dimanche 29 novembre 2020

Larmes secrètes Pirandello ( Nouvelles Italie )

pinterest.fr 

 
         














                                                       Larmes secrètes

            Assis devant son imposant bureau recouvert de comptes rendus et de tableaux hérissés de chiffres, le cavalier Cao, maigre, pâle et revêche, attendait que son Excellence le ministre se remette à dicter.
            Minuit bientôt. C'était la troisième nuit que le cavalier Cao, après avoir passé toute la journée dans des tracasseries au ministère, venait là, dans le palais où habitait son Excellence, pour rédiger enfin le compte rendu financier que, dans quelques jours, le Ministre lirait à la Chambre des Députés.
            Il n'en pouvait plus, mais ce qui rendait son travail oppressant, c'était moins la fatigue que la souffrance que provoquait en lui la vue de cet homme vénérable pour lequel il sentait encore une affection sincère et profonde,  même si ce n'était plus l'admiration d'antan.
            " Eh non, pas de l'admiration. On ne vit pas, on ne peut pas vivre soixante ans et plus en ne faisant que des actions héroïques. Il faut bien commettre quelques sottises aussi. Et une aujourd'hui, une demain, quand on fait le total on arrive à une sorte de bilan qui malheureusement... "
            Tout en se livrant à ses pensées, le cavalier Cao lissait un poil de moustache récalcitrant,           incroyablement long. Ca alors ! Il arrivait jusqu'au sommet de sa tête, pas moins... Un seul poil, noir.
              Son Excellence arpentait le bureau, sourcils froncés, tête basse, mains derrière le dos.
              " Il a le dos très poilu, pensait le cavalier Cao en le regardant. Aussi poilu que sa poitrine. Je l'ai vu dans sa salle de bains. On aurait dit un ours. "
            Ah, que de choses, que de détails ridicules n'avait-il pas découverts dans la personne de S. E. depuis qu'il ne l'admirait plus comme avant ! Cette nuque, par exemple, grosse, lisse et luisante, et tous ces petits points noirs qui constellaient son nez, et ses sourcils... là, zic et zac, comme deux guillemets. Et même dans ces yeux, qui l'intimidaient autrefois, il avait découvert des petites taches bizarres qui semblaient percer la cornée verdâtre. 
             Parfois il s'étonnait et parfois s'attristait à la fois devant sa capacité à voir ainsi. Cet homme qui, à une autre époque l'avait totalement ébloui et enthousiasmé, on racontait ses combats héroïques de garibaldien et ses luttes parlementaires mémorables, vaillamment menées.
            Mais quoi ! Désormais Francesco d'Adria ne pensait qu'à salir timidement, avec une teinture jaunâtre, les quelques cheveux qui lui restaient autour du crâne et la grosse barbe qui aurait été belle s'il l'avait laissée blanche.
            A vrai dire, lui aussi le cavalier Cao, depuis environ un an, un tout petit peu... rien que la moustache, mais c'était pour ne pas l'avoir poivre et sel. Cela le contrariait. D'ailleurs, pour lui, cela n'aurait jamais les conséquences désastreuses qu'elle avait eues pour Son Excellence. Et enfin, il n'avait pas encore quaran... ah oui, quarante ans depuis trois jours. Eh bien, quarante. Il ne se marierait jamais, lui. Alors que Francesco d'Adria, lui, avait pris femme, à soi-xan-te ans sonnés, et il l'avait prise jeune, de surcroît.
            Signe évident de ramollissement cérébral.
            Et c'était donc assez, n'est-ce pas ? Il fallait le mettre au rebut, la vie a ses lois ! Le mettre au rebut sans aucune considération ni pitié. De la pitié il pouvait peut-être en éprouver, car il l'aimait bien, car il le voyait souffrir atrocement, en silence, de l'énorme sottise qu'il avait faite. Mais il éprouvait aussi de l'indignation, oui, une indignation amère devant la soumission que Francesco d'Adria manifestait devant cette jeune épouse qui, presque tout de suite après les noces, avait publiquement bafoué son honneur.
            Le tapis amortissait le bruit des pas de Son Excellence qui continuait à arpenter la pièce, en méditant. De toute évidence il avait oublié la présence du cavalier Cao, qui attendait devant son bureau, et le compte rendu financier. Il s'angoissait d'entendre des pleurs d'enfant qui, dans le silence de la rue,, arrivaient jusque-là, depuis une chambre éloignée, malgré les portes closes. Une fois déjà il était allé dans cette chambre pour voir ce qu'avait sa fille.
            Le cavalier Cao fut incapable de maitriser plus longtemps son irritation car, grands dieux, Rome entière savait que cette enfant... cette enfant... Il se leva comme poussé par un ressort, soufflant d'impatience.
            Son Excellence s'immobilisa et se tourna vers lui.
            - Oh, je vous prie de m'excuser, cavalier. J'étais distrait... Cela suffit pour ce soir, hein ? Vous devez être fatigué, et moi je ne me sens plus en état... Il doit être onze heures, n'est-ce pas ?
            - Minuit, Excellence ! Regardez, minuit un quart.
            - Ah oui ? Et... ce théâtre, à quelle heure ferme-t-il ?
            - Quel théâtre, Excellence ?
            - Mais... je ne sais pas : le Constanzi, je crois. Je dis cela à cause de cette enfant... Vous entendez comme elle crie ? Elle ne veut pas se calmer. Peut-être, si sa maman était là...
            - Voulez-vous que je passe au Constanzi, pour leur signaler.
            - Non, non, merci... De toute manière, elle ne va pas tarder à rentrer, à l'heure qu'il est. Bonne nuit, cavalier. A demain.
            Le cavalier Cao s'inclina profondément, respirant par le nez une provision d'air que, sitôt franchi le seuil, il souffla avec une grimace rageuse.

