dimanche 18 septembre 2016

Lettres de Proust à Gaston Gallimard ( Correspondance France )

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                                                                                                   Le 5 ou 6 novembre 1916                   Lettre importante à lire attentivement

             Cher ami
             J'avais fait téléphoner avant-hier après avoir reçu votre lettre. Mais vous étiez sorti et sans doute n'êtes pas rentré assez tôt. Ce soir je voulais vous faire téléphoner mais l'heure a passé et je n'ai plus osé. Alors comme ce que vous me dites est important pour ne pas retarder je vous écris ce que j'aurais mieux aimé vous dire.
            Mon avis est en effet qu'un médecin doit être entièrement convainquant et j'ai vu, sous l'action de cette conviction inculquée disparaître comme par enchantement des maux qui paraissent pourtant purement physiques et contre lesquels des médecins instruits et soigneux ( notamment mon père, je me souviens ) s'étaient heurtés sans résultat. Je me rappelle mon père me disant d'un de ses malades :
" Mais comment veux-tu que le guérisseur que tu lui conseilles puisse qq chose puisqu'il y a telle chose physique etc " ( je vous donnerai les exemples de vive voix ). Et les deux malades furent guéris, l'un en deux mois, l'autre en vingt minutes. Mais cher ami je crois qu'il ne faut voir un médecin convainquant que après s'être assuré que l'énergie, l'insouci de la santé, que vous donnera sa conviction, ne sont pas dangereuses, c'est-à-dire si organiquement on n'a pas qq chose pour quoi les ménagements etc soient nécessaires. Je vais vous en donner un exemple. Je me reprocherai toujours d'avoir recommandé Dubois ( de Berne ) homme admirable d'ailleurs, à un homme d'une cinquantaine d'années, martyrisé depuis dix ans par une dyspepsie  qui l'empêchait de rien digérer, se traduisait par une dilatation rebelle dont tous les spécialistes de l'estomac ( et mon père également s'étaient occupés sans résultat. Un verre d'eau restait quinze heures dans l'estomac etc. Or j'avais reconnu que cette dyspepsie était nerveuse. J'envoyai le malade à Dubois qui lui parla à peu près un quart d'heure. Dès le soir même le malade digérait le homard, la salade russe etc. Dès qu'il se sentait une hésitation devant un dîner trop lourd, il écrivait de Paris à Dubois à Berne, qui d'un mot dissipait ses craintes. Malheureusement, ce que j'ignorais, le malade était albuminurique. Son régime nouveau fut supporté admirablement par son estomac mais non par ses reins. Il est mort d'urémie un peu plus tard, sans qu'on sache trop s'il aurait pu s'y soustraire en continuant à se croire malade de l'estomac et en ne mangeant rien. C'est ce que j'appelle dans Swann, ou plutôt dans la suite, la névrose protectrice. Il me semble donc nécessaire qu'avant de se livrer à un médecin convainquant on se fasse examiner par un médecin très éclairé et qui n'ait pas l'idée préconçue que tout est nerveux. Le bénéfice est d'ailleurs double, car s'il ne trouve rien que la cure psychothérapique puisse endommager, on se livre à celle-là sans arrière-pensée, sans crainte, ce qui est la bonne manière comme pour apprendre à nager. Je crois particulièrement qualifié pour un examen de ce genre le Docteur Léon Faisans ( je crois qu'il demeure 30 rue La Boétie ). Personnellement c'est en lui que j'aie le plus confiance. S'il ne consulte plus du tout ( car il n'est plus jeune ) je pourrai vous en indiquer de plus jeunes. Mais il a un sens divinatoire très remarquable. Vous pourriez peut-être faire faire une analyse d'urines avant de le voir ( je peux vous donner un mot pour lui ), afin de lui apporter des précisions.
Afficher l'image d'origine *           Cher ami avec l'avis que vous m'avez demandé je vous envoie, puisque vous le réclamez aussi, le début de la suite de mon ouvrage. A cet égard j'ai qq remarques utiles à vous soumettre. D'abord le titre ( A l'ombre des jeunes filles en fleurs  ) est provisoire. Je ne l'aime pas beaucoup. Mais s'il y a trop de Sodome et Gomorrhe plus tard, il ne sera pas mal de commencer, de mettre à la base, ce coussin fleuri de façon que les deux étages un peu effrayants reposent sur quelque chose de normal, et soient d'ailleurs couronnés par le dernier volume qui n'a rien que de pur et de philosophique ( Le Temps Retrouvé ). Ce que je vous envoie ( la 1re page porte le n° 20 de la pagination des anciennes épreuves mais que votre imprimeur fasse attention que c'est la page 1 du volume qu'il commence ) n'est que le début ( et ne répondant guère au titre qui sera justifié par la beaucoup meilleure  2è partie de ce 2è volume ) de : A l'ombre des jeunes filles en fleurs. La fin de ce 1er volume ( comme d'ailleurs le suivant ) est entièrement prête. Mais je ne vous l'envoie pas trouvant ce 1er paquet suffisant. Que votre imprimeur veuille bien prendre note que les corrections et ajoutages qu'il y a sur les épreuves de Grasset ne doivent pas être considérés par votre imprimeur comme des corrections ni des ajoutages, puisque ce qui a été épreuves pour Grasset est pour votre imprimeur le 1er manuscrit. Les corrections commenceront aux 1res  épreuves que je recevrai de lui. Voici comment je compte procéder. Le lendemain même du jour où j'aurai reçu les épreuves du paquet que je vous envoie, je vous enverrai les deux cahiers suivants ; le lendemain des épreuves de ces deux cahiers, les 2 autres et ainsi de suite jusqu'à ce que j'aie reçu les épreuves de tout l'ouvrage. Mais nous ne ferons pas chevaucher les 2es épreuves d'un cahier sur les 1res d'un autre. Car pour un livre si long, où ont pu se glisser des répétitions, des double-emplois, il est utile que je relise d'un bout à l'autre l'ouvrage sur les 1res épreuves. Je ne dis pas que j'attendrai les dernières pages reçues pour commencer la correction des premières. En tous cas que je fasse ainsi ou non, une fois que j'aurai reçu les premières épreuves de tout l'ouvrage ( de tout les volumes et non pas seulement du 1er ) ( du 1er qui est le 2è  puisque le 1er est Du côté de ches Swann ) il est probable que je garderai les épreuves qq temps, avant de les envoyer pour les secondes épreuves. Quand je vous verrai vous me direz si cet intervalle a de l'inconvénient. Dans ce cas je commencerais les corrections dès les 1res épreuves reçues, mais en tous cas ne renverrai que le tout ensemble. Que votre imprimeur veuille bien quand il me renverra les 1res épreuves de ce 1er paquet ci-joint, me renvoyer ce paquet avec elles. Je vous prie instamment de ne rien juger sur ces épreuves qui n'ont pas été corrigées ( malgré les ajoutages ). Puisque je m'impose l'ennui de donner tout l'ouvrage à la fois pour que le lecteur puisse me juger sur l'ensemble, je serais trop désolé qu'un des lecteurs dont l'avis m'importe le plus ( vous ) me juge sur pièces inexactes et tronquées. - . Enfin ne sachant pas l'adresse de Copeau ( je suppose que c'est lui qui m'a fait envoyer le programme de la matinée Claudel ) comme je n'ai pas pu me lever à temps pour aller à cette matinée ( j'ai fait pourtant l'effort de me lever mais ai été prêt si tard que ne pouvant plus aller à la matinée Claudel je suis allé à Briséis ), je vous serais reconnaissant de lui remettre prix de la place que j'aurais prise si j'avais pu aller en prendre une ces 50 fr. à ajouter ( sans mon nom ) à sa recette. Si c'est trop tard qu'il les emploie pour des camarades du Vieux Colombier. Je m'excuse de mes ennuis d'argent de ne pas envoyer plus et d'ailleurs lui enverrai chaque fois qu'il me demandera pour le Vieux Colombier. Tout à vous


                                                                                                  Marcel Proust
*       agnesverfaillie.com

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                                                      17 octobre 1917                                                                               102 bd Haussmann                          

