mardi 19 février 2019

Mozart Lettres à sa soeur ( extraits ) 5 ( Correspondance Allemagne )


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                                   Leopold Mozart à Lorenz Hagenauer à Salzbourg

                                   Vienne, le 29 juin 1768

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            J'aurais bon nombre de choses à vous raconter au sujet des complots les plus perfides et des persécutions les plus cyniques dont nous sommes l'objet, mais je suis trop fatigué pour y réfléchir et préfère me réserver pour " une conversation de vive voix qui ne saurait tarder ".
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            Nous sommes, Dieu merci, en bonne santé, même si les envieux nous attaquent de tous côtés. Vous le savez je m'en tiens à ma vieille maxime : " in te Domine speravi, etc., fiat voluntas tua, etc." Ma femme, Wolfgang, Nannerl et moi vous faisons à tous nos compliments et espérons bientôt recevoir de vos nouvelles, sinon nous viendrons les chercher nous-mêmes. Nos compliments à tous nos bons amis et amies, et je suis le vieux...



                                      Leopold Mozart à id..

                                      Vienne, le 30 juillet 1768

            ....................... En ce qui concerne notre si long séjour à Vienne, nous sommes extrêmement mécontents. Oui, seul notre honneur nous retient ici, sinon nous serions depuis longtemps de retour à Salzbourg. Voudriez-vous en effet que tout Vienne dise que Wolfgang n'a pas été capable de terminer l'opéra, ou qu'il était si mauvais qu'il ne put être mis en scène, ou encore qu'il ne l'avait pas composé lui-même mais que son père l'avait écrit, etc. Voudriez-vous que nous attendions de sang-froid que l'on répande de telles calomnies dans le monde entier ?...........
            Je ne peux ici qu'esquisser brièvement l'affaire, car il est impossible de la décrire dans tous ses détails, mais vous allez comprendre. Si j'avais su tout ce que je sais maintenant et si j'avais pu me douter de ce qui allait se passer, Wolfgang n'aurait pas écrit une seule note et serait depuis longtemps à la maison.
            Le théâtre est donné en bail ou plutôt livré à un certain Affligio. Celui-ci paye quelques milliers de florins à des gens que la cour devrait sans cela rémunérer, et l'empereur et la famille impériale ne paient rien pour leurs loges. Par suite la cour n'a pas un mot à dire dans les affaires de cet Affligio, du fait que l'entreprise est à ses risques et périls et qu'il risque vraiment de courir à sa perte, comme vous allez bientôt l'apprendre.                                                                     repro-tableaux.com
            Sa Majesté avait demandé à notre Wolfgang s'il voulait écrire un opéra, et dit qu'il aimerait le voir diriger lui-même au clavecin. Sa Majesté en fit prévenir Affligio qui se mit d'accord avec nous pour nous verser 100 ducats. L'opéra devait être écrit pour Pâques, mais le poète fut le premier à l'empêcher en tardant toujours plus à apporter les modifications nécessaires ici ou là, de sorte qu'à Pâques nous n'avions reçu de lui que deux airs corrigés. On remit alors à la Pentecôte.......  C'est alors que les masques tombèrent. Car entre temps tous les compositeurs, Glück en particulier avaient tout mis en oeuvre pour empêcher l'opéra d'avancer. On embobina les chanteurs, on ameuta l'orchestre et l'on fit tout pour bloquer sa mise en scène. Les chanteurs qui savent de toute façon à peine lire leurs notes et dont certains doivent apprendre d'oreille leurs rôles, ont dû affirmer qu'ils ne pouvaient pas chanter leurs airs alors qu'ils les avaient auparavant entendus chez nous, les avaient approuvés, applaudis et dit qu'ils leur convenaient. L'orchestre ne voulait plus être dirigé par un enfant, et cent objections de ce genre.
            Entre temps, certains firent courir le bruit que la musique ne valait pas un clou, d'autres affirmèrent qu'elle ne suivait pas les paroles ni la prosodie car l'enfant ne comprenait pas suffisamment l'italien.
            Dès que j'entendis cela je me mis à apporter la preuve, dans divers endroits bien en vue, que le père de la musique, Hasse et le grand Metastasio avaient déclaré que les calomniateurs n'avaient qu'à venir les trouver pour entendre de leur bouche que 30 opéras étaient donnés à Vienne qui ne valaient pas celui du petit garçon, et qu'ils avaient tous deux la plus grande admiration pour lui.
            On dit alors que ce n'était pas l'enfant qui avait composé l'opéra, mais le père.
            Mais ici les calomniateurs perdirent tout crédit......... et s'assirent dans la moutarde.
            Je fis prendre le premier volume venu des oeuvres de Metastasio, fis ouvrir le livre et présenter à Wolfgang............ il prit la plume et, sans trop réfléchir, et devant de nombreuses personnes de qualité, il composa à une vitesse étonnante la musique de cet air et un accompagnement de nombreux instruments..........
            Cent fois j'ai voulu faire mes malles et m'en aller, si cet opéra avait été un " opéra seria " .......... mais comme c'est un opéra buffa...........
Nous sommes des gens honnêtes qui font connaître au monde pour la gloire de leur prince..... un miracle que Dieu a fait naître à Salzbourg. Je dois cette reconnaissance à Dieu, sinon je serais la personne la plus ingrate qui soit..............
            Vous voyez comme nous devons nous battre en ce monde. Si l'homme n'a aucun talent, il est suffisamment malheureux, mais s'il en possède un les envieux le poursuivent en proportion de son talent...........



