lundi 28 mars 2016

Anecdotes et Réflexions d'hier pour aujourd'hui 54 Samuel Pepys ( journal Angleterre )


Afficher l'image d'origine
herodote.net

                                                           Septembre

                                                                                                             1er septembre 1661
                                                                                                Jour du Seigneur
septembre angleterre
            Comme il y eut de fortes pluies la nuit dernière, elles pénétrèrent dans ma maison, le chéneau étant obstrué, et abîmèrent presque tous mes plafonds. A l'église ce matin. Dîner chez moi avec ma femme. Ensuite chez sir William Batten où je trouve sir William Penn et le capitaine Holmes. Nous nous divertîmes fort au dépens de sir William Penn à propos de la disparition de sa chope, bien que ce ne soit que supercherie, mais il ne l'a pas encore compris. C'est sir William Batten  qui a dérobé la chope et moi qui ai écrit les lettres, comme si elles venaient des voleurs, ce qui est fort divertissant.
            Je restai là tout l'après-midi, puis à Whitehall en voiture avec le capitaine Holmes. Pendant le trajet je découvre, au cours de notre conversation, qu'il est un grand ami de milord. Il me dit que nombreux étaient ceux qui cherchaient à le faire renvoyer, mais que c'étaient des marins de la vieille génération, comme sir John Mennes qui est de ceux qui le jalousent. Il refusa de donner d'autres noms, mais à mon avis, sir William Batten est du nombre. Il ajouta que le roi l'aime tant ainsi que le duc, qu'il ne craint donc rien. Il semble fort au fait de ce que pense le roi et les diverses factions à la Cour, et parle de tout ceci avec tant de franchise qu'il me paraît être l'ami sincère de milord et apte à lui rendre de grands services, car c'est un homme habile, capable, de son propre aveu, de se composer un masque et de regarder ses ennemis dans les yeux avec autant d'affection que ses amis. Mais grands dieux ! quelle époque est-ce là et quel monde, qu'on n'y peut vivre sans friponnerie ni dissimulation ! A Whitehall, nous nous séparâmes, me rendis chez Mrs Pearse que je rencontrai avec Madame Clifford dans la rue. Demeurai là causant et riant avec elles un bon moment, puis retour chez ma mère, soupai, rentrai chez moi, et au lit.


                                                                                                          2 septembre
louvreravioli.fr
Afficher l'image d'origine            Le matin chez mon cousin Thomas Pepys, l'exécuteur testamentaire, et discutai avec lui du séjour de mon oncle Thomas à la campagne. Mais il ne peut pas me conseiller dans cette affaire, faute de savoir ce que mon adversaire a fait à la campagne. Nous nous quittâmes.
            A Whitehall, milord du Sceau privé, parti de Londres cette semaine toujours absent, nous ne pouvons apposer le sceau. C'est pourquoi, rencontrant Mr Battersby, l'apothicaire dans Fenchurch Street, nous rendîmes dans les appartements de l'apothicaire du roi à Whitehall, bûmes une ou deux bouteilles de vin, puis, tous deux vers Londres par le fleuve. Je débarquai à Blackfriars et allai manger à la Garde-Robe, puis retour avec le capitaine Ferrer à Whitehall. Nous nous promenâmes. Ensuite à la Grand-Salle de Westminster où nous rencontrâmes Mr Pickering. Tous à la taverne du Vin du Rhin, chez Prior, dont le propriétaire a entrepris des dépenses pour faire creuser dans la cour une cave voûtée, qui lui sera une grande commodité. Restâmes un long moment, puis retour avec Pickering dans la Grand-Salle de Westminster. Nous nous promenâmes une heure ou deux en bavardant. Bien que ce soit un sot, il voit beaucoup de monde et il est homme à tout rapporter. On peut ainsi se faire une idée de ce qui se dit en ville. J'apprends que l'on s'efforce d'évincer milord du commandement à la mer. Mr Coventry et le Duc pensent ainsi affermir leur pouvoir. Mais j'espère qu'en dépit de tous leurs efforts ils n'y parviendront pas. Il me parle sans ambages des vices de la Cour, me dit qu'il est aussi commun d'avoir la vérole, c'est ce que j'entendis dire de tous côtés, que de manger ou de blasphémer. Le quittai et par le fleuve jusqu'au Pont, puis à la Mitre où je rencontrai mon oncle et ma tante Wight venus voir Mrs Rawlison, son mari étant absent, je restai avec eux, Mr Lucas et d'autres personnes, très gais. Retour chez moi où ma femme a été occupée toute la journée à faire des pâtés, est sortie pour acheter des choses, et me dit qu'elle rencontra à la Bourse les jeunes demoiselles de la Garde-Robe et les aida à faire leurs achats, ainsi que Mr Somerset, qui lui fit cadeau d'une gourmette, ce qui m'inquiéta un peu, même si, je le sais, il n'y a pas de mal à cela, mais seulement de crainte que cela ne conduise à plus ample commerce.
            Au lit. Envoyai ce soir une lettre à sir William Penn, pour lui offrir la restitution de sa chope, moyennant 30 shillings qu'il laisserait à un certain endroit où on la lui rapporterait. J'attends le résultat de cette lettre.