            Resté seul, Francesco d'Adria pressa très fort ses deux mains contre son visage. Son crâne chauve et luisant rougit sous les lampes électriques du lustre. Il resta encore un moment dans son bureau, marchant de long en large, l'air sombre. Puis il se rendit de nouveau dans la chambre où pleurait l'enfant.
            C'était la chambre de la nourrice. Une lampe de chevet, posée sur la commode et voilée par un écran lithophane, l'éclairait faiblement. La vieille gouvernante, maigre et impeccable, se promenait, le bébé dans les bras, posé contre sa poitrine, sa petite tête appuyée sur son épaule.
            - Nooon... nooon, répétait-elle comme pour répondre à ses vagissements.
            Pendant ce temps, la nourrice, un sein découvert, pleurait elle aussi : elle pleurait et jurait à la femme de chambre de madame qu'elle n'avait mangé aucun aliment nocif.
             - Tais-toi ! Les pruneaux secs... Tais-toi !
                                                                                                                           pinterest                             
            D'Adria prit une clochette sur la table de chevet et la fit tinter sous les yeux de l'enfant, pour la distraire, tout en suivant la gouvernante.
            C'est ainsi que le trouva, peu après, donna Giannetta en rentrant du théâtre, toute bruissante dans sa robe en soie. Dans un premier temps elle crut que le vieil homme se complaisait, sous les yeux des domestiques, à étaler sa ridicule tendresse paternelle, après les graves soucis de l'Etat. Et elle entrouvrit les lèvres en un sourire imperceptible et moqueur. 
            Mais la femme de chambre, accourue pour la débarrasser du petit châle qu'elle avait encore sur la tête et pour délacer sa mantille, lui expliqua, à voix basse, ce qui s'était passé. 
            - Ah oui ? La pauvre... dit-elle avec une indifférence affectée, et elle s'approcha de la gouvernante. Mais d'Adria lui fit signe de se taire. L'enfant s'était enfin calmée.
            Donna Giannetta se rendit dans sa chambre, suivie par la camériste. Peu après, alors qu'elle s'apprêtait à aller se coucher, elle vit entrer son mari, sombre, grave.
            - Il faut que je te parle, dit-il sans la regarder, s'asseyant au bord du lit.
            - Tu vas me faire de longs discours ? Cela ne peut attendre demain ? Je crains d'être trop fatiguée et d'avoir sommeil. Je me suis horriblement ennuyée. Si je perds le fil ?
            - Tu ne le perdras pas, dit-il, renfrogné, lissant sa barbe d'une main tremblotante. D'ailleurs, si tu veux, mon discours pourra être bref. Mais tu ne te vexeras pas car, s'il doit être bref il sera également très clair. Tu me laisseras parler, puis tu feras ce que je te dirai, et ce sera tout. Donc, écoute-moi.
            - Je t'écoute... soupira donna Giannetta abandonnée dans un fauteuil.
            Francesco d'Adria se leva, alla se planter devant sa femme et agita deux doigts à plusieurs reprises.
            - Il t'est arrivé deux malheurs, commença-t-il.
            Donna Giannetta eut un petit sursaut.
            - Deux ? A moi ?
            - Le premier, tu l'as voulu, poursuivit-il. C'est moi.
            - Ah ! Et pourquoi est-ce un malheur ? s'exclama-t-elle, riant et croisant ses m 
            Les larges manches de sa robe de chambre glissèrent, découvrant ses bras magnifiques.
            - Pas jusqu'à présent, reprit-il. Tu ne t'en es pas bien rendu compte car, si je t'ai importunée de temps à autre, tu as trouvé une large compensation dans ma... dans ma philosophie, dirai-je.           
            - Et l'autre malheur ? demanda-t-elle distraitement.
            Fransesco d'Adria alla s'asseoir. C'était maintenant que commençaient les difficultés et il voulait s'exprimer le moins crûment possible. Il posa les coudes sur ses genoux, prit sa tête entre ses mains pour mieux se concentrer et parla, les yeux fixés sur le sol.
            - Je vais te dire. J'ai dû... j'ai dû payer jusqu'à présent les... les impardonnables illusions que je m'étais faites en t'épousant. Toi, tu n'as aucune responsabilité là-dedans. Il était naturel que, entre les droits de ta jeunesse et tes devoirs d'épouse, tu choisisses plutôt les premiers que les seconds. J'aurais pu te faire remarquer que toi-même, en acceptant spontanément, et même avec... avec enthousiasme, un jour, ces devoirs à l'égard d'un vieux, tu avais implicitement, n'est-ce pas, renoncé à ces droits. Mais de cela non plus je ne te tiens pas rigueur car, toi aussi peut-être à l'époque, tu t'es fait des illusions...
            A ce moment, Francesco d'Adria leva la tête et s'interrompit, stupéfait. Donna Giannetta dormait, une main encore sur la tête, et un bras découvert, tendu vers lui, comme implorant miséricorde.
            - Gianna ! appela-t-il, mais pas trop fort, maîtrisant son dépit et son indignation, comme si son amour-propre eût été blessé si, se réveillant à cet appel, elle avait dû reconnaître qu'elle avait cédé au sommeil pendant qu'il lui parlait de choses graves. Il baissa de nouveau la tête et acheva à voix haute le discours resté en suspens :
            - Tu t'es fait des illusions... oui, tu as cru que tu pourrais accomplir tes devoirs sans difficulté.
            Donna Giannetta ne se réveilla pas. Alors Francesco d'Adria se leva, frémissant. Il faillit empoigner ce bras nu offert, et le secouer violemment, criant à sa femme, en plein visage, les injures les plus crues. Mais la calme inconscience de ce sommeil, qui lui apparaissait pourtant comme une effronterie ou comme un défi, le retint. Abandonnée ainsi elle avait l'air de lui dire :
            " Regarde comme je suis jeune et belle ! Qu'exiges-tu donc de moi ? "
pinterest.fr   

