samedi 16 janvier 2021

La Végétarienne Han Kang ( Roman Corée )

 





                                       


  

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                                                              La Végétarienn

            Séoul. Yonghye est " ni grande ni petite, des cheveux ni longs ni courts...... " Son époux d'aspect assez froid travaille beaucoup dans un bureau, elle crée des bulles pour les bandes dessinées. Leur couple semble sans problème. Seule l'absence de soutien-gorge pouvait être gênant pour son mari et le fut lors d'un repas avec son patron et divers directeurs, les très petits seins de la jeune femme  sous son chemisier attirant les regards des dames. Par ailleurs, devenue végétarienne elle refusa la plupart des plats. Un soir le mari encore jeune trouve sa femme debout devant le frigidaire qu'elle vide de toutes les paquets de viande. Elle refuse dorénavant de les cuisiner et ne le nourrit plus que de soupes, de riz et légumes au grand mécontentement du mari qui a cependant le droit d'en manger à l'extérieur mais plus de l'embrasser car " il sent la viande " Le congélateur sera également vidé de toutes viandes et poissons. Plus d'œufs. Pourquoi ? " A cause des rêves ", que l'auteur décrits. Puis une scène décisive éclate lors d'un repas de famille où chacun se régale de leurs plats préférés et nombreux de viande. Evidemment Yonghye ne se nourrit pas, colère du père, un drame survient Yonghye sera internée quelque temps, et le couple divorce. La deuxième partie vue par la sœur aînée reprend le sujet donnant les bases du couple qu'elle forme avec un homme vidéaste, père de leur petit Chiu. Il apprend par hasard que sa belle-sœur porte la tache fréquente chez les asiatiques, tache mongolique au bas du dos, et cela le fait rêver alors qu'un chorégraphe a porté sur scène son court film. Il rêve et réalise son rêve, peindre deux corps nus, des fleurs partout, chez Yonghye autour de la tache et sur l'homme. Si sa femme ignore le sujet de ce nouveau film qu'il réalise seule, elle gère sa boutique de produits de beauté et malgré un horaire lourd, souvent jusqu'à 11 h du soir, prend soin de chacun. Et surprendra dans leur sommeil sa sœur et son mari tout peint de fleurs et dont les ébats ont été filmés. Et la troisièmes partie est vue à travers les yeux de cette " Grande Sœur ". Yonghye qui espéra quelques minutes après sa scène d'amour avec son beau-frère être délivrée de ses rêves, sombre à nouveau et est internée. Séparation du second couple, sans drame. Des mariages sans amour. Tous pensent avoir échappé au piège de l'amour. Mais Yonghye croit s'être trouvée, végétale. Un arbre. Drame. Beaucoup de sujets dans ce roman où chacun peut trouver matière à interrogation. Bonne lecture du livre qui correspond à notre époque, vegan. Yonghye refuse aussi les laitages et les chaussures en cuir et ne porte plus que des baskets. Booker Prize 2016.

lundi 11 janvier 2021

Le passereau solitaire Giacomo Leopardi ( Poème Italie )




     




                 



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                                             Le Passereau solitaire

            Sur le sommet de la vieille tour, passereau
            solitaire, tu vas chantant, jusqu'à ce que s'éteigne
            le jour, et ton harmonieuse voix se répand par
            cette vallée. Autour de toi, le printemps resplendit
            dans l'air ; il tressaille de joie à travers les
            campagnes ; spectacle qui attendrit le cœur. Tu
            entends bêler les troupeaux, mugir les bœufs, et
            tu vois les autres oiseaux tes frères, joyeux, faire
            ensemble mille tours, dans leurs disputes, par les
            libres espaces du ciel, pour fêter leur meilleure
            saison. Toi, pensif et retiré, tu regardes tout cela.
            tu ne voles pas avec tes compagnons. Que t'im-
            porte cette allégresse ? Tu chantes et tu vois passer
            ainsi la plus brillante fleur de l'année et
            de tes jours ?

            Hélas ! combien ma vie ressemble à la tienne !
            rires et jeux, doux cortège du premier âge, et
            toi, frère de la jeunesse, amour, après qui la vieil-
            lesse soupire si douloureusement, je n'ai nul souci 
            de vous, je ne sais pourquoi. Que dis-je je vous
            fuis, et comme l'ermite, étranger à mon coin
            natal, je vois s'écouler le printemps de ma vie.
            Ce jour, qui maintenant fait place à la nuit, est
            un jour de fête pour notre village. Entends-tu
            cette cloche qui vibre dans l'air pur ? entends-tu
            ces coups de feu répétés qui tonnent et retentis-
            sent de maison en maison. Toute la jeunesse du     
            pays, en habits de fête, quitte le logis et se répand
            par les chemins. Elle va voir et se montrer. La
            joie remplit les cœurs. Moi seul, dans ce lieu
            écarté, je marche à travers la campagne. Je remets
            à un autre temps tout plaisir et toute joie ; et, en
            attendant, mon regard perdu dans l'espace, reçoit
            l'atteinte des rayons du soleil qui, par-delà les
            monts lointains descend et disparaît. Il semble
            nous avertir que l'heureuse jeunesse aussi
             s'évanouit.

            Toi, oiseau solitaire, quand sera venu la fin
            des jours que te comptent les étoiles, tu ne te
            plaindras pas de ton sort, parce que tous vos
            désirs sont soumis à la nature. Mais moi, s'il ne
            m'est pas donné d'éviter le seuil détesté de la vieil-
            lesse, lorsque mes yeux ne pourront plus parler
            au cœur de mes semblables, que le monde sera
            vide pour mon regard, que le lendemain me pa-
            raîtra plus triste encore et plus sombre que le
            jour présent ; que penserai-je alors de ce que je
            fuis maintenant, de mes années envolées et de
           moi-même ? Ah ! Je me repentirai ! et bien souvent
           mais sans en être consolé, je me retournerai vers
           Le passé.
          

                       Giacomo Leopardi                                             rtl.be



dimanche 10 janvier 2021

Anecdotes et Réflexions d'hier pour aujourd'hui 136 Samuel Pepys ( Journal Angleterre )

 eldebate.es





 

                                                                                                                              1er Mars 1665


              Lever. Comme aujourd'hui est la date que je m'étais depuis longtemps fixée par ma promesse de donner à ma femme 20 £ pour s'acheter ses toilettes de Pâques, je me raccommodai avec elle, et elle avec moi, malgré la querelle d'hier. J'ai néanmoins barguigné tant et plus avant de me séparer de mon argent, puis ai fini par le lui remettre. Elle s'en fut donc à ses emplettes. Travaillai toute la matinée à mon bureau. A midi dînai à Trinity House, puis à Gresham College où Mr Hooke qui parlait en premier nous fit un second exposé fort difficile sur la dernière comète, démontrant, entre autres, qu'il s'agit bien de celle déjà apparue avant 1618, et qu'elle réapparaîtra sans doute après le même laps de temps. Voilà une idée fort nouvelle, mais tout ceci sera imprimé.
             Puis à la séance, au cours de laquelle les deux fils de sir George Carteret, ainsi que sir Nicholas Slaning, furent admis dans la Société. Ai aujourd'hui payé le montant de ma cotisation, 40 shillings. On fit de beaux discours, et des expériences. Mais mes connaissances en philosophie de la nature étant trop limitées pour que je les comprenne, je n'ai rien retenu. Il y eut, entre autres, un compte rendu fort détaillé de la confection de diverses sortes de pain en France réputé être le meilleur pays du monde pour le pain.
            Retour chez moi fort occupé à trouver des réponses aux questions de sir Philip Warwick au sujet des dépenses de la Marine. Pris ensuite une voiture avec ma femme et Mercer, à 8 heures du soir, pour aller chez sir Philip à qui j'ai parlé, elles sont restées dans la voiture, puis à la maison souper et, au lit.