                                                                                                            3 septembre
                                                                                                                                    anticstore.com
Chope en serpentinite et étain, Zoblitz (Saxe) 2e moitié du XVIIIe siècle            Aujourd'hui quelques commissaires de notre Conseil descendirent à Deptford pour désarmer des navires et payer les soldes, mais je ne pus y aller et restai à la maison classer des papiers. Ce matin Mr Howell, notre tourneur, m'envoya deux appareils pour servir au rangement des papiers très joliment faits. Dînai à la maison, puis avec ma femme à la Garde-Robe où fut baptisée la fille de milady ( parrains et marraines : milord Crew et milady, milady Montagu et la belle-mère de milord ), appelée Katherine, prénom de la future reine, mais, et cela nous tracasse tous, le pasteur de la paroisse qui baptisa l'enfant ne fit pas sur elle le signe de la croix. Nous eûmes ensuite un très beau banquet, le meilleur auquel il m'ait été donné d'assister et, la compagnie étant fort réduite, nous nous quittâmes assez rapidement. Ma femme et moi chez ma mère à qui je pris la liberté de donner quelques conseils sur les dispositions à prendre avant de rejoindre mon père cette semaine à la campagne, et, comme elle est devenue fort sotte ces derniers temps, elle prit fort mal la chose, ce qui produisit entre nous un grand tapage et force dispute. Retour chez moi en voiture.


                                                                                                            4 septembre

            Le matin au Sceau privé pour régler certaines affaires du mois dernier, milord le garde du Sceau privé s'étant absenté quelque temps de Londres. Puis ma femme me rejoignit à Whitehall et nous nous rendîmes au parc de St James. Nous fîmes une longue promenade pour admirer les transformations. Puis chez le rôtisseur Williamson pour dîner. Rendons ensuite visite à Mrs Symons, comme convenu, mais elle est sortie, ce qui m'étonne. Nous retournâmes donc chez ma mère après nous être arrêtés chez Mrs Pearse qui a accouché d'une fille la nuit dernière. Bûmes quelque chose. Ma mère a décidé de partir demain sans faute. De nombreux amis vinrent lui faire leurs adieux. Mais j'eus ce soir un nouveau démêlé avec elle pour la convaincre d'aller voir milady Sandwich avant de partir. Ce qu'elle fera demain, dit-elle. Rentrai chez moi.
.

                                                                                                               5 septembre
visitengland.com
Afficher l'image d'origine            Au Sceau privé ce matin pour mon travail. Prends congé en passant de ma mère qui part aujourd'hui pour Brampton. Mais, terminant mon travail au Sceau privé assez tôt, je pris le bateau et me rendis chez mon oncle Fenner. Trouve ma mère, ma femme et Pall, à qui j'avais fait mes adieux ce matin chez moi en lui donnant 20 shillings et de bons conseils sur la façon de se comporter avec mon père et ma mère. Comme il était tard je les emmenai chez Beard où on les attendait. Je les mis dans la voiture et les vis bientôt partir. Pall pleurait à chaudes larmes. Puis entrai boire avec ma femme, ma tante Bell et Charles Pepys, que nous avions rencontrés. Après chez mon oncle Fenner pour le dîner. Rencontrai en chemin un laquais français empanaché a la recherche de ma femme et lui parla en particulier. Mais je ne réussis pas à savoir de quoi il s'agissait, sinon que ma femme promit d'aller quelque part demain matin. Je me torture l'esprit à chercher un moyen de savoir où. Chez mon oncle trouvons ses deux gendres et ses deux filles. Dînâmes dans la bonne humeur.
            Après dîner on nous apprend que ma tante Kite, veuve du boucher, qui habite Londres, est malade, mourante, nous envoie chercher mon oncle et moi pour nous occuper de tout et recevoir la garde de sa fille. Mais je manquais de temps pour accepter une telle charge et fus pris à partie par Anthony Joyce. Finîmes par échanger des propos fort vifs qui me mirent en fureur. Je n'aurais jamais cru qu'il pût être assez bête pour se mêler des affaires d'autrui.........Nous nous quittâmes furieux, et ma femme et moi à la foire où je lui montrai le funambule italien et les femmes qui font de curieux numéros d'acrobatie. Retour à pied à la maison.
            Fâché à propos d'Anthony Joyce.


                                                                                                      6 Septembre 1661
lamesure.fr
Afficher l'image d'origine            Ce matin visite de mon oncle Fenner, comme convenu, et prîmes ensemble notre boisson du matin. Allâmes ensuite ensemble voir ma tante Kite, ma femme sortant ce matin comme elle l'avait décidé hier. Bien qu'il ne pût y avoir de mal à cela, la jalousie me mit dans l'esprit mille choses qui me tourmentèrent fort toute la journée. Nous trouvons ma tante au lit avec, me semble-t-il, peu de chances de vivre. Elle nous dit que si elle venait à mourir, elle désirait léguer tout ce qu'elle avait à sa fille, à l'exception de 5 livres pour chacun des enfants de son second mari pour le cas où ils seraient encore vivants au sortir de leur apprentissage. Et si sa fille mourait avant d'avoir pu se marier, 10 livres devaient être partagés entre les enfants de Sarah Kite et le reste laissé à sa fille pour qu'elle en dispose à sa guise. Je pris tout ceci par écrit afin de pouvoir en faire déposition sous serment, si l'occasion s'en présentait.
            De là dans une taverne. Il pleuvait. La pluie nous retint plus de deux heures, je crois. Il fallut enfin se résoudre à rentrer chez nous par les rues inondées. Nous nous arrêtâmes chez sa soeur Urbert où nous prîmes un verre, et rentrai seul à la maison. L'esprit trop inquiet de la sortie de ma femme pour pouvoir travailler j'allai au Théâtre voir Le frère aîné, mal joué. Puis, rencontrant sir George Ayscue, sir Theophilus Jones et un autre chevalier, ainsi que sir William Penn, allâmes à la taverne du Navire où nous nous divertîmes jusque tard le soir. Pris alors une voiture et rentrai à la maison avec sir William. Ma femme était revenue depuis longtemps, mais je pris l'air furieux, je l'étais d'ailleurs, et lui fis mauvaise figure toute la soirée, avant d'aller me coucher, et après dormis et me levai de mauvaise humeur.