        Il serra les poings, exaspéré, secoua la tête et sortit de la chambre, sans bruit.
            Aussitôt Donna Giannetta se leva d'un bond, soufflant d'impatience.
 
            Pfff ! Était-ce sérieux d'exiger une explication à une heure pareille ? Et pourquoi ? Lorsqu'il aurait dû parler, il était resté silencieux. Et maintenant qu'elle ne faisait rien d'autre que s'ennuyer, s'ennuyer mortellement, il exigeait d'elle une explication ? Allons donc ! Trop tard... 
            Lui-même d'ailleurs, par son attitude, avec les inévitables relations de la nouvelle vie qu'il lui avait offerte, face aux tentations auxquelles cette vie l'exposait, face aux exemples qu'elle lui proposait continuellement, lui-même avait contribué à ce qu'elle jugeât trop naïf, puéril et dérisoire aux yeux d'autrui, le beau rêve qu'elle avait caressé trois ans plus tôt, en l'épousant ! Oh oui, en toute sincérité, elle avait rêvé d'égayer, avec le rire de sa jeunesse, les dernières années de la vie héroïque de Francesco d''Adria, vieil ami et frère d'armes de son père. Eh bien il ne l'avait pas jugée capable de rester fidèle à ce rêve. Elle avait vainement attendu un signe de lui. Alors, peut-être par dépit, elle était allée trop loin, elle était tombée, oui, de plus en plus bas, horriblement. Mais au fond, elle n'avait fait qu'agir comme la plupart de ses amies et camarades, si estimées, ô combien estimées, si respectables, ô combien respectables ! Et puisque lui-même, il y a encore un instant, ne trouvait rien à redire à cela, pourquoi aurait-elle dû éprouver des remords ? Elle ne s'était pas vraiment amusée, elle ne s'amusait pas, bien au contraire ! Que voulait-il d'elle, à la fin ?
            " Mais... pensa donna Giannetta à ce moment, et l'autre malheur ? "
            Son visage s'assombrit. Devant ses yeux apparut le visage de celui qui, par peur de la perdre ou dans l'espoir de la lier davantage à lui, ou peut-être par vengeance, l'avait rendue mère contre son gré. Oui, il n'y avait aucun doute : l'autre malheur, auquel il faisait allusion, était sa fille, cette enfant...
            " Il est arrivé deux malheurs... Le premier, tu l'as voulu... "
            Et donc, pas l'autre. Il avait raison : cet autre malheur, elle ne l'avait vraiment pas voulu. Mais puisqu'il savait tout, puisqu'il savait qu'elle ne pouvait ressentir aucune affection pour cet être qui lui rappelait un amant détesté, un homme qui l'avait rendu mère par traitrise, pourquoi, voilà quelques instants, s'était-il montré à elle près de cette enfant en pleurs, une clochette à la main ? Pourquoi afficher une telle tendresse pour cette petite créature ? Pourquoi avait-il voulu l'identifier à lui, comme pour faire bloc contre elle, disant que tous deux, lui et la petite, représentaient pour elle deux malheurs ? Où voulait-il en venir ?
            Donna Giannetta regretta d'avoir fait semblant de dormir. Pendant un moment elle resta là, à penser, à réfléchir, puis elle sortit de la chambre sur la pointe des pieds et, dans l'obscurité, retenant son souffle, prudemment, à tâtons, elle alla jusqu'à la porte de la chambre de son mari. Elle écouta, puis se pencha pour regarder par le trou de la serrure.
            Francesco d'Adria, assis dans sa chambre, comme il l'était un peu plus tôt dans celle de sa femme, les coudes sur les genoux, la tête entre les mains, pleurait !
            Donna Giannetta sentit son dos comme déchiré par un long frisson, et elle recula, bouleversée, en proie à une stupeur qui était aussi de l'effroi.
            Il pleurait !
            Elle resta là, tremblante, le cœur en tumulte, sans pouvoir former une seule pensée. Puis, tout à coup, craignant qu'il n'ouvre la porte et ne la découvre là, aux aguets, elle se dirigea vers sa propre chambre. Mais, comme elle passait comme une voleuse devant la porte de la chambre où dormait sa fille, elle s'immobilisa.
            La petite aussi pleurait, là ! Tous les deux...
            Inconsciemment, comme pour trouver un refuge où se cacher à elle-même en ce moment, elle entrouvrit cette porte, et entra.
            Assise sur le lit, la nounou se lamentait, désespérée. L'enfant, après un sommeil bref et agité,  se tordait de nouveau à cause des coliques, tout en vagissant.
            Au début, donna Giannetta ne comprit pas bien ce que disait la nourrice. Elle tendit la main pour caresser l'enfant angoissée, et la retira aussitôt, avec uns sorte de répulsion. Comme elle était froide ! Mais il fallait la faire taire... Ces pleurs étaient insupportables... Elle refusait le lait ? Peut-être ses langes étaient-ils trop serrés ? Elle décida de les défaire elle-même, de ses propres mains. Quelles pauvres petites jambes violacées... et comme elles tremblaient, contractées par les spasmes. Elle se hasarda à les touchez, elles étaient glacées ! Elle était toute glacée, cette petite ! Comment, avec quoi l'envelopper ? Il y avait une couverture, là, sur le berceau. Allons, allons.
            Donna Giannetta la prit dans ses bras, la serra contre sa poitrine, fort et délicatement, et commença à se promener à travers la pièce, berçant son enfant en se balançant un peu, comme elle ne l'avait jamais fait. Elle sentait, contre sa poitrine, les contractions du petit ventre endolori, et comme un gargouillement de larmes dans ce petit corps tendre et froid. 
            Presque sans le vouloir, elle se mit à pleurer, elle aussi, non par pitié à l'égard de l'enfant, non... oui, peut-être, oui, parce qu'elle la voyait souffrir... elle ne savait pas elle-même pourquoi.
            Peu à peu, comme si l'enfant avait senti la chaleur de l'amour maternel qui la réconfortait pour la première fois, elle se calma enfin. Donna Giannetta était déjà fatiguée, très fatiguée, mais pendant un bon moment elle continua, malgré tout, à se promener et à tapoter doucement, à chaque pas, le dos de la petite fille. Puis elle s'arrêta avec mille précautions, pour ne pas la réveiller. Elle s'assit et l'installa sur ses genoux, fit signe à la nourrice de rester couchée et, à la lumière faible de la lampe de chevet, elle contempla sa fille.                                                                                                      pinterest.fr

