mardi 5 juillet 2016

Daisy Miller 2 Henry James ( Nouvelle EtatsUnis )

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                                                           Daisy Miller

                                                                        II

            Il s'était toutefois engagé un peu trop à la légère en promettant de présenter sa tante, Mrs Costello, à Miss Daisy Miller. Sitôt que la première de ces deux dames fut remise de sa migraine il alla lui présenter ses devoirs dans son appartement et, après s'être enquis, comme il convenait, de sa santé, il lui demanda si elle avait remarqué dans l'hôtel une famille, maman, la fille et un petit garçon.
            - Et un courrier ? dit Mrs Costello. Oh, oui, je les ai remarqués. Je les ai vus, entendus, et ai porté mes pas ailleurs.
            - Mrs Costello était une veuve fortunée, une personne de grande distinction qui donnait fréquemment à entendre que, n'eût-elle été aussi affreusement sujette à la migraine, elle aurait probablement marqué son époque d'une plus profonde empreinte. Elle avait un visage long et pâle, un grand nez et une abondante chevelure d'un blanc particulièrement saisissant, qu'elle relevait en grandes bouffettes et rouleaux sur le sommet de la tête. Elle avait deux fils mariés à NewYork et un troisième qui était maintenant en Europe. Ce jeune homme se distrayait à Hambourg et, bien qu'il fût en voyage, on le voyait rarement dans une ville déterminée au moment choisi par sa mère pour faire sa propre apparition. Son neveu, venu exprès à Vevey pour la voir, était donc plus empressé que ceux qui, comme elle disait, la touchaient de plus près. Il s'était imprégné à Genève de l'idée qu'on doit toujours être empressé auprès de sa tante. Mrs Costello ne l'avait pas vu depuis de nombreuses années, et elle se plaisait grandement en sa compagnie, manifestait son approbation en l'initiant à nombre des secrets de l'empire social que, comme elle le lui donnait à comprendre, elle exerçait dans la capitale américaine. Elle admettait qu'elle était très sélect. Mais s'il avait connu NewYork, il aurait compris qu'on doit l'être. Et son tableau de l'organisation minutieusement hiérarchisée de la société de cette ville qu'elle lui présentait sous des éclairages divers et nombreux, frappait l'imagination de Winterbourne d'une manière presque accablante.
            Il sentit immédiatement, au ton de sa tante, que la place de Miss Daisy Miller dans l'échelle sociale était basse.
            - Je crains qu'ils ne vous plaisent guère, dit-il.
            - Ils sont très communs, déclara Mrs Costello. Ils font partie de cette sorte d'Américains qu'on se doit " de ne pas admettre ".
            - Ah, vous ne les admettez pas ? dit le jeune homme.
            - Je ne peux pas, mon cher Frederick. Je le ferais volontiers si je le pouvais, mais je ne peux pas.                                                                      
            - La jeune fille est très jolie, dit Winterbourne au bout d'un moment.      
Afficher l'image d'origine            - Elle est certainement jolie. Mais très commune.
            - Je comprends votre point de vue, bien sûr, dit Winterbourne après un autre silence.
            - Elle a cet air charmant qu'elles ont toutes, reprit sa tante. Je me demande bien où elles le prennent, et elle s'habille à la perfection. Non, tu ne sais pas à quel point elle s'habille bien. Je me demande bien où elles trouvent leur goût.
            - Mais ma chère tante, après tout, ce n'est pas une sauvage Commanche.
            - C'est une jeune dame, dit Mrs Costello, qui est en excellents termes avec le courrier de sa maman.
            - En excellents termes avec le courrier ? demanda le jeune homme.
            - Oh, la mère ne vaut guère mieux. Elles se conduisent avec le valet comme si c'était un ami intime. Comme si c'était un gentleman. Je ne m'étonnerais pas qu'il dîne avec elles. Elles n'ont probablement jamais vu personne qui ait de si bonnes manières, de si beaux habits, qui ressemble autant à un gentleman. Il correspond probablement à l'idée que la jeune dame se fait d'un comte. Il s'installe avec elles dans le jardin, le soir. Je crois qu'il fume.
            Winterbourne écoutait avec intérêt ces révélations. Elles l'aidaient à se former une opinion sur Miss Daisy. Manifestement, elle était plutôt émancipée.
            - Enfin, dit-il, je ne suis pas un courrie, et elle a pourtant été très charmante avec moi.
            - Tu aurais dû commencer par me dire, fit dignement Mrs Costello, que tu avais fait sa connaissance.
            - Nous nous sommes simplement rencontrés dans le jardin, et avons un peu parlé.
            - Tout bonnement ! Et puis-je savoir ce que tu as dit ?
            - J'ai dit que j'aimerais oser la présenter à  mon excellente tante.
            - Je t'en suis infiniment obligée.
            - C'était pour fournir un gage de ma respectabilité, dit Winterbourne.
            - Et puis-je savoir qui me fournira un gage de la sienne ?
            - Ah, vous êtes cruelle, dit le jeune homme. C'est une jeune fille très bien.
            - Tu ne dis pas ça d'un air très convaincu, observa Mrs Costello.
            - Elle a un esprit en friche, reprit Winterbourne. Mais elle est merveilleusement belle et, en bref, elle est très bien. Pour prouver que j'en suis convaincu je vais l'emmener au château de Chillon.
            - Vous comptez aller là-bas ensemble ? Je dirais que cela prouve précisément le contraire. Depuis combien de temps la connaissais-tu, si je puis te le demander, quand cet intéressant projet a été formé ? Il n'y a pas vingt-quatre heures que tu es ici.
            - Je la connaissais depuis une demi-heure ! dit Winterbourne avec un sourire.
            - Mon Dieu ! s'écria Mrs Costello. C'est vraiment une redoutable jeune personne !
            Son neveu resta quelques instants silencieux.
            - Vous pensez vraiment, commença-t-il très sincèrement désireux de recueillir une opinion digne de foi, vous pensez vraiment que...
            Mais il s'interrompit à nouveau.
            - Je pense quoi, monsieur ?
            - Que c'est le genre de jeune fille qui attend qu'un homme vienne, tôt ou tard, l'enlever ?
            - Je n'ai pas la moindre idée de ce que ces jeune filles attendent d'un homme. Mais je pense vraiment que tu ferais mieux de ne pas te frotter aux jeunes Américaines " en friche ", comme tu dis. Tu as vécu trop longtemps à l'étranger. Tu t'exposes à commettre une grave erreur. Tu es trop innocent.
            - Ma chère tante, je ne suis pas si innocent, dit Winterbourne, souriant et frisant sa moustache.
            - Tu es trop coupable, alors ?
            Winterbourne continuait à friser sa moustache, pensivement.
            - Tu ne veux donc pas faire la connaissance de cette pauvre fille ? demanda-t-il enfin.
            - Est-il absolument certain qu'elle doive aller au château Chillon avec toi ?
            - Je crois qu'elle en a tout à fait l'intention.
            - Alors, mon cher Frederick, dit Mrs Costelle, je dois décliner l'honner de faire sa connaissance. Je suis une vieille femme, mais pas assez vieille, grâce à Dieu, pour ne pas être choquée.
107295574             - Mais ne font-elles pas toutes ainsi, les jeunes filles en Amérique ? demanda Winterbourne.
            Mrs Costello demeura un instant le regard fixe.
            - Je voudrais bien voir mes petites filles agir ainsi, dit-elle d'un ton sinistre.
            Ceci paraissait jeter quelque lumière sur le sujet, car Winterbourne se souvenait avoir entendu dire que ses jolies cousines de NewYork étaient " d'horribles flirts ". Si donc Miss Daisy Miller outrepassait la libérale licence accordée à ces jeunes dames, il était probable qu'on pouvait s'attendre à tout de sa part. Winterbourne était impatient de la revoir, et ennuyé de ne pouvoir se fier à son instinct pour la juger à sa valeur exacte.
            Bien qu'impatient de la voir, il ne savait trop ce qu'il pourrait lui dire quant au refus de sa tante de faire sa connaissance, mais il découvrit assez rapidement qu'avec Miss Daisy Miller il n'était , maisvraiment pas nécessaire d'y aller sur la pointe des pieds. Il la trouva ce soir-là dans le jardin, errant dans la tiédeur de la nuit étoilée, pareille à un sylphe indolent, agitant le plus grand éventail qu'il ait pu jamais contempler. Il était dix heures. Il avait dîné avec sa tante, était demeuré quelque temps en sa compagnie et venait de prendre congé d'elle jusqu'au lendemain. Miss Daisy Miller parut très contente de le voir. Elle déclara que c'était la plus longue soirée qu'elle ait jamais passé.
            - Etiez-vous seule ? demanda-t-il.
            - Je me suis promenée avec ma mère. Mais elle se fatigue à se promener, répondit-elle.
            - Est-elle rentrée se coucher ?
