samedi 28 mars 2020

Ceci n'est pas un conte 2 fin Diderot ( Nouvelle France

Denis Diderot, écrivain | Panorama de l'art
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                                                     Ceci n'es pas un conte

                                                                     II

            M. d'Hérouville...
             - Celui qui vit encore, le lieutenant-général des armées du roi, celui qui épousa cette charmante créature appelée Lolotte ?
            - Lui-même.
            - C'est un galant homme, ami des sciences.
            - Et des savants. Il s'est longtemps occupé d'une histoire générale de la guerre dans tous les siècles et chez toutes les nations.
            - Le projet est vaste.
            - Pour le remplir il avait appelé autour de lui quelques jeunes gens d'un mérite distingué, tels que M. de Montucla, l'auteur de l'histoire des mathématiques.
            - Diable ! En avait-il beaucoup de cette force-là ?
            - Mais celui qui se nommait Gardeil, le héros de l'aventure que je vais vous raconter, ne lui cédait guère dans sa partie. Une fureur commune pour l'étude de la langue grecque commença entre Gardeil et moi une liaison que le temps, la réciprocité des conseils, le goût de la retraite, et surtout la facilité de se voir, conduisirent à une assez grande intimité.
            - Vous demeuriez alors à l'Estrapade.
            - Lui, rue Saint- Hyacinthe, et son amie, Mlle de la Chaux, place Saint-Michel. Je la nomme de son propre nom, parce que la pauvre malheureuse n'est plus, parce que sa vie ne peut que l'honorer dans tous les esprits bien faits, et lui mériter l'admiration, les regrets et les larmes que nature aura favorisés ou punis d'une petite portion de la sensibilité de son âme.
            - Mais votre voix s'entrecoupe, et je vois que vous pleurez. 
            - Il me semble que je vois encore ses grands yeux noirs, brillants et doux, et que le son de sa voix touchante retentisse dans mon oreille et trouble mon cœur. Créature charmante ! créature unique! Tu n'es plus. Il y a près de vingt ans que tu n'es plus, et mon coeur serre encore à ton souvenir.
            - Vous l'avez aimée ?
            - Non. Ô La Chaux ! Ô Gardeil ! Vous fûtes l'un et l'autre deux prodiges, vous de la tendresse de la femme, vous de l'ingratitude de l'homme. Mlle de La Chaux était d'une famille honnête. Elle quitta ses parents pour se jeter dans les bras de Gardeil. Gardeil n'avait rien, Mlle de La Chaux jouissait de quelque bien, et ce bien fut entièrement sacrifié aux besoins et aux fantaisies de Gardeil. Elle ne regretta ni sa fortune dissipée ni son honneur flétri. Son amant lui tenait lieu de tout.
            - Ce Gardeil était donc bien séduisant, bien aimable ?
           - Point du tout. Un petit homme, bourru, taciturne et caustique, le visage sec, le teint basané, en tout une figure mince et chétive, laid, si un homme peut l'être avec la physionomie de l'esprit.
            - Et voilà ce qui avait renversé la tête à une fille charmante ?
            - Et cela vous surprend ?
            - Toujours.
            - Vous ?
            - Moi.                                                                                                      pinterest.fr
Ambrosius Benson - The Magdalen Reading [c.1525] | Reading art ...            - Mais vous ne vous rappelez donc plus votre aventure avec la Deschamps et le profond désespoir où vous tombâtes, lorsque cette créature vous ferma sa porte ?
            - Laissons cela, continuez.
            - Je vous disais : " Elle est donc bien belle ", et vous me répondez tristement : " Non. " Elle a donc bien de l'esprit ? " C'est une sotte. " Ce sont donc ses talents qui vous entraînent ? " Elle n'en a qu'un. " Et ce rare, ce merveilleux talent ? " C'est de me rendre plus heureux entre ses bras que je ne le fus jamais entre les bras d'aucune autre femme. "
            - Mais Mlle de La Chaux ?
            - L'honnête, la sensible Mlle de La Chaux se promettait secrètement, d'instinct, à son insu, le bonheur que vous connaissiez et qui vous faisait dire de la Deschamps : " Si cette malheureuse, si cette infâme s'obstine à me chasser de chez elle, je prends un pistolet et je me brûle la cervelle dans son antichambre. " L'avez-vous dit oui ou non ?
            - Je l'ai dit, et même à présent je ne sais pas pourquoi je ne l'ai pas fait.
            - Convenez donc.
            - Je conviens de tout ce qui vous plaira.
            - Mon ami, le plus sage d'entre nous est bienheureux de n'avoir pas rencontré la femme belle ou laide, spirituelle ou sotte qui l'aurait rendu fou à enfermer aux petites-maisons. Plaignons beaucoup les hommes, blâmons-les sobrement, regardons nos années passées comme autant de moment dérobés à la méchanceté qui nous suit, et ne pensons jamais qu'en tremblant à la violence de certains attraits de nature, surtout pour les âmes chaudes et les imaginations ardentes. L'étincelle qui tombe fortuitement sur un baril de poudre ne produit pas un effet plus terrible. Le doigt prêt à secouer sur vous ou sur moi cette fatale étincelle, est peut-être levé.

