mardi 2 mars 2021

Alfred Hitchcock vol.1 Noel Simsolo Dominique Hé ( BD France )

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 Alfred  Hitchcock
                                                  L'Homme de Londres t.1


            1954, Juin - Festival de Cannes. 3 stars installées à la terrasse du Carlton, parlent cinéma. Hitchcock raconte ses débuts, ses premières peurs. " ...... Votre père vous a envoyé à 6 ans dans un commissariat pour que la police vous punisse ? - ..... et je fus enfermé dans une cellule pendant cinq minutes qui me parurent une éternité...... " Né à Londres en 1899 le maître du suspens abandonna, son père mort, le commerce d'alimentation à son frère aîné. Il avait choisi son métier. De son enfance il garde le goût des repas maternels, il est assez glouton, du théâtre, sortie familiale, et de la messe. Et se construit l'itinéraire le plus lisse d'une vie consacrée au cinéma. En Allemagne, puis à Londres il filme, écrit des scénarios, réalise d'un bout à l'autre. Beaucoup de pièces de théâtre adaptées, n'accepte qu'un regard, le sien. De même le couple qu'il forme avec Alma rencontrée dans les studios où tous deux travaillent résistera jusqu'à leur mort. 
          Ils eurent une fille mais : " Nous somme un couple solide - Vous me supportez toujours. - Même             avec vos farce, grivoises......  - Ca ne prête pas à conséquence, je suis peu sexuel. Je parle de                   l'acte, car mon poids handicape la fonction. Le plaisir m'échappe dans cette gymnastique qui                   nous permit toutefois de concevoir Patricia. - Je sais que je n'ai pas à craindre l'adultère de                       votre part sinon en fantasmes et avec vos actrices blondes, vos " héroïnes hitchcokiennes "                        comme vous le répétez à vos scénaristes....... " Le roi incontesté du suspens réalise le premier                  film parlant en Angleterre. Puis il pense ne plus rien prouver à Londres. Quelques échecs, films              qu'il juge incompris; et après un voyage aux EtatsUnis, des contacts fructueux, la famille                        Hitchcock quitte le Royaume Uni, où il était considéré comme un cinéaste hors du commun                    car... catholique. Sa religion se retrouve-t-elle dans ses film ? Selznick produit le premier film                américain du cinéaste devenu anglo-américain, Rébecca. Succès. Joli roman graphique, bulles                d'après interviews et diverses biographies avertit l'auteur. Fin de la partie européenne. Pour tout              lecteur.


             
        

lundi 1 mars 2021

Le journal du Séducteur Sören Kierkegaard 4 ( Essai Danemark

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                       Le 12 Mai     

            Oui, mon enfant, pourquoi n'es-tu pas restée tout tranquillement sous la porte cochère ? Il n'y a absolument rien à dire contre une jeune fille qui y cherche refuge contre la pluie. Je le fais moi-même lorsque je n'ai pas de parapluie, même parfois quand j'en ai un, comme maintenant par exemple. Je peux, d'ailleurs, nommer plusieurs dames respectables qui n'ont pas hésité à le faire. On reste tout tranquille, on tourne le dos à la rue pour que les gens qui passent ne puissent même pas savoir si on y reste ou si on pénètre dans la maison. Par contre, il est imprudent de se cacher derrière une porte entrouverte, surtout à cause des conséquences car plus on se cache plus il est désagréable d'être surpris.  Mais si on est caché,on reste tout tranquille en se commettant à la garde de son bon génie et à celle de tous les anges, on s'abstient surtout de guetter au-dehors, afin de voir si la pluie a cessé. Car, si on veut s'en assurer, on fait un pas ferme en avant et on regarde le ciel avec sérieux. Mais si on avance la tête avec un peu de curiosité, timidement, avec anxiété et sans conviction et qu'on la retire rapidement, tout enfant comprendrait ce mouvement, on l'appelle jouer à cache-cache. Et moi qui participe toujours aux jeux je me retiendrais ? je ne répondrais pas quand on m'interpelle ?... timidement, avec anxiété et sans conviction et qu'on la retire rapidement, tout enfant comprendrait ce mouvement, on l'appelle jouer à cache-cache. Et moi qui participe toujours aux jeux je me retiendrais ? je ne répondrais pas quand on m'interpelle ?... timidement, avec anxiété et sans conviction et qu'on la retire rapidement, tout enfant comprendrait ce mouvement, on l'appelle jouer à cache-cache. Et moi qui participe toujours aux jeux je me retiendrais ? je ne répondrais pas quand on m'interpelle ?... 
            Ne croyez pas que je nourrisse quelque pensée offensante à votre égard, vous n'aviez pas la moindre arrière-pensée en avançant la tête, c'était fait de la manière la plus innocente. Mais, il ne faut pas non plus m'offenser en imagination, ni mon nom ni ma bonne réputation ne le souffrirait. De plus c'est vous qui avez commencé. Je vous conseille de ne jamais parler à personne de cet incident, le tort est de votre côté.
            Que pourrais-je faire d'autre que ce que n'importe quel gentilhomme aurait fait ? vous offrir mon parapluie.
            Qu'est-elle devenue ? magnifique ! elle s'est cachée dans l'entrée de la loge du concierge. C'est une jeune fille on ne peut plus charmante, gaie, joyeuse.
            " - Peut-être pourriez-vous me renseigner sur une jeune dame qui, à l'instant même, avançait la tête par cette porte, apparemment en peine d'un parapluie. C'est elle que nous cherchons, mon parapluie et moi. "
            Vous riez. Peut-être permettez-vous que je vous envoie mon valet demain pour le prendre, ou désirez-vous que je cherche une voiture ? - Il n'y a pas de quoi, ce n'est qu'une politesse toute naturelle.
            C'est une jeune fille des plus joyeuses que j'ai vue depuis longtemps, son regard est si enfantin et pourtant si crâne, sa manière d'être si charmante, si chaste et, cependant, elle est curieuse.
            " - Va en paix, mon enfant. Si aucun manteau vert n'existait, j'aurais bien pu désirer faire une connaissance plus intime. " 
            Elle passe par la Store Köbmagergade. Qu'elle était innocente et confiante, pas la moindre pruderie. Regardez comme elle marche d'un pas léger, comme elle remue la tête. Le manteau vert exige de l'abnégation.