            Cher ami,
             Je vous ai en vain téléphoné toute la soirée, pensant que la réponse était plus aisée de vive voix. Puisque je n'ai pas réussi à vous voir, je vais essayer d'être clair par lettre.
            1° Comme je crois vous l'avoir dit, il y a dans les cahiers qui forment la suite et la fin du manuscrit pas mal de pages qui se trouvent déjà dans vos épreuves, d'autres qui sont pour un autre volume, et que par fatigue j'ai négligé les unes de biffer, les autres de transférer, ce que je ferai sur épreuves. Ceci fera gagner un certain nombre de pages, mais il ne faut pas nous l'exagérer, le déchet ne sera pas très considérable. Cependant même en prenant les choses à ce 1er point de vue ( et vous allez voir que je me placerai à tous ceux que vous voulez ), vous me parlez de plus de 600 pages. Supposons qu'il en tombe une trentaine cela ferait 570. Du côté de chez Swann devait avoir 700 pages
( je ne sais pas au juste, c'est vous qui avez les traités de Grasset ), et c'est moi qui pour avoir un volume moins effrayant l'ai arrêté, artificiellement, à la page 523; Or de 523 à 570 la différence n'est pas énorme.
            2° Vous n'avez pas le temps dans vos occupations actuelles, sans cela je vous dirais de vous reporter aux vagues têtes de chapitres annoncées par Grasset pour le volume suivant. Vous y verriez que l'épisode qui a donné son nom à tout mon second volume ( A l'ombre des Jeunes filles en fleurs )
venait après ce qui fait la matière de notre 3è volume. Je pourrais donc à la rigueur remplacer les 2 cahiers que je vous ai envoyés et qu'on intercalerait comme un récit rétrospectif dans " Le Côté de Guermantes ", par des épreuves de Grasset sur Me de Guermante et par la mort de ma gd mère            ( actuellement destinées au Côté de Guermantes ). Reste à savoir si matériellement, j'entends au point de vue grosseur du livre, cette partie ( amour pour Me de Guermantes, mort de ma gd mère ) est beaucoup moins longue que les 2 cahiers sur Albertine que vous avez. Je n'en suis pas certain, d'autant plus que je vous le répète il y a un peu à retirer de ces 2 cahiers. En tous cas c'est une question de lettres à comparer. Dans la version que nous aurions alors ( et qui était la primitive ) le 2è volume ( A l'ombre des jeunes filles en fleurs, qui changerait de titre ) serait beaucoup plus intéressant pour le lecteur, il y aurait de "l'action ". Mais depuis qu'Albertine par toute l'histoire de mon collège avec elle et de sa mort; histoire qui fait la matière du 4è volume, est devenue précisément un principe d'action et le vrai centre de l'ouvrage, il y avantage d'un autre ordre ce qu'elle ( Albertine ) soit présentée longtemps d'avance dans le 1er séjour à Balbec, dès le 2è volume. Cela fait un livre tout en préparation mais comme on aura les autres à la fois, cela n'a pas le même inconvénient que si le volume paraissait seul. Je trouve donc ma version actuelle plus logique. ( D'autant plus que de cette façon les 2 séjours à Balbec se font clairement vis-à-vis très tranché.)    
Résultat de recherche d'images pour "balbec"            3° Je ne veux à aucun prix que vous fassiez une mauvaise affaire commerciale, et pour vous mettre tout à fait à l'aise et puisque vous me dites si gentiment " c'est comme éditeur que je vous  parle "je vous dirai que moi c'est comme auteur. Vous diminueriez mes profits d'autant, si vous faisiez une mauvaise affaire commerciale, or j'ai compté sur cette oeuvre pour me " refaire " comme disent les joueurs. Vous seul pouvez juger si l'augmentation du prix ne diminue pas la vente.                              
            4° et pour finir. Étant donné que nous ne savons pas quelle sera la longueur des autres volumes puisque vous ne les avez vus que d'un coup d'oeil, et puisque il s'agit d'une oeuvre qui se suit et où à la rigueur on peut déborder d'un volume sur l'autre, ne serait-il pas plus simple de remettre cette question des 2 versions, une fois que les épreuves de tout l'ouvrage seront prêtes. Alors ce sera l'affaire de qq jours de faire passer par un tour de muscade une partie dans l'autre. Mais jusqu'ici nous ne savons en somme rien. Le 1er volume ( le 2è , enfin A l'ombre des jeunes filles en fleurs ) ne vous avait pas paru excessif au juger. Une fois les lettres des volumes suivants comptées nous verrons où nous en sommes. S'ils sont un peu moins longs, on pourrait les vendre 3,50 et exceptionnellement celui-là, d'ailleurs beaucoup moins plein d'action un peu plus cher. Tout ce que vous voudrez, comme vous voudrez.
            Tout à vous

*                                                                                          Marcel Proust

                                       Extraits de Correspondance Proust - Gaston Gallimard
                                                                                                  



vendredi 16 septembre 2016

L'homme à la lèvre tordue 1/2 Arthur Conan Doyle ( nouvelle Grande-Bretagne )

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                                                  L'homme à la lèvre tordue

