lundi 21 décembre 2015

La dot Guy de Maupassant ( Nouvelle France )

Illustration 7, A. Guillaume, « La journée d’une Parisienne », 1907
gss.revues.org

                                                  La Dot

            Personne ne s'étonna du mariage de maître Simon Lebrument avec Mlle Jeanne Cordier. Maître Lebrument  venait d'acheter l'étude de maître Papillon ; il fallait, bien entendu, de l'argent pour la payer ; et Mlle Jeanne Cordier avait trois cent mille francs liquides, en billets de banque et en titres au porteur.
            Maître Lebrument était un beau garçon, qui avait du chic, un chic notaire, un chic province, mais enfin du chic, ce qui était rare à Boutigny-le-Rebours.
            Mlle Cordier avait de la grâce et de la fraîcheur, de la grâce un peu gauche et de la fraîcheur un peu fagotée ; mais c'était, en somme, une belle fille désirable et fêtable.
            La cérémonie d'épousailles mit tout Boutigny sens dessus dessous.
            On admira fort les mariés, qui rentrèrent cacher leur bonheur au domicile conjugal, ayant résolu de faire tout simplement un petit voyage à Paris après quelques jours de tête-à-tête.
            Il fut charmant ce tête-à-tête, maître Lebrument ayant su apporter dans ses premiers rapports avec sa femme une adresse, une délicatesse et un à-propos remarquables. Il avait pris pour devise :
            " Tout vient à point à qui sait attendre ".
Il sut être en même temps patient et énergique. Le succès fut rapide et complet.
            Au bout de quatre jours, Mme Lebrument adorait son mari. Elle ne pouvait plus se passer de lui, il fallait qu'elle l'eût tout le jour près d'elle pour le caresser, l'embrasser, lui tripoter les mains, la barbe, le nez, etc. Elle s'asseyait sur ses genoux, et, le prenant par les oreilles, elle disait ;
            " - Ouvre la bouche et ferme les yeux ".
Afficher l'image d'origineIl ouvrait la bouche avec confiance, fermait les yeux à moitié, et il recevait un bon baiser bien tendre, bien long, qui lui faisait passer de grands frissons dans le dos. Et à son tour il n'avait pas assez de caresses, pas assez de lèvres, pas assez de mains, pas assez de toute sa personne pour fêter sa femme du matin au soir et du soir au matin.
            Une fois la première semaine écoulée, il dit à sa jeune compagne :
            - Si tu veux, nous partirons pour Paris mardi prochain. Nous ferons comme les amoureux qui ne sont pas mariés, nous irons dans les restaurants, au théâtre, dans les cafés-concerts, partout, partout.
            Elle sautait de joie.
            - Oh ! oui, oh! oui, allons-y le plus tôt possible.
            Il reprit :                                                                                                      
            - Et puis, comme il ne faut rien oublier, préviens ton père de tenir ta dot toute prête ; je l'emporterai avec nous et je paierai par la même occasion maître Papillon.
            Elle prononça :
            - Je le lui dirai demain matin.
            Et il la saisit dans ses bras pour recommencer le petit jeu de tendresse qu'elle aimait tant, depuis huit jours.
            Le mardi suivant, le beau-père et la belle-mère accompagnèrent à la gare leur fille et leur gendre qui partaient pour la capitale.
            Le beau-père disait :
            - Je vous jure que c'est imprudent d'emporter tant d'argent dans votre portefeuille.
            Et le jeune notaire souriait.
            - Ne vous inquiétez de rien, beau-papa, j'ai l'habitude de ces choses-là. Vous comprenez que, dans ma profession, il m'arrive quelquefois d'avoir près d'un million sur moi. De cette façon, au moins, nous évitons un tas de formalités et un tas de retards. Ne vous inquiétez de rien.
            L'employé criait :
            - Les voyageurs pour Paris en voiture.
            Ils se précipitèrent dans un wagon où se trouvaient deux vieilles dames.
            Lebrument murmura à l'oreille de sa femme :                                    placedelours.superforum.fr
Résultat de recherche d'images pour "fiacre paris"            - C'est ennuyeux, je ne pourrai pas fumer.
            Elle répondit tout bas :
            - Moi aussi, ça m'ennuie bien, mais ce n'est pas à cause de ton cigare.
            Le train siffla et partit. Le trajet dura une heure, pendant laquelle ils ne dirent pas grand-chose, car les deux vieilles dames ne dormaient point.
            Dès qu'ils furent dans la cour de la gare Saint-Lazare, maître Lebrument dit à sa femme :
            - Si tu veux, ma chérie, nous allons d'abord déjeuner au boulevard ; puis nous reviendrons tranquillement chercher notre malle pour la porter à l'hôtel.
            Elle y consentit tout de suite.
            - Oh oui, allons déjeuner au restaurant. Est-ce loin ?
            Il reprit :
            - Oui, un peu loin, mais nous allons prendre l'omnibus.
            Elle s'étonna :
            - Pourquoi ne prenons-nous pas un fiacre ?
            Il se mit à la gronder en souriant :
            - C'est comme ça que tu es économe, un fiacre pour cinq minutes de route, six sous par minute, tu ne te priverais de rien.