                                                                                                              7 septembre
                                                                                                                                  lamesure.fr
            Au bureau toute la matinée. A midi Mr Moore dîna avec moi, William Joyce nous rejoignit ensuite pour répondre à une lettre que je lui avais envoyée ce matin au sujet d'une de ses servantes, que ma femme avait engagée, et qui nous avait appris que son engagement auprès de son maître avait été prolongé. Il vint en personne s'expliquer, et je me montrai fort aimable. Après avoir pris rendez-vous avec les jeunes demoiselles à la Garde-Robe pour aller au Théâtre, je quittai William Joyce ainsi que mon frère Tom venu dîner avec nous. Allai avec ma femme chercher les demoiselles. Au théâtre prîmes place près du roi, du duc d'York et de Madame Palmer. Ce fut pour moi un grand plaisir, vraiment, je ne me lasse pas d'admirer sa beauté. On donnait aujourd'hui La foire de la Saint-Barthélémy, avec la scène des marionnettes, ce qui ne s'était fait depuis quarante ans. Cette scène est une telle satire du puritanisme que l'on n'avait pas osé la donner jusqu'ici, et je m'étonne qu'on ose le faire si tôt, et que le roi l'approuve. Mais la pièce ne me paraît en rien meilleure, bien au contraire.
            Retour ensuite avec les dames, comme il fallut attendre longtemps l'arrivée du roi et que la pièce était longue nous ne sortîmes guère que vers 9 heures. Rentrés dans leur carrosse, et toujours mécontent de ma femme. Au lit, me levai dans les mêmes dispositions que ce matin.


                                                                                                                  8 septembre
                                                                                                      Jour du Seigneur

            A l'église. Force pluie la nuit dernière et aujourd'hui. Dînai à la maison. Derechef à l'église avec ma femme, l'après-midi. De retour à la maison trouvons notre nouvelle servante Doll endormie qui, ne nous entendant pas, ne put nous ouvrir. Il fallut faire passer le petit valet par une fenêtre pour nous ouvrir la porte.
            Montai dans mon cabinet où restai seul. Fort occupé à la pensée des dépenses et plaisirs auxquels je me suis laissé aller dernièrement. Je trouve tout juste la force de me reprendre pour m'occuper de ma grande affaire, le règlement de l'affaire de Graveley, si bien qu'il n'est presque plus temps. Je prie Dieu qu'il m'accorde la grâce de m'appliquer maintenant à mon travail, mais mon faible a toujours été et sera toujours, je le crains, lorsque j'ai pris du retard dans un travail, d'avoir beaucoup de mal à m'y remettre pour rattraper ce retard.
            Le soir, je commençai à examiner mes comptes. Dans l'ensemble autant que je puisse en juger, je me trouve riche de 600 livres, Dieu soit loué ! Cela me réconforte grandement. Souper et au lit.


                                                                                                                  9 septembre 1661

            Au Sceau privé le matin, mais milord ne vint pas. Je me rendis donc avec le capitaine Morris et à sa demande, dans les cuisines du roi, chez Mr Sayer, le maître queux. Nous eûmes une ou deux tranches de boeuf. Puis il nous conduisit dans les caves à vin où, par ma foi, nous nous divertîmes fort, et je bus trop de vin. Pendant tout ce temps je fus traité avec une grande amabilité et des égards tout particuliers par Mr Sayer. Mais je bus tant de vin que je fus hors d'état de travailler, de sorte qu'à midi j'allai me promener dans la Grand-Salle de Westminster. Puis au théâtre de Salisbury Court où l'on donnait pour la première fois Dommage qu'elle soit une putain, pièce inepte et mal jouée, mais j'eus la bonne fortune d'être assis près d'une dame fort jolie et intelligente, ce qui me fit grand plaisir.
Coiffure de 1830            Retour chez moi, j'apprends que les deux sirs et maintes autres personnes sont parties boire au Dauphin les 30 shillings que nous avons tirés l'autre jour de sir William Penn pour sa chope..... également un excellent groupe de violonistes. Fûmes donc extrêmement joyeux jusque tard le soir. Nous entreprîmes alors de dire la vérité à sir William Penn, mais il a tellement bu aujourd'hui qu'il est quasiment saoul, et nous ne pûmes nous faire entendre, ce qui nous divertit encore plus. Mais c'est mieux ainsi car lorsqu'il apprendra la chose, à mon avis, il sera furieux. Il a lui-même tellement parlé de l'affaire et des lettres à droite et à gauche qu'il aura honte de s'être laissé berner. Retour chez moi, et au lit.


