lundi 1 mars 2021

Le journal du Séducteur Sören Kierkegaard 4 ( Essai Danemark

 pinterest.fr






     




                       Le 12 Mai     

            Oui, mon enfant, pourquoi n'es-tu pas restée tout tranquillement sous la porte cochère ? Il n'y a absolument rien à dire contre une jeune fille qui y cherche refuge contre la pluie. Je le fais moi-même lorsque je n'ai pas de parapluie, même parfois quand j'en ai un, comme maintenant par exemple. Je peux, d'ailleurs, nommer plusieurs dames respectables qui n'ont pas hésité à le faire. On reste tout tranquille, on tourne le dos à la rue pour que les gens qui passent ne puissent même pas savoir si on y reste ou si on pénètre dans la maison. Par contre, il est imprudent de se cacher derrière une porte entrouverte, surtout à cause des conséquences car plus on se cache plus il est désagréable d'être surpris.  Mais si on est caché,on reste tout tranquille en se commettant à la garde de son bon génie et à celle de tous les anges, on s'abstient surtout de guetter au-dehors, afin de voir si la pluie a cessé. Car, si on veut s'en assurer, on fait un pas ferme en avant et on regarde le ciel avec sérieux. Mais si on avance la tête avec un peu de curiosité, timidement, avec anxiété et sans conviction et qu'on la retire rapidement, tout enfant comprendrait ce mouvement, on l'appelle jouer à cache-cache. Et moi qui participe toujours aux jeux je me retiendrais ? je ne répondrais pas quand on m'interpelle ?... timidement, avec anxiété et sans conviction et qu'on la retire rapidement, tout enfant comprendrait ce mouvement, on l'appelle jouer à cache-cache. Et moi qui participe toujours aux jeux je me retiendrais ? je ne répondrais pas quand on m'interpelle ?... timidement, avec anxiété et sans conviction et qu'on la retire rapidement, tout enfant comprendrait ce mouvement, on l'appelle jouer à cache-cache. Et moi qui participe toujours aux jeux je me retiendrais ? je ne répondrais pas quand on m'interpelle ?... 
            Ne croyez pas que je nourrisse quelque pensée offensante à votre égard, vous n'aviez pas la moindre arrière-pensée en avançant la tête, c'était fait de la manière la plus innocente. Mais, il ne faut pas non plus m'offenser en imagination, ni mon nom ni ma bonne réputation ne le souffrirait. De plus c'est vous qui avez commencé. Je vous conseille de ne jamais parler à personne de cet incident, le tort est de votre côté.
            Que pourrais-je faire d'autre que ce que n'importe quel gentilhomme aurait fait ? vous offrir mon parapluie.
            Qu'est-elle devenue ? magnifique ! elle s'est cachée dans l'entrée de la loge du concierge. C'est une jeune fille on ne peut plus charmante, gaie, joyeuse.
            " - Peut-être pourriez-vous me renseigner sur une jeune dame qui, à l'instant même, avançait la tête par cette porte, apparemment en peine d'un parapluie. C'est elle que nous cherchons, mon parapluie et moi. "
            Vous riez. Peut-être permettez-vous que je vous envoie mon valet demain pour le prendre, ou désirez-vous que je cherche une voiture ? - Il n'y a pas de quoi, ce n'est qu'une politesse toute naturelle.
            C'est une jeune fille des plus joyeuses que j'ai vue depuis longtemps, son regard est si enfantin et pourtant si crâne, sa manière d'être si charmante, si chaste et, cependant, elle est curieuse.
            " - Va en paix, mon enfant. Si aucun manteau vert n'existait, j'aurais bien pu désirer faire une connaissance plus intime. " 
            Elle passe par la Store Köbmagergade. Qu'elle était innocente et confiante, pas la moindre pruderie. Regardez comme elle marche d'un pas léger, comme elle remue la tête. Le manteau vert exige de l'abnégation.