                              Le 15 Mai

             Heureux hasard ! tous mes remerciements ! Elle se tenait droite et fière, mystérieuse et pensive comme un sapin qui, d'un seul jet, comme une seule pensée, jaillit des profondeurs de la terre et s'élève vers le ciel, et aussi énigmatique à lui-même, un tout indivisible. Le hêtre s'orne d'une couronne dont les feuilles savent raconter ce qui s'est passé au-dessous d'elles, le sapin n'a pas de couronne, il n'a pas d'histoire, il reste énigmatique à lui-même, elle était ainsi. Elle était cachée en elle-même, elle jaillissait du fond d'elle-même, il y avait en elle une fierté reposante semblable à l'envol hardi du sapin, bien que celui-ci soit cloué au sol. Une mélancolie se répandait sur elle, semblable au roucoulement du ramier, un profond désir sans objet. Elle était une énigme qui, énigmatiquement, possédait sa propre résolution, un secret, et que comptent bien tous les secrets des diplomates contre celui-ci ? contre cette énigme ? et quel mot est aussi beau que celui qui la résout ? Comme le langage est bien significatif, bien concis : résoudre ! quelle ambiguïté dans ce mot ! quelle beauté et quelle force ne possède-t-il pas dans toutes les combinaisons où il intervient ! Comme la richesse de l'âme est une énigme tant que la langue n'est pas déliée et l'énigme ainsi résolue, une jeune fille aussi est une énigme.
            Heureux hasard ! tous mes remerciements ! Si je l'avais vue en hiver, elle aurait sans doute été enveloppée dans le manteau vert, elle aurait peut-être été transie de froid et l'intempérie de la nature aurait amoindrie sa beauté. Mais à présent, quel bonheur ! Je l'ai d'abord aperçue au début de l'été, à l'époque la plus belle de l'année et dans la lumière d'un après-midi. L'hiver a bien aussi ses avantages. Une salle de danse brillamment éclairée, peut constituer un cadre flatteur pour une jeune fille en robe de bal. Mais il est rare qu'elle apparaisse là entièrement à son avantage, parce que, justement, tout semble le demander d'elle, demande qui, qu'elle y cède ou non, crée un effet gênant. En outre, tout vous donne l'impression du caractère éphémère de la situation et de sa vanité,et provoque une impatience qui rend le plaisir moins réconfortant. Il est des jours où je ne saurais me passer d'une salle de bal, car j'aime son luxe, sa surabondance sans prix de jeunesse et de beauté et son libre jeu des forces de toutes natures. Mais ce n'est alors pas tant la jouissance que je connais, je me plonge plutôt dans les possibilités. Ce n'est pas une unique beauté qui vous tient sous le charme, mais un ensemble. Une vision plane devant vos yeux, vision dans laquelle toutes ces figures féminines se confondent et où tous ces mouvements cherchent quelque chose, cherchent un repos dans une seule image qu'on ne voit pas.sa surabondance sans prix de jeunesse et de beauté et son libre jeu des forces de toutes natures. Mais ce n'est alors pas tant la jouissance que je connais, je me plonge plutôt dans les possibilités. Ce n'est pas une unique beauté qui vous tient sous le charme, mais un ensemble. Une vision plane devant vos yeux, vision dans laquelle toutes ces figures féminines se confondent et où tous ces mouvements cherchent quelque chose, cherchent un repos dans une seule image qu'on ne voit pas.sa surabondance sans prix de jeunesse et de beauté et son libre jeu des forces de toutes natures. Mais ce n'est alors pas tant la jouissance que je connais, je me plonge plutôt dans les possibilités. Ce n'est pas une unique beauté qui vous tient sous le charme, mais un ensemble. Une vision plane devant vos yeux, vision dans laquelle toutes ces figures féminines se confondent et où tous ces mouvements cherchent quelque chose, cherchent un repos dans une seule image qu'on ne voit pas.
            C'était sur le sentier qui mène de Nörreport à Oesterport, vers six heures et demie, le soleil avait perdu sa force, il n'en restait plus que le souvenir dans une douce lueur qui se répandait sur le paysage. La nature respirait plus librement. Le lac était calme, brillant comme une glace. Les paisibles villas de Blegdammen se reflétaient dans l'eau qui, jusqu'à une bonne distance de la rive était sombre comme du métal. Le sentier et les immeubles de l'autre côté du lac étaient faiblement éclairés par les rayons du soleil. Le ciel était clair et pur, un seul nuage léger glissait furtivement, sensible surtout quand on fixait les yeux sur le lac dans le miroir duquel il disparaissait peu à peu. Pas une feuille ne bougeait. 
            C'était elle. Mes yeux ne m'ont pas trompé, mais le manteau vert l'a fait. Bien que je m'y sois attendu depuis si longtemps, il m'a été impossible de dominer une certaine émotion dont l'élan et la chute étaient comme ceux de l'alouette lorsque sur les terres voisines elle s'élevait et se laissait tomber tout en chantant. Elle était seule. J'ai déjà oublié comment elle était habillée, mais maintenant je possède une image d'elle. Elle était seule, apparemment pas occupée d'elle-même mais de ses propres pensées.  Elle ne pensait pas, mais le travail silencieux de pensées tissait pour elle une image de désirs et de pressentiments, image inexplicable comme les multiples soupirs d'une jeune fille.
            Elle était à la fleur de son âge. Une jeune fille ne se développe pas dans ce sens comme un garçon, elle ne croît pas, elle naît. Un garçon commence immédiatement à se développer et met beaucoup de temps. Une jeune fille naît pendant longtemps et naît femme faite, mais l'instant de cette naissance arrive tard. C'est pourquoi elle naît deux fois, la seconde c'est lorsqu'elle se marie, ou plutôt à cet instant elle cesse de naître. Ce n'est qu'à ce moment-là qu'elle est née.
            Il n'y a pas que Minerve qui soit sorti du cerveau de Jupiter, toute venue à terme il n'y a pas que Vénus qui, dans tout son charme, soit sortie des ondes, toute jeune fille dont la féminité n'a pas encore été corrompue par ce qu'on appelle développement est ainsi. Elle ne s'éveille pas successivement, mais en une seule fois, et elle rêve d'autant plus longtemps, à condition que les gens ne soient pas assez sots pour la réveiller trop tôt. Cette rêverie est une richesse prodigieuse.
            Elle était occupée, non pas d'elle-même, mais en elle-même, et cette occupation était elle aussi reposante et paisible. C'est ainsi qu'une jeune fille est riche, et embrasser cette richesse vous rend riche. Elle est riche tout en ignorant qu'elle possède quelque chose. Elle est riche, elle est un trésor. 
            Une douce paix régnait sur elle et un peu de mélancolie. Elle était facile à soupeser avec les yeux, légère comme une Psychée portée par des génies, oui plus légère encore, car elle se portait elle-même. Que les doctrinaires disputent sur l'assomption, elle ne me semble pas inconcevable, car la Madone n'était plus de ce monde. Mais la légèreté d'une jeune fille, voilà qui est inintelligible, elle défie les lois de l'apesanteur. 
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            Elle ne remarquait rien et ne se savait donc pas remarquée. Je me tenais à grande distance et je buvais son image des yeux. Elle marchait lentement, sa quiétude et le calme des choses environnantes ne furent troublés par aucune hâte. Un gosse qui pêchait était assis au bord du lac. Elle s'arrêta et regarda la surface de l'eau et le flotteur. Elle n'avait pas marché vite, mais elle chercha un peu de fraîcheur. Elle défit un petit foulard noué sous son châle autour du cou, une gorge blanche comme la neige et pourtant chaude et pleine fut entourée d'un souffle léger venu du lac.
            Le gosse ne semblait pas content d'être surveillé dans son travail de pêcheur et, en se retournant il la regardait d'un air assez flegmatique. Il faisait figue vraiment ridicule, et je ne peux pas la blâmer d'avoir fini par rire de lui. Quelle jeunesse dans son rire. Je suis sûr que si elle avait été seule avec lui elle n'aurait pas craint de se battre. Ses yeux étaient grands et rayonnants, en les regardant de près ils avaient un éclat sombre qui vous laissait deviner une profondeur insondable, car il était impossible d'yàpénétrer. Ils étaient purs et innocents, doux et calmes, pleins d'enjouement lorsqu'elle souriait. Son nez était finement courbé et, quand on la regardait de côté, il se retirait, pour ainsi dire, dans le front et devenait plus petit et un peu plus mutin. 
            Elle reprit sa marche, je la suivis. Il y avait heureusement plusieurs autres promeneurs sur le sentier. Echangeant des propos avec quelques-uns je la laissais prendre un peu d'avance et je la rattrapai bientôt, mais j'évitais ainsi la nécessité de marcher, à distance, aussi lentement qu'elle. Elle se dirigea vers Oesterport. Je désirais la voir de plus près sans être vu moi-même. Au coin il y avait une maison d'où je pouvais avoir la chance de réussir. Je connaissais la famille et il me suffit donc de faire une visite. Je la dépassais donc à grands pas, n'ayant absolument pas l'air de m'intéresser à elle. Je la devançai d'un bon bout de chemin, saluai la famille à la ronde, et pris possession de la fenêtre donnant sur le sentier. 
            Elle approchait et je la regardais et la regardais, tout en devisant avec les convives dans le salon. Son allure n'eut pas de mal à me convaincre qu'elle n'avait pas suivi les cours d'une école de danse de quelque importance, et cependant cette allure était imprégnée d'une certaine fierté et d'une noblesse simple, mais aussi d'un manque d'attention pour elle-même. Je l'ai aperçue encore une fois sans qu'au fond j'y aie compté. La vue de la fenêtre ne s'étendait pas très loin sur le sentier, mais je pouvais voir une passerelle sur le lac et, à mon grand étonnement je l'y découvris à nouveau.
            L'idée me vient qu'elle habite peut-être ces environs et que sa famille a peut-être loué un petit appartement pour l'été. Je commençais à regretter ma visite, craignant qu'elle ne revienne sur ses pas et de la perdre de vue. Oui, ce fait qu'elle apparut au bout extrême de la passerelle était comme un signe qu'elle allait disparaître pour moi, et puis elle reparut tout près. Elle avait passé devant la maison. Vite je saisis mon chapeau et ma canne pour essayer de la dépasser encore plusieurs fois et ensuite venir en arrière pour la suivre jusqu'à ce que je découvre où elle habite.
            Mais, dans ma hâte, j'ai la malchance de bousculer une dame servant le thé à la ronde. Un cri terrible s'élève. Je reste là avec mon chapeau et ma canne, avec le seul souci de me sauver, et pour donner un tour à l'histoire et motiver ma retraite, je m'exclame pathétiquement : comme Caïn je veux m'exiler de ce lieu qui a vu ce thé répandu. Mais, comme si tout conspirait contre moi, l'hôte a l'idée malheureuse de vouloir compléter ma remarque et jure ses grands dieux qu'il ne me sera pas permis de m'en aller avant d'avoir goûté une tasse de thé, avant d'avoir moi-même offert aux dames le thé répandu et ainsi tout réparé. Comme j'étais complètement convaincu que mon hôte dans ces circonstances considèrerait comme une politesse de se livrer à des voies de fait, il n'y avait d'autre issue que fe rester.
            Elle avait disparu.


                                                                   à suivre............

 

dimanche 28 février 2021

Les lumières de Tel Aviv Alexandra Schwarzbrod ( Roman France )

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                                                         Les lumières de Tel Aviv

            Fiction. Jour d'été en  2O3O ou 4O ou plus. " Une chaleur moite enserre Tel Aviv .... " et Jérusalem séparées par un haut mur. Pas suffisant cependant pour empêcher Haïm de prendre son élan et de rejoindre Tel Aviv, si proche. Ultra Orthodoxe, comme tous les habitants de la ville sainte qui a fait sécession et où tous les habitants observent les règles de la religion, électricité coupée pour shabbat, mikveh le vendredi pour les femmes, costume traditionnel pour les hommes qui étudient la Torah 4 heures par jour. Et surtout interdiction de passer de l'autre côté du mur où vivent les laïcs, juifs et musulmans dans une sorte de kibboutz géant, où l'argent n'existe pas. Les déplacements se font en charrette tirée par un cheval ou un ou une vélocipédiste rémunéré par quelques cigarettes ou tout autre produit échangé à son tour contre des pitas, du savon, du poisson... La description des systèmes de vie est assez éclatée pour briser le cheminement des héros qui, 48 heures durant, blessés, amochés, épuisés, vont vivre les violences d'une société improbable. Dans de courts chapitres se dessinent les trajectoires de Haïm époux d'Ana revenue d'Istamboul où elle fut libraire et qui traîne un chagrin d'amour, Eli, par hasard sur le chemin de Haïm, surtout Malika et Moussa, jeunes adolescents, et tout un peuple qui survit dans cette nouvelle société où les figuiers de barbarie servent d'abris, les orangers, les frangipaniers donnent couleur et odeur au récit. De fait le brusque départ, séparément, de Haïm et de Ana vient de la découverte de plans de robots, russes, offerts par la Russie, qui construit la génération supérieure de ces drones et autres engins informatisés et prêts à tuer quiconque tente de traverser le mur; entre autres les laïcs de Tel Aviv qui se nomment " Résistants ".  Tout au long du récit les mœurs du pays, hommes en manteau noir dans Jérusalem fermée gardée par d. es Russes très nombreux, jeunes femmes libres dans Tel Aviv. Construire le grand Israël rêve de certains, aux abords de l'aéroport où les hommes en noir ont juste le droit de fumer. Alexandra Schwarzbrod auteur de plusieurs romans policiers primés propose ici le troisième volet de sa série sur Israël. Elle est par ailleurs directrice adjointe de la rédaction du quotidien Libération. Un souffle de khamsin, vent et sable qui recouvre tout et ensuite le ciel bleu de ce beau pays.