            M. d'Hérouville jaloux d'accélérer son ouvrage, excédait de fatigue ses coopérateurs. La santé de Gardeil en fut altérée. Pour alléger sa tâche, Mlle de La Chaux apprit l'hébreu, et tandis que son ami reposait, elle passait une partie de la nuit à interpréter et transcrire des lambeaux d'auteurs hébreux. Le temps de dépouiller les auteurs grecs arriva. Mlle de La Chaux se hâta de se perfectionner dans cette langue dont elle avait déjà quelque teinture, et tandis que Gardeil dormait, elle était occupée à traduire et à copier des passages de Xénophon et de Thucidide. A la connaissance du grec et de l'hébreu elle joignit celle de l'italien et de l'anglais. Elle posséda l'anglais au point de rendre en français les premiers essais de métaphysique de M, Hume, ouvrage où la difficulté de la matière ajoutait infiniment à celle de l'idiome. Lorsque l'étude avait épuisé ses forces, elle s'amusait à graver de la musique. Lorsqu'elle craignait que l'ennui ne s'emparât de son amant, elle chantait. Je n'exagère rien : j'en atteste M. Le Camus, docteur en médecine, qui l'a consolée dans ses peines et secourue dans son indigence, qui lui a rendu les services les plus continus, qui l'a suivie dans le grenier où sa pauvreté l'avait reléguée et qui lui a fermé les yeux quand elle est morte. Mais j'oublie un de ses premiers malheurs : c'est la longue persécution qu'elle eut à subir d'une famille indignée d'un attachement public et scandaleux. On employa et la vérité et le mensonge pour disposer de sa liberté d'une manière infamante. Ses parents et les prêtres la poursuivirent de quartier en quartier, de maison en maison, et la réduisirent plusieurs années à vivre seule et cachée. Elle passait les journées à travailler pour Gardeil. Nous lui apparaissions la nuit, et à la présence de son amant tout son chagrin, toute son inquiétude étaient évanouis.
            - Quoi ? Jeune, pusillanime, sensible au milieu de tant de traverses !
            - Elle était heureuse.
            - Heureuse ! 
            - Oui, elle ne cessa de l'être que quand Gardeil fut ingrat.
            - Mais il est impossible que l'ingratitude ait été la récompense de tant de qualités rares, tant  de marques de tendresse, tant de sacrifices de toute espèce.
            - Vous vous trompez, Gardeil fut ingrat. Un jour Mlle de La Chaux se trouva seule dans ce monde, sans honneur, sans fortune, sans appui. Je vous en impose. Je lui restai pendant quelque temps. Le docteur Le Camus lui resta toujours.
            - Ô les hommes ! les hommes !
            - De qui parlez-vous ?
            - De Gardeil.
            - Vous regardez le méchant et vous ne voyez pas tout à côté l'homme de bien. Ce jour de douleur et de désespoir elle accourut chez moi. C'était le matin. Elle était pâle comme la mort. Elle ne savait son sort que de la veille, et elle offrait l'image des longues souffrances. Elle ne pleurait pas, mais on voyait qu'elle avait beaucoup pleuré. Elle se jeta dans un fauteuil. Elle ne parlait pas, elle ne pouvait parler. Elle me tendait les bras, et en même temps elle poussait des cris. " Qu'est-ce qu'il y a ? ", lui dis-je. " Est-ce qu'il est mort ? - C'est pis. Il ne m'aime plus, il m'abandonne. "
            - Allez donc.
            - Je ne saurais. Je la vois, je l'entends, et mes yeux se remplissent de pleurs. " Il ne vous aime plus !
            - Non.
           - Il vous abandonne ! - Eh oui. Après tout ce que j'ai fait ! Monsieur, ma tête s'embarrasse
Ayez pitié de moi. Ne me quittez pas. Surtout ne me quittez pas. "
            En prononçant ces mots elle m'avait saisi le bras qu'elle serrait fortement, comme s'il y avait eu près d'elle quelqu'un qui la menaçât de l'arracher et de l'entraîner.
            - Ne craignez rien, mademoiselle
            - Je ne crains rien que moi.                                                                               wikitimbres.fr
Timbre : DENIS DIDEROT 1713-1784 | WikiTimbres            - Que faut-il faire pour vous ?                                                               
            - D'abord me sauver de moi-même. Il ne m'aime plus, je le fatigue, je l'excède, je l'ennuie, il me hait, il m'abandonne, il me laisse, il me laisse ! "
            A ces mots répétés succéda un silence profond, et à ce silence des éclats d'un rire convulsif plus effrayants mille fois que les accents du désespoir ou le râle de l'agonie. Ce furent ensuite des pleurs, des cris, des mots inarticulés, des regards tournés vers le ciel, des lèvres tremblantes, un torrent de douleurs qu'il fallait abandonner à son cours, ce que je fis, et je ne commençai à m'adresser à sa raison que quand je vis son âme brisée et stupide.
            Alors je repris :
            " - Il vous hait, il vous laisse ! et qui est-ce qui vous l'a dit ?
            - Lui.
            - Allons, mademoiselle, un peu d'espérance et de courage. ce n'est pas un monstre.
            - Vous ne le connaissez pas, vous le connaîtrez.
            - Je ne saurais le croire.
            - Vous le verrez.
            - Est-ce qu'il aime ailleurs ?
            - Non.
            - Ne lui avez-vous donné aucun soupçon, aucun mécontentement ?
            - Aucun, aucun.'ai
            - Qu'est-ce donc ?
            - Mon inutilité. Je n'ai plus rien, je ne suis plus bonne à rien. Son ambition, il a toujours été ambitieux. La perte de ma santé, celle de mes charmes, j'ai tant souffert et tant fatigué. L'ennui, le dégoût.
           - On cesse d'être amants, mais on reste amis.
           - Je suis devenue un objet insupportable. Ma présence lui pèse, ma vue l'afflige et le blesse. Si vous saviez ce qu'il m'a dit. Oui, monsieur, il m'a dit que s'il était condamné à passer vingt-quatre heures avec moi, il se jetterais par les fenêtres.
            - Mais cette aversion n'a pas été l'ouvrage d'un moment.
            - Que sais-je ? Il est naturellement si dédaigneux, si indifférent, si froid. Il est si difficile de lire au fond de ces âmes, et l'on a tant de répugnance à lire son arrêt de mort. Il me l'a prononcé, et avec quelle dureté !
            - J'ai une grâce à vous demander, et c'est pour cela que je suis venue. Me l'accorderez-vous ?
            - Quelle qu'elle soit.
            - Ecoutez, il vous respecte. Vous savez tout ce qu'il me doit. Peut-être rougira-t-il de se montrer à vous tel qu'il est. Non, je ne crois pas qu'il en ait ni le front ni la force. Je ne suis qu'une femme et vous êtes un homme. Un homme tendre, honnête et juste en impose. Vous lui en imposez. Donnez-moi le bras, et ne me refusez pas de m'accompagner chez lui. Je veux lui parler devant vous. Qui sait ce que ma douleur et votre présence pourront faire sur lui ? Vous m'accompagnerez ?
            - Très volontiers. "
            - Je crains bien que sa douleur et votre présence n'y fasse que de l'eau claire. Le dégoût ! C'est une terrible chose que le dégoût, en amour et d'une femme.
            - J'envoyai chercher une chaise à porteurs, car elle n'était guère en état de marcher. Nous arrivons chez Gardeil, à cette grande maison neuve, la seule qu'il y ait à droite, dans la rue Hyacinthe, en entrant par la place Saint-Michel. Là les porteurs arrêtent, ils ouvrent. J'attends, elle ne sort point. Je m'approche et je vois une femme saisie d'un tremblement universel, ses dents se frappaient comme dans le frisson de la fièvre, ses genoux se battaient l'un contre l'autre.
            " - Un moment, monsieur, me dit-elle. Je vous demande pardon. Je vous demande pardon, je ne saurais. Que vais-je faire là ? Je vous aurai dérangé de vos affaires inutilement. J'en suis fâchée. Je vous demande pardon. "
            Cependant je lui tendais le bras, elle le prit, elle essaya de se lever, elle ne le put.
            " - Encore un moment, monsieur, me dit-elle. Je vous fais peine, vous pâtissez de mon état. "
            Enfin elle se rassura un peu, et en sortant de la chaise elle ajouta tout bas :
            " - Il faut entrer, il faut le voir. Que sait-on ? J'y mourrai peut-être. "
            - Voilà la cour traversée, nous voilà à la porte de l'appartement, nous voilà dans le cabinet de Gardeil. Il était à son bureau en robe de chambre et en bonnet de nuit. Il me fit un salut de la main et continua le travail qu'il avait commencé. Ensuite il vint à moi et me dit :
            " - Convenez, monsieur, que les femmes sont bien incommodes. Je vous fais mille excuses des extravagances de mademoiselle. "
            Puis s'adressant à la pauvre créature qui était plus morte que vive :
            " - Mademoiselle, lui dit-il, que prétendez-vous encore de moi ? Il me semble qu'après la manière nette et précise dont je me suis expliqué, tout doit être fini entre nous. Je vous ai dit que je ne vous aimais plus. Je vous l'ai dit seul à seul. Votre dessein est apparemment que je vous le répète devant monsieur. Eh bien, mademoiselle, je ne vous aime plus. L'amour est un sentiment éteint dans mon cœur pour vous, et j'ajouterai, si cela peut vous consoler, pour toute autre femme.
            - Mais apprenez-moi pourquoi vous ne m'aimez plus.
            - Je l'ignore. Tout ce que je sais, c'est que j'ai commencé sans savoir pourquoi, et que je sens qu'il est impossible que cette passion revienne. C'est une gourme que j'ai jetée et dont je me crois et me félicite d'être parfaitement guéri.
            - Quels sont mes torts ?
            - Vous n'en avez aucun.
            - Auriez-vous quelque objection secrète à faire à ma conduite ?
            - Pas la moindre. Vous avez été la femme la plus constante, la plus tendre, la plus honnête qu'un homme pût désirer.
            - Ai-je omis quelque chose qu'il fût en mon pouvoir de faire ?
            - Rien.
            - Ne vous ai-je pas sacrifié mes parents ?                               
            - Il est vrai.                                                                                     france3-regions.francetvinfo.
Un timbre sera bientôt en vente pour célébrer le 250ème ...            - Ma fortune ?
            - J'en suis au désespoir.
            - Ma santé ?
            - Cela se peut.
            - Mon honneur, ma réputation, mon repos ?
            - Tout ce qu'il vous plaira.
            - Et je te suis odieuse ?
            - Je le sens et ne m'en estime pas davantage.
            - Odieuse ! Ah dieux ! "
            A ces mots une pâleur mortelle se répandit sur son visage, ses lèvres se décolorèrent, les gouttes d'une sueur froide qui se formaient sur ses joues, se mêlaient aux larmes qui descendaient de ses yeux, ils étaient fermés. Sa tête se renversa sur le dos de son fauteuil, ses dents se serrèrent. Tous ses membres tressaillaient. A ce tressaillement succéda une défaillance qui me parut l'accomplissement de l'espérance qu'elle avait conçue à la porte de cette maison. La durée de cet état acheva de m'effrayer. Je lui ôtai son mantelet, je desserrai les cordons de sa robe, je relâchai ceux de ses jupons, et je lui jetai quelques gouttes d'eau fraîche sur le visage. Ses yeux se rouvrirent à demi, il se fit entendre un murmure sourd dans sa gorge. Elle voulait prononcer " Je lui suis odieuse " et elle n'articulait que les dernières syllabes du dernier mot. Puis elle poussait un cri aigu, ses paupières s'abaissaient, et l'évanouissement reprenait.
            Gardeil froidement assis dans son fauteuil, le coude appuyé sur sa table, et sa tête appuyée sur sa main, la regardait sans émotion et me laissait le soin de la secourir. Je lui dis à plusieurs reprises :
            " - Mais, monsieur, elle se meurt, il faudrait appeler. "
            Il me répondit en souriant et en haussant les épaules :
            " - Les femmes ne meurent pas pour si peu. Cela n'est rien, cela se passera. Vous ne les connaissez pas, elles font de leur corps tout ce qu'elles veulent.
            - Elle se meurt, vous dis-je.  "
            En effet son corps était comme sans force et sans vie, il s'échappait de dessus son fauteuil, et elle serait tombée à terre de droite ou de gauche, si je ne l'avais retenue.
            Cependant Gardeil s'était levé brusquement, et en se promenant dans son appartement, il disait d'un ton d'impatience et d'humeur :
            " - Je me serais bien passé de cette maussade scène, mais j'espère que ce sera la dernière. A qui diable en veut cette créature ? Je l'ai aimée, je me battrais la tête contre le mur qu'il n'en serait ni plus ni moins. Je ne l'aime plus, elle le sait à présent ou elle ne le saura jamais. Tout est dit.
            - Non, non monsieur, tout n'est pas dit. Quoi ? Vous croyez qu'un homme de bien n'a qu'à dépouiller une femme de tout ce qu'elle a et la laisser ?
            - Que voulez-vous que je fasse, je suis aussi gueux qu'elle.
            - Ce que je veux que vous fassiez ? Que vous associez votre misère à celle où vous l'avez réduite.
            - Cela vous plaît à dire. Elle n'en serait pas mieux et j'en serais beaucoup plus mal.
            - En useriez-vous ainsi avec un ami qui vous aurait tout sacrifié ?
            - Un ami ! Je n'ai pas grande foi aux amis, et cette expérience m'a appris à n'en avoir aucune aux passions. Je suis fâché de ne l'avoir pas su plus tôt.
            - Et il est juste que cette malheureuse femme soit la victime de l'erreur de votre cœur ?
            - Et qui vous a dit qu'un mois, un jour plus tard je ne l'aurais pas été moi tout aussi cruellement de l'erreur du sien ?
