dimanche 29 avril 2018

La femme d'un autre et le mari sous le lit 1 Fiodor Dostoïevski ( Nouvelle Russie )



    caillebotte
                                                          La femme d'un autre et le mari sous le lit

                                                                       Un événement extraordinaire
1 -
            - Permettez, cher monsieur, puis-je vous demander...
            Le passant sursauta et regarda d'un air assez effrayé le monsieur vêtu d'une pelisse de raton qui l'avait abordé ainsi sans ambages, à sept heures passées du soir, au beau milieu de la rue. Et l'on sait bien que si un monsieur de Pétersbourg se met soudain à adresser la parole à un autre monsieur qu'il ne connaît pas du tout, l'autre monsieur sera à coup sûr effrayé.
            Le passant sursauta et fut assez effrayé donc.
            - Excusez-moi de vous avoir alarmé, dit le monsieur au raton, mais je... A vrai dire, je ne sais pas... Vous voudrez bien m'excuser ; vous voyez que j'ai l'esprit un peu troublé...
            C'est à ce moment-là seulement que le jeune homme au paletot remarqua effectivement le trouble du monsieur au raton. Son visage ridé était assez blafard, sa voix tremblait, ses pensées s'égaraient, les mots ne lui venaient pas sur la langue et l'on voyait qu'il avait dû faire un effort terrible pour formuler cette humble requête à une personne de grade ou de condition inférieure à la sienne Et puis, finalement cette demande était en tout cas inconvenante, futile et bizarre de la part d'un homme qui avait une pelisse aussi considérable, un habit aussi respectable, d'une couleur vert sombre aussi merveilleuse, constellé de décorations aussi imposantes. On voyait que le monsieur au raton était lui-même troublé par tout cela, de sorte que finalement, le monsieur découragé, n'avait pas tenu le coup : il s'était décidé à faire taire son émotion et à glisser dignement sur la scène déplaisante qu'il avait lui-même provoquée.
            - Excusez-moi, je n'ai pas toute ma tête, mais il est vrai que vous ne me connaissez pas... Excusez-moi de vous avoir importuné ; j'ai changé d'avis.
             Il souleva alors par politesse son chapeau et fila plus loin.                        
             - Mais je vous en prie, de grâce...                                                    
             Le petit homme avait toutefois disparu dans l'obscurité, laissant le monsieur au paletot dans un état de stupeur.
             " Quel homme bizarre ! " songea le monsieur au paletot. Et puis, lorsqu'il eut amplement ressassé son étonnement et fut enfin sorti de sa stupeur, il retrouva la raison pour laquelle il se trouvait là et se mit à arpenter le trottoir en scrutant la porte d'une maison aux étages sans fin. Le brouillard commençait à tomber, ce qui réjouit passablement le jeune homme, car ainsi sa déambulation se remarquait moins, bien qu'il n'y eût d'ailleurs que le cocher qui était resté désespérément ici toute la journée, qui aurait pu le remarquer.
            - Excusez-moi !                                                                      
            Le passant sursauta de nouveau ; c'était encore et toujours le monsieur au raton qui se trouvait devant lui.
            - Excusez-moi d'avoir encore... dit-il, mais vous êtes... vous êtes certainement un homme plein de noblesse ! Ne me considérez pas sur le plan social. D'ailleurs je m'égare... Mais accordez-moi votre attention en tant qu'homme... Il y a devant vous un homme, monsieur, qui vous présente une humble requête...
            - Si cela m'est possible... Que désirez-vous ?
            - Vous avez peut-être songé que j'allais vous demander de l'argent ! dit le monsieur mystérieux qui tordait sa bouche en riant et en blêmissant de façon hystérique.
            - De grâce...
            - Non, je vois que je vous importune ! Excusez-moi, je ne peux me supporter moi-même ; considérez que vous me voyez dans un état de trouble, presque de folie, et n'allez pas en conclure je ne sais quoi...
            - Bon, au fait, au fait ! répondit le jeune homme en hochant la tête en signe d'approbation et d'impatience.
            - Ah ! Vous le prenez ainsi maintenant  ! Vous êtes un homme si jeune et vous me rappelez aux faits comme si j'étais un quelconque gamin mal léché ! J'ai décidément l'esprit sans dessus dessous !... Comment me percevez-vous maintenant dans mon humiliation, dites-le moi sincèrement?
            Le jeune homme fut embarrassé et se tut.
            - Permettez-moi de vous poser une question franchement : n'avez-vous pas vu une dame ? C'est tout ce que je vous demande ! finit par dire sur un ton résolu le monsieur à la pelisse de raton.
             - Une dame ?
             - Oui, une dame ?
             - J'en ai vues... Mais il en est passé beaucoup, je l'avoue...
             - Absolument, répondit l'homme mystérieux avec un sourire amer. Je m'égare ; ce n'est pas ce que je voulais vous demander, excusez-moi. Je voulais dire : n'avez-vous pas vu une dame avec un manteau de renard, une capeline de velours et un voile noir ?
             - Non, je n'ai vu personne de la sorte... Non, je n'ai rien remarqué, me semble-t-il.
            - Ah ! Dans ce cas, excusez-moi !
             Le jeune homme voulut demander quelque chose, mais le monsieur au raton avait de nouveau disparu, laissant une fois de plus son auditoire résigné dans un état de stupeur. " Que le diable l'emporte ! " songea le jeune homme au paletot, manifestement troublé.
             Il se couvrit le visage avec son castor et se remit à déambuler près de la porte de la maison aux étages sans fin, tout en restant prudent. Il était furieux.                                        
            " Pourquoi ne sort-elle pas ? songeait-il. Il est bientôt huit heures ! "
            Huit heures sonnèrent à une tour de ville.
            - Ah ! Que le diable vous emporte à la fin !
            - Excusez-moi !
            - Excusez-moi de vous avoir ainsi... Mais vous vous êtes bien retrouvé dans mes jambes au point de m'effrayer complètement, dit le passant en grimaçant et en s'excusant.
            - Je viens de nouveau vous voir. Je dois, bien entendu, vous paraître détraqué et bizarre.
            - Je vous en prie, pas de paroles superflues, expliquez-vous au plus vite ; je ne sais toujours pas ce que vous désirez...
            - Vous êtes pressé ? Voyez-vous cela ! Je vais tout vous dire franchement, sans paroles superflues. Que faire ? Les circonstances tissent parfois des liens entre des hommes de caractères complètement dissemblables... Mais je vois que vous êtes impatient, jeune homme. Voici donc... Je ne sais d'ailleurs comment vous le dire : je cherche une dame ( cette fois je me suis décidé à tout dire ). Je dois en fait savoir où est partie cette dame. Pour ce qui est de son identité, je pense que vous n'avez pas à connaître son nom, jeune homme.