                              Le 15 Mai

             Heureux hasard ! tous mes remerciements ! Elle se tenait droite et fière, mystérieuse et pensive comme un sapin qui, d'un seul jet, comme une seule pensée, jaillit des profondeurs de la terre et s'élève vers le ciel, et aussi énigmatique à lui-même, un tout indivisible. Le hêtre s'orne d'une couronne dont les feuilles savent raconter ce qui s'est passé au-dessous d'elles, le sapin n'a pas de couronne, il n'a pas d'histoire, il reste énigmatique à lui-même, elle était ainsi. Elle était cachée en elle-même, elle jaillissait du fond d'elle-même, il y avait en elle une fierté reposante semblable à l'envol hardi du sapin, bien que celui-ci soit cloué au sol. Une mélancolie se répandait sur elle, semblable au roucoulement du ramier, un profond désir sans objet. Elle était une énigme qui, énigmatiquement, possédait sa propre résolution, un secret, et que comptent bien tous les secrets des diplomates contre celui-ci ? contre cette énigme ? et quel mot est aussi beau que celui qui la résout ? Comme le langage est bien significatif, bien concis : résoudre ! quelle ambiguïté dans ce mot ! quelle beauté et quelle force ne possède-t-il pas dans toutes les combinaisons où il intervient ! Comme la richesse de l'âme est une énigme tant que la langue n'est pas déliée et l'énigme ainsi résolue, une jeune fille aussi est une énigme.
            Heureux hasard ! tous mes remerciements ! Si je l'avais vue en hiver, elle aurait sans doute été enveloppée dans le manteau vert, elle aurait peut-être été transie de froid et l'intempérie de la nature aurait amoindrie sa beauté. Mais à présent, quel bonheur ! Je l'ai d'abord aperçue au début de l'été, à l'époque la plus belle de l'année et dans la lumière d'un après-midi. L'hiver a bien aussi ses avantages. Une salle de danse brillamment éclairée, peut constituer un cadre flatteur pour une jeune fille en robe de bal. Mais il est rare qu'elle apparaisse là entièrement à son avantage, parce que, justement, tout semble le demander d'elle, demande qui, qu'elle y cède ou non, crée un effet gênant. En outre, tout vous donne l'impression du caractère éphémère de la situation et de sa vanité,et provoque une impatience qui rend le plaisir moins réconfortant. Il est des jours où je ne saurais me passer d'une salle de bal, car j'aime son luxe, sa surabondance sans prix de jeunesse et de beauté et son libre jeu des forces de toutes natures. Mais ce n'est alors pas tant la jouissance que je connais, je me plonge plutôt dans les possibilités. Ce n'est pas une unique beauté qui vous tient sous le charme, mais un ensemble. Une vision plane devant vos yeux, vision dans laquelle toutes ces figures féminines se confondent et où tous ces mouvements cherchent quelque chose, cherchent un repos dans une seule image qu'on ne voit pas.sa surabondance sans prix de jeunesse et de beauté et son libre jeu des forces de toutes natures. Mais ce n'est alors pas tant la jouissance que je connais, je me plonge plutôt dans les possibilités. Ce n'est pas une unique beauté qui vous tient sous le charme, mais un ensemble. Une vision plane devant vos yeux, vision dans laquelle toutes ces figures féminines se confondent et où tous ces mouvements cherchent quelque chose, cherchent un repos dans une seule image qu'on ne voit pas.sa surabondance sans prix de jeunesse et de beauté et son libre jeu des forces de toutes natures. Mais ce n'est alors pas tant la jouissance que je connais, je me plonge plutôt dans les possibilités. Ce n'est pas une unique beauté qui vous tient sous le charme, mais un ensemble. Une vision plane devant vos yeux, vision dans laquelle toutes ces figures féminines se confondent et où tous ces mouvements cherchent quelque chose, cherchent un repos dans une seule image qu'on ne voit pas.
            C'était sur le sentier qui mène de Nörreport à Oesterport, vers six heures et demie, le soleil avait perdu sa force, il n'en restait plus que le souvenir dans une douce lueur qui se répandait sur le paysage. La nature respirait plus librement. Le lac était calme, brillant comme une glace. Les paisibles villas de Blegdammen se reflétaient dans l'eau qui, jusqu'à une bonne distance de la rive était sombre comme du métal. Le sentier et les immeubles de l'autre côté du lac étaient faiblement éclairés par les rayons du soleil. Le ciel était clair et pur, un seul nuage léger glissait furtivement, sensible surtout quand on fixait les yeux sur le lac dans le miroir duquel il disparaissait peu à peu. Pas une feuille ne bougeait. 
            C'était elle. Mes yeux ne m'ont pas trompé, mais le manteau vert l'a fait. Bien que je m'y sois attendu depuis si longtemps, il m'a été impossible de dominer une certaine émotion dont l'élan et la chute étaient comme ceux de l'alouette lorsque sur les terres voisines elle s'élevait et se laissait tomber tout en chantant. Elle était seule. J'ai déjà oublié comment elle était habillée, mais maintenant je possède une image d'elle. Elle était seule, apparemment pas occupée d'elle-même mais de ses propres pensées.  Elle ne pensait pas, mais le travail silencieux de pensées tissait pour elle une image de désirs et de pressentiments, image inexplicable comme les multiples soupirs d'une jeune fille.
            Elle était à la fleur de son âge. Une jeune fille ne se développe pas dans ce sens comme un garçon, elle ne croît pas, elle naît. Un garçon commence immédiatement à se développer et met beaucoup de temps. Une jeune fille naît pendant longtemps et naît femme faite, mais l'instant de cette naissance arrive tard. C'est pourquoi elle naît deux fois, la seconde c'est lorsqu'elle se marie, ou plutôt à cet instant elle cesse de naître. Ce n'est qu'à ce moment-là qu'elle est née.
