vienne
Excursion
Au Schottentor, on sent l'odeur du vin nouveau, le 38 est pompette et s'en va titubant, surcharge de corps humains. Dans l'éclat du soleil la sueur perle sur le dos des pelouses. Le chauffeur est coincé et s'ébroue en crachant de l'oxygène comme un moteur de 76 CV. Sacs à dos encore mous, mais enflant légèrement dans l'attente de conquêtes paysannes. Souliers d'alpinistes sept fois cloutés prenant position sur les oeils-de-perdrix de leur prochain. De la plate-forme arrière monte la vapeur de la chair humaine, accélérant le rythme des roues.
On roule devant des clôtures de jardin où grimpe du feuillage qui frôle presque les fenêtres de la voiture. Un chien pleure dans une ferme. Le tramway filant à toute vitesse rend fou un caniche enfermé. Il croit que ce monstre bruyant rouge et jaune le nargue. De jeunes plants de haricots hâtifs grimpent à de minces perches, ils veulent voir ce qui peut bien se passer là-haut. D'indiscrètes fenêtres en encorbellement tendent des voiles verts de vigne vierge devant leur visage, par crainte des taches de rousseur. Une grille de jardin fait une toilette de couleur blanche. L'odeur de la peinture à l'huile s'exhale à la chaleur du soleil.
" Café-restaurant ". Maître d'hôtel pour quartier résidentiel, avec plastron éblouissant, sommet du crâne étincelant, mèches de cheveux soigneusement comptées, pommadées à gauche et à droite, grasses comme de la crème fouettée. Mouvements de la main silencieux. Leurs doigts marchent sur des talons de caoutchouc. Le groom, bébé en frac, a des joues rouges, brunes et brillantes sous un léger duvet de pêche. Il sent le lait comme un nourrisson.
Un coin de fenêtre a été conquis par une bande de trafiquants. Pardessus et redingotes avec ceinture, dans laquelle ne se trouve étrangement aucune grenade à main. De larges ongles, polis ce matin même par le coiffeur, luisent comme des éclats de verre. Les manières sont fraîchement achetées, elles sont neuves et grincent encore ; l'étiquette avec le prix y pendouille sûrement.
Ils sont six, sept. Leurs cravates d'un vert fluorescent font du tapage. On commande du tschoklad. Sept tasses de tschoklad.
- Et avec ça ? chuchote le maître d'hôtel en s'inclinant.
- Sept, Sacher-torten ! Le maître d'hôtel sourit, supériorité bien huilée. Schani, apporte des gâteaux à ces messieurs. !
Les messieurs sont éberlués. Ne voulaient-ils pas des Sacher-Torten ? Leur compartiment baisse d'un ton. Leurs cravates sont devenues silencieuses à un point frappant. Celui qui a la main dans le sac réfléchit : est-ce que le gâteau est de la Sacher-Torte ?
Schani apporte du gâteau. Soixante-dix doigts l'émiettent. Plongent le gâteau dans le tschoklad
comme des éponges dans l'eau. Finalement, déglutition gargouillante. Cela fait le même bruit que des gouttes d'eau râlant dans un tuyau défectueux.
Sur la route, chant " Les petits oiseaux dans la forêt. " Innocence conquise de force. Costumes de touristes, comme sur une toile peinte. Le vent a ôté la poudre au visage des femmes. Citadins, dans les champs et les prés.
Ruée sur le tramway. Le dialecte de la rue viennoise impose sa suprématie. Quelques renvois permettent aux buveurs d'avaler encore du vin nouveau.
Les premières rues sont silencieuses, elles rentrent la tête par peur des habitants qui reviennent. Comme une épouvante folle, le tramway traverse une rue résidentielle. Et la demi-lune rit sournoisement au-dessus des réverbères au gaz,malades du foie, qui ont la jaunisse.
Josephus
Le Général
Tous les jours, à cette heure du matin où un aide de camp se pétrifiait en colonne de sel :
- Excellence, je déclare avec obéissance...
Joseph Roth
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire