mardi 16 décembre 2014

Mémoires d'un père Marmontel ( extraits 2 France )




                                          
                                                            Livre deuxième


               J'ai lieu de croire que, depuis l'examen du préfet de Clermont, les jésuites avaient jeté les yeux sur moi. Deux de mes condisciples, et des plus distingués, étaient déjà dans leurs filets.....          
            Dans le peu de loisirs que j'avais à Clermont je m'étais fait un amusement du dessin ; et, comme j'en avais le goût, l'on m'en supposait le talent. J'avais l'oeil juste et la main sûre, il n'en fallait pas davantage pour l'objet qui me fit appeler un jour auprès du recteur.
            - Mon enfant, me dit-il, je sais que vous vous amuser à dessiner l'architecture, et je vous ai choisi pour me lever un plan  ; c'est celui de notre collège ; examinez bien l'édifice ; et, après en tracé exactement l'enceinte, figurez-en l'élévation. Apportez-y le plus grand soin, car votre ouvrage sera mis sous les yeux du roi.
            Tout fier de cette commission, j'allai m'en acquitter, et j'y mis, comme l'on peut croire, l'attention la plus scrupuleuse ; mais, pour avoir voulu trop bien faire, je fis très mal. L'une des ailes du bâtiment avait un étage, et l'autre aile n'en avait point. Je trouvai cette inégalité choquante, et je la corrigeai en élevant une aile comme l'autre.
            - Eh, mon enfant, qu'avez-vous fait ? me dit le recteur.
            - J'ai rendu, lui dis-je, mon père, l'édifice régulier.
            - Et c'est précisément ce qu'il ne fallait pas. Ce plan est destiné à montrer le contraire, d'abord au père confesseur, et, par son entremise, au ministre et au roi lui-même. Car il s'agit d'obtenir des fonds pour élever l'étage qui manque à l'une des deux ailes.
            Je m'en allai bien vite corriger ma bévue ; et, quand le recteur fut content :
            - Voulez-vous bien, mon père, me permettre, lui dis-je, une observation ? Ce collège qu'on vient de vous bâtir est beau, mais il n'y a point d'église. Vous y dîtes la messe dans une salle basse.......
            Le jésuite sourit de ma naïveté.
            - Votre observation, me dit-il, est très juste ; mais vous avez dû remarquer aussi que nous n'avons point de jardin.
            - Et c'est aussi de quoi je me suis étonné.
            - N'en soyez plus en peine ; nous aurons l'un et l'autre..... Quoi ! vous ne voyez pas en-dehors du fer à cheval qui ferme l'enceinte du collège, vous ne voyez pas cette église des PP. Augustins, et ce jardin dans leur couvent ?
            - Eh bien, mon père ?
            - Eh bien, ce jardin, cette église seront les nôtres ; et c'est la Providence qui semble les avoir placés si près de nous.                                                                                                        
            - Mais, mon père, les Augustins n'auront donc plus ni jardin, ni église ?      betty-my-tripper.tips.com
            - Au contraire, ils auront une église plus belle et un jardin encore plus vaste : nous ne leur ferons aucun mal, à Dieu ne plaise ! et en les délogeant nous saurons les dédommager.
            - Vous délogerez donc les PP. Augustins .
            - Oui, mon enfant, et leur maison sera, pour nos vieillard, une infirmerie, un hospice.....
            - Rien n'est plus juste, assurément ; mais je cherche où vous logerez les PP. Augustins.
            - ....... ils auront le couvent, l'église et le jardin des PP. Cordeliers. N'y seront-ils pas à leur aise.....
            - Fort bien ! Mais que deviennent les PP. Cordeliers ?                          
            - Je me suis attendu à cette question, et il est juste que j'y réponde : Clermont et Mont-Ferrand faisaient deux villes autrefois, maintenant elles n'en font qu'une, et Mont-Ferrand n'est plus qu'un faubourg de Clermont, aussi dit-on Clermont-Ferrand. Or, vous saurez qu'à Mont-Ferrand les Cordeliers ont un couvent superbe ; et vous concevez bien qu'il n'est pas nécessaire qu'une ville ai deux couvents de Cordeliers....... Au reste, mon enfant, ce que je vous confie est encore le secret de la société ; mais vous n'y êtes pas étranger ; et je me plais dès à présent à vous regarder comme étant l'un des nôtres.
            Tel fut, autant qu'il m'en souvienne, ce dialogue où Blaise Pascal aurait trouvé le mot pour rire, et qui ne me parut que sincère et naïf.