vendredi 26 février 2021

Végane Eve Marie Gingras t BD Canada )





 






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                                                    Commrny et  cuiPourquoi                                      

                                                          Je suis devenue

                                                                Végane 

            Les caquets des poulettes, le regard vague des vaches les mamelles " pantelantes " de délicieux lait, les laitages qui suivront la traite, le cri silencieux du thon, de la morue, et tant et tant de douceurs délicates pour nos papilles semblent condamnées, à longue échéance, ou au mieux réfléchies par de doctes et flamboyants détracteurs préoccupés par les oies, gavées ( a bien raison ! chers volatiles laissons-les courir coléreuses et piquer nos mollets ) et par le dépouillage de leurs plumes, très douloureux écrit Eve Marie Ginglas qui accompagne son histoire de jolis crayonnés. Elle raconte comment après avoir lu, suivi une conférence sur le véganisme elle fut un jour, malaxant une préparation de viande pour peut-être les boulettes familiales, prise d'effroi en songeant à l'animal. Ce fut le début de sa nouvelle cuisine
" J'arrivais assez bien à oublier le bœuf dans un pâté, mais je n'ai jamais consenti à assister à un méchoui..... fait cuire un homard moi-même...... pour le manger il fallait que l'animal soit absent de lui-même... " Après réflexion l'auteur rapproche l'histoire homme-animal du spécisme, après lecture de la psychologue Mélanie Joy " Pourquoi aimer les chiens, manger les cochons et se vêtir de vaches ? " Poursuivant réflexions et recherches EM Ginglas cite un médecin cardiologue à Montréal " ..... Si les trois quarts des cardiaques étaient végétaliens on n'aurait plus de patients. " Mais Ginglas a une très bonne amie, sa chienne, dessinée à ses côtés, chaussons aux pieds et recouverte d'une pelisse, Canada l'hiver oblige. Le roman graphique est écrit sans hargne, sans effet flatteur sauf pour les bêtes. Moutons laineux, regards de vaches derrière une clôture et dessin détaillé d'un bœuf avec nom des divers morceaux prêts au découpage. Et le constat, écrit-elle, est qu'ils ne vivent que pour notre plaisir et ajoute " Ce qu'ils sont prime sur qui ils sont. " Rapprochement avec la femme-objet au passage. Canapés ou vêtements coupés dans du veau-velours, origine des peaux inconnue toxicité d'un bout de la chaîne à l'autre. Repris à l'envers les méfaits portés à la cause animale sont nombreux, mais quelles que soient les raisons qui poussent les tenants de la cause animale pour éviter à la vache de produire du lait, remplacer le beure, la crème ou le fromage par du tofu, de la fumée liquide, apparaît assez improbable, et l'auteur le reconnaît : " Heureusement il y a des gens qui ne sont pas indifférents qui essaient de se libérer de l'ombre du cynisme. Ceux pour qui la vie humaine ou non est digne de respect. Ceux qui ne veulent pas nuire, qui aident, qui agissent. Ils sont nombreux et ça me fait du bien. " Chacun prêchant pour sa communauté je pense à.... Jean de la Fontaine qui décrivit en son temps la peine de Perrette et de son pot au lait " Adieu veau, vache cochon... "  et Michel Serrault titra son livre " Le cri de la carotte quand on l'arrache " Eve Marire Ginglas, massothérapeute rappelle que les herbages n'ont pas de système nerveux. Compliqué, compliqué tout cela, bonne conscience sans poésie. Bonne lecture et bon appétit.





jeudi 25 février 2021

Reginald et les tarifs Saki ( Nouvelle Angleterre )


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                                                        Reginald et les tarifs