                                                                                                                10 septembre

            Au bureau toute la matinée, dînai chez moi, puis, avec ma femme dans Wood Street pour acheter un coffre et d'autres choses chez mon oncle Fenner, bien que la pluie rendit la sortie désagréable. Chez mon frère Tom ensuite parler affaires. Puis à la Garde-Robe voir milady et, après le souper, avec les demoiselles, achetai un flambeau et le portai moi-même jusqu'à ce que je rencontre quelqu'un qui accepta de m'éclairer jusque chez moi avec son propre flambeau, puis lui abandonnai le mien. Ce soir, je trouve Mary la servante de mon cousin William Joyce, venue chez moi comme cuisinière, si bien que ma maison est de nouveau pleine. Au lit.


                                                                                                               11 septembre
fr.pinterest.com
Afficher l'image d'origine            Tôt chez mon cousin Thomas Trice pour parler de nos affaires. Il exigea 200 livres et les intérêts. J'acceptai de payer 200 livres, mais désirai prendre conseil pour le reste. Le quittai pour me rendre chez le Dr Williams. Il me conduisit dans son jardin où poussent quantité de raisins, me montra son chien qui tue tous les chats qui viennent ici tuer les pigeons, il les enterre ensuite si soigneusement qu'il les recouvre complètement et si le bout de la queue dépasse il déterre le chat et creuse plus profond, ce qui est bizarre. Il me dit que son chien a tué plus de 100 chats. Lorsqu'il fut prêt allâmes dans divers endroits pour mes affaires, puis nous nous quittâmes à la Garde-Robe d'où j'emmenai Mr Moore chez Tom Trice qui lui promit de lui donner copie de l'engagement en faveur de ma tante et de la donation qu'elle fit. Je le ramenai dîner chez moi, trouve le frère de ma femme, Balty, aussi beau que pouvaient le rendre les artifices de la toilette, et le domestique, un Français, à son service. Il est venu demander à ma femme de rendre visite à une jeune demoiselle qu'il courtise et espère épouser en l'attrapant par ses finesses. Je permis à ma femme de partir avec lui après dîner. Je ressortis avec Mr Moore qui partit vaquer à ses affaires, de mon côté allai discuter de nouveau avec le Dr Williams. Alors que nous traversions les jardins de Lincoln' Inn nous vîmes qu'on jouait une pièce nouvelle à l'Opéra, La Nuit des Rois ( Shakespeare ) et que le roi assistait à la représentation. Si bien que, contre mon gré et ma résolution, je ne pus m'empêcher d'y aller, ce qui me rendit la pièce insupportable et je n'y pris aucun plaisir. A la fin de la pièce retournai chez moi, tourmenté d'y être allé après avoir juré à ma femme de ne jamais aller au théâtre sans elle. Si bien que tout cela ajouté aux traverses rencontrés dans le règlement de la succession de mon oncle, me tourmente au plus haut point. Au lit. Ma femme accompagna son frère chez sa maîtresse aujourd'hui et dit qu'elle est jeune, riche et belle, mais qu'il y a peu d'apparence qu'il l'obtienne.


                                                                                                           12 septembre 1661

            Bien que ce fût aujourd'hui jour de bureau, il me fallut aller au Sceau Privé. Je restai toute la matinée, puis chez milady dîner à la Garde-Robe. En chemin je vis sur la Tamise le nouveau bateau de plaisance du roi, ainsi que deux belles gondoles récemment apportées, somptueuses et fort belles.
Après dîner je me rendis dans la chambre de milady, maintenant debout, sortie de couches, ce qui réjouit. Causai une heure avec elle et me retirai. De nouveau chez Tom Trice, restai longtemps à boire et parler de nos affaires, découvre que je serai sans doute obligé de payer les intérêts sur les 200 livres. Arrive bientôt mon oncle Thomas. Comme il a toujours été un homme retors et secret, il se comporta ainsi avec moi, sans rien dire de ce qu'il entreprend, bien que je sache, et cela me tracasse beaucoup, qu'il s'efforce de recouvrer la propriété de Graveley. Mais ni lui ni moi n'abordâmes l'affaire. Puis retournai de nouveau voir le Dr Williams, dans une petite taverne borgne de Shoe Lane, au Gril, et j'ai honte que l'on m'y voit entrer. Discutâmes de nos affaires, il me donna quelques avis apaisants. Mais je me trouve devant des avis si partagés que je ne sais, ma foi, à qui faire confiance.
            Comme il se faisait tard, je le quittai et rentrai éclairé par un flambeau, m'arrêtai chez sir William Batten et j'apprends que sir William Penn prend fort mal notre plaisanterie de la chope, ce qui me désole.


                                                                                                               13 septembre

Afficher l'image d'origine            Ce matin mon oncle Fenner m'envoya chercher pour avoir mon avis sur l'enterrement de ma tante la bouchère morte hier. Ensuite à l'Ancre près de Doctor's Commons. Le Dr Williams et moi composâmes une lettre pour Mr Sedgewick de Cambridge à propos de mon affaire de Graveley, puis le laissai en compagnie d'un avoué et me rendis à la Garde-Robe, j'y trouve ma femme et, de là, avec elle sur le fleuve pour y passer agréablement l'après-midi. Nous allâmes au Vieux Georges où nous mangeâmes à satiété une épaule d'agneau bien chaude. Reprîmes le bateau pour rentrer. Au lit, l'esprit tourmenté par mes affaires.


