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mardi 5 janvier 2021

Les murets, un figuier, un petit oiseau Luigi Pirandello ( Nouvelle Italie )

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                                        Les murets, un figuier, un petit oiseau

            Une panne de moteur, que l'on ne pouvait pas réparer en moins d'une heure.
            J'étais déjà dans la ville où m'attendaient amis et affaires : la campagne à travers laquelle je fuyais en automobile, n'avait été jusque-là qu'un souffle de vent et une continuelle disparition de choses imaginaires. Maintenant elle s'était immobilisée autour de moi, campagne solitaire, et ce qui disparaissait dans le vent c'était une route entre les maisons, l'arrivée devant un portail : une scène sur laquelle s'étaient confondus et tournoyaient de grands visages familiers et des paroles qui étaient les leurs, déjà formées dans mon esprit, entêtement de la pensée, et le cadran d'une pendule qui indiquerait l'heure préétablie dans un salon plongé dans la pénombre.
            J'ai une qualité : je crois immédiatement à ces catastrophes mentales. Et je sais qu'il ne faut pas importuner le mécanicien.
            - Une heure ?
            - Je ne sais pas si cela suffira.
            Je regarde ma montre et je m'éloigne.
            Ce n'était pas qu'une halte en pleine campagne fût totalement imprévue, mais cette campagne-là ne pouvait plus constituer l'unique réalité de mes pensées. Je m'étais engagé dans un sentier latéral en montée, et m'étais assis sur un muret, à l'ombre d'un gros figuier qui me plongeait dans un bain de parfum, chaud et âcre. Des cigales et partout beaucoup de poussière qui me parut sournoisement tapie et prête à s'élever. Il fallut rendre grâces à la chaleur lourde et immobile du ciel qui la flétrissait.
            J'étais monté pour respirer plus librement et contempler l'espace, mais le sentier continuait à grimper à flanc de colline, comme pour m'avertir que ce n'était pas encore le bon endroit.
            - Peu importe, lui répondis-je, il me suffit de peu.
            Mais à vrai dire, même ce peu n'y était pas. Unique satisfaction : un petit oiseau s'était aperçu de ma présence.. Mais je compris aussitôt, à ma grande déception, qu'avec ses pépiements poliment hésitants et ses volettements, il voulait me chasser de là. 
            C'était lui qui avait raison, et j'eus tort de me vexer. Peut-être estimez-vous que l'arrogance envers les oiseaux est licite et que j'étais dans mon droit en tapant dans mes mains et en criant :
            " - Ouste ! "
            Cela veut dire que, pour une fois, vous serez d'accord avec moi, alors que je ne le suis pas avec moi-même.
            Le petit oiseau s'enfuit droit devant lui dans un claquement de queue et je restai là, satisfait de me sentir beaucoup plus gros que lui, mais me demandant comment j'aurais fait pour m'envoler, moi, si quelqu'un de beaucoup plus gros s'était amusé à me crier :                                      pinterest.fr
            " - Ouste ! "
            Quelqu'un de plus gros qui ne fût pas nécessairement pourvu d'un corps : ç'aurait pu être ma mélancolie. Je serais parti gauchement, à petits pas, avec l'impression d'entendre une voix me narguer dans mon dos. Je n'ai vraiment rien à gagner à combattre les petits oiseaux qui voudraient me chasser.
            Midi : il n'y avait pas âme qui vive. Et pourtant, le peu de terre que j'apercevais, une pente abandonnée sous le soleil vertical, me semblait désormais remplie d'une foule de gens. Je ne me rendais pas compte du malaise qu'elle m'avait donné, dès le premier instant. Elle grouillait de sentiments humains, naturellement tristes : haines, lassitudes, intérêts. Lois. Impôts.
            C'est cela : les murets. Je n'en avais jamais vu autant, dans un si petit espace. Ils le coupaient en tous sens, le morcelant en au moins sept ou huit petites portions misérables, aussi loin que portait mon regard, et n'étaient que lutte et chagrin obstiné, pas à pas, un pas en avant, un pas en arrière, par à coups. Murettes et murs à sec, chemisés et rustiques, décrépits, mais quelques-uns plus jeunes étaient les plus tristes. Sur une courte distance ils se tenaient bien droits, l'air arrogant et sûrs d'eux, puis penchaient de guingois, torves, ventripotents, et ceux qui étaient dotés d'un petit portail avaient l'air humiliés, comme si on les y avait forcés. Ils donnaient l'impression d'une chose factice, mais si hérissée qu'elle ne prêtait pas à rire.
            Terre disputée, divisée et subdivisée sous ce soleil qui semblait avoir fait le pari de la rendre aride !
            Afin de chasser mon malaise, je me pris à rêver, à penser tout haut :
            " Figuier, sais-tu que ma course pourrait s'arrêter ici ? 
            Va savoir pourquoi je cours ainsi, pourquoi je rends ma vie si précaire. On dirait que je m'agite sans raison. Mais c'est parce que je suis toujours prêt au définitif. Vous ne trouvez pas cela naturel ? Un homme qui a dû créer. Des heures qui passaient pour tous, une vie qu'il aurait fallu vivre, dissiper, gaspiller, user. Eh bien, non : Elles lui servaient à l'arrêter, ces heures, des heures et des heures, toute sa vie. Il l'a prise au sérieux : il n'a rien fait d'autre. Devoir définir. Bien faire, tout, scrupuleusement. Impossible de laisser des remords derrière soi. Définitif. C'est cela, créer.
            Est-ce cela, vivre ? La vie : créer, oui. Mais créer, c'est donner une consistance, figer : c'est la mort.
            Et quelle mélancolie on acquiert, figuier, quand on est toujours prêt au définitif  ! Une halte, la plus anodine, peut toujours se transformer, pour moi, en dernier repos. C'est pourquoi je m'agite le plus possible, maintenant que, bien tard, j'ai compris le jeu : tant que je le pourrai, tant que j'aurai l'impression d'en avoir envie, ou tant que quelqu'un ou quelque chose m'appellera, j'irai, ici ou là. "
            Le petit oiseau était revenu. Mon immobilité n'arrivait pas à le convaincre, elle le maintenait à distance. Peut-être aurait-il voulu me voir vivre : c'était lui, encore une fois, qui avait raison. Si j'avais été occupé à une tâche plus naturelle, je ne sais pas, telle que biner ce carré de terre, il ne se serait pas méfié de moi. On ne sait jamais ce que peut devenir brusquement un homme, qui pense sous un figuier. Il ne devient rien, pauvre sot. Un homme de passage. Il a tôt fait de se lever et de s'en aller. Avec ses pensées. Il est de passage, tout comme ses pensées. Et toi, tu restes, petit oiseau éternel. Et vivant. Et tu ne sais pas quelle contradiction tu résous avec un seul de tes trilles !
            " Pour un peu, figuier, rien que pour embêter ce petit oiseau stupide, je resterais ici. Ce ne serait pas mal, ni pour toi ni pour moi, si on me mettait entre tes racines : ensemble, nous donnerions des figues très sucrées.
