mercredi 25 juillet 2012

Lettres à Madeleine 42 Appolinaire


                                                                     Lettre à Madeleine

                                                                                                                        12 nov 1915

            Mon amour. Je t'adore, nous sommes toujours si mal installés que je ne peux encore travailler comme je voudrais. Il y a ici des millions de souris. Elles ont toujours dû prospérer sur les champs de bataille, lors des longues guerres dans les légendes médiévales, en France, en Allemagne, en Pologne surtout, elles représentent les invasions normandes ; on voit un vieux roi assiégé dans son château, souvent dans une île, assiégé dis-je par les souris ces souris sont les Normands et ce symbole vient évidemment de la réalité, c'est que les pays ravagés par la guerre sont infestés de souris. Elles bouffent tout et le chocolat avec frénésie, beaucoup de livrets militaires sont dévorés des rats ou des souris.
            La nuit les souris commencent leur danse et j'imagine que leur rumeur nocturne, leurs cris ont dû donner origine au Sabbat des sorcières. Elles mangent le pain, laissent leurs crottes partout ( les souris pas les sorcières ). Ces animaux sont la plaie du front, chez nous les servants les appellent " les belles petite " sans doute pour se les concilier, de même que les Grecs donnaient l'épithète d'Euménides aux Furies comme si en les appelant bonnes on pouvait les apaiser. Je n'ai pas eu de lettre de toi aujourd'hui, mon amour, alors le jour n'a pas été gai. J'espère que demain j'aurai plusieurs lettres. J'ai rêvé une bonne partie de la nuit à ta chair ferme, aux roses rouges de tes seins et de ta bouche à ta toison, à ton être intime à tes cuisses adorables, à tes yeux à ton joli petit nez mutin que j'adore à tes oreilles dont tu ne m'as pas encore parlé.
Mon amour, je te fais ce soir des caresses d'une douceur infinie. Ma langue parcourt en l'effleurant ton épine dorsale et je mordille les chers frisons de tes aisselles, je m'enivre de ton odeur et comme le fils du roi, j'écarte les rameaux de la forêt vierge triangulaire où, dans un palais à porte de corail dort ma belle au bois dormant et quand j'y pénètre armé                                                                      de la flèche de l'amour
                                                   
tout s'éveille, tes nerfs, ta chair, tes seins palpitent, ta croupe se contracte et s'agite, tes yeux se noient  ta
bouche cherche la mienne et tes cheveux mêmes deviennent sensibles. Je t'envahis avec une lenteur qui te fait te pâmer. Les dattes étaient délicieuses mon amour. Je me sers en ce moment de ta pâte à dents elle est bonne semble-t-il. En général je me sers de bioxyde en boîte de voyage, on dit que c'est le meilleur produit mais il est encore peu connu dans le public, mais ce que tu m'as envoyé est bon. J'avais emporté 2 boîtes de bioxyde en partant aux Armées et j'avais fini la 1er boîte juste quand j'ai reçu celle que tu m'as envoyée. Aussi gardé-je pr le moment la bioxyde intacte.

                                                            Le 9è Poème Secret

                                              J'adore ta toison qui est le parfait triangle
                                                                  De la divinité
                                             Je suis le bûcheron de l'unique forêt vierge
                                                                 Ô mon Eldorado
                                             Je suis le seul poisson de ton océan voluptueux
                                                                Toi ma belle sirène
                                             Je suis l'alpiniste de tes montagnes neigeuses
                                                                Ô mon alpe très blanche
                                             Je suis l'archer divin de ta bouche si belle
                                                                Ô mon très cher carquois
                                             Et je suis le haleur de tes cheveux nocturnes
                                                                Ô beau navire sur le canal de mes baisers
                                             Et les lys de tes bras m'appellent par des signes
                                                                Ô mon jardin d'été
                                             Les fruits de ta poitrine mûrissent pour moi leur douceur
                                                                Ô mon verger parfumé
                                             Et je te dresse ô Madeleine ô ma beauté sur le monde
                                                                Comme la torche de toute lumière

                                                                                                                      Gui

            Ma chérie j'ai oublié de parler des chers rubans bleus qui sont ma gloire et tes couleurs, le vert et le bleu, vert de tes enveloppes, bleu de tes rubans. Je pâme sur ta bouche.