            Un muletier d'Aurillac, qui passait sa vie sur le chemin de Clermont à Toulouse, voulut bien se charger de moi. J'allais sur l'un de ses mulets, et lui, le plus souvent à pied, cheminant à côté de moi.
            - Monsieur l'abbé, me dit-il, vous serez obligé de passer chez moi quelques jours, car mes affaires m'y arrêtent. Au nom de Dieu, employez ce temps-là à guérir ma fille de sa folle dévotion. Je n'ai qu'elle, et pas pour un diable elle ne veut se marier. Son entêtement me désole.
            La commission était délicate ; je ne la trouvai que plaisante ; je m'en chargeai volontiers.....
                Je ne fus pas peu surpris lorsqu'en entrant chez lui, je vis une maison commode, bien meublée, d'une propreté singulière, et qu'une espèce de soeur grise, jeune fraîche, bien faite, vint au-devant de Pierre ( c'était le nom du muletier ), et l'embrassa en l'appelant mon père. Le souper qu'elle nous fit servir n'avait pas moins l'air de l'aisance. Le gigot était tendre et le vin excellent. La chambre que l'on me donna avait, dans sa simplicité, presque l'élégance du luxe. Jamais je n'avais été si mollement couché. Avant de m'endormir je réfléchis sur ce que j'avais vu : " Est-ce, dis-je en moi-même, pour passer quelques heures de sa vie à son aise que cet homme en tracasse et consume le reste en de si pénibles travaux. Non, c'est une vieillesse tranquille et reposée qu'il travaille à se procurer, et ce repos, dont il jouit en espérance, le soulage de ses fatigues. Mais cette fille unique qu'il aime tendrement, par quelle fantaisie, jeune et jolie comme elle est, s'est-elle vêtue en dévote ? Pourquoi cet habit gris, ce linge plat, cette croix d'or sur sa poitrine et cette guimpe sur son sein ? Ces cheveux qu'elle cache comme sous un bandeau sont pourtant d'une jolie teinte. Le peu que l'on voit de son cou est blanc comme l'ivoire. Et ces bras ! ils en sont aussi de cet ivoire pur, et ils sont faits au tour ! " Sur ces réflexions je m'endormis, et le lendemain j'eus le plaisir de déjeuner avec la dévote. Elle me demanda obligeamment des nouvelles de mon sommeil.
            - Il a été fort doux, lui dis-je ; mais il n'a pas été tranquille, et les songes l'ont agité. Et vous, mademoiselle, avez-vous bien dormi ?
            - Pas mal, grâce au Ciel, me dit-elle.
            - Avez-vous fait aussi des rêves ?
            Elle rougit, et répondit qu'elle rêvait bien rarement.
            - Et quand vous rêvez, c'est aux anges ?
            - Quelquefois aux martyrs, dit-elle en souriant.
            - Sans doute aux martyrs que vous faites ?
            Moi ! je ne fais point de martyrs.
            - Vous en faites plus d'un, je gage, mais vous ne vous en vantez pas. Pour moi, lorsque dans mon sommeil je vois les cieux ouverts, ce n'est presque jamais qu'aux vierges que je rêve. Je les vois, les unes en blanc, les autres en corset et en jupon de serge grise, et cela leur sied mieux que ne ferait la plus riche parure.  Rien dans cet ajustement simple n'altère la beauté naturelle de leurs cheveux ni de leur teint ; rien n'obscurcit l'éclat d'un front pur, d'une joue vermeille ; aucun pli ne gâte leur taille, une étroite ceinture en marque et en dessine la rondeur. Un bras pétri de lys et une jolie main avec ses doigts de roses sortent, aisément. Mais quelque plaisir que j'aie à voir en songe toutes ces jeunes filles dans le Ciel, je suis un peu affligé, je l'avoue, de les y voir si mal placées.
            - Où les voyez-vous donc placées, demanda-t-elle avec embarras.
            - Hélas ! dans un coin, presque seules, et ( ce qui me déplaît encore bien davantage ) auprès des pères capucins !
            - Auprès des pères capucins ! s'écria-t-elle en fronçant le sourcil/
           - Hélas ! oui, presque délaissées, tandis que des augustes mères de famille, environnées de leurs enfants qu'elles ont élevés, de leurs époux qu'elles ont rendu bienheureux déjà sur la terre, de leurs parents qu'elles ont consolés et réjouis dans leur vieillesse en leur assurant des appuis, sont dans une place éminente, en vue à tout le Ciel, et toutes brillantes de gloire.
            - Et les abbés, demanda-t-elle d'un air malin, où les a-t-on mis ?
            - S'il y en a, répondis-je, on les aura peut-être aussi nichés dans quelque coin éloigné de celui des vierges.
            - Oui, je le crois, dit-elle, et l'on a fort bien fait, car ce serait pour elle de dangereux voisins.
            Cette querelle sur nos états réjouissait le bonhomme Pierre. Jamais il n'avait vu sa fille si éveillée ni si parlante ; car j'avais soin dans mes agaceries de mettre, comme dirait Montaigne, une aigre-douce pointe de gaîté piquante et flatteuse qui semblait la fâcher, et dont elle me savait gré. Son père enfin, la veille de son départ et du mien pour Toulouse, me mena seul dans sa chambre, et me dit :
            - Monsieur l'abbé, je vois bien que sans moi jamais vous et ma fille vous ne seriez d'accord. Il faut pourtant que cette querelle de dévote et d'abbé finisse. Il y a bon moyen pour cela ; c'est de jeter tous les deux aux orties, vous ce rabat, elle ce collet rond, et j'ai quelque doutance que si vous le voulez, elle ne se fera pas longtemps tirer l'oreille pour le vouloir aussi. Pour ce qui me regarde, comme dans le commerce j'ai fait dix ans les commissions de votre brave homme de père et que chacun me dit que vous lui ressemblez, je veux agir avec vous rondement et cordialement.
            Alors, dans les tiroirs d'une commode qu'il ouvrit, me montrant des monceaux d'écus :
            - Tenez, me dit-il, en affaires il n'y a qu'un mot qui serve : voilà ce que j'ai amassé, et que j'amasse encore pour mes petits enfants, si ma fille m'en donne ; pour vos enfants, si vous voulez et si vous lui faites vouloir.
            Je ne dirai point qu'à la vue de ce trésor je ne fus point tenté..... le bonhomme Pierre n'y mettait d'autre condition que de rendre sa fille heureuse.
            - Je continuerai, disait-il, de mener mes mulets ; à chaque voyage, en passant je grossirai ce tas d'écus dont vous aurez la jouissance. Ma vie à moi, c'est le travail et la fatigue. J'irai tant que j'aurai la force et la santé, et, lorsque la vieillesse me courbera le dos et me roidira les jarrets, je viendrai achever de vivre et me reposer près de vous.
            - Ah ! mon bon ami Pierre, qui mieux que vous, lui dis-je, aura mérité ce repos d'une heureuse et longue vieillesse ! Mais à quoi pensez-vous, de vouloir donner pour mari à votre fille un homme qui a déjà cinq enfants !
            - Vous, monsieur l'abbé ! cinq enfants à votre âge  !                        
            - Hélas ! oui. N'ai-je pas deux soeurs et trois frères ? Ont-ils d'autre père que moi ? C'est de mon bien et non pas du vôtre que ceux-là doivent vivre ; c'est à moi de leur en gagner.
            - Et pensez-vous en gagner avec du latin, me dit Pierre, comme moi avec mes mulets ?
            - Je l'espère, lui dis-je, mais au moins ferai-je pour eux tout ce qui dépendra de moi.
            - Vous ne voulez donc pas de ma dévote ? Elle est pourtant gentille, et surtout à présent que vous l'avez émoustillée.
            - Assurément, lui dis-je, elle est jolie, elle est aimable, et j'en serais tenté plus que de vos écus. Mais, je vous le dis, la nature m'a déjà mis cinq enfants sur les bras , le mariage m'en donnerait bientôt cinq autres, peut-être plus, car les dévotes en font beaucoup, et ce serait trop d'embarras.
            - C'est dommage, dit-il : ma fille ne voudra plus se marier.
            - Je crois pouvoir vous assurer, lui dis-je, qu'elle n'a plus pour le mariage le même éloignement. Je lui ai fait voir que dans le Ciel les bonnes mères de famille étaient fort au-dessus des vierges ; et en lui choisissant un mari qui lui plaise, il vous sera facile de lui mettre dans l'âme ce nouveau genre de dévotion.
            Ma prédiction s'accomplit.

            ........ Mon ambition était d'avoir une école de philosophie. Ce fut de quoi je m'occupai.
            Mon âge était toujours le premier obstacle à mes vues....... presque aucun de mes écoliers ne serait moins jeune que moi. Sur cette grande difficulté, je consultai un vieux répétiteur appelé Morin, le plus renommé dans les collèges. Il causa longtemps avec moi, et me trouva suffisamment instruit. Mais le moyen que de grands garçons voulussent être à mon école ! Cependant il lui vint une idée qui fixa son attention.
            - Cela serait plaisant, dit-il en riant dans sa barbe. N'importe, je verrai : cela peut réussir.
            Je fus curieux de savoir quelle était cette idée.
            - Les Bernardins ont ici, me dit-il, une espèce de séminaire où ils envoient de tous côtés leurs jeunes gens faire leurs cours. Le professeur de philosophie qu'ils attendaient vient de tomber malade, et, pour le suppléer jusqu'à son arrivée, ils se sont adressés à moi. Comme je suis trop occupé pour être ce suppléant, ils m'en demandent un, et je m'en vais vous proposer.
            On m'accepta sur sa parole. Mais lorsqu'il m'amena le lendemain, je vis distinctement l'effet du ridicule qui naissait du contraste de mes fonctions et de mon âge. Presque toute l'école avait de la barbe, et le maître n'en avait point. Au sourire un peu dédaigneux.... j'opposai un air froid... je m'informai..... de la règle de leur maison pour le temps des études et pour l'heure des classes ; je leur indiquai quelques livres dont ils avaient à se pourvoir...... Je m'aperçus que, de leur part, une attention sérieuse avait pris la place du ton léger et de l'air moqueur par où elle avait commencé.
            Le résultat de celle que Morin venait d'avoir avec des supérieurs, fut que le lendemain matin j'irais donner ma première leçon.