            - Bon, bon, ensuite !
            - Ensuite : Mais sur quel ton le prenez-vous avec moi ! Excusez-moi, peut-être vous ai-je offensé en vous appelant jeune homme, mais je n'avais rien... Bref, accepteriez-vous de me rendre un immense service, car cette dame en question, je veux dire cette honnête femme, issue d'une excellente famille de mes amis... On m'a chargé de... Voyez-vous, moi-même je n'ai pas de famille...
            - Et alors ?
            - Comprenez ma situation, jeune homme ( ah ! encore ! Excusez-moi ! je vous appelle toujours jeune homme ). Chaque minute est précieuse... Imaginez-vous que cette dame... Mais ne pouvez-vous pas me dire qui habite cette maison ?
            - Mais... il y a beaucoup de gens ici.
            - Oui, en réalité vous avez tout à fait raison, répondit le monsieur au raton, qui ricana vaguement pour sauver les apparences, je sens que je m'égare un peu... Mais pourquoi un tel ton dans vos paroles ? Vous voyez que j'avoue avec franchise que je m'égare, et si vous êtes quelqu'un de hautain, vous avez suffisamment perçu mon humiliation... Je disais donc, un dame, de noble conduite, c'est-à-dire de contenu léger. Excusez-moi, je m'égare comme si je parlais de je ne sais quelle littérature. voilà, on est allé chercher que Paul de Kock avait un contenu léger, et tout le malheur vient de Paul de Kock, voilà...
            Le jeune homme regarda d'un air compatissant le monsieur au raton qui semblait s'être définitivement égaré. Celui-ci se tut, le regarda en souriant d'un air insensé, et d'une main tremblante, sans la moindre raison apparente, il le saisit par le revers de son paletot.
            - Vous me demandez qui habite ici, dit le jeune homme en reculant un peu.
            - Oui, mais il y a beaucoup de gens qui habitent ici, vous l'avez dit.
            - Ici, je sais que Sofia Ostafiévna habite ici également, dit le jeune homme en chuchotant et même avec une certaine commisération.
            - Eh bien vous voyez, vous voyez ! Savez-vous quelque chose jeune homme ?
            - Je vous assure que non, je ne sais rien... J'en jugeais d'après votre mine défaite.
            - J'ai tout de suite su par la cuisinière qu'elle venait ici ; mais vous êtes mal tombé, je veux dire pas chez Sofia Ostafievna... Elle ne la connaît pas...        
            - Ah bon ? Alors excusez-moi...
            - On voit que tout cela ne vous intéresse guère, jeune homme, dit avec une ironie amère le monsieur bizarre.
            - Écoutez ! dit le jeune homme perplexe, en fait, j'ignore la raison de votre état, mais on vous a sans doute induit en erreur, répondez-moi franchement ?
            Le jeune homme eut un sourire d'approbation.
            - Au moins, nous allons nous comprendre, ajouta-t-il, et tout son corps manifesta le désir magnanime d'amorcer l'esquisse d'une demi-révérence.
            - Vous m'accablez ! Mais je vous avoue franchement que c'est justement le cas... Mais à qui cela n'arrive-t-il pas !... Votre sympathie me touche profondément. Admettez qu'entre jeunes gens... Bien que je ne sois pas jeune, mais vous savez, l'habitude, une vie de célibataire, et entre célibataires, on sait bien que...
            - Bon, on sait, on sait ! Mais en quoi puis-je vous être utile ?
            - Voilà, admettez que rendre visite à Sofia Ostafievna... D'ailleurs je ne suis pas encore certain de l'endroit où s'est rendue cette dame ; je sais seulement qu'elle est dans cet immeuble. Mais en vous voyant déambuler de ce côté - moi-même déambulant de l'autre côté - j'ai pensé... Voyez-vous, j'attends cette dame... Je sais qu'elle est ici, mais je souhaiterais la rencontrer et lui expliquer à quel point il est inconvenant et odieux... Bref, vous me comprenez...
            - Hum ! Et alors ?
            - Ce n'est pas pour moi que je le fais ; n'allez pas croire je ne sais quoi : C'est la femme d'un autre ! Son mari est là-bas sur le pont Voznéssenski, il veut la surprendre, mais il ne s'y décide pas ; il ne veut pas le croire, comme tous les maris... ( là le monsieur au raton voulut sourire ), et je suis son ami. Reconnaissez que je suis un homme qui jouit d'un certain respect, je ne peux être celui pour qui vous me prenez.
            - Bien entendu. Et alors !
            - Alors j'essaye de l'attraper ; c'est la tâche qui m'a été confiée ( le malheureux mari ! ), mais je sais que c'est une jeune femme astucieuse ( Paul de Kock est éternellement sous son oreiller ). Je suis sûr qu'elle va se débrouiller pour filer sans qu'on la remarque... Je reconnais que la cuisinière m'a dit qu'elle venait ici, je me suis précipité comme un fou dès que je l'ai su ; je veux la surprendre. Il y a longtemps que j'avais des soupçons  et c'est pourquoi je voulais vous demander si vous veniez ici... Vous... Vous.. je ne sais...
            - Bon d'accord, que désirez-vous en définitive ?
            - Certes, je n'ai pas l'honneur de vous connaître, je n'aurai pas l'audace de m'immiscer dans le pourquoi et le comment... En tout cas, permettez-moi de me présenter ; enchanté !...
            Le monsieur tremblait en secouant chaleureusement la main du jeune homme.
            - J'aurais dû commencer par là, ajouta-t-il, mais j'ai oublié toute convenance.
            En parlant le monsieur au raton ne pouvait rester en place ; il regardait autour de lui d'un air anxieux, il trottinait et à chaque instant, tel un mourant, il s'agrippait au jeune homme avec sa main.
            - Voyez-vous, continua-t-il, je voulais m'adresser à vous amicalement... Excusez ma désinvolture. Je voulais obtenir de vous que vous marchiez de l'autre côté, depuis la ruelle où se trouve l'entrée de service, de cette façon en II, c'est-à-dire en décrivant la lettre II. Je vais moi aussi, pour ma part, marcher depuis l'entrée principale, de sorte que nous ne la manquerons pas. Étant seul, j'avais constamment peur de la manquer. Je ne veux pas la manquer. Dès que vous la verrez arrêtez-la et criez dans ma direction...Mais je suis fou ! Ce n'est que maintenant que je vois toute la stupidité et  l'inconvenance de ma proposition !
            - Mais non ! De grâce !
            - Ne m'excusez pas. Je suis bouleversé, je suis éperdu comme jamais je ne l'ai été ! Comme si on m'avait traîné en justice. Je vous avoue même et je serai noble et franc avec vous, jeune homme, que je vous ai pris pour son amant !
            - Autrement dit, vous voulez tout bonnement savoir ce que je fais ici ?
            - Noble individu et cher monsieur, loin de moi l'idée que vous c'est " lui ". Je ne vous compromettrai pas avec cette pensée, mais... Mais me donnez-vous votre parole d'honneur que vous n'êtes pas l'amant ?
            - C'est bon, si vous le souhaitez, je vous donne ma parole d'honneur que je suis l'amant mais pas celui de votre femme, sinon je ne serais pas dans la rue à l'heure qu'il est, mais avec elle !