                                               Leopold Mozart à id.

 repro-tableaux.com                                               Vienne, le 6 août 1768

            ;.............................. Avez-vous entendu parler du succès de l'innoculation de la variole ?
            A Meidling, près de Schönbrunn, l'impératrice a mis une maison à la disposition des enfants traités par " l'inoculateur anglais ".
            Il s'agit d'enfant pauvres  qui reçoivent chacun, ou plutôt leurs parents, un ducat à leur admission.
            40 ont déjà été inoculés avec succès. L'empereur et l'impératrice viennent presque chaque jour leur rendre visite et soutiennent de toutes leurs forces cette entreprise.
            En revanche, presque tous les médecins sont furieux.
            Ce n'est pas étonnant, cette maladie et le traitement rapportaient généralement gros, quelle qu'en soit l'issue.
            Dieu merci, notre inoculateur était " le meilleur ".



                                              Leopold Mozart à id..
        
                                              Vienne, le 14 septembre 1768

            ... En ce qui concerne l'opéra de Wolfgang, je ne puis en bref rien vous dire d'autre, si ce n'est que tout l'enfer musical s'est déchaîné pour empêcher que soit constaté le talent d'un enfant. Je ne peux faire pression pour que l'on monte l'opéra, car si cela devait être, on m'a juré qu'il serait interprété de manière misérable afin qu'il échoue. Je dois attendre l'arrivée de l'empereur, sinon la bataille aurait commencé depuis longtemps. Je ne laisserai rien passer, croyez-moi, qui puisse sauver l'honneur de mon enfant. Je le savais depuis longtemps, mais je le redoutais depuis longtemps encore. Je l'ai d'ailleurs déjà dit à Son Excellence le comte von Zeil qui croyait pourtant tous les musiciens prévenus en faveur de Wolfgang, car il portait son jugement sur les apparences et ignorait la méchanceté de ces animaux. Patience, le temps éclairera cette affaire et Dieu ne permet rien en vain
            Adieu, je suis le vieux.



