dimanche 28 mars 2021

Le Journal du séducteur 8 Sören Kierkegaard ( Essai Danemark )

lepoint.fr






                    

            Voilà une jeune fille élégante et empesée qui arrive. Mais aussi c'est dimanche aujourd'hui...Tempérez-la un petit peu, éventez-la de fraîcheur, glissez doucement au-dessus de sa tête, enlacez-la en l'effleurant innocemment ! Oh ! que je devine le teint finement rosé de ses joues, les lèvres prennent un coloris plus prononcé, le sein se soulève... N'est-ce pas vrai ? ma petite, c'est une béatitude au-delà de toute expression que d'aspirer ce souffle si plein de fraîcheur ? Sa collerette se berce comme une feuille. Comme elle respire sainement et fortement. Sa marche se ralentit, elle est presque portée par la douce brise, comme une nuée, comme un rêve... Soufflez un peu plus, par des souffles plus longs !... Elle se recueille, les bras s'approchent du cou qu'elle couvre avec plus de précaution pour qu'aucun souffle ne soit assez indiscret pour se faufiler lestement et fraîchement sous le léger tissu... Elle rougit plus sainement, les joues prennent plus d'ampleur, les yeux sont plus transparents, la marche plus rythmée. Toute tribulation embellit les êtres. Toute jeune fille devrait s'éprendre des zéphyrs, car aucun homme ne sait tout de même mieux qu'eux relever sa beauté tout en luttant avec elle... Elle se penche un peu, la tête est tournée vers la pointe des pieds... Arrêtez-vous un peu ! C'est trop, sa taille s'élargit, elle perd sa belle sveltesse... Eventez-la un peu !... N'est-ce pas vrai, ma petite. Il est fortifiant quand on s'est échauffé de sentir ces légers frissons rafraîchissants, on serait enclin à ouvrir ses bras de gratitude, de joie de vivre... Elle se tourne de côté. Vite alors un souffle vigoureux pour que je puisse deviner la beauté des formes !...  Plus de vigueur ! pour que l'étoffe épouse mieux les formes... C'est trop ! Son attitude n'est plus belle, et son pas leste est gêné... Elle se retourne à nouveau... Maintenant, soufflez davantage, qu'elle s'essaie !... C'est assez, c'est trop : une de ses boucles tombe... je vous prie, maîtrisez-vous ! Et voilà tout un régiment qui approche :
                                        Die eine ist verliebt gar sehr
                                        Die andre wäre es gerne.
                  Oui, c'est indéniablement un piètre emploi dans la vie que de se promener avec son futur beau-frère au bras gauche. Pour une jeune fille cela représente à peu près ce que signifie pour un homme le poste de commis auxiliaire... Mais le commis auxiliaire peut avancer il a, en outre sa place au bureau, il est présent aux occasions exceptionnelles. Mais le lot d'une belle-sœur ? Par contre son avancement se fait avec moins de lenteur, à ce moment-là, lorsqu'elle a son avancement et change de place dans les bureaux... Maintenant, soufflez, soufflez un peu plus vite ! Lorsqu'on a un appui bien ferme, on sait bien résister... le centre s'avance fortement, les ailes ne peuvent pas suivre... Il est assez solidement campé, le vent ne peut pas l'ébranler, il est trop lourd, mais il est aussi trop lourd pour que les ailes puissent le soulever de terre. Il fonce en avant afin de montrer, quoi ?... qu'il est un corps lourd, mais plus il reste immobile, plus les jeunes filles en souffrent.