            Je me disais : au moins en ce qui concerne mes figues, ceux qui n'en auraient pas mangé ne pourraient pas dire qu'elles n'étaient pas sucrées.                                                 pinterest.fr
            " Toi oui, figuier, tu pourrais t'efforcer de devenir célèbre pour tes figues si sucrées, et tu aurais raison. Ta réputation serait pour toujours confiée à tes figues. Mais un artiste, penses-tu ! Tant que son nom est confié à la connaissance de ses œuvres, il ne peut pas connaître la célébrité : seulement l'estime d'un cercle plus ou moins restreint de lecteurs. La célébrité vient lorsque, allez savoir pourquoi et comment, son nom, un beau jour, se détache de ses œuvres, se couvre de plumes et prend son essor : son nom. Les œuvres sont plus sérieuses, elles suivent à pied de leur côté, avec le poids et la valeur qu'elles ont, tout doucement. Mais le nom vole. Et avec lui quelque idée abstraite, farfelue, drolatique, quelque intrigue défigurée, à l'envers, quelque titre. 
            C'est la pire des farces, la pire des injures que le sort puisse faire à un artiste, car l'art est tout entier, tout entier et uniquement dans les détails. Il est tout entier dans les figues, tu comprends ? Aucun artiste n'est plus inconnu qu'un artiste célèbre. Tu sais qu'aujourd'hui, beaucoup de gens éprouvent une vive antipathie pour mon art, et ils le tournent en dérision, lui font obstacle à leur manière, ils voudraient le voir effacé. Mais ont-ils lu une seule ligne de moi ?
            Il n'en savait rien. Ou cela lui était égal. Mais je n'ai pas l'habitude de parler seul.
            " Et le sort d'un nom qui vole ? Tu es là si bien enraciné que tu ne peux pas comprendre. Mais ce petit oiseau stupide doit savoir qu'aussitôt, contre quelque chose qui vole, un petit oiseau ou un nom, les chasseurs pointent leurs fusils. Ils tirent. N'aie pas peur : je ne suis pas un petit oiseau. Ce n'est pas un drame : ils le criblent de plombs, le plument. Ils ont bien plumé mon nom, figuier : j'ignore quel plaisir ils y ont trouvé car, désormais, ils doivent supporter de le voir voler çà et là dans cette tenue indécente, sous les cieux de notre patrie. Tu comprendras toi aussi que, tant que l'on tire sur un nom littéraire on ne peut pas tuer ce nom. Je pourrais toujours en rire, moi le dernier. Et j'en ris, en effet : mais cela m'ennuie que, parmi ces chasseurs de noms il y ait des jeunes. 
            Mon Dieu, des jeunes, pas vraiment au sens où on l'entend : ce sont des jeunes lettrés, c'est un peu différent. Il faut qu'ils se frayent un chemin. Intelligents, tu sais ? Ils ont décrété que le caractère propre des Italiens, c'est la rixe, les factions. Il n'y a rien au monde de plus respectable que les caractères d'une race : acoquinés en bande, ils se sentent à leur aise. Lettrés, tant qu'on voudra, mais jeunes, sans aucun doute.
            Je me venge avec la sympathie instinctive que j'éprouve pour tous ceux qui font quelque chose, du bruit, des sottises, qui se donnent du mal et s'agitent pour des calculs sans logique, sans queue ni tête, des choses qui ne sont pas définitives, des choses de la vie. 
            En dehors de l'art, grâce à Dieu ! quel soulagement. Et cela me fait vraiment plaisir qu'ils les prennent pour des problèmes artistiques. Mais ils sont intelligents, ils ne sont pas dupes. Mais, qui sait, qui sait ? Et, après tout, pourquoi devraient-ils être si intelligents ? Espérons qu'ils soient dupes. Ils abattront d'abord Pirandello mais, entendons-nous bien, pour construire leur œuvre, après. L'illusion selon laquelle il faudrait " faire table rase " m'attendrit, comme toute illusion. Moi, je n'ai plus d'illusion. Moi, je n'ai plus d'illusions, hormis celle de ne plus en avoir. En contrepartie, j'ai plus de compréhension qu'il n'en faut pour vivre : je comprends même leurs jeux allègres. C'est comme si je ne croyais plus à la cruauté, et quant à la méchanceté, elle m'amuse. Et après tout, eux aussi constituent un spectacle pour mes yeux désintéressés. Comprends-tu, figuier ?
            Ce n'était pas drôle de lui parler : il répondait toujours oui.
            J'étais seul.
            Dans ce soleil furieux qui assombrissait l'air, dans cette poussière lourde, ah, comme j'aurais voulu me désagréger moi aussi ! Que faisaient les murets, eux qui l'auraient vraiment pu ? Brûlants, desséchés, crevassés, ils étaient peut-être déjà en poussière et tenaient debout par la force de l'illusion. Oubliant que le point d'équilibre quand on est un mur, pour un mur, c'est quand il est bien sec. 
            Et pour un homme, quel est le point d'équilibre ? Quand il s'est tellement desséché que même les intrigues de ses adversaires peuvent l'amuser un moment ? Ma volonté me le dit, que je suis desséché, avec le bougonnement d'une pauvre servante persécutée par des maîtres exigeants, le sentiment et l'intellect : le premier ne connaît pas de trêve dans son désir de découverte, le second est toujours plein de fraîcheur, constamment émerveillé.                                                            pinterest.fr
            Pour beaucoup il est difficile d'aimer les jeunes, pas pour moi. Encore libres des rigides constructions mentales dans lesquelles les années, le métier, les responsabilités les emprisonneront eux aussi., disposés à écouter les appels désintéressés de la vie, sympathiques, oui, mais irritants pour les gens sérieux : on ne sait jamais comment les prendre. Peu commodes. Même l'amour naturel, entre un homme et une femme, est pour eux tourmenté, hérissé de désespoirs, de malentendus, de problèmes moraux suraigus, d'arrogances naïves. La plupart n'arriverait à les aimer vraiment que quand ils sont vieux. Le vieillard, comme le jeune qui ne l'a pas encore acquise, a souvent abandonné en chemin, peu à peu, la fixité des traits de caractère qui lui donnaient corps à l'époque de sa vie où il se construisait : sur ce point-là la distance les rapproche. Et si le vieillard, au contraire, s'est ratatiné davantage, comme un de ces murets que la ténacité avide du ciment ancien a rendus très durs ? Mais ils sont aussi sonnants et fragiles. Il suffit de les pousser un peu pour qu'ils s'écroulent. S'ils dérangeaient... Mais les jeunes les évitent avec un haussement d'épaules et quelques paroles ironiques. Ils ne les considèrent pas vraiment comme des murets secs, plutôt comme des feuilles mortes, stridentes, inutiles. Le vent de la mort les balaye du chemin des vivants. Il semble plus naturel, plus humain que notre ciment. La volonté cède avec les années et que les blocs de convictions, de sentiments, de préférences qu'il maintenait solidement s'écroulent peu à peu et finissent de se désagréger sur le chemin. Mur croulant, en ruine : place à ceux qui doivent passer.
            C'est étrange, mais c'est vraiment comme si j'étais vieux.
            Un vieillard doit être intelligent. Celui qui marche sur lui, qui piétine ses débris, va construire son mur un peu plus loin. Pour durer quelques années, lui aussi.
            Place, place à ceux qui passent.


