mardi 29 mars 2022

La Reine Hortense Guy de Maupassant ( Nouvelle France )

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                                                  La Reine Hortense

            On l'appelait, dans Argenteuil, la Reine Hortense. Personne ne sut jamais pourquoi. Peut-être parce qu'elle parlait ferme comme un officier qui commande ? Peut-être parce qu'elle était grande, osseuse, impérieuse ? Peut-être parce qu'elle gouvernait un peuple de bêtes domestiques, poules, chiens, chats, serins et perruches, de ces bêtes chères aux vieilles filles ? Mais elle n'avait pour ces animaux familiers ni gâteries, ni mots mignards, ni ces puériles tendresses qui semblent couler des lèvres des femmes sur le poil velouté du chat qui ronronne. Elle gouvernait ses bêtes avec autorité, elle régnait.
            C'était une vieille fille, en effet, une de ces vieilles filles à la voix cassante, au geste sec, dont l'âme semble dure. Elle n'admettait jamais ni contradiction, ni réplique, ni hésitation, ni nonchalance, ni paresse, ni fatigue. Jamais on ne l'avait entendu se plaindre, regretter quoi que ce fût, envier n'importe qui. Elle disait: " Chacun sa part " avec une conviction de fataliste. Elle n'allait pas à l'église, n'aimait pas les prêtres, ne croyait guère à Dieu, appelant toutes les choses religieuses de la " marchandise à pleureurs. "
            Depuis trente ans qu'elle habitait sa petite maison, précédée d'un petit jardin longeant la rue, elle n'avait jamais modifié ses habitudes, ne changeant que ses bonnes impitoyablement, lorsqu'elles prenaient vingt et un ans.
            Elle remplaçait sans larmes et sans regrets ses chiens, ses chats et ses oiseaux quand ils mourraient de vieillesse ou d'accident, et elle enterrait les animaux trépassés dans une platebande, au moyen d'une petite bêche, puis tassait la terre dessus de quelques coups de pied indifférents.
            Elle avait dans la ville quelques connaissances, des familles d'employés dont les hommes allaient à Paris tous les jours. De temps en temps, on l'invitait à venir prendre une tasse de thé le soir. Elle s'endormait inévitablement dans ces réunions, il fallait la réveiller pour qu'elle retournât chez elle. Jamais elle ne permit à personne de l'accompagner, n'ayant peur ni le jour ni la nuit. Elle ne semblait pas aimer les enfants.
            Elle occupait son temps à mille besognes de mâle, menuisant, jardinant, coupant le bois avec la scie ou la hache, réparant sa maison vieillie, maçonnant même quand il le fallait.
            Elle avait des parents qui la venaient voir deux fois l'an : les Cimme et les Colombel, ses deux sœurs ayant épousé l'une un herboriste, l'autre un petit rentier. Les Cimme n'avaient pas de descendants les Colombel en possédaient trois : Henri, Pauline et Joseph. Henri avait vingt ans, Pauline dix-sept et Joseph trois ans seulement, étant venu alors qu'il semblait impossible que sa mère fût encore féconde.
            Aucune tendresse n'unissait la vieille fille à ses parents.                   warnerbros.fr 
            Au printemps de l'année 1882, la reine Hortense tomba malade tout à coup. Les voisins allèrent chercher un médecin qu'elle chassa. Un prêtre s'étant alors présenté, elle sortit de son lit à moitié nue pour le jeter dehors.
            La petite bonne, éplorée, lui faisait de la tisane.
            Après trois jours de lit, la situation parut devenir si grave, que le tonnelier d'à côté, d'après le conseil du médecin, rentré d'autorité dans la maison, prit sur lui d'appeler les deux familles.
            Elles arrivèrent par le même train vers dix heures du matin, les Colombel ayant amené le petit Joseph.
            Quand elles se présentèrent à l'entrée du jardin, elles aperçurent d'abord la bonne qui pleurait, sur une chaise, contre le mur.
            Le chien dormait sur le paillasson de la porte d'entrée, sous une brûlante tombée de soleil ; deux chats, qu'on eût crus morts, étaient allongés sur le rebord des deux fenêtres, les yeux fermés, les pattes et la queue tout au long étendues.
            Une grosse poule gloussante promenait un bataillon de poussins, vêtus de duvet jaune, léger comme de la ouate, à travers le petit jardin ; et une grande cage accrochée au mur, couverte de mouron, contenait un peuple d'oiseaux qui s'égosillaient dans la lumière de cette chaude matinée de printemps.
            Deux inséparables dans une autre cagette de forme de chalet restaient bien tranquilles, côte à côte sur leur bâton.
            M. Cimme, un très gros personnage soufflant, qui entrait toujours le premier partout, écartant les autres, hommes ou femmes, quand il le fallait, demanda :
            - Eh bien ! Céleste, ça ne va donc pas ?
            La petite bonne gémit à travers ses larmes :
            - Elle ne me reconnaît seulement plus. Le médecin dit que c'est la fin.
            Tout le monde se regarda.
             Mme Cimme et Mme Colombel s'embrassèrent instantanément, sans dire un mot. Elles se ressemblaient beaucoup, ayant toujours porté des bandeaux plats et des châles rouges, des cachemires français éclatants comme des brasiers.
                                                                  Cimme se tourna vers son beau-frère : 
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             Mais personne n'osait pénétrer dans la chambre de la mourante située au rez-de-chaussée. Cimme lui-même cédait le pas. Ce fut Colombel qui se décida le premier, et il entra en se balançant comme un mât de navire, faisant sonner sur les pavés le fer de sa canne.
            Les deux femmes se hasardèrent ensuite, et M. Cimme ferma la marche.
            Le petit Joseph était resté dehors, séduit par la vue du chien.
            Un rayon de soleil coupait en deux le lit, éclairant tout juste les mains qui s'agitaient nerveusement, s'ouvrant et se refermant sans cesse. Les doigts remuaient comme si une pensée les eût animés, comme s'ils eussent signifié des choses, indiqué des idées, obéi à une intelligence. Tout le reste du corps restait immobile sous le drap. La figure anguleuse n'avait pas un tressaillement. Les yeux demeuraient fermés.
            Les parents se déployèrent en demi-cercle et se mirent à regarder, sans dire un mot, la poitrine serrée, la respiration courte. La petite bonne les avait suivis et larmoyait toujours.
            A la fin, Cimme demanda !
            - Qu'est-ce que dit au juste le médecin ?
            La servante balbutia :
            - Il dit qu'on la laisse tranquille, qu'il n'y a plus rien à faire.
            Mais, soudain les lèvres de vieille fille se mirent à s'agiter. Elles semblaient prononcer des mots silencieux, des mots cachés dans cette tête mourante, et ses mains précipitaient leur mouvement singulier.
            Tout à coup elle parla d'une petite voix maigre qu'on ne lui connaissait pas, d'une voix qui semblait venir de loin, du fond de ce cœur toujours fermé peut-être ?
            Cimme s'en alla sur la pointe du pied, trouvant pénible ce spectacle. Colombel, dont la jambe estropiée se fatiguait, s'assit.
            Les deux femmes restaient debout.
            La reine Hortense babillait maintenant très vite sans qu'on comprît rien à ses paroles. Elle prononçait des noms, appelait tendrement des personnes imaginaires.
            " - Viens ici, mon petit Philippe, embrasse ta mère. Tu l'aimes bien ta maman, dis, mon enfant ?
Toi, Rose, tu vas veiller sur ta petite sœur pendant que je serai sortie. Surtout, ne la laisse pas seule, tu m'entends ? Et je te défends de toucher aux allumettes. "