            Mes belles dames, permettez-moi un bon conseil, s'il vous plaît : plantez-la votre futur mari, votre futur beau-frère, essayez-vous toutes seules, et vous verrez le plaisir que vous en aurez... maintenant soufflez un peu plus doucement !... comme elles se débattent dans les vagues du vent : tantôt elles se trouvent les unes en face de l'autre en s'envolant des deux côtés de la rue. Une musique de danse quelconque peut-elle produire une gaieté plus joyeuse ? et cependant le vent n'épuise pas, il fortifie. Maintenant elles se ruent d'un train de tempête et à pleines voiles le long de la rue. Une valse quelconque peut-elle de manière plus séduisante griser une jeune fille, et le vent ne fatigue pas, mais porte... N'est-ce pas ? un peu de résistance est agréable, on se bat volontiers pour entrer en possession de ce qu'on aime, et on atteint sûrement ce pour quoi on se bat. Il y a une Providence qui vient en aide à l'amour, et voilà pourquoi l'homme a le vent arrière... 
            Ne l'ai-je pas bien arrangé . Lorsqu'on a soi-même le vent arrière il est facile de doubler le bien-aimé, mais si on a vent debout le mouvement devient agréable et on se réfugie auprès de lui. Le souffle du vent vous rend plus saine, plus attrayante, plus séduisante, il rafraîchit ce que les lèvres doivent donner et qui, de préférence, doit être dégusté froid, parce que c'est si brûlant, de même que le champagne chauffe tout en glaçant presque... Comme elles rient, comme elles bavardent, et le vent enlève les mots, et de quoi parler aussi ? Elles rient à nouveau et s'inclinent devant le vent, retiennent leurs chapeaux et surveillent les pieds.
            Arrêtez maintenant pour que les jeunes filles ne s'impatient pas et se fâchent contre nous, ou prennent peur de nous ! C'est parfait, résolue et puissante, la jambe droite en avant !... Quel regard hardi et crâne elle jette à la ronde... Si je vois juste, elle donne bien le bras à quelqu'un, elle est donc fiancée.
  *          Voyons, mon enfant, quelle étrenne l'arbre de Noël de la vie t'a offerte... Ah ! oui, il a bien l'air d'être un fiancé de tout repos. Elle est donc au premier stade des fiançailles, elle l'aime, c'est bien possible, mais son amour voltige librement autour de lui en cercles vastes et spacieux. Elle possède encore ce manteau de l'amour qui peut en envelopper beaucoup d'autres... Un peu plus de souffle, mes amis !... Oui, quand on marche si vite il n'est pas étonnant que les brides du chapeau se serrent pour résister au vent, que celles-ci flottent au gré des caprices du vent, de même que cette figure légère, et son amour, comme un voile d'elfes. Oui, lorsqu'on regarde l'amour ainsi, il a l'air d'être assez extensible, mais lorsqu'il faut s'en revêtir, lorsque le voile doit être refait en une robe de tous les jours, alors on ne peut pas s'offrir le luxe de beaucoup de bouffants
            Eh, mon Dieu ! si on a le courage de risquer un pas décisif pour toute la vie, n'aurai-t-on pas le courage aussi d'aller directement contre le vent? Qui en doute ? pas moi. Mais du calme, ma petite demoiselle, du calme. Le temps châtie durement, et le vent aussi peut être dur... Taquinez-la un peu !... Qu'est devenu le mouchoir ?... Ah bien ! Vous l'avez tout de même retrouvé... Et voilà l'une des bribes du chapeau qui se dsserre... que c'est désagréable en présence de votre futur... Là, une amie arrive qu'il faut saluer. C'est la première fois qu'elle vous voit depuis que vous êtes fiancée, et c'est bien pour vous montrer comme telle que vous vous promenez ici dans la Bredgade et avec l'intention de vous rendre ensuite à Langelinie. Autant que je sache, les nouveaux mariés ont pour habitude d'aller à l'église le premier dimanche après le mariage, tandis que les fiancés vont à Langekinie. Oui, aussi les fiançailles ont beaucoup en commun avec Langelinie.