            - Non, elle n'aime pas aller se coucher, dit la jeune fille. Elle ne dort pas, pas trois heures. Elle dit qu'elle ne sait pas comment elle vit. Elle est affreusement nerveuse. Je crois qu'elle dort plus qu'elle ne croit. Elle est partie quelque part chercher Randolph, elle veut essayer de le faire se coucher. Il n'aime pas aller se coucher.
            - Espérons qu'elle arrivera à l'en persuader, dit Winterbourne.
            - Elle lui parlera de son mieux, mais il n'aime pas qu'elle lui parle, dit Miss Daisy en ouvrant son éventail. Elle va essayer de faire en sorte qu'Eugenio lui parle. Mais il ne craint pas Eugenio. Eugenio est un admirable courrier, mais il n'impressionne pas beaucoup Randolph ! Je ne pense pas qu'il ira se coucher avant onze heures.
            Il apparut que la veille de Randolph put en fait se prolonger triomphalement, car Winterbourne continua à flâner en compagnie de la jeune fille sans rencontrer sa mère.
            - J'ai cherché cette dame à qui vous vouliez me présenter, reprit sa compagne. C'est votre tante.
            Winterbourne reconnut le fait et se montra désireux de savoir comment elle l'avait appris. Elle dit qu'elle avait tout su sur Mrs Costelle par la femme de chambre. Elle était très tranquille et très comme il faut. Elle avait des bouffées de cheveux blancs, elle ne parlait à personne et ne dînait jamais à la table d'hôte. Un jour sur deux elle avait la migraine.
            - Je trouve que c'est une description adorable, la migraine et tout ça ! dit Miss Daisy continuant à babiller de sa petite voix joyeuse. J'ai tellement envie de la connaître ! Je sais exactement comment sera votre tante. Je suis certaine que je l'aimerai. Elle sera très " sélect ". J'aime qu'une dame soit " sélect ". En fait nous sommes " sélect " maman et moi. Nous ne parlons pas à tout le monde, ou tout le monde ne nous parle pas. Je pense que cela revient à peut près au même. De toute façon je serai tellement contente de connaître votre tante.
            Winterbourne était embarrassé.
            - Elle en serait très heureuse, dit-il, mais je crains qu'il n'y ait ces migraines.
            La jeune fille le regarda à travers l'obscurité.
            - Mais elle n'a tout de même pas la migraine tous les jours, dit-elle d'un ton compatissant.
            Winterbourne garda un instant le silence.
            - C'est en tout cas ce qu'elle me dit, répondit-il enfin, ne sachant que dire.
            Miss Daisy Miller s'arrêta pour le regarder. Sa beauté demeurait visible même dans l'obscurité. Elle ouvrait et refermait son gigantesque éventail.
107619682            - Elle ne veut pas me connaître, dit-elle soudain. Pourquoi ne me le dîtes-vous pas ? Vous n'avez pas à avoir peur. Je n'ai pas peur, moi.
            Et elle eut un petit rire.
            Winterbourne crut percevoir un frémissement dans sa voix. Il en fut touché, ému, mortifié.
             - Chère mademoiselle, protesta-t-il, je vous assure qu'elle ne connaît personne. C'est à cause de sa déplorable santé.
            La jeune fille quelques pas, riant toujours.
            - Vous n'avez pas à avoir peur, répéta-t-elle. Pourquoi aurait-elle envie de me connaître ?
            Puis elle se tut à nouveau. Elle se tenait près du parapet du jardin et devant elle s'étendait le lac éclairé par les étoiles, sa surface miroitait légèrement et dans le lointain on distinguait confusément les formes des montagnes. Daisy Miller promena son regard sur le paysage mystérieux et eut un autre petit rire.
            - Miséricorde ! elle estt vraiment " select "! dit-elle.
            Winterbourne se demanda si elle était blessée pour de bon, et souhaita un instant que le sentiment de l'outrage fût assez développé en elle pour qu'il puisse se permettre de tenter de la rassurer et de la réconforter. Il avait l'agréable sentiment qu'elle serait très abordable à des fins de consolation. Il se sentait, dans l'instant, tout prêt à sacrifier sa tante, par conversation interposée, à reconnaître que c'était une femme orgueilleuse, brutale et à déclarer qu'ils ne devaient pas s'en soucier. Mais avant qu'il ait eu le temps de s'engager dans ce périlleux mélange de galanterie et d'impiété, la jeune fille, reprenant sa marche, poussa une exclamation sur un ton différent.
            - Tiens ! voilà maman ! Elle n'a pas réussi à mettre Randolph au lit.
            Une silhouette féminine apparut à ce moment à quelque distance, très confuse dans l'obscurité, avançant avec un mouvement lent, indécis. Soudain, elle parut s'arrêter.
            - Etes-vous certaine que ce soit votre mère ? Pouvez-vous la reconnaître dans cette épaisse obscurité ? demanda Winterbourne.
            -Voyons, s'écria Miss Daisy riant, je crois connaître ma propre mère. Surtout quand elle a mis mon châle. Elle porte toujours mes affaires.
            Ayant interrompu son avance, la dame en question semblait hésiter à l'endroit où ses pas butèrent.
            - Je crains que votre mère ne vous voie pas, dit Winterbourne. Ou peut-être, ajouta-t-il pensant qu'avec Miss Miller la plaisanterie était acceptable, peut-être se sent-elle coupable à propos de votre châle.
            - Oh, c'est une affreuse vieillerie, répondit tranquillement la jeune fille. Je lui ai dit qu'elle pouvait le mettre. Si elle ne vient pas c'est parce qu'elle vous voit.
            - Dans ce cas, dit Winterbourne, il vaudrait mieux que je vous laisse.
            - Oh non ! venez donc, le pressa Miss Miller.
            - Je crains que votre mère n'apprécie guère que je me promène en votre compagnie.
            Miss Miller lui jeta un regard sérieux.
            - Ce n'est pas pour moi, c'est pour vous, c'est-à-dire c'est pour elle. Enfin, je ne sais pas pour qui ! Mais maman n'aime aucun de mes amis masculins. Elle est vraiment timorée. Elle fait toujours des histoires si je lui présente un monsieur. Mais je les présente. Presque toujours. Si je ne présentais pas mes amis masculins à maman, ajouta la jeune fille de sa petite voix douce et monotone, j'aurais l'impression de ne pas être naturelle.
            - Pour me présenter, dit Winterbourne, vous devez connaître mon nom.
            Et il entreprit de le prononcer.
            - Oh, non, je ne peux pas dire tout ça ! dit sa compagne en riant.
            Pendant ce temps ils avaient rejoint Mrs Miller qui, tandis qu'ils s'approchaient, avait gagné le parapet du jardin et s'y était appuyée, regardant intensément le lac et leur tournant le dos.
            - Maman ! dit la jeune fille d'un ton décidé.i
            La plus âgée des deux dames se retourna alors.
            - Mr Winterbourne, dit Miss Daisy Miller, présentant le jeune homme de très franche et très jolie manière.
z04            Elle était " commune ", comme l'avait décrété Mrs Costello, mais Winterbourne s'étonna de trouver en elle, toute " commune " qu'elle fût, une grâce singulièrement délicate.
            La mère était une personne petite, fluette, légère avec un regard mobile, un tout petit nez et un grand front décoré d'une certaine quantité de cheveux fins et très frisés. Comme sa fille, elle était habillée avec une grande élégance, et portait aux oreilles d'énormes diamants. Autant que Winterbourne put s'en rendre compte, elle ne le salua pas, certainement elle ne le regardait pas. Daisy était auprès d'elle remettant son châle en place.
            - Qu'est-ce que tu traînes comme ça dans le coin ? demanda la jeune fille.
            Mais son ton ne reflétait en rien la rudesse qu'auraient pu impliquer les mots qu'elle avait choisis.
            - Je ne sais pas, dit la mère se tournant à nouveau vers le lac.
            - Je n'aurais jamais cru que tu pourrais vouloir ce châle ! s'exclama Daisy.
            - Eh bien, c'est le cas pourtant ! répondit sa mère avec un petit rire.
            - Tu es arrivée à mettre Randolph au lit ? demanda la jeune fille.
            - Non, je ne suis pas arrivée à le persuader, dit Mrs Miller sur un ton très doux. Il veut parler avec le garçon de l'hôtel. Il aime parler avec ce garçon.
            - C'est ce que je disais à Mr Winterbourne, enchaîna la jeune fille, et sa voix sonna aux oreilles du jeune homme comme si elle avait prononcé ce nom toute sa vie.
            - Ah, oui ! dit Winterbourne. J'ai le plaisir de connaître votre fille.
            La maman de Randolph se taisait. Elle s'intéressait au lac, mais elle finit par parler.
            - Je ne vois vraiment comment il vit.
            - De toute façon ce n'est pas pire que ça l'était à Douvres, dit Daisy Miller.
            - Que se passait-il à Douvres ? demanda Winterbourne.
            - Il ne voulait absolument pas aller se coucher. Je crois qu'il resté levé toute la nuit, dans le salon commun. Il n'était pas au lit à minuit, je le sais.
            - Il était minuit et demi, dit Mrs Miller avec une gentille insistance.
            - Est-ce qu'il beaucoup pendant la journée ? demanda Winterbourne.
            - Je ne crois pas qu'il dorme beaucoup, dit Daisy.
            - J'aimerais qu'il le fasse, dit sa mère. On dirait qu'il ne peut pas.