quizz.biz                                J'étais piqué du sourire insultant que j'avais essuyé en me présentant chez ces moines. Je voulus m'en venger, et voici comment je m'y pris. Il est du bel usage de dicter à la tête des leçons de philosophie une espèce de prolusion qui soit comme le vestibule de ce temple de la sagesse où l'on introduit ses disciples, et qui par conséquent doit réunir un peu d'élégance et de majesté. Je composai ce morceau avec soin ; je l'appris pas coeur ; je traçai et j'appris de même le plan qui devait présenter l'ordonnance de l'édifice, et, la tête pleine de mon objet, je m'en allai gravement et fièrement monter en chaire. Voilà mes jeunes Bernardins assis autour de moi, et leurs supérieurs debout, appuyés sur le dos des bancs, et impatients de m'entendre. Je demande si l'on est prêt à écrire sous ma dictée. On me répond qu'oui. Alors les bras croisés, sans cahier sous les yeux, et, comme en parlant d'abondance, je leur dicte mon préambule, et puis ma distribution de ce cours de philosophie, dont je marque en passant les routes principales et les points les plus éminents.
            Je ne puis me rappeler sans rire l'air ébahi qu'avaient mes Bernardins, et avec quelle estime profonde ils m'accueillirent lorsque je descendis de chaire. Cette première espièglerie m'avait trop bien réussi pour ne pas continuer et soutenir mon personnage....... Morin alla les voir..... il voulut bien me témoigner lui-même sa surprise que cela fut dicté de tête, je lui répondis par une sentence d'Horace que Boileau a traduite ainsi :
            Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement,
            Et les mots, pour le dire, arrivent aisément.
            Ainsi, chez les gascons, je débutai par une gasconnade......
            ...... la fortune vint encore au-devant de moi.
            Il y avait à Toulouse un hospice fondé par les étudiants de la province du Limosin. Dans cet hospice appelé le collège de la Sainte-Catherine, les places donnaient un logement et 200 luvres de revenu, durant les cinq années de grade. Lorsqu'une de ces places était vacante, les titulaires y nommaient au scrutin, bonne et sage institution. Ce fut dans l'une de ces vacances que mes jeune compatriotes voulurent bien penser à moi. Dans ce collège où la liberté n'avait pour règle que le décence, chacun vivait à sa manière ; le portier et le cuisinier étaient payés à frais communs....... cette épargne, qui suivait tous les ans l'accroissement de mon école, devint assez considérable pour commencer à mettre mes parents à leur aise......
            En feuilletant par hasard un recueil des pièces couronnées à l'académie des Jeux floraux, je fus frappé de la richesse des prix qu'elle distribuait : c'étaient des fleurs d'or et d'argent. Je ne fus pas émerveillé de même de la beauté des pièces qui remportaient ces prix, et il me parut assez facile de faire mieux. Je pensai au plaisir d'envoyer à ma mère de ces bouquets d'or et d'argent, et au plaisir qu'elle aurait elle-même à les recevoir de ma main. De là me vint l'idée et l'envie d'être poète...... J'acquis un exemplaire des odes de Rousseau..... Je me mis à chercher quelque beau sujet d'ode. Celui auquel je m'arrêtai fut celui de l'invention " de la poudre à canon ". Je me souviens qu'elle commençait par ces vers :
            Toi qu'une infernale Euménide
            Pétrit de ses sanglantes mains.                                                  
            Je ne revenais pas de mon étonnement d'avoir fait une ode si belle...... en la mettant au concours, je n'avais aucun doute qu'elle ne remportât le prix. Elle ne l'eut point..... Je fus outré, et, dans mon indignation, j'écrivis à Voltaire, et lui criai vengeance en lui envoyant mon ouvrage. On sait avec quelle bonté Voltaire accueillait les jeunes gens qui s'annonçaient par quelque talent pour la poésie.....  Ce qui me flatta beaucoup plus encore que sa lettre, ce fut l'envoi d'un exemplaire de ses oeuvres, corrigé de sa main, dont il me fit présent. Je fus fou d'orgueil et de joie...... Ainsi commença ma correspondance avec cet homme illustre, et cette liaison d'amitié qui, durant trente-cinq ans, s'est soutenue jusqu'à sa mort, sans aucune altération.
            Je continuai de travailler pour l'académie des Jeux floraux, et j'obtins des prix tous les ans......
          