            - Qui me l'a dit ? Tout ce qu'elle a fait pour vous et l'état où vous la voyez.
            - Ce qu'elle a fait pour moi ! Oh pardieu, il est acquitté de reste par la perte de mon temps.
            - Ah, monsieur Gardeil, quelle comparaison de votre temps et de toutes les choses sans prix que vous lui avez enlevées !
            - Je n'ai rien fait, je ne suis rien, j'ai trente ans, il est temps ou jamais de penser à soi et d'apprécier toutes ces fadaises-là ce qu'elles valent. "
            Cependant la pauvre demoiselle était un peu revenue à elle-même. A ces derniers mots elle reprit avec vivacité.                                                                                       caudron-svv.com   
Ecole Française Seconde Moitié du XVIII-ème Siècle : « Jeune femme ...            " - Qu'a-t-il dit de la perte de son temps ? J'ai appris quatre langues pour le soulager dans ses travaux. J'ai lu mille volumes, j'ai écrit, traduit, copié les jours et les nuits. J'ai épuisé mes forces, usé mes yeux, brûlé mon sang. J'ai contracté une maladie fâcheuse dont je ne guérirai peut-être jamais. La cause de son dégoût, il n'ose l'avouer, mais vous allez la connaître. "
            A l'instant elle arrache son fichu, elle sort un de ses bras de sa robe, elle met son épaule à nu, et me montrant une tâche érysipélateuse :                                                     
            " - La raison de ce changement, la voilà, me dit-elle, la voilà. Voilà l'effet des nuits que j'ai veillées. Il arrivait le matin avec ses rouleaux de parchemin. M. d'Hérouville, me disait-il, est très pressé de savoir ce qu'il y a là-dedans, il faudrait que cette besogne fût faite demain, et elle l'était. "
            Dans ce moment nous entendîmes les pas de quelqu'un qui s'avançait vers la porte. C'était un domestique qui annonçait l'arrivée de M. d'Hérouville. Gardeil en pâlit. J'invitai Mlle de La Chaux à se rajuster et à se retirer.
            " - Non, dit-elle, je reste, je veux démasquer l'indigne. J'attendrai M. d'Hérouville, je lui parlerai.
            - Et à quoi cela servira-t-il ?
            - A rien, me répondit-elle, vous avez raison.
            - Demain vous en seriez désolée. Laissez-lui tous ses torts, c'est une vengeance digne de vous.
            - Mais est-elle digne de lui ? Est-ce que vous ne voyez pas que cet homme-là n'est... Partons, monsieur, partons vite, car je ne puis répondre ni de ce que je ferais ni de ce que je dirais. "
            Mlle de La Chaux répara en un clin d’œil le désordre que cette scène avait mis dans ses vêtements, s'élança comme un trait hors du cabinet de Gardeil. Je la suivis et j'entendis la porte qui se fermait sur nous avec violence. Depuis j'ai appris qu'on avait donné son signalement au portier.
            Je la conduisis chez elle où je trouvai le docteur Le Camus qui nous attendait. La passion qu'il avait prise pour cette jeune fille différait peu de celle qu'elle ressentait pour Gardeil. Je lui fis le récit de notre visite, et tout à travers les signes de sa colère, de sa douleur, de son indignation...
            - Il n'était pas trop difficile de démêler sur son visage que votre peu de succès ne lui déplaisait pas trop ?
            - Il est vrai.
            - Voilà l'homme. Il n'est pas meilleur que cela.
            - Cette rupture fut suivie d'une maladie violente pendant laquelle le bon, l'honnête, le tendre et délicat docteur lui rendit des soins qu'il n'aurait pas eus pour la plus grande dame de France. Il venait trois, quatre fois par jour. Tant qu'il y eut du péril, il coucha dans sa chambre sur un lit de sangle. C'est un bonheur qu'une maladie dans les grands chagrins.
            - En nous rapprochant de nous, elle écarte le souvenir des autres, et puis c'est un prétexte pour s'affliger sans indiscrétion et sans contrainte.
            - Cette réflexion juste d'ailleurs n'était pas applicable à Mlle de La Chaux.
            - Pendant sa convalescence nous arrangeâmes l'emploi de son temps. Elle avait de l'esprit, de l'imagination, du goût, des connaissances plus qu'il n'en fallait pour être admise à l'Académie des inscriptions. Elle nous avait tant et tant entendu métaphysiquer, que les matières les plus abstraites lui étaient devenues familières, et sa première tentative littéraire fut la traduction des premiers ouvrages de Hume. Je la revis, et en vérité elle m'avait laissé bien peu de choses à rectifier. Cette traduction fut imprimée en Hollande et bien accueillie du public.
            Ma Lettre sur les sourds et muets parut presque en même temps. Quelques objections très fines qu'elle me proposa donnèrent lieu à une Lettre qui lui fut dédiée. Cette Lettre n'est pas ce que j'ai fait de plus mal.
            La gaieté de Mlle de La Chaux était un peu revenue. Le docteur nous donnait quelquefois à manger, et ces dîners n'étaient pas trop tristes. Depuis l'éloignement de Gardeil, la passion de Le Camus avait fait de merveilleux progrès. Un jour, à table au dessert, qu'il s'en expliquait avec toute l'honnêteté, toute la sensibilité, toute la naïveté d'un enfant, toute la finesse d'un homme d'esprit, elle lui dit avec une franchise qui me plut infiniment, mais qui déplaira peut-être à d'autres :
             " - Docteur, il est impossible que l'estime que j'ai pour vous s'accroisse jamais. Je suis comblée de vos services, et je serais aussi noire que le monstre de la rue Hyacinthe si je n'étais pas pénétrée de la plus vive reconnaissance. Votre tour d'esprit me plaît on ne saurait davantage. Vous me parlez de votre passion avec tant de délicatesse et de grâce, que je serais, je crois, fâchée que vous ne m'en parlassiez plus. La seule idée de perdre votre société ou d'être privée de votre amitié, suffirait pour me rendre malheureuse.Vous êtes un homme de bien s'il en fut jamais. Vous êtes d'une bonté et d'une douceur de caractère incomparables. Je ne crois pas qu'un cœur puisse tomber en de meilleures mains. Je prêche le mien du matin au soir en votre faveur, mais a beau prêcher qui n'a envie de bien faire, je n'en avance pas davantage. Cependant vous souffrez, et j'en ressens une peine cruelle. Je ne connais personne qui soit plus digne que vous du bonheur que vous sollicitez, et je ne sais ce que je n'oserais pas pour vous rendre heureux. Tout le possible sans exception. Tenez, docteur, j'irais... Oui, j'irais jusqu'à coucher : jusque-là inclusivement. Voulez-vous coucher avec moi ? Vous n'avez qu'à dire. Voilà tout ce que je puis faire pour votre service. Mais vous voulez être aimé, et c'est ce que je ne saurais. "
            Le docteur l'écoutait, lui prenait la main, la baisait, la mouillait de ses larmes et moi je ne savais si je devais rire ou pleurer. Mademoiselle de La Chaux connaissait bien le docteur, et le lendemain que je lui disais :
            " - Mais, mademoiselle, si le docteur vous eût prise au mot ? "
            Elle me répondit :
            " - J'aurais tenu parole. Mais ceci ne pouvait arriver : mes offres n'étaient pas de nature à pouvoir être acceptée par un homme tel que lui. "
            - Pourquoi non ? Il me semble qu'à la place du docteur j'aurais espéré que le reste viendrait après.
            - Oui. Mais à la place du docteur, Mlle de La Chaux ne vous aurait pas fait la même proposition.
            La traduction de Hume ne lui avait pas rendu grand argent. Les Hollandais impriment tant qu'on veut pourvu qu'ils ne paient rien.
            - Heureusement pour nous, car avec les entraves qu'on donne à l'esprit, s'ils s'avisent une fois de payer les auteurs, ils attireront chez eux tout le commerce de la librairie.
            - Nous lui conseillâmes de faire un ouvrage d'agrément auquel il y aurait plus d'honneur et plus de profit. Elle s'en occupa pendant quatre à cinq mois au bout desquels elle m'apporta un petit roman historique intitulé Les trois Favorites. Il y avait de la légèreté de style, de la finesse et de l'intérêt. Mais sans qu'elle s'en fût doutée, car elle était incapable d'aucune malice, il était parsemé d'une multitude de traits applicables à la maîtresse du souverain, la marquise de Pompadour, et je ne lui dissimulai pas que, quelque sacrifice qu'elle me fît, soit en adoucissant, soit en supprimant ces endroits, il était presque impossible que cet ouvrage parût sans la compromettre, et que le chagrin de gâter ce qui était bien, ne la garantissait pas d'un autre.                          kadnax.pagesperso-orange.fr                                
Les couvent au XVIIème siècle            Elle sentit toute la justesse de mon observation, et n'en fut que plus affligée. Le bon docteur prévenait tous ses besoins, mais elle usait de sa bienfaisance avec d'autant plus de réserve qu'elle se sentait moins disposée à la sorte de reconnaissance qu'il en pouvait espérer. D'ailleurs le docteur n'était pas riche alors, et il n'était pas trop fait pour le devenir. De temps en temps elle tirait son manuscrit de son portefeuille et elle me disait tristement :
            " - Eh bien, il n'y a donc pas moyen d'en rien faire, et il faut qu'il reste là ?
            Je lui donnai un conseil singulier : ce fut d'envoyer l'ouvrage tel qu'il était, sans adoucir, sans changer, à Mme de Pompadour même, avec un bout de lettre qui la mît au fait de cet envoi. Cette idée lui plut. Elle écrivit une lettre charmante de tout point, mais surtout par un ton de vérité auquel il était impossible de se refuser. Deux ou trois mois s'écoulèrent sans qu'elle entendit parler de rien, et elle tenait sa tentative pour infructueuse, lorsqu'une croix de Saint-Louis se présenta chez elle avec une réponse de la marquise. L'ouvrage y était loué comme il le méritait, on remerciait du sacrifice, on convenait des applications, on n'en était point offensée, et l'on invitait l'auteur à venir à Versailles où l'on trouverait une femme reconnaissante et disposée à rendre les services qui dépendraient d'elle. L'envoyé en sortant de chez Mlle de La Chaux laissa adroitement sur sa cheminée un rouleau de cinquante louis.
            Nous la pressâmes, le docteur et moi, de profiter de la bienveillance de Mme de Pompadour. Mais nous avions à faire à une fille dont la modestie et la timidité égalaient le mérite.
            Comment se présenter là avec ses haillons ? Le docteur leva tout de suite cette difficulté. Après les habits ce furent d'autres prétextes, et puis d'autres prétextes encore.
            Le voyage de Versailles fut différé de jour en jour jusqu'à ce qu'il ne convenait presque plus de le faire, et il y avait déjà du temps que nous ne lui en parlions pas, lorsque le même émissaire revint avec une seconde lettre remplie de reproches les plus obligeants et une autre gratification équivalente à la première et offerte avec le même ménagement.
            Cette action généreuse de Mme de Pompadour n'a point été connue. J'en ai parlé à M. Colin, son homme de confiance et le distributeur de ses grâces secrètes. Il l'ignorait, et j'aime à me persuader que ce n'est pas la seule que sa tombe recèle.
            Ce fut ainsi que Mlle de La Chaux manqua deux fois l'occasion de se tirer de la détresse.
            Depuis elle transporta sa demeure sur les extrémités de la ville, et je la perdis tout à fait de vue. Ce que j'ai su du reste de sa vie, c'est qu'il n'a été qu'un tissu de chagrins, d'infirmités et de misère. Les portes de sa famille lui furent opiniâtrement fermées. Elle sollicita inutilement l'intercession de ces saints personnages qui l'avaient persécutée avec tant de zèle.
            - Cela est dans la règle.
            - Le docteur ne l'abandonna point. Elle mourut sur la paille dans un grenier, tandis que le petit tigre de la rue Hyacinthe, le seul amant qu'elle ait eu, exerçait la médecine à Montpellier ou à Toulouse, et jouissait dans la plus grande aisance de la réputation méritée d'habile homme.
            - Mais cela est encore à peu près dans la règle. S'il y a un bon et honnête Tanié c'est à une Reynier que la Providence l'envoie. S'il y a une bonne et honnête La Chaux, elle deviendra le partage d'un Gardeil, afin que tout soit fait pour le mieux.
            Mais on me dira peut-être que c'est aller bien vite que de prononcer définitivement sur le caractère d'un homme d'après une seule action, qu'une règle aussi sévère réduirait le nombre des gens de bien au point d'en laisser moins sur la terre que l'évangile du chrétien n'admet d'élus dans le ciel, qu'on peut être inconstant en amour, se piquer même de peu de religion avec les femmes sans être dépourvu d'honneur et de probité, qu'on est le maître ni d'arrêter une passion qui s'allume, ni d'en prolonger une qui s'éteint. Qu'il y a déjà assez d'hommes dans les maisons et les rues qui méritent à juste titre le nom de coquins, sans inventer des crimes imaginaires qui les multiplieraient à l'infini.
            On me demandera si je n'ai jamais ni trahi, ni trompé, ni délaissé aucune femme sans sujet. Si je voulais répondre à ces questions, ma réponse ne demeurerait pas sans réplique, et ce serait une dispute à ne finir qu'au Jugement dernier. Mais mettez la main sur la conscience et dites-moi, vous, monsieur l'apologiste des trompeurs et des infidèles, si vous prendriez le docteur de Toulouse pour votre ami... Vous hésitez ? Tout est dit.
            Et sur ce je prie Dieu de tenir en sa sainte garde toute femme à qui il vous prendra fantaisie d'adresser votre hommage. 