            Isa Whitney, frère de feu Elias Whitney, docteur en théologie, principal du Collège théologique de Saint-George, s'adonnait beaucoup à l'opium. L'habitude grandit en lui, si j'ai bien compris à partir d'une lubie stupide quand il était au collège car, ayant lu la description que faisait De Quincey de ses rêves et sensations, il avait mouillé son tabac de laudanum pour tenter de produire les mêmes effets. Il découvrit, comme tant d'autres, que l'accoutumance est plus facile à acquérir qu'il n'est facile de s'en débarrasser et, durant de nombreuses années, il continuera d'être l'esclave de la drogue et un objet d'horreur et de pitié pour ses proches et ses amis. Je peux le voir maintenant, le visage jaune, blafard, les paupières tombantes et les pupilles comme des têtes d'épingle, tout recroquevillé sur une chaise. La destruction et la ruine d'un homme respectable.
            Une nuit, c'était en juin 89, on sonna à l'heure où un homme pousse son premier bâillement et jette un coup d'oeil à la pendule. Je me redressai dans mon fauteuil, ma femme posa sa couture sur ses genoux et grimaça.
            - Un patient ! dit-elle. Tu vas devoir sortir.
            Je gémis car je rentrais à peine d'une journée harassante.
            Nous entendîmes la porte s'ouvrir, quelques mots hâtifs, puis un pas rapide sur le linoléum. Notre porte s'ouvrit brutalement et une dame, vêtue d'une étoffe de couleur sombre, avec un voile noir, entra dans la pièce.
            - Vous excuserez mon intrusion si tard, commença-t-elle, courut jeter ses bras autour du cou de ma femme, et se mit à sangloter sur son épaule. Oh ! J'ai de tels ennuis ! Je voudrais tant un peu d'aide.
            - Comment ! dit ma femme en soulevant le voile. C'est Kate Whitney. Comme vous m'avez surprise, Kate ! Je n'avais pas la moindre idée de qui vous étiez quand vous êtes entrée.
            - Je ne savais pas quoi faire, aussi je suis venue directement à vous.
            C'était toujours comme ça . Les gens dans la peine allaient vers ma femme, comme des oiseaux vers un phare.
            - C'est très gentil à vous d'être venue. Maintenant vous allez prendre de l'eau et du vin, vous asseoir confortablement et tout nous dire. Ou préférez-vous que j'envoie James au lit ?
            - Oh, non, non, je veux le conseil et l'aide du docteur aussi. C'est à propos d'Isa. Il n'est pas
rentré à la maison depuis deux jours. Je suis si effrayée pour lui !
            Ce n'était pas la première fois qu'elle nous parlait des problèmes de son mari, à moi comme docteur, à ma femme comme camarade d'école. Nous l'apaisâmes et la réconfortâmes avec les mots que nous pûmes trouver. Savait-elle où était son mari ? Etait-il possible que nous le lui ramenions ?
I love this! Rube Goldberg could have designed this way to light a pipe. Crazy, brilliant, intriguing ... add your own adjective.   *         Il semblait que ça l'était. Elle avait un renseignement des plus sûrs ; dernièrement, quand il avait une crise il se rendait dans une fumerie d'opium à l'est de la City. Jusqu'alors ses orgies avaient toujours été limitées à une journée, et il était revenu, en proie à des convulsions et abattu dans la soirée. Mais cette fois le sortilège était sur lui depuis quarante-huit heures, et il gisait là-bas, sans aucun doute, au milieu des rebuts des quais, respirant le poison ou dormant sous ses effets. C'est là qu'on pourrait le trouver, elle en était sûre, au Bar de l'Or dans Upper Swandam Lane. Mais que pouvait-elle faire ? Comment elle, jeune femme timide, pourrait-elle se frayer un chemin dans un tel endroit et arracher son mari aux bandits qui l'entouraient ?
            Telle était l'affaire, et bien sûr, il n'y avait qu'une solution. Ne pourrais-je l'escorter dans cet endroit ? Et, tout bien réfléchi, pourquoi devrait-elle venir ? J'étais le conseiller médical d'Isa, et en tant que tel j'avais de l'influence sur lui. Je réussirais mieux si j'étais seul. Je lui donnai ma parole que je le renverrai à la maison dans les deux heures, s'il était évidemment à l'adresse qu'elle m'avait donnée. Dix minutes plus tard j'avais abandonné mon fauteuil et le salon accueillant derrière moi et me hâtais vers l'est en fiacre pour un étrange voyage. C'est ce qui me sembla à ce moment-là, cependant seul l'avenir me montrerait à quel point il devait être étrange.
            Il n'y eut pas de grande difficulté dans la première partie de mon aventure. Upper Swandam Lane est une affreuse ruelle dissimulée derrière les hauts appontements qui bordent le côté nord de la rivière jusqu'à l'est de London Bridge. Entre une friperie et un bistro, après un escalier en pierre escarpé descendant vers un trou noir comme la bouche d'une grotte, je trouvai la fumerie que je cherchais. J'ordonnai à mon fiacre d'attendre et je descendis les marches, creusées en leur milieu par l'incessant va-et-vient des pieds d'ivrognes. Grâce à la lumière tremblotante d'une lampe à huile au-dessus de la porte, je trouvai le loquet et me frayai un chemin à travers une longue pièce basse, envahie d'une fumée épaisse et lourde d'opium brune, bordée de couchettes en bois, comme le poste de pilotage d'un navire d'émigrants.
            A travers l'obscurité on pouvait apercevoir des corps allongés dans des poses fantastiques, les épaules rentrées, les genoux pliés, les têtes rejetées en arrière et les mentons pointés vers le haut, avec ici et là un oeil sombre, terne, tourné vers le nouvel arrivant. Hors des ombres noires luisaient de petits cercles rouges de lumière, tantôt brillants, tantôt indistincts, selon que le poison brûlant croissait ou déclinait dans les fourneaux des pipes en métal. La plupart gisaient en silence, mais certains marmonnaient pour eux-mêmes et d'autres parlaient ensemble d'une étrange voix basse, monotone. Leur conversation jaillissait, puis soudain s'éparpillait dans le silence, chacun psalmodiant ses pensées et prêtant peu d'attention à celles de son voisin. A l'extrémité de la pièce il y avait un petit brasier de charbon qui brûlait, à côté était assis sur un trépied en bois, un homme grand, maigre, la mâchoire posée sur les poignets et ses coudes sur les genoux. Il fixait le feu.
            Comme j'entrais, un serviteur malien au teint jaunâtre s'était précipité avec une pipe pour moi et une dose de drogue, me désignant une couchette vide.
            - Merci, je ne suis pas venu pour rester, dis-je. Un de mes amis est ici, Mr Isa Whitney, et j'aimerais lui parler.
            Il y eut un mouvement et une exclamation sur ma droite, et en scrutant l'obscurité, je vis Whitney, pâle, hagard et décoiffé, qui me dévisageait.
            - Mon Dieu ! C'est Watson, dit-il. Il était dans un état de réaction pitoyable avec chaque nerf à fleur de peau. Je veux dire, Watson, quelle heure est-il ?
            - Presque onze heures.
            - De quel jour ?
            - Du vendredi 19 juin.
            - Dieu du ciel ! Je pensais que c'était mercredi. C'est mercredi. Pourquoi voulez-vous effrayer un pauvre type ? Il plongea son visage dans ses bras et commença à sangloter d'un ton aigu.
            - Je te dis que nous sommes vendredi, bonhomme. Ta femme t'attend depuis deux jours. tu devrais avoir honte de toi !
            - J'ai honte. Mais vous confondez, Watson, car je suis seulement ici depuis quelques heures, trois pipes, quatre pipes... j'ai oublié combien. Mais je vais rentrer avec vous. Je ne voulais pas faire peur à Kate. Donnez-moi votre main ! Avez-vous un fiacre ?
            - Oui, j'en ai un qui attend.                                                                        fr.pinterest.com
Pablo Picasso, Femme Au Petit chapeau Rond, Assise (Dora Maar)            - Alors je devrais y aller. Mais je dois devoir quelque chose. Trouvez ce que je dois, Watson. Je ne suis pas dans mon assiette. Je ne peux rien faire par moi-même.
            Je longeai l'étroit passage entre la double rangée de dormeurs, en retenant ma respiration pour éviter les horribles vapeurs stupéfiantes de la drogue, et je cherchai le patron. Comme je passais près du grand homme assis près du brasier, je sentis soudain qu'on tirait sur le pan de ma veste et une voix basse chuchota ;
            - Passez près de moi, puis retournez-vous pour me regarder.
            Les mots tombèrent très distinctement dans mon oreille. Je regardai vers le bas. Ils ne pouvaient venir que du vieil homme à mes côtés, et pourtant il était assis plus absorbé que jamais, très maigre, très ridé, plié par l'âge. Une pipe d'opium pendait entre ses genoux comme si elle était tombée de ses doigts dans un complet épuisement. Je fis deux pas et me retournai, regardai. Il me fallut tout mon sang-froid pour éviter de pousser un cri d'étonnement. Il s'était détourné aussi personne ne pouvait le voir, sauf moi. Sa silhouette s'était remplumée, ses rides avaient disparu, ses yeux ternes avaient retrouvé leur éclat, et là, assis près du feu, grimaçant de ma surprise, n'était autre que Sherlock Holmes. Il me fit un petit signe pour que je m'approche, et alors qu'il tournait son visage vers l'assemblée, une nouvelle fois, il retomba dans une tremblotante sénilité, la lèvre pendante.
            - Holmes ! chuchotai-je, que diable faites-vous dans cette fumerie ?
            - Aussi bas que vous pouvez, répondit-il. J'ai d'excellentes oreilles. Si vous aviez la grande gentillesse de vous débarrasser de votre drogué ami, je serais excessivement heureux d'avoir une petite conversation avec vous.
            - J'ai un fiacre dehors.
            - Alors je vous en prie, renvoyez-le chez lui. Vous pouvez le confier en toute sécurité car il semble trop faible pour faire quelque mauvais tour. Je vous recommanderai aussi d'envoyer un mot par le cocher à votre femme pour dire que vous avez partagé votre destin avec moi. Si vous m'attendiez dehors, je serai à vous dans quelques minutes.
            Il était difficile de refuser une des requêtes de Sherlock Holmes car elles étaient toujours extrêmement précises et magistralement présentées. Cependant, je sentis que, quand Whitney serait une fois pour toutes enfermé dans le fiacre, ma mission serait pour ainsi dire accomplie. Et du reste, je ne pouvais rien souhaiter de mieux que d'être associé à mon ami dans une de ces aventures singulières qui étaient la norme de son existence. En quelques minutes, j'avais écrit le mot, payé la note de Whitney, je l'avais mis dans le fiacre et vu partir à travers l'obscurité. En un laps de temps très court une silhouette décrépite était sortie de la fumerie d'opium, et je descendis la rue avec Sherlock Holmes. Pendant deux rues il se traîna avec le dos courbé et un pas incertain. Puis, regardant rapidement autour de lui, il se redressa et éclata d'un rire vigoureux.
            - Je suppose Watson, dit-il, que vous imaginez que j'ai ajouté la fumée d'opium aux injections de cocaïne et autres petites faiblesses sur lesquelles vous m'avez gratifié de vos avis médicaux.
            - J'étais certainement surpris de vous trouver là.
            - Mais pas autant que moi de vous trouver.
            - Je suis venu retrouver un ami.
            - Et moi retrouver un ennemi !
            - Un ennemi .                          
            - Oui, un de mes ennemis naturels ou, devrais-je dire, ma proie naturelle. En résumé, Watson, je suis au milieu d'une très remarquable enquête et j'avais espéré trouver un indice dans les incohérentes errances de ces drogués, comme je l'ai fait avant aujourd'hui. Si j'avais été reconnu dans cette fumerie ma vie n'aurait pas valu cher, car j'y suis déjà venu pour mes propres desseins et le coquin de marin, le Lascar qui la dirige a juré de se venger de moi. Il y a une porte dérobée à l'arrière de cet immeuble, à l'angle du Quai Paul, qui pourrait raconter les étranges histoires de ce qui est passé par là les nuits sans lune.
            - Quoi ! Vous ne voulez pas dire des corps ?  
            - Mais oui, des corps Watson. Nous serions riches si nous avions mille livres pour chaque pauvre diable qui a été conduit à la mort dans cette fumerie. C'est le piège meurtrier le plus affreux de toute la rive, et je crains que Nevile St Clair n'y soit entré pour ne plus jamais en sortir. Mais notre carriole devrait être ici !