            " Ne comptez pas sur moi pour vous entretenir de la Question Fiscale, dit Reginald, car je ne voudrais surtout pas avoir l'air ennuyeux. Cependant je pense que nous souffrons davantage du système de libre échange que nous ne l'imaginons. J'aimerais pour ma part taxer lourdement un partenaire de bridge qui allonge une suite dans le rouge et s'en remet ensuite lâchement à la Providence. Et ce n'est pas une licence totale sur les bavardages qui pourra arranger les choses. A mon avis il devrait exister une prime à l'exportation ( est-ce ainsi que l'on dit ? ) pour tous ces casse-pieds qui vous reprochent de ne pas prendre la vie au sérieux. Je ne connais que deux sortes de personnes qui sont obligées de prendre la vie au sérieux : les fillettes de treize ans et le Hohenzollern. On leur accorderait alors une dispense. Pour les Albanais c'est une autre paire de manches : eux, c'est la vie tout court qu'ils prennent, chaque fois qu'ils en ont l'occasion. Aussi gare à ne pas la leur fournir. Le seul Albanais à qui j'ai jamais eu affaire était d'ailleurs chrétien et épicier de surcroît, je veux dire de son état, et je ne crois pas qu'il ait jamais tué qui que ce soit. Je me suis abstenu de l'interroger à ce sujet, ce qui montre bien ma délicatesse. Par contre, sa femme, Mrs Nicorax, prétend que j'en suis entièrement dépourvu, de délicatesse s'entend. Elle m'en veut encore pour cette histoire de souris. Voyez-vous, lorsque je séjournais chez eux, il y avait une souris qui dansait le fox-trot dans ma chambre la moitié de la nuit, et comme aucune de leurs satanées souricières ne parvenait à l'attirer, je décidai de jouer sur son point faible, c'est-à-dire l'estomac. Je la baptisai donc Percy et tous les soirs  je garnissais de friandises le petit trou où elle se retirait pour la nuit et ainsi se tenait-elle tranquille pendant que je lisais un livre soporifique avant de m'endormir. Or voilà qu'aujourd'hui cette brave femme m'accuse d'avoir ainsi introduit chez elle une colonie de souris.  *
Afficher l'image d'origine            Mais ce n'est pas pour autant qu'elle m'accusait d'indélicatesse. Non, c'est pour tout autre chose. Figurez-vous qu'un jour elle s'est mis en tête de monter à cheval avec moi, et comme nous rentrions en traversant des prés, voilà qu'il lui vient à l'esprit d'essayer de faire franchir à son poney un espèce de petit ruisseau assez bourbeux qui se trouvait là. Mais l'entêté refusa. Il voulut bien l'accompagner jusqu'au bord de l'eau, mais pas plus loin. Mrs Nicorax fit ensuite le trajet toute seule. J'ai donc dû la repêcher. Or mes culottes d'équitation n'ont pas été coupées pour la pêche au saumon. Les enfiler est déjà tout un art, ne parlons pas de monter avec elles. Elle, elle portait une de ces tenues d'amazone boutonnées de haut en bas et lacées dans le dos dont il vaut mieux se défaire en cas d'urgence, et qui resta donc, à cette occasion, accrochée aux roseaux. Elle eut beau insister pour que j'allasse la repêcher, aussi j'estimai avoir assez joué la fille du Pharaon pour un après-midi d'octobre car, il faut bien le dire, j'avais hâte de boire mon thé. J'ai donc hissé la dame sur son poney et je l'ai ramené dare-dare chez elle. Or avec le temps pluvieux qu'il faisait et l'allure que j'avais imprimé à notre course, son costume abrégé présentait un débraillé qui, sur une toute autre poitrine, eût pu paraître magnifique, ce qui ne l'empêcha pas de me vouer aux gémonies quand je reconnus n'avoir sur moi ni épingles ni bouts de ficelles. Et puis quoi encore ! Certaines femmes ont de ces exigences tout de même. Quand nous eûmes atteint l'allée elle insista pour que nous contournions par les écuries, mais les poneys savent bien qu'on leur donne toujours un morceau de sucre devant la porte d'entrée et pour moi j'ai pour principe de ne jamais contrarier un poney qui tire sur sa bride. Quant à Mrs Nicorax, elle avait un mal fou à retenir ensemble les pièces de sa tenue équestre qui partait en lambeaux. Or, comble de malchance toute l'assemblée était, ce soir-là, rassemblée sur le perron pour admirer le coucher de soleil. Le seul jour du mois où l'astre qui nous éclaire et nous réchauffe avait daigné montrer le bout de son nez, comme Mrs Nic. me le fit vicieusement remarquer. Et je n'oublierai non plus jamais l'expression du mari quand il nous vit arriver.  
            - Ma chérie, c'en est trop ! lâcha-t-il simplement en considérant l'état de sa toilette.
             C'était le commentaire le plus fin que je lui eusse jamais entendu faire. Quant à moi, je me sauvai dans la bibliothèque pour en rire tout mon saoul. Il paraît que je manque de délicatesse.
            A propos de tarifs le liftier, qui se cultive en lisant entre les paliers, prétend qu'il ne faut pas taxer les matières premières. Mais qu'est-ce au juste qu'une matière première ? Mrs van Challaby, quant à elle, estime que les hommes sont des matières premières jusqu'au jour où on les épouse. Après avoir rencontré Mrs van Challaby, ou l'une de ses semblables, j'imagine sans peine qu'ils doivent devenir rapidement des produits finis. Et elle a suffisamment d'expérience dans ce domaine pour étayer sa théorie. Elle a perdu un mari dans un accident de chemin de fer, divorcé du deuxième et le troisième vient de se faire nommer président d'un cartel de bœuf.
            - Quel besoin avait-il de se charger d'une responsabilité pareille ? m'a-t-elle demandé d'une voix geignarde, et j'ai vaguement suggéré que c'était peut-être parce qu'il s'ennuyait un peu chez lui.
            J'ai dit ça comme ça, car j'aurais eu l'air impoli en ne répondant rien. Eh bien croyez-le ou pas, mais depuis ce jour-là Mrs van Challaby ne cesse de dire des choses très méchantes sur mon compte.
            Il est bien dommage que les gens ne puissent discuter de questions fiscales sans s'énerver. Elle m'a toutefois écrit le lendemain  pour me demander si je ne pourrais pas lui dénicher un terrier Yorkshire de la taille et de la couleur qui sont à la mode en ce moment, ce qui est pour une femme, et surtout une femme comme elle, presque une manière de vous faire entendre qu'elle a été un peu trop vive. Elle lui attachera une faveur rose saumon autour du cou, l'appellera Reggie et le traînera partout derrière elle comme cette pauvre Miriam KIlopstock qui prenait son chow-chow dans la salle de bains avec elle. C'est ainsi qu'une fois, pendant qu'elle prenait son bain, le chien a déchiré tous ses effets. Comme Miriam est toujours en retard pour le petit déjeuner, on n'a commencé à s'inquiéter que vers le milieu du déjeuner.                                                                    
Résultat de recherche d'images pour "chow chow"            Mais en voilà assez sur cette maudite Question fiscale.
            Si seulement je ne tombais pas toujours au bridge sur un partenaire qui joue comme un pied.


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                                                                           SAKI

mardi 23 février 2021

Le Journal du Séducteur 3 Sören Kiergaard ( Essai Danemark )

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                        7 Avril