                                                                             Fin

                                                                    Denis Diderot

                          ( Ceci n'est pas un conte - 1re diffusion en deux parties Avril  / Mai 1773 )

                                                                 
            

mercredi 25 mars 2020

Ceci n'est pas un conte 1/2 Denis Diderot ( Nouvelle France )

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                                                      Ceci n'est pas un conte

            Lorsqu'on fait un conte, c'est à quelqu'un qui l'écoute, et pour peu que le conte dure, il est rare que le conteur ne soit interrompu quelquefois par son auditeur. Voilà pourquoi j'ai introduit dans le récit qu'on va lire, et qui n'est pas un conte ou qui est un mauvais conte, si vous vous en doutez, un personnage qui fasse à peu près le rôle du lecteur, et je commence.

                                                                           *

            - Et vous concluez de là ?
            - Qu'un sujet aussi intéressant devrait mettre toutes les têtes en l'air, défrayer pendant un mois tous les cercles de la ville, y être tourné et retourné jusqu'à l'insipidité, fournir à mille disputes, à vingt brochures au moins et à quelque centaines de pièces en vers pour et contre. Et qu'en dépit de toute la finesse, de toutes les connaissances, de tout l'esprit de l'auteur, puisque son ouvrage n'a excité aucune fermentation violente, il est médiocre et très médiocre.
            - Mais il me semble que nous lui devons pourtant une soirée assez agréable et que cette lecture a amené...
            - Quoi ? Une litanie d'historiettes usées qu'on se décochait de part et d'autre, et qui ne disaient qu'une chose connue de toute éternité, c'est que l'homme et la femme sont deux bêtes très malfaisantes.
            - Cependant l'épidémie vous a gagné, et vous avez payé votre écot tout comme un autre.
            - C'est que bon gré, mal gré qu'on en ait, on se prête au ton donné. Qu'en entrant dans une société, on arrange à la porte d'un appartement jusqu'à sa physionomie sur celles qu'on voit. Qu'on contrefait le plaisant quand on est triste, le triste quand on serait tenté d'être plaisant. Qu'on ne veut être étranger à qui que ce soit, que le littérateur politique, que le politique métaphysique, que le métaphysique moralise, que le moraliste parle finance, le financier belles lettres ou géométrie. Que plutôt que d'écouter ou se taire, chacun bavarde de ce qu'il ignore, et que tous s'ennuient par sotte vanité ou par politesse.
            - Vous avez de l'humeur.
            - A mon ordinaire.
            - Et je crois qu'il est à propos que je réserve mon historiette pour un moment plus favorable.
            - C'est-à-dire que vous attendrez que je n'y sois pas.
            - Ce n'est pas cela.
            - Ou que vous craignez que je n'aie moins d'indulgence pour vous tête à tête que je n'en aurais pour un indifférent en société.
            - Ce n'est pas cela.
            - Ayez donc pour agréable de me dire ce que c'est.
            - C'est que mon historiette ne prouve pas plus que celles qui vous ont excédé.
            - Eh, dîtes toujours.
            - Non, non, vous en avez assez.
            - Savez-vous que de toutes les manières qu'ils ont de me faire enrager, la vôtre m'est la plus antipathique.
            - Et qu'elle est la mienne ?
            - Celle d'être prié de la chose que vous mourez de faire. Eh bien, mon ami, je vous prie, je vous supplie, de vouloir bien vous satisfaire.
            - Me satisfaire !
            - Commencez, pour Dieu, commencez.
            - Je tâcherai d'être court.
            - Cela n'en sera pas plus mal.
            Ici, un peu par malice, je toussai, je crachai, je pris mon mouchoir, je me mouchai, je pris ma tabatière, je pris une prise de tabac, et j'entendais mon homme qui disait entre ses dents :
            - Si l'histoire est courte, les préliminaires sont longs.
            Il me prit envie d'appeler un domestique sous prétexte de quelque commission, mais je n'en fis rien, et je dis.
                                                    Ceci n'est pas un conte.
                     
                                                                          *
                                                                                          pinterest.fr
Франсуа Буше. Маркиза де Помпадур, 1758 и 1759            Il faut avouer qu'il y a des hommes bien bons et des femmes bien méchantes.
            - C'est ce qu'on voit tous les jours et quelquefois sans sortir de chez soi.. Après.
            - Après ? J'ai connu une Alsacienne belle, mais belle à faire accourir les vieillards et à arrêter tout court les jeunes gens.
            - Et moi aussi je l'ai connue, elle s'appelait Mme Reynier.
            - Il est vrai. Un nouveau débarqué de Nancy, appelé Tanié, en devint éperdument amoureux. Il était pauvre. C'était un de ces enfants perdus que la dureté des parents qui ont une famille nombreuse chasse de la maison et qui se jettent dans le monde, sans savoir ce qu'ils deviendront, par un instinct qui leur dit qu'ils n'y auront pas un destin pire que celui qu'ils fuient. Tanié, amoureux de madame Reynier, exalté par une passion qui soutenait son courage et anoblissait à ses yeux toutes ses actions, se soumettait sans répugnance aux plus pénibles et aux plus viles, pour soulager la misère de son amie. Le jour il allait travailler sur les ports, à la chute du jour il mendiait dans les rues.
            - Cela était fort beau, mais cela ne pouvait durer.
            - Aussi Tanié, las ou de lutter contre le besoin ou plutôt de retenir dans le besoin une femme charmante obsédée d'hommes opulents qui la pressaient de chasser ce gueux de Tanié...
            - Ce qu'elle aurait fait quinze jours, un mois plus tard.
            - et d'accepter leurs richesses, résolut de la quitter et d'aller tenter la fortune au loin. Il sollicite, il obtient son passage sur un vaisseau du roi. Le moment de son départ est venu. Il va prendre congé de Mme Reynier :
            " - Mon amie, lui dit-il, je ne saurais abuser plus longtemps de votre tendresse. J'ai pris mon parti, je m'en vais.
               - Vous vous en allez.
               - Oui.
               - Et où allez-vous ?
               - Aux Iles. Vous êtes digne d'un autre sort, et je ne saurais l'éloigner plus longtemps. "
               - Le bon Tanié !
               " - Et que voulez-vous que je devienne ? "
                - La traîtresse !  
                " - Vous êtes environnée de gens qui cherchent à vous plaire. Je vous rends vos promesses. Je vous rends vos sentiments. Voyez quel est celui de ces prétendants qui vous est le plus agréable. Acceptez-le, c'est moi qui vous en conjure.
               - Ah, Tanié, c'est vous qui me proposez... "
               - Je vous dispense de la pantomime de Mme Reynier. Je la vois, je la sais.
               " - En m'éloignant, la seule grâce que j'exige de vous, c'est de ne former aucun engagement qui nous sépare à jamais. Jurez-le moi, ma belle amie. Quelle que soit la contrée de la terre que j'habiterai, il faudra que j'y sois bien malheureux s'il se passe une année sans vous donner des preuves certaines de mon tendre attachement. Ne pleurez pas. "
              - Elles pleurent toutes quand elles veulent.
              " - Et ne combattez pas un projet que les reproches de mon cœur m'ont enfin inspiré, et auquel ils ne tarderaient pas à me ramener. "
              - Et voilà Tanié parti pour Saint-Domingue.
              - Et parti tout à temps pour Mme Reynier et pour lui.
              - Qu'en savez-vous ?
              - Je sais tout aussi bien qu'on peut le savoir que quand Tanié lui conseilla de faire un choix , il était fait.
              - Bon !
              - Continuez votre récit.
              - Tanié avait de l'esprit et une grande aptitude aux affaires. Il ne tarda pas d'être connu. Il entra au Conseil souverain du Cap. Il s'y distingua par ses lumières et son équité. Il n'ambitionnait pas une grande fortune, il ne la désirait qu'honnête et rapide. Chaque année il en envoyait une portion à Mme Reynier. Il revint au bout...
              - De neuf à dix ans. Non je ne crois pas que son absence ait été plus longue.
              - présenter à son amie un petit portefeuille qui renfermait le produit de ses vertus et de ses travaux.
              - Et heureusement pour Tanié, ce fut au moment où elle venait de se séparer du dernier des successeurs de Tanié.
              - Du dernier ?
              - Oui.
              - Elle en avait donc eu plusieurs ?
              - Assurément. Allez, allez.
              - Mais je n'ai peut-être rien à vous dire que vous ne sachiez mieux que moi.
              - Qu'importe, allez toujours.
              - Mme Reynier et Tanié occupaient un assez beau logement rue Sainte-Marguerite, à ma porte. Je faisais grand cas de Tanié et je fréquentais sa maison qui était sinon opulente, du moins fort aisée.     
              - Je puis vous assurer, moi, sans avoir compté avec la Reynier, qu'elle avait mieux de quinze mille livres de rente avant le retour de Tanié.
              - A qui elle dissimulait sa fortune ?
              - Oui.                                            
              - Et pourquoi ?                                                           pinterest.fr
Résultat de recherche d'images pour "amant trompé 18è siecle"              - Parce qu'elle était avare et rapace.
              - Passe pour rapace, mais avare ! Une courtisane avare ! Il y avait cinq ou six ans que ces deux amants vivaient dans la meilleure intelligence.
              - Grâce à l'extrême finesse de l'un et à la confiance sans borne de l'autre.
              - Oh, il est vrai qu'il était impossible à l'ombre d'un soupçon d'entrer dans une âme aussi pure que celle de Tanié. La seule chose dont je me sois quelquefois aperçu, c'est que Mme Reynier avait bientôt oublié sa première indigence, qu'elle était tourmentée de l'amour du faste et de la richesse, qu'elle était humiliée qu'une aussi belle femme allât à pied.
               - Que n'allait-elle en carrosse ?                               
               - Et que l'éclat du vice lui en dérobait la bassesse. Vous riez ?...  Ce fut alors que M. de Maurepas forma le projet d'établir au Nord une maison de commerce. Le succès de cette entreprise demandait un homme actif et intelligent. Il jeta les yeux sur Tanié à qui il avait confié la conduite de plusieurs affaires importantes pendant son séjour au Cap, et qui s'en était toujours acquitté à la satisfaction du ministre. Tanié fut désolé de cette marque de distinction. Il était si content, si heureux à côté de sa belle amie, il était ou se croyait aimé.
              - C'est bien dit.
              - Qu'est-ce que l'on pouvait ajouter à son bonheur ? Rien. Cependant le ministre insistait. Il fallait se déterminer, il fallait s'ouvrir à Mme Reynier. J'arrivai chez lui précisément sur la fin de cette scène fâcheuse. Le pauvre Tanié fondait en larmes.
              " - De quoi s'agit-il ? D'une absence de deux ou trois ans au plus.
              - C'est bien du temps pour un homme que vous aimez et qui vous aime autant que lui.
              - Lui, il m'aime ! S'il m'aimait balancerait-il à me satisfaire ?
              - Mais, madame, que ne le suivez-vous ?
              - Moi, je ne vais point là, et tout extravagant qu'il est, il ne s'est point avisé de me le proposer. Doute-t-il de moi ?
              - Je n'en crois rien.
              - Après l'avoir attendu pendant douze ans, il peut bien s'en reposer deux ou trois ans sur ma bonne foi. Monsieur, c'est que c'est une de ces occasions singulières qui ne se présentent qu'une fois dans la vie, et je ne veux pas qu'il ait un jour à se repentir et à me reprocher peut-être de l'avoir manquée.  
              - Tanié ne regrettera rien, tant qu'il aura le bonheur de vous plaire.
              - Cela est fort honnête, mais soyez sûr qu'il sera très content d'être riche, quand je serai vieille. Le travers des femmes est de ne jamais penser à l'avenir, ce n'est pas le mien. "
              Le ministre était à Paris. De la rue Sainte-Marguerite à son hôtel il n'y avait qu'un pas. Tanié y était allé et s'était engagé. Il rentra l’œil sec mais l'âme serrée.
              " - Madame, lui dit-il, j'ai vu M. de Maurepas, il a ma parole, je m'en irai, je m'en irai et vous serez satisfaite.
               - Ah, mon ami ! "
            Mme Reynier écarte son métier, s'élance vers Tanié, jette ses bras autour de son cou, l'accable de caresses et de propos doux.
             " - Ah, c'est pour cette fois que je vois que je vous suis chère ! "
             Tanié lui répondit froidement :
             " - Vous voulez être riche. "                                                               aparences.net
La Fidélité et l’Amour, 1734, Giambattista Tiepolo, Biron di Monteviale, Villa Loschi             - Elle l'était la coquine, dix fois plus qu'elle ne le méritait.
             " - Et vous le serez, puisque c'est l'or que vous aimez, il faut aller vous chercher de l'or. "
             C'était le mardi, et le ministre avait fixé son départ au vendredi sans délai. J'allai lui faire mes adieux au moment où il luttait avec lui-même, où il tâchait de s'arracher des bras de la belle, indigne et cruelle Reynier. C'était un désordre d'idées, un désespoir, une agonie dont je n'ai jamais vu un second exemple. Ce n'était pas de la plainte, c'était un long cri. Mme Reynier était encore au lit, il tenait une de ses mains. Il ne cessait de dire et de répéter :
             " - Cruelle femme. Femme cruelle ! Que te faut-il de plus que l'aisance dont tu jouis, et un ami, un amant tel que moi ? J'ai été lui chercher la fortune dans les contrées brûlantes de l'Amérique, elle veut que j'aille la lui chercher encore au milieu des glaces du Nord. Mon ami, je sens que cette femme est folle, je sens que je suis un insensé, mais il m'est moins affreux de mourir que de la contrister. Tu veux que je te quitte, je vais te quitter. "
             Il était à genoux au bord de son lit, la bouche collée sur sa main et le visage caché dans les couvertures qui en étouffant son murmure, ne le rendait que plus triste et plus effrayant. La porte de la chambre s'ouvrit, il releva brusquement la tête, il vit le postillon qui venait lui annoncer que les chevaux étaient à la chaise. Il fit un cri et recacha son visage sous les couvertures. Après un moment de silence il se leva, il dit à son amie :
             " - Embrassez-moi, madame, embrassez-moi encore une fois, car tu ne me reverras plus. "
             Son pressentiment n'était que trop vrai. Il partit. Il arriva à Petersbourg, et trois jours après il fut attaqué d'une fièvre dont il mourut le quatrième.
             - Je savais tout cela.
             - Vous avez peut-être été un des successeurs de Tanié ?
             - Vous l'avez dit, et c'est avec cette belle abominable que j'ai dérangé mes affaires.
             -  Ce pauvre Tanié !
             - Il y a des gens dans le monde qui vous diraient que c'est un sot.
             - Je ne le défendrai pas, mais je souhaiterai au fond de mon cœur que leur mauvais destin les adresse à une femme aussi belle et aussi artificieuse que Mme Reynier.
             - Vous êtes cruel dans vos vengeances.
             - Et puis s'il y a des femmes très méchantes et des hommes très bons, il y a aussi des femmes très bonnes et des hommes très méchants, et ce que je vais ajouter n'est pas plus un conte que ce qui précède.
            - J'en suis convaincu.