            Il mit ses deux index entre ses dents et siffla un son aigu. A distance on répondit par un même bruit, rapidement suivi du fracas des roues et du claquement de sabots.
            - Alors Watson, dit Holmes, tandis que le haut véhicule s'élançait à travers l'obscurité projetant deux tunnels dorés de lumière jaune par ses lanternes, vous allez venir avec moi, n'est-ce pas ?
            - Si je puis être utile.
            - Oh un camarade de confiance est toujours utile. Et un chroniqueur encore plus. Ma chambre aux Cèdres a deux lits ?
            - Aux Cèdres ?
            - Oui, c'est la maison de Mr St Clair. J'habite là pendant que je mène l'enquête.
            - Où est-ce alors ?
            - Près de Lee, dans le Kent, à sept miles.
            - Mais je suis complètement dans le noir.
            - Bien sûr que vous l'êtes. Vous saurez bientôt tout. Sautez là-dedans ! C'est bon John, nous ne devrions plus avoir besoin de vous. Voici une demi-couronne. Attendez-moi demain vers onze heures. Lâchez-lui la bride ! A bientôt donc !
            Il effleura le cheval de sa cravache et nous filâmes à travers une succession interminable de rues sombres et désertes qui s'élargissaient progressivement jusqu'à ce que nous traversions un grand pont avec une balustrade sous lequel la rivière sombre coulait doucement. Au-delà s'étendait un large désert de briques et de mortier. Le silence était seulement brisé par le pas lourd et régulier d'un policier ou par les chansons et les cris d'une soirée attardée de fêtards. D'épais nuages dérivaient lentement dans le ciel et une ou deux étoiles brillaient faiblement ici et là au milieu des trouées des nuages. Holmes conduisait en silence, la tête inclinée sur la poitrine et l'air perdu dans ses pensées, tandis que j'étais assis à ses côtés, curieux d'apprendre ce que pouvait être cette nouvelle enquête qui semblait accaparer ses pouvoirs si douloureusement, et cependant inquiet à l'idée d'interrompre le cours de ses réflexions. Nous avions parcouru plusieurs miles et apercevions la lisière de la ceinture de villas de banlieue quand il se secoua, haussa les épaules et alluma sa pipe avec l'air d'un homme qui a dissipé ses doutes en agissant de son mieux.
            - Vous avez un grand don de silence Watson, dit-il. Cela fait de vous un compagnon tout à fait estimable. Ma parole, c'est une grande chose pour moi que d'avoir quelqu'un à qui parler, car mes pensées ne sont pas très plaisantes. Je me demandais ce que je devrais dire à cette chère petite femme ce soir, quand elle viendra à ma rencontre à la porte.
            - Vous oubliez que je ne sais rien de l'affaire.
            - Je devrais avoir le temps de vous exposer les faits avant que nous arrivions à Lee. Ca semble absurdement simple et pourtant je ne peux rien en tirer. Il y a plusieurs fils sans doute, mais je ne peux pas en attraper le bout dans ma main. Maintenant je vais vous exposer le cas clairement et de manière concise, Watson, et peut-être apercevrez-vous une lueur là où tout est noir pour moi.
            - Allez-y alors.
            - Il y a quelques années, pour être précis en mai 1884, arriva à Lee un monsieur du nom de Neville St Clair. Il semblait avoir beaucoup d'argent, acheta une grande villa, arrangea très bien les terres et vécut agréablement. Par étapes, il se fit des amis dans le voisinage et, en 1887 épousa la fille d'un brasseur local dont il a maintenant deux enfants. Il n'avait pas de travail mais des intérêts dans plusieurs sociétés et allait en ville régulièrement le matin pour en revenir chaque soir par le train de
5 h 14 à Cannon Street. Mr St Clair a maintenant trente-sept ans, c'est un homme d'habitudes sobres, un bon mari, un père très affectueux et est apprécié par tous ceux qui le connaissent. Je peux ajouter que le montant de ses dettes en ce moment, pour autant que nous avons pu le déterminer, s'élève à quatre-vingt-huit livres et dix cents alors qu'il a deux cent vingt livres déposées à son crédit à la Capital and Couties Bank. Il n'y a aucune raison d'ailleurs de penser que des problèmes d'argent le préoccupaient.
            Lundi dernier, Mr Neville St Clair partit en ville un peu plus tôt que d'habitude et dit avant de s'en aller qu'il avait deux importantes instructions à donner et qu'il rapporterait à la maison un jeu de cubes à son petit garçon. Or, par un pur hasard, juste après son départ, sa femme reçut ce même lundi un télégramme lui annonçant que le petit colis d'une grande valeur qu'elle espérait l'attendait aux bureaux de la Compagnie navale d'Aberdeen. Maintenant, si vous connaissez bien votre Londres, vous savez que le bureau de cette Compagnie est dans Fresno Street qui bifurque dans Upper Swandam Lane, elle entendit soudain une exclamation ou un cri et resta pétrifiée, son mari la regardait à ce qu'il lui sembla, et lui faisait signe d'une fenêtre d'un second étage. La fenêtre était ouverte et elle vit distinctement son visage qu'elle décrit comme étant complètement bouleversé. Il agita frénétiquement les mains vers elle et disparut si soudainement qu'il lui sembla qu'il avait été tiré en arrière par une force irrésistible. Cependant un détail singulier choqua son oeil vif de femme : bien qu'il fut vêtu d'un manteau sombre comme celui qu'il portait en partant en ville, il n'avait ni col ni cravate.
Afficher l'image d'origine**         Convaincue que quelque chose allait de travers, elle dévala les marches, car la maison n'était autre que la fumerie d'opium dans laquelle vous m'avez trouvé ce soir, et courant dans la pièce de devant elle tenta de monter l'escalier qui menait au premier étage. Au pied des marches elle rencontra ce coquin de Lascar, dont je vous ai parlé, qui la repoussa et, aidé d'un Danois qui travaille là comme assistant, la jeta dans la rue. Emplie des craintes et des doutes les plus fous, elle descendit rapidement la rue et, par une chance rare, rencontra dans Fresno Street un groupe d'agents de police avec un inspecteur en route pour leur ronde. L'inspecteur et deux hommes l'accompagnèrent et, malgré la résistance du propriétaire, parvinrent jusqu'à la pièce où Mr St Clair avait été vu pour la dernière fois. Il n'y avait aucun signe de lui. En fait, il n'y avait personne à tout l'étage, sauf un affreux infirme qui, semblait-il, vivait là. Ensemble le Lascar et lui jurèrent que personne n'avait occupé la pièce de devant cet après-midi là. Leurs dénégations étaient si déterminées que l'inspecteur fut ébranlé et il commençait à croire que Mrs St Clair s'était trompé quand, avec un cri, elle se rua sur une petite boîte en sapin qui était posée sur la table et arracha le couvercle. Une cascade de cubes d'enfants en tomba. C'était le jouet qu'il avait promis de rapporter à la maison.
           Cette découverte et la confusion évidente que montra l'infirme firent réaliser à l'inspecteur que l'affaire était sérieuse. La pièce fut soigneusement examinée et tous les résultats indiquaient un crime abominable. La pièce de devant était manifestement meublée comme un salon et donnait dans une petite chambre qui s'ouvrait derrière, sur un des appontements. Entre l'appontement et la fenêtre de la chambre il y a une étroite bande de terre qui est sèche à marée basse mais recouverte à marée haute de près d'un mètre quarante d'eau. La fenêtre de la chambre était large et s'ouvrait par-dessous. En l'examinant on trouva des traces de sang sur l'appui de la fenêtre et plusieurs gouttes disséminées étaient visibles sur le plancher de la chambre. Jetés derrière le rideau de la pièce de devant il y avait tous les vêtements de Mr Neville St Clair, à l'exception de son manteau. Ses bottes, ses chaussettes, son chapeau et sa montre, tout était là. Il n'y avait aucun signe de violence sur ses vêtements et il n'y avait aucune autre trace de Mr Neville St Clair. Il était apparemment sorti par la fenêtre car aucune autre issue ne fut découverte, et les inquiétantes traces de sang sur l'appui laissaient le petit espoir qu'il avait pu se sauver à la nage puisque la marée était à son plus haut au moment de la tragédie.
            Et maintenant en ce qui concerne les scélérats qui semblaient être directement impliqués dans l'affaire ! le Lascar était connu pour être un homme aux ignobles antécédents, mais comme d'après le récit de Mrs St Clair on savait qu'il était au pied de l'escalier à peine quelques secondes après l'apparition de son mari à la fenêtre, il pouvait difficilement avoir été plus qu'un complice du crime. Sa défense était celle de l'ignorance absolue et il protestait qu'il n'avait aucune connaissance des agissements de Hugh Boone, son locataire et qu'il ne pouvait en aucun cas expliquer la présence des vêtements du monsieur disparu.
 ***        Et voilà pour le propriétaire indien. Maintenant pour ce qui est du sinistre infirme qui vit au second étage de la fumerie d'opium et qui est certainement le dernier être humain dont les yeux se sont posés sur Neville St Clair : son nom est Hugh Boone et son visage hideux est familier à qui va souvent dans la City. C'est un mendiant professionnel, bien que pour éviter les réglementations de la police, il feigne de tenir un commerce d'allumettes. Un petit peu en bas de Threadneedle Street, sur le côté gauche, il y a, comme vous l'avez peut-être remarqué, un petit renforcement dans le mur. C'est là que s'installe chaque jour cette créature, les jambes croisées, avec une toute petite réserve d'allumettes sur les genoux et, comme c'est un spectacle pitoyable, une petite pluie de charité tombe dans son béret de cuir graisseux qui est posé sur le trottoir devant lui. J'ai regardé cet individu plus d'une fois, avant même de penser le rencontrer professionnellement, et j'ai été surpris de la moisson qu'il récolte en si peu de temps. Son apparence, voyez-vous, est si remarquable que personne ne peut passer devant lui sans l'observer. Une tignasse de cheveux orange, un pâle visage, défiguré par une atroce cicatrice qui, par ses contractions, est devenue l'arête externe de sa lèvre supérieure, un menton de bouledogue, et des yeux sombres et très pénétrants qui forment un contraste très saisissant avec la couleur de ses cheveux. Tout le distingue de la foule ordinaire des mendiants, de même que son intelligence, car il est toujours prêt à répliquer à n'importe quelle moquerie que peut lui lancer un passant. C'est l'homme locataire de la fumerie d'opium et qui est le dernier a avoir vu le monsieur dont nous sommes en quête.
            - Mais un infirme ! dis-je. Que pourrait-il faire sans aide contre un homme dans la force de l'âge ?
            - Il est infirme dans le sens qu'il marche avec une claudication, mais sous d'autres aspects il semble être un homme fort et bien nourri. Votre expérience médicale vous dira sûrement, Watson, que la faiblesse d'un membre est souvent compensée par une force exceptionnelle dans les autres.
            - Je vous en prie continuez votre récit.
            - Mrs St Clair s'était évanouie à la vue du sang sur la fenêtre et elle fut raccompagnée chez elle en fiacre par la police puisque sa présence ne pouvait plus être d'aucune aide dans leurs investigations. L'inspecteur Barton qui était chargé de l'affaire, procéda à un examen très soigneux de l'immeuble, sans rien trouver qui éclaire l'affaire. Cela avait été une erreur de ne pas arrêter Boone aussitôt, car il bénéficia de plusieurs minutes durant lesquelles il a pu communiquer avec son ami le Lascar, mais cette faute fut bientôt réparée et il fut arrêté et fouillé sans qu'on trouve rien qui puisse l'incriminer. Il y avait, il est vrai, des traces de sang sur la manche droite de sa chemise, mais il montra son annulaires qui était entaillé près de l'ongle, ajoutant qu'il avait été à la fenêtre peu auparavant et que les traces qu'on avait observées venaient sans aucun doute de la même source. Il nia vigoureusement avoir jamais vu Mr St Clair et les déclarations selon lesquelles elle avait vraiment vu son mari, il déclara qu'elle devait être folle ou avoir rêvé. Il fut emmené, en protestant bruyamment, au poste de police, pendant que l'inspecteur restait sur les lieux dans l'espoir que la marée descendante apporterait un nouvel indice.