                                                                                                              14 septembre

            Au bureau toute la matinée, à la Bourse à midi, puis retour à la maison, dîner que mon oncle Fenner vint partager, comme convenu. pensant que nous irions ensemble chez ma tante Kite qui est morte. Mais avant la fin du dîner arrivent Robert Slingsby et milady avec beaucoup d'autres personnes, pour nous emmener ma femme et moi en canot, afin de montrer à tout le monde les yachts du roi et du Duc. Je fus donc forcé de quitter mon oncle et mon frère Tom encore à table, et de suivre les autres. Nous vîmes avec un plaisir extrême les quatre yachts, les deux dont j'ai parlé et les deux hollandais. Retour chez moi. Ecrivis des lettres pour la poste, puis au lit.


                                                                                                              15 septembre
                                                                                                   Jour du Seigneur
            Chez ma tante Kite dans la matinée pour aider mon oncle à tout préparer au plus vite pour l'enterrement. Retour chez moi à midi, et à l'église après dîner, ma femme et moi. Après le sermon, à l'enterrement de ma tante Kite, avec ma femme, où, à part nous et la famille de mon oncle, l'assistance ne comportait aucune personne de qualité, mais une misérable racaille. Nous accompagnâmes le corps à l'église et assistâmes à l'office sur la tombe, puis retour avec Peggy Kite qui promet d'être, je le crains, une redoutable engeance pour nous exécuteurs testamentaires. Mais si elle n'accepte pas de se laisser gouverner, j'envoie promener ma charge. Après cela retour chez moi accompagné de William Joyce, restâmes à parler, boire et manger une heure ou deux, puis il partit. Montai dans mon cabinet, prières ensuite, et au lit.


                                                                                                      à suivre

            16......../
                        Ce matin, je fus...../
                   


samedi 26 mars 2016

Le Hareng Saur Intérieur A une chatte Charles Cros ( Poèmes France )

Afficher l'image d'origine
phil-ouest.com


                                    Le Hareng Saur

            Il était un grand mur blanc - nu, nu, nu,
            Contre le mur une échelle - haute, haute, haute,
            Et, par terre, un hareng saur - sec, sec, sec.

            Il vient, tenant dans ses mains - sales, sales, sales,
            Un marteau lourd, un grand clou - pointu, pointu, pointu,
            Un peloton de ficelle - gros, gros, gros.

            Alors il monte à l'échelle - haute, haute, haute.                                artnet.com
Afficher l'image d'origine            Et plante le clou pointu - toc, toc, toc,
            Tout en haut du grand mur blanc - nu, nu, nu.

            Il laisse aller le marteau - qui tombe, qui tombe, qui tombe,
            Attache au clou la ficelle - longue, longue, longue,
            Et, au bout, le hareng saur - sec, sec, sec.

            Il redescend de l'échelle - haute, haute, haute,
            L'emporte avec le marteau - lourd, lourd, lourd,
            Et puis, il s'en va ailleurs - loin, loin, loin.

            Et, depuis, le hareng saur - sec, sec, sec,
            Au bout de cette ficelle - longue, longue, longue,
            Très lentement se balance - toujours, toujours, toujours.

            J'ai composé cette histoire - simple, simple, simple,
            Pour mettre en fureur les gens - graves, graves, graves,
            Et amuser les enfants - petits, petits, petits.


                                                                                           Charles Cros





************

                                                                                     
                                                                                                                                                             francais.istockphoto.com 
Afficher l'image d'origine                                         Intérieur
   
            " Joujou, pipi, caca, dodo. "
            " Do, ré, mi, fa, sol, la, si, do. "
            Le moutard gueule, et sa soeur tape
            Sur un vieux clavecin de Pape.
            Le père se rase au carreau
            Avant de se rendre au bureau.
            La mère émiette une panade        
            Qui mijote gluante et fade
            Dans les cendres. Le fils aîné
            Cire, avec un air étonné,                                                        
Afficher l'image d'origine            Les souliers de toute la troupe.
            Car, ce soir même, après la soupe,                                       *
            Ils iront autour de Musard
            Et ne rentreront pas trop tard ;
            Afin que demain l'on s'éveille
            Pour une excellente pareille.
            " Do, ré, mi, fa, sol, la, si, do. "
            " Joujou, pipi, caca, dodo. "

                                                                                                                                                                                                                           
                                                                                  Charles Cros
*  amtealty.e-monsite.com

************  quizz.biz
Afficher l'image d'origine

                                          A une Chatte    

            Chatte blanche, chatte sans taches,
            Je te demande dans ces vers,
            Quel secret dort dans tes yeux verts,
            Quel sarcasme sous ta moustache.

            Tu nous lorgnes pensant tout bas,
            Que nos fronts pâles, que nos lèvres                                          
            Déteintes en de folles fièvres,                                                        pinterest.com 
Résultat de recherche d'images pour "chat nez rose"            Que nos yeux creux ne valent pas  

            Ton museau que ton nez termine,                   
            Rose comme un bouton de sein,
            Tes oreilles dont le dessin
            Couronne fièrement ta mine.

            Pourquoi cette sérénité ?
            Aurais-tu la clé des problèmes
            Qui nous font, frissonnants et blêmes,
            Passer le printemps et l'été ?

            Devant la mort qui nous menace,
            Chats et gens, ton flair, plus subtil
            Que notre savoir, te dit-il
            Où va la beauté qui s'efface,

            Où va la pensée, où s'en vont
            Les défuntes splendeurs charnelles ?...
            Chatte, détourne tes prunelles ;
            J'y trouve trop de noir au fond.