            - Ma femme ? Qui vous a parlé de ma femme, jeune homme? Je suis célibataire, je suis moi-même un amant...
            - Vous disiez qu'il y avait un mari là-bas, sur le pont Voznéssenski...
            - Bien sûr, bien sûr, je me laisse aller. Mais d'autres liens existent, et admettez jeune homme, une certaine légèreté des caractères, je veux dire...
            - Bon, bon ! Ça va, ça va !
            - Je veux dire que je ne suis absolument pas le mari...
            - Je n'en doute pas. Mais je vous dis franchement qu'en portant maintenant ce fait à votre connaissance, je veux me tranquilliser moi-même et c'est pour cela, en réalité que je suis franc avec vous ; vous m'avez déconcerté et vous me gênez. Je vous promets que je vous appellerai. Mais je vous prie humblement de me laisser la place et de déguerpir. Moi aussi j'attends.
            - Permettez, permettez, je déguerpis, je respecte l'impétuosité passionnée de votre coeur. Je la comprends jeune homme. Ô ! comme je vous comprends maintenant !
            - Bon, bon...
            - Au revoir !... D'ailleurs, excusez-moi jeune homme, j'ai encore quelque chose à vous... Je ne sais comment dire... Donnez-moi une fois encore votre noble parole d'honneur que vous n'êtes pas son amant !
            - Ah ! Dieu du ciel.
            - Encore une question, la dernière : vous connaissez le nom du mari de votre... c'est-à-dire de celle qui est l'objet de votre coeur ?
             - Oui, évidemment ; ce n'est pas votre nom, et l'affaire est entendue.
             - Comment connaissez-vous mon nom ?
             - Écoutez, filez ! Vous perdez votre temps ; elle aura eu mille fois le temps de partir... Eh bien! que faites-vous ? La vôtre a un manteau de renard et une capeline, n'est-ce pas ; la mienne un imperméable à carreaux et un chapeau de velours bleu... Que vous faut-il encore ? Quoi de plus ?
             - Un chapeau de velours bleu ! Elle a aussi un imperméable à carreaux et un chapeau bleu, s'écria l'individu intempestif qui était à l'instant revenu sur ses pas.
             - Ah ! que le diable vous emporte ! Mais enfin cela peut arriver... Et puis quoi, la mienne ne vient pas ici !
             - Et où est-elle la vôtre ?
             - Vous avez envie de le savoir ? Qu'est-ce que cela peut vous faire ?
             - J'avoue que c'est toujours à propos de...
             - Pouah ! mon Dieu. Mais vous n'éprouvez pas la moindre honte ! La mienne a des amis ici, au deuxième étage sur rue. Eh bien quoi ? Faut-il encore vous décliner le nom de ces gens, hein ?
        *     - Mon Dieu ! Moi aussi j'ai des amis au deuxième étage, avec des fenêtres sur rue... Le général...
             - Un général ?!
             - Un général, oui. Sans doute vous dirai-je de quel général il s'agit : eh bien il s'agit du général Polovitsyne !
             - Sapristi ! Non, ce ne sont pas les mêmes ! ( Ah ! que le diable l'emporte ! Que le diable l'emporte ! )
             - Pas les mêmes ?
             - Non, ce ne sont pas les mêmes.
             Tous les deux se taisaient et se regardaient l'un l'autre d'un air perplexe.
             - Eh bien ! qu'avez-vous à me regarder ainsi ? s'écria le jeune homme en gommant de dépit sa stupeur et sa perplexité.
             Le monsieur s'agita.
             - Je... J'avoue que...
             - Non, permettez cette fois, permettez ! Maintenant nous allons parler plus intelligemment. L'affaire est commune. Expliquez-moi... Quels sont les gens que vous connaissez ici ?...
             - Vous voulez dire quels amis ?
             - Oui, vos amis...
             - Vous voyez, vous voyez ! je vois bien dans votre regard que j'ai deviné !
             - Que le diable vous emporte ! Mais non, à la fin, non ! Que le diable vous emporte ! Vous êtes aveugle, ou quoi ? Je suis ici, devant vous : Je ne me trouve pas avec elle quand même. Hein ! Eh bien ? Et puis peu importe, d'ailleurs : parlez ou ne parlez pas !
            Furieux le jeune homme se retourna deux fois sur ses talons et fit un geste du bras.
            - Mais cela n'a pas d'importance, je vous en prie ! Ayant une âme noble, je vais tout vous raconter : au début cette épouse venait ici seule ; elle fait partie de leur famille ; je n'avais pas de soupçons. Hier je rencontre son Excellence, il me dit qu'il a déménagé d'ici depuis trois semaines pour aller dans un autre appartement, et ma fem... Je veux dire, non pas femme, mais la femme de l'autre ( celui du pont Voznéssenski ), cette dame disait qu'elle avait été chez eux l'avant-veille encore, c'est-à-dire dans cet appartement... Et la cuisinière m'a dit que l'appartement de Son Excellence était loué par un jeune homme, un certain Bobynitsyne...
* *           - Ah ! que le diable vous emporte ! que le diable vous emporte !
            - Cher monsieur, je suis effaré, atterré !
            - Hé ! que le diable vous emporte ! Qu'est-ce que cela peut me faire que vous soyez effaré et atterré ? Ah ! Là-bas, il y a quelque chose là-bas...
            - Où ? Où ? Vous n'avez qu'à crier : Ivan Andréiévitch ! et j'accours...
            - Bien, bien. Ah ! que le diable vous emporte, que le diable vous emporte ! Ivan Andréiévitch !!
            - Je suis là, cria Ivan Andréiévitch qui revint tout essoufflé. Eh bien quoi ? Hein ? Où est-elle ?
            - Non, c'était juste comme cela...Je voulais savoir comment s'appelle cette dame ?
            - Glaf...
            - Glafira ?
            - Non, pas exactement Glafira... Excusez-moi, je ne peux vous révéler son nom. En disant cela, l'homme respectable était blanc comme un linge.
            - Oui, bien sûr, ce n'est pas Glafira. Mais au fait, avec qui se trouve-t-elle ?
            - Où ?
            - Là-bas ! Ah ! que le diable vous emporte, que le diable vous emporte ! ( De rage le jeune homme ne pouvait rester en place.)
            - Vous voyez ! Comment donc saviez-vous qu'elle s'appelait Glafira ?
            - Ah ! que le diable vous emporte à la fin ! Il n'y a que des tracas avec vous ! Vous dites pourtant que la vôtre ne s'appelle pas Glafira !...
             - Quel ton, cher monsieur !
             - Ah ! que diable... Il s'agit bien de ton ! Cette épouse, c'est la vôtre, oui ou non?
             - Non ! je ne suis pas marié vous dis-je... Mais moi je n'aurais pas prédit le malheur à un homme respectable, un homme, je ne dirai pas digne d'un minimum de respect, mais du moins un homme bien élevé, en l'envoyant au diable à chaque pas. Vous dites sans cesse : que le diable vous emporte ! que le diable vous emporte !
            - Eh bien oui, que le diable vous emporte ! C'est pour vous, en effet. Comprenez-vous ?
            - Vous êtes aveuglé par la colère, et moi je me tais. Mon Dieu, qui est-ce ?
            - Où ?
            Du bruit et des rires retentirent...