                                                                                                               2 mars

            Aujourd'hui commençai tôt la journée, levé avant 6 heures et descendu réveiller mes gens. Je trouve Bess et la fille de service tout habillées, enveloppées dans leurs couvertures et couchées par terre au coin du feu, la chandelle ayant brûlé toute la nuit. Elles prétendirent qu'elles allaient se lever tôt pour récurer. Voilà qui me rend furieux, mais Bess part et ne me causera plus de contrariétés très longtemps. Levé donc et chez Burston par coche d'eau m'enquérir de l'estampe de milord, puis chez moi, à mon bureau passai toute la matinée. Dînai à midi avec sir William Batten, ma femme étant de nouveau sortie faire des emplettes, car elle n'a rien pu acheter hier, faute d'avoir Mrs Pearse pour l'accompagner. A nouveau à mon bureau, travaillai jusqu'à minuit, irrité de ce que ma femme restât si tard en ville, car elle n'était point rentrée à neuf heures. Elle rentra enfin, mais pourquoi elle a tant tardé, je l'ignore encore. Refermai mes livres, rentrai, souper et, au lit.


                                                                                                                     3 mars

            Levé puis sortis pour plusieurs affaires. Entre autres, pour voir Mr Honeywood qui est passé chez moi l'autre jour, mais je m'aperçois que la seule raison de sa visite était de me payer le trimestre de mon frère John. De là m'en fus voir Mrs Turner qui prend très mal le fait que je ne sois pas venu au dîner qu'a donné le lecteur son mari. " C'était, me dit-elle, le plus grand banquet jamais donné pour un lecteur ", et je veux bien la croire, mais je suis content de n'y être point allé, ce qui la conforte dans l'opinion qu'elle a de moi, à savoir que je deviens hautain.
            Puis à la Bourse et à divers endroits. Rentrai dîner et à mon bureau jusqu'à minuit afin de préparer un rapport que je dois adresser à Mr Coventry sur les pêcheurs de la Tamise, après qu'il a soulevé cette question devant moi, s'agissant de leur exemption de la presse. Puis chez moi, souper et, au lit.


                                                                                                                     4 mars

            Levé de bon matin, fis l'aller et retour par un froid de loup, à pied jusqu'à Ratcliff, chez le graveur. A mon bureau toute la matinée. Ai souffert toute la journée, bien qu'ayant l'intestin vide, de flatuosités et de ballonnements. Dînai seul, ma femme étant ressortie faire d'autres achats. A mon bureau tout l'après-dîner. William Howe est venu me rendre visite, récemment débarqué avec milord. Ce garçon a gagné en sagesse, mais aussi en vanité. Il me dit le peu de respect que sir William Penn a témoigné à milord, en mer, à bord du navire du Duc, et me dit aussi que le capitaine Myngs, l'un des favoris du prince Rupert, manifesta bien peu de respect envers milord, mais que tous, hormis eux, surent lui témoigner de l'estime, comme ils se devaient de le faire. Je juge déplorable la sottise de ce capitaine et irritante la duplicité du premier.
            Le soir, rentrai souper chez moi et, au lit. 
            Aujourd'hui, à la Bourse, fut rendue publique la guerre contre la Hollande.


                                                                                                                   5 mars 1665
                                                                                                    Jour du Seigneur
            Levé puis, après que Mr Burston m'eut apporté, comme je le lui avais demandé, les estampes destinées à milord, pris une voiture et me rendis chez milord Sandwich et dînai avec lui. C'était son premier dîner chez lui depuis son retour de mer. A milady, devant moi, milord posa cette singulière question : " - Comment vous portez-vous ma chère ? Et comment votre semaine s'est-elle passée ? " me faisant lui-même la remarque qu'il l'avait à peine vue de toute la semaine. Il eut pour moi à ce dîner les plus grands égards du monde, me trancha lui-même la viande, ce qu'il n'avait fait pour nul autre, demandant souvent à milady de m'en découper davantage, et le plus affablement du monde.
            Après le dîner il examina les estampes, elles lui plurent fort. En vérité, en ce domaine, il n'y a pas plus fin connaisseur que lui. Derechef chez moi. Le soir, après avoir chanté une ou deux chansons avec Mr Hill, me rendis à mon bureau, puis chez moi, souper et, au lit.


                                                                                                                      6 mars

            Levé et en compagnie de sir John Mennes en voiture à St James. Il fait aujourd'hui le froid le plus terrible qu'on ait eu cette année. Nous traitâmes nos affaires avec le Duc, ensuite grands préparatifs pour qu'il puisse reprendre la mer au plus tôt. Je le vis essayer son manteau en cuir de buffle et son cabasset recouvert de velours noir. L'idée qu'il ait décidé de partir me tourmente plus que tout dans cette guerre.                                                                                                                                     pinterest.frl
            Rentré dîner et vu partir Bess. De toutes les domestiques qui ont logé chez nous, celle-ci qui fut la plus comblée, outre ses gages, d'affection, d'égards et de vêtements de qualité, est partie en faisant preuve de la plus grande ingratitude.
            Ressortis ensuite m'enquérir de mes hamacs, puis au retour trouvai notre nouvelle femme de chambre, Mary. Loin d'être accorte, ainsi que ma femme l'avait dit et semble toujours croire, me semble très quelconque, je fus donc en cela fort déçu.
            A mon bureau, travaillé très tard, puis rentré souper et, au lit, affligé toute cette nuit d'une douleur dans mon testicule gauche qui, peu après, s'est prolongée jusqu'à mon rein gauche et n'a cessé de me lanciner toute la nuit, une vraie torture.
  

                                                                                                                     7 mars

            Levé frais et dispos, mais sur le chemin de mon bureau, et m'est avis que c'est dû au fait d'être resté assis le dos au feu, je ressentis de nouveau une douleur atroce, telle que je ne pus rester l'après-midi et dus rentrer, ne parvins pas non plus à m'asseoir pour dîner, mais dû m'aliter. Après que j'eus passé un moment au lit, ma douleur s'atténua et tendit à disparaître. Me levai donc pour uriner, imaginant une simple contusion d'un testicule meurtri par accident, comme j'ai accoutumé de le faire. Mais en pissant j'ai évacué deux calculs, les sentis fort distinctement, ce qui me fit examiner mon urine. N'ayant éprouvé aucune douleur en pissant, je ne pensais guère qu'il puisse s'agir de calculs, d'autant que sitôt alité, je n'avais plus eu mal ni éprouvé d'autre envie d'uriner avant un long moment. Allai de nouveau pisser, sans douleur et d'abondance. Après quoi je restai couché, l'esprit rasséréné toute la soirée, puis me suis relevé, ai veillé une heure ou deux, et derechef au lit. Ai dormi jusqu'à 8 heures, levé bien qu'il gelât à pierre fendre
                                                             < 8  mars > et bien que mon testicule restât quelque peu endolori et sensible. Je pense que le froid est la vraie raison de ma souffrance. J'espère que ma maladie de la pierre ne se redéclarera pas, et Dieu me l'accorde ! qu'elle disparaîtra en pissant, mais je consulterai mon médecin.
            Ce matin on m'apporte à mon bureau la triste nouvelle du London, que les hommes de sir John Lawson se préparaient à mener de Chatham jusqu'à l'estuaire où il devait s'embarquer, mais le navire explosa dans les parages immédiats de la bouée de Nower. 24  hommes environ, plus une femme qui se trouvaient dans la dunette et la chambre de conseil furent sauvés. Les autres, plus de 300, se noyèrent, le vaisseau se brisa, et 80 bouches à feu en bronze furent envoyées par le fond. Du vaisseau coulé la dunette émerge au-dessus de l'eau. Pour sir John Lawson c'est une lourde perte, car il y avait à bord tant d'hommes bien choisis et qui comptaient parmi eux bon nombre de ses parents.
            Me rendis à la Bourse où la nouvelle fit grand émoi. Rentré dîner accompagné de Mr Moore, puis à Gresham College où je vis plusieurs belles expériences, puis chez moi et à mon bureau, le soir, vers 11 heures, rentrai souper et, au lit.