                                        Luigi Pirandello
                                                              
                                                             ( 1931 )














































mercredi 9 décembre 2020

Qui ? Luigi Pirandello ( Nouvelle Italie )

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                                                      Qui ?

            C'était qui alors ? Dites-le vous-même, puisque tout ce que je dis ne peut que vous faire rire. Mais libérez au moins Andrea Sanserra qui est innocent. Il n'est pas venu au rendez-vous, je vous l'ai répété cent fois. Et maintenant, parlons de moi.
            Selon vous je serais coupable parce que je suis retourné à Rome en octobre, n'est-ce pas, alors que les autres années je n'y allais qu'une fois par an, et en juin ? Mais vous ne voulez donc pas tenir compte du fait qu'en juin dernier mes fiançailles ont été rompues ? A Naples, entre juillet et octobre, j'étais comme fou, au point que mon chef de bureau m'a forcé à prendre un mois de congé supplémentaire, justement en octobre. Mon rêve, mon rêve de tant d'années s'était effondré ! Et ceux qui affirment qu'à Naples je m'étais adonné au vin pour oublier mentent comme des arracheurs de dents. Du vin, je n'en ai jamais bu. J'avais si mal ici, à la tête, que je délirais, j'avais des vertiges et envie de vomir. Moi, un ivrogne ? Mais, pourquoi s'étonner. On dit bien maintenant que je me fais passer pour fou afin de me disculper ! La vérité c'est que je m'adonnais... aux aventures faciles, bêtement, pour prendre une revanche, ou plutôt pour me venger de mes scrupules, de ma fidélité, de ma trop longue absence. Ca, oui, et en cela, j'en conviens, j'ai exagéré.
            A Rome, chez ma mère, je revois au bout de sept ans, Andrea Sanserra rentré d'Amérique depuis deux mois. Ma mère me confie à lui. Nous avions grandi ensemble et nous nous connaissions, Andrea et moi, mieux que la pauvre femme qui, dans ses saintes pensées, nous plaçait plus haut que nous ne le méritions. Elle nous prenait pour des anges, à vingt-six ans ! Mais c'était moi qui lui avais inspiré cette bonne opinion, avec la vie que j'avais menée pendant ces cinq années de fiançailles. Passons. Avec Andrea j'ai continué sur la mauvaise voie que j'avais prise à Naples, il y a trois mois.
            Et maintenant, j'en viens au fait.
            Un soir il me propose... Sachez d'abord que Sanserra n'avait jamais vu la personne dont je vais vous parler, il ne la connaissait que par ouï-dire. Il me propose donc de faire la connaissance d'une 
" spécialité du genre ", c'est sa façon de s'exprimer. Il me raconta... je ne sais plus les mots exacts. Je ne me souviens que de l'impression qu'ils m'ont laissée : une chambre plongée dans l'obscurité avec un grand lit et, au pied du lit, un paravent. Une jeune fille enveloppée dans un drap, comme un fantôme. Derrière le paravent, une vieille tante qui tricotait, assise près d'un guéridon. Une lampe qui projetait sur le mur, agrandie, l'ombre de la vieille et ses mains agiles. La fille ne parlait pas et montrait à peine son visage, c'était sa tante qui parlait. Elle racontait tous ses malheurs à quelques fidèles clients de la maison : sa nièce fiancée à un excellent jeune homme qui avait un poste lucratif, de confiance, en Italie du Nord. Le mariage raté à cause de la dot, la dot qui avait bien existé, mais qu'un désastre familial avait englouti... Il fallait la reconstituer au plus vite, avant que l'excellent jeune homme n'apprenne... " Sur la porte de cette chambre, on peut écrire - Douleur - "
            Naturellement, je fus tenté, et Andrea et moi, nous prîmes rendez-vous pour le lendemain soir, à huit heures et demie, devant Porta del Popolo. Il habite via Flaminia, la maison des deux femmes se trouve via Laurina, le numéro, je ne m'en souviens plus.
            C'était un samedi soir, il pleuvait. Via Flaminia s'étendait toute droite et boueuse entre deux files de réverbères dont la lueur vacillait parfois et disparaissait parfois sous les rafales de vent qui, derrière mon dos, agitaient les arbres sombres de Villa Borghese, battus par la pluie. Je pensais qu'Andrea ne viendrait plus, avec ce sale temps, mais je ne me décidais pas à partir et je regardais, perplexe, les filets d'eau qui dégoulinaient autour de mon parapluie. Aller tout seul Via Laurina ? Non, non... je fus pris à ce moment-là, d'un profond dégoût pour la vie que je menais depuis trois mois. J'eus honte de moi, abandonné là par mon compagnon, sur le chemin du vice. Je pensais qu'Andrea était sans doute allé passer la soirée chez des gens honnêtes, ne soupçonnant pas que je serais assez corrompu pour venir au rendez-vous par ce temps de chien.
            " Et pourtant non, pensai-je, je suis plus malheureux que ce corrompu. Où aller maintenant ? "
            Et je me souvins de soirées tranquilles et heureuses en compagnie de mon trésor, de ma vie passée, de sa petite maison. Ah ! Tuda  Tuda !                                                  salon.litteraire.linternaute.fr
            Soudains, de l'arc central de la porte, voilà que débouche un petit vieux voûté, vêtu d'un manteau qui lui arrivait aux chevilles et tenant à deux mains un parapluie tout déchiré. Il descendait Via Flaminia comme porté par le ven. J'aiguise mon regard. Un frisson parcourt tout mon corps. M. Jacopo, Jacopo Sturzi, le père de Tuda ma fiancée !... Mais comment ? Puisque je l'avais déposé moi-même, de mes propres mains, dans son cercueil et accompagné à Campo Verano, voilà un an ! Et pourtant c'est bien lui , il passe devant moi, mon Dieu !... Et il se retourne pour me regarder, la tête penchée de côté, comme pour m'adresser un sourire. Et quel sourire ! Je reste cloué au sol, pris d'un tremblement convulsif. J'essaye de crier mais aucun son ne sort de ma gorge. Un moment je le suis des yeux. J'arrive enfin à me dépêtrer de ma peur et me lance à sa poursuite.
            Croyez-moi, je vous en prie. Je suis incapable d'inventer une histoire pareille. Je ne pourrais pas vous répéter mot pour mot tout ce qu'il m'a dit, mais vous comprendrez facilement que certaines idées ne peuvent pas être sorties de mon cerveau, parce que Jacopo Sturzi, bien que porté sur la boisson était un vrai philosophe, un philosophe très original, et il m'a parlé avec la sagesse des morts.
            Je le rejoignis au moment où il allait poser sa main tremblante sur la poignée de la porte vitrée d'une taverne. II se retourna brusquement, me prit par le bras en m'entraînant en bas, dans l'obscurité.
            - Luzzi, dit-il, par pitié, ne dis à personne que je suis vivant.