                                                                                                                       Gui

           
      
                                                                 





 

mardi 24 juillet 2012

Lettres à Madeleine 41 Appolinaire



Villiers de l'Isle-Adam par Valloton
                                                        Lettre à Madeleine
                                                     Dans sa lettre du 7 novembre Appolinaire interroge Madeleine : doit-il donner
                                                  Lamur ou Oran comme lieu de destination lors de son espérée permission et lui confirme ses
                                      sentiments amoureux.
                                                                                                             8 nov 1915

            Tu as raison d'être décidée, mon amour et j'approuve ce que tu as fait pour Marthe. En effet, l'histoire de la petite Liliane n'est pas banale. Je connais son père Sadia Lévy depuis fort longtemps douze ans environ. Nous écrivions tous deux à La grande France. Le premier livre dont j'ai eu à parler ou plutôt à écrire était : XI journées en force par Sadia Lévy et Robert Randau. Après quoi Sadia Lévy étant venu à Paris nous avons sympathisé. Mais non avec Randau que j'ai rencontré plus tard chez Sadia Lévy. Sadia Lévy est venu quelquefois chez moi et j'ai été quelquefois chez lui à Montrouge. C'est un disciple attardé de Villiers de l'Isle-Adam et il aurait eu bien du talent si cette passion n'avait pas entravé son génie. Mais Sadia Lévy écrit avec peine. Il a écrit un bon roman  Rabbin et un autre assez curieux mais non publié en volume et qui est le roman de son impuissance. Ce livre a eu le bonheur d'être imité par Guiseppe Papini un des meilleurs écrivains de l'Italie actuelle : Un uomo finito  et sous cette forme il a eu beaucoup de succès. Sadia Lévy est un orgueilleux plein de modestie. Il avait commencé une magnifique traduction des psaumes qu'il a à tort interrompue. C'est un juif roux et sacerdotal. Plein d'honnêteté il était incapable de faire des affaires et vivait sur son pécule que lui a dévoré, escroqué de la façon la plus vilaine son meilleur ami qui pour le faire à l'aise a plusieurs années durant flatté sa manie ou plutôt son exclusive passion pour l'auteur des Contes cruels.
            J'aimais bien Sadia Lévy mais comme nous n'avons jamais été camarades, j'en avais d'autres qui
n'étaient point mariés et il l'était. La femme de       
                                                                              
Sadia Lévy Rachel était bonne comme lui elle avait une beauté juive plantureuse et assez remarquable, elle était sourde malheureusement. La petite fille au temps où je la vie était le type parfait de la jolie petite fille juive. A la suite de l'escroquerie dont ils furent les innocentes victimes, les Lévy durent s'en retourner en Algérie, mais je ne savais pas que c'était à Oran. Ils y doivent vivre aux dépens du frère de Sadia à moins que celui-ci ne se soit mis à faire des affaires ou à travailler. Le fait est que depuis plusieurs années il n'a plus collaboré à aucune revue et je n'avais plus eu de ses nouvelles.
            Sadia Lévy est à ma connaissance un brave garçon. Et si l'occasion se présente tu peux transmettre
à cette famille l'expression sincère de mon meilleur souvenir. Moi aussi mon amour, je ne suis jamais mieux qu'au soleil, mais tu es mon soleil.
            Que j'adore ta sensation laiteuse sous ma caresse et j'adore ton corps nu étendu à mes pieds où il se love comme un serpent et je te caresse lentement tout entière t'enveloppant peu à peu d'un satin de volupté qui te pénétrera enfin jusqu'au coeur. Oui j'aurai toujours faim de toi, mon amour, ma faim de toi est immense, mon beau, mon adorable Madelon. J'adore ton frisson sous la peau... J'adore ta bouche le puits de nos baisers. Que j'aime nos sourires après la passion ! Ma Madeleine. Je te donne mon sourire et le tien est bien à moi. Nous nous sourions toujours et notre gravité même sera un sourire illuminé. Ô ma belle cavalière, je t'adore. Je sens la fermeté de tes seins contre ma poitrine et je me mets sur toi aussi ma très belle cavale et tes jambes si tu veux se croisent sur mes reins pour que notre enlacement soit plus profond plus serré, plus sauvage plus passionné. Je suis content que tu n'aies plus à rentrer tard le soir.
            L'histoire du vieil Arabe m'a bien amusé, ma blanche Madeleine aux yeux pers. J'attends avec une tranquille impatience l(alliance qui aura touché tout ton corps et que tu auras porté plusieurs jours.