            Elle se taisait quelques secondes puis d'un ton plus haut, comme si elle eût appelé: " Henriette !" Elle attendait un peu et reprenait : " Dis à ton père de venir me parler avant d'aller à son bureau. " Et soudain : " Je suis un peu souffrante aujourd'hui, mon chéri ; promets-moi de ne pas revenir tard. Tu diras à ton chef que je suis malade. Tu comprends qu'il est dangereux de laisser les enfants seuls quand je suis au lit. Je vais te faire pour le dîner un plat de riz au sucre. Les petits aiment beaucoup cela. C'est Claire qui sera contente ! "
            Elle se mettait à rire, d'un rire jeune et bruyant, comme elle n'avait jamais ri : " Regarde Jean, quelle drôle de tête il a. Il s'est barbouillé avec les confitures, le petit sale ! Regarde donc, mon chéri, comme il est drôle ! "
            Colombel, qui changeait de place à tout moment sa jambe fatiguée par le voyage, murmura :
            - Elle rêve qu'elle a des enfants et un mari, c'est l'agonie qui commence.
            Les deux sœurs ne bougeaient toujours point, surprises et stupides.
            La petite bonne prononça :
            - Faut retirer vos châles et vos chapeaux, voulez-vous passer dans la salle ?
            Elles sortirent sans avoir prononcé une parole. Et Colombel les suivit en boîtant, laissant de nouveau toute seule la mourante.
            Quand elles se furent débarrassées de leurs vêtements de route, les femmes s'assirent enfin. Alors un des chats quitta la fenêtre, s'étira, sauta dans la salle, puis sur les genoux de Mme Cimme, qui se mit à le caresser.
            On entendait à côté la voix de l'agonisante, vivant, à cette heure dernière, la vie qu'elle avait attendue sans doute, vivant ses rêves eux-mêmes au moment où tout allait finir pour elle.
            Cimme, dans le jardin, jouait avec le petit Joseph et le chien, s'amusant beaucoup, d'une gaieté de gros homme aux champs, sans aucun souvenir de la mourante.
             Mais tout à coup il rentra, et, s'adressant à la bonne :
             - Dis donc, ma fille, tu vas nous faire à déjeuner. Qu'est-ce que vous allez manger, Mesdames ?
             On convint d'une omelette aux fines herbes, d'un morceau de faux-filet avec des pommes nouvelles, d'un fromage et d'une tasse de café.
            Et comme Mme Colombel fouillait dans sa poche pour chercher son porte-monnaie, Cimme l'arrêta : puis, se tournant vers la bonne ;
            - Tu dois avoir de l'argent ?                                                                    123rf.com  
            Elle répondit :                                                                                                     
            - Oui, Monsieur.
            - Combien ?
            - Quinze francs.
            - Ca suffit. Dépêche-toi, ma fille, car je commence à avoir faim.
            Mme Cimme, regardant au-dehors les fleurs grimpantes baignées de soleil, et deux pigeons amoureux sur le toit en face, prononça d'un air navré :
            - C'est malheureux d'être venu pour une aussi triste circonstance. Il ferait bien bon dans la campagne aujourd'hui.
            Sa sœur soupira sans répondre, et Colombel murmura ému peut-être par la pensée d'une 
marche :
            - Ma jambe me tracasse bougrement :
            Le petit Joseph et le chien faisaient un bruit terrible : l'un poussant des cris de joie, l'autre aboyant éperdument. Ils jouaient à cache-cache autour des plates-bandes, courant l'un après l'autre comme deux fous.
            La mourante continuait à appeler ses enfants, causant avec chacun, s'imaginant qu'elle les habillait, qu'elle les caressait, qu'elle leur apprenait à lire : " Allons, Simon, répète : ABCD. Tu ne dis pas bien, voyons, DDD, m'entends-tu ? Répète alors... "
            Cimme prononça :
            - C'est curieux ce que l'on dit à ces moments-là.
            Mme Colombel alors demanda : 
            - Il vaudrait peut-être mieux retourner auprès d'elle.
            Mais Cimme aussitôt l'en dissuada :
            - Pourquoi faire, puisque vous ne pouvez rien changer à son état ? Nous sommes aussi bien ici.
            Personne n'insista. Mme Cimme considéra les deux oiseaux verts, dits inséparables. Elle loua en quelques phrases cette fidélité singulière et blâma les hommes de ne pas imiter ces bêtes. Cimme se mit à rire, regarda sa femme, chantonna d'un air goguenard : "Tra-la-la- tra-la-la ", comme pour laisser entendre bien des choses sur sa fidélité, à lui, Cimme.
            Colombel, pris maintenant de crampes d'estomac, frappait le pavé de sa canne.
            L'autre chat entra la queue en l'air.
            On ne se mit à table qu'à une heure.
            Dès qu'il eut goûté au vin, Colombel à qui on avait recommandé de ne boire que du bordeaux de choix, rappela la servante :
            - Dis donc, ma fille, est-ce qu'il n'y a rien de meilleur que cela dans la cave ?
            - Oui, Monsieur, il y a du vin fin qu'on vous servait quand vous veniez.
            - Eh bien ! va nous en chercher trois bouteilles.
            On goûta ce vin qui parut excellent ; non pas qu'il provint d'un cru remarquable, mais il avait quinze ans de cave. Cimme déclara :
            -  C'est du vin de malade.
            Colombel, saisi d'une envie ardente de posséder ce bordeaux, interrogea de nouveau la bonne :
            - Combien en reste-t-il, ma fille ?
            - Oh ! presque tout, Monsieur ; Mam'zelle n'en buvait jamais. C'est le tas du fond.
            Alors il se tourna vers son beau-frère
          - Si vous vouliez, Cimme, je vous reprendrais ce vin-là pour autre chose, il convient merveilleusement à mon estomac.
            La poule était entrée à son tour avec son troupeau de poussins ; les deux femmes s'amusaient à lui jeter des miettes.
           On renvoya au jardin Joseph et le chien qui avaient assez mangé.
            La reine Hortense parlait toujours, mais à voix basse maintenant, de sorte qu'on ne distinguait plus les paroles
            Quand on eut achevé le café, tout le monde alla constater l'état de la malade. Elle semblait calme.
            On ressortit et on s'assit en cercle dans le jardin pour digérer.
            Tout à coup le chien se mit à tourner autour des chaises de toute la vitesse de ses pattes, portant quelque chose en sa gueule. L'enfant courait derrière éperdument. Tous deux disparurent dans la maison
            Cimme s'endormit le ventre au soleil.
            La mourante se remit à parler. Puis, tout à coup, elle cria.
            Les deux femmes et Colombel s'empressèrent de rentrer pour voir ce qu'elle avait. Cimme, réveillé, ne se dérangea pas, n'aimant point ces choses-là.
            Elle s'était assise, les yeux hagards. Son chien, pour échapper à la poursuite du petit Joseph, avait sauté sur le lit, franchit l'agonisante ; et, retranché derrière l'oreiller, il regardait son camarade de ses yeux luisants, prêt à sauter de nouveau pour recommencer la partie. Il tenait à la gueule une des pantoufles de sa maîtresse, déchirée à coups de crocs, depuis une heure qu'il jouait avec.
            L'enfant, intimidé par cette femme dressée soudain devant lui, restait immobile en face de la couche.
            La poule, entrée aussi, effarouchée par le bruit, avait sauté sur une chaise ; et elle appelait désespérément ses poussins qui pépiaient, effarés, entre les quatre jambes du siège.
            La reine Hortense criait d'une voix déchirante :
            " - Non, non, je ne veux pas mourir, je ne veux pas ! je ne veux pas ! Qui est-ce qui élèvera mes enfants ? Qui les soignera ? Qui les aimera ? Non, je ne veux pas !... je ne... "
            Elle se renversa sur le dos. C'était fini.
            Le chien, très excité, sauta dans la chambre en gambadant.
            Colombel courut à la fenêtre, appela son beau-frère :
            - Arrivez vite, arrivez vite. Je crois qu'elle vient de passer.
            Alors Cimme se leva et, prenant son parti, il pénétra dans la chambre en balbutiant :
            - C'a été moins long que je n'aurais cru.