            - Mais, comment ?... Vous ? balbutiai-je.
            - Oui, Luzzi, je suis mort, ajouta-t-il, mais tu comprends, le vice est plus fort ! Je vais t'expliquer. Il y a des gens qui, à leur mort, sont mûrs pour une autre vie, d'autres pas. Les premiers meurent et ne reviennent plus, parce qu'ils ont su trouver leur voie. Les seconds, eux, reviennent, parce qu'ils n'ont pas su la trouver et, naturellement, ils la cherchent là où ils l'ont perdue. Moi, par exemple, ici à la taverne. Mais qu'est-ce que tu crois ? C'est une punition. Je bois et c'est comme si je ne buvais pas, et plus je bois et plus j'ai soif. Et puis, tu penses bien que je ne peux pas me permettre  trop de largesses...
            Et, frottant le pouce contre l'index de la main droite, il fit une grimace pour dire : je suis sans le sou.
            - Ah bon ! Et comment faites-vous ?
            Il me sourit, posa une main sur mon épaule et répondit :
            - Si tu savais !... J'ai commencé, dès le lendemain de mon enterrement, par revendre la belle couronne en porcelaine que ma femme avait fait mettre sur ma tombe, avec l'inscription " A mon époux adoré ". Nous, les morts, il y a des mensonges que nous ne supportons pas. Je l'ai revendue quelques lires, ça m'a permis de tenir une semaine... Pas de danger que ma femme vienne me faire une petite visite et s'aperçoive que la couronne a disparu. Maintenant je joue aux cartes, ici, avec les clients, je gagne et je bois aux frais des perdants. Bref... une industrie. Et toi, que fais-tu ?
            Je ne sus que répondre. Je le regardai un instant, puis je fus pris d'un accès de folie et l'empoignai par le bras :
            - Dis-moi la vérité ! Qui es-tu ? Comment es-tu ici ?
            Il ne se démonta pas, il sourit :
            - Mais puisque tu m'as reconnu toi-même !... Comment il se fait que je sois ici ? Je vais te le dire. Mais avant, entrons. Tu vois bien qu'il pleut  !                                     pinterest.fr
            Et il m'entraîna dans la taverne. Là, il me fit boire tant et plus, sûrement pour m'enivrer. Ma stupeur et mon effroi étaient tels que je fus incapable de lui résister. Je ne bois pas de vin, mais ce jour-là, j'en bus je ne sais plus combien. Je me souviens : un nuage étouffant de fumée, l'odeur aigre du vin, le bruit assourdi de la vaisselle, les relents de la cuisine, les murmures étouffés de voix rauques. Penchés comme si chacun cherchait à boire l'haleine de l'autre, deux vieux jouaient aux cartes, là, tout près, parmi les grognements désapprobateurs ou satisfaits des spectateurs attentifs, adossés à la paroi derrière eux. Une lampe à suspension accrochée au plafond bas posait sa lumière jaune dans le nuage épais.
            Mais, ce qui m'étonnait le plus, c'était de constater que personne, parmi tous ces gens, ne soupçonnait qu'il y avait, là-dedans, un étranger à la vie. Je les regardais, tantôt l'un, tantôt l'autre, et j'éprouvais la tentation de leur dire, en leur montrant mon compagnon :
            " - C'est un mort ! "
            Mais, comme s'il lisait cette tentation sur mes lèvres, Jacopo Sturzi le dos appuyé au mur et le menton sur la poitrine, souriait sans me quitter des yeux, des yeux enflammés et pleins de larmes ! Il ne me quittait pas du regard, même quand il buvait. 
            Il se secoua tout à coup et se mit à me parler à voix basse. J'avais déjà la tête qui tournait, à cause des vapeurs du vin, mais ces paroles étranges sur les choses de la vie et de la mort, me la faisaient tourner encore plus. Il s'en aperçut et conclut en riant :
            - Ce ne sont pas des choses pour toi. Changeons de sujet. Tuda ?
            - Tuda ? dis-je. Vous ne savez donc pas ? Tout est fini...
            Il fit oui de la tête à plusieurs reprises, mais il ajouta :
            - Je ne le savais pas. Mais tu as bien fait de rompre. Dis, c'est à cause de sa mère, n'est-ce pas ? Amalia Noce, ma femme, une créature odieuse, comme tous les Noce ! Moi, vois-tu...
            Il ôta son chapeau, le posa sur la table, frappa de la main son front chauve et s'exclama avec un clin d'oeil :
            - Deux fois, la première en 1860, puis en 75. Pourtant elle n'était plus toute fraîche, même si elle était toujours très belle. Mais je n'ai pas le droit de me plaindre. Je lui ai pardonné, n'en parlons plus. 
            Mon fils, tu permets que je t'appelle comme ça ? Mon fils, crois-moi : j'ai commencé à respirer seulement après ma mort. Est-ce que je m'occupe encore d'elles ? Ni de la mère, ni de la fille. Et même pas de la fille, à cause de la mère. Je vais tout te dire : je sais de quoi elles vivent. Je pourrais, tu sais, comme tant d'autres dans ma situation, m'introduire furtivement chez elles de temps en temps et leur subtiliser un peu d'argent. Mais non. Je ne vole pas de cet argent-là ! Tu sais de quoi elles vivent ?
            - De quoi ? dis-je. Je ne sais plus rien d'elles.
            - Allons donc ! On te l'a dit hier soir.
            Je l'interrogeai des yeux, hésitant.
            - Oui, là où tu avais l'intention d'aller avant de me voir !
            Je bondis sur mes pieds, mais je ne tins pas debout et retombai, les coudes sur la table, en criant
            - C'est elles ? Tuda ? Tuda et sa mère ?                                                              pinterest.fr
            Il me saisit par le bras, posa un doigt sur ses lèvres.
            - Tais-toi ! Tais-toi ! Paye et suis-moi. Paye, paye.
            Nous sortîmes de la taverne. La pluie tombait plus fort, le vent était plus violent et la pluie cinglait nos visages, nous empêchant presque d'avancer. Mais il me traînait par le bras, contre le vent et contre la pluie. Titubant, ivre, la tête en feu et plus lourde que le plomb, je gémissais : " Tuda ? Tuda et sa mère ? "
            Sa silhouette enveloppée dans le long manteau, se confondait, dans l'ombre violente, avec le parapluie qu'il tenait par le haut du manche, pour résister à la pluie, et elle prenait, à mes yeux, des proportions énormes, tel un fantôme cauchemardesque qui m'entraînait vers un précipice. Et là, il me poussa brutalement dans l'entrée sombre, en me hurlant aux oreilles :
            - Va, va chez ma fille !...
            Dans la tête, maintenant, je n'ai plus que les hurlements de Tuda agrippée à mon cou, des hurlements qui faisaient éclater mon cerveau... Oh ! C'est lui, je vous le jure encore une fois, c'est lui, Jacopo Sturzi !... C'est lui qui a étranglé cette sorcière qui se faisait passer pour la tante... S'il ne l'avait pas fait, je l'aurais fait, moi. Mais c'est lui qui l'a étranglée : il avait plus de raisons que moi.