*    matisse femme au chapeau bleu
**  picasso femme au chapeau
°    manet morisot                                                                                  à suivre

Mémoires d'un estomac racontées par lui-même 2 Sydney Whithin ( Roman Angleterre )

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                                                Mémoires d'un estomac
                                                     
                                                        Suite.......

                                              Légende de la Cornemuse

            " L'un des anciens Rois du Nord quitta un jour son palais scandinave pour une expédition lointaine et avec une bande d'aventuriers choisis. Il fit voile pour la côte d'Ecosse. Son voyage fut prospère. Il débarqua sans encombre, se dirigeant tout droit vers un certain grand village d'où il envoya ses ordres et se donna tous les airs d'un Monarque naturel du sol. Les malheureux aborigènes s'efforcèrent de le calmer plutôt que de le repousser, et celui-ci, après avoir levé force tributs en bestiaux, en peaux d'animaux et en une sorte d'esprit que les premiers habitants de cette contrée appelaient " Weiss Keigh ", se disposa à retourner dans son pays.
            Je dois ici remarquer que non seulement le Monarque était le représentant d'un peuple puissant, inquiet et maraudeur, mais qu'il était continuellement doué de plusieurs talents, entre autres, de la connaissance de l'alchimie et de la magie. Par son art il pouvait changer des objets inanimés en êtres animés et, quand il avait besoin d'un coursier de guerre ou d'un vaisseau, il recourait à ses incantations.
            Comme il était sur le point de retourner dans son royaume chargé de dépouilles, un picte aussi téméraire que brave, indigné de la soumission apathique avec laquelle ce conquérant pirate avait été accueilli, résolut de prendre, comme l'on dit, la Loi dans ses mains et d'essayer de tuer cet intrus.
            S'armant d'une grosse pierre qu'il plaça dans une fronde faite de peau de bouc il attendit près du rivage l'arrivée de l'ennemi de son pays et, sollicitant une entrevue, il fut introduit en sa royale présence. Se dressant alors de toute sa hauteur il s'écria :
            - Pourquoi, ô Monarque du Maëlstrom et de l'Iceberg, viens-tu lever des taxes impies sur un peuple inoffensif ? Mais Thor et Odin, que tu sers, ont permis à ce bras de venger mon pays, et ta dernière heure, homme téméraire, est arrivée !
            Il dit, et la fronde, rapide comme l'éclair, décrivit une évolution dans l'air et, avec la force de la foudre, elle descendit sur le trône, vide, du Monarque.
            Oui, le Roi Nécromancien avait disparu et, ses courtisans se précipitant sur cet homme dévoué et malheureux l'entraînèrent dans un appartement intérieur pour y être jugé.
            Là siégeait le terrible Roi du Nord, aussi calme et impassible que si rien n'était arrivé, méditant quel châtiment il infligerait à celui qui voulait être son meurtrier. Enfin, fronçant son sourcil ténébreux, il lui dit :
            - Sache, ô homme, que tu dois mourir ! Il est écrit dans le livre des destins que, si jamais je pardonne au misérable qui attente à ma vie, les calamités de toutes sortes visiteront mon peuple, et les portiques du Valhalla me seront fermés pour toujours. Donc, tu dois mourir ! J'aurais pu pardonner à ton dessein insensé en l'honneur de ton patriotisme, mais le destin me le défend et, par Igdrasil, ( à ce serment terrible la terre trembla ), je le jure, tu mourras ! Tout ce que je puis faire pour atténuer ta juste punition, est de rendre ta mort douce et facile. Au lieu de t'envoyer à la chambre des tortures où tes cris de douleur charmeraient les oreilles des cruelles Euménides. Leur fureur doit cependant être apaisée et les clameurs d'angoisse que j'épargne à ton agonie doivent être à jamais perpétuées sous une autre forme dans la terre que tu habites. C'est assez. J'ai prononcé l'arrêt des destins et ton sort est fixé.
            A ces mots, avant que le captif terrifié ait pu prononcer une seule parole, l'Enchanteur lui jette une poudre à la face, les spectres de la mort s'assemblent autour de lui, et il tombe sur le sol, cadavre inanimé.
            L'austère arbitre de son sort le regarde quelque temps en silence, puis s'écrie en accents où perce presque la pitié :                                                                              lejournaltoulousain.fr
            - Qu'on l'enterre là où les corlieus volent en cercle dans les airs, où la mouette fait entendre son chant funèbre, et où l'océan murmure son éternel requiem pour les trépassés. Mais avant tout, rendez-moi l'estomac de cet homme afin que je l'offre en sacrifice aux furies, comme je l'ai promis, et que l'esprit du défunt puisse reposer en paix.                                       
            A cet ordre, le principal de la bande ouvrit avec son sabre le cadavre du picte et, en ayant soigneusement extrait l'estomac avec le tuyau qui y conduit, autrement dit l'oesophage, il le déposa sur la terre, au pied du Nécromancien, pendant que d'autres serviteurs emportaient le corps pour l'enterrer sur le rivage. La scène à ce moment fut véritablement touchante et pleine de grandeur. Le Roi Magicien était assis, baguette en main et, à ses pieds gisaient les organes digestifs du défunt. Enfin il prononça quelques mots étranges et, traçant de sa main royale des hiéroglyphiques dans l'air, il s'écria à haute voix :
            - Change de forme, ô objet qui fus d'un si puissant usage à ce peu d'argile, lorsque la vie l'animait, et que sur ton tube il y ait des clefs et des touches, et que dans ta cavité il y ait de l'air, et que les habitants de cette contrée acquièrent l'art de t'employer comme instrument de musique, et que les sons soient aussi perçants que les cris d'un homme torturé, afin que les Euménides soient apaisées, et que l'on t'appelle dorénavant " pipeau-sac " ( Cornemuse ), pour que mes paroles reçoivent à la lettre leur entier accomplissement.
            Il dit et ses compagnons émerveillés ramassèrent sur le sol le premier instrument de ce nom qu'ait vu l'Ecosse. Bientôt un naturel du pays l'ayant trouvé, et s'étant mis à en jouer, ils se précipitèrent tous vers leurs vaisseaux, en se bouchant les oreilles, et ne mirent plus jamais les pieds sur le rivage d'Alben. "