                                                                 à suivre........
                                                                                    suite et fin

            M. d'Hér.......       
                                         

dimanche 22 mars 2020

Anecdotes et Réflexions d'hier pour aujourd'hui 111 Samuel Pepys ( Journal Angleterre )

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                                                                                                                       17 février 1664

            Levé, et avec ma femme, la laissant chez son père à Long Acre, dans un quartier si mal famé, parmi toutes les maisons de débauche que j'étais inquiet de la voir là-bas. Puis à Whitehall, allant et venant, parlant avec Mr Pearse qui me dit que le roi donna à milord Fitzgerald deux baux qui appartiennent en fait à la reine, d'une valeur de 20 000 livres, et qu'on en jase beaucoup, et d'autres choses de cette sorte que je suis navré d'apprendre. Nous fîmes une promenade autour du parc avec grand plaisir avant de revenir. Ne trouvant pas le temps de parler à milord d'Albermarle, j'allai à pied à la nouvelle Bourse où je rencontrai ma femme chez notre belle Doll. Je la ramenai à la maison ainsi que Creed que je rencontrai..... Dîner à la maison où je trouvai un excellent mastiff nommé Towzer envoyé par un chirurgien. Après dîner j'emmenai de nouveau ma femme en voiture, laissant Creed à Greshal College, dont il est maintenant le virtuosi, et à Whitehall où je lus une communication sur Tanger à milord le duc d'Albermarle dans la chambre du Conseil. Puis chez Mrs Hunt pour chercher ma femme, et retour directement en voiture à la maison puis au bureau jusqu'à 3 heures du matin, ayant beaucoup parlé avec Mr Cutler. Il m'a raconté comment les Hollandais nous traitent à l'étranger et ne nous apprécient nulle part. Il ajoute que Mr Rider et lui ont trouvé de bonnes raisons d'écarter le capitaine Cocke de leur compagnie car il leur a joué des tours déloyaux et grossiers et a causé sa propre ruine en abusant tout un chacun par sa prétention d'avoir de l'esprit. De même sir Richard Ford, ce sont tous deux hommes pleins d'esprit.
            Sir William Rider resta avec moi jusqu'à environ minuit, car nous étions occupés à comprendre comment Mr Wood mesurait ses mâts, ce à quoi j'arrivais si bien avant que l'on jugea que je négociais durement avec Wood, mais à ma grande honte je ne compris pas mieux, j'espère néanmoins que l'on pense de moi, faire de nouvelles économies pour le roi. Impatient d'en finir, la tête pleine de notions confuses et embrouillées, sans être arrivé en rien à une compréhension distincte, j'avais décidé de veiller, ce que je fis. Il est maintenant sur le point de sonner 4 heures, suis tout seul, gelé et ma chandelle n'a plus de quoi m'éclairer jusque chez moi. Ayant cependant acquis une compréhension certaine de l'affaire et l'ayant élucidée par écrit, je rentrai à la maison et, au lit l'esprit rasséréné. La servante veillait pour m'attendre, les autres tous couchés. Je mangeai et bus un peu et, au lit, las, ayant sommeil, froid et mal à la tête.


                                                                                                                      18 février

            Appelé au bureau, bien contre mon gré je me levai, ayant fort mal à la tête, et au bureau, où j'arguai utilement pour le roi de ce que j'ai préparé cette nuit contre Mr Wood, mais n'amenai l'affaire à aucune conclusion. Beaucoup de travail jusqu'à midi, puis avec Mr Coventry au bureau de la Compagnie africaine. J'examinai les comptes de milord Peterborough. A dîner excellente conversation avec sir George Carteret de d'autres de la Cie africaine. Puis terminai les comptes un peu plus tard. Rentré directement à la maison, ayant grande douleur de tête et somnolent. Après avoir un peu travaillé au bureau et écrit à mon père pour lui proposer le mastiff, rentrai à la maison et, au lit, alors qu'il faisait encore jour, vers 6 heures, et m'endormis. Réveillé vers minuit quand ma femme  vint se coucher, me rendormis jusqu'au matin.


                                                                                                                  19 février

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elevage english mastiff            Levé, la tête bien remise, rasé et au bureau. Mr Cutler vint se promener et discuter avec moi fort longtemps, puis allâmes à la Bourse et, comme il était tôt, il me cita en exemple plusieurs hommes remarquables qui s'étaient élevés à la Bourse, à force de diligence et d'épargne. Il parla aussi de sa propre fortune et comment on lui accorda de plus en plus de crédit, alors que sa fortune ne se montait pas vraiment à 1 100 livres il eut 100 000 livres de crédit. Il parla aussi de sir William Rider, comment il s'est élevé, et d'autres encore. Sir John Banks nous rejoignit, il nous raconta certaines transactions de la Compagnie des Indes orientales et comment dans son cas, lorsque les Hollandais lui devaient 64 000 livres à lui ainsi qu'à l'échevin Mico pour préjudice subi dans les Indes orientales, et qu'ils tardaient à lui payer cette somme, peu après la paix, Oliver Cromwell leur fit dire que s'ils ne payaient pas avant une certaine date il accorderait à ces négociants des lettres de marque sur eux. Ils eurent une si grande peur de lui qu'ils payèrent vite, jusqu'au dernier farthing.
            Un peu plus tard comme la Bourse se remplissait je traitai de nombreuses affaires et à deux heures allai avec mon oncle Wight chez lui où, comme convenu, nous emmenâmes nos femmes, elles en voiture avec Mr Maes et nous à pied, chez Mr Jaggard, marchand de salaisons dans Thames Street, à qui je fis une faveur car il est au nombre des fournisseurs subsistances peu fortunés. Sa femme que je n'avais pas vue depuis longtemps et qui est la fille du vieux Day, maître de mon oncle Wight, est une femme très ordinaire, mais ils ont de beaux enfants. Je pensai qu'ils avaient un train de vie assez modeste, mais ensuite je vis leur dîner, exclusivement du poisson présenté avec grand soin. Mais la compagnie n'étant pas bonne je ne pris aucun plaisir. Après dîner comme il n'y avait a pas d'affaires extraordinaires, nous nous séparâmes. Je rentrai de nouveau chez moi et emmenai ma femme prendre une voiture. Allâmes rendre visite aux dames Jemima et Paulina Montagu et à Mrs Elizabeth Pickering que nous trouvâmes dans la nouvelle maison de leur père dans Lincoln's Field, la maison pleine de saleté. Elles nous reçurent assez bien, mais je n'essayai pas de me comporter familièrement Après une brève visite...... nous repartîmes en voiture et ma femme rendit visite à sa cousine Scott qui est encore très malade, puis retour chez Jaggard, très bon dîner et vaisselle d'argent en grande quantité, et surtout, après dîner Mrs Jaggard, sur mes vives instances, joua de la viole mieux, je crois, que toute autre femme en Angleterre, seuls quelques maîtres jouent mieux. Je dois avouer que cela m'étonna beaucoup.... Je priai ensuite Maes de chanter, mais il le fit avec tant d'affectation que j'en fus ecoeuré.
            Vers 11 heures je raccompagnai ma tante à la maison, après avoir en chemin déposé ma femme à la maison. Elle me dit que les Jaggard ont la réputation d'être très riches, leur fortune atteint 10 ou 12 000 livres, et leur propriété à la campagne toute l'année, et tout le répondant, ce qui me surprend fort, quand je pense pour quel pauvre homme je le pris quand je lui fis cette faveur au bureau
            Après les prières, au lit, n'ayant eu d'autre plaisir que d'entendre Mrs Jaggard jouer de la viole, et cela me rend supportable tout le reste qui ne me donna point satisfaction.


                                                                                                                 20 février

            Levé et au bureau réunion toute la matinée. A midi à la Bourse avec Mr Coventry, rentré dîner et après en yole à Woolwich, où je trouvai Mr Falconer, puis à l'autre arsenal où je réglai quelques affaires à mon contentement. C'était une très belle soirée aussi j'allai à pied à Greenwich, et rentrai chez moi par le fleuve avec la nuit. Au bureau travaillai tard. A la maison, souper et, au lit.


