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Ceci n'est pas un conte
Lorsqu'on fait un conte, c'est à quelqu'un qui l'écoute, et pour peu que le conte dure, il est rare que le conteur ne soit interrompu quelquefois par son auditeur. Voilà pourquoi j'ai introduit dans le récit qu'on va lire, et qui n'est pas un conte ou qui est un mauvais conte, si vous vous en doutez, un personnage qui fasse à peu près le rôle du lecteur, et je commence.
*
- Et vous concluez de là ?
- Qu'un sujet aussi intéressant devrait mettre toutes les têtes en l'air, défrayer pendant un mois tous les cercles de la ville, y être tourné et retourné jusqu'à l'insipidité, fournir à mille disputes, à vingt brochures au moins et à quelque centaines de pièces en vers pour et contre. Et qu'en dépit de toute la finesse, de toutes les connaissances, de tout l'esprit de l'auteur, puisque son ouvrage n'a excité aucune fermentation violente, il est médiocre et très médiocre.
- Mais il me semble que nous lui devons pourtant une soirée assez agréable et que cette lecture a amené...
- Quoi ? Une litanie d'historiettes usées qu'on se décochait de part et d'autre, et qui ne disaient qu'une chose connue de toute éternité, c'est que l'homme et la femme sont deux bêtes très malfaisantes.
- Cependant l'épidémie vous a gagné, et vous avez payé votre écot tout comme un autre.
- C'est que bon gré, mal gré qu'on en ait, on se prête au ton donné. Qu'en entrant dans une société, on arrange à la porte d'un appartement jusqu'à sa physionomie sur celles qu'on voit. Qu'on contrefait le plaisant quand on est triste, le triste quand on serait tenté d'être plaisant. Qu'on ne veut être étranger à qui que ce soit, que le littérateur politique, que le politique métaphysique, que le métaphysique moralise, que le moraliste parle finance, le financier belles lettres ou géométrie. Que plutôt que d'écouter ou se taire, chacun bavarde de ce qu'il ignore, et que tous s'ennuient par sotte vanité ou par politesse.
- Vous avez de l'humeur.
- A mon ordinaire.
- Et je crois qu'il est à propos que je réserve mon historiette pour un moment plus favorable.
- C'est-à-dire que vous attendrez que je n'y sois pas.
- Ce n'est pas cela.
- Ou que vous craignez que je n'aie moins d'indulgence pour vous tête à tête que je n'en aurais pour un indifférent en société.
- Ce n'est pas cela.
- Ayez donc pour agréable de me dire ce que c'est.
- C'est que mon historiette ne prouve pas plus que celles qui vous ont excédé.
- Eh, dîtes toujours.
- Non, non, vous en avez assez.
- Savez-vous que de toutes les manières qu'ils ont de me faire enrager, la vôtre m'est la plus antipathique.
- Et qu'elle est la mienne ?
- Celle d'être prié de la chose que vous mourez de faire. Eh bien, mon ami, je vous prie, je vous supplie, de vouloir bien vous satisfaire.
- Me satisfaire !
- Commencez, pour Dieu, commencez.
- Je tâcherai d'être court.
- Cela n'en sera pas plus mal.
Ici, un peu par malice, je toussai, je crachai, je pris mon mouchoir, je me mouchai, je pris ma tabatière, je pris une prise de tabac, et j'entendais mon homme qui disait entre ses dents :
- Si l'histoire est courte, les préliminaires sont longs.
Il me prit envie d'appeler un domestique sous prétexte de quelque commission, mais je n'en fis rien, et je dis.
Ceci n'est pas un conte.
*
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Il faut avouer qu'il y a des hommes bien bons et des femmes bien méchantes.
- C'est ce qu'on voit tous les jours et quelquefois sans sortir de chez soi.. Après.
- Après ? J'ai connu une Alsacienne belle, mais belle à faire accourir les vieillards et à arrêter tout court les jeunes gens.
- Et moi aussi je l'ai connue, elle s'appelait Mme Reynier.
- Il est vrai. Un nouveau débarqué de Nancy, appelé Tanié, en devint éperdument amoureux. Il était pauvre. C'était un de ces enfants perdus que la dureté des parents qui ont une famille nombreuse chasse de la maison et qui se jettent dans le monde, sans savoir ce qu'ils deviendront, par un instinct qui leur dit qu'ils n'y auront pas un destin pire que celui qu'ils fuient. Tanié, amoureux de madame Reynier, exalté par une passion qui soutenait son courage et anoblissait à ses yeux toutes ses actions, se soumettait sans répugnance aux plus pénibles et aux plus viles, pour soulager la misère de son amie. Le jour il allait travailler sur les ports, à la chute du jour il mendiait dans les rues.
- Cela était fort beau, mais cela ne pouvait durer.
- Aussi Tanié, las ou de lutter contre le besoin ou plutôt de retenir dans le besoin une femme charmante obsédée d'hommes opulents qui la pressaient de chasser ce gueux de Tanié...
- Ce qu'elle aurait fait quinze jours, un mois plus tard.
- et d'accepter leurs richesses, résolut de la quitter et d'aller tenter la fortune au loin. Il sollicite, il obtient son passage sur un vaisseau du roi. Le moment de son départ est venu. Il va prendre congé de Mme Reynier :
" - Mon amie, lui dit-il, je ne saurais abuser plus longtemps de votre tendresse. J'ai pris mon parti, je m'en vais.
- Vous vous en allez.
- Oui.
- Et où allez-vous ?
- Aux Iles. Vous êtes digne d'un autre sort, et je ne saurais l'éloigner plus longtemps. "
- Le bon Tanié !
" - Et que voulez-vous que je devienne ? "
- La traîtresse !
" - Vous êtes environnée de gens qui cherchent à vous plaire. Je vous rends vos promesses. Je vous rends vos sentiments. Voyez quel est celui de ces prétendants qui vous est le plus agréable. Acceptez-le, c'est moi qui vous en conjure.
- Ah, Tanié, c'est vous qui me proposez... "
- Je vous dispense de la pantomime de Mme Reynier. Je la vois, je la sais.
" - En m'éloignant, la seule grâce que j'exige de vous, c'est de ne former aucun engagement qui nous sépare à jamais. Jurez-le moi, ma belle amie. Quelle que soit la contrée de la terre que j'habiterai, il faudra que j'y sois bien malheureux s'il se passe une année sans vous donner des preuves certaines de mon tendre attachement. Ne pleurez pas. "
- Elles pleurent toutes quand elles veulent.
" - Et ne combattez pas un projet que les reproches de mon cœur m'ont enfin inspiré, et auquel ils ne tarderaient pas à me ramener. "
- Et voilà Tanié parti pour Saint-Domingue.
- Et parti tout à temps pour Mme Reynier et pour lui.
- Qu'en savez-vous ?
- Je sais tout aussi bien qu'on peut le savoir que quand Tanié lui conseilla de faire un choix , il était fait.
- Bon !
- Continuez votre récit.
- Tanié avait de l'esprit et une grande aptitude aux affaires. Il ne tarda pas d'être connu. Il entra au Conseil souverain du Cap. Il s'y distingua par ses lumières et son équité. Il n'ambitionnait pas une grande fortune, il ne la désirait qu'honnête et rapide. Chaque année il en envoyait une portion à Mme Reynier. Il revint au bout...
- De neuf à dix ans. Non je ne crois pas que son absence ait été plus longue.
- présenter à son amie un petit portefeuille qui renfermait le produit de ses vertus et de ses travaux.
- Et heureusement pour Tanié, ce fut au moment où elle venait de se séparer du dernier des successeurs de Tanié.
- Du dernier ?
- Oui.
- Elle en avait donc eu plusieurs ?
- Assurément. Allez, allez.
- Mais je n'ai peut-être rien à vous dire que vous ne sachiez mieux que moi.
- Qu'importe, allez toujours.
- Mme Reynier et Tanié occupaient un assez beau logement rue Sainte-Marguerite, à ma porte. Je faisais grand cas de Tanié et je fréquentais sa maison qui était sinon opulente, du moins fort aisée.
- Je puis vous assurer, moi, sans avoir compté avec la Reynier, qu'elle avait mieux de quinze mille livres de rente avant le retour de Tanié.
- A qui elle dissimulait sa fortune ?
- Oui.
- Et pourquoi ? pinterest.fr
- Parce qu'elle était avare et rapace.
- Passe pour rapace, mais avare ! Une courtisane avare ! Il y avait cinq ou six ans que ces deux amants vivaient dans la meilleure intelligence.
- Grâce à l'extrême finesse de l'un et à la confiance sans borne de l'autre.
- Oh, il est vrai qu'il était impossible à l'ombre d'un soupçon d'entrer dans une âme aussi pure que celle de Tanié. La seule chose dont je me sois quelquefois aperçu, c'est que Mme Reynier avait bientôt oublié sa première indigence, qu'elle était tourmentée de l'amour du faste et de la richesse, qu'elle était humiliée qu'une aussi belle femme allât à pied.
- Que n'allait-elle en carrosse ?
- Et que l'éclat du vice lui en dérobait la bassesse. Vous riez ?... Ce fut alors que M. de Maurepas forma le projet d'établir au Nord une maison de commerce. Le succès de cette entreprise demandait un homme actif et intelligent. Il jeta les yeux sur Tanié à qui il avait confié la conduite de plusieurs affaires importantes pendant son séjour au Cap, et qui s'en était toujours acquitté à la satisfaction du ministre. Tanié fut désolé de cette marque de distinction. Il était si content, si heureux à côté de sa belle amie, il était ou se croyait aimé.