                                                        Luigi Pirandello

                                                        ( 1896 )






















dimanche 29 novembre 2020

Larmes secrètes Pirandello ( Nouvelles Italie )

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                                                       Larmes secrètes

            Assis devant son imposant bureau recouvert de comptes rendus et de tableaux hérissés de chiffres, le cavalier Cao, maigre, pâle et revêche, attendait que son Excellence le ministre se remette à dicter.
            Minuit bientôt. C'était la troisième nuit que le cavalier Cao, après avoir passé toute la journée dans des tracasseries au ministère, venait là, dans le palais où habitait son Excellence, pour rédiger enfin le compte rendu financier que, dans quelques jours, le Ministre lirait à la Chambre des Députés.
            Il n'en pouvait plus, mais ce qui rendait son travail oppressant, c'était moins la fatigue que la souffrance que provoquait en lui la vue de cet homme vénérable pour lequel il sentait encore une affection sincère et profonde,  même si ce n'était plus l'admiration d'antan.
            " Eh non, pas de l'admiration. On ne vit pas, on ne peut pas vivre soixante ans et plus en ne faisant que des actions héroïques. Il faut bien commettre quelques sottises aussi. Et une aujourd'hui, une demain, quand on fait le total on arrive à une sorte de bilan qui malheureusement... "
            Tout en se livrant à ses pensées, le cavalier Cao lissait un poil de moustache récalcitrant,           incroyablement long. Ca alors ! Il arrivait jusqu'au sommet de sa tête, pas moins... Un seul poil, noir.
              Son Excellence arpentait le bureau, sourcils froncés, tête basse, mains derrière le dos.
              " Il a le dos très poilu, pensait le cavalier Cao en le regardant. Aussi poilu que sa poitrine. Je l'ai vu dans sa salle de bains. On aurait dit un ours. "
            Ah, que de choses, que de détails ridicules n'avait-il pas découverts dans la personne de S. E. depuis qu'il ne l'admirait plus comme avant ! Cette nuque, par exemple, grosse, lisse et luisante, et tous ces petits points noirs qui constellaient son nez, et ses sourcils... là, zic et zac, comme deux guillemets. Et même dans ces yeux, qui l'intimidaient autrefois, il avait découvert des petites taches bizarres qui semblaient percer la cornée verdâtre. 
             Parfois il s'étonnait et parfois s'attristait à la fois devant sa capacité à voir ainsi. Cet homme qui, à une autre époque l'avait totalement ébloui et enthousiasmé, on racontait ses combats héroïques de garibaldien et ses luttes parlementaires mémorables, vaillamment menées.
            Mais quoi ! Désormais Francesco d'Adria ne pensait qu'à salir timidement, avec une teinture jaunâtre, les quelques cheveux qui lui restaient autour du crâne et la grosse barbe qui aurait été belle s'il l'avait laissée blanche.
            A vrai dire, lui aussi le cavalier Cao, depuis environ un an, un tout petit peu... rien que la moustache, mais c'était pour ne pas l'avoir poivre et sel. Cela le contrariait. D'ailleurs, pour lui, cela n'aurait jamais les conséquences désastreuses qu'elle avait eues pour Son Excellence. Et enfin, il n'avait pas encore quaran... ah oui, quarante ans depuis trois jours. Eh bien, quarante. Il ne se marierait jamais, lui. Alors que Francesco d'Adria, lui, avait pris femme, à soi-xan-te ans sonnés, et il l'avait prise jeune, de surcroît.
            Signe évident de ramollissement cérébral.
            Et c'était donc assez, n'est-ce pas ? Il fallait le mettre au rebut, la vie a ses lois ! Le mettre au rebut sans aucune considération ni pitié. De la pitié il pouvait peut-être en éprouver, car il l'aimait bien, car il le voyait souffrir atrocement, en silence, de l'énorme sottise qu'il avait faite. Mais il éprouvait aussi de l'indignation, oui, une indignation amère devant la soumission que Francesco d'Adria manifestait devant cette jeune épouse qui, presque tout de suite après les noces, avait publiquement bafoué son honneur.
            Le tapis amortissait le bruit des pas de Son Excellence qui continuait à arpenter la pièce, en méditant. De toute évidence il avait oublié la présence du cavalier Cao, qui attendait devant son bureau, et le compte rendu financier. Il s'angoissait d'entendre des pleurs d'enfant qui, dans le silence de la rue,, arrivaient jusque-là, depuis une chambre éloignée, malgré les portes closes. Une fois déjà il était allé dans cette chambre pour voir ce qu'avait sa fille.
            Le cavalier Cao fut incapable de maitriser plus longtemps son irritation car, grands dieux, Rome entière savait que cette enfant... cette enfant... Il se leva comme poussé par un ressort, soufflant d'impatience.
            Son Excellence s'immobilisa et se tourna vers lui.
            - Oh, je vous prie de m'excuser, cavalier. J'étais distrait... Cela suffit pour ce soir, hein ? Vous devez être fatigué, et moi je ne me sens plus en état... Il doit être onze heures, n'est-ce pas ?
            - Minuit, Excellence ! Regardez, minuit un quart.
            - Ah oui ? Et... ce théâtre, à quelle heure ferme-t-il ?
            - Quel théâtre, Excellence ?
            - Mais... je ne sais pas : le Constanzi, je crois. Je dis cela à cause de cette enfant... Vous entendez comme elle crie ? Elle ne veut pas se calmer. Peut-être, si sa maman était là...
            - Voulez-vous que je passe au Constanzi, pour leur signaler.
            - Non, non, merci... De toute manière, elle ne va pas tarder à rentrer, à l'heure qu'il est. Bonne nuit, cavalier. A demain.
            Le cavalier Cao s'inclina profondément, respirant par le nez une provision d'air que, sitôt franchi le seuil, il souffla avec une grimace rageuse.