            - Il est vraiment exaspérant, poursuivit Daisy.
            Puis, durant quelques instants, le silence régna.
            - Voyons ! Daisy Miller, tu ne devrais pas parler ainsi contre ton frère.
            - Mais il est vraiment exaspérant, maman, dit Daisy sans qu'il y ait dans sa voix rien de l'âpreté d'une réplique.
            - Il n'a que neuf ans, insista Mrs Miller.
            - Enfin, il refuse d'aller à ce château, dit la jeune fille. J'irai avec Mr Winterbourne.
            A cette annonce tranquillement faite, la maman de Daisy ne répondit rien. Winterbourne présuma qu'elle désapprouvait vivement l'excursion projetée. Mais il pensa que c'était une personne simple, facile à manier et que quelques protestations respectueuses seraient de nature à atténuer son déplaisir.
            - Oui, commença-t-il, votre fille a bien voulu me faire l'honneur de m'accepter comme guide.
            Les yeux mobiles de Mrs Miller se fixèrent avec une sorte de supplication sur Daisy qui s'éloigna de quelques pas en chantonnant doucement.
            - Je suppose que vous irez par la voiture, dit la mère.
1807 louidr antoinette Lannes duchesse de Mnotebello            - Oui, ou par le bateau, dit Winterbourne.
            - Enfin, évidemment, je ne sais pas, répliqua Mrs Miller. Je n'ai jamais été dans ce château.
            - C'est dommage que vous ne puissiez venir, dit Winterbourne. Il commençait à se sentir rassuré quant aux résistances qu'elle pouvait lui opposer.
            Il était cependant tout à fait préparé à découvrir que, tout naturellement, elle avait l'intention d'accompagner sa fille.
            - Nous avons tant envisagé d'y aller, poursuivit-elle, mais apparemment ce n'était jamais possible. Bien sûr Daisy a envie de circulerr. Mais il y a une dame ici, je ne connais pas son nom, qui dit qu'elle ne comprend pas que nous puissions avoir envie d'aller voir les châteaux ici. Elle comprendrait que nous attendions d'être en Italie. On dit qu'il y en a tant là-bas, poursuivit Mrs Miller, d'un ton de plus en plus assuré. Bien sûr, nous voulons voir seulement les principaux. Nous en avons visité plusieurs en Angleterre, ajouta-t-elle au bout d'un moment.
            - Ah, oui ! en Angleterre il y a des châteaux admirables, dit Winterbourne. Mais Chillon ici mérite vraiment d'être vu.
            - Enfin, si Daisy se sent de taille à entreprendre... dit Mrs Miller sur un ton qui disait toute l'ampleur de l'entreprise. Il semble que rien ne puisse la faire reculer.
            - Oh, je pense qu'elle aimera beaucoup ! déclara Winterbourne.
            Il était de plus en plus désireux de s'assurer le privilège d'un tête à tête avec la jeune fille qui continuait à aller et venir devant eux, vocalisant doucement.
            - Vous n'avez pas l'intention, madame, d'entreprendre quant à vous cette excursion ? s'enquit-il.
           La mère de Daisy le regarda un instant, obliquement, puis fit quelques pas en silence.
           - Je crois qu'elle préfèrera y aller seule, dit-elle simplement.
           Winterbourne se fit la remarque que c'était une manière d'envisager le rôle de mère bien différente de celle des vigilantes matrones qui se massaient aux premières lignes des relations sociales dans la vieille ville austère à l'autre bout du lac. Mais ses réflexions furent interrompues par l'énoncé de son nom très distinctement proféré par la fille sans défense de Mrs Miller.
            - Mr Winterbourne ! murmura Daisy.
            - Mademoiselle ! dit le jeune homme.
            - Voulez-vous m'emmener faire une promenade en bateau ?
            - Maintenant ? demanda-t-il.
            - Bien sûr ! dit Daisy.
            - Voyons ! Annie Miller ! s'exclama la mère.
            - Je vous en prie, madame, accordez-lui votre permission, dit ardemment Winterbourne.
            Car jamais encore il n'avait éprouvé la merveilleuse sensation de diriger sous les étoiles d'un ciel d'été une embarcation ayant à son bord une fraîche et belle jeune fille.
            - Je ne pense pas qu'elle le veuille vraiment, dit la mère. Je pense qu'elle ferait mieux de rentrer.
            - Je suis sûre que Mt Winterbourne veut m'emmener, déclara Daisy. Il est si terriblement dévoué.
            - Pour vous je ramerai jusqu'à Chillon sous les étoiles.
            - Je ne vous crois pas ! dit Daisy.
            - Voyons ! s'écria la plus âgée des deux dames.
            - Cela fait une demi-heure que vous ne m'avez pas parlé, poursuivit la fille.
            - Je me trouvais entretenir une conversation très agréable avec votre mère, dit Winterbourne.
            - Bon, je veux que vous m'emmeniez faire une promenade en bateau ! répéta Daisy.
            Ils étaient tous trois arrêtés. Elle s'était tournée et regardait Winterbourne. Un sourire charmeur éclairait son visage, ses beaux yeux brillaient, elle agitait son grand éventail. Non, il ne saurait rien y avoir d'aussi joli, se dit Winterbourne.
z16            - Il y une demi-douzaine de bateaux amarrés à l'ambarcadère, dit-il en désignant les marches qui descendaient du jardin vers le lac. Si vous me faites l'honneur d'accepter mon bras, nous irons en choisir un.
            Daisy demeurait là, souriante. Elle rejeta la tête en arrière et émit un petit rire.
            - J'aime qu'un monsieur mette les formes ! déclara-t-elle.
            - Je vous assure que c'est une offre en bonne et due forme.
            - J'étais sûre que j'arriverais à vous faire dire quelque chose, poursuivit Daisy.
            - Vous voyez, ce n'est pas très difficile, dit Winterbourne. Mais je crains que vous ne soyez en train de me taquiner.
            - Ce n'est pas mon avis, monsieur, remarqua Mrs Miller avec beaucoup de douceur.
            - Permettez-moi donc de vous offrir une promenade en barque, dit-il à la jeune fille.
            - C'est vraiment adorable comme vous le dites ! s'écria Daisy.
            - Ce serait e ! dit Dncore plus adorable de le faire.
            - Oui, ce serait adorable, dit Daisy.
            - Mais elle ne fit aucun mouvement pour l'accompagner, elle se contenta de demeurer là, riant.
            - Je pense que tu ferais mieux de voir l'heure qu'il est, intervint sa mère.
            - Il est onze heures, madame, dit une voix à l'accent étranger sortie des ténèbres environnantes. Et, se retournant, Winterbourne aperçut le personnage fleuri qui était au service des deux dames. Apparemment, il venait d'arriver.
            - Eugenio, dit Daisy, je vais faire un tour en barque !
            Eugenio s'inclina.
            - A onze heures, Mademoiselle ?
            - Je pars avec Mr Winterbourne. A l'instant même.
            - Dites-lui que ce n'est pas une chose à faire, dit Mrs Miller au courrier.
            - Je pense que vous feriez mieux de ne pas aller faire de tour en barque, Mademoiselle, déclara Eugenio.
            Winterbourne aurait tout donné pour que cette belle jeune fille ne fût pas aussi familière avec son courrier. Mais il ne dit rien.
            - Je suppose que vous trouvez que ce n'est pas convenable ! s'exclama Daisy. Pour Eugenio, rien n'est jamais convenable.
            - Je suis à votre disposition, dit Winterbourne.
            - Mademoiselle envisage-t-elle de partir seule ? s'enquit Eugenio auprès de Mrs Miller.
            - Oh, non, avec ce monsieur ! répondit la maman de Daisy.
            - Le courrier considéra un instant Winterbourne. Ce dernier eut l'impression qu'il souriait. Puis, solennellement, en s'inclinant :
z01            - Comme il plaira à Mademoiselle.
            - Oh, j'espérais que vous alliez faire des histoires ! dit Daisy. Je n'ai plus envie d'y aller maintenant.
            - C'est moi qui ferai des histoires si vous ne venez pas, dit Winterbourne.
            - C'est tout ce qu'il me faut, quelques petites histoires !
            Et la jeune fille se remit à rire.
            - Mr Randolph est allé se coucher, annonça froidement le valet.
            - Oh, Daisy, à présent on rentre ! dit Mrs Miller.
            Daisy s'écarta de Winterbourne, le regarda, souriant et s'éventant.
            - Bonne nuit, dit elle. J'espère que vous êtes déçu ou dégoûté, ou quelque chose !
            Il la regarda, prit la main qu'elle lui offrait.
            - Je suis déconcerté, répondit-il.
            - Enfin, j'espère que ça ne vous empêchera pas de dormir, dit-elle vivement.
            Et, escortées par l'heureux Eugenio, les deux dames s'en furent en direction de l'hôtel.
            Winterbourne les suivit du regard. Il était effectivement déconcerté. Il s'attarda un quart d'heure au bord du lac, s'interrogeant sur le mystère des brusques familiarités et caprices de la jeune fille. Mais la seule conclusion bien nette à laquelle il parvint fut qu'il aimerait diablement " sortir " avec elle quelque part.