                                                                                                à suivre..... 2 fin
  *       fr.pinterest.com
  **       paul-cezanne.web-sy.fr
  ***                     "

            Et ce fut le cas.......


                                                                                                 
                                                                                                             

         
                                                                                                                   
         


















mardi 13 septembre 2016

Friponnes de porcelaine Eric Rohmer ( Nouvelles France )



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                                                                Friponnes de porcelaines         

            Quelques nouvelles écrites et retravaillées longtemps avant la réalisation du film. L'ambiance et le rythme de Rhomer sont déjà très marqués. Les habitudes d'une époque bien passée sont perceptibles dans le livre plus encore que dans le film. Ainsi le romantique Ma nuit chez Maud plus romantique à lire que le film, mais les images sont là, bien présentes dans nos mémoires pour ceux qui ont vu le film, bien loin du bizarre Duguesclin qui n'apparaît pas dans le livre, mais par contre Jean Claude Brialy est bien présent tout au long de la lecture du Genou de Claire, film réalisé en 1970. Le cinéaste  écrit " Ce n'est pas la jouissance qui fait le bonheur mais le désir et les obstacles que l'on met à la réalisation de ce désir ". Le décor, tout se confond, à mes yeux tout au moins, la description du personnage principal, film et nouvelle. Rohmer n'eut pas le même succès que ses confrères des Cahiers du Cinéma, Truffaut et d'autres, mais Barbet Shroeder cité dans la présentation de Un fou dans le métro " Il y a là une clé pour comprendre Rohmer, le fou c'est aussi un peu lui..... " Maurice Shérer né à Tulle entre en khâgne au lycée Henry IV à Paris, devenu Eric Rohmer écrivit un premier roman. Sans succès. Chaque nouvelle des Friponnes de porcelaine, sept, est précédée de détails sur l'écriture du  manuscrit ou tapuscrit, nombre de pages etc. Court ouvrage, pour cinéphiles et amateurs de nouvelles.



lundi 12 septembre 2016

Lennon Foenkinos - Corbeyran - Horne ( Bande Dessinée France )

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                                                        LENNON

            Un nom qui, seul, rassemble un groupe, une musique qui réussit à démoder celle du King Presley. Un homme qui avoue à la psychanalyste, sa confidente tout au long de l'album, sa grande souffrance atténuée lors de la naissance de son deuxième fils Sean. A Liverpool, en Angleterre, le 9 octobre 1940 naît John Winston Ono Lennon : " La nuit de ma propre naissance j'ai entendu le bruit assourdissant des bombardements. '  Ses parents sont musiciens, son père chante, sa mère joue du banjo.  Mais le couple se défait, le père disparaît , mais réapparaît  lors du succès de John, devenu planétaire avec son groupe, les Beattles, et l'argent qui coule  à flots. John Lennon vit néanmoins une enfance assez bourgeoise, sa mère pour qui il dit avoir un amour infini disparaît de son horizon plusieurs années, à son grand désarroi, mais récupéré par Mimi la soeur de sa mère et son époux, il grandit très classiquement jusqu'à la formation de son premier groupe. Les membres changent, puis la rencontre de celui qui passe pour le plus fortuné du groupe Paul Mac Cartney, alors qu'il vit modestement auprès de sa mère atteinte d'un cancer. John Lennon et Paul Mac Cartney ont écrit les plus belles chansons des 4 Garçons dans le vent. Ils sont arrivés un peu comme des ovnis avec leur musique nouvelle, leurs sentiments, leur coiffure et leurs vêtements, ils ont trouvé leur style. L'album est une adaptation du livre paru en 2010 de David Foenkinos. Le groupe tellement riche, tellement connu parcourt la planète, épuisé par la drogue et les très nombreux concerts, le succès qui ne vint qu'assez lentement après leurs premiers contrats en Allemagne. Un jour John convoque très tôt les membres des Beattles et leur annonce " Je suis le Christ ". Les garçons acceptent la nouvelle, sans étonnement. Puis lassés, fâchés ( John et Paul ) ils se séparent, poursuivent des carrières parallèles et John convaincu par un ami, se rend à une exposition de photos, La photographe se nomme Yoko. Ils parlent et reçoivent un temps de leur lit, veulent changer la société "War is over et Peace and Love ". Puis, un jour, un fan, décide d'éliminer John, parce qu'il ne poursuit pas ses idéaux, parce qu'il entend des voix qui lui ordonnent d'accomplir cet acte fatal. Scénarisé et mis en images par Corbeyran et Horne, un bel album, curieux, une présence et un souvenir.


vendredi 9 septembre 2016

Gourmandises in Kâma Sûtra ( Inde )


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echodecythere.com

                                                           Gourmandises

                                          Jour d'agapes en Inde chez les courtisanes. On boit de l'hydromel et on mange des plats épicés. Ainsi :
            A la mélasse - rhum - on mélange du miel - hydromel - de la cardamone, de l'aloès, de la cannelle et du cachou.
           A l'alcool distillé de Maïreya on ajoute du poivre long ( Pippali ), du poivre noir ( Maricha ), du sel gemme ( Salbhâra ) et du Triphalla. A l'aide de feuilles de Kapittha ( wood apple ) ôter l'écume de l'hydromel distillé.
            Dans le vin - Surâ - fermenté et filtré mélanger de la mélasse.
            Les boissons sont accompagnées de trois sortes d'apéritif salés et pimentés, de salades ( Harita ), de plats épicés ( Katuka ), servis dans des feuilles de Shigru ( molinga ptérigosperma ) avec des cardamones.
aloe-vera-bio.org
Afficher l'image d'origine            A la campagne, du vin de raisin est servi..... Les plus raffinés des buveurs aimaient des liqueurs distillées dans lesquelles sont ajoutées des grains de raisin sec, de Pâlasha, de Mâraka - du  poivre noir - de Meda Shringi - aloès - , de Karanjâ, de ficus religiosa ou Kshirav riksha et de Mâlaka
            En été on propose un mélange de sucre fermenté et d'un peu d'écorce de Lodhâ, une pâte de figue sauvage, de seigle du Kalinga, de lotus.... et de fleurs d'Aka jetés dans le vin pour le parfum.
            Quatre sortes de liqueurs sont proposées avec du jus de mangue :
            la première Sahakâra surâ mélangé avec du vin
            la deuxième avec du miel de mélasse
            la troisième à partir de semences,
            la quatrième par distillation.
            Ne pas oublier d'entourer ces boissons de petits mets salés, de légumes acidulés, de sucreries que l'on appelle apéritifs.
            Et... attention à la santé du corps et de l'esprit, ne pas mélanger dans les boissons des produits nuisibles.


                                                       extraits de Kâma Sûtra 



lundi 5 septembre 2016

La malédiction du chat hongrois Irvin Yalom ( document EtatsUnis )



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                                                    La malédiction du chat hongrois
                                             