                                                                                Charles Cros
                                                                                     ( in Le coffret de santal )

jeudi 24 mars 2016

Aux damoyselles paresseuses d'escrire à leurs amys Des Nonnes, qui sortirent du couvent pour se aller recréer D'aliance de pensée Clément Marot ( Poèmes France )

Afficher l'image d'origine
ciryline.centerblog.net


                                    Aux damoyselles paresseuses d'escrire
                                                  à leurs amys

               Bon jour : et puis, quelles nouvelles ?
          N'en sauroit on de vous avoir ?
          Si brief ne m'en faictes savoir,
          J'en feray de toutes nouvelles.

               Puis que vous estes si rebelles,
           Bon vespre, bonne nuycte, bon soir,                                                lesfilsetmoi.canalblog.com 
Afficher l'image d'origine                   Bon jour.                                                                                        

            Mais si vous cueillez des groseilles,
            Envoyez m'en : Car pour tout voir,
            Je suis gros, mais c'est de vous veoir
            Quelque matin mes damoyselles :                                           
                    Bon jour.


                                                                              Clément Marot


dame-licorne.pagesperso-orange.fr                                                       *************
Afficher l'image d'origine

     






                                     Des Nonnes, qui sortirent du couvent pour
                                                        se aller recréer

                      Hors du couvent, l'autrehyer soubz la couldrette,
            Je rencontray mainte Nonne proprette
            Suyvant l'Abbesse en grand dévotion.
            Si cours apres, et par affection
            Vins aborder la plus jeune et tendrette.

                 Je l'arraisonne, elle plainct et regrette,
            Dont je cogneu ( certes ) que la pouvrette
            Eust bien voulu autre vacation
                    Hors du couvent.                                                                   racontemoilhistoire.com
Afficher l'image d'origine
                Toutes avoient, soubz vesture secrette
            Ung tainct vermeil, une myne saffrette, 
            Sans point avoir d'amours fruition.
            Ha ( dis je lors ) quelle perdition
            Se faict icy, de ce dont j'ay souffrette,
                    Hors du couvent.


                                                                      Clément Marot


 enboutdetable.blogspot.com                                                     *************
Afficher l'image d'origine
                                        D'aliance de pensée

                Ung Mardi gras, que tristesse est chassée,
            M'advint par heur d'amytié pourchassée
            Une pensée excellente et loyalle :
            Quant je diroys digne d'estre royalle,
            Par moy seroit à bon droict exaulcée.

                Car de rymer, ma plume dispensée
           Sans me louer peut me louer la pensée, 
           Qui me survint dansant en une salle        
Afficher l'image d'origine                                                                   Ung Mardi gras.

                C'est celle qu'ay d'alliance pressée
            Par ses attraictz : laquelle à voix baissée
            M'a dit : " je suis ta pensée féalle,
            Et toy la myenne, à mon gré cordialle ".
            Nostre alliance ainsi fut commancée
                         Ung Mardi gras.


                                                                                                                   
maitrerenardinfo.wordpress.com
                                                                                  Clément Marot

lundi 21 mars 2016

Correspondance Proust Gide 6 extrait ( lettres France )

Image associée
zenthrowdown.blogspot.fr


                                                                                                    44, rue Hamelin
                                                                                                                          11 avril 1922

            Pardonnez-moi ces pages déchirées qui vous obligeront hélas à faire attention à la pagination.
            Mon bien cher ami,
            J'ai été très ému par la délicatesse de votre intention, et votre lettre m'a été bien douce, en donnant à ce mot le sens qu'il avait pour moi autrefois, quand je connaissais encore la joie ou du moins l'apaisement à la souffrance. Vous me dites que si j'imaginais le plaisir que vous auriez ( dites-vous trop gentiment et bienveillamment ) à me voir, etc... Vous devriez plutôt imaginer l'immense plaisir que j'aurais de vous voir et vous dire que si je me suis refusé de chercher à l'obtenir, c'est que j'ai dû me trouver en présence d'une impossibilité matérielle. Je suis resté sept mois sans me lever une heure, et n'en disons pas davantage. Il est vrai que même alors il s'est trouvé des moments, par exemple une fois par mois, où j'ai pu avoir auprès de mon lit un ami. Et quand je l'ai fait, ce ne sont pas toujours les amis les plus chers que j'ai vus, mais ceux que dans la soudaineté d'un mieux passager, limité à quelques heures, je savais pouvoir atteindre soit par téléphone, soit autrement. Hélas, ce n'est pas parmi ceux-là que votre lettre ( empreinte d'une délicieuse bonté où je crois retrouver ce qu'il y a de plus noble dans votre charme ) vous place, puisque non seulement vous ne me dites même pas vos heures, ni aucune indication pratique permettant une conjonction si désirée de moi, mais qu'encore jusqu'à votre adresse est absente de votre lettre, de sorte qu'à supposer qu'un soir j'aille mieux, je ne saurais même pas où vous adresser mon appel. La dernière fois que je vous vis, et ces entrevues si rares et si belles font épisode et époque dans le douloureux néant de mes jours, vous comptiez déménager. Pour aller où ? vous ne m'en aviez rien dit. Quant à parler " d'importunité ", c'est un mot cruel, car il semble indiquer que j'ignore tout ce que mon affreux état me fait perdre. J'aurai vécu à la même époque que vous, et sauf des regards, des sourires, des mots, inoubliés mais si espacés, je n'aurai connu de vous que vos livres. C'est énorme ; mais ce n'est pas assez puisque ce n'est pas tout. ( A ce propos, comme on doit la vérité amie même à Platon, j'ai trouvé que vous parliez sur un ton bien dédaigneux à Wilde. Je l'admire fort peu. Mais je ne comprends pas les réticences et les rudesses en parlant à un malheureux ).
Afficher l'image d'origine            Cher ami, je n'ai pu vous écrire qu'à l'aide d'une piqûre dont l'effet s'épuise ( je n'ai pas osé dicter à ma dactylographe ) et je n'ai plus la force de vous parler de ce qui faisait justement l'objet de cette lettre, celle de Monsieur Curtius. Tout ce qu'il dit de mon remerciement, c'est au contraire ce qu'il vous a écrit qui le mérite et qui m'a, en effet, ému et ravi ( et transcrit par vous, dans une intention si charmante, quelle délicatesse nouvelle, surajoutée à la sienne, cela ne prenait-il pas ! ). Mais ce qui me rend honteux, c'est qu'il trouve ma lettre satisfaisante. Je ne lui ai rien écrit de ce que je pensais ( et que je compte lui écrire ) tant j'étais souffrant. C'était un martyre pour moi de tracer ces mots stupides, et pourtant, ne sachant pas quand je serais en état de le remercier, je les ai envoyés provisoirement. Et il ne me juge pas mal là-dessus ; il devine ; il comprend e-gide.blogspot.com                                          ; qu'il est indulgent et bon !
            Tendrement à vous