            Une joie nouvelle, inattendue, l'envahit tout entière, lui souleva le cœur. Elle vit ce petit être tranquille grâce à elle, comme elle ne l'avait jamais vu. Peut-être parce que jusque-là elle n'avait rien fait pour lui. Pauvre enfant, privée d'affection et de soins depuis sa naissance... Quelle faute avait-elle commise ?
            Elle ferma les yeux avec force, comme pour refouler à l'intérieur d'elle-même un sentiment qui faisait irruption dans son esprit. Mais non ! Cette petite était-elle coupable d'être née ?
            Soudain, regardant sa fille avec d'autres yeux, elle comprit ce que son mari avait voulu dire. Il était et se sentait vieux et était conscient de ne pas remplir la vie de sa femme. Mais, désormais, elle avait une fille, et une fille peut et doit remplir la vie d'une mère . Il aurait pu faire un scandale, et ne l'avait pas fait. Bien plus, il avait donné à cette enfant, qui n'était pas sa fille, le prestige de son nom, de sa fonction, et même... Oui, même sa tendresse. Eh bien elle qui était sa mère, elle pouvait bien donner à sa propre fille l'affection, les soins, l'exemple d'une conduite irréprochable.
            Oui, c'était sans doute cela qu'il avait voulu dire. Et elle, elle avait fait semblant de dormir...
            Cette nuit-là donna Giannetta réfkéchit longuement tout en tenant l'enfant dans son giron. Avec un regret amer, elle pensa à son beau rêve de jeunesse et, avec dégoût, à ce que les hommes lui avaient offert en échange de ce rêve... Des mensonges stupides, des vulgarités écoeurantes... Puis, peu à peu, elle céda au sommeil.

            Avant l'aube, Francesco d'Adria, traversant le couloir pour se rendre dans son bureau, vit que la porte de la chambre de la nourrice était ouverte, et tendit la tête pour regarder. Il fut stupéfait de découvrir sa femme endormie dans un fauteuil, l'enfant entre ses bras. Il s'approcha d'elle tout doucement pour la contempler, et sentit sa stupeur se fondre en une tendresse émue, infinie. Il se pencha et l'embrassa sur le front.
            Donna Giannetta se réveilla, elle aussi, dans un premier temps fut stupéfaite de se retrouver là, la petite sur les genoux, puis elle sourit et, tendant une main à son mari et le regardant avec des yeux pleins de sa joie, toute neuve, elle lui demanda :
            - C'est bien, ainsi ?