                                            Species Facti de Leopold Mozart

                                            Vienne, le 21 septembre 1768

            Species Facti                                                                                                jaime.litalie.free.fr
            Après que la noblesse viennoise se fut convaincue du talent extraordinaire de mon fils, tant par les nouvelles reçues de l'extérieur que par ses propres investigations et après l'avoir mis à l'épreuve, on fut généralement d'avis qu'il serait merveilleux qu'un enfant de 12 ans écrivit un opéra et le dirigeât lui-même, ce qui ne s'est jamais vu, ni actuellement ni dans le passé. Un article paru dans une revue scientifique de Paris renforça cette opinion car, après une description détaillée du génie de mon fils, l'auteur affirme ; " je ne désespère pas qu'avant qu'il ait atteint l'âge de 12 ans il n'ait déjà fait jouer un opéra sur quelque théâtre d'Italie ", et chacun croyait qu'il devait réserver une telle gloire à sa patrie.......... Le ministre hollandais, le comte von Degenfeld,fut le premier a en faire la proposition à l'imprésario Affligio........... le chanteur Caratoli fut le second à en parler à Affligio, et l'affaire fut conclue avec l'imprésario chez le médecin Laugier............
            Je demandai à Caratoli de venir l'entendre......... il vint et son admiration fut telle qu'il revint le lendemain en compagnie de Garibaldi..............
L'opéra était donc fini depuis quelques semaines............. mon fils avait à diverses occasions interprété au piano devant la noblesse l'un ou l'autre air...... à l'émerveillement de tous................
            Seulement, comment aurais-je pu l'imaginer !, c'est alors que commencèrent les persécutions  contre mon fils......................
            Mais ici,...........  les chanteurs n'avaient pas encore suffisamment appris leurs rôles et n'avaient eu aucune répétition au piano, n'avaient pas étudié ensemble les " finali ", et pourtant on fit une répétition du premier acte avec tout l'orchestre, pour conférer dès le début un aspect confus et amoindri de cette oeuvre.............
            Après la répétition Affligio me dit : " que c'était bien, mais.......... il convenait d'y apporter quelques modifications........... "
            On modifia donc............ Finalement le terme était passé et j'entendis dire qu'Affligio avait fait distribuer aux chanteurs les parties d'un autre opéra. On dit même qu'Affligio n'avait pas l'intention de monter l'opéra et qu'il avait laissé entendre que les chanteurs n'étaient pas en mesure de le chanter, alors que ces derniers l'avaient approuvé auparavant et en avaient chanté les louanges.
            Pour assurer ma position contre ces racontas mon fils interpréta tout l'opéra au piano devant........ des mélomanes. Tous s'étonnèrent........ ils ne comprenaient pas cette attitude méchante, fausse et peu chrétienne.............. qu'au lieu d'encourager un talent surnaturel, il était étonnant de découvrir une cabale dont le seul but était d'empêcher un enfant innocent d'acquérir la gloire et l'honneur qu'il mérite.
            Je me rendis chez l'imprésario pour essayer d'apprendre la vérité. Il me dit :
            " Qu'il n'avait jamais été contre la mise en scène de l'opéra, mais que je ne pouvais lui tenir rigueur s'il voyait d'abord ses intérêts. On lui avait fait part de quelques doutes quant au succès qu'il pourrait remporter, qu'il donnait actuellement la Cecchina........qu'après il ferait tout de suite donner l'opéra de l'enfant........... il aurait au moins deux opéras à proposer............. "
            Mais les ennemis du pauvre enfant, quels qu'ils soient, ont une fois de plus contrecarré le plan. Je voulus m'en assurer et je me rendis chez lui et il me confirma la chose suivante
           " Il avait convoqué les chanteurs, ceux-ci avaient certes reconnu que la musique de l'opéra était incomparable, mais qu'elle manquait de caractère théâtral et qu'ils ne pouvaient donc pas le jouer
            Je ne compris absolument rien à ce discours............ Je lui répondis " qu'il ne pouvait exiger que l'enfant se soit donné pour rien la peine de composer un opéra. Je lui rappelai son accord et lui fis comprendre qu'il nous avait tenus en haleine pendant quatre mois, ce qui avait entraîné des frais........"
            Devant mes exigences bien justifiées, il me donna une réponse incroyable qui prouve bien son embarras à se sortir, je ne sais comment, de toute cette affaire et prit congé de moi avec des mots méchants et scandaleux, disant que " si je voulais prostituer mon enfant, il ferait huer et siffler l'opéra." 
            Coltellini en est témoin. Telle serait donc la récompense proposée à mon fils pour la peine qu'il s'est donné d'écrire un opéra ( son manuscrit comporte 558 pages) pour le temps perdu............ Quelles que soient ces balivernes et ces contradictions elles pourraient s'évanouir en fumée, à la honte des diffamateurs envieux et déshonorants, si l'on soumettait à un examen minutieux les facultés musicales de mon fils, ce que je demande humblement de faire entreprendre à l'occasion afin de rétablir son honneur.
            Chacun pourra alors constater qu'il ne s'était agi que de persécuter, dans la capitale de sa patrie allemande, et de faire le malheur d'une créature à laquelle Dieu a conféré un talent extraordinaire, que d'autres nations ont admiré et encouragé.


                                                                    à suivre................
         

   
          





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