lundi 15 avril 2013

Sainte Lucie Jacques de Voragine '( conte - récit extrait de La Légende dorée )





                                                   Sainte Lucie , Vierge

            Lucie, vierge de Syracuse, noble d'origine, entendant parler par toute la Sicile de la célébrité de Sainte Agathe, alla à son tombeau avec sa mère Euthicie qui, depuis quatre ans, souffrait sans espoir de guérison d'une perte de sang. Or, à la messe, on lisait l'évangile où l'on racontait que N. S. guérit une femme affligée de la même maladie. Lucie dit alors à sa mère :
            - Si vous croyez ce qu'on lit, croyez que Agathe jouit toujours de la présence de celui pour lequel elle a souffert. Si donc vous touchez son tombeau avec foi, aussitôt vous serez radicalement guérie.
            Quand toute l'assistance se fut retirée la mère et la fille restèrent en prières auprès du tombeau. Le sommeil alors s'empara de Lucie, et elle vit Agathe entourée d'anges, ornée de pierres précieuses, debout devant elle et lui disant :
             - Ma soeur Lucie, vierge toute dévouée à Dieu, que demandez-vous de moi que vous ne puissiez vous-même obtenir à l'instant pour votre mère ? Car elle vient d'être guérie par votre foi.
             Et Lucie qui s'éveilla dit :
             - Mère, vous êtes guérie. Or, je vous conjure au nom de celle qui vient d'obtenir votre guérison par ses prières de ne pas me chercher d'époux. Mais tout ce que vous deviez me donner en dot, distribuez-le aux pauvres.
            - Ferme-moi les yeux auparavant, répondit la mère, et alors tu disposeras de ton bien comme tu voudras.
            Lucie lui dit :
            - En mourant si vous donnez quelque chose c'est parce que vous ne pouvez l'emporter avec vous. Donnez-le moi tandis que vous êtes en vie, et vous en serez récompensée.
            Après leur retour on faisait journellement des biens une part qu'on distribuait aux pauvres. Le bruit du partage de ce patrimoine vint aux oreilles du fiancé, et il en demanda le motif à la nourrice. Elle eut la précaution de lui répondre que sa fiancée avait trouvé une propriété de plus grand rapport qu'elle voulait acheter à son nom. C'était le motif pour lequel on la voyait se défaire de son bien. L'insensé croyant qu'il s'agissait d'un commerce tout humain, se mit à faire hausser lui-même la vente. Or, quand tout fut vendu et donné aux pauvres, le fiancé traduisit Lucie devant le conseil Pascasius : il l'accusa d'être chrétienne et de violer les édits des Césars. Pascasius l'invita à sacrifier aux idoles, mais elle répondit :
            - Le sacrifice qui plaît à Dieu, c'est de visiter les pauvres, de subvenir à leurs besoins, et parce que je n'ai plus rien à offrir, je me donne moi-même pour lui être offerte.
            Pascasius dit :
            - Tu pourrais bien dire cela à quelque chrétien insensé comme toi, mais à moi qui fais exécuter les décrets des princes, c'est bien inutile de poursuivre.
            - Toi, reprit Lucie, tu exécutes les lois de tes princes, et moi j'exécute la loi de mon Dieu. Tu crains les princes, et moi je crains Dieu. Tu ne voudrais pas les offenser et moi je me garde d'offenser Dieu. Tu désires leur plaire et moi je souhaite ardemment de plaire à J.C. Fais donc ce que tu juges te devoir être utile, et moi je ferai ce que je saurai m'être profitable.
            Pascasius lui dit :
            - Tu as dépensé ton patrimoine avec des débauchés, aussi tu parles comme une courtisane.
            - J'ai placé, reprit Lucie, mon patrimoine en lieu sûr, et je suis loin de connaître ceux qui débauchent l'esprit et le corps.
            Pascasius lui demanda :
            - Quels sont-ils ces corrupteurs ?
            Lucie reprit :
            - Ceux qui corrompent l'esprit, c'est vous qui conseillez aux âmes d'abandonner le créateur. Ceux qui corrompent le corps, ce sont ceux qui préfèrent les jouissances corporelles aux délices éternelles.