                                                            Contes de Psychothérapie

            L'épatante Irène, pleine de colère, d'intelligence, elle est chirurgien, veuve inconsolable d'un époux dont elle comprenait les douleurs, la tumeur au cerveau est l'une des plus douloureuses. Elle réfute les conseils habituels sortir, trouver un nouveau compagnon, rentre chez elle et pleure. Elle accepte néanmoins de voir un thérapeute, choisit le Dr Yalom. Et débute une longue série de visites. Accepter ses rêves, accepter d'aller au bout de l'analyse d'images, de situations improbables, plusieurs années durant Irène note ses rêves, apporte ses rêves au psychiatre, demande son aide car dès la fin de son adolescence les morts d'êtres proches et aimés, nombreux la plongent dans l'angoisse de nouvelles rencontres. La deuxième année Irène apporte ce rêve au psychiatre : " Je suis dans un cabinet, dans ce fauteuil. Mais il y a un drôle de mur au milieu de la pièce, entre nous........ Je vois un bout de tissu écossais rouge, puis je distingue une main, un pied........ c'est un mur de corps empilés les uns sur les autres." - Et la sensation de ce rêve, Irêne ?........ - Déplaisante, effrayante......... Irène demande beaucoup, donne peu. Il faudra de nombreuses séances à 150 $ de 50 minutes pour que s'effondre le mur. Pour Irvin Yalom la mort est définitive. Il se présente comme un intellectuel juif, écrit " La croyance religieuse m'a toujours déconcerté " ........ Mais enfant une rencontre dans l'épicerie familiale avec un soldat de la Seconde Guerre mondiale " ...... Il me donna une image toute froissée et pâlie de la Vierge Marie et de Jésus qu'il avait portée sur lui pendant le Débarquement en Normandie....... - Lis ce qu'il y a derrière. - Il n'y a pas d'athées dans les gourbis..... "
            Il y a Paula, Magnolia et les groupes de thérapie, et d'autres traversent ce grand observatoire  qu'est un cabinet de psychiatre et il y a un chat, hongrois. Mengès, monstrueux jeteur de sorts à la propriétaire d'une chatte qui, à la période des chaleurs feule et affole Mengès. C'est alors un amour-chat sauvage, la chatte revient, griffée, mordue, sanguinolente et satisfaite sans doute. Mengès puni, croit-on, apparaît dans des rêves-cauchemars. Car les chats ont plusieurs vies, celle-ci est la neuvième et la dernière, Et une longue discussion entre l'énorme chat Mengès qui croit à la réincarnation, il y a juste un moment de vide complet entre la fin de l'une des vies et le retour. Mais le souvenir des passés reste présent.
            Ce livre est un bon compagnon. Feuilleté ou lu d'une traite, petit et souple. Enrichissant.










vendredi 2 septembre 2016

Pour une nuit d'amour 4/5 fin Emile Zola ( Nouvelle France )

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                                                        Pour une nuit d'amour

