Journal
21 février 1600
Ce matin, en sortant je vis de nombreux soldats se diriger vers Westminster ; on me dit qu'ils allaient procéder à la réadmission des députés exclus. Me redis donc au palais de Westminster, et dans Chancery Row je vis environ 20 de ceux qui avaient été à Whitehall avec le général Monck, qui était venu ce matin et avait prononcé un discours à leur intention : il leur avait recommandé d'opter pour la république contre Charles Stuart. Ils arrivèrent à la Chambre et entrèrent l'un après l'autre ; le président entra en dernier mais il est très étrange que cela se soit passé de manière si secrète que les autres députés de la Chambre n'en aient rien su avant de les voir installer à la Chambre d'autant qu'ils croyaient que les soldats qui se tenaient là pour faire entrer les députés exclus étaient les soldats qui avaient reçu l'ordre de se tenir là pour les empêcher d'entrer. Mr Prynne vint avec une vieille épée au côté, et fut très acclamé lors de son entrée au Parlement. Ils siégèrent jusqu'à midi ; lorsqu'ils sortirent Mr Crew m'aperçut et m'invita à venir chez lui ; j'y allai et il insista pour me garder à dîner ; j'acceptai, ce qui lui fit très plaisir. Il me dit que la Chambre avait proclamé le général Monck général en chef de toutes les forces armées d'Angleterre, d'Ecosse et d'Irlande. Et que, selon le souhait de Monck, en remerciement du service que Lawson lui avait dernièrement rendu en démantelant le Comité de sécurité, il l'avait nommé commandant de la marine, jusqu'à nouvel ordre.Il me conseilla d'envoyer chercher milord immédiatement, et me dit qu'il pouvait désormais, s'il le souhaitait, reprendre du service ; et que la Chambre entend ne rien faire d'autre qu'envoyer les convocations et poser les bases en vue d'un Parlement libre. Après dîner revins au palais de Westminster avec lui, dans sa voiture. J'y retrouvai Mr Lock et Mr Purcell, maîtres de musique ; j'allai avec eux au café dans une salle qui donne sur le fleuve où nous étions seulement entre nous ; nous y passâmes une
heure ou deux jusqu'à ce que le capitaine Taylor nous rejoigne et nous apprenne que la Chambre avait voté qu'il fallait reconstruire les portes de la Cité et que les membres du conseil municipal de Londres qui étaient en prison devaient être libérés ; et que l'affaire de George Booth devait être jugée demain par la Chambre.Au café nous chantâmes tout un choix de chansons italiennes et espagnoles et un canon à 8 voix que Mr Lock venait de composer sur les paroles Domine Salvum fac Regem : c'est une oeuvre admirable.
Toujours au café, le capitaine Taylor se mit à nous parler d'une oeuvre qu'il vient d'écrire sur Gavelkind en réponse à quelqu'un qui a écrit un ouvrage sur le même sujet. En vérité son discours révélait sa grande éruditions. De cette pièce, par la fenêtre, c'était un spectacle des plus plaisants de voir la Cité baignée d'un bout à l'autre dans une sorte de gloire, tant la lumière des feux de joie était forte et tant il faisait noir autour de la Cité, cependant que les cloches carillonnaient de toutes parts. De là, à la maison où j'écrivis à milord ; je descendis ensuite et trouvai Mr Hunt ( ennuyé de ce changement ) et Mr Spong ; ils restèrent tard avec moi à chanter des chansons, puis nous quittâmes. Comme ma femme n'était pas très bien, elle alla se coucher avant moi.
Ce matin, je rencontrai à Westminster, Mr Fuller de Christ's College. Lui fis part de mon intention d'aller à Cambridge et à quel collège. Il me parla très librement du caractère de Mr Widdrington et me raconta qu'il se querellait avec tous ses collègues, et qu'il avait des positions très éloignées de tous les autres ; j'en fus attristé, car il m'annonça que mon frère ne souffrit d'être son élève. 22 Février 1600
Ce matin j'avais l'intention d'aller voir Mr Crew pour emprunter quelque argent ; mais comme il pleuvait j'y renonçai et me rendis au domicile de milord où je vérifiai que tout allait bien. Puis, à la maison où je chantai une chanson en m'accompagnant à la viole ; puis au bureau et chez Will où Mr Pearse vint me voir et me dit qu'il m'accompagnerait à Cambridge, où le régiment du colonel Eyres, dont il est chirurgien, est stationné. En me promenant à Westminster j'ai vu le major Browne qui, pendant longtemps a été banni par le Parlement croupion ; mais maintenant il a une très longue barbe, et sort en ville, et il a été siéger à la Chambre.