            Il n'y a pas que Minerve qui soit sorti du cerveau de Jupiter, toute venue à terme il n'y a pas que Vénus qui, dans tout son charme, soit sortie des ondes, toute jeune fille dont la féminité n'a pas encore été corrompue par ce qu'on appelle développement est ainsi. Elle ne s'éveille pas successivement, mais en une seule fois, et elle rêve d'autant plus longtemps, à condition que les gens ne soient pas assez sots pour la réveiller trop tôt. Cette rêverie est une richesse prodigieuse.
            Elle était occupée, non pas d'elle-même, mais en elle-même, et cette occupation était elle aussi reposante et paisible. C'est ainsi qu'une jeune fille est riche, et embrasser cette richesse vous rend riche. Elle est riche tout en ignorant qu'elle possède quelque chose. Elle est riche, elle est un trésor. 
            Une douce paix régnait sur elle et un peu de mélancolie. Elle était facile à soupeser avec les yeux, légère comme une Psychée portée par des génies, oui plus légère encore, car elle se portait elle-même. Que les doctrinaires disputent sur l'assomption, elle ne me semble pas inconcevable, car la Madone n'était plus de ce monde. Mais la légèreté d'une jeune fille, voilà qui est inintelligible, elle défie les lois de l'apesanteur. 
 oneartyminute.com                            
            Elle ne remarquait rien et ne se savait donc pas remarquée. Je me tenais à grande distance et je buvais son image des yeux. Elle marchait lentement, sa quiétude et le calme des choses environnantes ne furent troublés par aucune hâte. Un gosse qui pêchait était assis au bord du lac. Elle s'arrêta et regarda la surface de l'eau et le flotteur. Elle n'avait pas marché vite, mais elle chercha un peu de fraîcheur. Elle défit un petit foulard noué sous son châle autour du cou, une gorge blanche comme la neige et pourtant chaude et pleine fut entourée d'un souffle léger venu du lac.
            Le gosse ne semblait pas content d'être surveillé dans son travail de pêcheur et, en se retournant il la regardait d'un air assez flegmatique. Il faisait figue vraiment ridicule, et je ne peux pas la blâmer d'avoir fini par rire de lui. Quelle jeunesse dans son rire. Je suis sûr que si elle avait été seule avec lui elle n'aurait pas craint de se battre. Ses yeux étaient grands et rayonnants, en les regardant de près ils avaient un éclat sombre qui vous laissait deviner une profondeur insondable, car il était impossible d'yàpénétrer. Ils étaient purs et innocents, doux et calmes, pleins d'enjouement lorsqu'elle souriait. Son nez était finement courbé et, quand on la regardait de côté, il se retirait, pour ainsi dire, dans le front et devenait plus petit et un peu plus mutin. 
            Elle reprit sa marche, je la suivis. Il y avait heureusement plusieurs autres promeneurs sur le sentier. Echangeant des propos avec quelques-uns je la laissais prendre un peu d'avance et je la rattrapai bientôt, mais j'évitais ainsi la nécessité de marcher, à distance, aussi lentement qu'elle. Elle se dirigea vers Oesterport. Je désirais la voir de plus près sans être vu moi-même. Au coin il y avait une maison d'où je pouvais avoir la chance de réussir. Je connaissais la famille et il me suffit donc de faire une visite. Je la dépassais donc à grands pas, n'ayant absolument pas l'air de m'intéresser à elle. Je la devançai d'un bon bout de chemin, saluai la famille à la ronde, et pris possession de la fenêtre donnant sur le sentier. 
            Elle approchait et je la regardais et la regardais, tout en devisant avec les convives dans le salon. Son allure n'eut pas de mal à me convaincre qu'elle n'avait pas suivi les cours d'une école de danse de quelque importance, et cependant cette allure était imprégnée d'une certaine fierté et d'une noblesse simple, mais aussi d'un manque d'attention pour elle-même. Je l'ai aperçue encore une fois sans qu'au fond j'y aie compté. La vue de la fenêtre ne s'étendait pas très loin sur le sentier, mais je pouvais voir une passerelle sur le lac et, à mon grand étonnement je l'y découvris à nouveau.
            L'idée me vient qu'elle habite peut-être ces environs et que sa famille a peut-être loué un petit appartement pour l'été. Je commençais à regretter ma visite, craignant qu'elle ne revienne sur ses pas et de la perdre de vue. Oui, ce fait qu'elle apparut au bout extrême de la passerelle était comme un signe qu'elle allait disparaître pour moi, et puis elle reparut tout près. Elle avait passé devant la maison. Vite je saisis mon chapeau et ma canne pour essayer de la dépasser encore plusieurs fois et ensuite venir en arrière pour la suivre jusqu'à ce que je découvre où elle habite.
            Mais, dans ma hâte, j'ai la malchance de bousculer une dame servant le thé à la ronde. Un cri terrible s'élève. Je reste là avec mon chapeau et ma canne, avec le seul souci de me sauver, et pour donner un tour à l'histoire et motiver ma retraite, je m'exclame pathétiquement : comme Caïn je veux m'exiler de ce lieu qui a vu ce thé répandu. Mais, comme si tout conspirait contre moi, l'hôte a l'idée malheureuse de vouloir compléter ma remarque et jure ses grands dieux qu'il ne me sera pas permis de m'en aller avant d'avoir goûté une tasse de thé, avant d'avoir moi-même offert aux dames le thé répandu et ainsi tout réparé. Comme j'étais complètement convaincu que mon hôte dans ces circonstances considèrerait comme une politesse de se livrer à des voies de fait, il n'y avait d'autre issue que fe rester.
            Elle avait disparu.


                                                                   à suivre............

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire