samedi 24 janvier 1931

            ...... Je suis à ma fenêtre. Il est une heure du matin. Un coq, tout près, se met à chanter.  Un coq voisin lui répond. Il répète. Un coq plus loin lui répond. Puis un autre plus loin encore, puis un autre plus loin encore, le cercle de réponse s'étendait à chaque cri, les derniers arrivant très adoucis par la distance. Je voudrais bien qu'on m'explique la signification.



                                                                        **************************

                                                                                                                                                Lundi 17 février 1941

            Depuis le manque de chauffage, je travaille dans ma chambre à coucher, sur une affreuse petite table qui me vient du fléau. Des tiroirs. Je range dans l'un mes papiers, mon encrier, mes plumes d'oie...... mal poussé le tiroir. Je rentre ce soir, et je vois les deux premiers cahiers de mon " Journal 1941 " , les feuillets épars sur le parquet, certains salis, d'autres maculés d'encre, une page arrachée à mon petit " Misanthrope "....... Ce joli travail oeuvre de ma guenon, qu'à cause également du manque de chauffage je laisse libre depuis trois mois pour qu'elle puisse profiter du radiateur..... J'ai passé un moment à nettoyer...... et la guenon remise dans sa cage.


                                                                         **************************

                                                                                       Vendredi 22 mai 1942
                                                                       11 heures et demie du soir
               M.D. a acheté et apporté une tortue pour le jardin. Paméla..... Nous l'avons aussitôt mise dans le jardin. A son départ impossible de la retrouver..... dans toutes ces herbes

                                                                                       Lundi 25 mai 1942

            Je viens de retrouver Paméla dans une place un peu dégagée, en plein soleil........
            Elle a apporté une autre tortue : Florentine.    


                                                                           **********************

                                                                                     Lundi 11 février 1946   

                                                                                                                     marieclairidees.com

            ...... qu'est-ce que écrire ?....... Une maladie, une folie, une divagation, un délire, - sans compter une prétention !!!...... A y regarder d'encore plus près, la littérature, écrire, sont de purs enfantillages......


                                                                                                            
                                                                                                                
                                                                         ***********************

                                                                                    Samedi 16 novembre 1946                                                                                                            9 heures et demie du soir
                Je crains bien de perdre la Minette cette nuit. Elle vient de se traîner dans ma chambre où elle était comme tous ces jours-ci, allongée au chaud au coin du feu....... elle a trouvé la force de se hisser dans le bas de mon armoire àlinge, à la même place qu'elle a accouché..... : l'expérience m'a fait pleurer, jusqu'à sangloter, en couvrant la chère bête de baisers......
            La guenon ne fait que pousser des cris de ne plus la voir dans ma chambre, sous ses yeux.


                                                                               ***********************

postersplease.com                                                   Mardi 10 décembre 1946

            J'ai remis tantôt à M. de Sacy, directeur du " Mercure "...... la valeur de trois numéros composés d'avance..... Il s'y trouve nombre de détails de mes relations avec Moreno à l'époque qu'elle jouait " La Sorcière " chez Sarah Bernhardt, que j'allais très souvent la chercher au théâtre, pour la ramener à sa porte rue Saint-Louis-en l'Ile, et les propos qu'elle me tenait là, sur l'état physique de Schwib, sa privation d'amour, que ce ne serait pas quand elle aurait 60 ans qu'elle pourrait le faire. 
            S'ajoutant à cela sa liberté de termes et de façons dans sa loge....... une sorte d'intimité assez significative également.
            Evidemment c'est bien délicat de publier cela, et c'est même quelque peu indélicat. J'y ai bien réfléchi. Puis j'ai sauté le pas. Elle est beaucoup plus connue aujourd'hui qu'elle n'était à cette époque : tous les rôles au cinéma, son grand succès dans " La folle de Chaillot ".....


                                                                               **********************

                                                                                                             Samedi 8 mars 1947
                                                                               
                                                                                                                    chatmania.fr
            Le Chinois est devenu un être adorable, n'arrêtant pas de parler ; s'il est dehors et que je l'appelle, arrivant et grimpant l'escalier en bavardant, quand je me couche me rejoignant au lit avec toutes sortes de petits cris et de ronronnements........
            Je l'ai beaucoup trop gâté, trop habitué à la bonne nourriture. Je lui achète du foie qui me coûte 100 francs la livre. Il s'y trouve quelques petites parties nerveuses. Il les laisse.......
                                                                                                             
                                                                                                                     
                                                     Paul Léautaud poursuit son journal....                              
                                                                                              Il meurt le 22 février 1956              
mickaelbrana.wordpress.com                                                           
                                                                                                                  

            

                                                                                               




mardi 23 décembre 2014

Un secret du docteur Freud Eliette Abécassis ( roman France )