            - C'est vrai, dit-elle un peu confuse.
            Un gros omnibus passait, au trot de trois chevaux. Lebrument cria :
            - Conducteur ! eh ! conducteur !
            La lourde voiture s'arrêta. Et le jeune notaire, poussant sa femme, lui dit très vite :
            - Monte dans l'intérieur, moi, je grimpe dessus pour fumer au moins une cigarette avant mon déjeuner.
            Elle n'eut pas le temps de répondre ; le conducteur, qui l'avait saisie par le bras pour l'aider à escalader le marchepied, la précipita dans sa voiture, et elle tomba, effarée, sur une banquette, regardant avec stupeur, par la vitre de derrière, les pieds de son mari qui grimpait sur l'impériale.
            Et elle demeura immobile entre un gros monsieur qui sentait la pipe et une vieille femme qui sentait le chien.       ebay.fr
Résultat de recherche d'images pour "1900 femmes de paris"            Tous les autres voyageurs, alignés et muets, un garçon épicier, une ouvrière, un sergent d'infanterie, un monsieur à lunettes d'or coiffé d'un chapeau de soir aux bords énormes et relevés comme des gouttières, deux dames à l'air important et grincheux, qui semblaient dire par leur attitude : " Nous sommes ici mais nous valons mieux que ça ", deux bonnes soeurs, une fille en cheveux et un croque-mort, avaient l'air d'une collection de caricatures, d'un musée des grotesques, d'une série de charges de la race humaine, semblables à ces rangées de pantins comiques qu'on abat, dans les foires, avec des balles.
            Les cahots de la voiture ballottaient un peu leurs têtes, les secouaient, faisaient trembloter la peau flasque des joues ; et, la trépidation des roue les abrutissant, ils semblaient idiots et endormis.
            La jeune femme demeurait inerte :
            " - Pourquoi n'est-il pas venu avec moi ? se disait-elle. Une tristesse vague l'oppressait. Il aurait bien pu, vraiment, se priver de cette cigarette.
            Les bonnes soeurs firent signe d'arrêter, puis elles sortirent l'une devant l'autre, répandant une odeur fade de vieille jupe.
            On repartit, puis on s'arrêta de nouveau. Et une cuisinière monta, rouge, essoufflée. Elle s'assit et posa sur ses genoux son panier aux provisions. Une forte senteur d'eau de vaisselle se répandit dans l'omnibus.
            " C'est plus loin que je n'aurais cru ", pensait Jeanne.
            Le croque-mort s'en alla et fut remplacé par un cocher qui fleurait l'écurie. La fille en cheveux eut pour successeur un commissionnaire dont les pieds exhalaient le parfum de ses courses.
            La notairesse se sentait mal à l'aise, écoeurée, prête à pleurer sans savoir pourquoi.
            D'autres personnes descendirent, d'autres montèrent. L'omnibus allait toujours par les interminables rues, s'arrêtait aux stations, se remettait en route.
            " Comme c'est loin ! se disait Jeanne. Pourvu qu'il n'ait pas eu une distraction, qu'il ne soit pas endormi ! Il s'est bien fatigué depuis quelques jours. "
            Peu à peu tous les voyageurs s'en allaient. Elle resta seule, toute seule. Le conducteur cria :
            - Vaugirard !
            Comme elle ne bougeait point, il répéta :
            - Vaugirard !
Paris 15 – La Ruche            Elle le regarda, comprenant que ce mot s'adressait à elle, puisqu'elle n'avait plus de voisins. L'homme dit, pour la troisième fois :
            - Vaugirard !
            Alors elle demanda :
            - Où sommes-nous ?
            Il répondit d'un ton bourru :
            - Nous sommes à Vaugirard, parbleu, voilà vingt fois que je crie.
            - Est-ce loin du boulevard, dit-elle ?
            - Quel boulevard ?
            - Mais le boulevard des Italiens.
            - Il y a beau temps qu'il est passé !
            - Ah ! Voulez-vous prévenir mon mari ?
            - Votre mari ? Où ça ?
            - Mais sur l'impériale.
            - Sur l'impériale ! v'là longtemps qu'il n'y a plus personne.
            Elle eut un geste de terreur.
            - Comment ça ? Ce n'est pas possible. Il est monté avec moi. Regardez bien ; il doit y être !
            Le conducteur devenait grossier                                                                     pinterest.com
Afficher l'image d'origine            - Allons, la p'tite, assez causé, un homme de perdu, dix de retrouvés.         Décanillez, c'est fini. Vous en trouverez un autre dans la rue.
            Des larmes lui montaient aux yeux, elle insista :
            - Mais, monsieur, vous vous trompez, je vous assure que vous vous                                                 trompez. Il avait un gros portefeuille sous le bras.
             L'employé se mit à rire :
             - Un gros portefeuille. Ah ! oui, il est descendu à la Madeleine. C'est                                               égal, il vous a bien lâchée, ah ah ! ah!...
             La voiture s'était arrêtée. Elle en sortit, et regarda, malgré elle, d'un mouvement instinctif de l'oeil, sur le toit de l'omnibus. Il était totalement désert.
   