            Lorsque j'allai demander à l'archevêque de vouloir bien obtenir pour moi ce qu'on appelle un dimissoire pour recevoir les ordres de sa main, je lui trouvai la tête pleine de préventions contre moi :
" Je n'étais qu'un abbé galant tout occupé de poésie, faisant ma cour aux femmes, et composant pour elles des idylles et des chansons, quelquefois même sur la brune allant me promener et prendre l'air au cours avec de jolies demoiselles. " Cet archevêque était la Roche-Aymond, homme peu délicat dans sa morale politique;
mais affectant le rigorisme pour des pêchés qui n'étaient pas les siens, il voulut m'envoyer en faire pénitence dans le plus crasseux et le plus cagot des séminaires. Je reconnus l'effet des bons offices de Goutelongue, et  mon dégoût pour le séminaire de Calvet me révéla, comme un secret que je me cachais à moi-même, le refroidissement de mon inclination pour l'état ecclésiastique.
            Ma relation avec Voltaire, à qui j'écrivais quelquefois en lui envoyant mes essais, et qui voulut bien me répondre, n'avait pas peu contribué à altérer en moi l'esprit de cet état.  
            Voltaire en me faisant espérer des succès dans la carrière poétique, me pressait d'aller à Paris, seule école du goût où pût se former le talent. Je lui répondis que Paris était pour moi un trop grand théâtre, que je m'y perdrais dans la foule ; que d'ailleurs étant né sans bien, je ne saurais qu'y devenir ; qu'à Toulouse je m'étais fais une existence honorable et commode, et qu'à moins d'en avoir une à Paris à peu près semblable, j'aurais la force de résister au désir d'aller rendre hommage au grand homme qui m'y appelait.
            Cependant il fallait bientôt me décider pour un parti. La littérature à Paris, le barreau à Toulouse, ou le séminaire à Limoges...... Je sentis le besoin de consulter ma mère : je ne la croyais point malade, mais je la savais languissante ; j'espérais que ma vue lui rendrait la santé : j'allai la voir.
freelancechristianity.c                      Je laisse mon frère à Toulouse ; et, sur un petit cheval que j'avais acheté, je pars...... Quand je passai devant l'église on disait vêpres, et, en y allant, l'un de mes anciens condisciples, le même qui depuis a épousé ma soeur, Odde, me rencontra..... Hélas ! j'étais bien affligé dans ce moment ! Je venais d'embrasser ma mère, et, à sa maigreur, à sa toux, au vermillon brûlant dont sa joue était colorée, je croyais reconnaître la même maladie dont mon père était mort...... Je pris sur moi autant qu'il me fut possible, pour dissimuler à ma mère la douleur dont j'étais saisi. Elle qui connaissait son mal l'oublia..... J'ai su depuis qu'elle avait exigé du médecin et de nos tantes de me flatter sur son état, et de ne m'en laisser aucune inquiétude......
            L'enchantement où était ma mère de mes succès académiques s'était répandu autour d'elle..... Comme tout le monde venait féliciter ma mère, mademoiselle B. y vint aussi, avec ses soeurs, et selon l'usage, il fallut bien qu'elle permît à l'arrivant de l'embrasser. Mais, au lieu que les autres appuyaient le baiser innocent que je leur donnais, elle s'y déroba en retirant doucement sa joue.....
            De trois semaines que je passai près de ma mère, il me fut impossible de ne pas dérober quelques moments à la nature pour les donner à l'amitié reconnaissante. Ma mère l'exigeait ; et, pour ne pas priver nos amis du plaisir de m'avoir, elle venait assister elle-même aux petites fêtes qu'on me donnait. Ces fêtes étaient des dîners où l'on s'invitait tour à tour......                                                            jbwhips.com
Basterne            Enfin je lui parlai du ralentissement de mon ardeur pour l'état ecclésiastique, et de l'irrésolution où j'étais sur l'état d'un nouvel état. C'est alors qu'elle parut calme et qu'elle me parla froidement.
            - L'état ecclésiastique, me dit-elle, impose essentiellement deux devoirs, celui d'être pieux et celui d'être chaste : on est bon prêtre qu'à ce pris ; et, sur ces deux points, c'est à vous de vous examiner. Pour le barreau, si vous y entrez, j'exige de vous la parole la plus inviolable que vous n'y affirmerez jamais que ce que vous croire vrai, que vous n'y défendrez jamais que ce que vous croirez juste. A l'égard de l'autre carrière que M. de Voltaire vous invite à courir, je trouve sage la précaution de vous assurer à Paris une situation qui vous laisse le temps de vous instruire et d'acquérir plus de talents ; car il ne faut point vous flatter                   
ce que vous avez fait est peu de chose encore. Si M.de Voltaire peut vous la procurer, cette situation honnête, livre et sûre, allez, mon fils, allez courir les hasards de la gloire et de la fortune, je le veux bien ; mais n'oubliez jamais que la plus honorable et plus digne compagne du génie, c'est la vertu......
            Je les fis ces adieux cruels, et ma mère eut dans ce moment un courage au-dessus du mien ; car elle ne se flattait plus, et moi, je me flattais encore.......
          ...... elle me parla de Voltaire. Ce beau présent qu'il m'avait fait d'un exemplaire de ses oeuvres, je le lui avais envoyé : l'édition en était châtiée ; elle les avait lues, elle les relisait encore......
            J'allai donc achever le cours de mes études ; et, comme j'avais pris, à deux fins, mes premières inscriptions à l'école du droit canon, il est vraisemblable que ma résolution ultérieure aurait été pour le barreau. Mais, vers la fin de cette année, un petit billet de Voltaire vint me déterminer à partir pour Paris :
" Venez, m'écrivait-il, et venez sans inquiétude. M. Orri, à qui j'ai parlé, se charge de votre sort., signé,
Voltaire. " Qui était M. Orri ? Je ne le savais point. J'allai le demander à mes bons amis de Toulouse, et je leur montrai mon billet
            - M. Orri ! s'écrièrent-ils ; eh ! cadedis ! c'est le contrôleur-général des finances. Ah ! cher ami, ta fortune est faite ; tu seras fermier-général. Souviens-toi de nous dans ta gloire. Protégé du ministre, il te sera facile de gagner son estime, sa confiance, sa faveur. Te voilà tout à l'heure à la source des grâces. Cher Marmontel, fais-en couler vers nous quelques ruisseaux. Un petit filet du Pactole suffit à notre ambition.
            .......  Je n'eus donc rien de plus presser que de partir : mais, comme mon opulence future ne me dispensait pas dans ce moment du soin de ménager mes fonds, je cherchais les moyens de faire mon voyage avec économie, lorsqu'un président du parlement, M. de Puget, me fit prier de l'aller voir, et me proposa, en termes obligeants, d'aller à frais communs avec son fils en litière à Paris. Je répondis à Monsieur le président que, quoique la litière me parut lente et ennuyeuse, l'avantage d'y être en bonne compagnie compensait ce désagrément ; mais que pour les frais de ma route, mon calcul était fait ; qu'il ne m'en coûterait que quarante écus par la messagerie, et que j'étais décidé à m'en tenir là. Monsieur le président, après avoir inutilement essayé de tirer de moi quelque chose de plus, voulut bien se réduire à ce que je lui offris.....
            Je laissai mon frère à Toulouse..... je donnai pour asile à mon frère le séminaire des Irlandais Je payai un an de sa pension d'avance, et, en l'embrassant, je lui laissai tout le reste de mon argent, n'ayant plus moi-même un écu lorsque je partis de Toulouse ; mais, en passant à Montauban, j'y allais trouver de nouveaux fonds.
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            Montauban, ainsi que Toulouse, avait une académie littéraire qui tous les ans donnait un prix. Je l'avais gagné cette année, et je ne l'avais point retiré. Ce prix était une lyre d'argent de la valeur de cent écus. En arrivant j'allai recevoir cette lyre, et tout d'un temps je la vendis. Ainsi, après avoir payé d'avance au muletier les frais de mon voyage, et bien régalé mes amis, qui, en cavalcade, m'avaient accompagné jusques à Montauban, je me trouvai riche enore de plus de cinquante écus...... Jamais on est allé plus lentement.....
J'étais fait pour trouver des muletiers honnêtes gens. Celui-ci nous faisait une chère délicieuse.....
            Il est vrai que mon compagnon de voyage le payait mieux que moi : aussi voulut-il bien se prévaloir de cet avantage ; mais il ne me trouva pas disposé à l'en laisser jouir.......
            Cependant comme nos entretiens étaient coupés par de longs silences, j'eus le temps de traduire en vers le poème de la " Boucle de cheveux enlevée " amusement dont le produit allait être bientôt pour moi d'une si grande utilité.
            J'avais aussi dans mes rêveries deux abondantes sources d'agréables illusions. L'une était l'idée de ma fortune, et..... l'autre était le tableau fantastique et superbe que je me faisais de cette capitale, où ce que je me figurais de moins magnifique était d'une élégance noble ou d'une belle simplicité. L'une de ces illusions fut détruite dès mon arrivée à Paris ; l'autre ne tarda point à l'être. Ce fut aux bains de Julien que je logeai en arrivant, et dès le lendemain matin je fus au lever de Voltaire.


                                                                                            ............/
                                                                                                     à suivre

           Les jeunes gens........  à



                                                                                                                                             
                                                                                                                                                                                                        livre troisième
    

                                  
            

         
                                      

dimanche 14 décembre 2014

Flash Mots d'auteurs et autres 3 Paul Léautaud ( France )



                            Extraits
                                                                                                                                6 mai 1903

            Ce n'est pas brillant, moi dans la littérature tout à fait. D'abord je n'arrive pas à m'y mettre tout à fait. Ce qu'on fait autour de moi ne m'intéresse pas assez. Je m'en aperçois de plus en plus : une seule chose m'intéresse : moi, ce qui se passe en moi, ce que j'ai été, ce que je suis devenu, mes idées, mes souvenirs, mes projets, mes craintes, toute ma vie. Après cela je peux tirer la ficelle.......


                                                                  ******************

                                                                                                                   Lundi 4 janvier 1904

            ...... Ce Chinois habite boulevard de la Madeleine, non loin de l'Olympia. Je lui demande un soir pourquoi il ne circule pas dans son costume national, avec sa natte dans le dos, selon la coutume de son pays ( il la porte roulée sous son chapeau ). Il me dit : " Je sortais ainsi dans les premiers temps. J'ai dû renoncer. Sur le boulevard, toutes les femmes me tiraient sur la queue. "
            J'ai dû lui expliquer l'équivoque d'un pareil propos......


                                                                    *******************

                                                                                                             Vendredi 22 décembre 1905

            ......... rien ne me fera céder là-dessus, sur ce sentiment que j'ai, ridicule si l'on veut, et que je garderais même si j'étais marié, à savoir que je trouve ridicule ces gens de lettres qui traînent leur femme partout avec eux. Ce que j'ai écrit, ce que je veux écrire avant tout, et ce que j'ai écrit et ce que je veux écrire n'a pas le ton d'un homme marié. Je puis avoir une maîtresse, une amie, même une amie éternelle, oui mais une épouse ! Tout serait démoli.


                                                                 _______________________


                                                                                                                                                      

samedi 13 décembre 2014

Flash Mots d'auteurs et autres 2 Paul Léautaud ( France )




                                    Extraits
                                                                                                        29 mars 1901

            Été revoir au Cimetière Montmartre la tombe de Stendhal pour le remercier de
" Lucien Leuwen ".

                                                         ******************

                                                                                                         12 janvier 1903

            ..... Nous nous sommes dit : " au revoir ", elle avec bonne santé, je veux dire très tranquillement.
           - Ah ! la vie est bête, dit-elle à un moment.
           - Non, lui répondis-je, non la vie n'est pas bête. Elle est moqueuse, voilà tout. Elle s'amuse à nous présenter le bonheur  ---- et à nous le retirer aussitôt.........