Parle-moi aussi de ton coucher d'une façon bien détaillée mon amour.
            Peut-être n'est-ce pas facile en effet de prendre toi-même le dessin de ton sein d'après l'ombre...
            Ma chère perfection je mordille tout ton corps depuis les orteils le mollet le ventre je fouille de ma langue la conque rose du nombril, l'entre-deux des seins, la fraise des seins, ton cou exquis l'oreille ta bouche et le parvis je le mordille et m'étendant sur toi j'écarte les lèvres exquises de la blessure adorée de façon à ce que la volupté s'éveillant en toi par mon va-et-vient  tu y participes par le jeu lascif de tes hanches, pour ici que nos bouches unies s'aspirent à en mourir et que nos yeux échangent les âmes. J'adore les soubresauts de tout ton corps et l'ardeur qui nous anime de plus en plus vive nous amène finalement à répandre l'un et l'autre en ton sein des torrents de nectar voluptueux et quelle langueur souriante succède à nos ébats tandis que ma bouche alerte se rejoint infiniment à la tienne Madelon.

                                                                                                              
                                                                                                      Gui
                                                                                                          







                                                                               

lundi 23 juillet 2012

Anecdotes et Réflexions d'hier pour aujourd'hui


                                                               Choses vues

                                                                                                                      31 juillet 1847

                                                               Villeneuve-Saint-Georges.

                                                                                                                        1er août 1847

                                                              L'autre jour, au milieu d'une discussion à propos des femmes
                                             qui écrivent, Lannes de Montebello s'est écrié :
                                              - J'ai horreur du bas-bleu.
                                              - Pourquoi bleu , ai-je dit ?

                                                                                                                          3 août 1847

                                                               J'ai dit à la Chambre quelques mots sur le théâtre en réplique à
                                               des ministres de M. Fulchiron.
                                                               Il y avait un vieil étudiant de quinzième année, appelé Lequeux.
                                               Ce pauvre diable avait du coeur et de l'esprit. Il eût pu avoir de l'avenir ;
                                               il le noya dans le vin. Il meurt à trente-cinq ans.
                                               Quelque temps avant sa mort, il donnait,dans le café où il passait ses
                                               journées, des conseils aux jeunes gens, de bons conseils de travail et de
                                               persévérance. Il ajoutait tristement :
                                               - Je suis un cadran d'horloge sur la façade d'une maison ; il montre l'heure
                                               à tout le monde, excepté à celui qui est dans la maison.

