Lettre à Madeleine
7 février 1916
Le Régiment arrive au cantonnement
La chasse de Sainte Hélène s' endort dans la lumière parfumée
Un prêtre a le casque en tête
La bouteille champenoise est-elle ou non une artillerie
Les ceps de vigne comme l'hermine sur un écu
Et le bouchon gonflé est mon obus qui cède
Bonjour Soldats
Je les ai vus passer en courant
Bonjour soldats bouteilles champenoises où le sang fermente
Vous resterez quelques jours et vous remonterez en ligne
Échelonnés ainsi que sont mes ceps de vigne
J'envoie mon vin partout comme des soldats qui savent mourir
J'envoie mes bouteilles partout comme les obus d'une charmante artillerie
La nuit est blonde ô vin blond
Un vigneron chantait courbé dans sa vigne
Un vigneron sans bouche au fond de l'horizonUn vigneron qui était lui-même la bouteille vivant nu
Un vigneron champenois qui est un artilleur
C'est aussi le soir et l'on joue à la mouche
Puis les soldats s' en iront là-haut
Où l'artillerie débouche ses bouteilles de champagne
Allons Adieu Messieurs tâchez de revenir
Mais nul ne sait ce qui peut advenir
Mon amour, je prends ta bouche chérie. Je vais aller à l'exercice.
Gui
8 février 1916
Mon cher amour, je n'ai pas eu de lettre de toi hier peut-être en aurai-je aujourd'hui car je t'écris le matin, ne devant pas avoir le temps cet après-midi. J'ai pensé que pour le paquet tu l'attendais sans doute plus tôt qu'il n'a pu arriver. En effet c'est un paquet expédié par chemin de fer. Je crois même t'en avoir expédié 2. Mais reporte-toi à mes lettres pr savoir si c'est un ou 2. En tout t'en expédierai un ces jours-ci avec le Mercure et une couverture qui m'embarrasse.
En ce moment il gèle tous les matins et il pleut dans la journée, je crois que l'année va être froide et pluvieuse. J'ai rencontré à Paris mon ami Max Jacob qui lui prévoit une guerre de 30 ans, c'est fou, et il prédit que 1916 sera bien plus sanglant que 1915. Hier vu une vieille grand-mère qui elle prévoit une guerre de 5 ans. Pour ce qui me concerne, il me semble que ça n'ira pas jusqu'à l'hiver prochain d'après les apparences, mais en mon for je pense encore que l'on en a jusqu'à l'autre hiver de 1918 ou fin 1917.
Voilà à peu près tout si j'ai le temps aujourd'hui vais tâcher de faire un poème.Je t'adore ma chère Madeleine écris-moi de jolies choses car on s' embête un peu à avoir si peu de temps à soi ce n'est pas comme dans l'artille. Je prends ta bouche.
Gui
9 février 1916
Mon amour il neige. Je n'ai pas été à l'exercice ce matin, mais peut-être irons-nous cet après- midi. Je tousse un peu, mais chez moi les toux sont surtout nerveuses et passent vite. Il neige assez fort même.
Je t'adore et prends ta bouche.
Gui
10 février 1916
Mon amour très chéri pas de lettre de toi aujourd'hui. Je t'adore mais ne t'étonne pas ne t'inquiète pas de la brièveté ( en toute façon ) de mes lettres, vraiment on n'a pas de temps ! c'est fantastique.
T'envoie une photo, moi en casque. Et les photos de Louise ? et mes paquets ? arrivés, dis mon amour très chéri.
Je t'adore et je t'aime et je te prends ardemment mon Madelon.
Ton Gui