                                                              Guy de Maupassant

                                               ( nouvelle parue en avril 1883 dans Gil Blas )
                 
            
            




























             



   


























































jeudi 24 mars 2022

Dans la tête de Poutine Michel Eltchaninoff ( Document France )

Dans la tête de Poutine     

Ecrit par le philosophe Michel Eltchaninoff, " Dans la tête de Vladimir Poutine ", est surtout une biographie succincte. Ne pas lire ici de critique politique. Lorsque Eltchaninoff nous décrit Vladimir Poutine lecteur des auteurs russes principalement, puis de Kant et de Hegel, pourquoi ne pas connaitre davantage la personnalité du personnage. On apprend donc, entre autres, que son père fut un temps cuisinier de Staline. Mais surtout son attachement à sa ville, Saint-Petersbourg, et à ses compagnons de jeunesse de la même ville. Puis son accession au KGB. Sa réflexion le conduit à la conclusion que la Russie et l'Eurasie forment un bloc face à l'Europe. Poutine, chrétien orthodoxe, est le sujet de ce court ouvrage qui nous entraîne sur un aussi court chemin vers la philosophie. Bonne lecture. * ( image amason.fr )

 



mercredi 23 mars 2022

Klimt Cornette - Marc - Rénier ( Bande dessinée France )

 





 



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                                                                Klimt

            Vienne 1907. Quels mots employer pour raconter une vie de peintre dans une bande dessinée. Ici un épisode, un moment où, malgré la profonde affliction qui suivit l'exposition du tableau 
" La médecine ", Gustav Klimt très remonté contre les critiques et le public choqués par l'abondance de nus, déclare haut et fort que " sous les vêtements les corps sont nus, particulièrement devant les médecins ". Mais il conserve des amitiés, notamment le couple Bloch-Bauer. Bien qu'il soit de notoriété publique que les femmes, mondaines entre autres, soient ses maîtresses, Ferdinand insiste pour que Gustav, devenu l'ami du couple, fasse le portrait de sa femme, Adèle. Klimt accepte et promet à son ami un portrait d'Adèle couvert d'or. Portrait devenu célèbre, reproduit dans l'album, ainsi que quelques toiles accompagnant quatre pages d'une courte biographie. Gustav Klimt a choisi de vivre avec sa mère et ses soeurs, mais aussi dans une maison accueillante où les filles n'hésitent pas à sortir nues pour rattraper un chat fugueur. Beaucoup de nudité dans quelques pages, pourtant on retient surtout le style particulier du peintre, quelques toiles célèbres. Vie d'un homme de chair et de sang, qui souffre se croyant incompris, mange avec appétit la soupe préparée par la mère occupée à son jardin et gourmande son homme de fils qui profère quelques paroles, un peu, grossières. Tout cela dans une BD légère et bien enlevée. Bonne lecture, souriante. MB 













            

lundi 21 mars 2022

Numéro Deux David Foenkinos ( Roman France )















                                                   Numéro Deux   

           Londres. John, anglais fantaisiste et créateur d'objets inutiles, ainsi la cravate-parapluie, et Jeanne, française, se rencontrent à un concert de The Cure. Ils se marieront et auront un fils. Martin. Heureux, puis malheureux, Jeanne ne supportant plus les échecs de John ils se séparent. Jeanne intègre la rédaction du Point à Paris. John obtient la garde en semaine de Martin, puis week-end chez sa mère à Paris. Accommodement jusqu'au jour où, John devenu décorateur ou aide-décorateur sur les tournages de films, apprend que son fils a été reconnu comme le portrait même d'un jeune héros, Harry Potter. Les livres de J.K. Rowling sont la joie des libraires, mais deviennent vite le cauchemar de certains. Repéré donc par un directeur de casting, Martin, briefé par son père, accède à la dernière marche avant le choix de J.K.Rowling, du metteur en scène et autres responsables. Son concurrent, un autre jeune garçon, David Radcliff. L'attente est douloureuse pour les jeunes enfants, Martin a 10 ans. Et Radcliff l'emporte, comme le savent les millions de spectateurs qui ont lu l'histoire et vu les films. La surenchère, l'absolue certitude que lui donnait son entourage de tous côtés ne préparaient pas Martin à l'échec. A sa rancœur, il ressemble énormément à Radcliff et donc à Harry Potter, s'ajoute un événement douloureux et Martin quitte Londres et habite désormais avec sa mère, à Paris. L'enfant ne manque pas d'affection, de soins, mais il reste taciturne et voue une phobie à tout ce qui touche Harry Potter. Années difficiles pour Martin, alors qu'une lourde publicité entoure la sortie de chaque volume, de chaque film. De plus un incident dramatique le confronte au nouveau compagnon de sa mère. Martin connaîtra longtemps tous les épisodes dus à une dure dépression. Adulte, bachelier, sa personnalité, son échec, il demeure indécis sur son choix de carrière, mais accepte cependant un poste de gardien de salle, au Louvre. Ses tourments le contraignent à vérifier la bibliothèque de ses éventuelles amoureuses. Jusqu'aux dernières pages l'indécision demeure. De l'euphorie au trou noir Martin, bien entouré trouvera-t-il, ou qui le sortira de son brouillard. Joliment écrit, on peine à quitter le personnage, sympathiques la mère, le père. Et les affres de l'entourage face à un dépressif quasi mutique et intelligent. Bonne lecture. M











vendredi 18 mars 2022

Un Gentleman à Moscou Amor Towles ( Roman Etats Unis )

 

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                                                Un Gentleman                                                                                                                                                                          à Moscou

            C'est un Best-seller, ce n'est pas un Best-seller fracassant, nulle violence, pas de pataquès familial, mais l'histoire d'un confinement. Confinement durable, de nombreuses années. Et, finalement, l'histoire d'un homme pas malheureux car le comte Alexandre ( Sasha ) Rostov, membre du Jockey Club et filleul d'un proche du tsar, a reçu une éducation digne d'un aristocrate qui passe ses diplômes en 1905, alors que les révoltes se multiplient. Profondément attaché à son pays, après avoir sauvé sa grand-mère des luttes qui s'annoncent le comte revient en Russie. Sauvé de la déportation qui attend les aristocrates par un poème, son origine nous est conté dans le livre, il est néanmoins assigné à résidence à Moscou, à l'hôtel Metropol où le comte Rostov avait ses habitudes. Mais plus de suite au 2è étage, le comte se contentera d'un logis sous les toits avec pour voisins des pigeons qui grattent les gouttières et les jours de spleen profond, sur la terrasse, d'un vieil employé qui élève des abeilles. Ruches parfois vides de leurs occupantes, puis, joie, de retour, avec un miel qui sent le lilas qui fleurit dans les jardins Alexandre, en bas. En se penchant Alexandre aperçoit la place du Théâtre, le Bolchoï, de l'autre côté le Kremlin. Un plan est proposé au début du livre. Le comte, homme fin, lettré, a conservé outre Anna Karénine et quelques autres les Essais de Montaigne bien utile pour caler les pieds d'une table, pieds précieux qui conservent une petite réserve de pièces d'or rares. On trouve tout au Metropol, du barbier au restaurant, où Sasha portant longtemps moustache arriva un jour lèvre découverte et la visite à sa table de Nina, petite fille sous la garde de son père oligarque de la nouvelle équipe dirigeante. Ils se lieront d'une amitié indéfectible, parcourront l'hôtel du sous-sol aux combles. Le comte a des relations d'adulte, une liaison avec Anna, comédienne bien sympathique et fort utile dans les moments délicats, rares car le comte est prudent, que vivront tous les héros. Il y a Emile et les autres, tous fidèles les uns aux autres, et puis les méchants, dont l'un communiste sans concession, surnommé le Fou. Et le comte devint serveur au grand restaurant de l'hôtel, car tous se doivent de travailler, de plus son éducation lui permet d'apporter la touche finale à la présentation des tables, des plats. Les années passent et l'Histoire avance, de même que Staline qui s'installera au Kremlin, puis mourra un jour de mars.                                          " ....... Le comte trouvait les discours politiques ennuyeux, quelle que fût l'opinion exprimée...."              Soir de dépression monté sur la terrasse il fait connaissance avec un vieil homme qui ne reçoit guère de visite, n'a qu'un tabouret mais : " ..... Une tasse de café, songea le comte, une tasse de café c'était exactement ce qu'il fallait. En effet, quoi de plus polyvalent ? Adapté au gobelet en fer-blanc tout autant qu'à la porcelaine de Limoges, le café donne de l'énergie au travailleur à l'aube, calme l'âme songeuse à midi et redonne courage aux désespérés au cœur de la nuit.....- Le secret c'est le moment où on le moud....... " 1922 le comte avait une trentaine d'année, enfermé sans rancœur, esprit observateur, de ses occupations à ses moments entre les plantes du grand hall, ses visites au Chaliapine, liant amitié solide avec Andreï le barman du bar de l'hôtel, une nouvelle petite fille lui est confiée, il l'élèvera sans sortir du Métropol, avec l'aide de ses amis fidèles, musicienne sensible elle jouera à Pleyel qu'elle quitte pieds nus, mais cela se lit. Sans concentration particulière, la vie se poursuit, le monde extérieur vient à lui à travers ceux qui entrent ou travaillent au Metropol, telle Marina épatante couturière, Il ne se plaint jamais, sourit autant qu'il faut, ses colères sont froides. La fin est ce que l'on attendait ou redoutait, selon......... Toute la vie du comte Rostov est inscrite en symboles sur la belle couverture de ce livre épatant, personnages réjouissants. Best seller aux Etats Unis en 2016. Très bonne lecture. A noter les prémisses de l'arrivée de Kroutchev qui fut maire de Moscou et l'amorce du déclin de Malenkov, ce qui intéresse fort un espion présumé, américain.