            -Tu cesseras de parler, reprit Pascasius, lorsqu'on commencera à te fouetter.
            - Les paroles de Dieu, dit Lucie, n'auront jamais de fin.
            - Tu es donc Dieu, repartit Pascasius
            - Je suis, répondit Lucie, la servante du Dieu qui a dit " Alors que vous serez en présence des rois et des présidents, ne vous inquiétez pas de ce que vous aurez à dire, ce ne sera pas vous qui parlez, mais l'Esprit parlera en vous.
            Pascasius reprit :
            - Alors tu as l'esprit saint en toi ?
            - Ceux qui vivent dans la chasteté, dit Lucie, ceux-là sont les temples du Saint-Esprit.
            - Alors, dit Prascasius, je vais te faire conduire dans un lieu de prostitution pour que tu y subisses le viol, et que tu perdes l'esprit-saint.
            - Le corps, dit Lucie, n'est corrompu qu'autant que le coeur y consent, car si tu me fais violer malgré moi je gagnerai la couronne de chasteté. Mais jamais tu ne sauras forcer ma volonté à y donner consentement. Voici mon corps, il est disposé à toutes sortes de supplices. Pourquoi hésites-tu ? Commence, fils du diable, assouvis sur moi ta rage de me tourmenter.
            Alors Pascasius fit venir des débauchés en leur disant :
            - Invitez tout le peuple, et qu'elle subisse tant d'outrages qu'on vienne dire qu'elle en est morte.
            Or quand on voulut la traîner, le Saint-Esprit la rendit immobile et si lourde qu'on ne put lui faire exécuter aucun mouvement. Pascasius fit venir mille hommes et lui fit lier les pieds et les mains, mais ils ne surent la mouvoir en aucune façon. Aux mille hommes il ajouta mille paires de boeufs, et cependant la vierge du Seigneur demeura immobile. Il appela des magiciens afin que par leurs enchantements ils la fissent remuer, mais ce fut chose impossible. Alors Pascasius dit :
            - Quels sont ces maléfices ? Une jeune fille ne saurait être remuée par mille hommes ?
            Lucie lui dit :
            - Ce ne sont pas maléfices mais bénéfice de J.C. et quand vous en ajouteriez encore dix mille vous ne m'en verriez pas moins immobile.
            Pascasius pensant , selon quelques rêveurs, qu'une lotion d'urine la délivrerait du maléfice, il l'en fit inonder. Mais comme auparavant on ne pouvait venir à bout de la mouvoir, il en fut outré. Alors il fit allumer autour d'elle un grand feu et jeter sur son corps de l'huile bouillante mêlée de poix et de résine.
            Après ce supplice Lucie s'écria :
            - J'ai obtenu quelque répit dans mes souffrances, afin d'enlever à ceux qui croient la crainte des tourments, et à ceux qui ne croient pas, le temps de m'insulter.
            Les amis de Pascasius le voyant fort irrité, enfoncèrent une épée dans la gorge de Lucie qui, néanmoins, ne perdit pas la parole :
            - Je vous annonce, dit-elle que la paix est rendue à l'Église, car Maximien vient de mourir aujourd'hui, et Dioclétien est chassé de son royaume. Et, de même que ma soeur Agathe a été établie la protectrice de la ville de Catane, de même j'ai été établie la gardienne de Syracuse.
            Comme la vierge parlait ainsi, voici venir les ministres romains qui saisissent Pascasius, le chargent de chaînes et le mènent à César. César avait en effet appris qu'il avait pillé toute la province. Arrivé à Rome, il comparaît devant le Sénat, est convaincu, et condamné à la peine capitale.
            Quant à la vierge Lucie elle ne fut pas enlevée du lieu où elle avait souffert, elle rendit l'esprit seulement quand les prêtres furent venus lui apporter le corps du Seigneur. Et tous les assistants répondirent : Amen.
            Elle fut ensevelie dans cet endroit-là même où on bâtit une église. Or, elle souffrit au temps de Constantin et de Maxime, vers l"an de N.S. 310.




                                                 ( éd GF  Jacques de Voragine - Varazze 1225/1230 ? - 1298 )
                                            

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