                                                                                                                      9 mars

            Levé et à mon bureau. Avons travaillé toute la matinée. A midi dînai à la maison puis sortis avec ma femme que je quittai à la nouvelle Bourse et me rendis à Westminster où j'apprends que Mrs Martin a accouché d'un garçon qui a été baptisé Charles, ce dont je me réjouis, car je craignais qu'on me demandât d'en être le parrain. Mais apparemment la chose dut se faire très vite, si bien que j'y échappai.
            Il est étrange de constater combien l'oisiveté, ou à tout le moins une sortie dépourvue d'objet précis peut conduire un homme au vice, car je m'apprêtais à lui rendre visite et aurais, à cette occasion, été amené, nécessairement, à rompre mon serment ou à donner un gage. Mais je n'en fis rien, au vu qu'elle n'était point seule, ce que j'appris de mon portier. Si bien que je rentrai, pris au passage ma femme qui me déposa au College Saint Paul où je pus rendre visite à Mr Cromleholme, chez lui. 
            Seigneur ! Un pédagogue suffisant, si savant soit-il, n'est jamais que très ridicule, tant il met de dogmatisme dans le moindre geste, la moindre parole. Nous parlâmes entre autres de nos souvenirs du collège Saint-Paul, et quand je lui fis part de la haute estime où je tenais l'école, il me donna un exemplaire, aux caractères fort anciens, de la grammaire de Lily, telle qu'elle était en usage à l'époque catholique. J'en prendrai grand soin. Après avoir bavardé quelque peu, partis rejoindre ma femme qui achetait du linge chez le drapier, puis à la maison et à mon bureau, jusque très tard, puis rentrai souper et, au lit. Cette nuit ma femme était vêtue d'un nouveau déshabillé de soie, gris cendré à fleurs, fort seyant.


                                                                                                                     10 mars 1665

            Levé et à mon bureau toute la matinée. A midi à la Bourse où les biles sont échauffées au sujet de la proposition récemment faite, que la Cité dédommage le roi de la perte du London, et lui donne un autre navire. Ce serait un beau geste et réalisable si l'entreprise était bien menée. Mais je crains que cela n'aboutisse point, si cela tombe en de mauvaises mains, ou si les courtisans souhaitent s'en occuper. Rentrai dîner puis à une séance de la commission de Tanger à Whitehall où se trouvaient milord Berkeley, Craven et d'autres. Mais Seigneur ! quelle légèreté dans l'affaire de la loterie. Voilà qui jettera le discrédit sur la pêcherie et ne lui vaudra nul avantage.
            Chez moi, irrité par cette perte de temps et à mon bureau. Tard dans la soirée arrivent les deux Bellamy, anciens mandataires aux subsistances de la marine, venus chercher conseil en la matière d'une dette qu'ils ont contractée vis-à-vis de la Marine, pour le règlement de laquelle ils sont prêts à verser une coquette somme, proposition fort équitable. Peut-être pourrais-je m'y consacrer et en tirer quelque  bénéfice qui sera une fort bonne chose. Rentré tard me coucher.                                                                                                                                                                                              journalopenedition                         

                                                                                                    11 mars

            Levé et à mon bureau, à midi chez moi, dîner et derechef au bureau, jusqu'à une heure tardive, rentrai, souper puis, au lit.
            Sir William Batten et sir John Mennes reviennent aujourd'hui de la rade de Lee, où ils sont allés voir l'épave du London dont, disent-ils, les canons peuvent être renfloués, mais dont la coque est totalement perdue et ne peut être mise hors d'eau.

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                              12 mars
                                                                                            Jour du Seigneur
            Levé. Empruntai la voiture de sir John Mennes, me rendis chez milord Sandwich, mais il était sorti. Renvoyai la voiture pour ma femme. Milord dînait chez lui pour la seconde fois afin de me recevoir. Hormis ces deux fois il n'a pas dîner chez lui depuis son retour de mer. Je m'assis et lus en entier le sermon de l'évêque de Chichester, prononcé à l'occasion de l'anniversaire de la mort du roi, dont on fait grand cas, mais m'est avis, il est bien médiocre.
            Milord arriva bientôt et nous parlâmes de nombreux sujets relatifs à la Marine, d'égal à égal. De cette vérité générale selon laquelle les choses les plus grandes sont fréquemment dues aux soins d'hommes dont la nature et l'expérience du monde ne sont que très ordinaires, entre autres milord Berkeley. Nous envisageâmes aussi de nommer Will Howe comme officier de rôle en lieu et place de Creed, si ce dernier consent à laisser sa place, ce que milord consentit sans grand enthousiasme, traitant Howe, dans un accès de colère, de fat et de vaniteux.
            A table pour le dîner ma femme porte son nouveau col de dentelle, ma foi fort beau, il me plaît beaucoup ainsi qu'à milady. A ce dîner milord fut charmant. Après le dîner il alla regarder son estampe qui lui a été portée aujourd'hui par Burston, la dernière des trois qu'il aura gravées. Lorsqu'il fut satisfait, il sortit. Quant à moi, après m'être longuement entretenu avec milady du fils de George Carteret, qu'elle verrait volontiers épouser milady Jem, et une fois revenu en voiture à la maison, je pris quelque bon temps à chanter, assez longtemps, avec Mr Andrews et Hill. Quand ils furent partis, nous soupâmes et, au lit.


                                                                                                                              13 mars

            Levé tôt car c'est la première matinée pour laquelle vaut la promesse que je me suis faite, sous peine de gage, de ne plus rester au lit un quart d'heure après mon premier réveil. Allé à St James où j'eus fort à faire. Le roi fut présent un long moment. De là, à la Bourse puis, avec le capitaine Taylor et sir Watler Warren, dînai à une taverne toute proche, pour converser à loisir. Puis chez moi où je trouvai une lettre de Mrs Martin qui désire me parler et, contrairement à ma promesse, je m'y rendis. La trouvai en habit de grossesse. Elle souhaite obtenir ma faveur pour placer son mari. Ne restai guère et, après avoir conduit sir William Warren à Whitehall, à la maison. Nous convînmes, entre autres, d'un travail qui, dit-il, me rapportera, s'il est mené à bien, cent livres. Après son départ, souper et, au lit.
            < Aujourd'hui ma femme s'est mise à porter des boucles blondes, presque blanches qui, bien qu'elles la fassent paraître fort jolie, ne me siéent guère, parce qu'elles ne sont point naturelles, et il ne me plaît pas qu'elle les porte. J'ai vu aujourd'hui milord Castlemaine à St James, récemment revenu de France. >


                                                                                                                   14 mars

            Levé avant six heures. A mon bureau où j'ai travaillé toute la matinée. Dînai à midi avec sir William Batten et sir John Mennes à la Tour, en compagnie de sir John Robinson, à l'occasion d'un dîner d'adieu qu'il offre au major Holmes pour sa sortie de la Tour, où il est resté quelque temps emprisonné, depuis son retour de Guinée. Il a, semble-t-il, fait don hier au lieutenant de 50 pièces d'or. Nourriture bonne et abondante, et de la compagnie.
            Chez moi, à mon bureau jusque très tard, puis souper et, au lit, las de travailler.