                                                             Pirandello

                                                  ( 1903 )





            














                                

samedi 28 novembre 2020

Le paresseux - Le fromage Saint-Amant ( Poème France )

Choloepus hoffmanni (Puerto Viejo, CR) crop.jpg 
he.wikipedia.org


                                            Le Paresseux

            Accablé de paresse et de mélancolie,
            Je rêve dans un lit où je suis fagoté,
           Comme un lièvre sans os qui dort dans un pâté,
                Ou comme un Don Quichotte en sa morne folie.                                                                                                                     
Image associée
           Là, sans me soucier des guerres d'Italie,
           Du comte Palatin, ni de sa royauté,
          Je consacre un bel hymne à cette oisiveté
          Où mon âme en langueur est comme ensevelie.

          Je trouve ce plaisir si doux et si charmant,
          Que je crois que les biens me viendront en dormant,
          Puisque je vois déjà s'enfler ma bedaine,
            
          Et hais tant le travail, que les yeux entrouverts,
          Une main hors des draps, cher Baudoin, à peine                    
          Ai-je pu me résoudre à t'écrire ces vers.                                           twitter.com


                                                                  Marc-Antoine de Saint-Amant  - 1631  -
                                                                               ( 1594 - 1661 )


**************************



                                             Le Fromage                                                      maisoncario.fr      
Image associée
            Assis sur le bord d'un chantier
            Avec des gens de mon mestier,
            C'est-à-dire avec une trouppe
            Qui ne jure que par la couppe,
            Je m'escrie, en laschant un rot :
            Beny soit l'excellent Bilot !
             Il nous a donné d'un fromage
            A qui l'on doit bien rendre hommage.
            Ô Dieu ! Quel manger précieux !
            Quel goust rare et délicieux !
            Qu'au prix de luy ma fantaisie
            Incague la saincte ambroisie !
            Ô doux cottignac de Baccus !
            Fromage, que tu vaux d'escus !
            Je veux que ta seule mémoire
             Me provoque à jamais à boire.

            A genoux, enfans debauchez,
            Chers confidents de mes pecherz
            Sus ! qu'à plein gosier on s'escrie :
            Beny soit le terroir de Brie !
            Beny soit son plaisant aspect !
            Qu'on n'en parle qu'avec respect !
            Que ses fertiles pasturages
            Soient à jamais exempts d'orages !
            Que Flore, avec ses beaux atours,
            Exerçant mille amoureux tours                                                      focus-cuisine.com
Résultat de recherche d'images pour "fromage brie de meaux"            Sur une immortelle verdure,
            Malgré la barbare froidure
            Au visage morne et glacé,                                                    
            Y tienne à jamais enlacé
             Entre ses bras plue blancs qu'albastre
             Le gay Printemps, qui l'idolastre !
             Que, comme autrefois Apollon
             Délaisse torche et violon,
             Et s'en vienne dans ces prairies,
             Dans ces grandes plaines fleuries,
             Garder, en guise de vacher,
             Un troupeau qui nous est si cher,
             Et dont la mamelle féconde
             Fournit de laict à tout le monde.
             Mais je veux l'encharger aussi
             Qu'il en plus de soucy,
             S'il faut qu'un jour il s'y remette,
             Qu'il ne fit de celui d'Admette,
             Lors que le patron des mattois
             Portant cinq crocs au lieu de doits
             Qui faisoient le saut de la carpe,
             Joua sur ses boeufs de la harpe,
             Et le laissa sous un ormeau
             Fluster son soul d'un chalumeau,
             Que jadis l'amoureux martyre
             Fit entonner au grand satyre.

Image associée            On dit que, quand il fut duppé
            Il estait si fort occuppé
            Dans une douce rêverie,
            Qu'il  n'en vit point la tromperie
            Chose estrange ! à mon jugement,
            De convaincre d'aveuglement
            Celuy dont la vertu premiere
            Ne consiste qu'en la lumiere !
            Tout beau, Muse, tu vas trop haut,
            Ce n'est pas là ce qu'il nous faut :
            Je veux que ton stile se change
            Pour achever cette louange.

            Encore un coup donc, compagnons,
            Du beau Denys les vrais mignons,
            Sus ! Qu'à plein gosier on s'escrie :
            Beny soit le terroir de Brie !

            Pont-l'Evesque, arrière de nous !
            Auvergne et Milan, cachez-vous !
            C'est luy seulement qui merite
                   Qu'en or sa gloire soit escrite ;                                                                                                       fr.123rf.com
Image associée            Je dis en or avec raison,
            Puis qu'il fera comparaison
            De ce fromage que j'honore
            A ce metal que l'homme adore :
            Il est aussi jaune que luy ;
            Toutefois, ce n'est pas d'ennuy,
            Car si tost que le doigt le presse,
            Il rit et se creve de gresse.
           Ô ! combien sa propriete
           Est necessaire à la santé !
           Et qu'il a de vertus puissantes
           Pour les personnes languissantes :
           Rien n'est de si confortatif ;
           C'est le meilleur preservatif
           Qu'en ce temps malade et funeste
           On puisse avoir contre la peste.