                                              Un secret du docteur Freud

            1938, Vienne. L'Autriche sous l'emprise nazie, se vide peu à peu des juifs. Ceux qui ont la possibilité de partir s'éloignent, d'autres arrêtés, les livres des psychanalystes sont détruits. Le 13 mars, Freud réunit ses amis, patients et confrères dans les bureaux des Editions Verlag, sa maison d'édition. Une séparation douloureuse pour le docteur Freud plus qu'octogénaire, rongé par un cancer de la mâchoire et qui n'en finit pas d'analyser et d'écrire. Il a d'ailleurs écrit des milliers de lettres, à commencer par celles adressées à sa future épouse, Martha, alors qu'il poursuivait son travail sur l'hystérie et l'hypnotisme auprès de Charcot à Paris. "... Il s'en veut à présent d'avoir autant écrit... ", car ses lettres notamment celles à son ami Fliess, sont une arme contre lui si elles arrivent entre les mains du Reich. Martin, son fils, détruit une partie des documents malgré le danger, mais la comptabilité n'échappe pas à Sauerwald, chimiste trouble, mandaté par le Reich pour récupérer l'appartement et les biens du psychanalyste et pour l'assassiner, car le fait d'avoir envoyé de l'argent à l'étranger est passible de la peine de mort. Mais Marie Bonaparte, sa vieille patiente, amie, du docteur et de la famille veille et l'incite fermement à partir. Le temps presse. Mais ses lettres à Fliess, et surtout la dernière que son fils a trouvée et rendue à son père, où sont-elles et que contiennent-elles ? Depuis longtemps " .... Il grattait sur le papier ce qu'il voulait graver dans son coeur, et de ses mains refermées autour de sa plume, il transcrivait des pensées qui lui étaient révélées alors même qu'il les écrivait ; car ainsi naît l'idée.... " Déjà brouillé avec Jung absorbé par les thèses allemandes, il se brouille avec Fliess. Bisexualité, homosexualité, approfondir ces thèmes, rêver pour mieux vivre en dénouant les fils des scènes nocturnes. Le docteur Freud tant critiqué par certains, paraît bien vivant dans le livre d'Eliette Abécassis, roman basé sur des faits réels. 

jeudi 18 décembre 2014

Flash Mots d'auteurs et autres 5 Paul Léautaud ( France )


peinture georges garrard
                                                   Extraits Journal littéraire

                                                                                             Mardi 10 Mars 1908

            ...... une émotion, ce matin, en lisant dans le journal cette histoire d'une soi-disant comtesse de Monteil, cambrioleuse modern-style, du genre des rats d'hôtel. Je lis dans le titre de l'article qu'elle avait vingt-sept ouistitis qu'on a saisis. Tout de suite je pars sur le sort de ces petites bêtes, privées de leur maîtresse et peut-être maltraitées. Ces ouistitis sont tout bonnement des petites pinces de cambrioleur, nommées ainsi dans l'argot du métier......


                                                               ********************

                                                                                               Mercredi 22 Décembre 1909

            ...... Philippe est mort hier soir mardi à 9 heures. Gide me dit qu'on peut le voir dans une dépendance de la Maison de Santé, exposé sur une sorte de lit.......
            Je voulais revenir rue de la Chaise pour la mise en bière. Un chien égaré que j'ai trouvé et que je me suis amusé à reconduire chez lui, à la même heure, en voiture, dans un quartier au diable, où je n'avais jamais mis les pieds, m'en a empêché.                                                                                                   peinture jacques émile blanche : gide


                                                                *********************

                                                                                                Vendredi 8 Novembre 1912

            Ce soir, au Mercure, Colette Willy. Causé ensemble animaux. Elle me parle de sa collection de chats bleus, toute une portée nouvellement nés. En réalité, elle aime surtout les bêtes de luxe..... Elle donne l'impression d'aimer les bêtes un peu en dompteur.


 forum-chats.com                                                                                  **********************

                                                                                                     Mercredi 9 Juillet 1913

            Eté ce soir dîner chez Apollinaire. Lui et Marie Laurencin venus me chercher au Mercure. Eté ensemble porter la pâtée de mes chats du Luxembourg, puis une tarte aux fraises place Médicis. Ensuite ensemble chez Apollinaire...... Curieux appartement..... La chatte Pipe, noire et blanche, familière et joueuse. la peinture de Marie Laurencin...... Apollinaire. Il me plaît beaucoup..... un certain côté d'aventurier, d'équivoque..... Comme homme très simple...... On le sent plein de dessous. D'où vient-il ?.....quels sentiments ? Je me le dis en riant : j'aime       autant ne pas savoir......                                                                                                                   

                                                                      **********************

                                                                                                         Vendredi 25 Mars 1921

            .... Conversation charmante avec Pierre Benoit, venu pour voir Dumur à propos des multiples affaires de plagiat soulevées contre lui depuis un an et qui, à première vue, ne paraissent pas tenir debout. Benoit n'arrête pas de rire de tout cela, malin, spirituel, d'un entrain du diableµ...... Légion d'honneur, vedette dans la nouvelle revue fondée par Marcel Prévost, l'argent rapporté pas ses romans et malgré cela le même pour les chats qu'il adore, recueillant, soignant et plaçant les malheureux qu'il rencontre...... en ayant 14 pour son compte personnel.....


                                                                     ***********************

                                                                                                          Jeudi 2 Novembre 1922

            Jamais je n'ai eu autant de chats qu'en ce moment, 45 ! L'année a été abominable en abandonnés ou perdus...... tous ceux que j'aurais pu prendre. Il y a hélas ! des limites comme argent, et comme travail pour ma bonne.