            Je reviens aux événements de mon aventureuse existence. Le temps s'écoulait et le moment était venu de me mettre à l'école. On m'envoya à un établissement public. Là, je dois l'avouer, je gagnai rapidement bonne humeur et santé, car le régime strict, la régularité des repas et la discipline générale auxquels je fus soumis firent bientôt disparaître les traces d'une indigestion préliminaire de
riche gâteau de pudding et autres objets malfaisants emballés pour mon usage dans une malle dont, il faut le dire, la clef, pendant les premiers jours, grinçait dans la serrure environ toutes les deux heures. Ces provisions étant bien vite épuisées je commençai tout de bon la vie d'école.
            Une fois, il m'en souvient, pendant les heures consacrées au jeu, j'entendis une grande rumeur parmi les jeunes gens lorsque, tout à coup, je reçus une telle bourrade que je crus franchement être . chassé de la cage osseuse qui m'enserre. Je découvris que cet incident était dû à un échange poli de coups entre deux garçons, un ancien et un nouveau, qu'on avait mis aux prises pour essayer la force du second, afin de lui assigner sa place propre dans l'échelle proportionnelle du pugilisme. J'avoue que je détestais cordialement ces engagements-là, mais toute souffrance était préférable aux angoisses d'une surcharge ou d'une indigestion. Au reste, il faut dire, à l'honneur de ces gamins, qu'il était reconnu déloyal parmi eux de me choisir comme le lieu de l'attaque. Au contraire la tête et les côtes étaient plus généralement favorisées des attentions courtoises de ces messieurs. Loi très équitable et qui reçut mon entière approbation.
            A l'occasion, les plus grands s'échappaient de l'enceinte du collège pour acheter toutes sortes d'abominations, quoique je fusse bien aise, de temps en temps, d'une petite addition à la carte de nos repas ordinaires.
            Dans une circonstance particulière, le comique et le tragique combinés marquèrent si étrangement un incident que l'habitude a depuis dépouillé pour moi de sa nouveauté, qu'il convient de le raconter avant d'aller plus loin.                                                                                   zazzle.ca
Résultat de recherche d'images pour "pipeau sac"            Le jour était tombé, la cloche avait sonné la retraite et l'appel à la prière lorsque, au milieu du tumulte des écoliers courant à leurs places respectives, je me sentis enlever, aussi vite qu'une paire de jeunes jambes pouvaient me porter, bien au-delà du territoire scolaire. J'eus bientôt la conscience qu'une épreuve d'une sorte ou d'une autre m'était réservée.
            Au lieu de me trouver, comme d'ordinaire, dans une boutique de pâtissier, une certaine odeur
marine, comme de vieux poissons, m'embarrassa extraordinairement. Et j'attendais l'éclaircissement de ce mystère au milieu de sensations que seul peut éprouver un estomac dans l'incertitude pénible de ce qui va lui arriver et de ce qu'il va recevoir, surtout lorsqu'il est livré à la merci d'un écolier affamé et sans scrupules.
            On ne me tint pas longtemps en suspens et je n'oublierai jamais les impressions de ce moment.
             Tout à coup descend en clapotant, c'est le mot, dans mon intérieur étonné, une petite masse mucilagineuse, d'une saveur saumâtre, où la vie semblait palpiter encore.
            Grands Dieux ! Je crois qu'il n'avait pas eu le temps de régler ses affaires !
            L'ensemble était accompagné d'un fluide d'une extrême acidité et de particules de poivre noir chaud et piquant. En vérité, jamais de ma vie je ne fus aussi complètement abasourdi.
            Je tournai et retournai ce merveilleux composé, et ne savais que faire de l'informe petit monstre. Avant qu'il me fût possible de donner issue au flot d'invectives que l'indignation soulevait en moi, un autre, puis un autre se glissèrent sans cérémonie, et à la suite vint, gargouillant et écumant, un torrent d'une sorte de liquide, couleur jus de réglisse, appelé Porter !
            Alors, un horrible soupçon traversa mon esprit. Un instant je me demandai si ces substances particulières, salées et mollasses, qui m'avaient inspiré tant d'horreur, n'étaient pas les yeux de ces pauvres brasseurs employés dans l'Etablissement bien connu sous la raison " Nux vomica et Cie ".
Cette idée terrible paraissait être, jusqu'à un certain point, corroborée par le goût saumâtre auquel j'ai déjà fait allusion et que j'attribuais naturellement à la saveur spéciale des larmes de ces malheureux.
La poudre, il est vrai, rendait douteuse l'exactitude de mes suppositions mais, avec mes ressources exquises d'imagination, je le considérais comme un rejaillissement à la face de ces hommes, d'une portion de cette poudre malfaisante que leur maître s'était efforcé de jeter aux yeux du public, lorsqu'il s'amusait à soutenir que sa bière était " génuine ".
            Mon attention, toutefois, fut bientôt distraite par un autre cataracte de la liqueur noire, et quand l'argent sonna sur le comptoir, le nom de cet extraordinaire petit étranger, qui n'avait pas été le bienvenu, je vous assure, vint pour la première fois frapper mon oreille et le mot HUÎTRE fut ineffaçablement gravé dans ma mémoire.
            Depuis ce temps j'ai eu mainte occasion de recevoir ces créatures avec une extrême courtoisie sous toutes les formes et dans toutes les circonstances, à l'écaille, cuites à l'étuve, au beurre, grillées, avec barbes et sans barbes, etc. Mais pour un estomac jeune et ingénu, comme je l'étais alors, l'huître crue, assaisonnée légèrement de vinaigre fort et de poivre noir, et arrosée d'un fluide semi-opaque, pour la faire descendre, présentera toujours un ensemble gastronomique propre à fixer agréablement ses souvenirs, prouvant une fois de plus combien est mince la partition qui sépare le sublime du ridicule.   saveur-biere.com
Résultat de recherche d'images pour "bière favorite d'homer simpson"            L"expérience m'a appris, depuis, qu'il est d'usage dans la bonne société de commencer le dîner par quelques huîtres pour aiguiser l'appétit., et cela ne m'a nullement surpris, car tout estomac ayant tant soit peu la conscience de la dignité de sa position, comme membre scientifique d'un corps merveilleux, est si curieux d'analyser ce remarquable mollusque dès que celui-ci arrive à sa destination intérieure qu'il secrète, incontinent, une plus grande quantité de l'acide gastrique qu'il n'est absolument nécessaire pour l'épreuve, et l'excédent devient pour l'appétit un stimulant additionnel.
            Pendant mon travail d'analyse je découvris que cette agglomération de matière, en apparence inorganique, possède une très importante structure ayant une bouche, des lèvres prolongées, de branchies, un foie, des muscles, des intestins et, par-dessus tout, un coeur dans lequel peuvent reposer, à ce que nous sachions, des affections douces, et les plus gracieux instincts.
            Dans tous les cas la femelle peut produire environ 1 200 000 oeufs, si petits qu'un million de ces oeufs tiendraient dans un espace d'un pouce carré, en sorte que si les facultés affectives sont tant soit peu dépendantes de la fécondité, l'Huître doit prétendre à une rare distinction sur ce point. Leur sensibilité est telle qu'on les a vues fermer leurs valves sous l'ombre d'un bateau qui passait au-dessus d'elles. Conséquemment il ne serait pas téméraire de supposer qu'elles sentent vivement leur cruelle position lorsqu'un couteau sans pitié les ouvre violemment, quand elles sont arrachées de leurs demeures, et brutalement jetées dans la puissante solution que je tiens toujours prête pour mes victimes.
            On se demandera, naturellement, si ces délicats petits animaux ont été uniquement destinés à chatouiller les appétits gastronomiques de l'homme ?
            - Héliogabale était-il né pour les huîtres, ou les huîtres pour Héliogabale ? Je croirais volontiers que la nature les a appelées à un plus noble rôle que celui de contribuer aux plaisirs de la table, même d'une table romaine dans tout son luxe. Car la géologie nous apprend que les immenses bancs formés par les huîtres constituent une des plus puissantes barrières aux envahissements de la mer sur la terre ferme. Ces animaux voulant ainsi, sans doute, se réserver l'usage exclusif de leur propre élément. Cet égoïsme légitime, au reste, nous est très utile, et certaines personnes ne croiraient pas, en considérant une huître isolée, que l'agglomération des individus de cette espèce crée à la longue une sorte de brise-mer sous-marin.                                               madame.lefigaro.fr
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            Les huîtres vivent ensemble dans une république plus heureuse que celle de Thomas Morus, remplissant les devoirs de la vie avec mesure et énergie, nous donnant l'exemple des vertus conjugales, accumulant un capital commun en bijoux plus précieux que l'or, et faisant même de ces maladies particulières à vie marine une source incalculable de richesses pour le genre humain.
            Je ne sais si les beaux messieurs et les belles dames qui étaient leur luxe dans le Hay Market, ce grand marché pour la vente de tous les articles appartenant à la famille des mollusques, je ne sais s'ils ont jamais réfléchi sur tous ces titres à notre considération, et si, lorsque les tendres entrailles du pauvre bivalve palpitant étaient soudainement exposées à leur vue, ils les avalaient au moins avec des sentiments de bienveillante sympathie.
           - Hélas ! pour l'honneur de l'humaine nature, je crains bien qu'il n'en soit rien. Toutefois en voilà assez pour ma première expérience de l'huître, production animale chez laquelle, soit dit en finissant, la nature semble avoir interverti la manière ordinaire de mourir. Car elle ne vit que dans son lit, et meurt presque toujours dehors.