                                                                                                                   15 mars

            Levé et en voiture à St James avec sir William Batte, Entre autres affaires à régler devant le Duc, on fit entrer le capitaine Taylor qui, sir John Robinson, son accusateur, n'apparaissant point, fut disculpé de la charge portée contre lui, et déclara qu'il partait pour Harwich, ce dont je me réjouis.
            De là me rendis aux appartements de Mr Coventry afin de parler travail en privé avec lui. Lui donnai plusieurs notes concernant des affaires pour lesquelles il doit obtenir ordre du Duc avant son départ, ceci afin de mettre nos affaires au clair. Il reconnut s'en remettre largement à mes soins pour les affaires du bureau. Reçus de lui de vifs témoignages d'affection et nous nous séparâmes, étant pour ma part fort satisfait. Revins à la Bourse puis rentrai dîner chez moi. Les filles de milord Sandwich ayant demandé à ma femme, de manière impromptue, qu'elle descende avec elle, jusqu'à l'estuaire, pour voir le Prince, je dînai seul. Ensuite à mon bureau puis à Gresham College. Là, tandis qu'on faisait d'intéressants discours, on essaya sur un chien le poison violent de Macassat, mais il n'eut aucun effet pendant la séance.
            La séance fut levée. Chez moi, travaillai tard à mon bureau, ma femme ne rentrant pas. Puis, au lit, contrarié, vers minuit ou plus tard.


                                                               à suivre...........

                                                                                                                     16 mars 1665

            Levé et.........


                                                                                     

mardi 5 janvier 2021

Les murets, un figuier, un petit oiseau Luigi Pirandello ( Nouvelle Italie )

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                                        Les murets, un figuier, un petit oiseau