                    
                                                                                                  Paul Léautaud 





                                                                    


                                                                                                       


                                        

Flash Mots d'auteurs et autres 4 Paul Léautaud ( France )



facebook.com

                                          Extraits du journal littéraire

                                                                                                  Dimanche 8 avril 1906

            Avoir de l'esprit, du temps de Stendhal, et comme il en avait lui-même, ce n'était pas comme aujourd'hui, faire des jeux de mots à tout propos. C'était quelque chose de plus fin, de plus sensible. Comprendre avec vivacité, amusement, et répliquer de même, en mettant dans sa réplique toute sa personnalité.


                                                                  ******************

                                                                                                       Mercredi 28 novembre 1906
                                                                                                    
            ..... Je voudrais bien connaître quelqu'un capable de m'expliquer le pourquoi de cette excitation dont mon esprit a besoin pour être mon esprit. Elle peut se résumer, cette excitation, en de " l'émotion, du plaisir ". Pourquoi quand elle me manque, suis-je si éteint ?.....


                                                                  *******************

                                                                                                        Mercredi 9 janvier 1907

            ..... Été au Mercure. Colette Willy dont on fait grand scandale en ce moment à propos de ses exhibitions au Moulin Rouge avec la Marquise de Morny ( " Lesbos à Cabotinville " ) était chez Valette, à lui parler d'une dernière " Claudine " qu'elle va publier signée de son nom....


                                                                     *******************

                                                                                                          Mercredi 12 juin 1907

            ..... Mon chat Boule très malade. Il m'est arrivé de jouer le sort : la santé de mon chat Boule , ou le prix Goncourt ? Pas d'hésitation : la santé de mon chat Boule....


                                                                     *********************

                                                                                                        Lundi 28 Octobre 1907

            Ce soir, après dîner, pour me promener, je suis allé porter une petite pâtée à des chats perdus du Luxembourg. Il paraît que Jarry est en train de mourir à l'Hôpital de la Charité.....
gentside.com


                                                                      ***********************

 
  
                                                                                                                                                                                                                           Jeudi 27 août 1908 

            Il a plu aujourd'hui toute la journée. Ce soir, en rentrant, à 7 heures, spectacle navrant de tous ces malheureux chats du Luxembourg mouillés jusqu'aux os, réunis devant le kiosque de la porte Fleurus, attendant leur pâtée......
            Le bonheur de mon chat, le spectacle de cet heureux Boule bien nourri, bien couché, bien caressé, m'agace un peu, en regard de tout l'abandon de ces bêtes. Je le disais encore à Valette, avec qui je parle souvent des animaux : " C'est du socialisme, ça ! ", m'a-t-il dit.




mardi 16 décembre 2014

Mémoires d'un père Marmontel ( extraits 2 France )




                                          
                                                            Livre deuxième


               J'ai lieu de croire que, depuis l'examen du préfet de Clermont, les jésuites avaient jeté les yeux sur moi. Deux de mes condisciples, et des plus distingués, étaient déjà dans leurs filets.....          
            Dans le peu de loisirs que j'avais à Clermont je m'étais fait un amusement du dessin ; et, comme j'en avais le goût, l'on m'en supposait le talent. J'avais l'oeil juste et la main sûre, il n'en fallait pas davantage pour l'objet qui me fit appeler un jour auprès du recteur.
            - Mon enfant, me dit-il, je sais que vous vous amuser à dessiner l'architecture, et je vous ai choisi pour me lever un plan  ; c'est celui de notre collège ; examinez bien l'édifice ; et, après en tracé exactement l'enceinte, figurez-en l'élévation. Apportez-y le plus grand soin, car votre ouvrage sera mis sous les yeux du roi.
            Tout fier de cette commission, j'allai m'en acquitter, et j'y mis, comme l'on peut croire, l'attention la plus scrupuleuse ; mais, pour avoir voulu trop bien faire, je fis très mal. L'une des ailes du bâtiment avait un étage, et l'autre aile n'en avait point. Je trouvai cette inégalité choquante, et je la corrigeai en élevant une aile comme l'autre.
            - Eh, mon enfant, qu'avez-vous fait ? me dit le recteur.
            - J'ai rendu, lui dis-je, mon père, l'édifice régulier.
            - Et c'est précisément ce qu'il ne fallait pas. Ce plan est destiné à montrer le contraire, d'abord au père confesseur, et, par son entremise, au ministre et au roi lui-même. Car il s'agit d'obtenir des fonds pour élever l'étage qui manque à l'une des deux ailes.
            Je m'en allai bien vite corriger ma bévue ; et, quand le recteur fut content :
            - Voulez-vous bien, mon père, me permettre, lui dis-je, une observation ? Ce collège qu'on vient de vous bâtir est beau, mais il n'y a point d'église. Vous y dîtes la messe dans une salle basse.......
            Le jésuite sourit de ma naïveté.
            - Votre observation, me dit-il, est très juste ; mais vous avez dû remarquer aussi que nous n'avons point de jardin.
            - Et c'est aussi de quoi je me suis étonné.
            - N'en soyez plus en peine ; nous aurons l'un et l'autre..... Quoi ! vous ne voyez pas en-dehors du fer à cheval qui ferme l'enceinte du collège, vous ne voyez pas cette église des PP. Augustins, et ce jardin dans leur couvent ?
            - Eh bien, mon père ?
            - Eh bien, ce jardin, cette église seront les nôtres ; et c'est la Providence qui semble les avoir placés si près de nous.                                                                                                        
            - Mais, mon père, les Augustins n'auront donc plus ni jardin, ni église ?      betty-my-tripper.tips.com
            - Au contraire, ils auront une église plus belle et un jardin encore plus vaste : nous ne leur ferons aucun mal, à Dieu ne plaise ! et en les délogeant nous saurons les dédommager.
            - Vous délogerez donc les PP. Augustins .
            - Oui, mon enfant, et leur maison sera, pour nos vieillard, une infirmerie, un hospice.....
            - Rien n'est plus juste, assurément ; mais je cherche où vous logerez les PP. Augustins.
            - ....... ils auront le couvent, l'église et le jardin des PP. Cordeliers. N'y seront-ils pas à leur aise.....
            - Fort bien ! Mais que deviennent les PP. Cordeliers ?                          
            - Je me suis attendu à cette question, et il est juste que j'y réponde : Clermont et Mont-Ferrand faisaient deux villes autrefois, maintenant elles n'en font qu'une, et Mont-Ferrand n'est plus qu'un faubourg de Clermont, aussi dit-on Clermont-Ferrand. Or, vous saurez qu'à Mont-Ferrand les Cordeliers ont un couvent superbe ; et vous concevez bien qu'il n'est pas nécessaire qu'une ville ai deux couvents de Cordeliers....... Au reste, mon enfant, ce que je vous confie est encore le secret de la société ; mais vous n'y êtes pas étranger ; et je me plais dès à présent à vous regarder comme étant l'un des nôtres.
            Tel fut, autant qu'il m'en souvienne, ce dialogue où Blaise Pascal aurait trouvé le mot pour rire, et qui ne me parut que sincère et naïf.