                                                                   ------------------------------

                                                                                                                   4 juillet 1848

               M. de Chateaubriand est mort le 4 juillet 1848 à huit heures du matin. Il était depuis cinq ou six mois atteint d'une paralysie qui avait presque éteint le cerveau et, depuis cinq jours, d'une fluxion de poitrine qui éteignit brusquement la vie.
               La nouvelle parvint, par M. Ampère, à l'Académie qui décida qu'elle ne tiendrait pas de séance.                                                                                              
Chateaubriand
Je quittai l'Assemblée nationale où l'on nommait un questeur en remplacement du
général Négrier tué dans les journées de Juin, et j'allai chez M. de Chateaubriand, rue
du Bac, 110.
On m'introduisit près du gendre de son neveu, M. de Preuille. J'entrai dans la chambre
de M. de Chateaubriand.
M. de Chateaubriand était couché sur son lit, petit lit en fer à rideaux blancs avec une couronne en fer d'assez mauvais goût. La face était découverte ; le front, le nez, les yeux fermés apparaissaient avec cette expression de noblesse qu'il avait pendant la vie et à laquelle se mêlait la grave majesté de la mort. La bouche et le menton étaient cachés par un mouchoir de batiste. Il était coiffé d'un bonnet de coton blanc qui laissait voir les cheveux gris sur les tempes ; une cravate blanche lui montait jusqu'aux oreilles. Son visage basané semblait plus sévère au milieu de toute cette blancheur. Sous le drap on distinguait sa poitrine affaissée et étroite et ses jambes amaigries.
               Les volets des fenêtres donnant sur un jardin étaient fermés. Un peu de jour venait par la porte du
salon entrouverte. La chambre et le visage du mort étaient éclairés par quatre cierges qui brûlaient aux coins d'une table placée près du lit. Sur cette table un crucifix en argent et un vase plein d'eau bénite avec un goupillon. Un prêtre priait à côté. Derrière le prêtre, un haut paravent de couleur brune cachait la cheminée dont on voyait la glace et laissait voir à demi quelques gravures d'églises et de cathédrales.
               Aux pieds de M. de Chateaubriand, dans l'angle que faisait le lit avec le mur de la chambre, il y avait deux caisses de bois blanc posées l'une sur l'autre. La plus grande contenait le manuscrit complet de ses Mémoires, divisé en quarante-hui cahiers. Sur les derniers temps, il y avait un tel désordre autour de lui qu'un de ses cahiers avait été retrouvé le matin même par M. de Preuille dans un petit coin sale et noir où l'on nettoyait les lampes.
               Quelques tables, une armoire et quelques fauteuils bleus et verts en désordre encombraient plus qu'ils ne meublaient cette chambre.
               Le salon voisin, dont les meubles étaient cachés par des housses de toile écrue, n'avait rien de remarquable qu'un buste en marbre de Henri V posé sur la cheminée. En avant de ce buste, une statuette de M. de Chateaubriand en pied. Des deux côtés d'une fenêtre, Mme de Berri et son fils enfant, en plâtre.
               M. de Chateaubriand ne disait rien de la République, sinon : " Cela vous fera-t-il plus heureux ? "


                                                                                           Victor Hugo



                    


                                                          

dimanche 22 juillet 2012

Les Anges de NewYork R.J. Ellory ( Roman Policier Grande Bretagne ))