                                                                                                     Marcel Proust


                                                                                                               14 juin 1922
                                                                                                    Pneumatique

 jeancocteau.net                                                    Cher ami,
Afficher l'image d'origine            Je viens de passer, physiquement et moralement, des heures cruelles. A six heures, au moment où je vais m'endormir, je sonne et on me remet un mot de votre candidat qui est aussi le mien. Je me serais habillé aussitôt, mais ne serais plus arrivé à temps. Du reste on ne doit aujourd'hui que poser les candidatures. En tout cas, depuis quelques jours, j'ai beaucoup écrit à Madame Blumenthal  qui sait que Monsieur Gabory est mon candidat pour l'une des bourses, et pour l'autre ( Paulhan ayant dépassé de deux ans la limite d'âge ), Monsieur Benjamin Crémieux. J'ai demandé à Madame Blumenthal de s'adresser à vous pour tous renseignements complémentaires sur mon candidat ( Gabory ). Je vous expliquerai de vive voix ce qui m'a fait dire cela ( dans l'intérêt de Monsieur Gabory ). En revanche je ne lui ai pas demandé de tâcher que vous vous ralliiez à Monsieur Crémieux pour l'autre bourse, car vous m'aviez fait dire que vous étiez forcé de voter pour Monsieur Genevoix. ( Ma phrase mal construite ne signifie pas, bien entendu, que j'ai dit cela à Madame Blumenthal, à laquelle je n'avais nullement à parler de votre autre vote ). Ma phrase veut dire que, comme vous aviez dit à ma femme de chambre que personnellement vous étiez forcé de voter pour Monsieur Genevoix, je n'ai pas voulu vous influencer pour Crémieux. Je crois du reste, parce que Crémieux me l'a fait dire ( je ne le connais pas ), qu'il dispose de plusieurs voix dans le Comité. J'espère que Gabory et lui passeront le jour où l'on votera. Je serai certainement convoqué ; en tous cas, pour me préparer d'avance, vous seriez bien gentil de m'envoyer dès aujourd'hui un pneumatique me disant quel jour on votera ( ou me le faire envoyer par Monsieur Gabory ). Remerciez-le bien de son petit mot, dîtes-lui que Madame Bumenthal sait que je vote inébranlablement pour lui.
            Votre bien affectueux


                                                                                                   Marcel Proust



            A ce pneumatique Gide répond le même jour, décrit le déroulement du vote. Gabory n'a pas été choisi malgré son talent, il termine " .... Amicalement, et ne doutant pas de votre profonde sympathie..... " 




                                                                                                           15 juin 1922
                                                                                           Pneumatique