            Mais cependant que je discours,
            Ces goinfres-ci briffent tousjours,
            Et voudroient qu'il me prist envie
            De babiller toute ma vie.
            Hola ! gourmands, attendez-moy !
            Pensez-vous qu'un manger de roy
            Se doive traiter de la sorte ?
            Que vostre appetit vous emporte !
            Chaque morceau vaut un ducat,
            Voire six verre de muscat,
             Et vos dents n'auront point de honte
             D'en avoir fait si peu de conte.                                                                   imagesdubeaudumonde.com
PONT-L'ÉVÊQUE, la ville du fromage fleurie
            Bilot, qui m'en avois muny,
            Hé ! pourquoi n'est-il infiny
            Tout aussi bien en sa matiere
            Qu'il l'estoit en sa forme entière ?
            Pourquoy, tousjours s'apetissant,
            De lune devient-il croissant ?
            Et pourquoy si bas sous la nue,
            S'eclipse-t-il à notre veue ?
            Respons, toy qui fais le devin
            Crois-tu qu'un manger si divin,
            Vienne d'une vache ordinaire ?
            Non, non, c'est chose imaginaire.

            Quant à moy, je croy qu'il soit fait
            De la quintessence du lait
            Qu'on tira d'Yo transformée,
            Qui fut d'un Dieu la bien-aymée.
            Garçons, pour vous en assurer,
            Je ne craindray pas d'en jurer,
            Puisque sans contredit je trouve
            Que sa vieillesse me le prouve.

            Ô doux cotignac de Baccus !
            Fromage, que tu vaux d'escus !
            Je veux que ta seule mémoire
            Me provoque à jamais à boire.
                  


                                                          

                                                                  Marc-Antoine de Saint-Amant 
                                                                                 ( 1594 - 1661 )

vendredi 20 novembre 2020

Aux enfers Marcel Proust ( Nouvelles France )

 pinterest.fr







                                                 Aux enfers

            Quélus passe. Samson arrête deux ombres...........

            Quélus - Monsieur, j'ai beaucoup entendu parler de vous durant ma vie terrestre.
            Samson - L'ordre des temps s'opposait à la réciprocité. Nul doute sans cela que je n'eusse passé ma captivité à amasser sur vous des documents inédits. Vous m'intéressez infiniment, Monsieur. Du reste je vous avais prédit, que dis-je : 
            " La femme aura Gomorrhe et l'homme aura Sodome, 
              Et se jetant de loin un regard irrité,
              Les deux sexes mourront chacun de son côté. "
              Quélus fait un léger signe d'assentiment, en une élégante courbette d'homme du monde.