            Une panne de moteur, que l'on ne pouvait pas réparer en moins d'une heure.
            J'étais déjà dans la ville où m'attendaient amis et affaires : la campagne à travers laquelle je fuyais en automobile, n'avait été jusque-là qu'un souffle de vent et une continuelle disparition de choses imaginaires. Maintenant elle s'était immobilisée autour de moi, campagne solitaire, et ce qui disparaissait dans le vent c'était une route entre les maisons, l'arrivée devant un portail : une scène sur laquelle s'étaient confondus et tournoyaient de grands visages familiers et des paroles qui étaient les leurs, déjà formées dans mon esprit, entêtement de la pensée, et le cadran d'une pendule qui indiquerait l'heure préétablie dans un salon plongé dans la pénombre.
            J'ai une qualité : je crois immédiatement à ces catastrophes mentales. Et je sais qu'il ne faut pas importuner le mécanicien.
            - Une heure ?
            - Je ne sais pas si cela suffira.
            Je regarde ma montre et je m'éloigne.
            Ce n'était pas qu'une halte en pleine campagne fût totalement imprévue, mais cette campagne-là ne pouvait plus constituer l'unique réalité de mes pensées. Je m'étais engagé dans un sentier latéral en montée, et m'étais assis sur un muret, à l'ombre d'un gros figuier qui me plongeait dans un bain de parfum, chaud et âcre. Des cigales et partout beaucoup de poussière qui me parut sournoisement tapie et prête à s'élever. Il fallut rendre grâces à la chaleur lourde et immobile du ciel qui la flétrissait.
            J'étais monté pour respirer plus librement et contempler l'espace, mais le sentier continuait à grimper à flanc de colline, comme pour m'avertir que ce n'était pas encore le bon endroit.
            - Peu importe, lui répondis-je, il me suffit de peu.
            Mais à vrai dire, même ce peu n'y était pas. Unique satisfaction : un petit oiseau s'était aperçu de ma présence.. Mais je compris aussitôt, à ma grande déception, qu'avec ses pépiements poliment hésitants et ses volettements, il voulait me chasser de là. 
            C'était lui qui avait raison, et j'eus tort de me vexer. Peut-être estimez-vous que l'arrogance envers les oiseaux est licite et que j'étais dans mon droit en tapant dans mes mains et en criant :
            " - Ouste ! "
            Cela veut dire que, pour une fois, vous serez d'accord avec moi, alors que je ne le suis pas avec moi-même.
            Le petit oiseau s'enfuit droit devant lui dans un claquement de queue et je restai là, satisfait de me sentir beaucoup plus gros que lui, mais me demandant comment j'aurais fait pour m'envoler, moi, si quelqu'un de beaucoup plus gros s'était amusé à me crier :                                      pinterest.fr
            " - Ouste ! "
            Quelqu'un de plus gros qui ne fût pas nécessairement pourvu d'un corps : ç'aurait pu être ma mélancolie. Je serais parti gauchement, à petits pas, avec l'impression d'entendre une voix me narguer dans mon dos. Je n'ai vraiment rien à gagner à combattre les petits oiseaux qui voudraient me chasser.
            Midi : il n'y avait pas âme qui vive. Et pourtant, le peu de terre que j'apercevais, une pente abandonnée sous le soleil vertical, me semblait désormais remplie d'une foule de gens. Je ne me rendais pas compte du malaise qu'elle m'avait donné, dès le premier instant. Elle grouillait de sentiments humains, naturellement tristes : haines, lassitudes, intérêts. Lois. Impôts.
            C'est cela : les murets. Je n'en avais jamais vu autant, dans un si petit espace. Ils le coupaient en tous sens, le morcelant en au moins sept ou huit petites portions misérables, aussi loin que portait mon regard, et n'étaient que lutte et chagrin obstiné, pas à pas, un pas en avant, un pas en arrière, par à coups. Murettes et murs à sec, chemisés et rustiques, décrépits, mais quelques-uns plus jeunes étaient les plus tristes. Sur une courte distance ils se tenaient bien droits, l'air arrogant et sûrs d'eux, puis penchaient de guingois, torves, ventripotents, et ceux qui étaient dotés d'un petit portail avaient l'air humiliés, comme si on les y avait forcés. Ils donnaient l'impression d'une chose factice, mais si hérissée qu'elle ne prêtait pas à rire.
            Terre disputée, divisée et subdivisée sous ce soleil qui semblait avoir fait le pari de la rendre aride !
            Afin de chasser mon malaise, je me pris à rêver, à penser tout haut :
            " Figuier, sais-tu que ma course pourrait s'arrêter ici ? 
            Va savoir pourquoi je cours ainsi, pourquoi je rends ma vie si précaire. On dirait que je m'agite sans raison. Mais c'est parce que je suis toujours prêt au définitif. Vous ne trouvez pas cela naturel ? Un homme qui a dû créer. Des heures qui passaient pour tous, une vie qu'il aurait fallu vivre, dissiper, gaspiller, user. Eh bien, non : Elles lui servaient à l'arrêter, ces heures, des heures et des heures, toute sa vie. Il l'a prise au sérieux : il n'a rien fait d'autre. Devoir définir. Bien faire, tout, scrupuleusement. Impossible de laisser des remords derrière soi. Définitif. C'est cela, créer.
            Est-ce cela, vivre ? La vie : créer, oui. Mais créer, c'est donner une consistance, figer : c'est la mort.
            Et quelle mélancolie on acquiert, figuier, quand on est toujours prêt au définitif  ! Une halte, la plus anodine, peut toujours se transformer, pour moi, en dernier repos. C'est pourquoi je m'agite le plus possible, maintenant que, bien tard, j'ai compris le jeu : tant que je le pourrai, tant que j'aurai l'impression d'en avoir envie, ou tant que quelqu'un ou quelque chose m'appellera, j'irai, ici ou là. "
            Le petit oiseau était revenu. Mon immobilité n'arrivait pas à le convaincre, elle le maintenait à distance. Peut-être aurait-il voulu me voir vivre : c'était lui, encore une fois, qui avait raison. Si j'avais été occupé à une tâche plus naturelle, je ne sais pas, telle que biner ce carré de terre, il ne se serait pas méfié de moi. On ne sait jamais ce que peut devenir brusquement un homme, qui pense sous un figuier. Il ne devient rien, pauvre sot. Un homme de passage. Il a tôt fait de se lever et de s'en aller. Avec ses pensées. Il est de passage, tout comme ses pensées. Et toi, tu restes, petit oiseau éternel. Et vivant. Et tu ne sais pas quelle contradiction tu résous avec un seul de tes trilles !
            " Pour un peu, figuier, rien que pour embêter ce petit oiseau stupide, je resterais ici. Ce ne serait pas mal, ni pour toi ni pour moi, si on me mettait entre tes racines : ensemble, nous donnerions des figues très sucrées.
            Je me disais : au moins en ce qui concerne mes figues, ceux qui n'en auraient pas mangé ne pourraient pas dire qu'elles n'étaient pas sucrées.                                                 pinterest.fr
            " Toi oui, figuier, tu pourrais t'efforcer de devenir célèbre pour tes figues si sucrées, et tu aurais raison. Ta réputation serait pour toujours confiée à tes figues. Mais un artiste, penses-tu ! Tant que son nom est confié à la connaissance de ses œuvres, il ne peut pas connaître la célébrité : seulement l'estime d'un cercle plus ou moins restreint de lecteurs. La célébrité vient lorsque, allez savoir pourquoi et comment, son nom, un beau jour, se détache de ses œuvres, se couvre de plumes et prend son essor : son nom. Les œuvres sont plus sérieuses, elles suivent à pied de leur côté, avec le poids et la valeur qu'elles ont, tout doucement. Mais le nom vole. Et avec lui quelque idée abstraite, farfelue, drolatique, quelque intrigue défigurée, à l'envers, quelque titre. 
            C'est la pire des farces, la pire des injures que le sort puisse faire à un artiste, car l'art est tout entier, tout entier et uniquement dans les détails. Il est tout entier dans les figues, tu comprends ? Aucun artiste n'est plus inconnu qu'un artiste célèbre. Tu sais qu'aujourd'hui, beaucoup de gens éprouvent une vive antipathie pour mon art, et ils le tournent en dérision, lui font obstacle à leur manière, ils voudraient le voir effacé. Mais ont-ils lu une seule ligne de moi ?
            Il n'en savait rien. Ou cela lui était égal. Mais je n'ai pas l'habitude de parler seul.
            " Et le sort d'un nom qui vole ? Tu es là si bien enraciné que tu ne peux pas comprendre. Mais ce petit oiseau stupide doit savoir qu'aussitôt, contre quelque chose qui vole, un petit oiseau ou un nom, les chasseurs pointent leurs fusils. Ils tirent. N'aie pas peur : je ne suis pas un petit oiseau. Ce n'est pas un drame : ils le criblent de plombs, le plument. Ils ont bien plumé mon nom, figuier : j'ignore quel plaisir ils y ont trouvé car, désormais, ils doivent supporter de le voir voler çà et là dans cette tenue indécente, sous les cieux de notre patrie. Tu comprendras toi aussi que, tant que l'on tire sur un nom littéraire on ne peut pas tuer ce nom. Je pourrais toujours en rire, moi le dernier. Et j'en ris, en effet : mais cela m'ennuie que, parmi ces chasseurs de noms il y ait des jeunes. 
            Mon Dieu, des jeunes, pas vraiment au sens où on l'entend : ce sont des jeunes lettrés, c'est un peu différent. Il faut qu'ils se frayent un chemin. Intelligents, tu sais ? Ils ont décrété que le caractère propre des Italiens, c'est la rixe, les factions. Il n'y a rien au monde de plus respectable que les caractères d'une race : acoquinés en bande, ils se sentent à leur aise. Lettrés, tant qu'on voudra, mais jeunes, sans aucun doute.
            Je me venge avec la sympathie instinctive que j'éprouve pour tous ceux qui font quelque chose, du bruit, des sottises, qui se donnent du mal et s'agitent pour des calculs sans logique, sans queue ni tête, des choses qui ne sont pas définitives, des choses de la vie. 
            En dehors de l'art, grâce à Dieu ! quel soulagement. Et cela me fait vraiment plaisir qu'ils les prennent pour des problèmes artistiques. Mais ils sont intelligents, ils ne sont pas dupes. Mais, qui sait, qui sait ? Et, après tout, pourquoi devraient-ils être si intelligents ? Espérons qu'ils soient dupes. Ils abattront d'abord Pirandello mais, entendons-nous bien, pour construire leur œuvre, après. L'illusion selon laquelle il faudrait " faire table rase " m'attendrit, comme toute illusion. Moi, je n'ai plus d'illusion. Moi, je n'ai plus d'illusions, hormis celle de ne plus en avoir. En contrepartie, j'ai plus de compréhension qu'il n'en faut pour vivre : je comprends même leurs jeux allègres. C'est comme si je ne croyais plus à la cruauté, et quant à la méchanceté, elle m'amuse. Et après tout, eux aussi constituent un spectacle pour mes yeux désintéressés. Comprends-tu, figuier ?
            Ce n'était pas drôle de lui parler : il répondait toujours oui.
            J'étais seul.
            Dans ce soleil furieux qui assombrissait l'air, dans cette poussière lourde, ah, comme j'aurais voulu me désagréger moi aussi ! Que faisaient les murets, eux qui l'auraient vraiment pu ? Brûlants, desséchés, crevassés, ils étaient peut-être déjà en poussière et tenaient debout par la force de l'illusion. Oubliant que le point d'équilibre quand on est un mur, pour un mur, c'est quand il est bien sec. 
            Et pour un homme, quel est le point d'équilibre ? Quand il s'est tellement desséché que même les intrigues de ses adversaires peuvent l'amuser un moment ? Ma volonté me le dit, que je suis desséché, avec le bougonnement d'une pauvre servante persécutée par des maîtres exigeants, le sentiment et l'intellect : le premier ne connaît pas de trêve dans son désir de découverte, le second est toujours plein de fraîcheur, constamment émerveillé.                                                            pinterest.fr
            Pour beaucoup il est difficile d'aimer les jeunes, pas pour moi. Encore libres des rigides constructions mentales dans lesquelles les années, le métier, les responsabilités les emprisonneront eux aussi., disposés à écouter les appels désintéressés de la vie, sympathiques, oui, mais irritants pour les gens sérieux : on ne sait jamais comment les prendre. Peu commodes. Même l'amour naturel, entre un homme et une femme, est pour eux tourmenté, hérissé de désespoirs, de malentendus, de problèmes moraux suraigus, d'arrogances naïves. La plupart n'arriverait à les aimer vraiment que quand ils sont vieux. Le vieillard, comme le jeune qui ne l'a pas encore acquise, a souvent abandonné en chemin, peu à peu, la fixité des traits de caractère qui lui donnaient corps à l'époque de sa vie où il se construisait : sur ce point-là la distance les rapproche. Et si le vieillard, au contraire, s'est ratatiné davantage, comme un de ces murets que la ténacité avide du ciment ancien a rendus très durs ? Mais ils sont aussi sonnants et fragiles. Il suffit de les pousser un peu pour qu'ils s'écroulent. S'ils dérangeaient... Mais les jeunes les évitent avec un haussement d'épaules et quelques paroles ironiques. Ils ne les considèrent pas vraiment comme des murets secs, plutôt comme des feuilles mortes, stridentes, inutiles. Le vent de la mort les balaye du chemin des vivants. Il semble plus naturel, plus humain que notre ciment. La volonté cède avec les années et que les blocs de convictions, de sentiments, de préférences qu'il maintenait solidement s'écroulent peu à peu et finissent de se désagréger sur le chemin. Mur croulant, en ruine : place à ceux qui doivent passer.
            C'est étrange, mais c'est vraiment comme si j'étais vieux.
            Un vieillard doit être intelligent. Celui qui marche sur lui, qui piétine ses débris, va construire son mur un peu plus loin. Pour durer quelques années, lui aussi.
            Place, place à ceux qui passent.


