samedi 7 juillet 2018

Saint-Germain-des-Prés Le Parisien in Le Piéton de Paris ( extraits ) 9 Léon-Paul Fargue ( Nouvelles France )


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                                                          Saint-Germain-des-Prés
                                                                ( extraits )    in
                                                              Le Piéton de Paris

            Quand il y ait eu dans la journée un Conseil de Cabinet, un match de boxe........ un coup de flanc littéraire........ les habitués des cafés de la place Saint-Germain-des-Prés sont parmi les premiers touchés des résultats de ces conciles ou de ces compétitions......... " Sensationnelles ", vides ou graves, les nouvelles apportées des ministères ou des rings n'émeuvent pourtant pas les buveurs ou les passants de ce quartier, qui n'en continuent pas moins de surveiller, d'un oeil sceptique et doux, la montée vers le ciel de ce vieux meuble couleur d'orage, pièce d'armure romane et martienne, qu'est le clocher d'une des plus vieilles églises de Paris.
            La place Saint-Germain-des-Prés .......... un des endroits de la Capitale où l'on se sent le plus à la page, le plus près de l'actualité vraie, des hommes qui connaissent les dessous du pays, du monde et de l'Art. Et ceci même le dimanche, grâce à ce kiosque à journaux qui fait l'angle de la place et du boulevard, une bonne maison bien fournie en feuilles de toutes couleurs.
            Hantés,, on ne sait trop pourquoi......... les chapeliers ou marchands d'articles de bureau des environs ont à coeur de venir prendre un bain intellectuel, à l'heure de l'apéritif, le long des librairies qui se mettent en boule ou des terrasses qui gazouillent comme un four à frites.
            La place en effet vit, respire, palpite et dort par la vertu de trois cafés aussi célèbres aujourd'hui que des institutions d'Etat : les Deux-Magots, le Café de Flore et la brasserie Lipp, qui ont chacun leurs hauts fonctionnaires, leurs chefs de service et leurs gratte-papier, lesquels peuvent être des romanciers traduits en vingt-six langues, des peintres sans atelier, des critiques sans rubrique ou des ministres sans portefeuille. L'art et la politique s'y donnent la main, l'arriviste et l'arrivé s'y coudoient, le maître et le disciple s'y livrent à des assauts de politesse pour savoir qui payera.
            C'est à la terrasse des Deux-Magots, celle où l'on peut méditer sur les cendres de Childebert ou de Descartes qui furent déposées dans l'Abbaye, qu'un comitard assez mal décapé me fit un jour une courte esquisse de la vie parlementaire :
Image associée  *          " - Un député est un électeur qui gagne à la loterie
                 Un ministre est un député qui améliore sa situation. "
                 Formule élastique, et qui peut aussi bien s'appliquer à la vie de tous les jours.
            Le café des Deux-Magots, devenu des " deux mégots ", pour les initiés depuis que l'on a cessé de demandez au patron des nouvelles de son associé, est un établissement assez prétentieux et solennel ou chaque consommateur représente pour son voisin un littérateur......... Par sa large terrasse si agréable à la marée montante des matins ou à la descente du crépuscule d'été........le café Deux-Magots est fort recherché des snobs.......... qui veut assister à l'apéritif des écrivains modernes. Quelques dessinateurs, Oberlé par exemple, lancent un rire par échardes. Quelques vieux de la vieille contemplent ce pesage d'un oeil de coin, le docteur Lascouts, Derain, Jean Cassou....... moi-même. Chaque matin, et la chose a déjà passé la terrasse, Giraudoux y prenait son café au lait et y recevait les quelques amis qui ne pourraient plus le saisir de la journée.
            A une heure du matin, les garçons commencent à pousser les tables dans le ventre des clients nocturnes, qui ne sont plus que de braves bourgeois du sixième arrondissement...... les Deux-Magots ferment comme une trappe, sourds au murmure suppliant de deux ou trois Allemands qui stationnent devant la boutique, attirés par les quarante ans de vie littéraire et de boissons politiques du lieu.
            Quelques minutes plus tard, le Café de Flore, autre écluse du carrefour, l'oeil dejà miteux, se recroqueville à son tour...
            Le Café de Flore est connu des Parisiens parce qu'ils le considèrent à juste titre comme un des berceaux de l'Action Française et des Soirées de Paris d'Apollinaire............ Aujourd'hui le Café de Flore a été abandonné par les chefs du mouvement............ La maison se recommande par ses bridgeurs et son peloton de littérateurs, purs ou bohèmes, composé de Billy, de Fleuret, et parfois de Benoit, que caressent du regard quelques transfuges de chez Lipp, commerçants lettrés que le manque de terrasse de la brasserie fait émigrer.