                                                                        IV

            Julien marchait dans un cauchemar. Quand il reconnut Colombel sur le lit, il ne s'étonna pas, il trouva cela naturel et simple. Oui, Colombel seul pouvait être au fond de cette alcôve, la tempe défoncée, les membres écartés, en une pose de luxure affreuse.
            Cependant, Thérèse lui parlait longuement. Il n'entendait pas d'abord, les paroles coulaient dans sa stupeur, avec un bruit confus. Puis, il comprit qu'elle lui donnait des ordres, et il écouta. Maintenant, il fallait qu'il ne sortît plus de la chambre, il resterait jusqu'à minuit, à attendre que l'hôtel fût noir et vide. Cette soirée que donnait le marquis les empêcherait d'agir plus tôt ; mais elle offrait en somme des circonstances favorables, elle occupait trop tout le monde pour qu'on songeât à monter chez la jeune fille. L'heure venue, Julien prendrait le cadavre sur son dos, le descendrait et l'irait jeter dans le Chanteclair, au bas de la rue Beau-Soleil. rien n'était plus facile, à voir la tranquillité avec laquelle Thérèse expliquait tout ce plan.
            Elle s'arrêta, puis posant les mains sur les épaules du jeune homme, elle demanda :
            - Vous avez compris, c'est convenu ?
            Il eut un tressaillement.
            - Oui, oui, tout ce que vous voudrez. Je vous appartiens.
            Alors, très sérieuse, elle se pencha. Comme il ne comprenait pas ce qu'elle voulait, elle reprit
            - Embrassez-moi.
            Il posa en frissonnant un baiser sur son front glacé. Et tous deux gardèrent le silence.
            Thérèse avait de nouveau tiré les rideaux du lit. Elle se laissa tomber dans un fauteuil, où elle se reposa enfin, abîmée dans l'ombre. Julien, après être resté un instant debout, s'assit également sur une chaise. Françoise n'était plus dans la pièce voisine, la maison n'envoyait que des bruits sourds, la chambre semblait dormir, peu à peu emplie de ténèbres
            Pendant près d'une heure, rien ne bougea. Julien entendait, contre son crâne, de grands coups qui l'empêchaient de suivre un raisonnement. Il était chez Thérèse, et cela l'emplissait de félicité. Puis, tout d'un coup, quand il venait à penser qu'il y avait là le cadavre d'un homme, au fond de cette alcôve dont les rideaux, en l'effleurant, lui causaient un frisson, il se sentait défaillir. Elle avait aimé cet avorton, Dieu juste ! était-ce possible ? Il lui pardonnait de l'avoir tué ; ce qui lui allumait le sang, c'étaient les pieds nus de Colombel, les pieds nus de cet homme au milieu des dentelles du lit. Avec quelle joie il le jetterait dans le Chanteclair, au bout du pont, à un endroit profond et noir qu'il connaissait bien ! Ils en seraient débarrassés tous les deux, ils pourraient se prendre ensuite. Alors, à la pensée de ce bonheur qu'il n'osait rêver le matin, il se voyait brusquement sur le lit, à la place même où gisait le cadavre, et la place était froide, et il éprouvait une répugnance terrifiée.
            Renversée au fond du fauteuil, Thérèse ne remuait pas. Sur la clarté vague de la fenêtre, il voyait simplement la tache haute de son chignon. Elle restait le visage entre les mains, sans qu'il fût possible de connaître le sentiment qui l'anéantissait ainsi. Était-ce une simple détente physique, après l'horrible qu'elle venait de traverser ? Était-ce un remords écrasé, un regret de cet amant endormi du dernier sommeil ? S'occupait-elle tranquillement de mûrir son plan de salut, ou bien cachait-elle le ravage de la peur sur sa face noyée d'ombre ? Il ne pouvait le deviner.
            La pendule sonna, au milieu du grand silence. Alors, Thérèse se leva lentement, alluma les bougies de sa toilette  ; et elle apparut dans son beau calme accoutumé, reposée et forte. Elle semblait avoir oublié le corps vautré derrière les rideaux de soie rose, allant et venant du pas tranquille d'une personne qui s'occupe, dans l'intimité close de sa chambre. Puis, comme elle dénouait ses cheveux, elle dit sans même se retourner :
            - Je vais m'habiller pour cette fête... Si l'on venait, n'est-ce pas ? vous vous cacheriez au fond de l'alcôve.
            Il restait assis, il la regardait. Elle le traitait déjà en amant, comme si la complicité sanglante qu'elle mettait entre eux les eût habitués l'un à l'autre, dans une longue liaison.       quizz.biz
Qui a peint Portait de Jeanne Hebuterne ?            Les bras levés, elle se coiffa. Il la regardait toujours avec un frisson, tant elle était désirable, le dos nu, remuant paresseusement dans l'air ses coudes délicats et ses mains effilées, qui enroulaient des boucles. Voulait-elle donc le séduire, lui montrer l'amante qu'il allait gagner, afin de le rendre brave ?
            Elle venait de se chausser, lorsqu'un bruit de pas se fit entendre.
            - Cachez-vous dans l'alcôve, dit-elle à voix basse.
            Et, d'un mouvement prompt, elle jeta sur le cadavre raidi de Colombel tout le linge qu'elle avait quitté, un linge tiède encore, parfumé de son odeur.
            Ce fut Françoise qui entra, en disant :
            - On vous attend, Mademoiselle.
            - J'y vais, ma bonne, répondit paisiblement Thérèse. Tiens ! tu vas m'aider à passer ma robe.
            Julien, par un entrebâillement des rideaux, les apercevait toutes les deux, et il frémissait de l'audace de la jeune fille, ses dents claquaient si fort, qu'il s'était pris la mâchoire dans son poing, pour qu'on entendît pas. A côté de lui, sous la chemise de femme, il voyait pendre l'un des pieds glacés de Colombel. Si Françoise, si la mère avait tiré le rideau et s'était heurté au pied de son enfant, ce pied nu qui passait !
            - Prends bien garde, répétait Thérèse, va doucement : tu arraches les fleurs.
            Sa voix n'avait pas une émotion. Elle souriait maintenant, en fille heureuse d'aller au bal. La robe était une robe de soie blanche, toute garnie de fleurs d'églantier, des fleurs blanches au coeur teinté d'une pointe rouge. Et, quand elle se tint debout au milieu de la pièce, elle fut comme un grand bouquet, d'une blancheur virginale. Ses bras nus, son cou nu continuaient la blancheur de la soie.
            - Oh !  que vous êtes belle ! que vous êtes belle ! répétait complaisamment le vieille Françoise
Et votre guirlande, attendez !
            Elle parut chercher, porta la main aux rideaux, comme pour regarder sur le lit. Julien faillit laisser échapper un cri d'angoisse. Mais Thérèse, sans se presser, toujours souriante devant la glace, reprit :
            - Elle est là, sur la commode, ma guirlande. Donne-la moi... Oh ! ne touche pas à mon lit. J'ai mis des affaires dessus. Tu dérangerais tout.
            Françoise l'aida à poser la longue branche d'églantier, qui la couronnait, et dont un bout flexible lui tombait sur la nuque. Puis, Thérèse resta là, un instant encore, complaisamment. Elle était prête, elle se gantait.
            Ah bien ! s'écria Françoise, il n'y a pas de bonnes-vierges si blanches que vous, à l'église !
            Ce compliment fit de nouveau sourire la jeune fille. Elle se contempla une dernière fois et se dirigea vers la porte, en disant :
            - Allons, descendons... Tu peux souffler les bougies.
            Dans l'obscurité brusque qui régna, Julien entendit la porte se refermer et la robe de Thérèse s'en aller, avec le frôlement de la soie le long du corridor. Il s'assit par terre, au fond de la ruelle, n'osant encore sortir de l'alcôve. La nuit profonde lui mettait un voile devant les yeux ; mais il gardait , près de lui, la sensation de ce pied nu, dont toute la pièce semblait glacée. Il était là depuis un laps de temps qui lui échappait, dans un embarras de pensées lourd comme une somnolence, lorsque la porte fut rouverte. Au petit bruit de la soie, il reconnut Thérèse. Elle ne s'avança pas, elle posa seulement quelque chose sur la commode, en murmurant :
            - Tenez, vous ne devez pas avoir dîné... Il faut manger, entendez-vous !
            Le petit bruit recommença, la robe s'en alla une seconde fois, le long du corridor. Julien, secoué, se leva. Il étouffait dans l'alcôve, il ne pouvait plus rester contre ce lit, à côté de Colombel. La pendule sonna huit heures, il avait quatre heures à attendre. Alors, il marcha en étouffant le bruit de ses pas.    pepinieres-gromolard.com
Résultat de recherche d'images pour "fleur blanche coeur rouge"            Une clarté faible, la clarté de la nuit étoilée, lui permettait de distinguer les taches sombres des meubles. Certains coins se noyaient. Seule, la glace gardait un reflet éteint de vieil argent. Il n'était pas peureux d'habitude ; mais, dans cette chambre, des sueurs, par moments, lui inondaient la face. Autour de lui, les masses noires des meubles remuaient, prenaient des formes menaçantes. Trois fois, il crut entendre des soupirs sortirent de l'alcôve. Et il s'arrêtait, terrifié. Puis, quand il prêtait mieux l'oreille, c'étaient des bruits de fête qui montaient, un air de danse, le murmure rieur d'une foule. Il fermait les yeux ; et, brusquement, au lieu du trou noir de la chambre, une grande lumière éclatait, un salon flambant, où il apercevait Thérèse, avec sa robe pure, passer sur un rythme amoureux, entre les bras d'un valseur. Tout l'hôtel vibrait d'une musique heureuse. Il était seul, dans ce coin abominable, à grelotter d'épouvante. Un moment, il recula, les cheveux hérissés : il lui semblait voir une lueur s'allumer sur un siège. Lorsqu'il osa s'approcher et toucher, il reconnut un corset de satin blanc. Il le prit, enfonça son visage dans l'étoffe assouplie par la gorge d'amazone de la jeune fille, respira longuement son odeur, pour s'étourdir.
            Oh ! quels délices ! Il voulait tout oublier. Non, ce n'était pas une veillée de mort, c'était une veillée d'amour. Il vint appuyer le front contre les vitres, en gardant aux lèvres le corset de satin ; et il recommença l'histoire de son coeur. En face, de l'autre côté de la rue, il apercevait sa chambre dont les fenêtres étaient restées ouvertes. C'était là qu'il avait séduit Thérèse dans ses longues soirées de musique dévote. Sa flûte chantait sa tendresse, disait ses aveux, avec un tremblement de voix si doux d'amant timide, que la jeune fille, vaincue, avait fini par sourire. Ce satin qu'il baisait était un satin à elle, un coin du satin de sa peau, qu'elle lui avait laissé, pour qu'il ne s'impatientât pas. Son rêve devenait si net, qu'il quitta la fenêtre et courut à la porte, croyant l'entendre.
            Le froid de la pièce tomba sur ses épaules ; et, dégrisé, il se souvint. Alors, une décision furieuse le prit. Ah ! il n'hésitait plus, il reviendrait la nuit même. Elle était trop belle, elle l'aimait trop. Quand on s'aime dans le crime, on doit s'aimer d'une passion dont les os craquent. Certes, il reviendrait, et en courant, et sans perdre une minute, aussitôt le paquet jeté à la rivière. Et, fou, secoué par une crise nerveuse, il mordait le corset de satin, il roulait sa tête dans l'étoffe, pour étouffer ses sanglots de désir.
            Dix heures sonnèrent. Il écouta. Il croyait être là depuis des années. Alors, il attendit dans l'hébétude. Ayant rencontré sous sa main du pain et des fruits, il mangea debout, avidement, avec une douleur à l'estomac qu'il ne pouvait apaiser. Cela le rendrait fort, peut-être. Puis, quand il eut mangé, il fut pris d'une lassitude immense. La nuit lui semblait devoir s'étendre à jamais. Dans l'hôtel, la musique lointaine se faisait plus claire ; le branle d'une danse secouait par moments le parquet ; des voitures commençaient à rouler. Et il regardait fixement la porte, lorsqu'il aperçut, comme une étoile, dans le trou de la serrure. Il ne se cacha même pas. Tant pis, si quelqu'un entrait !
            - Non, merci, Françoise, dit Thérèse, en paraissant avec une bougie. Je me déshabillerai bien toute seule... Couche-toi, tu dois être fatiguée.
            Elle repoussa la porte, dont elle fit glisser le verrou. Puis, elle resta un instant immobile, un doigt sur les lèvres, gardant à la main le bougeoir. La danse n'avait pas fait monter une rougeur à ses joues. Elle ne parla pas, posa le bougeoir, s'assit en face de Julien. Pendant une demi-heure encore, ils attendirent, ils se regardèrent.
            Les portes avaient battu, l'hôtel s'endormait. Mais ce qui inquiétait Thérèse, c'était surtout le voisinage de Françoise, cette chambre où logeait la vieille femme. Françoise marcha quelques minutes, puis son lit craqua, elle venait de se coucher. Longtemps, elle tourna entre ses draps, comme prise d'insomnie. Enfin une respiration forte et régulière vint à travers la cloison.
            Thérèse regardait toujours Julien, gravement. Elle ne prononça qu'un mot.
            - Allons, dit-elle. Ils tirèrent les rideaux, ils voulurent rhabiller le cadavre du petit Colombel, qui avait déjà des raideurs de pantin lugubre. Quand cette besogne fut faite, leurs tempes à tous deux étaient mouillées de sueur.
            - Allons ! dit-elle une seconde fois.                                                             39marches.wordpress.com
Afficher l'image d'origine            Julien, sans une hésitation, d'un seul effort, saisit le petit Colombel, et le chargea sur ses épaules, comme les bouchers chargent les veaux. Il courbait son grand corps, les pieds du cadavre étaient à un mètre du sol.
            - Je marche devant vous, murmura rapidement Thérèse. Je vous tiens par votre paletot, vous n'aurez qu'à vous laisser guider. Et avancez doucement.
            Il fallait passer d'abord par la chambre de Françoise. C'était l'endroit terrible. Ils avaient traversé la pièce, lorsque l'une des jambes du cadavre alla heurter une chaise. Au bruit, Françoise se réveilla. Ils l'entendirent qui levait la tête, en mâchant de sourdes paroles. Et ils restaient immobiles, elle collée à la porte, lui écrasé sous le poids du corps, avec la peur que la mère ne les surprît charriant son fils à la rivière. Ce fut une minute d'une angoisse atroce. Puis, Françoise parut se rendormir, et ils s'engagèrent dans le corridor, prudemment.
            Mais, là, une autre épouvante les attendait. La marquise n'était pas couchée, un filet de lumière glissait par sa porte entrouverte. Alors, ils n'osèrent plus ni avancer ni reculer. Julien sentait que le petit Julien lui échapperait des épaules, s'il était forcé de traverser une seconde fois la chambre de Françoise. Pendant près d'un quart-d'heure, ils ne bougèrent plus ; et Thérèse avait l'effroyable courage de soutenir le cadavre, pour que Julien ne se fatiguât pas. Enfin le filet de lumière s'effaça, ils purent gagner le rez-de-chaussée. Ils étaient sauvés.
            Ce fut Thérèse qui entrebâilla de nouveau l'ancienne porte cochère condamnée. Et, quand Julien se trouva au milieu de la place des Quatre-Femmes, avec son fardeau, il l'aperçut debout, en haut du perron, les bras nus, toute blanche dans sa robe de bal. Elle l'attendait.