            " A lundi donc, à 1 heure à l'Exposition. "
            Très bien, j'aurai l'honneur de m'y trouver à 1 heure moins le quart. Un petit rendez-vous. Samedi je pris donc mon parti et je me décidai à rendre visite à mon ami Adolph Bruun presque toujours en voyage. A cette fin je me rends vers 7 heures de l'après-midi à Vestergade où, selon ce qu'on m'avait dit, il devait habiter. Mais il était introuvable, au troisième étage aussi où je parvins tout essoufflé. Sur le point de descendre l'escalier, mes oreilles sont touchées par une voix mélodieuse de femme qui dit presque en murmurant :          
             " - A lundi donc, à 1 heure à l'Exposition. A cette heure-là les autres sont sortis, mais tu sais que je n'ose jamais te voir à la maison. " 
            Il est exactement 1 heure moins le quart. Ma belle Inconnue ! Que votre futur soit à tous égards aussi ponctuel que moi, ou préfèreriez-vous peut-être qu'il n'arrive jamais un quart d'heure en avance ? Comme vous le voulez,  suis à tous égards à votre service... " Enchanteresse ravissante, fée ou sorcière, fais disparaître ton brouillard, manifeste-toi, tu es sans doute déjà là bien qu'invisible pour moi, révèle-toi, car autrement je n'ose pas m'attendre à une manifestation. Y en aurait-il plusieurs ici pour le même motif qu'elle ? C'est bien possible. Qui sait pénétrer les voies de l'homme, même lorsqu'il va à une Exposition ? 
            Voilà une jeune fille dans la première salle, elle se précipite plus vite que la mauvaise conscience ne suit le pécheur. Elle oublie de montrer sa carte d'entrée, le préposé en rouge l'arrête ? Mais, mon Dieu ! qu'elle est pressée ! Ce doit être elle; pourquoi cette ardeur intempestive ? Il n'est pas encore 1 heure et rappelez-vous que vous devez rencontrer le bien-aimé. La manière de se présenter en de telles occasions est-elle donc absolument sans importance ou est-ce dans ce sens qu'on dit qu'il faut jouer des jambes ? Quand c'est un sang jeune et innocent comme elle qui a un rendez-vous, elle s'y attaque comme une forcenée. Elle est complètement affolée. Au contraire, moi qui, confortablement installé dans mon fauteuil, ai ici devant les yeux la vue charmante d'un site agreste...
            Quel diable de jeune fille ! Elle brûle toutes les salles. Il faut pourtant voiler un peu vos désirs, rappelez-vous ce qu'on dit à Mademoiselle Lisbeth :
            " Fi ! fi ! ce n'est pas beau pour une jeune fille de laissez voir ainsi ses sentiments. "
            Enfin, s'entend l'entrevue avec ce jeune homme est bien innocente. Les amoureux considèrent d'ordinaire un rendez-vous comme l'instant le plus beau. Je me rappelle moi-même, aujourd'hui encore comme si c'était hier, la première fois où je volai vers l'endroit convenu, avec le cœur plein des joies inconnues qui m'attendaient. Je me rappelle la première fois où je frappai les trois coups dans la main, la première fois où une fenêtre s'ouvrit, la première fois où le portillon du jardin fut ouvert par la main invisible d'une jeune fille qui se cachait en l'ouvrant, la première fois où, dans la nuit claire d'été, je cachai une jeune fille sous mon manteau. 
            Pourtant beaucoup d'illusions se mêlent à cette opinion. La tierce personne qui est calme ne trouve pas toujours que les amoureux soient des plus beaux à ces instants-là. J'ai été le témoin de plusieurs rendez-vous où, bien que la jeune fille fût charmante et le jeune homme beau, bien que les amoureux aient sans doute pensé le contraire.
            On gagne en un sens par l'expérience, car il est bien vrai qu'on perd la douce inquiétude que vous donne le désir impatient, mais on gagne cette attitude qui contribue à rendre l'instant réellement beau. Je suis vexé parfois de voir un homme en pareille circonstance tellement troublé que par pur amour il est pris de " delirium tremens ". 
            A gens du village trompette de bois.
            Au lieu d'avoir assez de pondération pour jouir de l'inquiétude de la belle, pour laisser cette  inquiétude enflammer sa beauté et la chauffer, il ne produit qu'une confusion disgracieuse, mais rentre néanmoins heureux chez lui, s'imaginant qu'il a vécu quelque chose de merveilleux.
            Mais que diable devient cet homme, Il est déjà bientôt 2 heures. Oui, quelle gent magnifique que ces amoureux ! Un tel gredin qui laisse une jeune fille vous attendre ? Non merci, je suis pourtant un homme bien autrement digne de foi ! Le mieux sera sans doute de l'aborder lorsque, à présent, pour la cinquième fois, elle passera devant moi.
            " Excusez mon audace, belle mademoiselle, vous cherchez sans doute votre famille ici. Vous m'avez plusieurs fois dépassé rapidement et, en vous suivant des yeux j'ai remarqué que vous vous êtes toujours arrêtée dans l'avant-dernière salle. Vous ne savez peut-être pas que derrière elle il y a encore une salle où peut-être vous rencontrerez ceux que vous cherchez. "                                      123 RF
            Elle me fait une révérence qui lui sied bien. L'occasion est favorable. Je suis heureux que le jeune homme ne vienne pas. On pèche toujours mieux en eau trouble, lorsqu'une jeune fille est saisie d'émotion on peut utilement risquer bien des choses qui autrement ne réussiraient pas.
            Je lui ai fait la révérence avec autant de politesse qu'un étranger peut y mettre, et je suis à nouveau installé dans mon fauteuil, je regarde le site agreste et l'observe. La suivre aussitôt serait trop risqué, cela pourrait paraître indiscret, et elle serait immédiatement sur ses gardes. Maintenant elle pense que je l'ai abordée par compassion, et je suis dans ses bonnes grâces.
            Il n'y a pas âme qui vaille dans la dernière salle, et je le sais bien. La solitude aura une bonne influence sur elle. Tant qu'elle voit beaucoup de monde autour d'elle elle est inquiète, toute seule elle se calmera. Parfaitement juste, elle y reste. Sous peu j'y viendrai, en passant. Une réplique me revient encore de plein droit, oui, elle me doit presque un salut.
            Elle s'est assise, pauvre petite, elle a l'air si mélancolique. Elle a pleuré, tout au moins elle a eu les larmes aux yeux. C'est révoltant, provoquer des larmes chez une telle jeune fille ! Mais, soyez tranquille, tu seras vengée, je te vengerai, il saura ce que cela veut dire d'attendre.
            Comme elle est belle maintenant que les différentes bourrasques se sont calmées et qu'elle repose dans un état d'âme. Sa nature est mélancolie et harmonie dans la douleur. Elle est vraiment gentille. Elle est là en costume de voyage et cependant ce n'était pas elle qui devait partir. Elle l'a revêtu afin de partir à la recherche de la joie. A présent le costume représente sa douleur, car elle est comme celui dont la joie prend congé. Elle a l'air de dire adieu pour toujours au bien-aimé. Qu'il s'en aille !
            La situation est favorable, l'instant me fait signe. Ce qui importe maintenant c'est que je m'exprime de façon à avoir l'air de penser qu'elle cherchait sa famille ou des amis, mais en y mettant assez de chaleur pour que chaque mot s'harmonise avec ses sentiments, alors j'aurai bonne chance de m'insinuer dans ses pensées.
            " Au diable le gredin ! Ce type qui s'amène là est sans doute lui. Regarde-moi le maladroit maintenant que je venais de tout arranger comme je le voulais. Bien, bien, on en tirera bien quelque chose. Il faut que je reste en touche, que je trouve ma place dans la situation. Lorsqu'elle m'apercevra elle sera amenée à sourire de moi, parce que je pensais qu'elle cherchait à découvrir sa famille, alors que c'était tout autre chose. Ce sourire fait de moi un confident, c'est toujours quelque chose. 
            Mille remerciements, mon enfant. Ce sourire a pour moi plus de valeur que tu ne penses. C'est un commencement, et commencer est toujours le plus difficile. Maintenant nous nous connaissons et notre connaissance a pour base une situation piquante. Cela me suffit jusqu'à nouvel ordre. Vous ne resterez pas ici plus d'une heure, je pense. Je saurai qui vous êtes, car dans quel autre but pensez-vous la police tient-elle des bureaux de recensement ?