                                        Luigi Pirandello
                                                              
                                                             ( 1931 )














































vendredi 1 janvier 2021

A une chatte Charles Cros ( Poème France )



           












                                                                                                            

                   A une Chatte

            Chatte blanche, chatte sans tache,
            Je te demande, dans ces vers,
            Quel secret dort dans tes yeux verts,
            Quel sarcasme sous ta moustache.

            Tu nous lorgnes, pensant tout bas
             Que nos fronts pâles, que nos lèvres
             Déteintes en de folles fièvres,
             Que nos yeux ne valent pas

              Ton museau que ton nez termine,
               Rose comme un bouton de sein,
               Tes oreilles dont le dessin 
               Couronne fièrement ta mine.

                Pourquoi cette sérénité ?
                Aurais-tu la clé des problèmes
                Qui nous font, frissonnants et blêmes,
                Passer le printemps et l'été ?

                Devant la mort qui nous menace,
                Chats et gens, ton flair, plus subtil
                Que notre savoir, te dit-il
                Où va la beauté qui s'efface,

                 Où va la pensée, où s'en vont
                 Les défuntes splendeurs charnelles ?...                                     
                 Chatte, détourne tes prunelles,
                 J'y trouve trop de noir au fond.


                                        Charles Cros

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vendredi 25 décembre 2020

Anecdotes et Réflexions d'hier pour aujourd'hui 135 Samuel Pepys ( Journal Angleterre ) 

 





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                                                                                                                               16 Février 1665

            Levé et à Whitehall avec Mr Andrews pour une séance de la commission de Tanger où, pour régler les affaires de notre entrepreneur des subsistances, j'obtins un crédit supplémentaire, ce dont j'espère quelque bénéfice, et m'en réjouis. Mais Seigneur ! C'est merveille de voir dans quel abîme de mépris, que dis-je, de déshonneur, Mr Povey est tombé du fait de ses comptes et de sa prodigieuse bêtise. A tel point que s'il ne se montre homme de grande influence il sera congédié comme un sot, et ce sera bien mérité, car nul autre que lui n'a autant pratiqué la comptabilité en y entendant aussi peu. Ce qui ne l'empêche pas de s'y déshonorer avec la plus grande quiétude. Puisse Dieu me délivrer de ses attentions, concernant mon billet à ordre ! Et je veux bien être maudit plutôt que de me salir encore les mains avec lui.                                                                                                                                                             Retourné à la Bourse, puis chez moi dîner en compagnie de Mrs Hunt et de la pauvre Mrs Batters qui amena sa petite fille avec elle ainsi qu'une lettre de son mari dans laquelle, en guise d'hommage, le sot m'offre très sérieusement sa fille et me confie le soin de l'éduquer à sa place et de l'adopter. Mais, sans faire le moindre cas de la substance de cette lettre, je détournai la conversation et m'en fus, à mon bureau tout l'après-midi et jusqu'à presque une heure du matin. Puis chez moi et, au lit.   

                                                                                                                          17 février

            Levé et, voyant le froid, la gelée et la neige qui, croyais-je, ne retomberait plus cette année, chez Povey en voiture. Il me raconte, ce que je savais déjà, comment il avait été traité l'autre jour et l'est toujours, par milord Berkeley, et m'apprend d'autre part, ce que j'ignorais, que milord raconte à qui veut l'entendre qu'il a combattu dans plus de duels que quiconque en Angleterre. Réglé mes affaires avec lui : me faire payer une modique somme, puis chez moi avec Mr Andrews et à mon bureau. A midi chez moi avec Llewellyn, ce qui me contraria dans un accès de vieille jalousie. Puis à mon bureau et ce jusqu'à minuit, après une brève visite à midi chez sir William Batten où j'eus quelques mots avec sir John Mennes au sujet de sir William Warren qu'il traitait de fieffé fourbe, mais je l'ai apaisé. Le soir chez sir William Penn qui doit partir pour Chatham demain. Puis chez moi, souper et, au lit.                                                            

                                                                                                              18 février

            Levé et à mon bureau où je suis resté toute la matinée. A midi à la Bourse puis à la taverne du Chêne Royal dans Lombard Street où sir William Petty et les propriétaires du bateau à deux quilles, l'Experiment, nous régalèrent, milord Brouncker, sir Robert Mora et moi et quelques autres, d'os à moelle et d'une échine de boeuf provenant des provisions du navire. La compagnie était excellente et la conversation plaisante. Mais par-dessus tout j'admire sir William Petty.                                                                   Puis chez moi, pris le dessin du port de Portsmouth appartenant à milord Sandwich et le portai à Ratcliff chez un dénommé Burston, afin qu'il en fit une estampe pour le roi, une pour le Duc et une autre pour lui-même, ce sera fort beau.                                                                                                                       Chez moi et à mon bureau jusqu'à près d'une heure du matin. Rentré souper et, au lit.                             Milord Sandwich et sa flotte de 25 dans la rade des Downs ont cessé de croiser, ils sont de retour sans avoir pu se mesurer à aucun vaisseau hollandais.                                                                                        
                                                                        
                                                                                                                   19 février

            Resté tard au lit puisque c'est dimanche, à deviser avec ma femme, tour à tour content et fâché, puis lever et dîner. Chez moi tout l'après-midi et chez sir William Batten. Le soir vint Mr Andrews et nous avons chanté. Ensuite souper, il n'est point resté. Et là j'apprends par hasard que mes domestiques ont introduit une va-nu-pieds, une Ecossaise, qui rôde à l'office et jusqu'à une heure tardive pour les aider à laver et récurer la maison. Pris de fureur je donnai l'ordre à ma femme de battre notre petite servante, ce qui fit grand remue-ménage chez nous et chez les voisins. On enferma la servante à la cave où elle passa la nuit, puis nous sommes allés au lit.                                                                                                        
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                                                                                20 février 1665