            Resté seul, Francesco d'Adria pressa très fort ses deux mains contre son visage. Son crâne chauve et luisant rougit sous les lampes électriques du lustre. Il resta encore un moment dans son bureau, marchant de long en large, l'air sombre. Puis il se rendit de nouveau dans la chambre où pleurait l'enfant.
            C'était la chambre de la nourrice. Une lampe de chevet, posée sur la commode et voilée par un écran lithophane, l'éclairait faiblement. La vieille gouvernante, maigre et impeccable, se promenait, le bébé dans les bras, posé contre sa poitrine, sa petite tête appuyée sur son épaule.
            - Nooon... nooon, répétait-elle comme pour répondre à ses vagissements.
            Pendant ce temps, la nourrice, un sein découvert, pleurait elle aussi : elle pleurait et jurait à la femme de chambre de madame qu'elle n'avait mangé aucun aliment nocif.
             - Tais-toi ! Les pruneaux secs... Tais-toi !
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            D'Adria prit une clochette sur la table de chevet et la fit tinter sous les yeux de l'enfant, pour la distraire, tout en suivant la gouvernante.
            C'est ainsi que le trouva, peu après, donna Giannetta en rentrant du théâtre, toute bruissante dans sa robe en soie. Dans un premier temps elle crut que le vieil homme se complaisait, sous les yeux des domestiques, à étaler sa ridicule tendresse paternelle, après les graves soucis de l'Etat. Et elle entrouvrit les lèvres en un sourire imperceptible et moqueur. 
            Mais la femme de chambre, accourue pour la débarrasser du petit châle qu'elle avait encore sur la tête et pour délacer sa mantille, lui expliqua, à voix basse, ce qui s'était passé. 
            - Ah oui ? La pauvre... dit-elle avec une indifférence affectée, et elle s'approcha de la gouvernante. Mais d'Adria lui fit signe de se taire. L'enfant s'était enfin calmée.
            Donna Giannetta se rendit dans sa chambre, suivie par la camériste. Peu après, alors qu'elle s'apprêtait à aller se coucher, elle vit entrer son mari, sombre, grave.
            - Il faut que je te parle, dit-il sans la regarder, s'asseyant au bord du lit.
            - Tu vas me faire de longs discours ? Cela ne peut attendre demain ? Je crains d'être trop fatiguée et d'avoir sommeil. Je me suis horriblement ennuyée. Si je perds le fil ?
            - Tu ne le perdras pas, dit-il, renfrogné, lissant sa barbe d'une main tremblotante. D'ailleurs, si tu veux, mon discours pourra être bref. Mais tu ne te vexeras pas car, s'il doit être bref il sera également très clair. Tu me laisseras parler, puis tu feras ce que je te dirai, et ce sera tout. Donc, écoute-moi.
            - Je t'écoute... soupira donna Giannetta abandonnée dans un fauteuil.
            Francesco d'Adria se leva, alla se planter devant sa femme et agita deux doigts à plusieurs reprises.
            - Il t'est arrivé deux malheurs, commença-t-il.
            Donna Giannetta eut un petit sursaut.
            - Deux ? A moi ?
            - Le premier, tu l'as voulu, poursuivit-il. C'est moi.
            - Ah ! Et pourquoi est-ce un malheur ? s'exclama-t-elle, riant et croisant ses m 
            Les larges manches de sa robe de chambre glissèrent, découvrant ses bras magnifiques.
            - Pas jusqu'à présent, reprit-il. Tu ne t'en es pas bien rendu compte car, si je t'ai importunée de temps à autre, tu as trouvé une large compensation dans ma... dans ma philosophie, dirai-je.           
            - Et l'autre malheur ? demanda-t-elle distraitement.
            Fransesco d'Adria alla s'asseoir. C'était maintenant que commençaient les difficultés et il voulait s'exprimer le moins crûment possible. Il posa les coudes sur ses genoux, prit sa tête entre ses mains pour mieux se concentrer et parla, les yeux fixés sur le sol.
            - Je vais te dire. J'ai dû... j'ai dû payer jusqu'à présent les... les impardonnables illusions que je m'étais faites en t'épousant. Toi, tu n'as aucune responsabilité là-dedans. Il était naturel que, entre les droits de ta jeunesse et tes devoirs d'épouse, tu choisisses plutôt les premiers que les seconds. J'aurais pu te faire remarquer que toi-même, en acceptant spontanément, et même avec... avec enthousiasme, un jour, ces devoirs à l'égard d'un vieux, tu avais implicitement, n'est-ce pas, renoncé à ces droits. Mais de cela non plus je ne te tiens pas rigueur car, toi aussi peut-être à l'époque, tu t'es fait des illusions...
            A ce moment, Francesco d'Adria leva la tête et s'interrompit, stupéfait. Donna Giannetta dormait, une main encore sur la tête, et un bras découvert, tendu vers lui, comme implorant miséricorde.
            - Gianna ! appela-t-il, mais pas trop fort, maîtrisant son dépit et son indignation, comme si son amour-propre eût été blessé si, se réveillant à cet appel, elle avait dû reconnaître qu'elle avait cédé au sommeil pendant qu'il lui parlait de choses graves. Il baissa de nouveau la tête et acheva à voix haute le discours resté en suspens :
            - Tu t'es fait des illusions... oui, tu as cru que tu pourrais accomplir tes devoirs sans difficulté.
            Donna Giannetta ne se réveilla pas. Alors Francesco d'Adria se leva, frémissant. Il faillit empoigner ce bras nu offert, et le secouer violemment, criant à sa femme, en plein visage, les injures les plus crues. Mais la calme inconscience de ce sommeil, qui lui apparaissait pourtant comme une effronterie ou comme un défi, le retint. Abandonnée ainsi elle avait l'air de lui dire :
            " Regarde comme je suis jeune et belle ! Qu'exiges-tu donc de moi ? "
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        Il serra les poings, exaspéré, secoua la tête et sortit de la chambre, sans bruit.
            Aussitôt Donna Giannetta se leva d'un bond, soufflant d'impatience.
 