            Lipp reste pour moi l'établissement public n°1 du carrefour.......... Il y a presque trente ans, je suis entré pour la première fois chez Lipp, brasserie peu connue encore et que mon oncle et mon père, ingénieurs spécialisés, venaient de décorer de céramiques et de mosaïques. A cette époque, tous les céramistes faisaient à peu près la même chose. Style manufacture de Sèvres, Deck ou Sarreguemines. On ne se distinguait entre artisans que par la fabrication, les procédés d'émaillage ou de cuisson, la glaçure plus ou moins parfaite. Aujourd'hui, quand je m'assieds devant ces panneaux que je considère chaque fois avec tendresse et mélancolie, je me pense revenu à ces jours anciens où je ne connaissais personne à la brasserie...........                                          lesinrocks.com
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            Mais qu'est-ce ? Les soucoupes tremblent sur la table........ Saint-Exupéry, qui saute à pieds joints de ses beaux avions dans ses beaux livres......... et tant d'autres qui ont goûté à la choucroute de cette académiepopulaire.
            Mon vieil ami Albert Thibaudet, qui débarquait à la brasserie à peine descendu du train de Genève, avait bien raison de dire que Lipp devait beaucoup à la Nouvelle Revue Française, à  Grasset, à Rieder, au Divan, à l'ancienne Revue critique, au Théâtre du Vieux Colombier, à Voilà et à Marianne........ aux libraires, aux bouquinistes et aux hôteliers intellectuels de ce quartier unique...
            Depuis ce temps, et pour toutes ces raisons, j'ai pris l'habitude d'aller chez Lipp. " Je n'en suis pas ", comme tant d'autres, je suis encore dans le dixième, mais j'y vais, comme un Anglais à son club, sûr d'y retrouver chaque soir un vrai camarade en compagnie de qui il est doux d'entamer, par le temps qui court, un lendemain chargé d'un imprévu qui pèse...
            Tantôt c'est ....... Léon Bérard, qui est un seigneur et le plus " attique " de nos ministres........ Quelque autre jour, c'est la comtesse de Toulouse-Lautrec, dont les entrées sont " sensationnelles " ; c'est Derain et sa garde, composé de dessinateurs et de modèles ; c'est lady Abdy ou le bon Vergnolle, architecte à tous crins, socialiste D.P.L.G., qui accompagne, avec Emmanuel Arago, disert et souriant, la belle marquise de Crussol. Et parfois André Gide est là, qui dîne seul.
            Au surplus on y voit, jamais assez loin, quelques raseurs et quelques cancres essentiels,plus ou moins rageurs de ce que vous êtes, et qui espèrent de se blanchir en vous tapant sur le ventre ou en vous insultant. Il ne sera pas très difficile de s'en défaire, si la coterie veut bien s'y mettre, et un peu fort...
            Lipp comporte une discipline assez rigoureuse. Ainsi, certains plats nécessitent une nappe, d'autres pas. Mystère. Impossible d'y manger avec joie quelque chose de simple, d'un peu gras, d'un peu fruité, avec un bon pot, sur le bois ou sur le marbre d'une table, comme on le faisait autrefois au vieux petit Pousset, si cossu, si noir, si excellent, au carrefour Le Peletier. Et s'il fait chaud et que l'on soit à la terrasse, et que l'on se sente gagné de fringale, il faut rentrer dans l'établissement... Néanmoins, on ne saurait écrire trente lignes dans un journal à Paris, peindre une toile ou afficher des opinions un peu précises sur le plan politique sans consacrer au moins un soir par semaine à cette brasserie, qui est aujourd'hui aussi indispensable au décor parisien et au bon fonctionnement du pittoresque social  que........ la Foire du Trône...... Lipp est à coup sûr un des endroits, le seul peut-être, où l'on puisse avoir pour un demi le résumé fidèle et complet d'une journée politique ou intellectuelle française.............. 
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Image associée            Lipp est encore une brasserie de groupes, de sociétés, de prolonges ; ateliers de l'Ecole des Beau-Arts, qui se manifestent en descentes bruyantes, et rincent à coups de bocks les glaces murales de la maison ; cellules de gauche, compartiments de droite, franc-maçonneries diverses, jeunesses qui vont du patriotisme le plus étroit à l'internationalisme le plus large, et réciproquement. Sorte de mer intérieure où se jettent tous les ruisseaux, tous les fleuves politiques de ce singulier XXè siècle. Aussi ne faut-il pas s'étonner que des tempêtes parfois s'y élèvent et assombrissent le sixième arrondissement parisien.....................
   