            Levé puis avec sir John Mennes chez le Duc. De retour chez moi nous avons pénétré sur le chantier de la nouvelle maison de milord le chancelier près de l'église St James, maison déjà baptisée  hôtel de Dunkerque par le petit peuple qui pense qu'il a reçu un fort pot-de-vin en remerciement de ce qu'il a vendu la ville. Je crois qu'elle sera fort belle. Milord Berkeley en fait édifier une autre, voisine de celle-ci et sir John Denham une qui jouxte l'autre côté. De là à la Chambre des Lords où je parlai à milord Belasyse, puis à la Bourse où j'eus à faire, et à la taverne du Soleil, après avoir eu ce matin des mots avec sir John Lawson au sujet de son projet d'envoyer des balles de marchandises à Tanger ce pour quoi, à vrai dire, il n'eut guère mes faveurs. Mais, à certains termes qu'il employa je vis que j'en pourrais tirer quelque avantage et, pour être conciliant, lui donnai mon accord. Nous dînâmes gaiement mais mon repas au cercle et autres frais se montent à 7 shillings et 6 pence, ce qui est trop.
             Après quoi à mon bureau où je trouvai la femme de Bagwell à qui j'enjoignis de rentrer chez elle lui disant que je ferais ce qu'elle m'a demandé, à savoir écrire à milord Sandwich afin que son mari soit promu à un meilleur navire dès que l'occasion se présenterait, ce que je fis. Puis je descendis par eau jusqu'aux Docks de Deptford, puis descendis encore un peu et accostai en aval de la ville et, comme il faisait sombre je pus secrètement entrer dans la maison de la femme de Bagwell et là jouir de sa compagnie, encore qu'à grand-peine. Néanmoins, enfin, je avais ma volonté d'elle. Mon envie satisfaite je rentrai à pied jusqu'à Redriffe. Il était près de neuf heures. Je pris quelque spiritueux et mangeai du pain et du fromage, puis chez moi, à mon cabinet de travail et là ma femme vient me dire qu'elle a engagé une femme de chambre, une des plus jolies servantes qu'elle ait jamais vues et qu'elle est jalouse de moi à son sujet, mais qu'elle a pris le risque de l'engager au mois. Je crois qu'elle plaisante. Ensuite souper et, au lit.


                                                                                                                  21 février

            Levé et au bureau affligé d'une vive douleur au majeur de ma main gauche que je me suis foulé en me débattant avec la femme que je mentionnai hier. J'eus à faire jusqu'à midi. Puis ma femme ayant décidé de se rendre avec sa dame de compagnie aux étuves pour s'y baignée, après être restée longtemps confinée à la maison dans la poussière, et bien qu'elle prétend avoir pris la résolution de rester propre désormais, mais j'imagine déjà le peu de temps qu'elle s'y tiendra. Je dînai en compagnie de sir William Batten et milady qui, à présent, m'apprécie fort.
            Puis à la Bourse et en sortant avec Mr Waith chez un traiteur où j'ai dîné à nouveau, pour m'entretenir avec lui au sujet des hamacs. Des abus en matière de solde maintenant fréquents et en passe de le devenir de plus en plus, et des bénéfices considérables que Mr Fenn retire de son poste car, bien qu'il ne s'adjuge qu'un demi pour cent de chaque somme qu'il verse, ce qui est d'un calcul aisé, il se montre mécontent de quiconque ne lui consent point davantage.
            A mon bureau, après quoi Mr Brouncker m'emmena en voiture à Lincoln's Inn Fields où je restai jusqu'à plus de dix heures du soir à deviser innocemment avec milady Sandwich, la bonne dame, de ce qui fait une bonne épouse, de qui ferait un bon mari pour ses filles, du luxe et de la licence propres à notre époque, entre autres sujets. Puis en voiture chez moi où j'ai un peu travaillé, souper et, au lit.
            Milady me dit que milord Castlemaine est de retour de France afin de, dit-on, se réconcilier avec milady.
            Elle me narra aussi les folles extravagances auxquelles se sont livrées les demoiselles d'honneur à la Cour, Mrs Jennings, l'une des demoiselles de la Duchesse, se déguisa l'autre jour en marchande d'oranges et s'en alla crier ses oranges alentour, tant qu'à la fin elle glissa, ou que sais-je, et qu'on pût entrevoir, malgré la nuit tombée, ses beaux souliers, ce dont elle eut grand honte.
            Elle ajoute que des tours comme celui-ci et d'autres pires leur sont coutumiers et que par conséquent il est peu d'hommes qui s'aventureront à les prendre pour épouses, si bien que milady Castlemaine raconte en manière de plaisanterie que la première de ces demoiselles de la Cour à être mariée sera sa propre fille, qui n'a pas plus d'un an ou deux.
            Aujourd'hui milord Sandwich me fait savoir par lettre des Downs qu'il sera probablement de retour en ville dans la semaine.


                                                                                                                    22 février

            Ai dormi seul cette nuit car ma femme, après son étuve, a dormi dans un autre lit. J'ai eu froid toute la nuit. Levé puis au bureau et travaillai toute la matinée. A midi à la Bourse, très occupé. La nouvelle va bon train qu'un navire hollandais aurait été ramené à la côte, au nord, et pris par un escadron. Rentré dîner avec Creed, puis à Gresham College où savants discours. Chez moi, travaillai jusqu'à plus de minuit, rentrai souper puis, au lit. Mrs Bland est venue dans la soirée nous faire ses adieux avant son départ pour Tanger.
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                                                                                                                    23 février

            A ce jour, par la grâce de Dieu tout-puissant, voilà trente-deux ans que je suis de ce monde et que je jouis à cette heure de la plus belle santé que j'aie jamais connue toute ma vie durant, et du degré de fortune le plus élevé qui soit. Puisse le Seigneur m'en rendre reconnaissant !
            Levé puis à mon bureau, travaillai toute la matinée. A midi à la Bourse où j'apprends la nouvelle la plus terrible et la plus étonnante que de mémoire d'homme on ait entendue, à savoir que de Ruyter a entrepris avec sa flotte de Guinée de s'emparer de tout ce qui nous appartient, forts, marchandises, vaisseaux et hommes, et qu'il a ligoté nos concitoyens dos à dos avant de les jeter à la mer, femmes et enfants compris, chose qu'un Suédois ou Hambourgeois arrivé par la Tamise raconte avoir de ses yeux vu. Grand Dieu, il est frappant de constater à quel point la consternation s'est emparée de nos négociants, et avec quelle fureur et esprit de vengeance ils en parlent. Mais je crois que cette rumeur, comme d'autres, se dissipera d'ici quelques jours. Mais ce que je redoute le plus est d'apprendre la raison qui a conduit de Ruyter, d'abord plein d'égards envers nos hommes, à se montrer ensuite si cruel envers eux, après leur avoir laissé la liberté. Je crains qu'il n'ait été informé de la manière dont Holmes a traité ses compatriotes, ce qu'il ignorait auparavant, ce qui a suscité chez lui pareille fureur. Mais Dieu fasse qu'il n'en soit rien !
            Jamais on n'a vu les Anglais subir pareil déshonneur, ni homme infliger traitement d'une telle barbarie, comme celui dont nous fûmes les victimes.
            Rentré dîner puis à mon bureau. Sommes restés tout l'après-midi. Le soir pris mon ultime congé de Mrs Bland qui s'embarque demain pour Tanger. Retourné à mon bureau jusqu'à plus de minuit, puis rentré souper et, au lit.


                                                                                                                     24 février

            Levé et à mon bureau toute la matinée afin d'aviser à nouveau avec quelques pêcheurs et le bailli du port de la Cité, à la demande de Mr Coventry au sujet des exemptions dont les pêcheurs du fleuve souhaitent bénéficier. Je suis heureux que l'occasion me soit offerte d'y entendre quelque chose. Rentré dîner et tout l'après-midi dans ma chambre jusqu'à neuf heures du soir, en compagnie de Mr Hayter, et ce afin de n'être point dérangé à mon bureau, pour compléter mon livre de contrats que, par manque de temps et depuis trop longtemps, je n'ai point mis à jour, comme j'avais coutume de le faire chaque mois.
            Puis à mon bureau jusqu'à minuit ou presque, puis chez moi et, au lit.