                                                                                   à suivre.............

            M'étant étendu sur l'idiosyncrasie.............

       

vendredi 27 avril 2018

Voyelles Arthur Rimbaud ( Poésie France )

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                                                       Voyelles


                           A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles,
                           Je dirai quelque jour vos naissances latentes :
                           A, noir corset velu des mouches éclatantes
                           Qui bombinent autour des puanteurs cruelles,

                           Golfes d'ombre ; E, candeurs des vapeurs et des tentes,
                           Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d'ombelles :
                           I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles
                           Dans la colère ou les ivresses pénitentes ;

                           U, cycles, vibrements divins des murs virides,
                           Paix des pâtis semés d'animaux, paix des rides
                           Que l'alchimie imprime aux grands fronts studieux :

                           O, suprême Clairon plein des strideurs étranges,
                           Silences traversés des Mondes et des Anges :
                           - O l'Oméga, rayon violet des Ses Yeux !


                                                                                    Arthur Rimbaud
Peinture musicale (7)
                         






































Mémoires d'un estomac racontés par lui-même - extraits - Sidney Whiting ( Roman Angleterre )

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                                          Mémoires d'un estomac
                           écrits par lui-même pour le bénéfice de tous ceux
                                         qui mangent et qui lisent
                                          
                                         D'après une édition parue en 1874

                             Préface

            Ces derniers temps, un ou deux phallus, dont celui d'un célèbre marquis, ont pris la parole, et un futur bambin nous a expédié de sa matrice quelques réflexions sur le monde. Habituellement tout quidam, vous, moi, se contente de parler au nom de son cerveau, reptilien ou non.
            Le foie n'est plus en crise depuis l'invention des produits allégés, notre rate doit trop souvent se contenter de ses dimensions naturelles, quant aux boyaux, à peine si leur existence nous est rappelée......... Où en est Mr Gaster ? En ces temps des Trois M, Minceur, Mise en forme et Musculation, il n'émet que quelques borborygmes lorsque le régime se fait trop sévère.
            Pourtant, si l'on prend le temps de s'y arrêter on s'étonne de la place que l'estomac, organe apparemment dépourvu de noblesse, tient dans notre imaginaire. Bien accroché il peut aussi se dilater vers le bas jusqu'à occuper la partie la plus inférieure de notre corps.....................
            Ainsi débute la présentation du livre par Monique Lebailly dans une édition de 1991.

...............................................

                                              Mémoires d'un estomac

                       Il est rare qu'un estomac affamé méprise les plats ordinaires
            ( Oh ! que mon estomac n'est-il long d'une encablure, et que chaque pouce de
            sa surface n'est-il un palais ! )

            Je passerai rapidement sur les jours de ma première enfance, mais je dois déclarer que je suis de bonne lignée, car je tiens du côté maternel aux célèbres Sternums, de Eaton Hall, émigrés depuis à Eaton-Moore, et, du côté de mon père, je date mon origine d'une époque très reculée, celle de la première invasion des Saxons, quand le sir Hughes Stomach fut créé baron en récompense de l'énorme quantité de boeuf qu'il était capable de digérer. Depuis ce temps une certaine portion de l'animal a été nommée d'après lui.
            ...............
                                                                                                                      culturebox.francetvinfo.fr
Résultat de recherche d'images pour "peinture estomac"            De ma pauvre mère je dirai peu de choses : elle était d'une humeur douce, conciliante et nullement adaptée à la société de son mari. Celui-ci, je suis obligé de l'avouer, doué d'une nature robuste et grossière, était incapable d'apprécier l'excellente aménité de sa compagne.
            Cette union était en vérité mal assortie, sous beaucoup de rapports.
            Trois mois environ après avoir donné naissance à un héritier, dans la personne de l'auteur, ma vénérable mère alla rejoindre les estomacs d'une autre sphère, et fut enterrée ( je veux dire ses restes )
dans le mausolée de famille. Sur sa tombe fut gravé ce simple et touchant épitaphe impromptu que composa mon père :
                                  Ma digne femme au monstre terrifique
                                          A payé le dernier tribut ;
                                        L'infortunée ! Elle mourut 
                                      Par défaut de suc gastrique !