            Samson - Ah Monsieur que vous eûtes raison et si chacun et moi-même en avait usé comme vous, nul doute que Dalila ne se fût montrée plus coulante. Mais au reste ce n'est pas comme coquetterie, indirect hommage rendu à la grâce féminine que j'approuve ces jeux de garçons. Il est d'un homme d'avoir banni loin de nous, cet être moins humain qu'animal, succédané bizarre de la chatte, étrange intermédiaire entre la vipère et la rose, la femme perdition de toutes nos pensées, poison de toutes nos amitiés, de toutes nos admirations, de tous nos dévouements, de tous nos cultes ; grâce à vous et à vos pareils l'amour n'est plus une maladie qui nous met en quarantaine de tous nos amis, nous empêche de causer philosophie avec eux. Ce n'est au contraire qu'un épanouissement plus riche de l'amitié, le riant couronnement de nos tendres fidélités et de ses épanchements virils. C'est comme la dialectique et le ceste des Grecs un divertissement à encourager et que fortifie, loin de les distendre, les liens qui unissent les hommes à leurs frères.
            Mais mon cœur trouve une joie plus profonde encore à vous contempler enfin, Monsieur. 
                                                                                                                                     peintures-tableaux.com
           Quel confident j'ai trouvé de mes ressentiments contre la femme, nous allons pouvoir unir nos ressentiments, la maudire ensemble. La maudire, action si délicieuse peut-être hélas, parce que la maudire c'est un peu l'évoquer, c'est encore un peu revivre avec elle.
            - Je voudrais Monsieur être de votre avis mais je ne le puis. Jamais une femme ne m'a troublé et je ne comprends ni l'obscur attachement qui dans votre colère vous lie pourtant à elle par des fils douloureux et tremblants tangibles, ni l'indignation motivée qu'elle vous inspire. Incapable de causer avec vous des sortilèges de la femme, je me sens plus incapable encore de la détester avec vous.                                                                                               
            J'ai quelque rancune contre les hommes, mais j'ai toujours infiniment apprécié les femmes. J'ai écrit sur elles des pages qu'on a bien voulu traiter de délicates et qui furent du moins sincères et  vécues. J'ai compté parmi elles de sûres amies. Leur grâce, leur faiblesse, leur beauté, leur esprit m'ont souvent enivré d'une joie qui pour ne rien devoir aux sens n'en fut pas moins intense si elle en fut plus durable et plus pure. J'allais me consoler auprès d'elles des trahisons de mes amants et il y a quelque douceur à pleurer longuement et sans désir contre un sein parfait.
            Les femmes me furent à la fois madones et nourrices. Je les adorais et elles me berçaient. Elles me donnaient d'autant plus que je leur demandais moins. Je fis à plusieurs une cour empreinte d'une sagacité que les bourrasques du désir ne venaient point déconcerter. Elles me donnaient en échange un thé exquis, une conversation ornée, une amitié désintéressée et gracieuse. A peine puis-je en vouloir à celles qui par un jeu cruel et un peu niais voulurent en s'offrant me faire avouer que je ne me sentais nul goût pour elles. Mais à défaut d'un orgueil bien légitime, la plus élémentaire coquetterie, la peur de compromettre leur charme auprès d'un admirateur aussi véritable, un peu de bonté et de largeur d'esprit déconseillèrent cette attitude aux meilleures d'entre elles.
            M. Renan passe.
            Taisez-vous littérateur. Comment croire en effet qu'il n'y a pas plutôt dans vos discours l'artifice orgueilleux du théoricien que le résumé approximatif de votre pensée. Tout au plus vous êtes-vous caché d'aimer les femmes, ressemblant à ces convives qui dédaignent les plus beaux fruits qu'on leur présente. Ils ont goûté avant de venir au festin. Pourtant vous aimiez incontestablement les femmes. Croyez bien mon cher ami qu'il n'y a dans ces paroles nul blâme au moins philosophique de ma part et ne voyez pas dans mes reproches la condamnation sans appel d'une morale trop absolue. Comment, sans être taxé d'étroitesse d'esprit, pourrions-nous nous refuser maladroitement à comprendre des jeux dont Socrate parlait avec un sourire. Ce Maître, qui aima la Justice au point de mourir pour elle, et pour ainsi dire du même coup pour la mettre au monde, tolérait sans mauvaise humeur chez ses amis les plus intimes ces pratiques aujourd'hui surannées. Et si l'éloignement dans l'espace imite assez bien l'éloignement dans le temps, il ne paraîtra pas absurde de dire qu'aujourd'hui encore l'Orient, si intéressant d'ailleurs à tant d'autres points de vue, reste le foyer mal éteint de ces flammes étranges. 
            Au reste l'Amour comme le pensaient les Anciens est indiscutablement une maladie. 
            Comment dès lors assimiler ces coutumes à un vice ? Nul doute que l'albuminurie ne prendrait aucun des caractères de l'immoralité si chez certains elle avait pour résultat une production de sel au lieu de sucre dans les urines.
wahooart.com
             Loin de moi malgré ces raisons la pensée de vous absoudre, mon cher ami. Vous avez été deux fois maladroit. Inexpiable crime si comme j'incline à le croire la vie est plutôt un jeu d'adresse.
            Il n'est très bon, à aucun point de vue de prendre son plaisir à caresser son temps à rebrousse-poil. Un homme qui était doué de la conformation la plus habituelle de notre palais prendrait pourtant l'habitude de trouver un régal le plus exquis à dévorer des excréments serait difficilement reçu, au moins dans la bonne société. Certaines répulsions physiques sont plus fortes que tout et emportent notation d'infamie. Inévitablement notre dégoût et notre considération ne sauraient aller aux mêmes personnes.
            Et pourtant qui oserait dire que le dégoût n'est pas éminemment relatif ? Pourquoi vous détourner des parfums les plus exquis qu'on vous offre et vous pencher devant la bouche d'un égout, en vous persuadant que vous respirez un parterre de fleurs. Posture assurément ni plus ni moins fondée dans l'absolu que celle de l'amateur des jardins et des parfums, mais posture étrange et qui ne repose que sur une disposition physique des nerfs du nez et qui n'en doutez pas sera très remarquée. Mais vous avez comme une maladresse plus grave car elle implique erreur sur cercle plus étendu, sur un degré plus subtil de la connaissance.
            L'amour ai-je dit est une maladie. Mais l'exaltation cérébrales ou folie en est une aussi. Nul doute pourtant que le jour où la poësie fit sont apparition sur la terre elle n'eut singulièrement relevé le niveau de la folie. Presque tous les poètes sont des fous. Qui pourtant oserait en médire. Ce sont des malades disent les médecins, personnages évidemment surfaits mais parmi lesquels je compte pourtant d'amis infiniment distingués et chers. D'ailleurs en nous faisant mourir ne contribuent-ils pas notablement à élargir le cercle de nos connaissances et à déplacer ( fort suffixe) le point de vue de nos méditations. Donc les médecins disent assez raisonnablement des poètes qu'ils sont des malades, des fous. Soit. Mais bienheureuse maladie, folie divine comme disent les mystiques. L'apparition de la femme et surtout de la femme moderne sur la terre a de même considérablement anobli la carrière utilitaire mais assez dépourvue d'horizons que l'amour semblait destiné à faire sur la terre aux premiers âges. 
            La femme riche synonyme de consolation et d'enthousiasme a véritablement fait de l'amour une maladie sublime que vous ne pouvez que rabaisser en éliminant ce facteur de premier ordre mon cher Quélus. La différence du sexe est ici de toute importance. A qui attribuer qu'à elle ce rafraîchissement qui nous vient de notre amour pour un être si différent de nous, rafraîchissement si analogue aux jours pacifiants du travailleur de la ville qui passe ses vacances à la campagne
            Enfin de même que ce romantisme en lui faisant jouer un rôle plus grand encore dans la poésie édifiante a définitivement accrédité l'aliénation mentale auprès des gens de goût, depuis le XVIIIè siècle il me semble que votre erreur soit devenue une hérésie, la femme s'étant divinement perfectionnée, et s'étant enrichie de toutes les délicatesses que les esprits les plus raffinés révèrent. C'est aujourd'hui un objet d'art et de luxe qui ne peut plus craindre la concurrence.
            Il est vrai que vous prétendez goûter des plaisirs délicats auprès d'elle et satisfaire vos sens ailleurs. Quelle complication d'existence inutile et maladroite. Le plaisir de vos sens serait enrichi et raffiné de tous ceux que la femme seule peut donner à notre imagination. D'ailleurs cette séparation dont vous parlez est-elle possible. Quelle force peut nous empêcher d'embrasser celle que nous admirons à ce point. Et je voudrais au verbe embrasser en ajouter d'autres qui choqueraient peut-être le discours d'un philosophe, du reste déjà suffisamment étendu.                                             