 


jeudi 17 mars 2022

Elle et son Chat Makoto Shinkai - Naruki Nagakawa ( Roman Japon )



 





                              

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                                                     Elle et son Chat

            Japon, un chaton dans un carton, dans une poubelle, s'apprête à laisser la mort l'emporter, tant il est léger. De plus qui veut d'un si petit animal malade, ou presque. Une jeune femme, triste, aux longs cheveux, penchée sur la poubelle. Elle est triste, nous connaîtrons ses raisons, il est malheureux. Il s'appellera Chobi. Sa langue de chat, traduite par l'auteur, nous mène au sein de la société des chiens et des chats, d'appartement, de gouttière, bien sympathiques. Trop peut-être. Chobi soigné, grandit, observe sa maîtresse qui, un jour, pleure, pleure, alors il dit en miaous traduits en mots, Je serai ton Amoureux puisque tu es ma maîtresse. Et de chatière en déambulations dans un quartier traversé par les trains, et fourni en végétation, cosmos, camphrier, Chobi visite, s'éloigne et revient veillant toujours. Si les femmes et les hommes tentent de résoudre les problèmes habituels, sentimentaux, travail, amitiés, Chobi - chat rencontre John, le chien, chenu et sage. Il pense que nous venons tous d'une étoile, il pense qu'on revient du pays des morts, dans un autre corps. Il gère les domaines de chacun de ses copains animaux la plupart sans domicile fixe. Et Chobi va rencontrer sa mère, et ses quatre frères et sours placés dans le quartier. Léger mais grave, très imagé, les saisons passent, et voilà le printemps et les cerisiers en fleurs qui réveillent même Aoï, jeune fille choquée par la mort d'une amie, serait-elle responsable ? Le froid, la neige. Shino obligée de soigner ses beaux-parents coléreux. Un moment, quelques courtes années d'un coin d'une grande ville au Japon, des chiens, des chats - chatons, et des femmes et des hommes. Les pages sont parsemées de dessins d'un chat, noir. Il est possible de suivre les aventures de Elle et son Chat en vidéo disponible.










samedi 12 mars 2022

Un parricide Guy de Maupassant ( Nouvelle France )

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                                                   Un parricide

            L'avocat avait plaidé la folie. Comment expliquer autrement ce crime étrange ?
            On avait retrouvé un matin, dans les roseaux, près de Chatou, deux cadavres enlacés, la femme et l'homme, deux mondains connus, riches, plus tout jeunes, et mariés seulement de l'année précédente, la femme n'étant veuve que depuis trois ans.
            On ne leur connaissait point d'ennemis, ils n'avaient pas été volés. Il semblait qu'on les eût jetés de la berge dans la rivière, après les avoir frappés, l'un après l'autre, avec une longue pointe de fer.
            L'enquête ne faisait rien découvrir. Les mariniers interrogés ne savaient rien ; on allait abandonner l'affaire, quand un jeune menuisier d'un village voisin nommé Georges Louis, dit Le Bourgeois, vint se constituer prisonnier.
            A toutes les interrogations, il ne répondit que ceci :
            - Je connaissais l'homme depuis deux ans, la femme depuis six mois. Ils venaient souvent me faire réparer des meubles anciens, parce que je suis habile dans le métier.
            Et quand on lui demandait :
            - Pourquoi les avez-vous tués ?
            Il répondait obstinément :
            - Je les ai tués parce que j'ai voulu les tuer.
            On n'en put tirer autre chose.
            Cet homme était un enfant naturel sans doute, mis autrefois en nourrice dans le pays, puis abandonné. Il n'avait pas d'autre nom que Georges Louis, mais comme, en grandissant, il devint singulièrement intelligent, avec des goûts et des délicatesses natives que n'avaient point ses camarades, on le surnomma : " le Bourgeois " ; et on ne l'appelait plus autrement. Il passait pour remarquablement adroit dans le métier de menuisier qu'il avait adopté. Il faisait même un peu de sculpture sur bois. On le disait aussi fort exalté, partisan des doctrines communistes et même nihilistes, grand liseur de romans d'aventures, de romans à drames sanglants, électeur influent et orateur habile dans les réunions publiques d'ouvriers ou de paysans.
            L'avocat avait plaidé la folie.
            Comment pouvait-on admettre, en effet, que cet ouvrier eût tué ses meilleurs clients, des clients riches et généreux ( il le reconnaissait ), qui lui avaient fait faire, depuis deux an, pour trois mille francs de travaux ( ses livres en faisaient foi ). Une seule explication se présentait : la folie, l'idée fixe du déclassé qui se venge sur deux bourgeois de tous les bourgeois, et l'avocat fit une allusion habile à ce surnom de Le Bourgeois donné par le pays à cet abandonné ; il s'écriait :
            " - N'est-ce pas une honte, et une ironie capable d'exalter encore ce malheureux garçon qui n'a ni père ni mère ? C'est un ardent républicain. Que dis-je ? Il appartient même à ce parti politique que la République fusillait et déportait naguère, qu'elle accueille aujourd'hui à bras ouverts, à ce parti pour qui l'incendie est un principe et le meurtre un moyen tout simple.
            Ces tristes doctrines, acclamées maintenant dans les réunions publiques, ont perdu cet homme. Il a entendu des républicains, des femmes même, oui, des femmes ! demander le sang de M. Gambetta, le sang de M. Grévy ; son esprit malade a chaviré ; il a voulu du sang, du sang de bourgeois !
            Ce n'est pas lui qu'il faut condamner, Messieurs, c'est la Commune ! "
            Des murmures d'approbation coururent. On sentait bien que la cause était gagnée pour l'avocat. Le ministère public ne répliqua pas,
            Alors le président posa au prévenu la question d'usage :
            - Accusé, n'avez-vous rien à ajouter pour votre défense ?
            L'homme se leva.                                                                                    cultea.fr
            Il était de petite taille, d'un blond de lin, avec des yeux gris, fixes et clairs. Une voix forte, franche et sonore sortait de ce frêle garçon et changeait brusquement, aux premiers mots, l'opinion qu'on s'était faite de lui.
            Il parla hautement, d'un ton déclamatoire, mais si net que ses moindres paroles se faisaient entendre jusqu'au fond de la grande salle :
            - Mon président, comme je ne veux pas aller dans une maison de fous, et que je préfère même la guillotine, je vais tout vous dire.
            Maintenant, écoutez-moi et jugez-moi.