            Un muletier d'Aurillac, qui passait sa vie sur le chemin de Clermont à Toulouse, voulut bien se charger de moi. J'allais sur l'un de ses mulets, et lui, le plus souvent à pied, cheminant à côté de moi.
            - Monsieur l'abbé, me dit-il, vous serez obligé de passer chez moi quelques jours, car mes affaires m'y arrêtent. Au nom de Dieu, employez ce temps-là à guérir ma fille de sa folle dévotion. Je n'ai qu'elle, et pas pour un diable elle ne veut se marier. Son entêtement me désole.
            La commission était délicate ; je ne la trouvai que plaisante ; je m'en chargeai volontiers.....
                Je ne fus pas peu surpris lorsqu'en entrant chez lui, je vis une maison commode, bien meublée, d'une propreté singulière, et qu'une espèce de soeur grise, jeune fraîche, bien faite, vint au-devant de Pierre ( c'était le nom du muletier ), et l'embrassa en l'appelant mon père. Le souper qu'elle nous fit servir n'avait pas moins l'air de l'aisance. Le gigot était tendre et le vin excellent. La chambre que l'on me donna avait, dans sa simplicité, presque l'élégance du luxe. Jamais je n'avais été si mollement couché. Avant de m'endormir je réfléchis sur ce que j'avais vu : " Est-ce, dis-je en moi-même, pour passer quelques heures de sa vie à son aise que cet homme en tracasse et consume le reste en de si pénibles travaux. Non, c'est une vieillesse tranquille et reposée qu'il travaille à se procurer, et ce repos, dont il jouit en espérance, le soulage de ses fatigues. Mais cette fille unique qu'il aime tendrement, par quelle fantaisie, jeune et jolie comme elle est, s'est-elle vêtue en dévote ? Pourquoi cet habit gris, ce linge plat, cette croix d'or sur sa poitrine et cette guimpe sur son sein ? Ces cheveux qu'elle cache comme sous un bandeau sont pourtant d'une jolie teinte. Le peu que l'on voit de son cou est blanc comme l'ivoire. Et ces bras ! ils en sont aussi de cet ivoire pur, et ils sont faits au tour ! " Sur ces réflexions je m'endormis, et le lendemain j'eus le plaisir de déjeuner avec la dévote. Elle me demanda obligeamment des nouvelles de mon sommeil.
            - Il a été fort doux, lui dis-je ; mais il n'a pas été tranquille, et les songes l'ont agité. Et vous, mademoiselle, avez-vous bien dormi ?
            - Pas mal, grâce au Ciel, me dit-elle.
            - Avez-vous fait aussi des rêves ?
            Elle rougit, et répondit qu'elle rêvait bien rarement.
            - Et quand vous rêvez, c'est aux anges ?
            - Quelquefois aux martyrs, dit-elle en souriant.
            - Sans doute aux martyrs que vous faites ?
            Moi ! je ne fais point de martyrs.
            - Vous en faites plus d'un, je gage, mais vous ne vous en vantez pas. Pour moi, lorsque dans mon sommeil je vois les cieux ouverts, ce n'est presque jamais qu'aux vierges que je rêve. Je les vois, les unes en blanc, les autres en corset et en jupon de serge grise, et cela leur sied mieux que ne ferait la plus riche parure.  Rien dans cet ajustement simple n'altère la beauté naturelle de leurs cheveux ni de leur teint ; rien n'obscurcit l'éclat d'un front pur, d'une joue vermeille ; aucun pli ne gâte leur taille, une étroite ceinture en marque et en dessine la rondeur. Un bras pétri de lys et une jolie main avec ses doigts de roses sortent, aisément. Mais quelque plaisir que j'aie à voir en songe toutes ces jeunes filles dans le Ciel, je suis un peu affligé, je l'avoue, de les y voir si mal placées.
            - Où les voyez-vous donc placées, demanda-t-elle avec embarras.
            - Hélas ! dans un coin, presque seules, et ( ce qui me déplaît encore bien davantage ) auprès des pères capucins !
            - Auprès des pères capucins ! s'écria-t-elle en fronçant le sourcil/
           - Hélas ! oui, presque délaissées, tandis que des augustes mères de famille, environnées de leurs enfants qu'elles ont élevés, de leurs époux qu'elles ont rendu bienheureux déjà sur la terre, de leurs parents qu'elles ont consolés et réjouis dans leur vieillesse en leur assurant des appuis, sont dans une place éminente, en vue à tout le Ciel, et toutes brillantes de gloire.
            - Et les abbés, demanda-t-elle d'un air malin, où les a-t-on mis ?
            - S'il y en a, répondis-je, on les aura peut-être aussi nichés dans quelque coin éloigné de celui des vierges.
            - Oui, je le crois, dit-elle, et l'on a fort bien fait, car ce serait pour elle de dangereux voisins.
            Cette querelle sur nos états réjouissait le bonhomme Pierre. Jamais il n'avait vu sa fille si éveillée ni si parlante ; car j'avais soin dans mes agaceries de mettre, comme dirait Montaigne, une aigre-douce pointe de gaîté piquante et flatteuse qui semblait la fâcher, et dont elle me savait gré. Son père enfin, la veille de son départ et du mien pour Toulouse, me mena seul dans sa chambre, et me dit :
            - Monsieur l'abbé, je vois bien que sans moi jamais vous et ma fille vous ne seriez d'accord. Il faut pourtant que cette querelle de dévote et d'abbé finisse. Il y a bon moyen pour cela ; c'est de jeter tous les deux aux orties, vous ce rabat, elle ce collet rond, et j'ai quelque doutance que si vous le voulez, elle ne se fera pas longtemps tirer l'oreille pour le vouloir aussi. Pour ce qui me regarde, comme dans le commerce j'ai fait dix ans les commissions de votre brave homme de père et que chacun me dit que vous lui ressemblez, je veux agir avec vous rondement et cordialement.
            Alors, dans les tiroirs d'une commode qu'il ouvrit, me montrant des monceaux d'écus :
            - Tenez, me dit-il, en affaires il n'y a qu'un mot qui serve : voilà ce que j'ai amassé, et que j'amasse encore pour mes petits enfants, si ma fille m'en donne ; pour vos enfants, si vous voulez et si vous lui faites vouloir.
            Je ne dirai point qu'à la vue de ce trésor je ne fus point tenté..... le bonhomme Pierre n'y mettait d'autre condition que de rendre sa fille heureuse.
            - Je continuerai, disait-il, de mener mes mulets ; à chaque voyage, en passant je grossirai ce tas d'écus dont vous aurez la jouissance. Ma vie à moi, c'est le travail et la fatigue. J'irai tant que j'aurai la force et la santé, et, lorsque la vieillesse me courbera le dos et me roidira les jarrets, je viendrai achever de vivre et me reposer près de vous.
            - Ah ! mon bon ami Pierre, qui mieux que vous, lui dis-je, aura mérité ce repos d'une heureuse et longue vieillesse ! Mais à quoi pensez-vous, de vouloir donner pour mari à votre fille un homme qui a déjà cinq enfants !
            - Vous, monsieur l'abbé ! cinq enfants à votre âge  !                        
            - Hélas ! oui. N'ai-je pas deux soeurs et trois frères ? Ont-ils d'autre père que moi ? C'est de mon bien et non pas du vôtre que ceux-là doivent vivre ; c'est à moi de leur en gagner.
            - Et pensez-vous en gagner avec du latin, me dit Pierre, comme moi avec mes mulets ?
            - Je l'espère, lui dis-je, mais au moins ferai-je pour eux tout ce qui dépendra de moi.
            - Vous ne voulez donc pas de ma dévote ? Elle est pourtant gentille, et surtout à présent que vous l'avez émoustillée.
            - Assurément, lui dis-je, elle est jolie, elle est aimable, et j'en serais tenté plus que de vos écus. Mais, je vous le dis, la nature m'a déjà mis cinq enfants sur les bras , le mariage m'en donnerait bientôt cinq autres, peut-être plus, car les dévotes en font beaucoup, et ce serait trop d'embarras.
            - C'est dommage, dit-il : ma fille ne voudra plus se marier.
            - Je crois pouvoir vous assurer, lui dis-je, qu'elle n'a plus pour le mariage le même éloignement. Je lui ai fait voir que dans le Ciel les bonnes mères de famille étaient fort au-dessus des vierges ; et en lui choisissant un mari qui lui plaise, il vous sera facile de lui mettre dans l'âme ce nouveau genre de dévotion.
            Ma prédiction s'accomplit.