Les anges de New York

                                             Les Anges de NewYork


            Frank Parrish inspecteur de police au NYPD, à NewYork, très attaché à son travail et au résultat de ses enquêtes, mais aussi fils de flic, époux divorcé, père de deux enfants d'une vingtaine d'années. Egalement gros buveur. Fils de flic est un problème lorsqu'il s'agit de l'un des Anges de NewYork, policiers de haut niveau censés avoir guerroyé contre la pègre. Censés. Parrish croit savoir que son père était payé par les gangs. Blessé, farouche, il agit à la limite de la légalité jusque la denière enquête qui est une bonne part du livre. Quelques affaires sanglantes entourent la plus importante et la plus horrible : la disparition de six adolescentes, retrouvées dans des endroits improbables, étranglées, enfants adoptées. Peu à peu l'étau se resserre autour d'un homme. Sans preuve, seul Parrish poursuit son enquête, une intuition, dit-il. Mais à 44 ans Frank Parrish, affecté par des rapports difficiles avec ses enfants, craint tout particulièrement que sa fille étudiante infirmière dans le périmètre où il enquête soit piégée à son tour. Son indiscipline, son obstination le conduisent chez une psy sur ordre de sa direction. Et il apprend à dépasser son passé, à se comprendre à sa façon, non comme continue à le voir son entourage. On circule dans NY. Et on plonge dans le monde triste des filles enlevées pour tourner dans des films où l'horreur est poussée à l'extrême.
Fruit de son état d'ébriété ou de la cruauté de l'enquête, il croit entendre les voix des jeunes mortes. Ce bon roman policier, bien écrit aurait pu ne pas être publié. Ellory élevé dans un orphelinat découvre la littérature, écrit 22 romans refusés puis enfin édité et reconnu ( Seul le silence, Vendetta... ), joue et compose avec un petit groupe de musiciens les Whiskey Poets. Un anglais écrit un polar newyorkais.

vendredi 20 juillet 2012

Ce qu'on dit au Poète à propos de Fleurs Arthur Rimbaud ( Poèmes France



         lys de mer

                                                          Ce qu'on dit au Poètee
                                                      à propos de Fleurs

                                                                                          A Monsieur Théodore de Banville
  1.                      
                                         Ainsi, toujours, vers l'azur noir
                                         Où tremble la mer des topazes,
                                         Fonctionneront dans ton soir
                                         Les Lys ces clystères d'extases !

                                         A notre époque de sagous,
                                         Quand les plantes sont travailleuses,
                                         Le Lys boira les bleus dégoûts
                                         Dans tes proses religieuses !
        
                                         - Le Lys de monsieur de Kerdrel
                                         Le sonnet de mil huit cent trente,
                                         Le Lys qu'on donne au Ménestrel
                                         Avec l'oeillet et l'amarante !

                                         Des lys ! Des lys ! on n'en veut pas !
                                         Et dans ton Vers, tel que les manches
                                         Des Pécheresses aux doux pas,
                                         Toujours frissonnent ces fleurs blanches !
                                     
                                         Toujours, Cher, quand tu prends un bain,
                                         Ta chemise aux aisselles blonde
                                         Se gonfle aux brises du matin  
                                         Sur les myosotis immondes !

                                         L'amour ne passe à tes octrois
                                         Que les Lilas, - ô balançoires !
                                         Et les Violettes du Bois,
                                         Crachats sucrés des Nymphes noires !


2                                       O  Poètes,quand  vous auriez
                                          Les Roses, les Roses soufflées
                                          Rouges sur tiges de lauriers
                                          Et de mille octaves enflées !

                                          Quand Banville en ferait neiger,
                                          Sanguinolentes, tournoyantes,
                                          Pochant l'oeil fou de l'étranger
                                          Aux lectures mal bienveillantes !

                                          De vos forêts et de vos prés,
                                          O très paisibles photographes !
                                          La Flore est diverse à peu près
                                          Comme des bouchons de carafes !

                                          Toujours les végétaux Français,
                                          Hargneux, phtisiques, ridicules,
                                          Où le ventre des chiens bassets
                                          Navigue en paix, aux crépuscules ;
                                        
                                          Toujours, après d'affreux dessins
                                          De Lotus bleus ou d'Hélianthes,
                                          Estampes roses, sujets saints
                                          Pour de jeunes communiantes !

                                          L'Ode Açoka cadre avec la
                                          Strophe et fenêtre de lorette ;
                                          Et de lourds papillons d'éclat
                                          Fientent sur la Pâquerette.

                                          Vieilles verdures, vieux galons !
                                          O croquignoles végétales !
                                          Fleurs fantasques des vieux Salons !
                                          - Aux hannetons, pas aux crotales

                                          Ces poupards végétaux en pleurs
                                          Que Grandville eut mis en lisières,
                                          Et qu'allaitèrent de couleurs
                                          De méchants astres à visières !