                                                                                                                21 février 1664
epicetoorecettes.fr                                                                                                   Jour du Seigneur
Résultat de recherche d'images pour "potée"             Levé et ayant beaucoup d'affaires à traiter passai toute la matinée au bureau.....  A midi rentrai dîner, mon frère Tom vint et après dîner je le fis monter et lui lus la lettre de mécontentement que j'ai récemment envoyée à mon père. Apparemment elle lui plaît et il réprouve le caractère désagréable de ma sœur et la vie paresseuse qu'elle mène là-bas.
            Après son départ, retour au bureau, terminai le travail de la matinée. Puis après avoir, comme d'habitude, relu mes résolutions, rentrai, et avec Mr Maes me promenai dans le jardin en lui parlant de son affaire. Après son départ, un petit tour aussi avec ma femme. Puis souper chez mon oncle Wight venu nous chercher........... Maes vint et après souper chez sir George Carteret.... Je crois qu'il peut espérer autant de faveurs que George Carteret peut lui en accorder, mais je crains que cela ne soit pas beaucoup. Après être resté longtemps là-bas, rentrai à la maison. En chemin ma femme me dit que, lorsqu'il fut seul avec elle, lui dit qu'il l'aimait plus que jamais, bien qu'il ne trouvât point convenable de le montrer publiquement pour des raisons concernant les deux parties. Il semble vouloir dire pour éviter ma jalousie et celle de sa femme. Mais je suis porté à croire qu'il nous veut du bien et nous donner quelque chose s'il meurt sans enfant.
            Rentré, prières et, au lit.
            Ma femme a appelé nos gens pour la lessive à 4 heures du matin. Notre petite fille de service Su est une servante tout à fait remarquable et nous plaît beaucoup, car elle rend plus de services que les deux autres et mérite mieux ses

                                                                                                                   22 février

            Levé et rasé, puis sortis avec ma femme en voiture. Je l'ai laissée près de chez son père, l'esprit contrarié et furieux contre elle parce qu'elle est obligée, pour y aller, de passer par cet endroit mal famé, au milieu des maisons de débauche ou à proximité. Je la laissai donc et allai chez sir Philip Warwick, mais ne pus lui parler. Puis fis un tour dans le parc de St James et rencontrant Anthony Joyce, fis un tour avec lui dans le mail, puis il me quitta lui allant du côté de St James, moi en direction de Whitehall, passant devant un marchand de gravures près de la Demi-Lune dans le Strand en face de la nouvelle Bourse, je feuilletai des plans de diverses grandes villes et en achetai deux recueils brochés qui m'ont coûté 9 shillings et 6 pence. Rentré chez moi repensai à ma résolution et versai 5 shillings dans ma tirelire des pauvres, espérant, avec l'aide de Dieu, ne pas encourir de gages de ce genre.
            Puis, rencontrant Mr Moore à la Bourse où je trouve ma femme chez la belle Doll, je la dépose ensuite chez mon oncle Wight pour qu'elle aille avec ma tante de nouveau au marché faire des provisions pour le carême, et moi au café puis à la Bourse, mon but étant de me renseigner sur la façon de conserver les mâts secs ou humides dans les autres pays. Je reçus de bons conseils. Rentré chez moi je mangeai seul un mauvais dîner froid, mes gens étant occupés à la lessive toute la journée. Au bureau tout l'après-midi à écrire des lettres à Mr Coventry à propos de la conservation des mâts. La terminai très bien ce soir et la recopiai au propre.
            Ce soir vint Mr Alsop, brasseur du roi, avec qui je passai une heure à bavarder et à déplorer la situation actuelle. Le soir se laisse mener par une demi-douzaine d'hommes, de sorte qu'aucun de ses véritables serviteurs et amis n'a accès auprès de lui. Il s'agit de Lauderdale, Buckingham, Hamilton, Fitzharding à qui il a, semble-t-il, donné 12 000 livres par an prises dans la meilleure part de la fortune royale, que le vieux duc de Buckingham ne put jamais obtenir..... Le roi n'aime pas du tout la reine, il est plutôt maussade avec elle, et elle, d'après tout ce qu'on rapporte est incapable d'avoir des enfants. Il aime tant le duc de Monmouth que chacun s'en émerveille et, dit-il, le duc a déclaré qu'il donnerait la mort à quiconque prétendrait que le roi n'était pas marié avec sa mère, bien que, dit Mr Alsop, il soit notoire que c'était une catin avant que le roi ne couchât avec elle. Mais il semble, dit-il, que le roi est fort gentil avec ses bâtards et à présent il va, à minuit, chez les nourrices de milady Castlemaine prendre l'enfant et le faire sauter dans ses bras.
            Que vraisemblablement il ne va plus prendre ses repas en public, car la clique qui l'approche ne veut plus qu'il s'expose aux regards du public et veut le garder pour elle, à l'écart de tous.
            Qu'il a, semble-t-il, donné ordre de faire garder ce soir la Grand-Salle, où il doit y avoir un bal devant le roi, comme celle de la reine-mère, par la garde à cheval. Alors que jusqu'à présent c'était le lord chambellan ou l'intendant et leurs gens qui assuraient cette garde. Mais on craint qu'ils fassent appel à la soldatesque et que tous les autres postes soient supprimés. Le pire de tout c'est qu'il veut changer la milice actuelle et tout réduire à une armée mobile.
            Que milord Lauderdale, l'ennemi de Middleton, qui méprise le chancelier, allant même jusqu'à l'insulter ouvertement devant le roi, s'est emparé de tout le pouvoir en Ecosse, alors que l'autre jour il était sur le point de se voir déchu de tous ses biens, de son honneur et de sa vie.
            Que le roi s'est fait tout le tort possible dans cette affaire de milord Antrim en Irlande. Bien qu'il ait été à la tête des rebelles, cependant dans sa lettre le roi reconnaît qu'il a agi par mandat de son père, de sa mère et du souverain. Mais il semble qu'en réalité il s'est mis dans l'obligation, la libération de ses biens, de les mettre sur la tête d'une fille de la reine mère, qu'elle avait eue de milord Jeremy, je suppose, en vue de son mariage selon le bon vouloir de la reine, triste histoire. Il semble qu'une fille du duc de Lennox allait se faire marier de force l'autre jour à Harry Jermyn dans Somerset House, mais elle s'enfuit et courut demander la protection du roi qui dit qu'il la lui donnerait. Elle est, semble-t-il, très proche parente du roi. De telles folies ont lieu tous les jours à la Cour.
            Le viol d'une femme à Turnstile l'autre jour, alors que son mari était attaché avec sa chemise et qu'ils étaient au lit, car c'était la nuit, par deux Français qui, non seulement ont couché avec elle mais ont abusé d'elle avec une torche, est étouffé pour 300 livres, car ce sont des serviteurs de la reine mère.
            Un livre français en vers fut traduit l'autre jour et offert au duc de Monmouth, d'un style si arrogant que le duc d'York, me dit Mr Alsop, en fut vivement offensé. Le frère de la mère du duc de Monmouth a une place à la Cour. Etant gallois, d'après ce qu'il me dit, je crois, il parle très crûment du mariage du roi avec sa sœur.                                                                produits-de-nouvelle-aquitaine
Résultat de recherche d'images pour "potée"            Ajoutant que l'autre jour le roi en son Conseil fit incarcérer le chapelain de milord Digby, son surintendant et un autre serviteur qui étaient venus au procès intenté contre leur maître, pour jurer qu'ils l'avaient vu à l'église recevoir la communion comme un protestant, ce qui, d'après les magistrats suffit à le prouver tel d'après la loi. Le roi, dis-je, les fit incarcérer à Gatehouse, sans tenir compte du fait qu'ils invoquèrent leur état de fidèles et loyaux sujets de celui qu'ils tenaient pour leur maître et dont ils mangeaient le pain. Et, précisa-t-il, le roi aurait dit qu'il verrait s'il était le roi ou si c'était Digby.
            Il dit aussi que la reine mère s'est ruinée en dépenses et qu'elle va maintenant très mal payer et s'endetter, l'argent qu'elle a reçu de ses nouveaux baux étant dépensé.
            Il croit qu'il n'y a pas d'argent dans les caisses, contrairement à ce que, comme je le lui ai dit, certains espèrent. Mais, dit-il, selon les sources mieux informées, il peut m'assurer qu'il n'en est rien et que personne ne fera d'enquête, et qu'il reste moins de 80 000 livres de l'argent de Dunkerque.
            Qu'Olivier Cromwell, l'année où il dépensa 1 400 000 livres dans la marine, dépensa en tout
2 600 000 livres pour l'ensemble du royaume.
            Que la Cour est enragée pour faire la guerre aux Hollandais, mais lui et moi tombâmes d'accord pour dire que c'est à craindre plutôt qu'à espérer, à moins que, si le roi de France se jette sur les Flandres, Français et Hollandais ne soient divisés.
            Que notre ambassadeur en France a, il est vrai, été reçu en audience, mais de la façon la plus déshonorante qui fût, car les princes du sang, quoique invités par notre ambassadeur, la plus grande bévue commise par un ambassadeur depuis 400 ans, n'y étaient pas, et donc on ne put dire qu'ils cédèrent le pas à l'ambassadeur de notre roi. Que notre roi dit ouvertement l'autre jour dans sa chambre privée que son droit et sa prééminence ne seraient pas mis à mal par le roi de France, si grand fût-il.
            Que le pape est heureux d'accéder à la demande de paix des Français, comme dit la gazette,  aux conditions les plus déshonorantes possibles.
            Que la conversation de ces gens qui entourent notre roi et dont j'ai parlé plus haut..... lorsqu'ils sont seuls est si ignoble et si abjecte que cela échauffe les oreilles des gentilshommes des escaliers de service, comme il les a je crois appelés, d'entendre ce qui se dit à portée du roi, cela doit être vraiment très choquant. Il dit que milord Digby envoya à Lisbonne deux prêtres pour tâcher de découvrir tout ce qu'ils pouvaient comme griefs contre le chancelier au sujet de l'alliance royale, pour prouver qu'il savait d'avance que la reine ne pouvait pas avoir d'enfants et qu'on lui avait fait prendre quelque chose pour qu'il en fût ainsi. Mais, si discrets qu'ils eussent été, ils furent jetés en prison dès leur arrivée là-bas. Que milord Digby s'efforce de porter l'affaire devant la Chambre des communes dans l'espoir de l'emporter sur le chancelier, car il a beaucoup d'ennemis, mais j'espère qu'il arrivera le contraire. Que feu le roi avait hypothéqué Clarendon Park pour 20 000 livres, que notre roi l'a donné au duc d'Albermarle et que celui-ci l'a vendu à milord le chancelier dont le titre de comte vient de là. Le roi donna ordre ce jour même, au Sceau privé de payer ces 20 000 livres à milord le chancelier pour lever l'hypothèque.
            L'Irlande est dans un état d'extrême confusion à cause des mauvais traitements qu'y subissent les protestants alors que les catholiques sont trop bien traités, Il résulte de tout cela, Dieu m'en est témoin, que je ne m'attends à rien d'autre qu'à des des désastres, sauf si les choses s'arrangent sous peu.
            Après le départ de Mr Alsop, ma femme vint me dire comme mon oncle Wight fut gentil avec elle encore aujourd'hui, bien qu'elle constate que toute sa bonté à notre égard vient du respect qu'il lui témoigne, elle ne trouve qu'extrême courtoisie de sa part. Pourtant ce n'est que ce qu'elle me dit, sinon il me dira tout autre chose. Mais aujourd'hui il lui dit clairement que si elle avait un enfant celui-ci serait son héritier, et que si elle et moi le voulions il serait notre ami sincère. Il a demandé à ma femme d'acquiescer à tout ce que dit sa femme à tout moment car elle est irritable. Ce qui prouve qu'il a le dessein de nous garder en bons termes avec sa femme, pour notre bien j'en suis sûr, et il la dit jalouse, de sorte qu'il n'ose pas venir voir ma femme comme il le ferait ou s'efforcerait de le faire s'il le pouvait. Cela semble étrange, tout bien pesé, mais j'espère toujours qu'il a de bonnes intentions. Ma tante est aussi très franche avec ma femme, elle lui dit simplement que son mari a l'intention de doubler sa part à sa mort pour lui constituer un douaire. Qu'il donnera bientôt 100 livres à sa nièce Mary et un legs substantiel à sa mort. Et il semble qu'il agit de même avec l'autre sœur. Cela me contrarie qu'il accorde tant à l'ami de sa femme tous les jours comme il le fait. Mais on ne peut refaire le passé et à l'avenir j'essaierai d'y porter remède.
            Après toute cette conversation avec ma femme je fus au bureau seul. Elle rentra à la maison voir comment se passait la lessive et je terminai mon travail. Ensuite à la maison, souper et, au lit.