                                             
                                                                   *****
     

            Alors elle se mit à pleurer et tout haut, sans songer qu'on l'écoutait et qu'on la regardait, elle prononça :
            " - Qu'est-ce que je vais devenir ? "
            L'inspecteur du bureau s'approcha :
            - Qu'y a-t-il ?
            Le conducteur répondit d'un ton goguenard :
            - C'est une dame que son mari a lâchée en route.
            L'autre reprit :
            - Bon, ce n'est rien, occupez-vous de votre service.
            Et il tourna les talons.
            Alors, elle se mit à marcher devant elle, trop effarée, trop affolée pour comprendre elle-même ce qui lui arrivait. Où allait-elle aller ? Qu'allait-elle faire ? Que lui était-il arrivé à lui ? D'où venait une pareille erreur, un pareil oubli, une pareille méprise, une si incroyable distraction  ?
            Elle avait deux francs dans sa poche. A qui s'adresser ? Et, tout d'un coup, le souvenir lui vint de son cousin Barral, sous-chef de bureau à la Marine.
            Elle possédait juste de quoi payer la course du fiacre ; elle se fit conduire chez lui. Et elle le rencontra comme il partait pour son ministère. Il portait, ainsi que Lebrument, un gros portefeuille sous le bras.
            Elle s'élança de sa voiture.
            - Henry ! cria-t-elle.
            Il s'arrêta, stupéfait.                                                                        my-art.com
Résultat de recherche d'images pour "1900 amoureux tableau"            - Jeanne ?... ici ?... toute seule ?... Que faîtes-vous, d'où venez-vous ?
            Elle balbutia, les yeux pleins de larmes.
            - Mon mari s'est perdu tout à l'heure.
            - Perdu, où ça ?
            - Sur un omnibus.
            - Sur un omnibus ?... Oh !...
            Et elle lui conta en pleurant son aventure.
            Il l'écoutait, réfléchissant. Il demanda :
            - Ce matin, il avait la tête bien calme ?
            - Oui.
            - Bon. Avait-il beaucoup d'argent sur lui ?
            - Oui, il portait ma dot.
            - Votre dot ?... tout entière ?
            - Tout entière... pour payer son étude tantôt.
            - Eh bien, ma chère cousine, votre mari, à l'heure qu'il est, doit filer sur la Belgique.
            Elle ne comprenait pas encore. Elle bégayait.
            - Mon mari... vous dîtes ?...
            - Je dis qu'il a raflé votre... votre capital... et voilà tout.
            Elle restait debout, suffoquée, murmurant :
            - Alors c'est... c'est... c'est un misérable !
            Puis, défaillant d'émotion, elle tomba sur le gilet de son cousin, en sanglotant.
            Comme on s'arrêtait pour les regarder, il la poussa tout doucement sous l'entrée de sa maison, et, la soutenant par la taille, il lui fit monter son escalier, et comme sa bonne interdite ouvrait la porte, il commanda:
            - Sophie, courrez au restaurant chercher un déjeuner pour deux personnes. Je n'irai pas au ministère aujourd'hui.
         
            

mercredi 16 décembre 2015

Le sourire d'Angelica Andrea Camillei ( roman Italie )



                                   Le sourire d'Angelica
                    Une enquête du commissaire Montalbano

            A Vigàta, la petite ville sicilienne ressemble étrangement à Porto Empedocle ville natale de Camilleri, Montalbano commissaire depuis... bien des livres peine quelque peu. Ses cinquante huit ans et sa relation ancienne et épisodique avec Livia ne le préparent pas à l'assaut de multiples cambriolages rapprochés dans le temps et dans la même rue. L'une des éventuelles victimes, une jolie jeune femme et ".... il commença à sentir croître en lui.... un puissant sentiment de vergogne.... il sentit que son visage rougissait de honte.... Se comporter avec cette petiote comme un amoureux de 16 ans.... " Fazio son adjoint, jeune et adroit, agit. Et
".... Ses délires de vieux gaga presque sexagénaire.... " s'effaceront pourtant. Toujours à table chez Enzo la plume de Camilleri rappelle à ses lecteurs qu'une enquête Montalbano sans les rougets frits, les aubergines à la parmesane, ne saurait être complète. Et se poursuit cette sombre histoire de vengeance où " .... Angelica.... Tout son être la désirait mais une partie de sa coucourde faisait encore de la résistance.... " Lorsqu'il oublie la jolie jeune femme, dans sa langue bien particulière plus sicilienne qu'italienne, le commissaire " Montalbano je suis " se penche sur les déboires de ses concitoyens qui apparaissent au cours de l'enquête, les ménages entrecroisés, les dettes de jeu et autres. Une histoire, un livre, mais une écriture drôle, naturelle, juste ce que l'on attend d'une enquête Montalbano. Texte parsemé de vers del'Arioste furieux.

mardi 15 décembre 2015

Correspondance Proust Louis d'Albufera t lettres France )

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                                A Louis d'Albufera