            Deux jours plus tard il sortait avec elle pour aller au château de Chillon. Il l'attendit dans le vaste hall de l'hôtel où les courriers, les domestiques, les touristes étrangers déambulaient, le regard aux aguets. Ce n'était pas l'endroit qu'il aurait choisi, mais c'était celui qu'elle lui avait fixé. Elle arriva, descendant l'escalier d'un pas léger, boutonnant ses longs gants, serrant son ombrelle fermée contre sa jolie personne, habillée à la perfection d'une toilette de voyage d'une élégance sobre. Winterbourne était un homme d'imagination et, comme disaient nos ancêtres, de sensibilité. Tandis qu'il regardait la toilette sur le monumental escalier, son petit pas rapide et confiant, il eut la sensation que quelque chose de romantique se préparait. Pour un peu il aurait cru qu'il était sur le point de s'enfuir avec elle. Il traversa avec elle la foule des oisifs assemblés dans le hall. Tous fixaient sur elle des regards particulièrement intenses. Elle commença à bavarder sitôt qu'elle l'eût rejoint. Winterbourne aurait préféré aller à Chillon en voiture, mais elle exprima vivement le souhait de prendre le petit vapeur. Elle déclara qu'elle avait toujours eu une passion pour les bateaux à vapeur. Il y avait toujours une si adorable brise sur l'eau et on y voyait tant de gens. La traversée n'était pas longue, mais la compagne de Winterbourne trouva le temps de dire un tas de choses; Pour le jeune homme cette petite excursion ressemblait tellement à une escapade, une aventure, que même compte tenu du sens de la liberté qu'elle manifestait habituellement, il avait presque espoir de la voir dans les mêmes dispositions. Mais il faut avouer que, sur ce point, il fut déçu. Daisy Miller était extrêmement animée, elle était d'une humeur charmante, mais apparemment absolument pas excitée. Elle n'était pas troublée, elle n'évitait pas son regard, pas plus que celui de quiconque, elle ne rougissait pas davantage quand il la regardait que lorsqu'elle s'apercevait que les gens la regardaient. Les gens continuaient à la regarder abondamment et Winterbourne était très satisfait de l'air distingué de sa belle compagne. Il avait vaguement craint qu'elle ne parle fort, qu'elle ne rie exagérément même, peut-être, qu'elle ne désire aller et venir sur le bateau de manière inconsidérée. Mais il avait complètement oublié ses craintes, il restait assis les yeux fixés sur son visage tandis que, sans bouger de sa place, elle lui faisait part d'un grand nombre de réflexions originales. C'était le plus charmant babil qu'il ait jamais entendu. Il avait implicitement admis qu'elle était " commune ". Mais l'était-elle, après tout, ou était-il simplement en train de s'habituer à ses moeurs ? Sa conversation relevait principalement de ce que les métaphysiciens appellent le tour objectif, mais de temps à autre elle prenait un tour subjectif.
            - Qu'avez-vous à faire une tête aussi solennelle ? demanda-t-elle soudainement en plongeant ses yeux aimables dans ceux de Winterbourne.
            - Ai-je l'air sollennel ? demanda-t-il. Je croyais sourire d'une oreille à l'autre.
           - Vous faites une tête, comme si vous m'emmeniez à un enterrement. Si c'est un sourire, vous avez les oreilles vraiment rapprochées.
            - Vous voudriez que je danse la matelote sur le pont ?
            - Oh, oui, allez-y, je ferai la quête avec votre chapeau. Ca paiera notre voyage.
            - Je n'ai jamais été aussi heureux de ma vie, murmura Winterbourne.
            Elle
regarda un instant puis partit d'un petit rire.
            - J'adore vous faire dire ce genre de choses ! Vous faîtes un drôle de mélange !
            Au château, après qu'ils eurent débarqué, l'élément subjectif l'emporta résolument. Daisy trottina légèrement à travers les salles voûtées, fit bruisser ses jupes dans les escaliers en colimaçon, eut un mouvement de recul accompagné d'un frisson et d'un joli petit cri au bord des oubliettes, et prêta une oreille particulièrement bien ciselée à tout ce que Winterbourne lui disait sur l'endroit. Mais il s'aperçut qu'elle se souciait fort peu des antiquités féodales et que les poussiéreuses traditions de Chillon ne l'impressionnaient que très modérément. Ils eurent la bonne fortune de pouvoir déambuler sans autre compagnie que celle du gardien, et Winterbourne se mit d'accord avec ce fonctionnaire pour qu'il ne les pressât pas, pour qu'ils puissent s'attarder et s'arrêter selon leur choix. Le gardien interpréta généreusement le marché, nte de son côté s'était montré généreux, et finit par les
z12laisser totalement l'un à l'autre. Les remarques de Miss Miller ne se signalaient pas par leur logique, elle trouvait toujours un prétexte pour tout ce qu'elle avait envie de dire. Elle trouva de nombreux prétextes dans les embrasures accidentées de Chillon pour poser à Winterbourne de soudaines questions sur lui-même, sa famille, sa vie passée, ses goûts, ses habitudes, ses intentions, et pour le renseigner sur sa propre personnalité. Sur ses goûts, habitudes et intentions, Miss Miller était toute prête à fournir les renseignements les plus précis et, de fait, les plus favorables.
            - Eh bien, vous en savez des choses, dit-elle à son compagnon, après qu'il lui eut raconté l'histoire de l'infortuné Bonivard. Je ne connais pas un homme qui en sache autant !
            L'histoire de Bonivard lui était manifestement, comme on dit, entrée par une oreille et sortie par l'autre. Mais Daisy poursuivit en disant qu'elle aimerait que Winterbourne voyage et " circule "avec eux. Ils pourraient peut-être savoir quelque chose de cette manière.
            - Vous ne voulez pas venir donner des leçons à Randolph ? demanda-t-elle.
            Winterbourne dit que rien ne saurait lui être plus agréable, mais qu'il avait malheureusement d'autres occupations.
            - D'autres occupations ? je ne vous crois pas ! dit Miss Daisy. Que voulez-vous dire ? vous n'êtes pas dans les affaires.
            Le jeune homme convint, il n'était pas dans les affaires, mais il avait des engagements qui, sous un jour ou deux, le contraindraient à regagner Genève.
            - Ah, Zut ! dit-elle. Je ne vous crois pas ! et elle se mit à parler d'autre chose.
           Mais quelques instants plus tard, alors qu'il lui signalait la beauté des lignes d'une cheminée ancienne, elle s'écria, tout à fait hors de propos.
            - Vous n'allez vraiment pas me dire que vous retournez à Genève ?
            - C'est une chose bien triste à dire, mais je dois retourner à Genève demain.
            - Eh bien Mr Winterbourne, dit Daisy, je vous trouve vraiment horrible !
           - Oh, ne dites pas de choses aussi affreuses ! dit Winterbourne. Juste le dernier jour.
           - Le dernier ! s'écria la jeune fille. Pour moi, c'est le premier. J'ai presque envie de vous planter là et de filer directement à l'hôtel, seule.
            Et pendant les dix minutes suivantes elle ne fit rien d'autre que lui dire qu'il était vraiment horrible. Le pauvre Winterbourne était complètement désorienté. Aucune jeune dame ne lui avait jusqu'ici fait l'honneur d'être aussi perturbée par l'annonce de ses déplacements. Après cela sa compagne cessa de prêter la moindre attention aux curiosités de Chillon ou aux beautés du lac. Elle ouvrit le feu sur la mystérieuse beauté fatale de Genève qu'il était si pressé de rejoindre. C'était du moins ce qu'elle semblait penser. Comment Daisy Miller savait-elle qu'il y avait une beauté fatale à Genève ? Winterbourne, qui niait l'existence d'une telle personne, fut totalement incapable de le découvrir, et il était partagé entre l'étonnement devant la rapidité de l'induction de Miss Miller et l'amusement devant la franchise ouverte de son persiflage. Dans tout ceci, elle lui apparut comme un extraordinaire mélange d'innocence et de brutalité.
            - Elle ne vous accorde jamais plus de trois jours de suite ? demanda ironiquement Daisy. Elle ne vous donne pas de congé d'été ? Il n'y a personne d'exploité au point de ne pas avoir un congé en cette saison. Je suppose que si vous restez un jour de plus elle prendra le bateau pour venir vous chercher. Attendez jusqu'à vendredi, je vous en prie, je descendrai au débarcadère assister à son arrivée !
            Winterbourne commençait à penser qu'il avait eu tort de se sentir déçu par les dispositions de la jeune fille lorsqu'elle avait pris place à bord. Si l'accent personnel était alors absent, le voilà qui faisait son apparition. Il l'entendit sonner très nettement, enfin, quand elle lui dit qu'elle cesserait de le taquiner s'il lui promettait solennellement de venir à Rome cet hiver.
            - Ce n'est pas une promesse bien difficile à faire, dit Winterbourne. Ma tante a ret.
            - Les Américaines, celles du courrier ? demanda cette dame.
            - Ah, heureusement, dit Winterbourne, le courrier est resté à l'hôtel.
            - Elle est allée avec toi, toute seule ?
            - Toute seule.
            Mrs Costelle porta son flacon de sel à ses narines.
            - Et c'est donc ça, s'exclama-t-elle, la jeune personne que tu voulais me faire connaître !