                                                                                                                       23 février

            Levé. Aujourd'hui mardi gras, et en réunion toute la matinée. A midi rencontrai sir William Rider à la Bourse, et soudain, sachant ce que j'avais à la maison, le ramenai, ainsi que Mr Cutler et Mr Cooke, homme sérieux et cultivé que j'ai connu naguère lorsqu'il était secrétaire de milord à Dunkerque et actuellement commis de monsieur le secrétaire Morrice. Je les traitai bien et leur donnai un beau dîner, quoique improvisé. Nous devisâmes très plaisamment et eux décrivirent abondamment leurs voyages à l'étranger. Après leur départ, au bureau, traitai de nombreuses affaires jusque tard, mais suis bien aise de voir que je monte en estime chaque jour de plus en plus et que je reçois des présents plus souvent que naguère, comme par exemple un coffret de très jolis couteaux à manche d'agate de Mrs Russel. Rentré chez moi puis, au lit.
            Aujourd'hui, avec la bénédiction de Dieu, j'ai vécu 31 ans dans le monde, et par la grâce de Dieu je me trouve non seulement en bonne santé, en particulier en ce qui concerne la pierre, mais je souffre seulement quand je prends froid. De plus en passe d'être mieux estimé et d'avoir une meilleure situation dans le monde que je l'ai jamais espéré. Mais je prie Dieu de me donner le courage de faire face aux coups du sort et de m'y préparer.


                                                                                                                  24 février 1664
  alimentarium.org                                                                     Mercredi des Cendres
Résultat de recherche d'images pour "17è siècle  MARDI GRAS"            Levé puis allai par le fleuve car c'était une très belle matinée, à Whitehall pour parler à sir Philip Warwick, mais il était allé à la chapelle du roi. Passai donc une grande partie de la matinée à me promener dans le parc et à me rendre à la chapelle de la reine, où je restai regarder leur messe jusqu'à ce qu'un homme vint me dire de sortir ou de m'agenouiller, donc je sortis. Puis à Somerset House où j'entrai dans la chapelle où Monsieur d'Espagne prêchait autrefois. Elle est maintenant bien embellie et il y avait dix fois plus de monde que dans la chapelle de la reine au parc de St James, ce qui m'étonne. De là au jardin de Somerset House, parcourus en tous sens le nouveau bâtiment qui sera, à tous égards, magnifique et somptueux. Je restai longtemps à deviser avec un homme qui sciait un bloc de marbre et lui donnai 6 pence pour boire. Il me donna beaucoup de détails sur la nature et les difficultés de ce travail. Il me dit qu'il ne pouvait scier plus de 4 pouces de pierre par jour..... Quand le marbre est scié on le frotte avec du sable d'abord grossier, puis de plus en plus fin, jusqu'à ce qu'on utilise la potée et l'on obtient un poli lisse comme du verre. Leurs scies n'ont pas de dents, mais c'est le sable que la scie frotte.
            Puis par le fleuve au café où je restai longtemps avec l'échevin Barker à parler du chanvre et du commerce qu'on en faisait. Puis un peu à la Bourse. Rentré dîner avec ma femme, puis au bureau jusqu'au soir, et me promenai alors gaiement avec ma femme dans le jardin. Retournai travailler jusque tard. A la maison, souper et, au lit.


                                                                                                                       25 février

            Debout puis au bureau, réunion et de là en voiture avec Mr Coventry à la verrerie où nous dînâmes. Avant et après le dîner fîmes les comptes de milord Peterborough. Rentré travailler jusqu'à la visite de Creed, et en voiture, laissant ma femme chez mon frère, chez milord où je vis les jeunes demoiselles et devisai un moment avec elles, puis quelque temps à Whitehall où je bavardai mais ne m'occupai pas d'affaires. Mais décidai de rencontrer milord demain, car j'avais obtenu aujourd'hui un cheval de Mr Coventry. Rentrai donc en passant chercher ma femme. Après avoir travaillé au bureau, rentrai à la maison l'esprit troublé ( Dieu me pardonne !) par la jalousie à la pensée de ce que fera ma femme demain, quand je ne serai pas à Londres. C'est un enfer pour moi et pourtant il n'y a pas de raison, Dieu me pardonne et m'amende ! Rentrai à la maison et préparai mes affaires pour le voyage et, au lit.


                                                                                                                     26 février

            Levé, après m'être bien habillé pour monter, je me rendis pas le fleuve à Westminster dans les appartements de Mr Creed, et après avoir bu du chocolat, joué de la viole, en présence de Mr Malard, sur la nouvelle viole de Creed qui se révèle bien plus mauvaise que la mienne, me semble-t-il, et regardé cette nouvelle invention consistant en un bureau et des étagères pour les livres, nous partîmes d'une auberge toute proche où avait été amené le cheval de Mr Coventry et en contournant les taillis par de mauvais chemins à Highgate. En chemin conversation intéressante. La journée fut d'un bout à l'autre extraordinairement agréable. D'après les renseignements que nous avions pris nous nous étions arrêtés à l'auberge du Coq, à un mile de ce côté-ci de Barnet, car nous ne voulions pas nous faire entretenir et nous ne savions pas si milord accepterait une collation quand il passerait. Nous prîmes quelque chose sur place, plaçant un jeune garçon en sentinelle pour surveiller leur arrivée depuis la colline de Barnet. Après deux ou trois fausses alertes, ils arrivèrent. Nous allâmes avec force courtoisie à la rencontre du carrosse, et je fus aussi bien accueilli que je pouvais l'espérer par milord et par milady qui tinrent des propos aimables. Puis accompagnai le carrosse à cheval, un bon moment et me mis donc à deviser avec plusieurs des personnes qui se trouvaient là, il y en avait une douzaine qui accompagnaient le carrosse et une autre voiture pour les servantes et pour le pasteur.
            Parlant entre autres avec Will Howe, j'appris que milord, l'autre jour, raconta en détail à milord Peterborough et à Povey qui étaient allés avec eux à Hinchingbrooke, comment et à quelle date il avait renvoyé Creed et m'avait pris à son service et que, depuis lors, le duc d'York l'a souvent remercié à mon sujet, ce qui me plut fort. Plus tard, alors que je demandais à Mr Howe en quelle circonstance avait eu lieu cet entretien, il me demanda de ne pas en parler maintenant, car il ne voulait pas que milord nous vît ensemble, mais il promit de me le dire une autre fois, ce qui m'amena à m'interroger sur ce qu'il entendait par là. Lorsque nous arrivâmes chez milord j'entrai et, je ne sais si c'est par négligence ou par indifférence, mais ne me fit aucune espèce de compliment. Il me semble que les jeunes demoiselles me méprisent quelque peu. Je sortis donc sans dire adieu à quiconque car je ne voulais pas être jugé trop servile, mais j'espère et je crois que milord m'estime toujours autant qu'avant, bien qu'il n'ose plus m'admettre dans la même intimité que par le passé, et que milady reste la même femme.
            Rentrai à cheval à la maison où je trouvai mon oncle Wight. C'est étrange, comme dit ma femme, la façon qu'il a de la bien traiter et de venir exprès lui rendre visite, mais je ne m'inquiète pas du tout à son sujet, mais j'en espère les meilleurs effets. Après son départ je mange quelque chose, et ma femme de me donner, après que je lui eus narré tous les événements du jour, de très bons conseils, fort rationnels, sur la conduite à tenir avec milord et sa famille, en ne prêtant attention à nul autre sauf à milord et à milady, et en donnant l'impression de n'avoir pas la moindre amitié ou affection pour eux. Ce que j'ai résolu de faire, sachant que c'est une fière contenance qui devrait me servir là, ainsi que d'être bien mis et d'apparaître dans de beaux atours.
            Au bureau un moment, étant las rentré plus tôt puis, au lit.


                                                                                                                     27 février

            Levé, mais las, puis au bureau, réunion toute la matinée.
            Avant mon départ pour le bureau, la femme de Bagwell vint me parler au nom de son mari. Elle me plut beaucoup et je la caressai sous le menton, mais ne pus trouver le front de lui proposer rien qui fût inconvenant, car elle est, je crois, très honnête.
            A midi avec Mr Coventry au bureau de la Compagnie africaine et de nouveau aux affaires de milord Peterborough. Puis à dîner, avant nous eûmes les meilleures huîtres que j'ai vues cette année et, je crois, à bien des égards, les meilleures que j'aie jamais mangées. J'en mangeai vraiment beaucoup.
            Excellente compagnie à dîner. Entre autres, sir Martin Noell qui nous raconta le litige qui l'oppose, en tant que fermier des aides additionnelles, à la Compagnie des Indes orientales, pour savoir si le calicot est ou n'est pas en lin. Il dit qu'il est en lin, c'est ainsi qu'on l'a toujours considéré. La Compagnie dit que le calicot est en coton qui pousse sur des arbres, contrairement au chanvre et au lin. Le jugement rendu donne tort à la Compagnie, bien qu'elle s'oppose à ce verdict.
            Rentré à la maison et au bureau, fort tard. A la maison souper puis, au lit.
            J'ai reçu aujourd'hui une réponse très plaisante et très condescendante de mon pauvre père, en réponse à ma lettre de colère et de mécontentement écrite l'autre jour, ce qui me réjouit fort.


                                                                                                                        28 février
pinterest.fr                                                                                                     Jour du Seigneur
Résultat de recherche d'images pour "huitres en peinture"            Levé, à pied à St Paul et, par un heureux hasard, c'était extraordinaire pour les professeurs des écoles de droit et pour les étudiants en droit de venir à l'église ce jour, car c'était une ancienne cérémonie tombée en désuétude depuis 25 ans, fixée au premier dimanche de carême. Il y avait foule d'étudiants, plus qu'on ne pouvait en faire asseoir, sauf sur les bancs et l'église était pleine.
            Un certain Hawkyns, de l'université d'Oxford, prêcha un bon sermon sur ce texte :
            " Mais la sagesse d'en haut est premièrement pure, puis pacifique. "
            Avant comme après le sermon je fus irrité d'entendre le chœur le plus mauvais que j'aie jamais entendu. Mais ce qui fut extraordinaire ce fut que l'évêque de Londres, qui était assis là sur un banc, placé spécialement pour lui près de la chaire, donne la dernière bénédictions à l'assemblée. Comme c'est un vieillard fort digne, j'ai trouvé cela très convenable de sa part.
            Le lieutenant de la Tour, sir John Robinson, tint absolument à me ramener chez lui en voiture. Ayant fait prévenir chez moi, j'acceptai l'invitation et dînai avec lui. Il a une excellente table et sa femme, au port très fier, est grande mais gracieuse. Elle me plut beaucoup. Les officiers de son régiment dînaient avec lui. A table conversation sans intérêt.
            Mais après dîner milady voulut voir un jeune garçon qu'on lui décrivit comme un petit paysan ingénu amené en ville il y a un ou deux jours et abandonné dans le vaste monde. Après s'être perdu il s'était trouvé par hasard à la Tour. Milady le croit, prend pitié de lui et veut le garder. Mais, malgré son jeune âge, ce garçon raconte son histoire si volontiers et répond à toutes les questions avec tant d'esprit qu'assurément c'est un fieffé chenapan élevé à Londres. Mais milady ne veut rien en croire, elle lui a fait donner à manger. Je pense qu'elle va le garder comme petit laquais pour son fils aîné.
            Après dîner allai avec le lieutenant à la chapelle de la Tour, précédés du porte-clefs, des gardes et du gentilhomme portier. J'étais assis à côté du lieutenant sur son banc, en grand apparat, mais dormis pendant tout le sermon. Aucun des prisonniers actuellement détenus à la Tour ne vient, semble-t-il assister à l'office, bien qu'ils en aient la permission.
            Retour chez sir John, puis le quittai et rentrai à la maison.Tantôt chez sir William Penn, restai un moment à parler avec lui à parler de sir John Mennes et de la sottise avec laquelle il s’acquitte de sa charge qui me dégoûte et dont je suis las de parler. Dis aussi comme l'on trompe le roi dans cette affaire, bien que Penn ne propose ce sujet de conversation, avec ruse, que pour me le faire dire. Mais je me sens très libre de lui dire mon sentiment, étant tout disposé à lui laisser rapporter mes propos, s'il le souhaite, à sir John Mennes ou à quiconque.
            Rentré chez moi, me promenai dans le jardin avec ma femme par un beau clair de lune pendant environ deux heures, jusque passé huit heures. Puis souper, et après les prières, au lit.