                                                        ********************

                                                                                                         18 février 1903

            ....... Ce matin, a paru aussi " Vérité ", l'épais et lourd roman de Zola. Il en est déjà au 
quarante et unième mille........
            ....... Question grave : que pense le passant qui s'arrête, prend " Le petit ami " , le feuillette, lit çà et là, et le repose ?

                                                          ********************

                                                                                                            24 février 1903

            ...... J'avais rendez-vous à cinq heures avec Valette. En allant à la gare Saint-Lazare, je lui ai mis à la poste une carte postale:
                  " Cher Monsieur, 
                     Excusez-moi. Je ne pourrai pas venir ce soir. Il me faut retourner à Courbevoie. Mon père ne va pas mieux. Il va même plus mal. C'est la fin certainement. Quelle singulière idée pour un Mardi gras de s'habiller en mort.
                                                                                           Cordialement à vous. "


                                                               ___________________

                                                                                                                






                     

vendredi 12 décembre 2014

Flash - Mots d'auteurs et autres 1 Paul Léautaud

Détails sur le produit
                                     -  Extraits -

                                                                                     29 novembre 1898 

            Valéry est venu ce soir, chez moi, après dîner, me chercher pour aller nous promener. Pendant que je me préparais, il a pris une feuille de papier, et y a écrit :

                                                                                       Conte

                                                                                                 à Paul Léautaud

            Il y avait une fois un écrivain, - qui écrivait.

                                                                                        Valéry

                                                  ************************

                                                                                            2 juillet 1899

            La phrase doit être entière, d'une seule ligne, je veux dire non coupée par des point et virgule, ponctuation qui ne correspond à rien : autant commencer une autre phrase.....                                                            

                                                        ________________________
                                

            

Anecdotes et Réflexions d'hier pour aujourd'hui journal 38 Samuel Pepys ( Angleterre )




                                                                                             *** 1661 ***

            Depuis la fin de l'année dernière et le début de cette année J'habite une des maisons qui dépendent du bureau de la Marine, étant parmi les officiers du premier rang, et ce depuis près de six mois. Après bien des déboires avec les ouvriers, me voici presque installé. Dans ma maison habitent, outre moi-même, ma femme, Jane, William Hewer et Wayneman, le frère de ma servante.
            Je continue à être en bonne santé, dans une situation très confortable et florissante. Dieu en soit loué!
J'invite ma soeur Paulina à venir vivre chez moi. Pour ce qui est des affaires de l'Etat, le roi est installé et aimé de tous. Le du d'York a récemment épousé la fille du lord chancelier, ce qui déplaît à beaucoup. La reine est prête à retourner en France avec la princesse Henriette. Mort récente de la princesse d'Orange dont nous venons de prendre le deuil.
            Nous connûmes dernièrement la frayeur d'un grand complot suivi de nombreuses arrêstations, et cette frayeur n'est pas encore tout à fait dissipée. Le Parlement qui rendit tant de services au roi, commençant à se montrer factieux, a été dissous par le roi le 29 décembre dernier. On en choisira sans doute un autre bientôt.
            Je me pense maintenant riche de 300 livres net, en argent, tous mes biens payés, mes dettes acquittées. Donc plus rien à devoir.


                                                                                                                1er Janvier 1661

            Reçu ce matin la visite de Mr Moore. Il m'a apporté les derniers papiers à signer pour le mois écoulé et me dit, à mon grand plaisir, que les gratifications seront de 80 livres net pour moi, et d'environ 25 pour lui, obtenues pour des pardons, bien que je n'aie droit aucune gratification à ce titre.
            Viennent ensuite mon frère Thomas puis mon père, le Dr Thomas Pepys, mon oncle Fenner et ses deux fils ( le fils unique d'Anthony est mort ce matin, mais il m'a fait la civilité de venir et s'est montré assez enjoué ) pour le déjeuner. Je leur offre une bourriche d'huîtres, un plat de langue de boeuf, un autre d'anchois, des vins de toutes sortes et de la bière blonde de Northdown. Nous nous sommes bien divertis jusqu'à 11 heures environ, puis ils sont partis.                                                   recette.de
            A midi j'emmenai ma femme en voiture chez mon cousin Thomas Pepys ; nous y dînâmes avec mon père, le Dr Thomas, le cousin Strudwick, Scott et leurs femmes. J'y vis sa seconde femme pour la première fois, femme fort respectable. Mais le dîner qu'il nous offrit, piètre et médiocre pour un homme de son rang -en fait de nourriture rien que de très ordinaire. Le roi dîna aujourd'hui deux portes plus loin, chez un lord. Après le diner avec ma femme à Whitehall. Je l'envoyai chez Mrs Pearse ( où nous étions censés dîner aujourd'hui ) et je me rendis au Sceau Privé, d'où Mr Moore sortit tout l'argent qui lui revenait, ensuite chez Mr Pearse ( vu en chemin le duc d'York accompagnant sa femme, qui rendait visite à la reine, la première depuis la grande affaire. On dit que la reine la reçoit maintenant avec beaucoup de respect et d'affection ). Là, il calcula le montant des gratifications et moi je comptai l'argent. A cette occasion un sac de 100 livres dont j'avais fini le compte se répandit dans la pièce. Je crains fort d'avoir perdu de l'argent que nous avions compté.
            Cette affaire réglée, je quittai mes amis et me rendis chez milord, mais, comme il n'était pas rentré, je laissai l'argent en dépôt auprès de Mr Shipley, dis bonsoir à Mr Moore et retournai chez Mrs Pearse, où je soupai avec eux, ainsi que Mr Pearse, le commissaire de la Marine, sa femme et la mienne, d'une tête de veau grillée, mais si peu cuite que nous ne pûmes la manger, et d'une bonne poule. Mais c'est une telle souillon que je n'aime pas ce qu'elle prépare.
            Après le souper, je les mis en voiture et retournai chez milord, où je jouai au jeu de la bête jusqu'à minuit, avec John Goods et Ned Osgood. Puis dormis avec Mr Shipley.


                                                                                                               2 Janvier 1661

            Levé de bonne heure et, appelé chez milord, reçus de nombreuses recommandations pour ses affaires : écrire à mon oncle qu'il faudrait mettre sous clef les papiers de Mr Barnwell pour le cas où il viendrait à mourir, car on le croit très malade. Egalement s'entendre avec Mr W. Montagu pour verser les
4 000 livres par an promises par le roi à milord, et faire en sorte que Mr George Montagu fût choisi pour la circonscription de Huntington aux prochaines élections du Parlement, etc.
gretagarbure.com
            Après cela, nous nous  rendîmes à l'embarcadère de Whitehall. Il prit le bateau pour Lambeth et de là une voiture une voiture pour Portsmouth.
            Les bagages de la reine avaient été rassemblés dans la cour d'honneur de Whitehall, prêts à être expédiés, et sa Majesté prête à partir une heure après à Hampton Court ce soir, pour être à Portsmouth samedi prochain.
            Me rendis à mon bureau par le fleuve et y restai toute la matinée puis revins dîner à la maison. Je vis que ma soeur Pall était arrivée, mais je ne la laisse pas s'asseoir à ma table. Je fais cela d'emblée, afin qu'elle n'attende pas de moi cette faveur. Après dîner partis à Westminster en bateau, trouvai mon collègue Spicer qui dînait à la taverne de la Jambe avec les gens de l'Echiquier ( dont la plupart me sont inconnus ). Je restai boire avec eux puis chez Mr George Montagu pour l'affaire de l'élection. Il me donna une pièce d'or d'une livre. Ensuite chez milord. Je fis porter le coffre d'argenterie à l'Echiquier et mon collègue Spicer le mit au Trésor. Nous allâmes boir une chope de bière chez Will, puis nous nous quittâmes.
            Je fis le tour de la Grande Salle du Palais et achetai les discours prononcés par le roi et le chancelier à la dissolution du Parlement samedi dernier.
            Passéi chez milord où je pris l'argent que j'avais laissé hier soir, ainsi que les chandeliers d'argent. Retour en voiture, au passage les déposai chez l'échevin Backwell, car je n'en avais pas l'emploi, et emportai l'argent chez moi. Un homme se tenait debout près de notre porte alors que je rentrai avec l'argent, qui m'aperçut, ce qui m'inquiéta quelque peu.
            Montai dans mon cabinet de travail où j'écrivis des lettres et expédiai d'autres affaires.
            Je donnai aujourd'hui à sir William Battenet au capitaine Rider mon échine de boeuf pour le dîner de demain à Trinity House. Le duc d'Albermarle sera présent ainsi que tous les autres confrères, car c'est un grand jour où lecture sera donnée de la nouvelle charte que le roi leur a octroyée.