            Pfff ! Était-ce sérieux d'exiger une explication à une heure pareille ? Et pourquoi ? Lorsqu'il aurait dû parler, il était resté silencieux. Et maintenant qu'elle ne faisait rien d'autre que s'ennuyer, s'ennuyer mortellement, il exigeait d'elle une explication ? Allons donc ! Trop tard... 
            Lui-même d'ailleurs, par son attitude, avec les inévitables relations de la nouvelle vie qu'il lui avait offerte, face aux tentations auxquelles cette vie l'exposait, face aux exemples qu'elle lui proposait continuellement, lui-même avait contribué à ce qu'elle jugeât trop naïf, puéril et dérisoire aux yeux d'autrui, le beau rêve qu'elle avait caressé trois ans plus tôt, en l'épousant ! Oh oui, en toute sincérité, elle avait rêvé d'égayer, avec le rire de sa jeunesse, les dernières années de la vie héroïque de Francesco d''Adria, vieil ami et frère d'armes de son père. Eh bien il ne l'avait pas jugée capable de rester fidèle à ce rêve. Elle avait vainement attendu un signe de lui. Alors, peut-être par dépit, elle était allée trop loin, elle était tombée, oui, de plus en plus bas, horriblement. Mais au fond, elle n'avait fait qu'agir comme la plupart de ses amies et camarades, si estimées, ô combien estimées, si respectables, ô combien respectables ! Et puisque lui-même, il y a encore un instant, ne trouvait rien à redire à cela, pourquoi aurait-elle dû éprouver des remords ? Elle ne s'était pas vraiment amusée, elle ne s'amusait pas, bien au contraire ! Que voulait-il d'elle, à la fin ?
            " Mais... pensa donna Giannetta à ce moment, et l'autre malheur ? "
            Son visage s'assombrit. Devant ses yeux apparut le visage de celui qui, par peur de la perdre ou dans l'espoir de la lier davantage à lui, ou peut-être par vengeance, l'avait rendue mère contre son gré. Oui, il n'y avait aucun doute : l'autre malheur, auquel il faisait allusion, était sa fille, cette enfant...
            " Il est arrivé deux malheurs... Le premier, tu l'as voulu... "
            Et donc, pas l'autre. Il avait raison : cet autre malheur, elle ne l'avait vraiment pas voulu. Mais puisqu'il savait tout, puisqu'il savait qu'elle ne pouvait ressentir aucune affection pour cet être qui lui rappelait un amant détesté, un homme qui l'avait rendu mère par traitrise, pourquoi, voilà quelques instants, s'était-il montré à elle près de cette enfant en pleurs, une clochette à la main ? Pourquoi afficher une telle tendresse pour cette petite créature ? Pourquoi avait-il voulu l'identifier à lui, comme pour faire bloc contre elle, disant que tous deux, lui et la petite, représentaient pour elle deux malheurs ? Où voulait-il en venir ?
            Donna Giannetta regretta d'avoir fait semblant de dormir. Pendant un moment elle resta là, à penser, à réfléchir, puis elle sortit de la chambre sur la pointe des pieds et, dans l'obscurité, retenant son souffle, prudemment, à tâtons, elle alla jusqu'à la porte de la chambre de son mari. Elle écouta, puis se pencha pour regarder par le trou de la serrure.
            Francesco d'Adria, assis dans sa chambre, comme il l'était un peu plus tôt dans celle de sa femme, les coudes sur les genoux, la tête entre les mains, pleurait !
            Donna Giannetta sentit son dos comme déchiré par un long frisson, et elle recula, bouleversée, en proie à une stupeur qui était aussi de l'effroi.
            Il pleurait !
            Elle resta là, tremblante, le cœur en tumulte, sans pouvoir former une seule pensée. Puis, tout à coup, craignant qu'il n'ouvre la porte et ne la découvre là, aux aguets, elle se dirigea vers sa propre chambre. Mais, comme elle passait comme une voleuse devant la porte de la chambre où dormait sa fille, elle s'immobilisa.
            La petite aussi pleurait, là ! Tous les deux...
            Inconsciemment, comme pour trouver un refuge où se cacher à elle-même en ce moment, elle entrouvrit cette porte, et entra.
            Assise sur le lit, la nounou se lamentait, désespérée. L'enfant, après un sommeil bref et agité,  se tordait de nouveau à cause des coliques, tout en vagissant.
            Au début, donna Giannetta ne comprit pas bien ce que disait la nourrice. Elle tendit la main pour caresser l'enfant angoissée, et la retira aussitôt, avec uns sorte de répulsion. Comme elle était froide ! Mais il fallait la faire taire... Ces pleurs étaient insupportables... Elle refusait le lait ? Peut-être ses langes étaient-ils trop serrés ? Elle décida de les défaire elle-même, de ses propres mains. Quelles pauvres petites jambes violacées... et comme elles tremblaient, contractées par les spasmes. Elle se hasarda à les touchez, elles étaient glacées ! Elle était toute glacée, cette petite ! Comment, avec quoi l'envelopper ? Il y avait une couverture, là, sur le berceau. Allons, allons.
            Donna Giannetta la prit dans ses bras, la serra contre sa poitrine, fort et délicatement, et commença à se promener à travers la pièce, berçant son enfant en se balançant un peu, comme elle ne l'avait jamais fait. Elle sentait, contre sa poitrine, les contractions du petit ventre endolori, et comme un gargouillement de larmes dans ce petit corps tendre et froid. 
            Presque sans le vouloir, elle se mit à pleurer, elle aussi, non par pitié à l'égard de l'enfant, non... oui, peut-être, oui, parce qu'elle la voyait souffrir... elle ne savait pas elle-même pourquoi.
            Peu à peu, comme si l'enfant avait senti la chaleur de l'amour maternel qui la réconfortait pour la première fois, elle se calma enfin. Donna Giannetta était déjà fatiguée, très fatiguée, mais pendant un bon moment elle continua, malgré tout, à se promener et à tapoter doucement, à chaque pas, le dos de la petite fille. Puis elle s'arrêta avec mille précautions, pour ne pas la réveiller. Elle s'assit et l'installa sur ses genoux, fit signe à la nourrice de rester couchée et, à la lumière faible de la lampe de chevet, elle contempla sa fille.                                                                                                      pinterest.fr

            Une joie nouvelle, inattendue, l'envahit tout entière, lui souleva le cœur. Elle vit ce petit être tranquille grâce à elle, comme elle ne l'avait jamais vu. Peut-être parce que jusque-là elle n'avait rien fait pour lui. Pauvre enfant, privée d'affection et de soins depuis sa naissance... Quelle faute avait-elle commise ?
            Elle ferma les yeux avec force, comme pour refouler à l'intérieur d'elle-même un sentiment qui faisait irruption dans son esprit. Mais non ! Cette petite était-elle coupable d'être née ?
            Soudain, regardant sa fille avec d'autres yeux, elle comprit ce que son mari avait voulu dire. Il était et se sentait vieux et était conscient de ne pas remplir la vie de sa femme. Mais, désormais, elle avait une fille, et une fille peut et doit remplir la vie d'une mère . Il aurait pu faire un scandale, et ne l'avait pas fait. Bien plus, il avait donné à cette enfant, qui n'était pas sa fille, le prestige de son nom, de sa fonction, et même... Oui, même sa tendresse. Eh bien elle qui était sa mère, elle pouvait bien donner à sa propre fille l'affection, les soins, l'exemple d'une conduite irréprochable.
            Oui, c'était sans doute cela qu'il avait voulu dire. Et elle, elle avait fait semblant de dormir...
            Cette nuit-là donna Giannetta réfkéchit longuement tout en tenant l'enfant dans son giron. Avec un regret amer, elle pensa à son beau rêve de jeunesse et, avec dégoût, à ce que les hommes lui avaient offert en échange de ce rêve... Des mensonges stupides, des vulgarités écoeurantes... Puis, peu à peu, elle céda au sommeil.

            Avant l'aube, Francesco d'Adria, traversant le couloir pour se rendre dans son bureau, vit que la porte de la chambre de la nourrice était ouverte, et tendit la tête pour regarder. Il fut stupéfait de découvrir sa femme endormie dans un fauteuil, l'enfant entre ses bras. Il s'approcha d'elle tout doucement pour la contempler, et sentit sa stupeur se fondre en une tendresse émue, infinie. Il se pencha et l'embrassa sur le front.
            Donna Giannetta se réveilla, elle aussi, dans un premier temps fut stupéfaite de se retrouver là, la petite sur les genoux, puis elle sourit et, tendant une main à son mari et le regardant avec des yeux pleins de sa joie, toute neuve, elle lui demanda :
            - C'est bien, ainsi ?



                                                             Pirandello

                                                  ( 1903 )





            














                                

mercredi 23 septembre 2020

Arbres de la ville Luigi Pirandello ( Nouvelle Italie )

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                                       Arbres de la Ville