                                                                   V

            Julien était d'une force de taureau. Tout jeune, dans la forêt voisine de son village, il s'amusait à aider les bûcherons, il chargeait des troncs d'arbre sur son échine d'enfant. Aussi portait-il le petit Colombel aussi légèrement qu'une plume. C'était un oiseau sur son cou, ce cadavre d'avorton. Il le sentait à peine, il était pris d'une joie mauvaise, à le trouver si peu lourd, si mince, si rien du tout. Le petit Colombel ne ricanerait plus en passant sous sa fenêtre, les jours où il jouerait de la flûte ; il ne le criblerait plus de ses plaisanteries dans la ville. Et, à la pensée qu'il tenait là un rival heureux, raide et froid, Julien éprouvait le long des reins un frémissement de satisfaction. Il le remontait sur sa nuque d'un coup d'épaule, il serrait les dents et hâtait le pas.
            La ville était noire. Cependant, il y avait de la lumière sur la place des Quatre-Femmes, à la fenêtre du capitaine Pidoux ; sans doute le capitaine se trouvait indisposé, on voyait le profil élargi de son ventre aller et venir derrière les rideaux. Julien, inquiet, filait le long des maisons d'en face, lorsqu'une légère toux le glaça. Il s'arrêta dans le creux d'une porte, il reconnut la femme du notaire Savournin, qui prenait l'air, en regardant les étoiles avec de gros soupirs. C'était une fatalité ; d'ordinaire, à cette heure, la place des Quatre-Femmes dormait d'un sommeil profond. Madame Savournin, heureusement, alla retrouver sur l'oreiller Me Savournin, dont les ronflements sonores s'entendaient du pavé, par la fenêtre ouverte. Et, quand cette fenêtre fut refermée, Julien traversa vivement la place, en guettant toujours le profil tourmenté et dansant du capitaine Pidoux.
            Pourtant il se rassura, dans l'étranglement de la rue Beau-Soleil. Là, les maisons étaient si rapprochées, la pente du pavé si tortueuse, que la clarté des étoiles ne descendait pas au fond de ce boyau, où semblait s'alourdir une coulée d'ombre. Dès qu'il se vit ainsi abrité, une irrésistible envie de courir l'emporta brusquement dans un galop furieux. C'était dangereux et stupide, il en avait la conscience très nette ; mais il ne pouvait s'empêcher de galoper, il sentait encore derrière lui le carré vide et clair de la place des Quatre-Femmes, avec les fenêtres de la notaresse et du capitaine, allumées comme deux grands yeux qui le regardaient. Ses souliers faisaient sur le pavé un tapage tel, qu'il se croyait poursuivi. Puis, tout d'un coup, il s'arrêta. A trente mètres, il venait d'entendre les voix des officiers de la table d'hôte qu'une veuve blonde tenait rue Beau-Soleil. Ces messieurs devaient s'être offert un punch, pour fêter la permutation de quelque camarade. Le jeune homme se disait que, s'ils remontaient la rue, il était perdu ; aucune rue latérale ne lui permettait de fuir, et il n'aurait certainement pas le temps de retourner en arrière. Il écoutait la cadence des bottes et le léger cliquetis des épées, pris d'une anxiété qui l'étranglais. Pendant un instant, il ne put se rendre compte si les bruits se rapprochaient ou s'éloignaient. Mais ces bruits, lentement, s'affaiblirent. Il attendit encore, puis il se décida à continuer sa marche, en étouffant ses pas. Il aurait marché pieds nus, s'il avait osé prendre le temps de se déchausser.
            Enfin Julien déboucha devant la porte de la ville.
            On ne trouve là ni octroi, ni poste d'aucune sorte. Il pouvait donc passer librement/ Mais le brusque élargissement de la campagne le terrifia, au sortir de l'étroite rue Beau-Soleil. La campagne était toute bleue, d'un bleu très doux ; une haleine fraîche soufflait ; et il lui sembla qu'une foule immense l'attendait et lui envoyait son souffle au visage. On le voyait, un cri formidable allait s'élever et le clouer sur place.                                                                                commons.wikimedia.org 
File:Edvard Munch - Workers on their Way Home - Google Art Project.jpg            Cependant, le pont était là. Il distinguait la route blanche, les deux parapets, bas et gris comme des bancs de granit ; il entendait la petite musique cristalline du Chanteclair, dans les hautes herbes. Alors, il se hasarda, il marcha courbé, évitant les espaces libres, craignant d'être aperçu des mille témoins muets qu'il sentait autour de lui. Le passage le plus effrayant était le pont lui-même; sur lequel il se trouverait à découvert, en face de toute la ville, bâtie en amphithéâtre. Et il voulait aller au bout du pont, à l'endroit où il s'asseyait d'habitude, les jambes pendantes, pour respirer la fraîcheur des belles soirées. Le Chanteclair avait, dans un grand trou, une nappe dormante et noire, creusée de petites fossettes rapides par la tempête intérieure d'un violent tourbillon. Que de fois il s'était amusé à lancer des pierres dans cette nappe, pour mesurer aux bouillons de l'eau la profondeur du trou ! Il eut une dernière tension de volonté, il traversa le pont.                                  
            Oui, c'était bien là, Julien reconnaissait la dalle, polie par ses longues stations. Il se pencha, il vit la nappe avec les fossettes rapides qui dessinaient des sourires. C'était là, et il se déchargea sur le parapet. Avant de jeter le petit Colombel, il avait un irrésistible besoin de le regarder une dernière fois. Les yeux de tous les bourgeois de la ville, ouverts sur lui, ne l'auraient pas empêcher de se satisfaire. Il resta quelques secondes face à face avec le cadavre. Le trou de la tempe avait noirci. Une charrette, au loin, dans la campagne endormie, faisait un bruit de gros sanglots. Alors, Julien se hâta ; et, pour éviter un plongeon trop bruyant, il reprit le corps, l'accompagna dans sa chute. Mais il ne sut comment, les bras du mort se nouèrent autour de son cou, si rudement, qu'il fut entraîné lui-même. Il se rattrapa par miracle à une saillie. Le petit Colombel avait voulu l'emmener.
            Lorsqu'il se retrouva assis sur la dalle, il fut pris d'une faiblesse. Il demeurait là, brisé, l'échine pliée, les jambes pendantes, dans l'attitude molle de promeneur fatigué qu'il y avait eue si souvent. Et il contemplait la nappe dormante, où reparaissaient les rieuses fossettes. Cela était certain, le petit Colombel avait voulu l'emmener ; il l'avait serré au cou, tout mort qu'il était. Mais rien de ces choses n'existait plus ; il respirait largement l'odeur de la campagne ; il suivait des yeux le reflet d'argent de la rivière, entre les ombres veloutées des arbres ; et ce coin de la nature lui semblait comme une promesse de paix, de bercement sans fin, dans une jouissance discrète et cachée.
            Puis, il se rappela Thérèse. Elle l'attendait, il en était sûr. Il la voyait toujours en haut du perron ruiné, sur le seuil de la porte dont la mousse mangeait le bois. Elle restait toute droite, avec sa robe de soie blanche, garnie de fleurs d'églantier au coeur teinté d'une pointe de rouge. Peut-être pourtant le froid l'avait prise. Alors, elle devait être remontée à l'attendre dans sa chambre. Elle avait laissé la porte ouverte, elle s'était mise au lit comme une mariée, le soir des noces.
      Ah ! quelle douceur ! Jamais une femme ne l'avait attendu ainsi. Encore une minute, il serait au rendez-vous promis. Mais ses jambes s'engourdissaient, il craignait de s'endormir. Etait-il donc un lâche ? Et, pour se secouer, il évoquait Thérèse à sa toilette, lorsqu'elle avait laissé tomber ses vêtements. Il la revoyait les bras levés, la gorge tendue, agitant en l'air ses coudes délicats et ses mains pâles. Il se fouettait de ses souvenirs, de l'odeur qu'elle exhalait, de sa peau souple, de cette chambre d'épouvantable volupté où il avait bu une ivresse folle. Est-ce qu'il allait renoncer à cette passion offerte, dont il avait un avant-goût qui lui brûlait les lèvres ? Non, il se traînerait plutôt sur les genoux, si ses jambes refusaient de le porter.
            Mais c'était là une bataille perdue déjà, dans laquelle son amour vaincu achevait d'agoniser. Il n'avait plus qu'un besoin irrésistible, celui de dormir, dormir toujours. L'image de Thérèse pâlissait, un grand mur noir montait, qui le séparait d'elle. Maintenant, il ne lui aurait pas effleuré du doigt une épaule, sans en mourir. Son désir expirant avait une odeur de cadavre. Cela devenait impossible, le plafond se serait écroulé sur leurs têtes, s'il était rentré dans la chambre et s'il avait pris cette fille contre sa chair.
            Dormir, dormir toujours, que cela devait être bon, quand on n'avait plus rien en soi qui valût le plaisir de veiller ! Il n'irait plus le lendemain à la poste, c'était inutile ; il ne jouerait plus de la flûte, il ne se mettrait plus à la fenêtre. Alors, pourquoi ne pas dormir tout le temps ? Son existence était finie, il pouvait se coucher. Et il regardait de nouveau la rivière, en tâchant de voir si le petit Colombel se trouvait encore là. Colombel était un garçon plein d'intelligence : il savait pour sûr ce qu'il faisait, quand il avait voulu l'emmener.
            La nappe s'étalait, trouée par les rires rapides de ses tourbillons. Le Chanteclair prenait une douceur musicale, tandis que la campagne avait un élargissement d'ombre d'une paix souveraine. Julien balbutia trois fois le nom de Thérèse. Puis, il se laissa tomber, roulé sur lui-même comme un paquet, avec un grand rejaillissement d'écume. Et le Chanteclair reprit sa chanson dans les herbes.
            Lorsqu'on retrouva les deux corps, on crut à une bataille, on inventa une histoire. Julien devait avoir guetté le petit Colombel, pour se venger de ses moqueries ; et il s'était jeté dans la rivière, après l'avoir tué d'un coup de pierre à la tempe. Trois mois plus tard Mlle Thérèse de Marsanne épousait le jeune comte de Véteuil. Elle était en robe blanche, elle avait un beau visage calme, d'une beauté hautaine.


                                                 
                                                                 FIN

                                                                                     Emile Zola