            Maintenant, prenez garde, le vent attrape le chapeau, retenez-le un peu, penchez la tête. Quelle fatalité ! vous n'avez pas du tout pu saluer votre amie, il vous manquait le calme qui permet à une jeune fiancée, avec la mine altière requise, de saluer les non-fiancées... Soufflez maintenant un peu plus doucement !... Les jours meilleurs approchent... Comme elle s'accroche au bien-aimé, elle est si loint devant lui qu'elle peut retourner la tête, lever les yeux vers lui et s'en réjouir, lui qui est son trésor, son boheur, son espérance, son avenir... Oh ! ma petite, tu exagères... car, n'est-ce pas grâce à moi et au vent qu'il a une mine si superbe ? Et n'est-ce pas également grâce à moi et à la douce brise qui, à présent, te guérit et te fait oublier ta douleur que toi-même paraîs être si saine de corps et d'esprit, et si pleine d'espérance et de pressentiments ?
                                                 Og jeg vil ikke have en Student,
                                                  Som ligger og loeser om Natten,
                                                  Men jeg vil have en Officer,
                                                   Som agaaer med Fjer udi Hatten.
            On le voit tout de suite en te regardant, ma petite, il y a quelque chose dans ton regard. Non, un étudiant ne fait nullement ton affaire... Mais pourquoi justement un officier ? Un licencié ayant terminé ses années d'études ne pourrait-il faire aussi bien ?... Toutefois, pour le moment, je ne peux vous fournir ni un officier, ni un licencié. Mais je peux t'envoyer quelques souffles tempérés et rafraîchissants... Soufflez un peu plus !... Très bien, rejette le châle sur ton épaule, va tout lentement, les joues pâliront bien un peu et l'éclat des yeux sera moins ardent !... C'est cela, un peu de mouvement, surtout dans un temps aussi délicieux qu'aujourd'hui, et enfin un peu de patience, avec cela vous aurez bien votre officier.
            Les deux qui viennent là sont bien accouplés. Quel mouvement soutenu, quelle sûreté dans toute la tenue qui témoigne d'une confiance réciproque, quelle " harmonia praestabilita" dans tous les mouvements, quelle belle suffisance ! Leurs attitudes manquent de légèreté et de grâce, ils ne dansent pas l'un avec l'autre, non, il y a en eux de la durée, de la franchise, sources d'un espoir infaillible et qui inspirent l'estime réciproque. Je parie que leur conception de la vie se réduit à ceci : la vie est un chemin. Aussi ils semblent destinés à se promener bras dessus bras dessous à travers les joies et les chagrins de la vie. Ils s'accordent si bien que la dame a renoncé à son privilège sur les dalles du trottoir..
Mais, chers zéphyrs, pourquoi vous affairez tellement avec ce couple qui ne semble pas mériter votre attention ? Y aurait-il quelque chose de particulier à remarquer ? Mais il est une heure et demie, en route pour Höjbroplads !