            Une femme, ayant accouché d'un fils, l'envoya quelque part en nourrice. Sut-elle seulement en quel pays son complice porta le petit être innocent, mais condamné à la misère éternelle, à la honte d'une naissance illégitime, plus que cela : à la mort, puisqu'on l'abandonna, puisque la nourrice, ne recevant plus la pension mensuelle, pouvait, comme elles font souvent, le laisser dépérir, souffrir de faim, mourir de délaissement !
            La femme qui m'allaita fut honnête, plus honnête, plus femme, plus grande, plus mère que ma mère. Elle m'éleva. Elle eut tort en faisant son devoir. Il vaut mieux laisser périr ses misérables jetés aux villages des banlieues, comme on jette une ordure aux bornes.
            Je grandis avec l'impression vague que je portais un déshonneur. Les autres enfants m'appelèrent un jour " bâtard ". Ils ne savaient pas ce que signifiait ce mot, entendu par l'un d'eux chez ses parents. Je l'ignorais aussi, mais je le sentis.
            J'étais, je puis le dire, un des plus intelligents de l'école. J'aurais été un honnête homme, mon président, peut-être un homme supérieur, si mes parents n'avaient pas commis le crime de m'abandonner.
            Ce crime, c'est contre moi qu'ils l'ont commis. Je fus la victime, eux furent les coupables. J'étais sans défense, ils furent sans pitié. Ils devaient m'aimer : ils m'ont rejeté.
            Moi, je leur devais la vie, mais la vie est-elle un présent ? La mienne, en tout cas, n'était qu'un malheur. Après leur honteux abandon, je ne leur devais plus guère que la vengeance. Ils ont accompli contre moi l'acte le plus inhumain, le plus infâme, le plus monstrueux qu'on puisse accomplir contre un être.
            Un homme injurié frappe ; un homme volé reprend son bien par la force. Un homme trompé,  martyrisé, tue ; un homme souffleté tue ; un homme déshonoré tue. J'ai été plus volé, trompé, martyrisé, souffleté moralement, déshonoré, que tous ceux dont vous absolvez la colère.
            Je me suis vengé, j'ai tué. C'était mon droit légitime. J'ai pris leur vie heureuse en échange de la vie horrible qu'ils m'avaient imposée.
            Vous allez parler de parricide ! Etaient-ils mes parents, ces gens pour qui je fus un fardeau abominable, une terreur, une tache d'infâmie ; pour qui ma naissance fut une calamité et ma vie une menace de honte ? Ils cherchaient un plaisir égoïste ; ils ont eu un enfant imprévu. Ils ont supprimé l'enfant. Mon tour est venu d'en faire autant pour eux.
            Et pourtant, dernièrement encore, j'étais prêt à les aimer.
            Voici deux ans, je vous l'ai dit, que l'homme, mon père, entra chez moi pour la première fois. Je ne soupçonnais rien. Il me commanda deux meubles. Il avait pris, je le sus plus tard, des renseignements auprès du curé, sous le sceau du secret, bien entendu.
            Il revint souvent ; il me faisait travailler et payait bien. Parfois même il causait un peu de choses et d'autres. Je me sentais de l'affection pour lui.
            Au commencement de cette année il amena sa femme, ma mère. Quand elle entra, elle tremblait si fort que je la crus atteinte d'une maladie nerveuse. Puis elle demanda un siège et un verre d'eau. Elle ne dit rien ; elle regarda mes meubles d'un air fou, et elle ne répondait que oui et non, à tort et à travers, à toutes les questions qu'il lui posait ! Quand elle fut partie, je la crus un peu toquée.
            Elle revint le mois suivant. Elle était calme, maitresse d'elle. Ils restèrent, ce jour-là, assez longtemps à bavarder, et ils me firent une grosse commande. Je la revis encore trois fois, sans rien deviner ; mais un jour voilà qu'elle se mit à me parler de ma vie, de mon enfance, de mes parents. Je répondis : " Mes parents, Madame, étaient des misérables qui m'ont abandonné. " Alors elle porta la main sur son cœur, et tomba sans connaissance. Je pensai tout de suite : " C'est ma mère ! " mais je me gardai bien de laisser rien voir. Je voulais la regarder venir.
            Par exemple, je pris de mon côté mes renseignements. J'appris qu'ils n'étaient mariés que du mois de juillet précédent, ma mère n'étant devenue veuve que depuis trois ans. On avait bien chuchoté qu'ils s'étaient aimés du vivant du premier mari, mais on n'en avait aucune preuve. C'était moi la preuve, la preuve qu'on avait cachée d'abord, espéré détruite ensuite.                         pinterest.fr
            J'attendis. Elle reparut un soir, toujours accompagnée de mon père. Ce jour-là, elle semblait fort émue, je ne sais pourquoi. Puis, au moment de s'en aller, elle me dit : " Je vous veux du bien, parce que vous m'avez l'air d'un honnête garçon et d'un travailleur ; vous penserez sans doute à vous marier quelque jour ; je viens vous aider à choisir librement la femme qui vous conviendra. Moi, j'ai été mariée contre mon cœur une fois, et je sais comme on en souffre. Maintenant, je suis riche, sans enfants, libre, maîtresse de ma fortune. Voici votre dot. "
            Elle me tendit une grande enveloppe cachetée.
            Je la regardai fixement, puis je lui dis : " Vous êtes ma mère ?
            Elle recula de trois pas et se cacha les yeux de la main pour ne plus me voir. Lui, l'homme, mon père, la soutint dans ses bras et il me cria ! " Mais vous êtes fou ! "
            Je répondis ! " Pas du tout. Je sais bien que vous êtes mes parents. On ne me trompe pas ainsi. Avouez-le et je vous garderai le secret ; je ne vous en voudrai pas ; je resterai ce que je suis, un menuisier. "
            Il reculait vers la sortie en soutenant toujours sa femme qui commençait à sangloter. Je courus fermer la porte, je mis ma clef dans ma poche, et je repris : " Regardez-la donc et niez encore qu'elle soit ma mère. "
            Alors il s'emporta, devenu très pâle, épouvanté par la pensée que le scandale évité jusqu'ici pouvait éclater soudain ; que leur situation, leur renom, leur honneur seraient perdus d'un seul coup ; il balbutiait : " Vous êtes une canaille qui voulez nous tirer de l'argent. Faites donc du bien au peuple, à  ces manants-là, aidez-les, secourez-les ! "
            Ma mère, éperdue, répétait coup sur coup : " Allons-nous-en, allons-nous-en ! "
            Alors, comme la porte était fermée, il cria : " Si vous ne m'ouvrez pas tout de suite, je vous fais flanquer en prison pour chantage et violence ! "
            J'étais resté maître de moi ; j'ouvris la porte et je les vis s'enfoncer dans l'ombre.
            Je les rattrapai bientôt. La nuit était venue toute noire. J'allais à pas de loup sur l'herbe, de sorte qu'ils ne m'entendirent pas. Ma mère pleurait toujours. Mon père disait : " C'est votre faute. Pourquoi avez-vous tenu à le voir ! C'était une folie dans notre position. On aurait pu lui faire du bien de loin, sans se montrer. Puisque nous ne pouvons le reconnaître, à quoi servaient ces visites dangereuses ? "
            Alors, je m'élançai devant eux, suppliant. Je balbutiai : " Vous voyez bien que vous êtes mes parents. Vous m'avez déjà rejeté une fois, me repousserez-vous encore ? "
            Alors, mon président, il leva la main sur moi, je vous le jure sur l'honneur, sur la loi, sur la République. Il me frappa, et comme je le saisissais au collet, il tira de sa poche un revolver.
            J'ai vu rouge, je ne sais plus, j'avais mon compas dans ma poche ; je l'ai frappé, frappé tant que j'ai pu.
            Alors elle s'est mise à crier : " Au secours ! à l'assassin ! " en m'arrachant la barbe. Il parait que je l'ai tuée aussi. Est-ce que je sais, moi, ce que j'ai fait, à ce moment-là ?
            Puis, quand je les ai vus tous deux par terre, je les ai jetés à la Seine, sans réfléchir.
            Voilà. - Maintenant jugez-moi. "

            L'accusé se rassit. Devant cette révélation, l'affaire a été reportée à la session suivante. Elle passera bientôt. Si nous étions jurés, que ferions-nous de ce parricide ?