                                                                                                             25 février

            Levé et à mon bureau toute la matinée. A midi à la Bourse où, juste avant mon arrivée, on chassait à coups de fouet ce Suédois qui avait fait au roi et au Duc ce mensonge effronté, disant que les Hollandais jetaient nos hommes dos à dos à la mer en Guinée, non sans force détails et avec une belle assurance, et confessant à présent son mensonge commis, disait-il, afin d'obtenir quelque récompense. Les juges, dit-on, une fois sollicités, firent cette réponse : ils opinaient qu'il serait condamné à la flagellation de par la loi, à avoir les oreilles coupées ou le nez fendu mais, à ce que je crois, ne lui sera rien fait d'autre. On prétend qu'il sera remis entre les mains de l'ambassadeur de Hollande qui en disposera comme il voudra. Mais on persiste à croire qu'il se trouve là-dessous quelque manigance d'un côté ou bien de l'autre, de la part des Hollandais ou des Français, car il n'est guère probable qu'on puisse inventer pareil mensonge pour de l'argent, alors même que l'homme aurait pu espérer meilleure récompense en nous confiant quelque renseignement pour nous plaire.
            De là à la taverne du Soleil, dînai avec sir William Warren et Mr Gifford, le marchand. J'apprends que Nicholas Colborne qui, naguère, habitait ici et avait une belle fortune, est parti pour la campagne et mène un train de prince, et que le dénommé Wadlow pareillement loti, de la taverne du Diable près de St Dustan est également parti pour la campagne où il a dépensé tout son avoir ou presque et escroqué ce Coborne de son domaine, qu'il s'est approprié, si bien que celui-ci n'a plus eu qu'à revenir à son ancien métier. Mais Seigneur ! la maison est bougrement pleine, si bien qu'on y peut à peine entrer. Puis chez moi et à mon bureau. Expédiai bon nombre d'affaires, rentrai tard le soir où j'ai fait toilette avec de l'eau chaude. Ma femme me l'a demandé car elle se lave aussi et, au lit.


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                                                        26 février                                                                                                    Dimanche
            Levé puis à l'église. Rentré dîner puis à mon bureau. Travaillai tout l'après-midi jusqu'à la visite le soir de Mr Andrews et de Hill, puis chez moi où nous avons chanté. Hill resta souper et me parla fort bien de l'Italie, où il avait été, ce qui m'est toujours fort agréable. Après le souper, lui parti, avons fait nos prières et, au lit.


                                                                                                                        27 février 1665

            Levé et au palais de St James où nous nous sommes mis, comme à l'accoutumée, au service du Duc. Je fus ce matin fort surpris et contrarié de lire une lettre de Mrs Bland qui me dit qu'elle n'est pas partie. Et il m'en a coûté aujourd'hui toutes les peines du monde pour trouver quelque moyen de lui assurer son transport, une fois les navires partis, jusqu'à Plymouth. Mais j'espère y être parvenu. A midi à la Bourse afin de m'enquérir du montant de la solde allouée par les Hollandais sur leurs bâtiments de guerre à ce jour, et j'apprends de source sûre qu'elle ne se monte qu'à 12 florins tout au plus, ce ne fait pas même 24 shillings, ce dont je m'étonne. Rentré dîner, puis sortîmes dans la voiture de sir John Mennes, avec ma femme et Mercer. A Whitehall lui et moi, et il insista pour laisser à ma femme l'usage de sa voiture pour ses visites du jour, car c'était la première sortie qu'elle faisait depuis plusieurs semaines, son bain de l'autre jour mis à part.
            Allâmes à une réunion du Conseil privé afin d'aviser au sujet de l'enrôlement des hommes. Mais, Dieu du Ciel ! quelles réunions que les leurs ! On ne s'assoit guère, on entre, on sort, l'un se plaint que rien n'est fait, l'autre qu'il attend depuis deux heures et que personne ne vient. Voilà enfin ce que nous conclûmes : milord Annesley dit :
            " - M'est avis que nous devons mander au roi d'être présent à chacune de nos séances, car je perçois que rien n'est fait hors sa présence. "
            Sans doute a-t-il dit vrai et le roi est fort assidu au Conseil les jours où il se tient, ce qu'on ne peut guère dire de ses prédécesseurs. Mais, à ce que je vois il semble que nous ayons à ce jour la direction des plus plus grandes affaires du monde. Mais entendre milord Berkeley et d'autres vanter la discipline qui régnait en ce pays lors d'un passé récent ainsi qu'au cours de la précédente guerre contre la Hollande, est fort singulier, d'autant qu'ils souhaitent de tout cœur que les affaires de religion ne soient point menées avec une sévérité de nature à décourager les gens raisonnables de se joindre à nous, et que par ailleurs souhaitent faire usage des mêmes lois et de la même sévérité que jadis à l'encontre des intempérants, et prétendent que nos mauvaises mœurs attireront de nouveau sur nous la main de Dieu. Me promenai ensuite dans le parc de St James, avec Mr Coventry qui, je le vois, est quelque peu mélancolique, mécontent du tour, si désordonné, que prennent les choses.
            De là en voiture pour la grand-route de Ratcliff, chez mon graveur qui a fait une belle ébauche pour milord Sandwich. Revins et sur le chemin du retour rencontrai le colonel Atkins qui s'était engagé, lors d'une précédente discussion, à me donner une pièce d'or contre vingt qu'il recevrait de moi, s'il parvenait à prouver que les Hollandais noyaient nos hommes en Guinée. A vrai dire, je crains que l'ensemble du monde n'y voie quelque vérité, ce que je redoute.
            Retour en voiture chez sir Philip Warwick qui contracta avec moi une sorte de pacte d'amitié et de franchise selon lequel il s'engage à m'aider à comprendre toutes les affaires du trésorier général de la Marine, afin que je sache aussi clairement que sir George Carteret de quel argent il dispose. Il tient à me voir lui rendre visite de temps à autre, ou à venir lui-même afin de s'entretenir avec moi dans le but de servir le roi.
            Retour à mon bureau, quelque peu las et mal en point, puis souper et, au lit.


                                                                                                                           28 février

            A mon bureau toute la matinée. Dînai chez moi à midi. Me rendis ensuite avec ma femme chez milady Batten. C'est la première fois en deux ans que ma femme s'y rend, je crois. J'avais à cœur de venir à bout de cet éloignement, et ainsi fut fait. L'entrevue fut fort quiète et plaisante.
            Revins. Entrepris de vérifier les comptes de cuisine de ma femme pour la fin du mois dernier, où je pus constater qu'il manquait 7 shillings, ce qui fut l'occasion d'une vive querelle entre nous. A vrai dire j'attachai peu d'importance à cette bagatelle, et me laissai aller à des paroles injurieuses, la traitant de " gueuse " lui reprochant ses fréquentations. Ce qu'elle encaissa avec beaucoup de sang-froid et me reprocha, à juste titre, les miennes et, je l'avoue, me connaissant, je ne crois pas qu'elle les ait exagérées d'aucune façon. Je la crois très futée, et elle a le plus d'esprit lorsqu'elle en montre le moins. Mais c'est un esprit pervers, encore qu'il ne le soit pas au point que je ne puisse m'en accommoder en sachant m'y prendre. A dire vrai, je constate que mon excès d'attention, ma jalousie, mon humeur grincheuse et mon inclination à la réprimander ne font qu'aggraver les choses. Néanmoins, je crois qu'un léger différend, de temps à autre, ne nuit pas, mais qu'il risque, s'il est trop grave, de lui faire prendre conscience de sa force. Nous nous quittâmes fort courroucés, après de vives paroles. Allai mon bureau faire les comptes du mois. Ma fortune s'élève à 1 270livres. Que le Seigneur en soit remercié !
            Puis, à presque deux heures du matin, rentrai, souper et, au lit.
            Ainsi s'achève ce mois, dans l'attente d'une expédition des Hollandais qui, semble-t-il, sont en position de force et, mieux préparés que nous, Dieu fasse que l'issue en soit heureuse !


                                                             à suivre..........         

                                                                                                              1er Mars 1665 

            Lever. Comme.........