            On ne croirait pas possible de prévoir avec justesse et dans ses moindres détails l'histoire du développement intime d'un être. Cela montre combien Cordélia est saine de corps et d'esprit. Oui, c'est vrai, c'est une excellente jeune fille. Bien que placide, modeste et simple. Inconsciemment elle a en elle une énorme exigence. Tout cela m'a frappé aujourd'hui en la voyant entrer par la porte extérieure de la maison. Le peu de résistance qu'une bouffée de vent peut faire semble éveiller toutes les puissances en elle, sans pourtant qu'une lutte intérieure se produise. Elle n'est pas une petite jeune fille insignifiante qui disparaît entre les doigts, ni si frêle qu'on a presque peur de la voir se casser si on la regarde, mais elle n'est pas non plus une fleur de luxe pleine de prétentions. C'est pourquoi je peux comme un médecin avoir plaisir à observer tous les symptômes de cette histoire d'une bonne santé.


            Peu à peu mes attaques s'approchent d'elle, deviennent plus directes. Si je devais indiquer ce changement de tactique dans mes rapports avec la famille, je dirais que j'ai tourné ma chaise de façon à la voir de côté. Je m'occupe un peu plus d'elle, je lui adresse la parole, je lui arrache des réponses. Son âme est passionnée, violente et sans que des réflexions insensées et vaines l'aient aiguisées vers les bizarreries, elle ressent un besoin d'exceptionnel. Mon ironie sur la méchanceté des hommes, ma raillerie de leur lâcheté et de leur tiède indolence l'intéressent. Elle aime, je crois, à conduire le char du Soleil à travers la voûte du ciel, à s'approcher trop de la terre et à griller un peu les hommes. Mais elle n'a pas confiance en moi et jusqu'ici j'ai mis obstacle à toute tentative de rapprochement, même spirituel. Il faut qu'elle prenne plus de force en elle-même avant que je la laisse s'appuyer sur moi. Par intervalles on pourrait bien avoir l'impression que c'est d'elle que j'aimerais faire une confidente dans ma franc-maçonnerie, mais aussi ce n'est que par intervalles. Son développement doit se faire en elle-même, elle doit se rendre compte du ressort de son âme, elle doit s'essayer à soupeser le monde. Ce qu'elle a à dire, et ses yeux me montrent aisément les progrès qu'elle fait. Une seule fois j'y ai aperçu une rage
d'anéantissement. Il faut qu'elle ne me soit redevable de rien, car elle doit se sentir libre, l'amour ne se trouve que dans la liberté, et ce n'est qu'en elle qu'il y a de la récréation et de l'amusement éternel. Car, bien que je vise à ce que par la force des choses, pour ainsi dire, elle tombe dans mes bras et que je     * m'efforce à la faire graviter vers moi, il faut pourtant aussi qu'elle ne tombe pas lourdement, mais comme l'esprit qui gravite vers l'esprit. Bien qu'elle doive m'appartenir, cela ne doit pas s'identifier avec la laideur d'un fardeau qui pèse sur moi. 
            Elle ne doit pas non plus m'être une attache au physique qu'au moral une obligation. Seul le jeu propre de la liberté doit régner entre nous deux. Elle doit être assez légère pour que je puisse la prendre, moi, à bout de bras.
                                                                                                                       
            Cordélia occupe presque trop mon esprit. Je perds de nouveau mon équilibre, non pas devant elle lorsqu'elle est présente mais, au sens le plus strict, lorsque je suis seul avec elle. Il m'arrive de soupirer après elle, non pour parler avec elle mais pour laisser son image planer devant mes yeux. Je peux me glisser après elle lorsque je sais qu'elle est sortie, non pour être vu mais, pour la voir. 
            L'autre soir nous sommes partis ensemble de chez les Baxter, Edouard l'accompagnait. Je me suis séparé d'eux et me suis enfui par une autre rue ou mon valet m'attendait. En moins de rien je me suis changé et je l'ai rencontrée une seconde fois sans qu'elle s'en doute. Edouard était muet, comme toujours. 
            Je suis bien amoureux, bien sûr, mais non pas au sens propre et, à cet égard, il faut aussi être très prudent, car les conséquences sont toujours dangereuses, et on ne l'est qu'une seule fois, n'est-ce pas ?
            Mais le dieu de l'amour est aveugle, et si on est malin on réussit bien à le duper. Par rapport aux impressions, l'art consiste à être aussi réceptif que possible et à savoir celle qu'on fait sur toute jeune fille et celle qu'elles vous font.
            On peut ainsi être amoureux de maintes à la fois, parce qu'on les aime de différentes façons. 
            Aimer une seule est trop peu. Aimer toutes est une légèreté de caractère superficiel. Mais se connaître soi-même et en aimer un aussi grand nombre que possible, enfermer dans son âme toutes les puissances de l'amour de manière que chacune d'elles reçoive son aliment approprié, en même temps que la conscience englobe le tout, voilà la jouissance, voilà qui est fourbe.


                               3 juillet.