                         
                                                                              à suivre...... Chapître III sur IV

             Winterbourne qui avait............/
         

samedi 2 juillet 2016

Daisy Miller 1 Henry James ( nouvelle EtatsUnis )

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                                                                   Daisy Miller 

                                                                       I

                        Dans la petite ville de Vevey, en Suisse, il y a un hôtel particulièrement confortable. Il y a, en fait, plusieurs hôtels car le divertissement des touristes est l'affaire de l'endroit qui, comme beaucoup de voyageurs s'en souviendront, est situé au bord d'un lac d'un bleu remarquable, un lac que tout touriste se doit de visiter. Le rivage du lac offre un déploiement sans faille d'établissements de cet ordre, de toutes catégories, depuis le Grand Hôtel de la dernière vogue avec une façade blanc crayeux, une centaine de balcons et une douzaine de drapeaux s'élançant du toit, jusqu'à la petite pension suisse d'un autre temps avec son nom inscrit en un lettrage façon gothique sur un mur rose ou jaune, et un pavillon ingrat dans le coin du jardin. Un des hôtels de Vevey, toutefois, est fameux, classique même, pour ce qu'il se distingue de nombre de ses voisins parvenus par un air de luxe et de maturité mélangées. Dans cette région, au mois de juin, les voyageurs américains sont extrêmement nombreux. On peut dire, en fait, que Vevey revêt durant cette période un certain nombre des traits qui caractérisent une station balnéaire américaine. Il y a des sons et des visions qui évoquent un écho, une vue de Newport et de Saratoga, un perpétuel va-et-vient de jeunes filles " dans le vent ", un bruissement de volants de mousseline, un crépitement de musique de danse aux heures du matin, un bruit de voix haut perchées en tout temps. Vous avez un aperçu de ceci à l'excellente auberge des Trois Couronnes où vous vous trouvez transporté en imagination à Ocean House ou Congress Hall. Mais aux Trois Couronnes, il faut l'ajouter, il y a des particularités qui jurent nettement avec ces idées : irréprochables serveurs allemands qui ressemblent à des secrétaires d'ambassade, princesses russes assises dans le jardin, petits garçons polonais déambulant en tenant la main de leur gouverneur, une vue sur la crête neigeuse de la Dent du Midi et les pittoresques tours du château de Chillon.
            Je ne saurais dire si c'étaient les analogies ou les différences qui prenaient le dessus dans l'esprit d'un jeune Américain qui, voici deux ou trois ans de cela, se trouvait assis dans le jardin des Trois Couronnes, jetant autour de lui des regards plutôt distraits vers quelques-uns des gracieux objets que j'ai mentionnés. C'était une très belle matinée d'été et, quelque soit la façon dont le jeune Américain regardait les choses, elles avaient dû lui paraître charmantes. Il était arrivé la veille de Genève, par le petit vapeur, pour voir sa tante qui séjournait à l'hôtel, Genève ayant été longtemps son lieu de résidence. Mais sa tante avait la migraine, sa tante avait presque toujours la migraine, et elle était maintenant cloîtrée dans sa chambre, aspirant du camphre, de sorte qu'il était libre de vaguer à sa guise. Il avait quelque vingt-sept ans. Quand ses amis parlaient de lui ils disaient généralement qu'il était à Genève " pour études ". Quand ses ennemis parlaient de lui, ils disaient, mais, après tout, il n'avait pas d'ennemis. C'était un garçon extrêmement aimable, et universellement apprécié. Ce que je dois ajouter, simplement, c'est que quand certaines personnes parlaient de lui, elles affirmaient qu'il passait tant de temps à Genève parce qu'il était très attaché à une dame qui y vivait, une étrangère, une personne plus âgée que lui. Il y avait très peu d'Américains, aucun en fait, je pense, qui aient vu cette dame sur qui courraient d'étranges histoires. Mais Winterbourne avait un vieil attachement pour la petite métropole du calvinisme. On l'y avait mis à l'école tout enfant et c'est là qu'il était ensuite allé au collège, ce qui l'avait conduit à former un grand nombre d'amitiés de jeunesse. Beaucoup lui étaient restées, et elles lui étaient une source de grande satisfaction.  *        
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            Après avoir frappé à la porte de la chambre de sa tante et su qu'elle était souffrante, il était allé se dégourdir les jambes dans la ville, puis était rentré déjeuner. Il buvait maintenant une petite tasse de café déposée sur une petite table du jardin, par un des garçons qui avaient un air d'attaché. Son café terminé il alluma une cigarette. A cet instant un petit garçon s'avançait dans l'allée, un gamin de neuf ou dix ans. L'enfant qui était plutôt chétif pour son âge, avait sur le visage une expression vieille, un teint pâle et des traits menus et aigus. Il portait des knickerbockers avec des bas rouge qui mettaient en évidence ses pauvres petits mollets de coq. Il avait aussi une cravate d'un rouge éclatant. Il tenait à la main un long alpenstock et en plantait la pointe acérée dans tout ce qui passait à sa portée, les plates-bandes, les bancs de jardin, les traînes des robes des dames. Au niveau de Winterbourne il marqua un arrêt fixant sur lui deux petits yeux brillants et pénétrants.
            - Voulez-vous me donner un morceau de sucre ? demanda-t-il d'une petite voix dure et rêche, une voix non mûrie et cependant, en un sens, pas jeune.
            Winterbourne jeta un regard sur la petite table à ses côtés qui portait le service à café, et vit que plusieurs morceaux de suce restaient.
            - Oui, vous pouvez en prendre un, répondit-il, mais je ne crois pas que le sucre soit bon pour les petits garçons.
            Le petit garçon en question s'avança et choisit soigneusement trois des fragments convoités. Deux furent enfouis dans la poche de ses knickerbockers, tandis que l'autre était tout aussi rapidement déposé dans un autre endroit. Il piqua son alpenstock à la manière d'une lance dans le banc de Winterbourne et essaya de cser le morceau de sucre avec ses dents.
            - Zut, c'est du-u-r ! s'exclama-t-il d'une façon bizarre.
            Winterbourne s'était immédiatement aperçu qu'il pourrait avoir l'honneur de reconnaître en lui un compatriote.
            - Faites attention de ne pas vous abîmer les dents, dit-il paternellement.
            - Je n'ai pas de dents à abîmer. Elles sont toutes tombées. Je n'ai que sept dents. Ma mère les a comptées hier soir, et il y en une qui est tombée juste après une autre. Je n'y peux rien. C'est cette vieille Europe/ C'est le climat qui les fait tomber. En Amérique elles ne tombent pas. C'est ces hôtels.
            Winterbourne s'amusait beaucoup.
            - Si vous mangez trois morceaux de sucre, votre mère vous donnera certainement une gifle, dit-il.
            - Elle n'a qu'à me donner des bonbons alors, répliqua son jeune interlocuteur. Je ne peux pas avoir de bonbons ici, de bonbons américains. Les bonbons américains sont les meilleurs bonbons.
            - Et les petits garçons américains ? demanda Winterbourne.
            - Je ne sais pas. Je suis un petit Américain, dit l'enfant.
            - Je vois que vous êtes un des meilleurs ! fit en riant Winterbourne.
            - Etes-vous un Américain ? enchaîna l'enfant vivace.
Afficher l'image d'origine            Et, sur la réponse affirmative de Winterbourne, il déclara :
            - Les Américains sont les meilleurs.
            Son compagnon le remercia du compliment, et l'enfant maintenant à califourchon sur son alpenstock, resta à regarder autour de lui, tout en attaquant un deuxième morceau de sucre. Winterbourne se demanda s'il avait été comme ça dans son enfance, car c'est à peu près à cet âge qu'il avait été emmené en Europe.
            - Voilà ma soeur ! cria l'enfant au bout d'un  moment. C'est une fille américaine.
            Winterbourne remonta le sentier du regard et vit avancer une très belle jeune dame.
             - Les filles américaines sont les meilleures filles, dit-il                                                            gaiement à son jeune compagnon.
             - Ma soeur n'est pas la meilleure ! déclara l'enfant. Elle est toujours en train de me cafarder.
             - J'imagine que c'est votre faute, pas la sienne, dit Winterbourne.
            Pendant ce temps la jeune femme s'était rapprochée. Elle était vêtue de mousseline blanche, avec une centaine de froncés et de ruchés et des noeuds de ruban de couleur pâle. Elle était nu-tête mais elle balançait dans sa main une grande ombrelle avec une large bordure de broderie : et elle était étonnamment, admirablement belle.
            - Comme elles sont belles, pensa Winterbourne en se redressant sur son siège, comme pour se lever.
            La jeune dame s'arrêta devant son banc, près du parapet du jardin d'où l'on voyait le lac. Le petit garçon avait maintenant converti son alpenstock en perche à sauter et l'utilisait pour faire des bonds dans le gravier qu'il faisait abondamment voler.
            - Randolph, dit la jeune dame, mais qu'est-ce que tu fais ?
            - J'escalade les Alpes, répondit Randolph. C'est comme ça qu'on fait !
            Et il fit un autre petit bond faisant voler les cailloux à proximité des oreilles de Winterbourne.
            - C'est comme ça  qu'on descend, dit Winterbourne.
            - C'est un Américain ! s'écria Randolph de sa petite voix dure.
            La jeune dame ne prêta aucune attention à ce faire-part, mais jeta un regard aigu à son frère.
            - Je crois que tu devrais te tenir tranquille, se contenta-t-elle d'observer.