            ........ Mon ambition était d'avoir une école de philosophie. Ce fut de quoi je m'occupai.
            Mon âge était toujours le premier obstacle à mes vues....... presque aucun de mes écoliers ne serait moins jeune que moi. Sur cette grande difficulté, je consultai un vieux répétiteur appelé Morin, le plus renommé dans les collèges. Il causa longtemps avec moi, et me trouva suffisamment instruit. Mais le moyen que de grands garçons voulussent être à mon école ! Cependant il lui vint une idée qui fixa son attention.
            - Cela serait plaisant, dit-il en riant dans sa barbe. N'importe, je verrai : cela peut réussir.
            Je fus curieux de savoir quelle était cette idée.
            - Les Bernardins ont ici, me dit-il, une espèce de séminaire où ils envoient de tous côtés leurs jeunes gens faire leurs cours. Le professeur de philosophie qu'ils attendaient vient de tomber malade, et, pour le suppléer jusqu'à son arrivée, ils se sont adressés à moi. Comme je suis trop occupé pour être ce suppléant, ils m'en demandent un, et je m'en vais vous proposer.
            On m'accepta sur sa parole. Mais lorsqu'il m'amena le lendemain, je vis distinctement l'effet du ridicule qui naissait du contraste de mes fonctions et de mon âge. Presque toute l'école avait de la barbe, et le maître n'en avait point. Au sourire un peu dédaigneux.... j'opposai un air froid... je m'informai..... de la règle de leur maison pour le temps des études et pour l'heure des classes ; je leur indiquai quelques livres dont ils avaient à se pourvoir...... Je m'aperçus que, de leur part, une attention sérieuse avait pris la place du ton léger et de l'air moqueur par où elle avait commencé.
            Le résultat de celle que Morin venait d'avoir avec des supérieurs, fut que le lendemain matin j'irais donner ma première leçon.