            Mon cher Gide,
            Votre lettre m'inonde de chagrin. Cependant je veux faire un effort pour remettre à plus tard les conversations tristes ( d'ailleurs déjà ma dernière lettre vous indiquait la nécessité d'une conversation ) et tâcher, si vous, ou Monsieur Gabory, n'êtes pas trop fatigué pour écrire, de savoir si je comprends bien. Il y avait deux bourses. J'étais électeur de Monsieur Gabory pour l'une, pour l'autre de Benjamin Crémieux ( Madame Blumenthal m'ayant écrit que Paulhan était rendu impossible par son âge. Ceci n'est pas du reste un reproche le moins du monde à Madame Blumenthal qui a été parfaite et navrée de me refuser Paulhan ). Mais comment le succès de Crémieux a-t-il pu empêcher le succès de Gabory, " puisque ce n'était pas la même bourse ? "J'espère encore qu'il s'est passé la même chose que pour Rivière ; vous vous rappelez qu'on a voté pour sa bourse, et pour la deuxième bourse, remis à une réunion ultérieure où je ne me suis pas rendu. A vrai dire, cette fois-ci, je ne pensais pas qu'il en serait ainsi, puisque Madame B. avait dit à Walter Berry     exlang.ru 
( a-t-il mal compris ?) qu'on ne voterait cette fois-ci pour personne et qu'on poserait seulement les candidatures. Mais en tous cas, Madame B. savait ( et je ne doute pas qu'elle vous le dise ) que j'étais formellement pour Gabory. Hélas, si j'avais pu prévoir tout cela, moi qui suis allé en soirée ( pour une fois, par hasard ) " la veille ! " Je suis un peu fatigué pour vous expliquer mille choses qui vous intéresseront. En tous cas, si " ma  voix " pouvait changer quelque chose au résultat ( j'ignore combien de voix a eu Gabory ), je pourrais demander, dans les formes de gratitude respectueuse que je dois, à Madame Blumenthal si,, ma voix n'ayant pas été comptée ( alors qu'elle aurait dû l'être ),l'élection ne pourrait pas être recommencée. Mais vous ne me parlez que de Crémieux, cela fait une bourse. Et l'autre ?
            Tristement à vous,


                                                                                                  Marcel Proust



                                                                                                       Juillet-août 1922

            Mon cher Gide,
            Comme je n'ai pas beaucoup de chance, voici qu'au moment où j'allais mieux, j'ai été pris d'une fièvre rhumatismale. Ce n'est pas agréable.
            Notre conversation, même par lettres, a failli être coupée net par un mot de vous que j'avais mal compris. Vous me disiez que votre première lettre était empreinte d'une certaine irritation. Comme vous ne disiez pas contre qui, je m'étais dit ; " Irritation contre moi ? " Et trouvant que ma conduite envers vous et envers Gabory a été irréprochable et fervente, et n'a eu dans son ardeur qu'une seule limite : la crainte de nuire à Gabory en parlant de lui à des zélateurs d'inimitiés contre lui ( si j'avais su sa situation au Comité si précaire, j'aurais risqué le tout pour le tout ; mais vous aviez dit à Céleste qu'il avait tout le monde pour lui, de plus on m'avait dit qu'on ne votait pas ce jour-là ), j'étais fort indigné que vous fussiez, au lieu de touché, irrité, et je voulais cesser la conversation où j'étais tellement mécontent. Mais j'ai compris après coup que l'irritation ne me visait nullement, et je reprends le contact. Je ne peux pas, pour des raisons que je vous dirai, demander en ce moment à Madame Blumenthal d'aider Gabory. Mais dans une petite mesure, je le peux. La seule que je demande, c'est de ne pas participer à une souscription générale, mais de le faire directement, irrégulièrement, sans intermédiaire entre Monsieur Gabory et moi ( sauf vous, bien entendu, si cela vous plaît mieux ). Quant à demander le recommencement du vote, les chiffres de voix que vous m'avez dits me paraissent rendre cela bien inutile, à supposer que ce fût accordé. Cher Gide, quel regret de ne pouvoir aller à Saül . J'ai bien été - vous savez quelle admiration - à Antoine et Cléopâtre, mais là vous n'étiez pas seul, quoique bien présent. Je suis fort épris de Jonathan.

            Je ne puis comprendre comment Gallimard ne m'a pas encore envoyé votre exemplaire à signer, ni d'ailleurs le sien, ni aucun autre.
            Savez-vous l'adresse de Curtius, à qui je voudrais envoyer mon livre ? Faut-il " Herr ", faut-il
" Professor ", etc.
            Savez-vous le prénom du Chaulnes qui présente Montesquiou à Mallarmé dans le livre de Montesquiou que je vous  ai donné ?                                                                                                        
            Votre admirateur qui vous aime.                


                                                                                                        Marcel Proust
                                                                  

samedi 19 mars 2016

La voie des morts Neely Tucker ( Roman policier EtatsUnis )



                                     La voie des morts

            Il y avait Noel, Léna, Sarah et les autres, et il y a Sully, journaleux, selon son expression, baroudeur il a couvert des guerres d'où il a ramené un genou blessé et des cicatrices sur le visage.
Alors que la police ignore certains faits, notamment la proximité des lieux de disparition, Princeton Place, Sully parcourt, toujours en moto, Georgia avenue, et découvre les maisons misérables de tout un peuple de sans-papiers hispaniques ou noirs. Mais à Washington le juge siège dans un bâtiment face au tribunal, et le juge et le journaliste ont un différend grave. Que dévoilera le journaliste dans les colonnes du Washington P, Dans ce tribunal trois jeunes hommes seront présentés accusés du meurtre de l'une des jeunes filles. Le lecteur apprend la rencontre entre la victime et les " peut-être " meurtriers. Mais l'enquête de Sully va permettre à l'auteur de nous faire circuler dans les bas-fonds de la capitale, où crack et drogues font des ravages alors que quelques jeunes femmes jamaïcaines, sud américaines, dansent dans des boîtes pour payer leurs études. Le meurtre de la fille d'un juge de l'administration américaine secouera-t-il les policiers, empêtrés entre inertie et indifférence due à l'origine des disparues. L'atmosphère, la sympathique silhouette de Sully Carter, les tensions au journal, la fonction du rédacteur en chef, petits accrochages entre confrères. Le lecteur reste attaché tout au long du livre, bien menée l'histoire dans un milieu que l'auteur connaît bien, il est journaliste.