           Winterbourne eut l'impression que les présentations avaient, en un sens, été faites. Il se leva et s'avança lentement vers la jeune fille en jetant sa cigarette.
            - Ce jeune garçon et moi avons fait connaissance, dit-il fort urbainement.
            A Genève, comme on n'avait pas manqué de le lui apprendre, un jeune homme n'était pas autorisé à parler à une jeune personne encore demoiselle, si ce n'est dans certaines conditions qui se présentaient rarement. Mais ici, à Vevey, quelles meilleures conditions pouvaient-ils y avoir ? " Une jolie fille américaine s'arrêtant devant vous dans un jardin ". Cette jolie fille américaine, toutefois, se contenta de répondre par un bref coup d'oeil à la remarque de Winterbourne, elle détourna ensuite la tête et regarda par-dessus le parapet, en direction du lac et des montagnes en face. Il se demanda s'il n'était pas allé trop loin, mais il décida que la poursuite de l'avance était préférable à la retraite. Pendant qu'il cherchait ce qu'il pourrait dire, la jeune dame se tourna à nouveau vers le petit garçon.
            - J'aimerais bien savoir où tu as eu cette perche, dit-elle.
            - Je l'ai achetée ! répliqua fièrement Randolph.  
            - Tu ne vas pas me dire que tu vas l'emporter en Italie !
            - Oui, je vais l'emporter en Italie ! déclara l'enfant.                        panoramio.com
Afficher l'image d'origine            La jeune fille considéra le devant de sa robe et lissa un ou deux noeuds de ruban. Puis elle reporta à nouveau les yeux vers le paysage.
            - Je crois que tu devrais la laisser quelque part.
            - Vous partez pour l'Italie ? demanda Winterbourne sur un ton de grand respect.
            La jeune fille lui jeta un nouveau bref coup d'oeil.
            - Oui monsieur, répondit-elle.
            Et rien de plus.
            -  Vous... euh... franchissez le Simplon ? poursuivit Winterbourne un peu embarrassé.
            - Je ne sais pas, dit-elle. Ce doit être un genre de montagne. Randolph, quelle montagne franchissons-nous ?
            - Pour aller où ? demanda l'enfant.
            - En Italie, expliqua Winterbourne.
            - Je ne sais pas, dit Randolph. Je ne veux pas aller en Italie. Je veux aller en Amérique.
            - Oh, mais l'Italie est un merveilleux pays ! répliqua le jeune homme.
            - On peut avoir des bonbons là-bas ? demanda Randolph d'une voix sonore.
            - J'espère bien que non, dit la soeur. Je crois que tu as eu assez de bonbons, et c'est aussi l'avis de maman.
            - Il y a tant et tant de temps que je n'en ai pas eu, cent semaines au moins, s'écria l'enfant poursuivant ses bonds.
            La jeune dame inspecta ses volants et lissa à nouveau ses rubans. Et Winterbourne hasarda opportunément une remarque sur la beauté de la vue. Son embarras tombait, car il s'apercevait que de son côté elle n'était pas le moins du monde embarrassée. Il n'y avait pas eu la moindre altération sur son charmant visage. Elle n'était manifestement ni offensée, ni effarouchée. Si elle regardait d'un autre côté quand il lui parlait et ne semblait pas particulièrement l'entendre, c'était simplement son habitude, sa façon d'être. Cependant, à mesure qu'il s'enhardissait à parler et lui désignait quelques objets d'intérêt dans le paysage, qu'elle paraissait ignorait totalement, elle lui consacra peu à peu de plus en plus de ses brefs regards. Et alors il s'aperçut que ce regard était parfaitement direct et hardi. Ce n'était pas, toutefois, un regard qu'on aurait pu qualifier d'impudique, car les yeux de la jeune fille étaient singulièrement loyaux et francs. C'étaient des yeux d'une beauté merveilleuse, et en fait, il y avait longtemps que Winterbourne n'avait rien vu d'aussi beau que les traits de sa belle compatriote, son teint, son nez, ses oreilles, ses dents. Il avait un goût prononcé pour la beauté féminine. Il s'adonnait à son observation et son analyse, et quant au visage de cette jeune dame, il fit plusieurs observations. Il n'était pas du tout insipide, mais il n'était pas exactement expressif, et bien qu'il fût éminemment délicat; Winterbourne l'accusa mentalement, avec beaucoup d'indulgence, de manquer de finesse. Il lui paraissait possible que la soeur de Master Randolph soit une coquette. Il était certain qu'elle avait une personnalité originale, mais dans son petit visage clair, lisse, superficiel, il n'y avait pas trace de moquerie, ni d'ironie. Il devint très vite évident qu'elle était toute disposée à converser. Elle lui dit qu'ils allaient à Rome pour l'hiver. Elle lui demanda s'il était " vraiment américain ", elle ne l'aurait jamais pris pour tel. Il ressemblait plutôt à un Allemand, ceci fut dit avec une légère hésitation, surtout quand il parlait. Winterbourne répondit en riant qu e'il avait rencontré des Allemands qui parlaient comme des Américains. Mais il n'avait jamais, d'aussi loin qu'il se rappelle, rencontré d'Américain qui parle comme un Allemand. Puis il lui demanda si elle ne serait pas mieux assise sur le banc qu'il venait de quitter. Elle répondit qu'elle aimait rester debout et se promener, mais elle s'assit bientôt. Elle lui dit qu'elle était de l'Etat de NewYork, " si vous savez où ça se trouve. Winterbourne en apprit davantage sur elle en s'emparant de son remuant petit frère et en le retenant quelques instants à son côté.
Afficher l'image d'origine***            - Dis-moi ton nom, mon garçon, dit-il.
            - Randolph C. Millern dit le garçon rêchement. Et je vais vous dire son nom à elle.
            Et il leva son alpenstock vers sa soeur.
            - Tu ferais mieux d'attendre qu'on te le demande ! dit la jeune dame calmement
            - J'aimerais beaucoup connaître votre nom, dit Winterbourne.
            - Elle s'appelle Daisy Miller ! s'écria l'enfant Mais ce n'est pas son vrai nom, ce n'est pas son nom sur ses cartes
            - C'est vraiment dommage que tu n'aies pas une de mes cartes ! dit Miss Miller.
            - Son vrai nom est Annie P. Miller, poursuivit le garçon.
           - Demande-lui son nom à lui, dit la soeur en montrant Winterbourne.
           Mais ceci parut laisser Randolph complètement indifférent. Il continua à fournir des renseignements concernant sa propre famille.
            - Mon père s'appelle Ezra B. Miller, annonça-t-il. Mon père n'est pas en Europe, mon père est dans un meilleur endroit que l'Europe.
            Winterbourne imagina un instant que c'était ainsi que l'on avait appris à l'enfant à signifier que Mr Miller avait rejoint le lieu du repos éternel. Mais Randolph ajouta immédiatement :
            - Mon père est à Shenectady. Il a une grosse affaire. Mon père est riche, vous savez.
            - Voyons ! s'écria Miss Miller abaissant son ombrelle et considérant la bordure brodée.
            Winterbourne rendit sa liberté à l'enfant qui partit traînant son alpenstock le long de l'allée.
            - Il n'aime pas l'Europe, dit la jeune fille. Il veut s'en retourner.
            - A Shenectady, vous voulez dire ?
            - Oui. Il veut rentrer à la maison. Il n'a pas de camarade ici. Il y a un garçon ici, mais il a toujours un précepteur avec lui. Ils ne le laissent pas jouer.
            - Et votre frère n'a pas de précepteur ? s'enquit Winterbourne.
            - Ma mère a pensé en prendre un, pour voyager avec nous. Il y a eu une dame qui lui a parlé d'un très bon précepteur, une dame américaine, vous la connaissez peut-être, Mrs Sanders. Je crois qu'elle venait de Boston. Elle lui a parlé de ce précepteur et nous avons pensé le prendre pour voyager avec nous. Mais Randolph a dit qu'il ne voulait pas de précepteur voyageant avec nous. Il a dit qu'il ne prendrait pas de leçons quand il serait en voiture. Et nous sommes en voiture à peu près la moitié du temps. Il y avait une dame anglaise que nous avons rencontrée en voiture, je crois qu'elle s'appelait Mrs Featherstone, vous la connaissez peut-être. Elle voulait savoir pourquoi je ne donnais pas de leçons à Randolph, lui donner " de l'instruction ", comme elle disait. Je pense qu'il pourrait me donner davantage d'instruction que je ne pourrais lui en donner. Il est très intelligent.
            - Oui, dit Winterbourne, il a l'air très intelligent.
            - Ma mère va lui trouver un professeur aussitôt que nous serons en Italie. Trouve-t-on de bons professeurs en Italie ?
            - Très bons, je pense, dit Winterbourne.
            - Ou autrement elle trouvera une école. Il faut qu'il apprenne encore. Il n'a que neuf ans. Il ira au collège.
            Et ainsi Miss Miller continua à converser sur les affaires, sa famille et autres sujets. Elle restait là, assise, ses très belles mains ornées de bagues très brillantes reposant sur ses genoux, ses beaux yeux tantôt rencontrant ceux de Winterbourne, tantôt errant sur le jardin, les gens qui passaient et le splendide panorama. Elle parlait à Winterbourne comme si elle le connaissait depuis longtemps. Il trouvait cela très agréable. Il y avait de nombreuses années qu'il n'avait pas entendu une jeune fille parler autant. On aurait pu dire de cette jeune dame inconnue qui était venue s'asseoir sur un banc à côté de lui, qu'elle babillait. Elle était très calme. Elle demeurait assise dans une attitude de charmante tranquillité, mais ses lèvres et ses yeux étaient constamment en mouvement. Elle avait une voix douce, ténue, agréable, et son ton était résolument sociable. Elle fit à Winerbourne le récit de ses déplacements et intentions, ainsi que ceux de sa mère et de son frère, à travers l'Europe, et énuméra en particulier les différents hôtels où ils étaient descendus.
            - Cette dame anglaise rencontrée en voiture, dit-elle, Miss Featherstone, m'a demandé si nous ne vivions pas dans des hôtels en Amérique. Je lui ai dit que de ma vie je 'avais autant fréquenté d'hôtels que depuis que je suis venue en Europe. Je n'en ai jamais vu autant, on ne voit que ça.