                                                                                                      jeudi soir 26 mars 1908

            Je t'écris pour te dire adieu puisque je n'ai pu réussir à passer chez toi et que l'époque que tu me disais être celle de ton départ est à peu près arrivée. Vas-tu par hasard samedi chez les Saussine ? Il est possible si je ne suis pas mal, que j'y aille. Mais je viens de passer par des jours et des nuits de crises si affreuses que je n'ose faire de projets. Notre pauvre Rio Tinto n'est guère brillant. J'ai bien envie de le bazarder quand il sera revenu au cours où je l'ai acheté ( 1750 ). Qu'en penses-tu grand financier ? As-tu vu que dans mes pastiches du Figaro, j'ai parlé de ma déconfiture avec la De Beers ? J'ai presque envie d'acheter de ces manchons de Hella de Rochette ! Mais c'est trop embêtant d'écrire pour donner des ordres de bourse.
            Est-ce que je rêve ou est-ce que tu ne m'envoyais pas porter des lettres autrefois par un jeune télégraphiste qui était apparenté à un quelconque de tes serviteurs ? Dans ce cas tu pourrais m'être utile car pour quelque chose que j'écris j'aurais besoin de connaître un télégraphiste. Tu me diras que je n'ai qu'à parler à ceux qui m'apportent  des dépêches, mais d'abord personne ne m'écrit plus, et ensuite dans mon quartier ce sont tous des enfants en bas âge incapables de donner l'ombre d'un renseignement. Mais les renseignements ( d'ailleurs peu nombreux ) ne me suffisent pas ; c'est surtout de voir un télégraphiste dans l'exercice de ses fonctions, d'avoir l'impression de sa vie. Peu-être le tien ne l'est plus. Dans ce cas il ne servirait à rien mais peut-être a-t-il des amis. Enfin je me recommande à toi et à lui, si je ne confonds pas.
            As-tu toujours de bonnes nouvelles de ton oncle ou cousin, le Duc de Trévise, qui avait été blessé et qui t'avait inquiété. Je n'ai plus jamais su si tes soucis de ce côté avaient été apaisés. Ce n'est d'ailleurs pas le seul côté dont j'aimerais être informé, mais d'un autre aussi d'où il m'est revenu, il y a quelques mois, des paroles fort peu gentilles pour moi. Cela n'empêche pas que moi je reste toujours fidèle et affectueux.
Résultat de recherche d'images pour "rio tinto"            Je ne sais pas si tes amis sont aussi nomades que les miens, mais j'en ai en Chine, aux Indes, en Egypte, en Tunisie, au Japon, partout Dieu merci excepté à Paris ! Toi seul cher Louis serais le bienvenu si nous pouvions nous joindre, mais hélas une fatalité nous sépare. Je te souhaite un moins triste séjour à Nice que l'année dernière. Ne crois-tu pas que tu ferais bien d'y prendre certaines précautions, et, dans le cas où il y a des moustiques ( ce que j'ignore ) de prendre dès ton arrivée vingt-cinq centigrammes de bromohydrate de quinine tous les jours ? Il m'est impossible d'y aller en cette saison de fleurs et de parfums...
            J'avais peur de voir ton nom dans les journaux, car ne sachant pas si le maréchal Suchet n'est pas au Panthéon, je craignais que tu imites l'initiative du duc de Montebello. Certes je trouve l'envoi de Zola au Panthéon stupide. Mais je ne trouve pas malgré cela la pensée de M. de Montebello très heureuse. Il est vrai que n'ayant aucun des miens au Panthéon je ne peux être juge.
            Adieu mon cher Louis, présente mes respectueux hommages à Madame d'Albuféra et crois à mon amitié bien profonde et toujours reconnaissante.


                                                                                   Marcel Proust.

            On m'a dit t'avoir aperçu l'autre soir au Divorce de Bourget. Mais je ne sais pas avec qui.
            A propos de divorce ta charmante amie Madame de Peyronnet a-t-elle obtenu le sien ?


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                                                                                             mercredi 15 avril 1908

            Mon bien cher Louis                                                                                    hprints.com 
Afficher l'image d'origine            J'ai reçu une carte postale de toi avec un énorme retard et notée " Inconnu " je ne sais même comment elle a fini par me parvenir. Tu n'avais mis aucun numér. Je demeure 102, rappelle-le toi et surtout pense à l'écrire à côté de Boulevard Haussmann car si tu ne mets pas l'adresse tes lettres ne m'arrivent pas et c'est sans doute l'explication des silences que je te reproche et dont tu te défends. Or comme nous ne pouvons plus nous voir que par lettres il faut au moins nous laisser le dernier moyen de ne pas nous oublier entièrement. De coeur à toi mon cher ami.


                                                                         Marcel Proust.                                                                                                                                                      

            Est-ce que tu connais une Mlle de Goyon. Explique-moi qui c'est.