                                          Oui, vos bavures de pipeaux
                                          Font de précieuses glucoses !
                                          - Tas d'oeufs frits dans de vieux chapeaux,
                                          Lys, Açokas, Lilas et Roses !...


3                                       O blanc Chasseur, qui cours sans bas
                                         A travers le Pâtis panique,
                                         Ne peux-tu pas, ne dois-tu pas
                                         Connaître un peu ta botanique ?

                                         Tu ferais succéder, je crains,
                                         Aux grillons roux les Cantharides,
                                         L'or des Rios au bleu des Rhins, -                                                 
                                         Bref, aux Norwèges les Florides                                                                                                                               
                                         Mais, Cher, l'Art n'est plus maintenant,
                                         - C'est la vérité -,  de permettre
                                        A l'Eucalyptus étonnant
                                        Des constrictors d'un hexamètre ;

                                        Là !... Comme si les Acajous                      
                                        Ne servaient, même en nos Guyanes,                  
                                        Qu'aux cascades des sapajous,
                                        Au lourd délire des lianes !

                                        - Et j'ai dit ce que je voulais !
                                        Toi, même assis là-bas, dans une
                                        Cabane de bambous, - volets
                                        Clos, tentures de perse brune, -

                                        Tu torcheras des floraisons
                                        Dignes d'Oises extravagantes !...
                                        - Poète ! ce sont des raisons
                                        Non moins risibles qu'arrogantes !...


4                                       Dis, non les pampas printaniers
                                         Noirs d'épouvantables révoltes,
                                         Mais les tabacs, les cotonniers !
                                         Dis les exotiques récoltes !

                                         Dis, front blanc que Phébus tanna,
                                         De combien de dollars se rente
                                         Pedro Vélasquez, Habana ;
                                         Incague la mer de Sorrente

                                         Où vont les cygnes par milliers ;
                                         Que tes Strophes soient des réclames
                                         Pour l'abatis des mangliers
                                         Fouillés des hydres et des lames !

                                         Ton quatrain plonge aux bois sanglants
                                         Et revient proposer aux Hommes
                                         Divers sujets de sucres blancs
                                         Des pectoraires et de gommes !
                                    
açoka rouge

                                                           Sachons par Toi si les blondeurs
                                            Des pics neigeux, vers les Tropiques,
                                            Sont ou des insectes pondeurs
                                            Ou des lichens microscopiques !

                                            Trouve, ô Chasseur, nous le voulons,
                                            Quelques garances parfumées
                                            Que la Nature en pantalons
                                            Fasse éclore ! - pour nos Armées !

                                            Trouve, aux abords du Bois qui dort,
                                            Les fleurs, pareilles à des mufles,
                                            D'où bavent des pommades d'or
                                            Sur les cheveux sombres des Bufles !

                                            Trouve, aux prés fous, où sur le Bleu
                                            Tremble l'argent des pubescences,
                                            Des Calices pleins d'Oeufs de feu
                                            Qui cuisent parmi les essences !

                                            Trouve des Chardons cotonneux
                                            Dont dix ânes aux yeux de braises
                                            Travaillent à filer les noeuds !
                                            Trouve des Fleurs qui soient des chaises !

                                            Oui, trouve au coeur des noirs filons
                                            Des fleurs presque pierres, - fameuses !...
                                            Qui vers leurs durs ovaires blonds
                                            Aient des amygdales gemmeuses !

                                            Sers-nous, ô Farceur, tu le peux,
                                            Sur un plat de vermeil splendide
                                            Des ragoûts de Lys sirupeux
                                            Mordant nos cuillers Alfénide !


5                                          Quelqu'un dira le grand Amour,
                                            Voleur des sombres Indulgences :
                                            Mais ni Renan, ni le chat Murr
                                            N'ont vu les bleus Thyrses immenses !