Afficher l'image d'origine            Mais Miss Miller ne fit pas cette remarque sur un ton      **** maussade, tout paraissait l'enchanter. Elle déclara que les hôtels étaient très bien, une fois qu'on en avait pris l'habitude, et que l'Europe était vraime nt exquise. Elle n'était pas déçue, pas du tout. Peut-être était-ce parce qu'elle en avait tant entendu parler avant. Elle avait tant et tant d'amies intimes qui y étaient allées tant et tant de fois. Et puis elle avait eu tant et tant de robes et de choses de Paris. Chaque fois qu'elle mettait une robe de Paris, elle avait     l'impression d'être en Europe.                      
            - C'était une sorte de chapeau de Fortunatus, dit Winterbourne.
            - Oui, dit Miss Miller sans approfondir l'analogie, ça m'a toujours donné l'envie de venir ici. Mais ça ne valait pas la peine de le faire pour des robes. Je suis certaine qu'ils envoient les plus belles en Amérique. Vous voyez ici les choses les plus épouvantables. La seule chose que je n'aime pas, poursuivit-elle, c'est la société. Ou, s'il y en a une, on ne sait pas où elle se cache. Vous le savez, vous ? Je suppose qu'il y a de la société quelque part, mais je n'en ai rien vu. J'aime beaucoup la société, et je suis toujours très entourée. Pas seulement à Shenectady, mais même à NewYork. A NewYork je ne manquais pas d'entourage. L'hiver dernier j'ai eu dix-sept dîners donnés pour moi, dont trois par des messieurs. J'ai plus d'amis à NewYork qu'à Shenectady, plus d'amis hommes, et plus d'amies femmes aussi, reprit-elle au bout d'un moment.
            Elle eut un nouveau bref silence, regardait Winterbourne, irradiant toute sa beauté dans ses yeux animés et son léger sourire un peu monotone.
            - J'ai toujours eu, dit-elle, beaucoup de messieurs autour de moi.
            Le pauvre Winterbourne était amusé, intrigué et résolument charmé. Il n'avait jamais entendu une jeune fille s'exprimer de cette manière-là, jamais, du moins, si ce n'est dans les cas où le fait de dire de telles choses semblait apporter la preuve manifeste d'une certaine laxité de conduite. Mais devait-il accuser Miss Daisy de réelle ou potentielle "inconduite ", comme on dit à Genève ? Il se dit qu'il avait vécu si longtemps dans cette ville qu'il était passé à côté de beaucoup de choses : il avait perdu l'habitude du ton américain. Jamais, en fait, depuis le moment où il avait été en âge d'apprécier les choses, il n'avait rencontré une jeune Américaines au caractère aussi marqué. A coup sûr elle était très charmante, mais si diablement liante ! Etait-elle simplement une jolie fille de l'Etat de NewYork, étaient-elles toutes comme cela, les jolies filles qui avaient toujours beaucoup de messieurs autour d'elles ? Ou bien était-elle aussi une jeune intrigante, audacieuse et dénuée de scrupules ? Winterbourne avait perdu son instinct en la matière, et sa raison ne pouvait lui être d'aucun secours. Miss Daisy Miller paraissait extrêmement innocente. On lui avait bien dit que parfois, somme toute, les jeunes Américaines étaient innocentes à l'excès. Et on lui avait dit aussi que, somme toute, elles ne l'étaient pas. Il inclinait à penser que Miss Daisy était un flirt, un joli petit flirt américain. Il n'avait jamais, jusqu'alors, entretenu de rapports avec des jeunes filles de cette sorte. Il avait connu, ici, en Europe, deux ou trois femmes, des personnes plus âgées que Miss Daisy Miller et pourvues, pour des raisons de respectabilité, de maris. C'étaient de grandes coquettes, des femmes dangereuses, terrib qu'on ne pouvait fréquenter sans s'exposer à voir l'affaire prendre un tour sérieux. Mais cette jeune fille n'était pas une coquette de cette sorte. Elle était très naturelle. Ce n'était qu'un joli flirt américain.
Winterbourne fut quasiment réconforté d'avoir trouvé la formule qui s'appliquait à Miss Daisy Miller.
 Il se renversa sur son siège. Il se fit en aparté la remarque qu'elle avait le nez le plus charmant qu'il ait jamais vu. Il se demanda quelles étaient les conditions et interdis qui gouvernaient les rapports à entretenir avec un " joli flirt américain ". Il était manifestement sur le point de l'apprendre.
Afficher l'image d'origine *****      - Avez-vous visité ce vieux château  demanda la jeune fille en désignant de son ombrelle la lueur lointaine des murs du château de Chillon.
            - Oui, auparavant, plus d'une fois, dit Winterbourne. Vous l'avez sans doute vu aussi ?
            - Non, nous n'y sommes pas allés. J'ai affreusement envie d'y aller. J'ai vraiment l'intention d'y aller. Je ne partirai pas d'ici sans avoir vu ce vieux château.
            - C'est une très jolie excursion , dit Winterbourne, et très facile à faire. On peut y aller par la route ou par le petit vapeur.
            - On peut y aller en voiture, dit Miss Miller.          
            - Oui, on peut y aller en voiture, acquiesça Winterbourne.
            - Notre courrier dit qu'on arrive ainsi jusqu'au château, poursuivit la jeune fille. Nous devions y aller la semaine dernière, mais ma mère n'a pas pu. Elle a une dyspepsie qui la fait atrocement souffrir. Elle a dit qu'elle ne pouvait pas partir. Randolph ne voulait pas non plus, il dit que les châteaux ça ne lui dit pas grand chose. Mais je pense que nous irons cette semaine, si nous arrivons à décider Randolph.
            - Votre frère ne s'intéresse pas aux monuments anciens ? s'enquit Winterbourne souriant.
            - Il dit que les vieux châteaux il n'en a pas grand chose à faire. Il n'a que neuf ans. Il veut rester à l'hôtel. Maman a peur de le laisser seul, et le valet ne veut pas rester avec lui, de sorte que nous ne sommes pas allés dans beaucoup d'endroits. Mais ce serait vraiment dommage de ne pas aller là-haut.
            Et Miss Miller désigna de nouveau le château de Chillon.
            - Cela devrait pouvoir s'arranger, dit Winterbourne. Ne pourriez-vous trouver quelqu'un pour rester un après-midi avec Randolph ?
            Miss Miller le considéra un moment, et répondit très tranquillement :
            - Et si vous restiez avec lui ?
            Winterbourne hésita un moment.
             - Je préférerais de beaucoup aller à Chillon avec vous.
             - Avec moi ? demanda la jeune fille avec la même tranquillité.
             Elle ne se leva pas en rougissant comme l'aurait fait une jeune fille de Genève, et cependant, Winterbourne sentant qu'il avait été très audacieux, pensa qu'il l'avait peut-être offensée.
            - Avec votre mère, répondit-il très respectueusement.
            Mais, apparemment, ni son audace, ni son respect n'atteignirent Miss Daisy Miller.
            - Je crois que ma mère n'ira pas, somme toute, dit-elle. Elle n'aime pas sortir l'après-midi. Mais vous pensiez vraiment ce que vous venez de dire à l'instant, que vous vouliez aller là-haut ?
            - Le plus sérieusement du monde, répondit Winterbourne.
            - Donc ça peut s'arranger. Si maman reste avec Randolph, je pense qu'Eugenio voudra aussi.
            - Eugenio ? s'enquit le jeune homme.
            - Eugenio est notre courrier. Il n'aime pas rester avec Randolph, c'est l'homme le plus exaspérant que j'ai jamais vu. Mais c'est un admirable courrier. Je pense qu'il restera avec Randolph si ma mère reste, et alors nous pourrons aller au château.                     ******
Afficher l'image d'origine            Winterbourne réfléchit un moment aussi lucidement que possible. Le " nous " ne pouvait désigner que Miss Daisy Miller et lui-même. Ce programme semblait presque trop beau pour être vrai. Il fut sur le point de baiser la main de la jeune dame. Et il l'aurait peut-être fait, et aurait ainsi gâché le projet. Mais à cet instant une autre personne, Eugenio sans doute, apparut. Un grand et bel homme portant une jaquette de velours, avec de superbes favoris et une chaîne de montre brillante, s'approcha de Miss Miller, fixant un regard pénétrant sur son compagnon.
            - Oh ! Eugenio ! dit Miss Miller de son ton le plus amical.
            Eugenio, ayant inspecté Winterbourne de la tête aux pieds, s'inclina gravement vers la jeune dame.
            - J'ai l'honneur d'informer mademoiselle que le déjeuner est servi.
            Miss Miller se leva lentement.
            - Ecoutez donc, Eugenio, dit-elle, j'irai à ce vieux château de toute façon.
            - Au château de Chillon, mademoiselle ? demanda le courrier. Mademoiselle a déjà pris ses dispositions ? ajouta-t-il sur un ton que Winterbourne jugea extrêmement impertinent.
            Le ton d'Eugenio parut jeter, y compris pour Miss Miller, une lumière quelque peu ironique sur la situation de la jeune fille. Elle se tourna vers Winterbourne en rougissant légèrement, très légèrement.
            - Vous n'allez pas vous défiler ? dit-elle.
            - Je n'aurais de cesse que nous y allions, protesta-t-il.
            - Et vous demeurez dans cet hôtel ? enchaîna-t-elle. Et vous êtes vraiment américain ?
            Le courrier continuait à fixer Winterbourne d'un air provoquant. Le jeune homme pensa que ce regard était, à tout le moins, une offense faite à Miss Miller. Il semblait vouloir dire que le courrier la soupçonnait de ramasser des connaissances.
            - J'aurai l'honneur de vous présenter une personne qui vous dira tout sur mon compte, dit-il en souriant se référant mentalement à sa tante.
            - Bon, c'est réglé, nous irons un de ces jours, dit Miss Miller.
            Elle lui sourit et lui tourna le dos. Elle déploya son ombrelle et reprit le chemin de l'auberge aux côtés d'Eugenio. Winterbourne la suivit des yeux et, tandis qu'elle s'éloignait, traînant ses mousselines falbalassées sur le gravier, Winterbourne pensa qu'elle avait l'allure d'une princesse.