           Comme vous devez vous ennuyer, pauvres arbres en rang par deux le long des allées de la ville et parfois même le long des rues pavées, sur le trottoir de droite et de gauche, ou qui vous dressez solitaires, parmi les plantes naines, dans le hall silencieux d'un palais ancien ou dans une cour !                           J'en connais quelques-uns, au bout d'une des rues les plus larges et les plus peuplées de Rome, qui font vraiment pitié. Ils ont grandi, petits et misérables, et ont presque l'air perdu, effrayé, comme s'ils demandaient ce qu'ils font là, parmi tous ces gens affairés, dans le bruyant va-et-vient de la vie urbaine. Avec quel étonnement triste, les pauvres, ils se voient reflétés dans les vitrines splendides des magasins ! Et ils semblent avoir pitié d'eux-mêmes, secouant lentement leurs branches quand souffle une rafale de vent.                                                                                                                                                       Chaque fois que je passe par cette rue et que je regarde ces arbustes, je pense à tous les malheureux qui, attirés par le mirage de la ville, ont quitté leur campagne et sont venus ici pour sombrer dans la tristesse, se perdre dans le labyrinthe d'une vie qui n'est pas pour eux. Et j'imagine le repentir amer et désespéré de ces malheureux, le regret de leur terre lointaine, de la vie simple et bonne qu'ils en tiraient autrefois, avant que la maudite tentation ne la leur rende intolérable, faisant briller l'illusion d'un autre destin. J'imagine aussi quel bonheur de pousser, intense et spontané, animerait ces arbustes, en pleine campagne, comme leurs feuilles brilleraient et comme ces branches, ratatinées et mélancoliques, s'élanceraient pour embrasser l'air.                                                                                                                             Voilà : le cercle étroit que le pavage de la rue laisse autour du tronc est toute leur campagne, grâce à celui-ci, la terre boit péniblement l'eau du ciel et respire. Parfois même, ce cercle étroit est recouvert d'une grille en fer, pour une protection semblable à une cruauté plus grande encore : dans ce cas, les pauvres arbres paraissent issus d'une prison, condamnés à rester là.                                                             Et ils dorment et rêvent tristement, sursautant de temps à autre comme si une émotion les faisait frissonner, aux nouvelles que la brise leur apporte de loin, depuis les champs qui renaissent déjà au sourire de l'avril nouveau.                                                                                                                                           Ah, eux aussi le sentent, pauvres arbres de la ville : eux aussi sentent un je ne sais quoi dans l'air frais et joyeux. Sous le dur pavé qui vous étouffe, arbres exilés, la terre vous parle de l'amour du soleil renouvelé, et vous l'écoutez en frémissant, heureux à la pensée qu'elle ne vous a pas oubliés, vous qui êtes si loin, égarés dans le vacarme de la ville. Sous les innombrables maison qui l'écrasent, sous les pavés sans cesse piétinés par les hommes inquiets, elle vit, elle vit, et vous, avec vos racines, vous sentez l'ardeur de cette vie nouvelle qui ne peut pas rester cachée et qui mousse presque entre les pavés, en brins d'herbe ténus.                                                                                                                                               Ah, en regardant ces petites touffes vertes, timides, peut-être concevez-vous le fol espoir que la terre veuille vous venger, envahir la ville pour vous racheter. Peut-être voyez-vous en rêve ces touffes pousser, la rue se transformer en pré et la ville en campagne !                                                                                 " - Oui, mais en attendant, que font ces cantonniers accroupis, penchés sur le pavé ? Que raclent-ils ? "                                                                                                                                                               Cette question vous la posez à un moineau qui est descendu des toits pour se poser sur vous. Et le moineau bavard et pipelet, vous répond avec un petit ricanement :                                                                       " - Vous ne voyez donc pas ? Ce sont des barbiers : ils rasent la rue. "

             Mais il y a plus triste encore : c'est le destin d'autres arbres de l                                   istockphoto.com   

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a ville, qui ne doivent pas seulement escorter, en procession ordonnée le long des trottoirs, nos vanités sottes et laides, mais qui, en ordre plus serré, mêlant leurs couronnes, sont contraints de former une sorte de portique végétal.                                                                                                                                                    Le sécateur du jardinier a symétriquement égalisé les cimes de ces arbres. A l'intérieur, il a imposé aux branches la voûte d'une galerie, et sur les côtés, les arcades d'une loge.                                                                                                                                                                                                                         Ainsi déformés, mutilés par de savantes barbaries, qui pourrait bien les trouver beaux et agréables ? J'avoue qu'ils me donnent une sensation d'horreur, comme s'ils m'offraient le spectacle d'une torture continuelle. Et j'aurais presque envie de crier :                                                                                              " - Mais construisez-les donc en pierre, vos portiques ! Ceux-ci sont des êtres vivants, qui souffrent et font souffrir : il est cruel de leur interdire ainsi la spontanéité de la pousse, l'expansion de le vie !                                                                                                                                                                             Vous ne savez donc pas, ô jardiniers d'Italie, que chez nous, la peine de mort est abolie ? Pour qui ose lever la tête au-dessus des cordes niveleuses des lois, qui sont à une paume de la boue, filet protecteur des nains, il n'existe plus de bourreau pour la couper. Alors, pourquoi ce pauvre feuillage, qui aimerait s'aventurer un peu au-delà de la ligne établie par vos ciseaux, devrait-il être décapité ?                                Et je connais un arbre né, allez savoir comment, dans une cour étroite et sale, près d'une vilaine rue où se pressent de vieilles maisons. Ce pauvre arbre s'était dressé tout droit sur son maigre tronc couleur de cendre avec un effort évident, une peine évidente, comme angoissé, dans son désir de voir le soleil et l'air libre par la peur de manquer de vigueur et de ne pas dépasser les toits de maisons environnantes. Et enfin, il y était parvenu !                                                                                                                Comme elles brillaient de joie, les branches de la cime, et comme elles les enviaient, celles qui se trouvaient en bas, privées d'air et de soleil ! Même dans la mort, quand elles se détachaient des branches, en automne, les feuilles de là-haut étaient plus heureuses : elles s'envolaient au loin, très haut, avec le vent, tombaient sur les toits, voyaient encore le ciel, tandis que les pauvres feuilles basses mouraient dans la rue boueuse, piétinées.                                                                                                                   En toutes saisons, au coucher du soleil, cet arbre se peuplait d'une myriade de moineaux qui semblaient s'être donné rendez-vous, de tous les toits de la ville. Sur ces branches, on voyait alors palpiter plus d'ailes que de feuilles. On eut dit que chaque feuille avait une voix, que tout l'arbre chantait en frémissant.                                                                                                                                                              Depuis les fenêtres des maisons les enfants assistaient en souriant, étourdis, à ce pépiement pressant, continuel, assourdissant. Parfois un petit vieux se mettait à la fenêtre et frappait deux fois dans ses mains : alors, tout à coup, comme par magie, l'arbre entier se taisait, inanimé. Mais peu après, la fête reprenait : chaque moineau, de nouveau, s'enivrait de ses propres cris et de celui des autres, et le concert se faisait de plus en plus pressant, plus assourdissant qu'avant.                                                                                Or, un beau jour, le propriétaire de la maison dans la cour de laquelle l'arbre avait grandi, eut l'idée de rehausser les murs tout autour, pour bâtir un deuxième étage. Et alors l'arbre, qui avait si péniblement gagné la liberté du soleil et de l'air libre, ploya sa cime, découragé, et courba son tronc.       
            " - Allons, allons ! " semblaient lui crier, des gouttières, les moineaux qui habitaient ce toit, et ils volaient vers lui, pour l'inciter à se redresser.                                                                       " - Allons, allons ! " Et peut-être répétaient-ils, eux aussi, les phrases de toujours, les conseils inutiles, les mises en garde vaines que l'on adresse habituellement aux soldats blessés à mort                                                                  " - Courage ! Rassemble tes forces ! Redresse-toi ! "   
              Mais désormais, le vieil arbre avait perdu sa vigueur : il avait fait tant d'efforts pour parvenir là-haut, à cette hauteur : il ne pouvait pas aller plus haut. Mieux valait mourir.                                                              Au crépuscule, des milliers de moineaux se réunissaient encore sur lui pour faire la fête. Mais on sentait que ce n'était plus l'arbre entier qui chantait. Les moineaux vivaient : l'arbre était mort, plié sur lui-même. Et c'est en vain que ses hôtes, avec leurs pépiements, tentaient de le ramener à la vie. 

                                                                                                               1900

                                                      Luigi Pirandello