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                                                            Le Parisien

            Parlant, il y a pas mal d'années, du fameux Chat Noir de la rue Victor Massé, Jules Lemaître écrivait :
            " Ce chat, qui sut faire vivre ensemble la Légende Dorée et le Caveau, ce chat socialiste et napoléonien, mystique et grivois, macabre et enclin à la romance, fut " un chat très parisien " et presque national. Il exprima à sa façon l'aimable désordre de nos esprits. Il nous donna des soirées vraiment drôles. "
            Mais qu'entend-on par une personne ou une chose " très parisienne " ?...........
            Il n'est pas nécessaire d'avoir vu le jour à Paris  pour être parisien.
            " - Cela vaudrait mieux, disait Jarry, ce serait plus sûr. ".........
            Le regretté, le cher Alfred Valette souleva pour moi un coin du voile en me faisant un jour remarquer qu'un Parisien, c'est un Français...........
            Il avait raison............. C'est une sorte de teinte, cela correspond à la qualité d'un tissu...............
            Etre Parisien confère une sorte de primauté à l'heureux tenant de ce titre. En revanche, des quantités d'originaires de la plaine Monceau ou de la place d'Italie ne seront jamais parisiens de leur vie : ils n'ont pas attrapé la manière................
            Une des premières notations du Parisien pourrait être celle-ci : ce n'est ni un Borgia, ni un lord Anglais......... Le Parisien est un monsieur qui va au Maxim's, sait dire deux ou trois phrases bien senties à sa marchande de nnaît les restaurants dignes de porter ce nom, ne fait pas trop de dettes, sinon pas du tout, et laisstabac, et se montre généralement très gentil avec les femmes. Il aime les livres, goûte la peinture, coe des histoires de femmes à arranger à ses fils.                      pinterest.fr
Image associée            Je suis en train d'interroger la postérité d'une foule de Parisiens disparus : Sarcey,Forain, Schwob, Edouard VII, Lemaître, Donnay, Capus, Allais, Lucien Guitry, Grosclaude, Boni de Castellane. Que m'excusent les mânes de ceux que   j'oublie. Cette postérité se plaint. Tant d'hommes délicieux n'ont pas été remplacés !............
            A ces Parisiens succèdent aujourd'hui des " Modernes ", et je donne à ce mot tout son sens péjoratif. Les modernes sont des êtres perpétuellement affolés, pour lesquels une crise ministérielle est une source de catastrophes, la chute d'une pièce de théâtre un présage de fin du monde. Tonnerre ! N'en avons-nous pas vu, des crises ministérielles, et autrement gratinées... L'esprit parisien comportait précisément cette légèreté qui permettait à quelques centaines de milliers d'êtres humains de ne rien prendre au tragique et de constater que tout allais assez bien...........
            Le Parisien était un homme que l'on aimait à rencontrer, qui savait tout, qui vous souriait, même fatigué, même agacé par votre présence, et qui vous disait toujours :
            " - Comme je suis content de vous voir ! "
           Au bout d'une demi-heure, il l'était réellement !... Il y a, chez certains hommes, des trésors de bonne grâce, d'esprit, de gentillesse, le tout assaisonné de rosseries délicieuses et de malice ; des trésors de patience et de rouerie, des mélanges de politesse et de resquillage qui les rendent indispensables, et non pas seulement aux salons de Paris, mais à certaines boutiques de libraires, à certaines galeries de tableaux, et à la plupart des répétitions générales. Je dis la plupart pour une raison bien simple : c'est qu'il n'y a plus de pièces parisiennes. Il y a des états d'âme, des cauchemars avec cour et jardin, des démangeaisons comiques, et des lots de roustissures dues à une poignée de galopins dépourvus de la moindre brindille de culture, de la plus petite épingle de grammaire, et qui font du roman, et on les édite, et qui font du théâtre, disait Jules Renard, comme ils font des chèques. Ils écrivent et on les joue............
Résultat de recherche d'images pour "sem dessinateur"*            Trop de gens aujourd'hui ont " voulu " Paris, le cinéma s'y est mis.............. Ils sont d'un Paris