            Je ne puis, bien entendu, me rappeler cet événement, mais je sais que je fus livré à une nourrice avant le sevrage, et que ce changement fut très préjudiciable à ma santé et à mon bien-être. La délicieuse nourriture d'une saveur amygdaline et d'un goût si suave, que me prodiguait le sein de ma pauvre mère, fit place à une sorte de lait Londinien. Les docteurs lui dirent de boire du Porter. Elle en buvait et, par-dessus le marché tout autre espèce de liqueur qu'on pouvait se procurer au cabaret. Le pire en cette affaire, c'est que je n'avais aucun redresseur de mes griefs. J'avais soin, toutefois, de faire participer tout le monde à mon dégoût, en excitant mes voisins, les bras et les jambes, à une variété de mouvements et de contorsions. Quant à la petite voix qui habitait en haut, je lui suggérais des cris si aigus et si perçants, que chacun dans la maison en vint à détester cordialement le petit corps dont j'étais le centre. Quoiqu'il en soit, je souffris terriblement pour mon défaut de patience, car, parfois, lorsque les angoisses de la faim me forçaient de prendre ce qui se présentait pour me rafraîchir, j'entendais mes bonnes amies les lèvres se débattre contre quelque mélange amer avec lequel les pauvrettes étaient obligées de se mettre en contact.
            Ces cris étaient le prélude infaillible d'une saveur horrible qui, en descendant, m'apportait autant d'étonnement que de trouble. Mais je découvris bientôt, quand la nourrice trouvait suffisante l'administration de ses dons généreux, qu'elle réprimait en moi tout désir d'en avoir davantage, au moyen d'un certain fiel, connu de la sollicitude maternelle, qui me retournait presque sens dessus dessous.
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Résultat de recherche d'images pour "estomac peinture"            Après avoir enduré cette malheureuse existence pendant quelque temps, l'heureuse période de mon changement de nourriture arriva enfin.
            Je remplirais un volume des surprises extraordinaires qui m'attendaient à chaque nouveau composé alimentaire qui sollicitait mon attention, et que j'étais, bon gré mal gré, obligé de digérer de mon mieux dans l'intérêt du système en général.
            Je me souviens, entre autres, que la bouillie m'embarrassa extrêmement. Les innocentes personnes qui me servaient s'imaginaient, je pense, qu'elles me donnaient de la farine de froment. De la farine, grands dieux !
            Quand je vins à essayer cette substance à l'aide de ma puissante machine d'analyse, machine si énergique que je pourrais dissoudre un morceau de marbre et vous dire de quoi il est composé, quand je vins, dis-je, à en faire l'épreuve, par un acide fort que je possède, je trouvai qu'il n'y avait pas plus de 20 °/de farine dans toute la composition, le reste étant un mélange d'amidon commun, d'os pulvérisé, de fécule de pommes de terre, et souvent de plâtre de Paris.
           Je dois dire qu'il y avait une sorte d'officier surveillant, appelé  Palais qui m'a toujours accompagné dans la vie, dont le devoir était de goûter chaque particule de la nourriture destinée à ma consommation, et de la rejeter s'il la désapprouver. La vigilance de ce personnage toutefois, me fut d'un faible secours contre les stratagèmes auxquels on recourait pour nous tromper tous deux. La conséquence fut qu'il tomba très souvent dans un état de sensibilité morbide, ne distinguant plus le bon du mauvais et qu'au lieu de me garder contre le mal, il m'y précipita.
            A l'occasion, alors que je me reposais tranquillement, après le rude travail consécutif à un bon repas, ou quand j'étais activement occupé à distribuer l'élément nutritif à tout ce qui m'environne, je me trouvais subitement arraché à mon sommeil, ou à mes fonctions, suivant le cas, par la descente rapide de composés dont la nature m'était totalement inconnue et qui, parfois, soulevaient en moi un tel dégoût, que je devenais rétif, et me refusais tout net à cet injuste appel fait à ma puissance d'assimilation et à ma bonne volonté à obliger.
            Mais j'étais généralement bien puni de cette résistance , et je n'oublierai jamais qu'un jour, ayant repoussé et littéralement mis à la porte un abominable mélange de sucre, de craie et de mélasse, jamais, dis-je, je n'oublierai la sensation éprouvée lorsque, après une courte conversation préliminaire entre ma garde et un médecin, mon malheureux intérieur fut inondé par une noire cascade d'une si horrible nature qu'il me sembla que les eaux du Phlégéton avaient été remuées pour m'être administrées pour mon bénéfice personnel.
            Je pensais, en vérité, que c'en était fait de moi. Et, ce qui aggrava mes souffrances, ce fut la crainte de rejeter ce poison nauséeux, accident qui m'aurait probablement soumis à une répétition de la dose. Aussi je supportai ce mal aussi bien que je pus et pris tout spécialement soin de donner à mes voisins une idée substantielle, et non simplement théorique, de mes douleurs.
            Je date de ce moment une série de petites vexations d'une nature      vraiment " protéique ", et c'était en vérité risible d'entendre frictionner de prétendus rhumatismes, de voir appliquer des cataplasmes et autres épithèmes à des ulcères rebelles, de voir recommander toutes sortes d'eaux minérales pour des maladies cutanées, et même pratiquer des opérations sur des membres malades, quand j'étais seul la cause de tout cela.
Résultat de recherche d'images pour "dionysos picasso"  *          Si les gardes-malades et les docteurs m'avaient seulement permis, pendant mes premières indispositions de rester dans un repos parfait, me fournissant, à des intervalles réguliers, une nourriture légère et suffisante, ne me donnant, de fait, rien ou peu de chose à faire, au-delà d'une agréable récréation, j'aurais jeté mes pieds reconnaissants sur mon sofa bien rembourré et, après un instant de sommeil, je me serais réveillé rafraîchi et tout aurait bien été. Mais un système de médecine, une fois commencé impliquait la nécessité de le continuer, et on s'imaginera mieux que je ne le pourrais décrire ce que j'éprouvais quand j'entendais prescrire pour moi certaines drogues que je savais devoir ultérieurement miner et détériorer ma constitution.                                                                                                     
            Il conviendra de donner ici une description brève et familière de ma mission dans la vie et, comme je désire que tous ceux qui mangent puissent me lire je me servirai le moins possible de ces locutions techniques ou anatomiques qui ne seraient comprises que de mes plus grands ennemis, la tourbe des médecins praticiens.
            Mon apparence personnelle, je dois l'avouer, ne prévient point en ma faveur, car je ressemble, pour la forme, à une cornemuse écossaise, étant moi-même le sac, et l'oesophage le tuyau de l'instrument.
            J'ai souvent désiré qu'il y ait plus de touches, surtout quand la gloutonnerie se mêle de le faire fonctionner. Il en serait probablement ainsi si je pouvais produire des sons semblables à ceux de la cornemuse calédonienne, sons si terribles, que les braves Highlanders, dit-on, pour y échapper, se précipitent au combat.
            La nature donne originellement une structure intérieure à peu près parfaite à tous les individus de mon espèce, mais elle accorda une très grande influence à une faculté présidant aux opérations de l'esprit, et appelé " raison ". En considération de l'élévation de l'homme au-dessus des autres créatures, elle établit comme une règle absolue que l'homme, par l'usage de la faculté sus-nommée, régnerait sur ses propres destinées.
            Or cette disposition paraît être très sage, car si la nature avait voulu faire de l'homme une simple machine d'un jeu parfait, elle aurait sans doute pu le faire. Mais, en lui assignant certaines facultés élevées et en lui donnant un pouvoir discrétionnaire, elle en a fait un agent libre, et lui permet de développer ces nuances et ces particularités de caractère qui nous montrent en lui un animal remarquable, et si digne d'être étudié.
            Donc, comme je l'ai dit plus haut, quoique ma forme matérielle ait été merveilleusement adaptée aux fonctions auxquelles je suis destiné, beaucoup a pourtant été laissé aux décisions de cette même raison, et le mépris de ses préceptes est la cause qui a produit un grand nombre des maux corporels qui affligent les habitants de notre planète.

            Mes principales fonctions étaient celles-ci :
            Recevoir d'abord, avec la courtoisie et la politesse convenables, tous les aliments qui m'arrivaient en traversant une antichambre, ou passage, nommé Oesophage et, bien qu'il y eût, comme je l'ai déjà dit, un officier nommé Palais, aidé d'un subordonné ayant nom Odorat, stationné à l'entrée pour mettre un embargo sur les importations malfaisantes, cependant, généralement parlant, je recevais gracieusement ce que les Dieux m'envoyaient et procédais de suite à l'accomplissement de mes devoirs divers. Sitôt la nourriture arrivée dans mon enceinte et touchait la surface muqueuse je sécrétais, par la vigueur des couches adjacentes de mes parois, un acte si énergique qu'il réduisait le tout en une sorte de pulpe et que des matériaux les plus étranges et les plus disparates je formais, avec l'assistance de mes coopérateurs inférieurs, un demi fluide laiteux, nommé chyle, fluide d'une si grande valeur qu'à peine formé tout un corps de porteurs, les vaisseaux lactés, l'emportaient en toute hâte pour fertiliser le sol.                                                                                          lewebpedagogique.com
Résultat de recherche d'images pour "dionysos picasso"            Or, supposez un seul instant ce qui arriverait si vous, aimable  lecteur, aviez envoyé un certain nombre de vos serviteurs remplir leurs seaux à une source d'eau pure, pour arroser votre jardin et si, au lieu d'eau limpide, ils ne trouvaient qu'un composé semblable aux eaux de la Tamise que le Times appelle " une fosse en ébullition ". Pareille chose arrivait souvent à ces vaisseaux lactés. On les avait destinés à distribuer un chyle pur et salubre dans toutes les parties du corps et ils se trouvaient en présence de si horribles mixtures dues à la gloutonnerie et à la surcharge, que j'étais obligé d'user de toute mon influence personnelle pour les décider à remplir la tâche qui leur était imposée.
            Mais ne croyez pas un seul instant que la nature ait été assez parcimonieuse pour ne me fournir qu'un seul moyen de décomposer les substances, oh ! non.
            Outre l'acide elle m'avait aussi pourvu d'un alcali présent dans le suc pancréatique aussi bien que dans la bile, de sorte qu'il n'y avait guère de chance, pour un passager quelconque, de pouvoir s'échapper, d'autant plus que, lorsque l'acide ne parvenait pas " à lui faire son affaire ", un puissant alcali était appelé en réquisition et ce dernier me débarrassait de toutes les substances grasses avec lesquelles le suc gastrique n'avait rien à démêler. Les matières que ni l'un ni l'autre de ces puissances auxiliaires ne pouvaient dissoudre, on les envoyait promener d'une manière ou d'une autre. Je me trouvais donc pourvu par la nature contre toutes les éventualités, et les choses se passaient ainsi :
je dissolvais les aliments ordinaires comme il a été dit mais, quand des substances m'arrivaient, dont ni l'un ni l'autre de mes agents acides ou alcalins ne pouvaient venir à bout, nous les passions à un autre district et, une fois entre les mains du tendre surveillant qui y préside, leur sort était digne de pitié.
            Lorsque j'éprouvais un violent dégoût pour quelque substance suspecte, par un violent effort musculaire, je la chassais, comme un vagabond et un intrus.
             J'avais, bien évidemment, ma méthode pour commencer et accomplir mes nombreux devoirs.
             Je pourrais, si cela était nécessaire, expliquer comment par la contraction de mon muscle propre, par la fermentation partielle, par la dissolution, par l'endosmose, mais surtout par mon suc gastrique agissant comme menstrue, j'accomplissais la tâche difficile de soutenir le corps tout entier, et de lui donner toute son énergie et sa vigueur. Indépendamment de ces ressources j'avais, dans toute les directions des messagers fidèles et, entre moi et cet individu, M. Cerveau, était établie une double série de fils électriques. Grâce à leur aide je pouvais, avec toute la facilité et la rapidité possibles, lui communiquer les incidents de la journée, à mesure qu'ils se présentaient, en même temps que lui, de son côté, me pouvait informer de ses sensations et de ses impressions.
            Souvent, quand il avait reçu de mauvaises nouvelles, je refusais de digérer par pure sympathie. Et quand, à l'occasion, je devenais morose et refusais de travailler, lui aussi devenait irritable et pétulant.
            Relativement à ma ressemblance avec une cornemuse écossaise, il existe dans les archives de ma famille un vieux manuscrit écrit en caractères anglais gothiques. Il prétend rendre compte de la similitude particulière de nos formes. Comme la légende est courte et qu'elle a entièrement trait au sujet de ces mémoires, je la transcris ici.