                                            Toi, fais jouer dans nos torpeurs,
                                            Par les parfums les hystéries ;
                                            Exalte-nous vers des candeurs
                                            Plus candides que les Maries...

                                            Commerçant ! colon ! médium !
                                            Ta Rime sourdra, rose  ou                                                          blanche,
                                            Comme un rayon de sodium
                                            Comme un caoutchouc qui                                                         s'épanche                                
                                                                                         
                                            De te noirs poèmes, - Jongleurs !
                                           Blancs, verts et rouges dioptriques,
                                           Que s'évadent d'étranges fleurs
                                           Et des papillons électriques !

                                            Voilà ! c'est le Siècle d'enfer !
                                            Et les poteaux télégraphiques
                                            Vont orner, - lyre aux chants de fer,
                                            Tes omoplates magnifiques !

                                            Surtout, rime une version
                                            Sur le mal des pommes de terre !
                                            - Et, pour la composition
                                            De poèmes pleins de mystère

                                            Qu'on doive lire de Tréguier
                                            A Paramaribo, rachète
                                            Des Tomes de Monsieur Figuier,
                                            - Illustrés ! - chez Monsieur Hachette !


                                                                                                             Alcide Bava
                                                                                                                    A. R.
14 Juillet 1871

                      Monsieur et Cher Maître,
            Vous rappelez-vous avoir reçu de province, en juin 1870, cent ou cent cinquante héxamètres mythologiques intitulés Credo in Unam ? Vous fûtes assez bon pour répondre !
             C'est le même imbécile qui vous envoie les vers ci-dessus,signés Alcide Bava. - Pardon.
             J'ai dix-huit ans. - J'aimerai toujours les vers de Banville.


( cette lettre est extraite d " Arthur Rimbaud  Correspondance  éd. Fayard )
                  

mercredi 18 juillet 2012

Anecdotes et Réflexions d'hier pour aujourd'hui

                                                              Choses Vues

                                                                                                        20 juillet 1847

            J'ai refait  le dessin du Rhin.
            Il y a juste aujourd'hui un an que j'ai commencé ce journal.

                                                                                                          29 juillet 1947

            Après un an, je reconnais et je constate que le plan que je me traçais est presque impossible à réaliser. Je le regrette, car cela eut pu être neuf, intéressant, curieux. Mais le naturel et la vie manqueraient à un pareil livre. Comment écrire froidement, chaque jour, ce qu'on a appris ou cru apprendre ? Cela, à travers les émotions, les passions, les affaires, les ennuis, les catastrophes, les événements, la vie ? D'ailleurs, être ému, c'est apprendre. Il est impossible, quand on écrit tous les jours, de faire autre chose que de noter, chemin faisant, ce qui vient de vous toucher. C'est ce que j'ai fini par faire, presque sans m'en, douter, en tachant pourtant que ce livre de notes fût aussi impersonnel que possible.
            J'écris tout ceci en songeant à ma fille, que j'ai perdue, il y a bientôt quatre ans, et je tourne mon coeur et mon âme vers la Providence.

                                                                                                           Sans date
                                                               Faits Contemporains

            L'autre jour, M. le duc de Montpensier, qui reçoit tous les lundis à Vincennes, dit à Alexandre Dumas :
            - On m'a conté un mot que vous auriez dit chez Victor Hugo : M. Ponsard est la constipation ; M. Latour Saint-Ybars est le contraire. Es-ce vrai, l'avez-vous dit ?
            - C'est vrai, Monseigneur.
            - En ce cas, vous avez bien fait de ne pas venir hier chez moi ; vous y auriez trouvé M. Latour saint-Ybars.
            - Je le savais, monseigneur, dit Dumas. C'est pour cela que je ne suis pas venu. J'ai eu peur de marcher dedans.



                                                                                                           Victor Hugo