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            .......... Il s'était toutefois engagé......./

         
         

           
     

mercredi 29 juin 2016

Carnets noirs Stephen King ( Roman EtatsUnis )

Carnets noirs

                                         
                                                     Carnets noirs        

            EtatsUnis 1978 John Rothstein auteur heureux mais désespérant a publié une trilogie à très grand succès, l'histoire d'un garçon symbole d'une société rude, affligé des maux de sa génération. Malheureusement le troisième volume le voit travailler dans la pub, simplement. Ce qui déplaît énormément à son fan le plus déjanté Morris Bellamy, élevé par sa mère enseignante. Rothstein est un vieux monsieur, il n'écrit plus depuis de nombreuses années, n'utilise pas de chéquier, retire son argent chaque mois de la banque et entasse les billets dans son coffre. Il vit seul dans une ferme à 8 kilomètres de ses plus proches voisins. Et cela Bellamy, très très fâché contre son auteur et son héros fétiche, le sait. Il le dit à l'auteur qui comprend le danger et le supplie de prendre l'argent mais pas les carnets de moleskine. Bellamy prend tout. Et l'enterre. L'alcool qu'il ne supporte pas, un acte dont il ne garde qu'un souvenir vague l'envoient en prison pour de très nombreuses années où il subit les tyrans jusqu'à un certain point, son héros l'aide. " Pouvoir suprême de la fiction ".
            En 2009 dans cette ville du New Hampshire où des habitants en quête d'un travail, attendaient à la porte d'un City Center, étaient fauchés par un automobiliste fou, rappelez-vous " Mr Mercedes " ( prix Edgar Poe ), de nombreuses familles connaissent une forme de déchéance sociale, la crise financière et la fin de l'aide donnée aux blessés de ce crime rendent précaires les foyers, notamment celui de Pete et Tina tous deux collégiens. Pete est le garçon le plus gentil qui se puisse trouver, il aime sa mère, son père et sa soeur, Tina assez fine, et la littérature. Jimmy Gold, héros de papier, l'aidera-t-il ? Tout au long du livre Stephen King nous parle de la littérature " ..... L'une des révélations les plus électrisantes dans une vie de lecteur c'est une vie de lecteur, pas seulement capable de lire..... mais amoureux de la lecture. Éperdument. Raide dingue. " Rothstein aurait-il écrit la suite, pour lui seul ? Peut-être sur la centaine de carnets de moleskine. De 1978 à 2014 l'histoire évolue jusqu'aux événements qui vont réunir tous les protagonistes dans un feu. Au deux tiers du livre on retrouve Hodges, détective à la retraite, Holly qui a hérité de la Mercedes, et Tom et Brady criminel ( Mr Mercedes )réduit à l'état de légumes. Mais un pouvoir fort dans son regard renverse un cadre de photos, ouvre les robinets, etc. Doutes évidemment, sûrement levés dans le prochain et dernier volume de la trilogie annoncé pour juin 2017 aux EtatsUnis. 

lundi 27 juin 2016

Gourmandises 2 Colette ( Oeuvres France )

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                                                          Extraits........ Lettres aux petites fermières

                                                                                             Saint-Tropez 10 avril 1934

            ............/  Hélas, quinze jours de pluie, sauf quelques heures d'un soleil qui s'est montré pour nous dire :
                  " - Voilà ce que je pourrais faire. "          

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                                                                                             Paris 25 décembre 1938

            Vous vous êtes donc souvenue que j'aime les fondants, mon enfant ? Ceux que vous m'envoyez sont bien pareils aux fondants de mon enfance. Quelle chance que les confiseurs n'aient pas d'imagination !..........

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                                                                                               Paris 24 décembre 1940
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Afficher l'image d'origine            Mes petites filles....... Ce colis arrivé ce matin, et qui contient tout, depuis le sel-sel-sel-sel-sel-sel, jusqu'à des poules-au-pot en comprimés ! Ce beurre à peine salé, aussi beau qu'un marbre ! J'ose à peine parler des oeufs... A Paris leur rareté est telle, que rien que d'en parler ça doit coûter au moins deux francs. Quand vous êtes venue, mieux et plus chargée que des mages..........
 
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                                                                                               Paris 3 janvier 1941

            ............ Mes chères filles....... Je suis trop loin, vous n'avez pas peur de moi. Toutes ces richesses. Figurez-vous qu'il y avait deux oeufs cassés, ou plutôt écrasés ( on aura posé un paquet lourd sur le précieux colis ) mais les oeufs sont si frais, le jaune si élastique, que l'un des deux, coquille fracassée, blanc répandu, avait gardé un joli jaune intact, et nous l'avons cueilli sans le crever........

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                                                                                               Paris 7 janvier 1941
                                                                                                                   bibliobs.nouvelobs.com 
Afficher l'image d'origine            .......... C'est fous ces colis....... Les oeufs et les haricots blancs ont l'air d'être de la même famille. Peut-être avons-nous été les seuls, ce jour-là, à manger de la salade fraîche. Nous sommes tout de même les passagers d'un grand navire en danger qui est Paris........  visite d'un très gentil ménage qui habite la rive gauche....... neige, verglas, ces 8 degrés au-dessous de zéro sur ma rive droite. " Mais nous cherchons à manger, dirent-ils. Sur notre partie de la rive gauche, il n'y a rien.......  Mon beau-frère, une heure plus tard, nous téléphonait que sans acquisitions possibles, ils ne savaient que faire. Maurice est parti pour leur porter sur-le-champ une boîte de sardines, un bout de beurre,et... 4 de vos oeufs. Si vous saviez quelle soupe épaisse de légumes nous a faite Pauline, grâce à vous........
La cave recèle encore quelques " boîtes "....... quinze petites boîtes de lait condensé, et du beurre en boîtes qu'on ne consommera qu'à la dernière extrémité, et cinq litres de pétrole ( j'aimerais mieux dl'huile ! ). Et cinq boîtes de boeuf bourguignonne ( ?! )....... Il est bon que je vous étale nos richesses, pour vous faire tenir un peu tranquilles. J'en arrive à cette merveille de poule blonde et rose, d'un genre de beauté si " Boucher " ! Potelée à point, ronde........  Merci                                                                                                         

                                                                                                  Colette

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  csaveursla.com                                                                                                   Paris 13 janvier 1941
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            Vous n'imaginez pas, mes petites filles, ce que c'est, ici, que des oeufs comme ceux-là. C'est une nourriture introuvable et délicieuse.......... Et ce pâté....... je vous fais une proposition....... je m'ouvre un compte chez vous........ Pauline a fait des pommes de terre dans la graisse du pâté.........  

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                                                                                                          Paris, 4 février 1941

            Ah ! mes petites filles, ce que ça peut sentir bon, un colis de légumes !.......... Je viens de déballer pieusement, navets, premiers radis, précieuses salades, petits beurre, vitamines, râble de lapin, choux de Bruxelles en boutons de rose........ Vous êtes nos anges nourrisseurs.........

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                                                                                                           Paris 14 février 1941

            Petite Yvonne, il est encore arrivé des merveilles ! Ces deux poulets... Soyez tranquilles, ma belle-soeur en mangera. Ils ont eu aussi des oeufs. Mais vous savez, je suis terrible, je ne "prodigue " pas. Vous avez fait de moi non pas un gros poussin, mais une de ces vieilles poules qui ont la rage de s'asseoir sur tous les oeufs qu'elles rencontrent. Pauline et moi nous thésaurisons les biscottes carrées, pour... on ne sait pas...........

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                                                                                                             Paris 29 avril 1941
                                                                                                                    consoglobe.com
Afficher l'image d'origine            ................ Ici la disette serre chaque jour son cercle.......... Il y avait samedi un magnifique arrivage d'ananas.......... les prix : 240 F un ananas de deux kilos. Je vous avoue que, par chance, ces choses-là m'enlèvent la convoitise.........

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                                                                                                                   Paris 6 août 1941

            .............. Pauline met dix oeufs par semaine depuis trois semaines, dans le truc à conserver. Mais comme c'est une substance devenue introuvable, il vaut mieux les manger. Les pêches arrivent bien et les poulets crus grâce au temps plus frais. Mais le pauvre melon a été écrasé. Nous n'avions jamais vu de melon-galette ! Le lapin s'est mangé très bien en sauce !.......... Excusez le ton alimentaire de ce mot........

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                                                                                                                      Paris 9 mars 1942
                                                                                                                     pinterest.com 
Résultat de recherche d'images pour "colette palais royal hiver"            ............ Cocteau ne mange jamais chez lui, les oeufs lui manquent moins qu'à d'autres..........
Etes-vous consolées du " Désastre des Trente oeufs " ? Ça a l'air d'un nom de bataille d'autrefois........
Le pain est rare. Croiriez-vous que vous pourriez m'envoyer quelques " casse-croûte " ou " Bien-cuits " ? Nous vous embrassons encore
            Votre
                          Colette


                                                  Extraits de Lettres aux petites fermières