*      lenversdelacaverne.unblog.ft

                                                                           Sydney Whiting

                                                          à suivre.............

                                     Légende de la Cornemuse

            L'un...........................
         
           

mardi 24 avril 2018

L'Opium Balzac ( extrait de la Comédie des Ténèbres )

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                                                                  L'opium


                Où était le dénouement de sa vie ?... Il ne croyait pas, comme l'abbé de Rancé à un avenir. Quand il se serait  livré à la justice humaine, elle n'aurait pas voulu de sa tête : les preuves de son crime n'existaient plus : c'était un secret entre LUI et Dieu !- Ainsi le ciel et la terre lui manquaient à la fois !... - Il essaya de la doctrine saint-simonienne, parce qu'il y voyait l'avantage de se faire prêtre tout de suite, sans passer par un séminaire... Mais il méprisait l'homme, et Saint-Simon tend à le perfectionner. - Il avait étreint jadis la débauche comme un monstre moins fort que lui. - La femme ?... elle n'existait plus. Pour lui, l'amour n'était plus qu'une fatigue, et la femme ?... un jouet qu'il avait déchiré, à la manière des enfants, pour en connaître les ressorts... Tout était dit !...
                Alors, il se mit à manger de l'opium en compagnie d'un Anglais qui, pour d'autres raisons, cherchait la mort, une mort voluptueuse ; non celle qui arrive à pas lents sous la forme de squelette, mais la mort des modernes, parée des chiffons que nous nommons drapeau !... C'est une jeune fille couronnée de fleurs, de lauriers ! Elle arrive au sein d'un nuage de poudre, ou portée sur le vent d'un boulet. C'est une espèce de folle souriant à un pistolet, ou couchée sur un lit entre deux courtisanes, ou s'élevant avec la fumée d'un bol de punch... C'est enfin une mort tout à fait fashionable !
                Ils demandaient à l'opium de leur faire voir les coupoles dorées de Constantinople, et de les rouler sur les divans du sérail, au milieu des femmes de Mahmoud : et là, ils craignaient, enivrés de plaisir, soit le froid du poignard, soit le sifflement du lacet de soie ; et, tout en proie aux délices de l'amour, ils pressentaient le pal... L'opium leur livrait l'univers entier !...       giphy.com
Image associée               Et, pour trois francs vingt-cinq centimes, ils se transportaient à Cadix ou à Séville, grimpaient sur des murs, y restaient couchés sous une jalousie, occupés à voir deux yeux de flamme - une Andalouse abritée par un store de soie rouge, dont les reflets communiquaient à cette femme la chaleur, le fini, la poésie des figures, objets fantastiques de nos jeune rêves... Puis, tout à coup, en se retournant  ils se trouvaient face à face avec le terrible visage d'un Espagnol armé d'un tromblon bien chargé !...
               Parfois ils essayaient la planche roulante de la guillotine et se réveillaient du fond des fosses, à Clamart, pour se plonger dans toutes les douceurs de la vie domestique : un foyer, une soirée d'hiver, une jeune femme, des enfants pleins de grâce, qui, agenouillés, priaient Dieu, sous la dictée d'une vieille bonne...  Tout cela pour trois francs d'opium. Oui, pour trois francs d'opium, ils rebâtissaient même les conceptions gigantesques de l'antiquité grecque, asiatique et romaine !... Ils se procuraient les plotherions regrettés et retrouvés ça et là par M. Cuvier. Ils reconstruisaient les écuries de Salomon, le temple de Jérusalem, les merveilles de Babylone et tout le Moyen Âge avec ses tournois, ses châteaux, ses chevaliers et ses monastères !...                        
              Ces immenses savanes, où les monuments se pressaient comme les hommes dans une foule, tenaient dans leurs étroits cerveaux où les empires, les villes, les révolutions se déroulaient et s'écroulaient en peu d'heures ! Quel opéra qu'une cervelle d'homme !... Quel abîme, et qu'il est peu compris -  même par ceux qui en ont fait le tour - comme Gall.
             Et l'opium fut fidèle à sa mission de mort ! Après avoir entendu les ravissantes voix de l'Italie, avoir compris la musique par tous leurs pores, avoir éprouvé de poignantes délices, ils arrivèrent à l'enfer de l'opium... C'étaient des milliards de voix furieuses, des têtes qui criaient : tantôt des figures d'enfants contractées comme celles des mourants ; des femmes couvertes d'horribles plaies, déchirées, plaintives ; puis des hommes disloqués tirés par des chevaux terribles, et tout cela par myriades ! par vagues ! par générations ! par mondes !...
Résultat de recherche d'images pour "rêve cauchemar"            Enfin, ils entrèrent dans la région des douleurs. Ils furent tenaillés à chaque muscle, à chaque plante de cheveux, dans les oreilles, au fond des dents, à tout ce qui était sensibilité en eux. Ils ressemblaient aux hommes blasés pour lesquels une douleur atroce devient un plaisir !... car c'est là ton dénouement, ô prestigieux opium !... Et ces deux hommes moururent sans pouvoir se guérir, comme toi, poète inconnu ! jeune Mée, qui nous a si bien décrit tes joies et tes malheurs factices !


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                                                                       Comte Alex de B.
       

 *    Texte de Balzac paru en 1830 dans " La Caricature " sous le pseudonyme : " Comte Alex de B.