                                                                                                                    3 janvier

            Ce matin, de bonne heure, me suis rendu à l'Echiquier, où j'ai compté l'argent de milord et le mien qui s'y trouve, soit 970 livres selon mes calculs. Allé ensuite chez Will, où Spicer et moi dînons d'un jambon rôti. Après quoi au théâtre où l'on donnait L'arbre aux mendiants, fort bien joué. Je vis là, pour la première fois, des femmes sur scène. Puis chez mon père où j'apprends que ma mère est partie pour Brampton dans la voiture de Bird, le transporteur, sur les instances de mon oncle, ma tante étant maintenant dans un état désespéré. Retour chez moi.


                                                                                                                         4 janvier
                                                                                                                                       Ben Johson 
            Au bureau toute la matinée, ma femme et Pall étant parties chez mon père préparer le dîner pour Mr Honywood, car ma mère avait quitté Londres. Dîné à la maison en compagnie de Mr Moore, avec qui je m'étais rendu de bonne heure ce matin au bureau des Joyaux de Whitehall, afin de choisir une pièce de vermeil pour milord, en échange du cadeau qu'il fît au roi. C'est semble-t-il habituel à ce moment de l'année, et un comte donne au roi une bourse de vingt pièces d'or. Je choisis une chope en vermeil pesant 31 onces et demie. Comme il a droit à 30 onces, je payai 12 shillings l'excédent d'une once et demie. Mais ce qui me surprit en ce lieu, c'est le grand nombre de petites gratifications qui me furent réclamées par une foule de gens. C'est ainsi, semble-t-il, que les gens de cour acquièrent leur bien.  
            Après dîner, théâtre avec Mr Moore, "La belle dédaigneuse ", très bien jouée, première pièce qu'il ait jamais vue. De là partis boire une chope de bière avec lui aux Colonnes d'Hercule, puis nous nous quittâmes. J'allai voir mon père qui, en passant, me dit que William et Mary Joyce mènent ensemble une drôle de vie, ne font que se battre, etc., si bien que le père de Mary songe parfois à les faire divorcer. Rentré ensuite chez moi.


                                                                                                                           5 janvier 1661

            A la maison toute la matinée. Plusieurs vinrent me voir pour affaires, entre autres le grand Thomas Fuller, venu me demander une faveur pour un de ses amis qui aimerait partir pour la Jamaïque avec les deux navires qui s'y rendent, ce que je promis d'arranger.
            A Whitehall chez milady, que je trouvai en train de dîner. Je mangeai avec elle et restai parler tout l'après-midi. Me rendis après, à pied, dans la Grand-Salle de Westminster, puis chez Will, où je pris un verre avec Spicer. Retour ensuite chez moi en voiture, après un petit arrêt à l'enclos de Saint-Paul pour commander des reliures pour Les Fables d'Esope d'Ogilby et Les Offices de Cicéron. Retour chez moi.


                                                                                                                               6 Janvier
                                                                                                             Jour du Seigneur et fête des Rois
            Avec ma femme à l'église ce matin, puis rentré dîné chez moi d'un gigot bouilli, tout seul.
            Retour à l'église où, avant le sermon, on donna à chanter un long psaume qui dura une heure, pendant laquelle le sacristain fit la quête dans tous l'église pour recueillir la contribution annuelle.
            Chez moi après le sermon. J'allai dans mon cabinet où j'écrivis une lettre à expédier à Mr Coventry pour accompagner une pièce d'argenterie. J'en garde copie avec mes autres lettres.
            Après quoi souper, puis au lit après la prière.


                                                                                                                                7 janvier

            Ce matin j'appris au lit que les fanatiques avaient causé un grand émoi dans la Cité, qu'ils s'étaient soulevés et avaient tué six ou sept hommes, mais s'étaient tous enfuis. Le lord-maire et toute la Cité sont en armes, soit plus de 40 000 hommes. Au bureau et après cela parti dîner, mon frère me rejoignit et dîna avec moi. Après le repas, laissai 12 pence à mes domestiques pour qu'ils s'achètent un gâteau, car c'est aujourd'hui la fête des Rois, j'allai avec Tom et ma femme au théâtre. Nous y vîmes La femme silencieuse.
Première fois que je voyais cette pièce, au demeurant excellente. Entre autres réussites, Kynaston, le jeune garçon, tient avec talent trois rôles différents, apparaissant d'abord sous les traits d'une pauvresse en vêtements ordinaires pour plaire à Morose, puis parée des riches habits d'une femme du monde, ainsi vêtue c'était de loin la plus jolie femme de la salle, et pour finir en homme, là encore le plus bel homme de la salle. Après le théâtre, avec un flambeau jusque chez mon cousin Strudwick où étaient déjà mon père, le Dr Pepys, Scott et sa femme, ainsi qu'un certain Mr Ward et la sienne. Après un bon souper, on nous sert un excellent gâteau. La fève de la reine ayant été coupée il y eut deux reines, ma femme et Mrs Ward. Comme on avait perdu le roi, ils choisirent le docteur comme roi, aussi lui demandâmes-nou de commander du vin. Après quoi retour à la maison. En chemin, nous fûmes à plusieurs reprises soumis à des contrôles très sérieux, plus fréquents qu'aux pires moments, car on craint fort une nouvelle insurrection des fanatiques. Pour le moment, je n'ai pas entendu dire qu'on en air arrêté.
            Arrivés chez nous par un beau clair de lune à minuit passé. Une fois de retour, nous constatons que mes gens se sont bien divertis, et ma femme m'apprend plus tard qu'elle a entendu dire qu'ils ont invité le jeune Davis et d'autres voisins pour s'amuser, mais rien de mal.


                                                                                                                      8 janvier

            Ma femme et moi faisons aujourd'hui la grasse matinée et la passons agréablement à causer et à bavarder. Arrivée de Mr Warren, alors que j'étais levé. Nous nous mettons d'accord sur les cadeaux destinés à milord. Puis Will et moi allons à Wesminster où je dînai avec milady. Après le dîner j'emmenai lord Hinchingbrooke et Mr Sidney au théâtre et leur fis voir La veuve, pièce honnête, mais gâchée par les hésitations des actrices qui connaissaient mal leur rôle. Après cela, pris la voiture de milord, laquelle nous attendait. Retour chez milady qui me fit boire du vin de Florence et m'en donna deux bouteilles pour ma femme. Me rendis ensuite à pied chez mon cousin Strudwick où nous arrêtâmes le choix d'une collation et réglâmes d'autres détails en vue de notre réception de jeudi prochain. Ensuite chez Tom Pepys où j'achetai une douzaine d'assiettes, puis retour à la maison.
            On parle aujourd'hui d'une troupe de fanatiques qui aurait été vue de près de Barnett, mais je ne le crois pas.
            Cependant le lord-maire, sir Richard Brown, s'est comporté fort honorablement et a fait jeter à bas une de leurs chapelles à Londres.