                                                                                                                         29 février 1664

            Levé, en voiture avec sir William Penn jusqu'à Charing Cross où je descends et vais rendre visite à sir Philip Warwick pour l'entretenir de marine. Je traitai le sujet dans son ensemble, et lui me parla non seulement de la marine, mais encore du Trésor, plus de deux heures, je crois. Pendant ce temps nombre de personnes attendaient dehors, mais il semblait ne pas ménager ses efforts pour me faire comprendre les affaires du Trésor ou pour me rendre témoin des efforts qu'il déployait à en rendre compte.
            Il me montra, à vrai dire, nombre de remarquables inventaires ( rapport visible au British Museum - nte de l'éd ) sur l'état du Trésor élaborés sous les règnes précédents ainsi qu'à l'époque récente et de nos jours. Il me montra comment les différentes impositions calculées entre 1643 et 1659, c'est-à-dire les droits perçus, outre l'accise, les droits de douane, les séquestres et le dixième, les terres du roi, de la reine et de l'Eglise et tout le reste, mais rien que les impositions s'élevaient à plus de 15 millions.
            Il me montra un mémoire qu'il avait rédigé sur le Trésor de notre pays comparé à celui d'autres pays. D'après lui le Trésor de l'Espagne est grand, mais divisé entre ses différents royaumes et donc se réduit à peu de chose. Celui de la France a toujours dépassé de loin le nôtre en volume, mais le prince peut imposer le peuple selon son bon plaisir, ce qui n'est pas le cas ici. La Hollande a le meilleur système d'imposition qui porte seulement sur l'achat de marchandises, l'accise. Il en conclut que le seul impôt convenant à l'Angleterre est une taxe calculée en pourcentage par livre sterling ou accise prélevée sur l'achat de marchandises.
            ............. Milord le trésorier général dit au roi que ce sont des dépenses supérieures au revenu qui ont d'abord causé la perte de son père, et depuis celle des rebelles, qui, dit-il, tout comme Henri VIII , vit sa fortune soudain beaucoup augmenter, mais mourut pauvre pour avoir trop dépensé. Il dit encore au roi qu'une grande part du 1 200 000 livres sont pour le souverain de son vivant.
            Le Parlement devra donc renouveler cette somme pour son successeur. Cela se produit rarement sans que la couronne doive céder certaines de ces prérogatives. S'il refuse et persiste à prélever cette somme sur le peuple, cela peut déclencher une guerre civile qui peut se révéler fatale pour la Couronne, comme dans l'affaire des droits de tonnage et de poundage.........
            Il me présenta également un excellent argument pour prouver que contrairement à une idée reçue le royaume ne se trouve pas appauvri du fait que nous importons moins que nous exportons, bien que cela soit un paradoxe et que je ne me souvienne pas des arguments, je pense qu'il y avait beaucoup de vrai dans ce qu'il disait. Dans l'ensemble je trouve que c'est un homme très précis et méthodique et fort diligent. Très heureux qu'il ait jugé bon de me donner toutes ces explications, bien que je ne puisse aisément en deviner la raison, à moins que ce ne fût à cause de la franchise dont il me voit user pour lui dire combien le roi risque de souffrir si nous ne comprenons pas l'état du Trésor.
            Puis à Whitehall où se trouvait milord Sandwich qui me fit, je crois, bonne contenance. Traitai des affaires habituelles devant le Duc, expédiai plusieurs affaires dans le Palais, puis me rendis aux écuries royales avec sir William Penn.
            Chemin faisant rencontrai d'abord Will Howe qui, de lui-même me conseilla d'être plus libre avec milord et de prendre les devants, car ma propre froideur, dit-il, à son avis, ne fait qu'irriter milord.
            Dans les écuries sir William Penn et Mr Baxter me montrèrent plusieurs bons chevaux, mais le duc d'York a donné l'autre jour à un Français le cheval appelé " Pen ", dont sir William Penn lui avait fait présent. Baxter en est fort chagrin. Il dit qu'il n'est pas prêt d'avoir un si bon cheval.
            Puis à la Bourse et dans un café avec sir William Warren...... Et repris le chemin de mon domicile. En chemin m'arrêtai pour regarder un incendie dans une cour d'auberge à Lombard Street. Grand Dieu ! comme les merciers et les négociants qui y avaient des entrepôts en enlevaient leurs étoffes et leurs soie ! On finit par éteindre l'incendie.    *                                  bfmtv.com
Jeff Koons au Centre Pompidou            Rentré dîner. Emmenai ensuite ma femme et la laissai avec ses deux servantes pour faire des achats dans Fleet Street. Puis à Whitehall, sans but précis. Allai donc au Palais de Westminster où devisai avec Mrs Lane et Howlett, mais le mariage avec Hawley ne se fera pas, j'ai l'impression, j'ai donc la ferme intention d'éviter toute occasion de faire des efforts supplémentaires pour elle.
            Revins en bateau à Salisbury Court et retrouve ma femme, comme convenu, chez Mrs Turner. Après être resté bavarde un moment, la dépose, ainsi que le jeune Arminger, à Cheapside. Rentré à la maison avec ma femme. Retour avant nos servantes qui arrivèrent bientôt tout effrayées, criant qu'elles avaient manqué de se faire tuer par une voiture. Grand Dieu ! Voir Jane raconter son histoire comme une sotte et avec l'imagination exaltée, à l'envi de sa grand-mère, mais aussi tellement comme une simple d'esprit que l'on en mourrait presque de rire, tout en étant chagrin de l'entendre.
            Sur ces entrefaites allé au bureau faire mes comptes mensuels. Les ayant terminés ce soir, je trouve, à mon grand plaisir, que je suis à la tête de 890 et quelques livres, la plus grande fortune que j'ai jamais eue.
            Le coeur bien aise, au lit.


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                                                                à suivre............

                                                                                                                1er Mars 1664

            Levé puis.......
         
                             
         
         
         
         


             

mercredi 18 mars 2020

Tous les vivants C.E. Morgan ( Roman États-Unis )

du
amazon.fr


                                                      Tous les vivants

            Dans tous les pays l'agriculteur se ronge d'angoisse devant ses terres asséchées ses plants mourant sur pied, espère désespérément la pluie lors d'une rosée imprévue. Ainsi Morgan nous conte la rencontre de deux héros ordinaires dans un lieu inconnu d'un coin d'Amérique. Les classiques, les grands, Faulkner, Steinbeck, ont décrit les fureurs, les angoisses et les rages de ces fermiers. Ici c'est une femme qui écrit. Orren appuyé contre son camion devant l'institut où Aloma termine ses études tout en jouant du piano autant qu'elle peut, l'homme viril remarque la jeune fille. Rencontre innocente, mais ils se reverront, et c'est l'histoire de deux êtres si différents, mais physiquement unis, que les éclats de l'une et le mutisme de l'autre seront le contrepoids de la terre assoiffée et silencieuse. Qui sont-ils ? Orren perd son père très jeune, sa mère met tout son courage au service de la ferme aidée par l'aîné de ses fils, mais tous deux meurent dans un accident de voiture et donc Orren hérite du bien des hectares, tabac, blé, poules et vaches, grange et maison, vieille, poussiéreuse, tout juste habitable avant un très gros ménage. Et c'est là, sans connaître le lieu, que Aloma accepte de suivre son amoureux qui tout un hiver, dans le froid, l'emmène le weekend rouler et s'aimer dans le camion. Aloma a trois ans lorsque ses parents meurent. Recueillie par des cousins parents déjà de trois enfants, vivent dans un mobil home. Ils ne sont pas méchants mais leurs enfants d'abord, et pas de tendresse. Elle sera donc pensionnaire, sans sentiment, n'a pas connu ses parents ou si peu, pas de cruauté au pensionnat, une passion, le piano. Dès son arrivée, Aloma s'émeut à sa façon constatant l'éloignement de leur habitation. Mais Orren, farouche, taiseux, ne s'intéressera plus qu'à ses terres qu'il veut travailler seul, ce que faisaient sa mère et son frère. Aloma trouve un piano, mais plus du tout utile, espoir déçu. Elle doit apprendre à cuire le riz, le poulet et à cuisiner. Si la nuit les réunit le jour les colères grondent. Un coq hargneux, une vache qui vêle, un petit veau, des poules pondeuses, certaines mortes empoisonnées parce qu'elles ont mangé des grains humides. La ferme est là, bien présente dans le cours de l'histoire, ferme entourée de montagnes. Mais Aloma est dure, n'ayant pas connu les caresses de la vie, marquée par l'absence de famille, et Orren est dur, marqué par la mort récente de ses êtres qu'il vénère. La sueur, les plants de tabac qui jaunissent. Marque de bonne volonté Orren propose à sa compagne, ils ne sont pas mariés, de demander au pasteur l'autorisation de jouer quelques fois sur le piano de l'église. Jeu dangereux. Sans arrière pensée, sa proposition acceptée, elle ne donne pas son adresse, reste vague quant à sa situation, et Bell qui succède à son père pasteur et vit avec sa mère, au pied de la montagne, Bell est encore jeune. Tout ira bien durant quelques semaines, puis l'orage bien venu près de se transformer en entonnoir au-dessus de la vallée, puis le regard d'une mère qui veut savoir d'où vient cette jeune pianiste qui joue à la messe sous les yeux bienveillants de son fils. Trois mois d'été, où les hommes, la terre souffrent attendant la pluie qui permettra la récolte. Les sentiments absents ici, vont-ils mûrir ailleurs. Trois êtres marqués par la disparition des parents, chacun réagit, agit à sa manière, brutale, polie, irréfléchie. Ils attendent la pluie. C'est un beau roman plein de sueur, de rancœur, de petits bonheurs, Les deux hommes, Bell et Orren pensent à ceux qu'ils ont aimés et qu'ils aiment encore, père, mère, frère, Aloma à personne. Alors elle réfléchit, cuisine et pense et se plaît en jouant au piano, tant qu'elle le pourra, à la messe le dimanche et tous les jours à quatre heures précises. Roman chaleureux, on se coule auprès de ces personnages, on les quitte interrogateurs, un peu de nous en chacun sans doute.