quizz.biz                                J'étais piqué du sourire insultant que j'avais essuyé en me présentant chez ces moines. Je voulus m'en venger, et voici comment je m'y pris. Il est du bel usage de dicter à la tête des leçons de philosophie une espèce de prolusion qui soit comme le vestibule de ce temple de la sagesse où l'on introduit ses disciples, et qui par conséquent doit réunir un peu d'élégance et de majesté. Je composai ce morceau avec soin ; je l'appris pas coeur ; je traçai et j'appris de même le plan qui devait présenter l'ordonnance de l'édifice, et, la tête pleine de mon objet, je m'en allai gravement et fièrement monter en chaire. Voilà mes jeunes Bernardins assis autour de moi, et leurs supérieurs debout, appuyés sur le dos des bancs, et impatients de m'entendre. Je demande si l'on est prêt à écrire sous ma dictée. On me répond qu'oui. Alors les bras croisés, sans cahier sous les yeux, et, comme en parlant d'abondance, je leur dicte mon préambule, et puis ma distribution de ce cours de philosophie, dont je marque en passant les routes principales et les points les plus éminents.
            Je ne puis me rappeler sans rire l'air ébahi qu'avaient mes Bernardins, et avec quelle estime profonde ils m'accueillirent lorsque je descendis de chaire. Cette première espièglerie m'avait trop bien réussi pour ne pas continuer et soutenir mon personnage....... Morin alla les voir..... il voulut bien me témoigner lui-même sa surprise que cela fut dicté de tête, je lui répondis par une sentence d'Horace que Boileau a traduite ainsi :
            Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement,
            Et les mots, pour le dire, arrivent aisément.
            Ainsi, chez les gascons, je débutai par une gasconnade......
            ...... la fortune vint encore au-devant de moi.
            Il y avait à Toulouse un hospice fondé par les étudiants de la province du Limosin. Dans cet hospice appelé le collège de la Sainte-Catherine, les places donnaient un logement et 200 luvres de revenu, durant les cinq années de grade. Lorsqu'une de ces places était vacante, les titulaires y nommaient au scrutin, bonne et sage institution. Ce fut dans l'une de ces vacances que mes jeune compatriotes voulurent bien penser à moi. Dans ce collège où la liberté n'avait pour règle que le décence, chacun vivait à sa manière ; le portier et le cuisinier étaient payés à frais communs....... cette épargne, qui suivait tous les ans l'accroissement de mon école, devint assez considérable pour commencer à mettre mes parents à leur aise......
            En feuilletant par hasard un recueil des pièces couronnées à l'académie des Jeux floraux, je fus frappé de la richesse des prix qu'elle distribuait : c'étaient des fleurs d'or et d'argent. Je ne fus pas émerveillé de même de la beauté des pièces qui remportaient ces prix, et il me parut assez facile de faire mieux. Je pensai au plaisir d'envoyer à ma mère de ces bouquets d'or et d'argent, et au plaisir qu'elle aurait elle-même à les recevoir de ma main. De là me vint l'idée et l'envie d'être poète...... J'acquis un exemplaire des odes de Rousseau..... Je me mis à chercher quelque beau sujet d'ode. Celui auquel je m'arrêtai fut celui de l'invention " de la poudre à canon ". Je me souviens qu'elle commençait par ces vers :
            Toi qu'une infernale Euménide
            Pétrit de ses sanglantes mains.                                                  
            Je ne revenais pas de mon étonnement d'avoir fait une ode si belle...... en la mettant au concours, je n'avais aucun doute qu'elle ne remportât le prix. Elle ne l'eut point..... Je fus outré, et, dans mon indignation, j'écrivis à Voltaire, et lui criai vengeance en lui envoyant mon ouvrage. On sait avec quelle bonté Voltaire accueillait les jeunes gens qui s'annonçaient par quelque talent pour la poésie.....  Ce qui me flatta beaucoup plus encore que sa lettre, ce fut l'envoi d'un exemplaire de ses oeuvres, corrigé de sa main, dont il me fit présent. Je fus fou d'orgueil et de joie...... Ainsi commença ma correspondance avec cet homme illustre, et cette liaison d'amitié qui, durant trente-cinq ans, s'est soutenue jusqu'à sa mort, sans aucune altération.
            Je continuai de travailler pour l'académie des Jeux floraux, et j'obtins des prix tous les ans......
          