                  9 Avril

            Suis-je devenu aveugle ? Mon âme a-t-elle perdu son pouvoir visuel ? Je l'ai vue, mais c'est comme si j'avais eu une révélation céleste, car à nouveau son image a complètement disparu pour moi. C'est en vain que je dépense toutes les forces de mon âme pour évoquer cette image. Si jamais je la revoyais, je la reconnaitrais immédiatement, même parmi des centaines d'autres. Maintenant elle a fui et, de tout son désir, mon âme cherche vainement à l'atteindre.
            Je me promenais à Langelinie, apparemment inattentif et sans tenir compte de mon entourage, lorsque soudain je l'aperçus. Mes regards se fixèrent inébranlablement sur elle et n'obéissaient plus à la volonté de leur maître. Je ne pouvais leur imprimer aucun mouvement afin d'embrasser l'objet que je voulais voir, je ne voyais pas, je regardais fixement devant moi. Comme un escrimeur qui se fend, mon regard s'immobilisait, comme hypnotisé  dans la direction une fois prise. Impossible de le baisser, impossible de le lever, impossible de le tourner en moi-même, impossible de voir, parce que je voyais    beaucoup trop. 
            La seule chose que j'ai retenu est qu'elle portait un manteau vert, et c'est tout. C'est ce qu'on peut appeler prendre un nuage pour Junon. Elle m'a bien échappé comme Joseph à la femme de Putiphar et ne m'a laissé que son manteau. Elle était avec une dame déjà âgée qui semblait être sa mère. Celle-là je peux la décrire de pied en cap, et cela bien qu'au fond je ne l'ai pas du tout regardée et, tout au plus, n'en ai fait état qu'en passant.
            Ainsi va le monde. La jeune fille m'a impressionné, je l'ai oublié, l'autre ne m'a fait aucune impression, et c'est elle que je peux me rappeler.


                     Le 11 Avril

            Je reste toujours entravé par la même contradiction. Je sais que je l'ai vue, mais que de nouveau je l'ai oubliée, mais de sorte que le peu de souvenir qui m'en reste ne me réconforte pas. Comme si mon bien-être était en jeu, je demande cette image avec inquiétude et ardeur, et pourtant elle ne se montre pas. Je pourrais arracher mes yeux afin de les punir de leur manque de mémoire. Alors, après avoir ragé d'impatience et le calme en moi s'étant rétabli, c'est comme si un pressentiment et un souvenir tissaient une image qui, pourtant, ne peut prendre forme pour moi, parce que je ne réussis pas à l'immobiliser en un ensemble. Elle est comme un dessin dans un tissu fin, dessin plus clair que le fond, on ne peut pas le voir parce qu'il est trop pâle. Il s'agit d'une disposition bizarre qui pourtant en elle-même présente des agréments, parce qu'elle me convainc que je suis encore jeune.
 
          Une autre considération peut m'apprendre la même chose : c'est toujours parmi les jeunes filles que je cherche ma proie, et non parmi les jeunes femmes. Une femme a moins de naturel, plus de coquetteries, des rapports avec elle ne sont ni beaux ni intéressants, ils sont piquants, et le piquant vient toujours en dernier.
            Je n'avais pas espéré être capable de goûter à nouveau ces prémices d'une amourette. J'ai succombé à l'amour, j'ai obtenu ce que les nageurs appellent une passade, rien d'étonnant que je sois un peu perplexe. Tant mieux, je m'en promets d'autant plus.


                              Le 14 Avril

            Je ne me reconnais guère. Devant les tempêtes de la passion mon esprit est comme une mer orageuse. Si quelqu'un pouvait surprendre mon âme en cet état, il aurait l'impression de voir une barque s'enfoncer à pic dans la mer, comme si dans sa précipitation terrible elle devait mettre le cap sur le fond de l'abîme. Il ne verrait pas qu'au haut du mât veille un marin. Forces frénétiques, échauffez-vous, mettez-vous en mouvement, ô puissances de la passion, même si le choc de vos lames devait lancer l'écume jusqu'aux nuages, vous ne serez pas capables de vous élever au-dessus de ma tête, je reste tranquille comme le Roi des falaises. 
            C'est à peine si je peux prendre pied, comme un oiseau aquatique je cherche en vain à me plonger dans la mer orageuse de mon esprit. Et cependant un tel orage est mon élément, je bâtis dessus comme Alcedo ispida bâtit son nid sur la mer.
            Les dindons se gonflent de rage quand ils voient du rouge, et il en va ainsi de moi lorsque je vois du vert, chaque fois que je vois un manteau vert, et comme mes yeux me trompent souvent, toutes mes espérances échouent parfois à la vue d'un porteur de chaises de l'hôpital Frédéric.


                               Le 20 Avril

            Une condition capitale pour toute jouissance c'est de se limiter. Il ne semble pas que j'aurai de sitôt des renseignements sur la jeune fille qui emplit tellement mon âme et toutes les pensées que nourrissent mes regrets. Mais je vais me tenir tranquille, car il y a aussi de la douceur dans cet état d'émotion sombre et mystérieuse, et pourtant forte. J'ai toujours aimé, par une nuit de clair de lune, à aller en bateau sur l'un ou l'autre de nos lacs délicieux. Je rentre alors les voiles et les rames, je démonte le gouvernail, je m'étends de tout mon long et je regarde la voûte céleste. Lorsque les vagues bercent le bateau sur leur sein, lorsque les nuages vont au gré des vents et cachent un instant la lune pour la faire disparaître à nouveau, je trouve le repos malgré tout ce mouvement. Le balancement des vagues m'apaise. Le bruit qu'elles produisent en frappant la barque est comme une berceuse monotone, l'envol rapide des nuages, le changement de lumière et d'ombre m'enivrent, et je rêve sans fermer l'œil.
            C'est de cette façon que je m'étends aujourd'hui aussi, je rentre les voiles, je démonte le gouvernail, le désir et une espérance impatiente me bercent dans leurs bras. Désir et espérance s'apaisent de plus en plus et me transportent de plus en plus de joie. Ils me soignent comme un enfant, au-dessus de moi le ciel de l'espérance s'élève en voûte, l'image de la jeune fille plane rapidement devant mes yeux comme la lune indécise et m'éblouissant de sa lumière tantôt, et tantôt de son ombre.
            Que de jouissance à être ainsi secoué sur une eau agitée. Que de jouissance à être secoué en soi-même.