aussi factice que les images cinématographiques. Ce sont des fantômes.
            On a un peu trop écrit que le Parisien était surtout un homme de théâtre, de salle de rédaction, de golf. Il y a de très sérieux, de très authentiques Parisiens dans l'industrie, l'ingéniorat ou le commerce, dans les chemins de fer ou la parfumerie.
            On a aussi un peut trop dit que le Parisien était un homme plutôt aisé, sinon secrètement très riche, un capitaliste égoïste possédant bibliothèque, miniatures, tabatières, vases, coupé, laquais, cave, château et maîtresse. Il y a de ravissants Parisiens dans toutes les couches de la société. Je suis de ceux qui croient que Ménilmuche et la Chapouelle pour prononcer comme il sied, constituent quelque chose comme l'avenue du Bois des Boulevards extérieurs. Et la poule au gibier, la belote dure, le gueuleton, le Tour de France, sont assurément le Jockey Club, les Drags, les Petits Lits Blancs et Toscanini de ces messieurs-dames dans galette. J'ai vu autant de sensations dans certains beuglants qu'à l'Opéra.
            Cette société, réguliers, camelots, harengs, mecs, " titis, gandins ", broches, sous-broches, midinettes, mijaurées, gonzesses, boutiquières, les bombes, costauds chenilles, tourneuses d'obus, vitrioleuses, qui sont baths ou marles, non seulement on n'en trouve pas l'équivalent à l'étranger, mais encore en province.
            C'est bien une peuplade de Paris, avec ses coutumes et son vocabulaire/ Tous ces êtres que Villon célébra........ puis Carco, sont des Parisiens. Ils exercent une sorte de suprématie auprès des espèces moins promptes à la réplique, moins insouciantes et moins aimables.
            Ces classes, parfois, se mêlent de la plus heureuse façon, et là sans doute gît le secret de Montmartre.......... Et il y a une rue où le charme est irrésistible, où la présence des Parisiens cent pour cent est manifeste : c'est la rue Lepic. Je m'y suis promené avec de grands snobs que je ne daigne pas nommer au milieu des marchandes des quatre -saisons et des nobles charcutiers, la cigarette aux lèvres, le mot pour rire dans l'oeil. Une sympathie égale et vraie nous maintenait tous dans un état de satisfaction et d'énergie. Et quand les Parisiens seizième vont aux Halles, quand ils s'élancent à la recherche des petits restaurants, ils vont en réalité voir d'autres Parisiens.
             Quoiqu'il en soit, tout cela se perd, et même la manière de s'en servir, ainsi qu'il est dit dans un petit poème anonyme. Paris file à toute allure vers un avenir plus sec et certainement moins nuancé............. On n'y entend plus parler que de pactes, de plans ( avez-vous remarqué, tout le monde a le sien ), de records ; on explique la sexualité par la biologie, la biologie par la sauce mayonnaise... De ravissantes jeunes femmes ne sentent remuer en elles le coeur et le reste que dans la mesure où le parti politique auquel appartient le monsieur qui les a sorties est " intéressant ". Quant tout ce monde s'amuse, c'est à la façon des panthères des ménageries..............                catsittingparis.fr/     
Résultat de recherche d'images pour "chat parisien"            - La modernité, disait un délicieux vieillard à son coiffeur, sorte de moteur Bugatti vivant, qui parlait ciné d'abondance, vantait les grill-rooms et l'aquaplane... la modernité ? Elle nous a déjà valu une guerre, des catastrophes journalières, du bruit. Et elle vous prépare des surprises autrement soignées, et combien scientifiques !
            - Le progrès ? dit avec raison Mac Orlan. On vous balade dans une usine pendant une heure : turbines, courroies, dynamos, etc. C'est pour tailler un crayon...


*     villabrowna.blogspot.com


                                                                 Léon-Paul Fargue
                                                                                  in
                                                                Le Piéton de Paris
                                             à suivre..............         

           
               
 











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