            Au fond, Edouard ne peut pas se plaindre de moi. Il est bien vrai que je veux que Cordélia tombe amoureuse de lui, que grâce à lui elle se dégoûte de l'amour pur et simple et que par là elle dépasse ses propres limites. Mais pour cela il faut justement qu'Edouard ne soit pas une caricature, sinon c'est inutile. Non seulement Edouard est, dans l'estime générale, un bon parti, aux yeux de Cordélia cela ne signifie rien, car une jeune fille de dix-sept ans ne regarde pas à ces choses-là, mais il possède personnellement plusieurs qualités affables, et je fais de mon mieux pour les lui faire valoir. Comme une habilleuse, comme un décorateur, je l'équipe aussi bien que possible, selon ses moyens. Oui, parfois je l'affuble même d'un peu de luxe emprunté. Alors, en nous rendant ensemble chez Cordélia, il m'est tout à fait drôle de marcher à côté de lui. C'est comme s'il était mon frère, mon fils, et pourtant il est mon ami, de mon âge, il est une rivale. Mais il ne pourra jamais devenir dangereux pour moi. Par conséquent, plus je l'élève, lui qui après tout doit tomber, mieux et plus s'élève en Cordélia la conscience de ce dont elle fait fi, avec plus d'ardeur elle devine ce qu'elle désire. Je l'aide à se tirer d'affaire, je le recommande, bref, je fais tout ce qu'un ami peut faire pour un ami.
            Pour bien mettre ma froideur en relief, je déclame presque contre Edouard. Je le décris comme un rêveur. Comme Edouard ne sait pas du tout marcher par lui. -même, il faut que je le place en évidence.
            Cordélia me hait et me craint. Qu'est-ce qu'une jeune fille peut craindre ? L'esprit. Pourquoi ? Parce que l'esprit constitue la négation de toute son existence féminine. La beauté masculine, une nature prenante, etc. sont de bons moyens. Ils servent aussi à faire des conquêtes, mais ne peuvent jamais gagner une victoire complète. Pourquoi ? parce qu'on guerroie contre une jeune fille dans sa propre puissance, et là elle est toujours la plus forte. Ces moyens peuvent servir à faire rougir une jeune fille, à lui faire baisser les yeux, mais jamais à provoquer cette angoisse indescriptible et captieuse qui rend sa beauté intéressante.

            Non formosus erat, sed erat facundus Ulixes,
            Et tamen aequoreas torsit amore Deas.

            Enfin, chacun doit connaître ses forces. Mais j'ai souvent été révolté de voir que même ceux qui sont doués se comportent avec tant de maladresse. Au fond, chez toute jeune fille victime de l'amour d'un autre ou, plutôt, du sien propre, on devrait pouvoir discerner immédiatement, en la regardant, dans quel sens elle a été dupée. Un assassin rompu au métier porte toujours ses coups de la même façon, et une police experte reconnaît tout de suite l'auteur du crime en regardant la blessure. 
            Mais où rencontre-t-on de tels séducteurs systématiques ou de tels psychologues ? Séduire une jeune fille signifie pour la plupart des gens : séduire une jeune fille et tout est dit. Et, pourtant, tout un langage se cache dans cette pensée.

            Comme femme elle me hait. Comme femme douée, elle me craint. Comme intelligence éveillée, elle m'aime. C'est d'abord cette lutte que j'ai provoquée dans son âme. Ma fierté, mon obstination, ma raillerie froide, mon ironie sans cœur la tentent, non comme si elle était encline à m'aimer, non, il n'y a assurément pas là la moindre trace de tels sentiments en elle, surtout pas à mon égard.
            Elle veut rivaliser avec moi. La fière indépendance envers les hommes, une liberté comme celle des Arabes dans le désert la tentent. Mon rire et mon excentricité neutralisent toute manifestation érotique. Elle est assez libre avec moi, et pour la réserve elle est plus intellectuelle que féminine. Elle est si loin de voir en moi un amant que nos rapports ne sont autres que ceux qui existent entre deux fortes têtes. Elle me prend la main et me la serre, elle rit et me marque un intérêt au sens purement grec.
            L'ironiste et le railleur l'ayant alors mystifiée assez longtemps, je suis la directive de la vieille chanson : le chevalier déploie sa capote d'un rouge si vif et prie la belle demoiselle de s'y asseoir. Mais je ne déploie pas ma capote afin de rester assis dessus avec elle sur la pelouse, mais afin de disparaître avec elle dans les airs, dans l'envol de la pensée. Ou je ne l'amène pas avec moi, mais j'enfourche une pensée, lui envoie des saluts avec la main et un baiser, je deviens invisible pour elle et audible seulement par le bruit de la parole ailée. Je ne deviens pas, grâce à la voix, de plus en plus visible comme Yahweh, mais de moins en moins, car plus je parle, plus je monte. Et alors elle veut me suivre, se mettre en route pour l'envol hardi des pensées. Mais ce n'est qu'un instant, car l'instant d'après je suis froid et sec.


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                                                                         à suivre................

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