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                                  A Louis d'Albufera

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                                                                                                           Mardi 21 avril 1908

            Mon cher Louis
            Je te remercie de tout coeur de ta lettre. Par quel hasard as-tu du papier marqué St Marcel. En tous cas cela m'a bien amusé à constater. Je suis ennuyé de ce que tu me dis de Monte Carlo. Si tu me l'avais dit à temps, j'aurais pu savoir bien des choses et aurais repris le rôle qui était mon ancien rôle, ma raison d'être et pour lequel tu sais que tu me trouveras toujours. En tous cas je te dirai de vive voix puisque tu reviens bientôt et manifestes l'intention de me voir, certains conseils que je crois que tu ferais bien de suivre.
            Quant à te revoir si j'y étais hostile, ce n'est pas, comme tu pourrais le croire, par manque d'affection pour toi. Je quitte définitivement Paris au mois de Juillet et n'y reprendrai plus d'habitation. J'aurai déjà assez de tristesse de rompre en partant des liens d'amitié forts.Puisque m'épargnant en cela un peu de souffrance pour ce moment de la séparation définitive, les nôtres s'étaient un peu relâchés, je trouvais inutile de te revoir et de me rendre ainsi toute la force de mes regrets. Mais puisque tu en décides autrement tu sais que tant qu'il s'agira de te voir et d'être ton ami, mon coeur, toujours plein des souvenirs de notre amitié d'autrefois, ne demandera qu'à se laisser faire violence !
Résultat de recherche d'images pour "telegraphiste 1900"            Merci de tes nombreux renseignements, tu es si précis que même sur Saussine tu me réponds ( un mois après quand cela n'a plus d'objet ). J'aime cette précision et t'en remercie. J'écrirai un jour à l'autre à Louis Maheux. Ta plaisanterie avec le genre de rapports que tu n'as pas eus avec lui était inutile et cette idée ne me serait pas venue. Hélas je voudrais être aussi sûr que tu n'as pas à cet égard de telles idées sur moi. En tout cas ce serait plus explicable puisque tant de gens l'ont dit de moi. Cependant je pense que quel que soit le fond de ta pensée sur moi à ce sujet ( et je souhaite de tout mon coeur qu'elle soit conforme à la vérité, c'est-à-dire excellente ), ce n'est pas relativement à Louis Maheux que cette pensée te viendrait. Je ne suis pas assez stupide,si j'étais de ce genre de canailles, pour aller prendre toutes les précautions pour que le garçon sache mon nom, puisse me faire coffrer, t'avertisse de tout etc. Je réponds à ta plaisanterie un peu longuement peut'être, mais c'est qu'hélas elle était suivie : " mais " ( mais si c'est pour avoir l'impression de sa vie ) que tu as écrit involontairement d'autant plus sincèrement et qui m'a donné fort à penser.
            Je te dis adieu, je vais commencer un travail très important. Avais-tu lu mes pastiches dans les Suppléments du Figaro ?
            De coeur à toi


                                                                                       Marcel Proust


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                                                                                             5 mai 1908

            Mon cher Louis
            Précisément comme je venais de t'écrire le jeune Maheux est venu. Cette fois j'ai pu le recevoir. Il est très gentil, très intelligent, il m'a donné des renseignements, compte m'en redonner d'autres m'a-t-il dit. Son seul inconvénient c'est qu'il est beaucoup trop bien, trop comme il faut, pas représentatif du tout de sa profession. Il ressemble à Bertrand de Fénelon, sauf qu'il est beaucoup mieux tenu. Il m'a dit en me parlant des télégraphistes avec mépris : " Ils ont plutôt le genre Grenelle que le genre de la rue Saint-Dominique ". Genre de la rue Saint-Dominique dans sa pensée voulait dire son genre à lui. Il serait un modèle parfait pour un tableau de moeurs mondaines. Nous nous sommes quittés très bons amis ( du moins de mon côté, et lui a été très aimable ).
            Adieu mon cher Louis je te l'ai écrit tout de suite comme je t'avais écrit que je ne l'avais pas vu et pour que ma lettre ne soit pas en contradiction avec la réalité. Merci encore et
           Tout à toi

                                                                                        Marcel.


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                                                         Le vendredi 29 mai 1908

            Mon cher Louis
            Je voulais écrire un petit mot à Madame d'Albufera, mais j'aime mieux t'écrire franchement, étant assez amis tous deux pour ne pas avoir à nous gêner. Donc voici ce dont il s'agit. Je voudrais te donner pour ta nouvelle maison un objet ou un meuble qui pût y figurer sans être trop indigne de ce qui l'entourera et je voudrais que ce fût quelque chose qui ne fît pas double emploi avec ce que tu peux avoir déjà. L'autre jour quand j'ai eu l'immense plaisir de te voir, j'ai essayé diplomatiquement de te faire parler et j'ai su qu'il fallait que mon choix se portât soit sur de l'Empire, soit du LouisXV, ou XVI. Mais quel objet ?  ou quel meuble ? J'avais pensé à un beau lustre mais peut-être es-tu pourvu de ce côté. Enfin dis-moi franchement ce qui te ferait plaisir, sachant que tu ne peux pas m'en faire à moi un plus grand. Je regrette que ta maison ne soit pas prête car sans doute tu y donneras des bals, et dans tous mes rêves actuels de jeunes filles, je ne pense qu'aux bals et me navre de ne plus y être invité. Et quand tu en donneras, je ne serai plus à Paris, hélas et vivrai dans quelque trou.
            Je vais donner ces jours-ci un rendez-vous qu'elle refusera sans doute à notre amie. Heureux le temps qui n'est plus ! Réponds-moi franchement et vite pour l'objet qui
pourrait te faire plaisir et si tu ne me dis pas quelque chose d'important j'en conclurai que tu ne veux pas que ta demeure contienne quelque chose qui te fasse penser à moi, de beau. Et j'en aurai encore plus de chagrin.
            Merci du renseignement pour Verdé. J'ai à vendre des Vichy et ne peux le faire par ma banque, ce sont des titres nominatifs, c'est toute une histoire. Je croyais Didier Verdé Delisle employé chez son beau-frère. Mais je connais un autre agent de change à qui j'écrirai.
             Tout à toi


                                                                                                 Marcel.

            Je reçois à l'instant ton mot et te remercie. Mais n'ai jamais eu chez moi un M. de Durtal
            Peut'être je ne communiquerai pas la dernière note, pour une raison spéciale à l'endroit que je te dirai
Peut'être je le ferai. Je vais réfléchir à ce qui est le mieux.


                                                                 ¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤    

                                                                                                 12 / 13 Octobre 1908

            Mon cher Louis,                                                                                                                        
            Je voulais te demander un conseil l'autre soir, et comme je ne te vois guère qu'une fois par an et que je pense à toi beaucoup plus souvent qu'une fois par jour, quand je te vois c'est un tel tumulte de tout cet arriéré de pensées qui se presse que tout ce que j'ai à te dire est oublié. Et maintenant qu'en dehors de tout ce que tu étais déjà tu te mêles d'être Mansard, Nolhac et Vaucanson, tu comprends que rien qu'à aligner toutes les interjections, tous les points d'exclamation  que m'inspire la série de Rétrospectives exactement anciennes et ultra modernes qu'est le Palais de l'avenue Hoche ( qui est aussi le Palais de la Femme, le Palais de la chaussure, le Palais de l'Ombrelle, etc ) et qui unit à l'évocation de l'art du passé, l'anticipation de l'industrie de l'avenir, j'en aurais pour beaucoup plus de temps que nous n'en aurons à causer ensemble jusqu'à ma mort.
Résultat de recherche d'images pour "ecureuil"            Ce que je voudrais te demander est ceci. As-tu dans les conseils que te donne la Maison Heine et ta propre sagacité des idées de placements sûrs et très rémunérateurs 2è ) des idées de placements encore plus rémunérateurs et un peu moins sûrs 3è ) des idées de spéculation. Tout ceci parce que je vais sans doute vendre beaucoup de titres, ce qui me donnera de l'argent à remployer.
            Si tu m'envoies une lettre que j'enverrai au jeune Marcel Plantevignes pour la Bégassière, n'y dis pas de mal de moi ( je sais que tu ne le feras pas ! ) parce que ces gens sont charmants pour moi mais me connaissant pas et n'ayant pas les mêmes amis que moi croiraient plus facilement le mal que le bien n'ayant pas de contrôle.                    
            Depuis que je t'ai vu je n'ai été qu'un râle, souffrant un martyre affreux. Quelle vie !
            Connais-tu un architecte du nom de Parent ( encore des gens de Cabourg ). Il a restauré un grand nombre de châteaux notamment Bonnétable et il se peut qu'il ait restauré Montgobert. Son fils qui est tout jeune et qui concourt pour le prix de Rome est déjà un architecte épatant.
            Adieu mon cher Louis, quel bonheur pour moi quand je te revois. Quelle délicieuse joie. Que Madame d'Albufera a été bonne de me laisser entrer dans cette chambre de féérie ! Tu sais que j'ai à lui rendre l'exemplaire des Plaisirs et les jours. Mais je ne t'en ai pas parlé l'autre soir, ne l'ayant pas encore vu, comme il est boulevard Haussmann. Ne te tracasse pas à m'écrire pour les placements comme j'ai demandé le même conseil à M. Lambert Rotschild ( par intermédiaire ) à M. Fould, à M. Georges Lévy etc. et avec les Neuburger et d'autres c'est plus qu'il ne faut. Gardes-tu ton Rio ?
            Tout à toi

                                                                                                               Marcel.

            Vite pour les objets que ta confiance juge digne d'entrer dans le sanctuaire de l'Avenue Hoche.

vendredi 11 décembre 2015

Epitaphe de l'abbé Bonnet Joachim du Bellay ( poème France )