                                                     Guy de Maupassant
            
            
            

            





















            

Ecris-moi vite et longuement Françoise Sagan ( Roman - autobiographie France )

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                                             Ecris-moi vite et longuement

                                    Correspondance de Françoise Sagan à Véronique Campionle 

           De juin 1952 à... Charmant. Elégant. Lorsque Sagan - Quoirez écrit à son amie, suivant les circonstances, elle termine ainsi : " Mes meilleurs souvenirs à tes parents ". Propos d'une jeune fille que la pensée de préparer propédeutique, avec son amie Véronique, ennuie mais demeurera une grande lectrice des modernes, des classiques. Ainsi à Véronique " Si tu trouves Rousseau lis-le ". L'écriture de son roman puis sa parution la transporte dans un monde pas si éloigné du sien même si les personnages sont différents. Et de voyage en voyage, d'un pays à l'autre, Françoise Quoirez devenue Sagan porte allègrement le succès de " Bonjour tristesse ", transmet ses différentes adresses à son amie, les meilleurs hôtels et entre cocktails et signatures le roman s'est classé 2è meilleure vente aux Etats-Unis et 1er à New-York. Les deux amies se sont surnommées Plick et Plock, ou " ........ Mon cher toto, il ne me reste plus qu'à t'attendre, en commençant par tes lettres"......... Réponds-moi sur le champ ou je ne réponds  plus de rien à rien. " Sagan est lucide. Dans la préface le mariage et le divorce de Sagan-Schoeller est une parenthèse. Sagan en a-t-elle souffert ou la souffrance tellement niée est-elle physique, après le très grave accident de la route qui l'a laissée accroc à certaines drogues. Et dans une lettre à Véronique elle rappelle que les gens veulent vous voir le plus malheureux possible occultant leurs propres ennuis. Ces quelques lettres rassemblées par son fils, Denis Westhoff met en lumière son goût pour la vie, son goût pour les voitures luxueuses et rapides, Jaguar, Aston  " Martin - accident gravissime - Mais en fait où est Sagan, personnalité publique, ou plus secrète. Préfacé par Olivia de Lamberterie ce joli et court ouvrage épistolaire est bien venu en cette période, ces années où il n'est question que de morts, de virus, aussi incidemment de bombes. Bonne lecture. M.







dimanche 6 mars 2022

Beethoven Régis Penet ( BD France )

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                                                Beethoven

                                         Le Prix de la Liberté

            Un épisode de la vie du musicien. Ludwig van Beethoven à vingt ans quitte Bonn, l'Allemagne, le pays, la ville où il est né et a grandi sous la coupe d'un père violent qui, un jour, s'aperçut que son fils avait un fort talent de musicien. Il le força alors à s'exhiber, comme Mozart. Mais Ludwig n'était pas Mozart. Il choisit la ville et le pays où il construira son avenir de musicien, Vienne et l'Autriche où il trouvera l'accueil et le mécène qui lui permettront de composer ses plus grandes oeuvres. Il écrit ses meilleurs oeuvres, malgré une surdité envahissante, souvent à la suite de grands sentiments éprouvés en diverses circonstances. Ainsi la 3è Symphonie, Symphonie Héroïque en mi bémol majeur fut dédiée à Bonaparte, dans un premier temps, outre ses symphonies des concertos, sonates que lui inspirent ses amours. Mais le musicien très obstiné dans ses positions politiques refuse parfois de jouer devant des ministres ou grands militaires ses musiques, contre la volonté de son mécène, alors l'épouse du Prince Lobkowitz intervient, et il poursuit son labeur et sa vie dans leur résidence de Raudnitz.  Il composera aussi pour elle. Traits fins, la BD en noir et blanc est agréable. Bonne lecture et bon moment musical. M













lundi 28 février 2022

La Rempailleuse Guy de Maupassant ( Nouvelle France )

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                                                                      La Rempailleuse

                                                                                                         A Léon Hennique

            C'était à la fin du dîner d'ouverture de chasse chez le marquis de Bertrans. Onze chasseurs, huit jeunes femmes et le médecin du pays étaient assis autour de la grande table illuminée, couverte de fruits et de fleurs.
            On vint à parler d'amour, et une grande discussion s'éleva, l'éternelle discussion, pour savoir si on pouvait aimer vraiment une fois ou plusieurs. On cita des exemples de gens n'ayant jamais eu qu'un seul amour sérieux ; on cita aussi d'autres exemples de gens ayant aimé souvent, avec violence. Les hommes, en général, prétendaient que la passion, comme les maladies, peut frapper plusieurs fois le même être, et le frapper à le tuer si quelque obstacle se dresse devant lui. Bien que cette manière de voir ne fût pas contestable, les femmes, dont l'opinion s'appuyait sur la poésie bien plus que sur l'observation, affirmaient que l'amour, l'amour vrai, le grand amour, ne pouvait tomber qu'une fois sur un mortel, qu'il était semblable à la foudre, cet amour, et qu'un cœur touché par lui demeurait ensuite tellement vidé, ravagé, incendié, qu'aucun autre sentiment puissant, même aucun rêve, n'y pouvait germer de nouveau.
            Le marquis, ayant aimé beaucoup, combattait vivement cette croyance.
            " - Je vous dis, moi, qu'on peut aimer plusieurs fois avec toutes ses forces et toute son âme. Vous me citez des gens qui se sont tués par amour, comme preuve de l'impossibilité d'une seconde passion. Je vous répondrai que, s'ils n'avaient pas commis cette bêtise de se suicider, ce qui leur enlevait toute chance de rechute, ils se seraient guéris ; et ils auraient recommencé, et toujours, jusqu'à leur mort naturelle. Il en est des amoureux comme des ivrognes. Qui a bu boira - qui a aimé aimera. C'est une affaire de tempérament, cela. "
            On prit pour arbitre le docteur, vieux médecin parisien retiré aux champs, et on le pria de donner son avis.
            Justement il n'en avait pas :
            " - Comme l'a dit le marquis, c'est une affaire de tempérament ; quant à moi, j'ai eu connaissance d'une passion qui dura cinquante-cinq ans sans un jour de répit, et qui ne se termina que par la mort. "
            La marquise battit des mains.
            " - Est-ce beau cela ! Et quel rêve d'être aimé ainsi ! Quel bonheur de vivre ainsi cinquante-cinq ans tout enveloppé de cette affection acharnée et pénétrante ! Comme il a dû être heureux et bénir la vie celui qu'on adora de la sorte ! "
            Le médecin sourit :
            " - En effet, Madame, vous ne vous trompez pas sur ce point, que l'être aimé fut un homme. Vous le connaissez, c'est M. Chouquet, le pharmacien du bourg. Quant à elle, la femme, vous l'avez connue aussi, c'est la vieille rempailleuse de chaises qui venait tous les ans au chateau. Mais je vais me faire mieux comprendre. "
            L'enthousiasme des femmes était tombé ; et leur visage dégoûté disait : " Pouah ! " comme si l'amour n'eût dû frapper que des êtres fins et distingués, seuls dignes de l'intérêt des gens comme il faut.
            Le médecin reprit :

            " - J'ai été appelé, il y a trois mois, auprès de cette vieille femme, à son lit de mort. Elle était arrivée, la veille, dans la voiture qui lui servait de maison, traînée par la rosse que vous avez vue, et accompagnée de ses deux grands chiens noirs, ses amis et ses gardiens. Le curé était déjà là. Elle nous fit ses exécuteurs testamentaires, et, pour nous dévoiler le sens de ses volontés dernières, elle nous raconta toute sa vie. Je ne sais rien de plus singulier et de plus poignant.
            Son père était rempailleur et sa mère rempailleuse. Elle n'a jamais eu de logis planté en terre.
            Toute petite, elle errait, haillonneuse, vermineuse, sordide. On s'arrêtait à l'entrée des villages, le long des fossés ; on dételait la voiture ; le cheval broutait ; le chien dormait, le museau sur ses pattes ; et la petite se roulait dans l'herbe pendant que le père et la mère rafistolaient, à l'ombre des ormes du chemin, tous les vieux sièges de la commune. On ne parlait guère, dans cette demeure ambulante. Après les quelques mots nécessaires pour décider qui ferait le tour des maisons en poussant le cri bien connu :
" Rempailleur de chaises ! " on se mettait à tortiller la paille, face à face ou côte à côte. Quand l'enfant allait trop loin ou tentait d'entrer en relation avec quelque galopin du village, la voix colère du père la rappelait : " Veux-tu bien revenir ici, crapule ! " C'étaient les seuls mots de tendresse qu'elle entendait.
            Quand elle devint plus grande, on l'envoya faire la récolte des fonds de sièges avariés. Alors elle ébaucha quelques connaissances de place en place avec les gamins ; mais c'étaient alors les parents de ses nouveaux amis qui rappelaient brutalement leurs enfants : " Veux-tu bien venir ici, polisson ! Que je te voie causer avec les va-nu-pieds !... "
            Souvent les petits gars lui jetaient des pierres.                                           pinterest.fr
            Des dames lui ayant donné quelques sous, elle les garda soigneusement.
            Un jour, elle avait alors onze ans, comme elle passait par ce pays, elle rencontra derrière le cimetière le petit Chouquet qui pleurait parce qu'un camarade lui avait volé deux liards. Ces larmes d'un petit bourgeois, d'un de ces petits qu'elle s'imaginait, dans sa frêle caboche de déshéritée, être toujours contents et joyeux, la bouleversèrent. Elle s'approcha, et, quand elle connut la raison de sa peine, elle versa entre ses mains toutes ses économies, sept sous, qu'il prit naturellement, en essuyant ses larmes. Alors, folle de joie, elle eut l'audace de l'embrasser. Comme il considérait attentivement sa monnaie, il se laissa faire. Ne se voyant ni repoussée, ni battue, elle recommença ; elle l'embrassa à pleins bras, à plein cœur. Puis elle se sauva.
            Que se passa-t-il dans cette misérable tête ? S'était-elle attachée à ce mioche parce qu'elle lui avait sacrifié sa fortune de vagabonde, ou parce qu'elle lui avait donné son premier baiser tendre ? Le mystère est le même pour les petits que pour les grands.
            Pendant des mois, elle rêva de ce coin de cimetière et de ce gamin. Dans l'espérance de le revoir elle vola ses parents, grapillant un sou par-ci, un sous par-là, sur un rempaillage, ou sur les provisions qu'elle allait acheter.
            Quand elle revint, elle avait deux francs dans sa poche, mais elle ne put qu'apercevoir le petit pharmacien, bien propre, derrière les carreaux de la boutique paternelle, entre un bocal rouge et un ténia.
            Elle ne l'en aima que davantage, séduite, émue, extasiée par cette gloire de l'eau colorée, cette apothéose des cristaux luisants.
            Elle garda en elle son souvenir ineffaçable, et, quand elle le rencontra, l'an suivant, derrière l'école, jouant aux billes avec ses camarades, elle se jeta sur lui, le saisit dans ses bras et le baisa avec tant de violence qu'il se mit à hurler de peur. Alors, pour l'apaiser, elle lui donna son argent : trois francs vingt, un vrai trésor, qu'il regardait avec des yeux agrandis.
            Il le prit et se laissa caresser tant qu'elle voulut.
            Pendant quatre ans encore, elle versa entre ses mains toutes ses réserves qu'il empochait avec conscience en échange de baisers consentis. Ce fut une fois trente sous, une fois deux francs, une fois douze sous ( elle en pleura de peine et d'humiliation, mais l'année avait été mauvaise ) et la dernière fois, cinq francs, une grosse pièce ronde, qui le fit rire d'un rire content.
            Elle ne pensait plus qu'à lui ; et il attendait son retour avec une certaine impatience, courait au-devant d'elle en la voyant, ce qui faisait bondir le cœur de la fillette.
            Puis il disparut. On l'avait mis au collège. Elle le sut en interrogeant habilement. Alors elle usa d'une diplomatie infinie pour changer l'itinéraire de ses parents et les faire passer par ici au moment des vacances. Elle y réussit, mais après un an de ruses. Elle était donc restée deux ans sans le revoir ; et elle le reconnut à peine, tant il était changé, grandi, embelli, imposant dans sa tunique à boutons d'or. Il feignit de ne pas la voir et passa fièrement près d'elle.
            Elle en pleura pendant deux jours ; et depuis lors elle souffrit sans fin.
            Tous les ans elle revenait ; passait devant lui sans oser le saluer et sans qu'il daignât même tourner les yeux vers elle. Elle l'aimait éperdument. Elle me dit :
            " - C'est le seul homme que j'aie vu sur la terre, monsieur le médecin ; je ne sais pas si les autres existaient seulement. "
            Ses parents moururent. Elle continua leur métier, mais elle prit deux chiens au lieu d'un, deux terribles chiens qu'on aurait pas oser braver.
            Un jour, en rentrant dans ce village où son cœur était resté, elle aperçut une jeune femme qui sortait de la boutique Chouquet au bras de son bien-aimé. C'était sa femme. Il était marié.
            Le soir même, elle se jeta dans la mare qui est sur la place de la Mairie. Un ivrogne attardé la repêcha, et la porta à la pharmacie. Le fils Chouquet descendit en robe de chambre, pour la soigner, et, sans paraître la reconnaître, la déshabilla, la frictionna, puis il lui dit d'une voix dure :
            " - Mais vous êtes folle ! Il ne faut pas être bête comme ça ! "
            Cela suffit pour la guérir. Il lui avait parlé ! Elle était heureuse pour longtemps.
            Il ne voulut rien recevoir en rémunération de ses soins, bien qu'elle insistât vivement pour le payer.
            Et toute sa vie s'écoula ainsi. Elle rempaillait en songeant à Chouquet. Tous les ans elle l'apercevait derrière ses vitraux. Elle prit l'habitude d'acheter chez lui des provisions de menus médicaments. De la sorte elle le voyait de près, et lui parlait, et lui donnait encore de l'argent.
            Comme je vous l'ai dit en commençant, elle est morte ce printemps. Après m'avoir raconté toute cette triste histoire, elle me pria de remettre à celui qu'elle avait si patiemment aimé toutes les économies de son existence, car elle n'avait travaillé que pour lui, disait-elle, jeûnant même pour mettre de côté, et être sûre qu'il penserait à elle, au moins une fois quand elle serait morte.
            Elle me donna donc deux mille trois cent vingt-sept francs pour l'enterrement, et j'emportai le reste quand elle eut rendu le dernier soupir.
            Le lendemain, je me rendis chez les Chouquet. Ils achevaient de déjeuner, en face l'un de l'autre, gros et rouges, fleurant les produits pharmaceutiques, importants et satisfaits.
            On me fit asseoir ; on m'offrit un kirsch, que j'acceptai ; et je commençai mon discours d'une voix émue, persuadé qu'ils allaient pleurer.                                                        madame.lefigaro.fr         
            Dès qu'il eut compris qu'il avait été aimé de cette vagabonde, de cette rempailleuse, de cette rouleuse, Chouquet bondit d'indignation, comme si elle lui avait volé sa réputation, l'estime des honnêtes gens, son honneur intime, quelque chose de délicat qui lui était plus cher que la vie.
            Sa femme, aussi exaspérée que lui, répétait : 
            " - Cette gueuse ! cette gueuse ! cette gueuse !... "
            Sans pouvoir trouver autre chose.
            Il s'était levé ; il marchait à grands pas derrière la table, le bonnet grec chaviré sur une oreille. Il balbutiait :
            " - Comprend-on ça, docteur ? Voilà de ces choses horribles pour un homme ! Que faire ? Oh ! si je l'avais su de son vivant, je l'aurais fait arrêter par la gendarmerie et flanquer en prison. Et elle n'en serait pas sortie, je vous en réponds ! "
            Je demeurais stupéfait du résultat de ma démarche pieuse. Je ne savais que dire ni que faire. Mais j'avais à compléter ma mission. Je repris :
            " - Elle m'a chargé de vous remettre ses économies, qui montent à deux mille trois cents francs. Comme ce que je viens de vous apprendre semble vous être fort désagréable, le mieux serait peut-être de donner cet argent aux pauvres. "
            Ils me regardaient, l'homme et la femme, perclus de saisissement.
            Je tirai l'argent de ma poche, du misérable argent de tous les pays et de toutes les marques, de l'or et des sous mêlés. Puis je demandai :
            " - Que décidez-vous ? "
            Madame Chouquet parla la première :
            " - Mais puisque c'était sa dernière volonté, à cette femme... il me semble qu'il nous est bien difficile de refuser.
            Le mari, vaguement confus, reprit :
            - Nous pourrions toujours acheter avec ça quelque chose pour nos enfants. "
            Je dis d'un air sec :
            " - Comme vous voudrez. "
            Il reprit ::
            " - Donnez toujours, puisqu'elle vous en a chargé ; nous trouverons bien moyen de l'employer à quelque bonne oeuvre. "
            Je remis l'argent, je saluai et je partis.
            Le lendemain Chouquet vint me trouver et, brusquement :
            " - Mais elle a laissé ici sa voiture, cette... cette femme. Qu'est-ce que vous en faîtes de cette voiture ?
            - Rien, prenez-la si vous voulez.
            - Parfait ; cela me va ; j'en ferai une cabane pour mon potager. "
            Il s'en allait. Je le rappelai.
            " - Elle a laissé aussi son vieux cheval et ses deux chiens. Les voulez-vous ? 
             Il s'arrêta, surpris : 
             - Ah ! non, par exemple ; que voulez-vous que j'en fasse ? Disposez-en comme vous voudrez. "
             Et il riait. Puis il me tendit la main que je serrai. Que voulez-vous ? Il ne faut pas, dans un pays, que le médecin et le pharmacien soient ennemis.
            J'ai gardé les chiens chez moi. Le curé, qui a une grande cour, a pris le cheval. La voiture sert de cabane à Chouquet ; et il a acheté cinq obligations de chemin de fer avec l'argent.
            " - Voilà le seul amour profond que j'aie rencontré, dans ma vie. "
            