            Lorsque j'allai demander à l'archevêque de vouloir bien obtenir pour moi ce qu'on appelle un dimissoire pour recevoir les ordres de sa main, je lui trouvai la tête pleine de préventions contre moi :
" Je n'étais qu'un abbé galant tout occupé de poésie, faisant ma cour aux femmes, et composant pour elles des idylles et des chansons, quelquefois même sur la brune allant me promener et prendre l'air au cours avec de jolies demoiselles. " Cet archevêque était la Roche-Aymond, homme peu délicat dans sa morale politique;
mais affectant le rigorisme pour des pêchés qui n'étaient pas les siens, il voulut m'envoyer en faire pénitence dans le plus crasseux et le plus cagot des séminaires. Je reconnus l'effet des bons offices de Goutelongue, et  mon dégoût pour le séminaire de Calvet me révéla, comme un secret que je me cachais à moi-même, le refroidissement de mon inclination pour l'état ecclésiastique.
            Ma relation avec Voltaire, à qui j'écrivais quelquefois en lui envoyant mes essais, et qui voulut bien me répondre, n'avait pas peu contribué à altérer en moi l'esprit de cet état.  
            Voltaire en me faisant espérer des succès dans la carrière poétique, me pressait d'aller à Paris, seule école du goût où pût se former le talent. Je lui répondis que Paris était pour moi un trop grand théâtre, que je m'y perdrais dans la foule ; que d'ailleurs étant né sans bien, je ne saurais qu'y devenir ; qu'à Toulouse je m'étais fais une existence honorable et commode, et qu'à moins d'en avoir une à Paris à peu près semblable, j'aurais la force de résister au désir d'aller rendre hommage au grand homme qui m'y appelait.
            Cependant il fallait bientôt me décider pour un parti. La littérature à Paris, le barreau à Toulouse, ou le séminaire à Limoges...... Je sentis le besoin de consulter ma mère : je ne la croyais point malade, mais je la savais languissante ; j'espérais que ma vue lui rendrait la santé : j'allai la voir.
freelancechristianity.c                      Je laisse mon frère à Toulouse ; et, sur un petit cheval que j'avais acheté, je pars...... Quand je passai devant l'église on disait vêpres, et, en y allant, l'un de mes anciens condisciples, le même qui depuis a épousé ma soeur, Odde, me rencontra..... Hélas ! j'étais bien affligé dans ce moment ! Je venais d'embrasser ma mère, et, à sa maigreur, à sa toux, au vermillon brûlant dont sa joue était colorée, je croyais reconnaître la même maladie dont mon père était mort...... Je pris sur moi autant qu'il me fut possible, pour dissimuler à ma mère la douleur dont j'étais saisi. Elle qui connaissait son mal l'oublia..... J'ai su depuis qu'elle avait exigé du médecin et de nos tantes de me flatter sur son état, et de ne m'en laisser aucune inquiétude......
            L'enchantement où était ma mère de mes succès académiques s'était répandu autour d'elle..... Comme tout le monde venait féliciter ma mère, mademoiselle B. y vint aussi, avec ses soeurs, et selon l'usage, il fallut bien qu'elle permît à l'arrivant de l'embrasser. Mais, au lieu que les autres appuyaient le baiser innocent que je leur donnais, elle s'y déroba en retirant doucement sa joue.....
            De trois semaines que je passai près de ma mère, il me fut impossible de ne pas dérober quelques moments à la nature pour les donner à l'amitié reconnaissante. Ma mère l'exigeait ; et, pour ne pas priver nos amis du plaisir de m'avoir, elle venait assister elle-même aux petites fêtes qu'on me donnait. Ces fêtes étaient des dîners où l'on s'invitait tour à tour......                                                            jbwhips.com
Basterne            Enfin je lui parlai du ralentissement de mon ardeur pour l'état ecclésiastique, et de l'irrésolution où j'étais sur l'état d'un nouvel état. C'est alors qu'elle parut calme et qu'elle me parla froidement.
            - L'état ecclésiastique, me dit-elle, impose essentiellement deux devoirs, celui d'être pieux et celui d'être chaste : on est bon prêtre qu'à ce pris ; et, sur ces deux points, c'est à vous de vous examiner. Pour le barreau, si vous y entrez, j'exige de vous la parole la plus inviolable que vous n'y affirmerez jamais que ce que vous croire vrai, que vous n'y défendrez jamais que ce que vous croirez juste. A l'égard de l'autre carrière que M. de Voltaire vous invite à courir, je trouve sage la précaution de vous assurer à Paris une situation qui vous laisse le temps de vous instruire et d'acquérir plus de talents ; car il ne faut point vous flatter                   
ce que vous avez fait est peu de chose encore. Si M.de Voltaire peut vous la procurer, cette situation honnête, livre et sûre, allez, mon fils, allez courir les hasards de la gloire et de la fortune, je le veux bien ; mais n'oubliez jamais que la plus honorable et plus digne compagne du génie, c'est la vertu......