                                                                                                                           9 janvier

            Réveillé ce matin vers 6 heures par des gens qui montaient et descendaient précipitamment l'escalier chez Mr Denis et parlaient d'un soulèvement armé des fanatiques dans la Cité. Je me lève donc et je sors. Dans la rue je trouve tout le monde en armes sur le pas de sa porte. Je m'en retourne alors ( sans grand courage pourtant, mais afin de ne pas donner l'impression d'en manquer ) et prends mon épée et mon pistolet, sans toutefois avoir la poudre pour le charger. Je sortis devant ma porte où je rencontrai Sir Richard Ford et partis avec lui au hasard des rues jusqu'à la Bourse, où je le quittai. Chemin faisant, des gens de la milice plein les rues et force histoires terrifiantes sur les méfaits de ces gredins. M'est avis qu'il y a ce matin près d'une douzaine de tués dans
les deux camps. Voyant la Cité dans cet état, les boutiques fermées,            maminicuisine.blogspot.com     l'agitation générale, je retournai chez moi et, comme c'était jour de bureau, restai en réunion jusqu'à midi. Retour chez moi où j'ai dîné en compagnie de mon père. Après le dîner, il voulut à tout prix que je me rende chez mon oncle Wight à qui je n'avais pas rendu visite depuis si longtemps que cela me gênait de le faire. Je le trouvai chez lui avec sa femme. Je vois bien qu'ils ont mal pris mon absence, mais tout cela c'est du passé et nous sommes bons amis. Je restai auprès de ma tante jusqu'à une heure tardive, mon oncle étant sorti pour ses affaires et ma tante ayant fort peur de rester seule. Retour chez moi, à mon luth jusque tard dans la soirée, puis au lit. Toute la nuit, garde vigilante dans la Cité, bien que, dit-on, les ennemis soient pour la plupart tués ou capturés.


                                                                                                                           10 janvier 1661

            Ce matin ma femme et Pall sont sorties de bonne heure. Je suis resté à la maison où vient me trouver Mr Hawley qui m'apporte mon salaire pour mon terme de service à la mer sous les ordres de Downing. Je lui en donnai la moitié et il eut l'élégance de laisser en cadeau à ma servante Jane les 5 shillings de petite monnaie. Nous sortîmes ensemble, nous arrêtant pour prendre des nouvelles de sir William Penn qui m'a l'air très malade, et au Cerceau, près du pont, bûmes deux pintes de vin à l'absinthe et de xéres. Il me dit qu'il a repris sa cour auprès de Mr Lane et qu'il doit bientôt entrer au service de l'évêque de Londres.
            Allé en bateau à Whitehall. Trouvé ma femme chez Mrs Hunt, je l'y laissai dîner et allai dîner avec milady, restant avec elle quelque temps.
            Après dîner, Will vient me dire qu'il a porté à Mr Coventry ma pièce d'argenterie. Il en est charmé, m'envoie une lettre très aimable en me retournant l'argenterie, ce qui me réjouit fort. Chez Mrs Hunt, où je trouve à dîner un Français de ses locataires. Juste au moment où j'arrivais il embrassait ma femme, ce qui me déplut, encore qu'il ne pût y avoir de mal à cela.
            En voiture chez mon oncle Wight avec ma femme. Les trouvant sortis nous rentrâmes à la maison. Après avoir mis quelques papiers en ordre et placé dans un album des lettres que j'ai envie de garder, j'allai voir avec ma femme sir William Penn que nous trouvons encore malade, mais il fait bien des façons. Nous restâmes longtemps à parler avec lui. Arrivent au bout de quelque temps Mr Davis et sa femme, très dépitée que ma femme ne soit encore jamais allée la voir, et nous nous mettons à parler. Mr Davis nous parle des interrogatoires serrés auxquels sont soumis les fanatiques qui sont pris. Voici, en bref, ce qu'il en est.
            " - Ces fanatiques qui ont commis tant de forfaits, à savoir mis en déroute toutes les milices qu'ils ont affrontées, fait fuir la garde du roi, tué une vingtaine d'hommes, forcé par deux fois les portes de la Cité, et tout cela en plein jour, alors que toute la Cité était en armes, n'étaient pas plus de 31, quand nous croyions qu'ils étaient au moins 500, tant il est vrai qu'on les a vus presque partout dans la Cité, qu'ils se sont trouvés deux ou trois jours près de Highgate et en plusieurs autres lieux. Chose inouïe que tant d'audace et de méfaits de la part de si peu d'hommes ! Ils se ralliaient au cri de " Par Christ-Roi et les têtes clouées aux portes ! " Il en est peu qui acceptent qu'on leur fasse quartier, sauf ceux qui ont été capturés de force et gardés vivant, car ils espèrent la venue et le règne du Christ en ce monde et ne doutent pas qu'après leur mort leur oeuvre ne soit malgré tout poursuivie.
            Le roi est venu aujourd'hui en ville.


                                                                                                                           11 janvier
 Molenaer                                                                                                              Jour de bureau
            Aujourd'hui des lettres de Portsmouth nous apprennent que la princesse Henriette est tombée malade de la rougeole à bord du " London " alors qu'elle avait déjà pris la mer avec la reine, si bien qu'elles durent retourner à Portsmouth. Echoué au retour à la suite d'une négligence du pilote, sur le banc de Horse Sand. La reine et elle restent à bord et n'ont pas l'intention de descendre à terre, aussi longtemps que la reine ne sera pas rassurée sur l'état de la jeune princesse. Cette nouvelle donne assurément à penser aux gens, que trois personnes soient, l'une après l'autre, affectées du même mal. Ce matin nous recevons également l'ordre de faire disposer des gardes dans tous les arsenaux du roi, aussi choisissons-nous les homme et leur affectation. Sir William Batten pour Chatham, le colonel Slingsby et moi pour Deptford et Woolwich. Portsmouth étant une garnison n'a besoin de personne.
            Dîné chez moi, mécontent que ma femme ne soigne pas davantage sa mise, maintenant qu'elle a deux servantes. Après dîner, Kate Sterpin, que nous n'avons pas vue depuis longtemps, et son mari viennent nous voir. Je restai un moment avec eux, puis allai au bureau en les laissant avec ma femme.
            Le soir, allai à pied à l'enclos de Saint-Paul commander des livres pour la semaine prochaine, puis au café où je rencontrai le capitaine Morris, marchand de meubles. Il m'aurait volontiers prêté un cheval pour que je lui tienne compagnie dans la garde de la Cité autour du lord-maire. On s'attend en effet à de nouvelles actions de ces gredins, mais je refusai, parce que je quitte Londres demain. Retour chez moi, et au lit.


                                                                                                                            12 janvier
                                                                                                                     Samedi
            En compagnie du colonel Slingsby et d'un de ses amis, le commandant Waters, sourd et plongé dans une mélancolie profonde due, selon le colonel à une déception amoureuse, ce qui rend sa compagnie peu amène, bien qu'il soit d'un bon naturel, allai jusqu'à Rotherhithe par le fleuve, puis à pied jusqu'à Deptford, nos domestiques suivant en bateau. Une fois rendus nous entreprîmes de désigner quatre capitaines pour le commandement des gardes et d'arrêter les emplacements et autres détails. Nous dînâmes au Globe, ayant notre estafette pour assurer le service. Je n'avais jamais jusqu'ici pris conscience de la grande autorité de ma charge, tous les capitaines de l'escadre nous abordent chapeau bas.
            Après m'être entretenu avec le colonel jusqu'à une heure très tardive, j'accompagnai chez lui Mr Davies, garde-magasin dont la femme est malade, je ne pus donc la voir, et fus logé par lui comme un prince, avec tant de respect et d'honneur que c'est à peine si je savais comment me comporter.