            Le médecin se tut.
            Alors, la marquise, qui avait des larmes dans les yeux, soupira :
            " - Décidément, il n'y a que les femmes pour savoir aimer ! "


                                                                      Guy de Maupassant

                                                     ( 1re parution in Le Gaulois - septembre 1882 )










                































dimanche 27 février 2022

Laitier de nuit Andreï Kourkov ( roman Ukraine )


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                                                          Laitier de nuit

            Kiev, 2007. L'hiver, la neige, la banlieue proche et lointaine. 5 heures du matin, Irina jeune mère d'un bébé, douce et un peu fruste porte son excédent de lait à la laiterie centrale. Son lait particulièrement apprécié même en haut lieu, car les membres de la Nomenklatura soignent leur peau.
Yegor, garde du corps d'un député fat et religieux, Dima et Valia, Sémion et Véronika, Daria et son mari mort, et tout un petit monde vaque à des occupations, illicites parfois, le meurtre d'un pharmacien n'inquiète personne car Kourkov aime ses personnages et les animaux dans ses livres.
Drôle et triste, oubliés les cosaques, voici la nouvelle Ukraine, après la révolution orange. " ... le lait de votre fille est excellent... dommage qu'elle soit fille-mère..." grand'mère Choura se fâche "... c'est tout not'pays qu'est fille-mère... - ...Vous parlez avec sagesse, l'Ukraine est une fille-mère, tous veulent coucher avec elle, mais se marier jamais... ".Ainsi l'auteur raconte l'histoire actuelle du pays à travers la vie quotidienne. Meurtre d'un pharmacien. Un chien disparait après avoir découvert des ampoules amphétamines, qu'un chat 3 fois ressuscité déguste, chat matois, gros et gras qui partage les pelmeni avec ses maîtres, chat fou sauveteur de son gardien. Et tout cela particulièrement arrosé de vodka, à l'ortie, délicieuse faite maison. Les salaires sont payés quelques hryvnia, mais les achats importants en dollars.
            Laitier de nuit est encore plus réussi que le Pingouin. Kourkov, polyglotte, neuf langues, écrit en russe, vit à Kiev. Passionnant, tous les personnages se rejoignent à la fin du printemps, et nous les quittons avec quelque regret.





vendredi 25 février 2022

Le journal de Maïdan Andreï Kourkov ( récit Ukraine )

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                                  Le journal de Maïdan  

            A partir du 21 novembre 2013 le journal que tient Andreï Kourkouv devient le récit de sa vie quotidienne à Kiev, dans une Ukraine que la Russie dépossède d'une partie de son territoire, la Crimée, Sébastopol et ses bateaux, un sous-marin de plus de 40 ans, sans que les Européens entre autres réagissent, tout au moins dans un premier temps. Mais le peuple de l'Ukraine occidentale refuse les tentatives d'annexion de l'est, Donnetsk, et manifeste place du marché, le Maïdan, devenue place de l'Indépendance. Du balcon de son logement l'auteur observe. Il se promène beaucoup et consulte Internet en priorité, critique la forte désinformation, ces nouvelles transmises de Russie surtout. Dans un pays qui compte 184 partis politiques, où les oligarques maintiennent une pression très forte sur les administrations, où le hvrinia se dévalorise face au dollar ou à l'euro, difficultés d'approvisionnement. Les bandes, les soldats russes, tabassent, tuent. De très nombreuses armes circulent, des banques sont pillées, pourtant les indépendantistes pro-européens résistent sur la place du Maïdan, des tentes, des vêtements chauds apportés par les habitants, le thé et la vodka, des barricades bloquent des rues. La ville se protège. Kourkov n'est pas tendre pour un président qu'il dit de très petite culture, Ianoukovitch cette année-là. Mais si l'écrivain semble démoralisé, craint la guerre, il continue à planter des pommes de terre que lui offre son voisin à Lazarevka. Aidés de ses deux fils il plante la pelouse de la maison de campagne, sa fille restée à Kiev organise des soirées avec ses amies. Durant ces mois d'hiver par -20° l'auteur du Pingouin retrouve toutes les semaines ses amis au bain, ou se baigne trois fois dans le Dniepr selon un rituel. Les scènes de violence sont coupées par le travail de l'écrivain, meeting, visites dans des lycées, des bibliothèques. " Dans une conversation avec des lycéens... - Que va-t-il se passer maintenant ? Comment peut-on influer sur l'avenir de l'Ukraine ? Le nouveau gouvernement ukrainien pourra-t-il tirer le pays de l'ornière économique et morale ? " Mais aussi vie de famille, vacances de nouvel an en Crimée, les dernières pense-t-il, tous les cinq, dix-sept heures de train et trois enfants se disputent pour avoir la couchette du haut. Durant cette période ( Poutine, rudement traité par l'auteur, a interdit l'importation de bonbons et de saucissons ukrainiens en Russie. Le président élu en  mai possède " la plus grosse entreprise de confiserie du pays " ) le kievain qui n'a que des euros en poche ou des dollars peut ne pas trouver de banque qui les lui échangera contre des hvrinias, ainsi Karkov ne put faire l'achat de fromages et de gâteaux géorgiens au marché. Le livre nous a délivré un petit peu d'histoire de ce pays qui connut la famine dans les années trente, sous la domination de Staline, et s'achève le 24 avril 2014.