                           Le 21 Avril
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            Les jours passent et je n'en suis pas plus avancé. Les jeunes filles me donnent du plaisir plus que jamais et, cependant, je n'ai pas envie de jouir.   
        C'est elle que je cherche partout. Cela me rend souvent peu équitable, trouble ma vue, énerve ma jouissance. Maintenant viendra bientôt le beau temps où en parcourant les rues et les places on accumule des petites créances qu'en hiver, dans la vie mondaine, on peut payer assez cher. Car une jeune fille peut oublier bien des choses, mais non pas une situation.
            La vie mondaine vous met bien en rapport avec le beau sexe, mais ce n'est pas ce qu'il faut pour commencer l'aventure. Dans la vie mondaine toute jeune fille est armée, la situation est dénuée      ressources et, la même chose s'est présentée bien des fois, elle ne reçoit aucune secousse voluptueuse. Dans la rue elle est au large et c'est pourquoi tout produit un effet plus fort, tout est comme plus énigmatique. Je donne 100 rixdales pour un sourire de jeune fille dans une situation de la rue, mais pas même 10 rixdales pour une poignée de main dans le monde. Il s'agit là de monnaies d'espèces toutes différentes. L'aventure en train, on cherche dans le monde celle dont il est question. On a avec elle des intelligences secrètes qui tentent, c'est le stimulant le plus efficace que je connaisse. Elle n'ose pas en parler, mais elle y pense. Elle ne sait pas si on l'a oubliée ou non, et bientôt on l'égare d'une autre manière.
            Je crains de ne pas accumuler beaucoup de ces créances cette année, cette jeune fille occupe trop mon esprit. Mes gains seront en un sens maigres, mais j'ai bien une chance de gagner le gros lot.


                       Le 5 Mai

            Damné hasard ! Je ne t'ai jamais maudite d'être apparue, je te maudis parce que tu ne te montres pas du tout. Ou serait-ce une nouvelle invention de Toi, être inconcevable, mère stérile de tout, la seule chose qui reste de cette époque où la nécessité donna naissance à la liberté et où la liberté se laissa duper pour rentrer dans le sein de sa mère ?
            Damné hasard ! Toi, ma seule confidente, seul être que je juge digne d'être mon alliée et mon ennemie, toujours identique malgré la dissemblance, toujours inconcevable, toujours une énigme ! Toi que j'aime de toute mon âme sympathisante, toi à l'image de laquelle je me crée moi-même, pourquoi n'apparais-tu pas ? Je ne mendie pas, je ne te supplie pas humblement de te montrer de telle ou telle façon, car un tel culte serait une idolâtrie et peu agréable pour toi. Je te provoque au combat, pourquoi ne te montres-tu pas ? Ou est-ce que le balancier de l'univers s'est arrêté, est-ce que ton énigme a été résolue et que tu t'es jetée toi aussi dans les eaux éternelles ? Pensée terrible ! Le monde se serait arrêté d'ennui ! 
            Damné hasard ! je t'attends. je ne veux pas te vaincre par des principes, ni par ce que des imbéciles appellent du caractère, mais je veux te rêver ! Je ne veux pas être un poète pour les autres. Montre-toi, je te crée en rêve et je dévorerai mon propre poème, et ce sera ma nourriture. Ou bien me trouves-tu indigne ? Comme une bayadère danse à la gloire du dieu, je me suis voué à ton service, léger, peu vêtu, souple, désarmé, je renonce à tout. Je ne possède rien, je n'ai envie de rien posséder, je n'aime rien, je n'ai rien à perdre, mais grâce à cela ne suis-je pas devenu plus digne de toi, de toi qui, sans doute depuis longtemps, t'es lassée d'arracher aux hommes ce qu'ils aiment, lassée de leurs soupirs lâches et de leurs lâches prières.
            Surprends-moi, je suis prêt, aucun enjeu, luttons pour l'honneur. Faites-moi la voir, montrez-moi une chance qui paraîtra impossible, montrez-la- moi parmi les ombres du royaume des morts, je la ramènerai au jour, qu'elle me haïsse, me méprise, qu'elle se montre indifférente envers moi, qu'elle en aime un autre, je n'ai pas peur, mais remuez l'eau, interrompez le silence. M'affamer ainsi est une honte de ta part, toi qui pourtant t'imagines être plus forte que moi.


                     Le 6 Mai 

            Le printemps approche, tout est en train d'éclore, les jeunes filles aussi. Les manteaux sont mis de côté, mon manteau vert a probablement été rangé aussi. Voilà la connaissance de faire connaissance d'une jeune fille dans la rue et non pas dans le monde où on apprend tout de suite son nom et à quelle famille elle appartient, où elle habite et si elle est fiancée. Ce dernier point a une très grande importance comme renseignement pour tous les prétendants pondérés et posés, auxquels ne viendrait jamais l'idée de s'amouracher d'une jeune fille déjà fiancée. Un tel ours serait dans un mortel embarras à ma place, il serait complètement anéanti si ses efforts pour se procurer des renseignements étaient couronnés de succès et si, par-dessus le marché, il apprenait qu'elle était fiancée.
            Mais tout cela ne me donne pas beaucoup de soucis. La question des fiançailles ne constitue qu'une difficulté comique. Je ne crains ni les difficultés comiques ni celles qui sont tragiques. Les seules d'entre elles que je redoute sont les difficultés ennuyeuses. Jusqu'ici je n'ai pas pu me procurer un seul renseignement, bien qu'assurément je n'aie rien négligé et que, plusieurs fois, j'aie dû reconnaître la vérité des paroles du poète :
                                            Nox et hiems longoeque vioe, soevique dolores
                                            Mollibus his castris, et labor omnis inest. *
            Elle n'est peut-être pas du tout de Copenhague, mais de la campagne, peut-être, peut-être c'est à devenir fou de rage de tous ces peut-être, et plus il y a de ces peut-être, plus je le deviens. J'ai toujours l'argent prêt pour entreprendre le voyage. Je la cherche en vain au théâtre, aux concerts, aux bals, sur les promenades.
            En un sens, cela me fait plaisir. D'ordinaire, une jeune fille qui prend beaucoup part à ces amusements ne vaut pas d'être conquise. Il lui manque le plus souvent le caractère primitif qui, pour moi, constitue toujours une "  condition sine qua non ". Il est moins incompréhensible de trouver une Preciosa parmi les Tsiganes que dans ces parcs à bestiaux où des jeunes filles sont mises à l'encan, que ceci soit dit en toute innocence, bien entendu !

voir Ovide l'Art d'aimer


                                                                        à suivre..........

dimanche 21 février 2021

Révolte Charles Cros ( Poème France )

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                                      Révolte

            Absurde et ridicule à force d'être rose,
            A force d'être blanche, à force de cheveux
           Blonds, ondés, crépelés, à force d'avoir bleus
           Les yeux, saphirs trop vains de leur métempsychose.

            Absurde, puisqu'on n'en peut pas parler en prose,
            Ridicule, puisqu'on n'en a jamais vu deux,
            Sauf, peut-être, dans des keepsakes nuageux...
            Dépasser le réel ainsi, c'est de la pose.


            C'en est même obsédant, puisque le vert des bois
            Prend un ton d'émeraude impossible en peinture
            S'il sert de fond à ces cheveux contre nature.

            Et ces blancheurs de peau sont cause quelquefois
            Qu'on perdrait tout respect des blancheurs que le rite
            Classique admet : les lys, la neige. Ca m'irrite !


                                   Charles Cros