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Le Nageur
Je veux, sur ta chair opulente,
Masse de blancheur,
M'étaler, ainsi qu'un nageur
Sur la mer tremblante ;
Car ton ventre, tes seins élus
Par mon désir vague,
M'apparaissent comme la vague
A l'heure du flux.
Cela monte, descend et monte,
Et puis redescend,
Ainsi que le flot rugissant
Et que rien ne dompte !
Couché sur ton corps, tout amant
Peut croire qu'il plonge,
Pêcher le corail et l'éponge
Tout en s'endormant.
Pour l'entretenir dans ce rêve,
Tes seins tourmentés
Ont l'odeur et les âcretés
D'une ardente grève.
Ce parfum rude et singulier,
Et qu'aussi recèle
Ta fauve et broussailleuse aisselle
Ne peut s'oublier.
Il me prend à la gorge, et grise
Comme du poison,
Et chancelante, ma raison
Y reste surprise.
Va, que ton corps tempétueux
Sa fureur me semblera douce
Et, fermant les yeux,
Je m'étendrai, pour que tu puisses
M'engloutir au fond
De l'abîme humide et profond
De tes fortes cuisses.
Je sens couler tes pleurs ardents
Sur mon front qui fume,
Ta salive en suave écume
Arrive à mes dents.
Nageur éperdu, je m'élance,
Au bruit des sanglots
Dont tu laisses couler les flots
Avec violence.
Mais le souffle, ô cher océan,
D'éternelle ivresse,
Me fait défaut sous ta caresse
Pleine d'ouragan.
Ah ! cherche s'il n'est point un havre
Un trou de rocher,
Une plage pour y coucher
Ce pauvre cadavre,
Ce triste canot souffleté
Par la froide houle
Ce gauche navire qui roule,
Lourd et démâté !
Albert Glatigny
( 1839 / 1873 )
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