                                                                                                                             13 Janvier
                                                                                                                       jan miense molenaer
            Le matin nous nous rendîmes à l'église et prîmes place sur le banc qui nous est réservé. Sermon insipide d'un jeune homme qui n'avait encore jamais prêché. Le commissaire Pett vint avec sa femme et ses filles, l'aînée qui est la fille de sa femme est une très jolie brune. Puis au Globe pour dîner. Je suivis ensuite le commissaire Pett dans le logement qu'il occupe dans cette taverne durant la construction  du yacht du roi. Ce sera un très beau bateau, très supérieur au yacht hollandais. Nous allâmes ensuite, en voiture, avec sa famille à l'église de Greenwich. Bon sermon, belle église et force jolies femmes. Après le sermon, retour à Depton où nous nous attardâmes chez le commissaire et à la taverne du Globe. Je rentrai me coucher chez Mr Davies, mais, à peine au lit, une alerte nous remet debout. Le contrôleur nous rejoint à l'arsenal, aiinsi que les marins de tous les vaisseaux présents au port. Nous les armons, chacun reçoit une pique qu'il brandit avec un air aussi féroce que possible? Nous apprenons que finalement il ne s'agissait que de cinq ou six cavaliers qui, sans s'arrêter, auraient passé la garde postée en ville, aurait tiré sur eux, selon certains. Mais tout étant calme, nous ordonnons aux marins de remonter à bord et retournons tous au lit. Je m'attardai un moment avec Mr Davies dans son cabinet qui est rempli de bons livres et de quelques bons recueils de chansons.


                                                                                                                               14 janvier

            Les armes étant arrivées de la Tour ce matin nous les fîmes distribuer. Je visitai longuement l'arsenal, en long, en large avec le lieutenant Lambert et il me donna de nombreux éclaircissements sur ce qui s'y fait. Il
m'accompagna et dîna avec nous. Après dîner, Mrs Pett, son mari s'étant rendu ce matin à Chatham avec sir William Batten, nous prêta sa voiture jusqu'à Woolwich. Nous distribuâmes là aussi les armes et postâmes les gardes. Allés chez Mr Pett, le charpentier de la marine, et y soupâmes. Il nous traita fort bien. L'élégance des maisons appartenant à tous les officiers des arsenaux, est étonnante. Sa femme est une personne comme il faut, qui fut belle et a encore la main fort jolie.
            Après cela j'accompagnai Mr Ackworth chez lui. Il a une fort belle maison et une femme comme il faut et très jolie. Nous conversâmes tous trois dans ma chambre,. Eux partis je me mis au lit, lui aussi très beau, très confortable.


                                                                                                                        15 janvier
molenaer
            Ai parcouru l'arsenal en tous sens pendant toute la matinée et vu les matelots à l'exercice, qu'ils font déjà fort joliment.
            Puis dîner chez Mr Ackworth. Un certain capitaine Bethel, ami du contrôleur de la Marine, se joignit à nous. Bon dîner, très bien servi. Puis, prenant congé des officiers de l'arsenal, nous nous rendîmes à pied au bord de la mer et entrâmes en passant à la corderie où je jetai un oeil aux goudronneries et autres ateliers, m'intéressant de près aux diverses opérations qui entrent dans la fabrication des câbles.
            Après une coupe de vin chaud à la taverne du coin, nous prîmes le canot jusqu'à Blackwell pour visiter le bassin et la nouvelle darse qu'on vient de construire, ainsi qu'un beau vaisseau marchand tout neuf que l'on doit bientôt lancer et qui s'appellera, dit-on le " Royal Oak ".
            A pied jusqu'à Duke Shore, puis à la Tour et retour chez moi où je trouve ma femme et Pall sorties. Je me rendis chez sir William Penn où je trouvai Mr Coventry, ce qui me donna l'occasion de le remercier, il me fit de son côté force amabilités. Je m'attardai auprès de sir William Penn après le départ de Mr Coventry et eus avec lui une longue conversation. Je m'aperçus qu'il n'y a guère de sympathie entre les officiers de la Marine, mais je reste en rapport avec tous, autant que je peux. Sir William Penn est encore très malade, comme la dernière fois que je le vis. Retour chez moi où ma femme n'est toujours pas rentrée. Je montai mettre de l'ordre dans mes papiers. Très contrarié que ma femme ne soit toujours pas rentrée, car dix heures sonnent au moment où j'écris cette dernière ligne.
            J'apprends aujourd'hui que la princesse est remise. Le roi s'est rendu cet après-midi à Deptford voir le yacht que construit le commissaire Pett, et qui sera très beau, comme aussi celui que construit son frère à Woolwich.
            Sur ces entrefaites arrive mon petit valet qui me dit que sa maitresse couche cette nuit chez Mrs Hunt
très malade. Là-dessus un peu rassuré, je me mets au lit.


                                                                                            ( à suivre .... 16 janvier )

            J'allai......./
                                                                                                 

         



lundi 8 décembre 2014

Rien d'autre James Salter ( roman EtatsUnis )


Et rien d'autre

                                                     
                                                      Et Rien d'autre

            1944 " .... Dans le Pacifique la guerre ne ressemblait pas à ce qui se passait ailleurs... les distances étaient énormes...." le sous-lieutenant se souviendra de ces moments 40 ans plus tard. Okinawa, les îles Salomon et Guadalcanal. Bowman rescapé de ces batailles meurtrières retrouve la vie civile, sa mère, son oncle Franck et arrive adroitement à se faire admettre à Harvard. Il pense étudier la biologie, il devient journaliste, entre dans une maison d'édition, devient éditeur.Son parcours professionnel lui permet de vivre dans la ville où il est né, à Manhattan. Son père absent, sa mère institutrice craint pour son fils la première union avec Vivian, fille d'un riche propriétaire terrien. " Bowman était heureux, ou croyait l'être... cette fille superbe était à lui. Il s'imaginait la vie comme un long fleuve tranquille... " Ils ne connaissent rien aux livres, à la littérature, mais montent, font courir leurs chevaux, du côté de Washington. Bowman rencontre du monde, il y a les personnages autour de Vivian, puis d'autres attachés à sa famille, à des rencontres imprévues. Les chapitres, d'une écriture riche, rapide, nous plongent d'une vie dans une autre, pour bien sûr toujours revenir à Bowman, autour des femmes toujours belles et assez jeunes, parfois troubles, à l'exception de sa mère qui vieillit, perd un peu la tête. Il y a des avions, des accidents, des familles blessées. Mais l'auteur dédramatise, note les faits, sans extravagance, et le lecteur, comme l'auteur, est pressé de tourner les pages. " Qu'étaient devenus ses camarades ? Ils faisaient des affaires. Un jour sa mère ne le reconnut pas, il lui dit " - Je ne suis peut-être pas Philip, mais je suis un très bon ami à toi. Elle parut l'accepter. " Philip Bowman voyage avec l'une ou l'autre, en Grèce " .... il songea à Maria Callas, aux armateurs, à ce vin blanc avec ce goût de résine de pin, la mer Egée... " Il loue des maisons à la campagne où éditeur il lit des livres, nage dans des mers agitées et froides. " Il arrivait exactement ce en quoi on croyait, disait sa mère... " A soixante ans il s'interroge " ... combien de temps il lui reste à vivre... tout ce qu'il avait vécu serait englouti avec lui... " Les scènes de sensualité, " ces maisons, la mer ". Mais la vie est là, il attend une nouvelle aventure et réaliste "... il se pencha pour regarder... des jambes qui semblaient être celles d'un vieillard. Il lui faudrait penser à ne pas se promener en short quand Ann serait dans les parages.... " James Salter plusieurs fois primé aux EtatsUnis est considéré comme l'un des plus grands écrivains américains.