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frexo.fr


                               Épitaphe de l'abbé Bonnet

            Ci-gît Bonnet, qui tout savait,
            Bonnet, qui la pratique savait
            De tous les secrets de la nature,
            Dont il parlait à l'aventure,
            Car il eut si subtil esprit
            Qu'onc il n'en lut un seul écrit.
                 Bonnet ne lut onc en sa vie
            Un seul mot de philosophie,
            Et si en savait, ce dit-on,
            Plus qu'Aristote ni Platon.
                 Bonnet fut un docteur sans titre,
            Sans loi, paragraphe et chapitre.
            Bonnet avait lu tous auteurs,
            Fors poètes et orateurs :
Afficher l'image d'origine            D'histoires et mathématiques,                                                                
            Et telles sciences antiques,                                                                    
            Il s'en moquait ; au demeurant,
            De rien il n'était ignorant.
            Mais sa science principale
            Était une occulte Cabale,
            Qui n'avait rien de défendu,
            Car on n'y eût rien entendu.
                 Bonnet entendait la Magie
            Aussi bien que l'Astrologie                                                                    
            Bonnet le futur prédisait,                                                                      
            Et de tout présages faisait,
            Sur mutations de provinces :
            Mais il n'eut onques le savoir
            De pouvoir la sienne prévoir.
                 Bonnet sur la langue Hébraïque
            Aussi  bien que la Chaldaïque,
            Mais en latin le bon abbé
            N'y entendait ni A ni B.
            Bonnet avait mis en usage
            Un baragouin de langage
            Entremêlé d'Italien,
            De Français et Savoisien.
                 Bonnet fut de l'Académie
            De ceux qui soufflent l'alchimie,
            Et avait soufflé tout son bien,
            Pour multiplier tout en rien.
            Bonnet savait donner au verre
            La couleur d'une belle pierre :                                                          livre.fnac.com
Afficher l'image d'origine            Bonnet savait un grand trésor,
            Bonnet savait un fleuve d'or,
            Et avait trouvé des minières
            De métaux de toutes manières.
                 Bonnet avait deux pleins tonneaux
           De bagues, de pierres, d'anneaux,
           D'or en masse, et parlait sans cesse
           De ses biens et de sa richesse.
           Bonnet était de tous métiers,
           Bonnet fréquentait les moutiers
           Et toujours barbotait des lèvres :
           Bonnet savait guérir des fièvres
           Par billets au col attachés :
           Bonnet détestait les péchés,
           Mais en procès et plaidoirie
           C'était une droite Furie.
           Bonnet fut colère et mutin,
           Bonnet ressemblait un Lutin,
           Qui va, qui tourne, qui tracasse
           Toute la nuit parmi la place.
                Bonnet portait barbe de chat,
            Bonnet était de poil de rat,
            Bonnet fut de moyen corsage,
            Bonnet était rouge en visage,
            Avecques un oeil de furet,
            Et sec comme un hareng sauret
            Bonnet eut la tête pointue,                                                                 crazy-bonnet.com 
BONNET/ÉCHARPE  DALMATIEN            Et le col comme une tortue.                                                          
                 Bonnet s'accoutrait tous les jours
            De deux soutanes de velours,
            Et ne changeait point de vêture
            Pour le chaud ni pour la froidure.
            Bonnet était toujours crotté
            En hiver, et poudreux l'été :
            Et toujours traînait par la rue
            Quelque semelle décousue.
                 Bonnet, soit qu'il plût ou qu'il fît beau,
            Portait toujours un vieux chapeau,
            Et ne porta, tant fut grand fête,
            Qu'après sa mort bonnet en tête.
            Bref, ce Bonnet fut un Bonnet
            Qui jamais ne porta bonnet.
                 Bonnet allait sur une mule
            Aussi vieille que pape Jule,
            Accompagné d'un gros valet
            Toujours crotté jusqu'au collet,
            Avec la bride et couverture
            Digne d'une telle monture.
                 Bonnet pour la chambre vêtait
            Une chamarre, qui était
            De peau de loup. Quant à sa table,
            Il usait pour mets délectable                                                          
            D'oignons tous crus et de poreaux,                                                 bastian.blog.lemonde.fr
Afficher l'image d'origine            Et toujours il sentait les aulx :
            Les aulx étaient le musc et l'ambre
            Dont Bonnet parfumait sa chambre.
                 Bonnet buvait grec et latin,
            Bonnet s'enivrait au matin
            Pour tout le jour, et après boire
            Bonnet s'en voulait faire croire.
                 Bonnet en tout se connaissait,
            Bonnet de tous maux guérissait,
            Et si n'usait que d'eau-de-vie :
            Mais la mort, qui en eut envie,
            Tellement ses forces ravit,
            Que son eau rien ne lui servit.
                  Bonnet faisait mille trafics,
            Bonnet savait mille pratiques
            En procès : et les plus famés
            De ces courtisans affamés,
            En matière de bénéfices
            Près de lui n'étaient que novices.
                 Pour bien emboucher un témoin,
            Et pour bien s'aider au besoin
            D'une vieille lettre authentique,
            Pour trouver quelque titre antique,
            Pour rendre un procès éternel,
            Pour faire un civil criminel,
            Et pour donner une traverse
            Au droit de sa partie adverse,
            Pour étonner de son caquet
            Un juge, une cour, un parquet,
            Pour faire une importune instance,                                                   myriambonnet.com
Afficher l'image d'origine            Pour appeler d'une sentence,
            Pour connaître cela qui point,
            Et pour soudain prendre le point
            De quelque matière profonde,
            Il n'était qu'un Bonnet au monde.
                 Vrai est qu'on lui fit maint excès,
            Mais il gagna tous ses procès :
            Et fut Bonnet tant habile homme,
            Qu'on ne perdit en cour de Rome,
            Ou fût à droit, ou fût à tort,
            Procès, sinon contre la mort :
            Dont encore il se lamente
            ( Ce crois-je ) devant Rhadamante :
            Mais Bonnet aura beau crier,
            S'il peut Rhadamante plier.