Chez mon père pour dîner ; il n'y avait pas grand-chose d'autre qu'un petit plat de salaison de boeuf et un plat de carottes, car toute la maisonnée était affairée à préparer les effets de mon frère John qui part demain.
Après dîner, ma femme resta chez mon père et moi j'allai chez Mr Crew et j'empruntai 5 livres à Mr Andrew ; puis chez Mrs Jemima qui porte maintenant sa minerve autour du cou : en vérité ce la la change beaucoup et elle tient sa tête droite. Je payai à sa domestique 50 shillings sur l'argent que m'a remis Mr Andrew.
Rentrai ensuite à la maison et, dans mon cabinet écrivis ces quelques lignes dans ce journal, puis repartis pour Whitehall ; je rencontrai William Simons et Mr Mabbott chez Marsh ; ils m'apprirent que la Chambre avait voté aujourd'hui que les portes de la ville de Londres devraient être reconstruites aux frais de l'Etat. Et que la proclamation déclarant que le major général Browne était un traître avait été annulée, et plusieurs autres événements de même nature.A la maison pour prendre ma lanterne et ensuite chez mon père, où je donnai des conseils à John sur quels livres emporter à Cambridge.
Après cela nous soupâmes avec mon oncle Fenner, ma tante Théophila Turner et Joyce, d'un bon jarret de veau rôti, et nous nous réjouîmes du départ de John pour Cambridge. J'ai pu constater aujourd'hui que les fenêtres de Barbone ont été terriblement endommagées la nuit dernière. A 9 heures et demie ma femme et moi sommes rentrés à la maison.
23 février 1600
Jeudi - jour de mon anniversaire : j'ai maintenant 27 ans.
Assez belle matinée ; me levai, et après avoir écrit un peu dans mon cabinet, je sortis. Au bureau où je fis part à Mr Hawley de mes projets de quitter la ville demain. Mr Fuller et mon oncle Thomas vinrent me voir ; je les emmenai boire un verre et me débarrassai ainsi de mon oncle. Ensuite, je revins à la maison avec Mr Fuller et je le gardai à dîner. Il nous raconta, à ma femme et à moi, nombre d'histoires sur ses mésaventures depuis les troubles qui l'ont forcé à voyager dans des pays catholiques, etc. Il me montra ses notes de frais, mais je n'avais pas d'argent pour le payer. Nous nous quittâmes et j'allai à Whitehall où je devais voir le cheval que Mr Garthwayt me prête pour demain. Puis à la maison où Mr Pearse vint me voir pour fixer le lieu et l'heure où nous devons nous retrouver demain. Puis, au palais de Westminster où, après l'ajournement de la séance de la Chambre, je retrouvai Mr Crew qui m'apprit que milord avait été élu membre du Conseil d'Etat par 73 voix. Mr Pierpoint avait été élu avec 101 voix, et ensuite lui-même avec 100 voix. Il me ramena à la maison en voiture en compagnie de Mr Annesley. Je repartis à Westminster et je restai un grand moment dans la boutique de Mrs Mitchell à bavarder avec elle et avec ma Chapelaine Mrs Mumford, et je bus une ou deux chopes de bière à la suite d'un pari comme quoi Mr Prynne ne faisait pas partie du Conseil. A la maison, où j'écrivis à milord par la poste les nouvelles concernant la composition du Conseil. Ensuite, au lit.
24 février
Je me levai très tôt. Après avoir pris mon cheval à Scotland Yard, à l'écurie de Mr Garthwayt, je me rendis chez Mr Pearse qui se leva en un quart-d'heure, laissant sa femme au lit ( avec laquelle il m'a semblé que Mr Lucy prenait des libertés tandis qu'elle était au lit ), nous avions tous deux enfourché nos chevaux, et nous nous mîmes en route vers 7 heures. Il faisait mauvais temps et la route était mauvaise. Aux environs de Wayre nous rejoignîmes Mr Blayton, le beau-frère de Dick Vines, et nous continuâmes la route avec lui. Nous nous arrêtâmes à Puckridge pour nous restaurer. Nous prîmes une selle de mouton sautée et nous nous régalâmes ; mais la route depuis Ware était fort mauvaise. Puis à nouveau en selle jusqu'à Foulmer, à 3 lieues environ de Cambridge, car ma jument était très fatiguée. Nous fîmes étape à l'Echiquier. Nous jouâmes aux cartes jusqu'au souper qui consista en une poitrine de veau rôtie. Je partageai le lit de Mr Pearse que nous quittâmes le lendemain car il se rendait à Hinchingbrooke pour parler avec milord avant sa venue à Londres.
Samuel Pepys
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