            Je les fis ces adieux cruels, et ma mère eut dans ce moment un courage au-dessus du mien ; car elle ne se flattait plus, et moi, je me flattais encore.......
          ...... elle me parla de Voltaire. Ce beau présent qu'il m'avait fait d'un exemplaire de ses oeuvres, je le lui avais envoyé : l'édition en était châtiée ; elle les avait lues, elle les relisait encore......
            J'allai donc achever le cours de mes études ; et, comme j'avais pris, à deux fins, mes premières inscriptions à l'école du droit canon, il est vraisemblable que ma résolution ultérieure aurait été pour le barreau. Mais, vers la fin de cette année, un petit billet de Voltaire vint me déterminer à partir pour Paris :
" Venez, m'écrivait-il, et venez sans inquiétude. M. Orri, à qui j'ai parlé, se charge de votre sort., signé,
Voltaire. " Qui était M. Orri ? Je ne le savais point. J'allai le demander à mes bons amis de Toulouse, et je leur montrai mon billet
            - M. Orri ! s'écrièrent-ils ; eh ! cadedis ! c'est le contrôleur-général des finances. Ah ! cher ami, ta fortune est faite ; tu seras fermier-général. Souviens-toi de nous dans ta gloire. Protégé du ministre, il te sera facile de gagner son estime, sa confiance, sa faveur. Te voilà tout à l'heure à la source des grâces. Cher Marmontel, fais-en couler vers nous quelques ruisseaux. Un petit filet du Pactole suffit à notre ambition.
            .......  Je n'eus donc rien de plus presser que de partir : mais, comme mon opulence future ne me dispensait pas dans ce moment du soin de ménager mes fonds, je cherchais les moyens de faire mon voyage avec économie, lorsqu'un président du parlement, M. de Puget, me fit prier de l'aller voir, et me proposa, en termes obligeants, d'aller à frais communs avec son fils en litière à Paris. Je répondis à Monsieur le président que, quoique la litière me parut lente et ennuyeuse, l'avantage d'y être en bonne compagnie compensait ce désagrément ; mais que pour les frais de ma route, mon calcul était fait ; qu'il ne m'en coûterait que quarante écus par la messagerie, et que j'étais décidé à m'en tenir là. Monsieur le président, après avoir inutilement essayé de tirer de moi quelque chose de plus, voulut bien se réduire à ce que je lui offris.....
            Je laissai mon frère à Toulouse..... je donnai pour asile à mon frère le séminaire des Irlandais Je payai un an de sa pension d'avance, et, en l'embrassant, je lui laissai tout le reste de mon argent, n'ayant plus moi-même un écu lorsque je partis de Toulouse ; mais, en passant à Montauban, j'y allais trouver de nouveaux fonds.
patrimoine.edilivre.com
            Montauban, ainsi que Toulouse, avait une académie littéraire qui tous les ans donnait un prix. Je l'avais gagné cette année, et je ne l'avais point retiré. Ce prix était une lyre d'argent de la valeur de cent écus. En arrivant j'allai recevoir cette lyre, et tout d'un temps je la vendis. Ainsi, après avoir payé d'avance au muletier les frais de mon voyage, et bien régalé mes amis, qui, en cavalcade, m'avaient accompagné jusques à Montauban, je me trouvai riche enore de plus de cinquante écus...... Jamais on est allé plus lentement.....
J'étais fait pour trouver des muletiers honnêtes gens. Celui-ci nous faisait une chère délicieuse.....
            Il est vrai que mon compagnon de voyage le payait mieux que moi : aussi voulut-il bien se prévaloir de cet avantage ; mais il ne me trouva pas disposé à l'en laisser jouir.......
            Cependant comme nos entretiens étaient coupés par de longs silences, j'eus le temps de traduire en vers le poème de la " Boucle de cheveux enlevée " amusement dont le produit allait être bientôt pour moi d'une si grande utilité.
            J'avais aussi dans mes rêveries deux abondantes sources d'agréables illusions. L'une était l'idée de ma fortune, et..... l'autre était le tableau fantastique et superbe que je me faisais de cette capitale, où ce que je me figurais de moins magnifique était d'une élégance noble ou d'une belle simplicité. L'une de ces illusions fut détruite dès mon arrivée à Paris ; l'autre ne tarda point à l'être. Ce fut aux bains de Julien que je logeai en arrivant, et dès le lendemain matin je fus au lever de Voltaire.


                                                                                            ............/
                                                                                                     à suivre

           Les jeunes gens........  à



                                                                                                                                             
                                                                                                                                                                                                        livre troisième