                                                                    Joachim du Bellay

                                                      (  in  Divers Jeux Rustiques )
         
               
                 

jeudi 10 décembre 2015

Profession du Père Sorj Chalandon ( roman France )




                                            Profession du Père

            Profession du père Confession de l"auteur qui a attendu la mort de ce père pour écrire ce beau livre. Il a cinq ans, sept ans, douze ou quatorze ans, et il raconte avec les mots de l'enfant. Les coups, ceinture, martinet, les demi-confidences, l'appui, vêtu comme lui de l'imper mastic des agents secrets. Mais qui est-il vraiment ? Dans un appartement lyonnais, dans la vieille ville proche de la rue Mourguet habitent Émile et ses parents Denise et André Choulans. André veut un fils exceptionnel, mais il le frappe, hurle après l'enfant angoissé, asthmatique, perdu. Il écoute ce père qui porte sans doute une blessure cachée sous une faconde curieuse. Il a tout fait, ténor en trop donc repoussé des Compagnons de la Chanson, judoka, surtout espion pendant la guerre au profit du Général de Gaulle, qu'il idolâtre, puis qu'il déteste à partir des Accords d'Evian. Pour l'Algérie Française, il rejoint Salan, dit espionner pour l'OAS, enrôle son jeune fils, porteur de courrier, mais dans l'appartement silencieux la mère, elle n'a pas le droit de sortir seule un soir sous peine de dormir sur le palier, ne soutient guère son petit. Elle travaille le jour, épluche les légumes pour la soupe claire du soir, Émile poursuit tant bien que mal ses études, a quelques copains. C'est le monde des demi-vérités dans lequel peut sombrer un adolescent, rapatrié d'Algérie, captivé par les histoires de ce garçon. Amitié dans dangereuse. Tuer pour ou contre l'Algérie Française, les enfants se perdent dans leur aventure. Mais surtout la délicate description des rapports du père au fils au fil des ans. Paranoïaque, mythomane ce père mort aux premières pages du livre qui est un parcours et une interrogation. Émile adulte père et mari se reproche les avoir aimés et les aimer encore, malgré les coups et les punitions, enfermé dans l'armoire les mains sur la nuque, et puis " ... Mon père s'en est allé comme ça, par la porte de service.... " L'auteur ajoute :
" ....Mort de rien. Comme ça. Le coeur qui renonce...." Bien écrit. " .... Mon lit était froid d'avril. L'appartement était froid d'habitude.... "


jeudi 3 décembre 2015

Botchan Natsumé Sôseki (roman Japon )

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                                       Botchan

            En 1906 ses études tout juste terminées, Natsumé est nommé maître auxiliaire de mathématiques dans une île assez éloignée de son Tôkyô natal. Enfant pas du tout cajolé " ... Mon père ne manifestait strictement aucune affection à mon égard. Ma mère réservait ses faveurs à mon frère aîné... " Seule la servante, elle-même issue d'une vieille famille ruinée, manifeste un attachement très fort jusqu'à ses derniers jours à ce garçon impulsif et bagarreur. A la mort des parents, le frère aîné seul héritier, offre 600 yens à Natsumé et disparaît. Ce dernier réfléchit et décide de continuer à étudier 3 ans. A l'issue de ses trois années n'ayant plus d'argent il accepte le poste dans une petite ville thermale, chacun peut prendre son bain quotidien, où le collège, 600 élèves, et l'école normale se disputent la meilleure réputation, un quartier des plaisirs, son tambour et ses quelques geishas. Le jeune enseignant prend vite la mesure de ce qui l'attend. Les élèves poussés à se moquer de ce jeune tokyôîte qui fréquente les gargotes et se nourrit de boulettes de riz et des nouilles, par des professeurs, l'un sournois et beau parleur accompagné d'un comparse professeur de dessin, d'une direction trop peu active. Les professeurs affublés de sobriquets, Chemise rouge, Porc-Epic et autres, sont décrits avec une sage lucidité, un peu lente parfois. Critiqués avec humour, avec une certaine cruauté lorsque l'innocence pousse à la démission devant la force, Natsumé mal logé, mal nourri par une logeuse qui ne propose généralement que des patate douces bouillies, pense à un retour rapide vers la grande ville. Une bagarre sournoisement menée va décider de l'avenir, et c'est à coup d'oeufs, 8, sensés combler son appétit, et cachés dans les poches des manches de son kimono, qu'il termine ces quelques semaines. Edokko pur il préfère vendre des journaux ( 1906 ! ) ou livrer du lait plutôt qu'une promotion dans un univers trop hypocrite à son goût. Retour à Edo, il l'espère. "... Peut-être que le monde n'est peuplé que de charlatans qu'ils ont une seule idée en tête : se tromper mutuellement. J'étais écoeuré.... Et si c'était là la vie je devais apprendre à ne pas baisser les bras et faire ce que font les gens ordinaires.Mais si pour m'assurer mes trois repas par jour il me fallait jusqu'à soutirer ma part du butin des voleurs à la tire, c'est le fait même de vivre qu'il me fallait reconsidérer... " Livre délicieux, écriture zen, il est encore aujourd'hui l'un des ouvrages les plus lus au Japon. Un vrai plaisir de lecture.