- C'est bien dit.
- Qu'est-ce que l'on pouvait ajouter à son bonheur ? Rien. Cependant le ministre insistait. Il fallait se déterminer, il fallait s'ouvrir à Mme Reynier. J'arrivai chez lui précisément sur la fin de cette scène fâcheuse. Le pauvre Tanié fondait en larmes.
" - De quoi s'agit-il ? D'une absence de deux ou trois ans au plus.
- C'est bien du temps pour un homme que vous aimez et qui vous aime autant que lui.
- Lui, il m'aime ! S'il m'aimait balancerait-il à me satisfaire ?
- Mais, madame, que ne le suivez-vous ?
- Moi, je ne vais point là, et tout extravagant qu'il est, il ne s'est point avisé de me le proposer. Doute-t-il de moi ?
- Je n'en crois rien.
- Après l'avoir attendu pendant douze ans, il peut bien s'en reposer deux ou trois ans sur ma bonne foi. Monsieur, c'est que c'est une de ces occasions singulières qui ne se présentent qu'une fois dans la vie, et je ne veux pas qu'il ait un jour à se repentir et à me reprocher peut-être de l'avoir manquée.
- Tanié ne regrettera rien, tant qu'il aura le bonheur de vous plaire.
- Cela est fort honnête, mais soyez sûr qu'il sera très content d'être riche, quand je serai vieille. Le travers des femmes est de ne jamais penser à l'avenir, ce n'est pas le mien. "
Le ministre était à Paris. De la rue Sainte-Marguerite à son hôtel il n'y avait qu'un pas. Tanié y était allé et s'était engagé. Il rentra l’œil sec mais l'âme serrée.
" - Madame, lui dit-il, j'ai vu M. de Maurepas, il a ma parole, je m'en irai, je m'en irai et vous serez satisfaite.
- Ah, mon ami ! "
Mme Reynier écarte son métier, s'élance vers Tanié, jette ses bras autour de son cou, l'accable de caresses et de propos doux.
" - Ah, c'est pour cette fois que je vois que je vous suis chère ! "
Tanié lui répondit froidement :
" - Vous voulez être riche. " aparences.net
- Elle l'était la coquine, dix fois plus qu'elle ne le méritait.
" - Et vous le serez, puisque c'est l'or que vous aimez, il faut aller vous chercher de l'or. "
C'était le mardi, et le ministre avait fixé son départ au vendredi sans délai. J'allai lui faire mes adieux au moment où il luttait avec lui-même, où il tâchait de s'arracher des bras de la belle, indigne et cruelle Reynier. C'était un désordre d'idées, un désespoir, une agonie dont je n'ai jamais vu un second exemple. Ce n'était pas de la plainte, c'était un long cri. Mme Reynier était encore au lit, il tenait une de ses mains. Il ne cessait de dire et de répéter :
" - Cruelle femme. Femme cruelle ! Que te faut-il de plus que l'aisance dont tu jouis, et un ami, un amant tel que moi ? J'ai été lui chercher la fortune dans les contrées brûlantes de l'Amérique, elle veut que j'aille la lui chercher encore au milieu des glaces du Nord. Mon ami, je sens que cette femme est folle, je sens que je suis un insensé, mais il m'est moins affreux de mourir que de la contrister. Tu veux que je te quitte, je vais te quitter. "
Il était à genoux au bord de son lit, la bouche collée sur sa main et le visage caché dans les couvertures qui en étouffant son murmure, ne le rendait que plus triste et plus effrayant. La porte de la chambre s'ouvrit, il releva brusquement la tête, il vit le postillon qui venait lui annoncer que les chevaux étaient à la chaise. Il fit un cri et recacha son visage sous les couvertures. Après un moment de silence il se leva, il dit à son amie :
" - Embrassez-moi, madame, embrassez-moi encore une fois, car tu ne me reverras plus. "
Son pressentiment n'était que trop vrai. Il partit. Il arriva à Petersbourg, et trois jours après il fut attaqué d'une fièvre dont il mourut le quatrième.
- Je savais tout cela.
- Vous avez peut-être été un des successeurs de Tanié ?
- Vous l'avez dit, et c'est avec cette belle abominable que j'ai dérangé mes affaires.
- Ce pauvre Tanié !
- Il y a des gens dans le monde qui vous diraient que c'est un sot.
- Je ne le défendrai pas, mais je souhaiterai au fond de mon cœur que leur mauvais destin les adresse à une femme aussi belle et aussi artificieuse que Mme Reynier.
- Vous êtes cruel dans vos vengeances.
- Et puis s'il y a des femmes très méchantes et des hommes très bons, il y a aussi des femmes très bonnes et des hommes très méchants, et ce que je vais ajouter n'est pas plus un conte que ce qui précède.
- J'en suis convaincu.
à suivre........
suite et fin
M. d'Hér.......
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