                                                                 Marcel Proust

                                                                in Nouvelles Inédites ) 
            


mercredi 11 novembre 2020

Anecdotes et Réflexions d'hier pour aujourd'hui 134 Samuel Pepys ( Journal Angleterre )

                                                                                               







                                                                                                                       

pinterest.fr

                                                                                                               1er Février  

            Lever tard, en voiture sur rendez-vous à St James afin de présenter mes devoirs au duc d'York et à milord Belasyse, me fit perdre tout espoir de tirer bénéfice du louage d'un navire pour transporter des hommes à Tanger. Mais sur ordre du Duc ce matin à la Bourse où je me vis à la fin confier une affaire, après de longs pourparlers par Mr Gifford et Mr Houblon, affaire qui pourrait me valoir les bénéfices que j'en espère..... après bien du mal et sans pouvoir manger un morceau avant 4 heures.                                        Sur le chemin du retour me suis arrêté dans une gargote près de la barrière du Temple et là, avec Tom mon petit valet, avons mangé une poularde. Puis à la maison, à mon bureau, toujours fâché contre ma femme pour sa sottise d'hier. Puis avec mon valet à la taverne du Soleil, derrière la Bourse, comme convenu avec le marchand de drapeaux, Mr Young, nous retrouvâmes Mr Hill, Mr Andrews et Mr Houblon qui est ma foi homme de sérieux. Et ce fut là deux bons et beaux plats et une conversation plaisante. Après souper on chanta. Comme je suis resté jusqu'à minuit je me suis fait éclairer jusque chez moi par la ronde. Puis au lit toujours contrarié. Une fois couché mes gens me viennent dire qu'il y a une franche odeur de brûlé, mais point de fumée. Nous avons réveillé les gens de sir William Mennes et de sir William Batten, ainsi que Griffin et ceux de la maison de fous, mais on ne trouva rien qui eût pu en être la cause. Nous fûmes ainsi occupés jusqu'à plus de 3 heures du matin, puis l'odeur de brûlé se dissipa, me recouchai donc ainsi que mes gens, et me levai fort tard le lendemain matin.                                       

                                                                                                                      2 février 

            Levé et à mon bureau jusqu'à midi, puis à la Bourse, ensuite au café où nous quatre, Gifford, Houblon, le capitaine du navire et moi relûmes et approuvâmes une charte-partie pour le transport de marchandises à Tanger, ce dont j'espère tirer quelque bénéfice.                                                                                Retournai chez moi affligé de maux de tête dus à un manque de sommeil et à un surcroît de labeur. A mon bureau. Le soir est venu Povey, et sommes allés chez Mrs Bland à propos d'un service que je pourrais lui rendre, à savoir lui faciliter un passage à Tanger. J'ai entendu chez elle l'une de ses proches parentes chanter trois ou quatre bien jolis airs, et de belle manière.                                                             A la maison, puis souper. Jane, ma cuisinière et domestique, et sa maîtresse se sont fait leurs adieux, et Jane est partie ce jour. Quant à moi je suis vivement contrarié, mais j'ai résolu de ne plus chercher querelle. Après souper à mon bureau puis, au lit.                                                                                     

                                                                                                                          3 février

            Levé et suis sorti à pied avec mon petit valet, que je n'ose à cause de ma femme qui l'encourage à la paresse, laisser à la maison. D'abord à Salisbury Court pour m'excuser de manquer le dîner chez Mrs Turner qui, je le vois bien, est contrariée de ce que je n'apporte point ma contribution au grand festin qui sera donné en l'honneur de la désignation de son mari comme lecteur, en lui procurant des victuailles à bon compte, mais peu me chaut. Elle était en train de se vêtir près de la cheminée dans sa chambre et profita de l'occasion pour me montrer sa jambe. Et c'est, ma foi, la plus belle que j'aie jamais vue et elle n'en est pas peu fière.                                                                                                                      Puis chez milord Belasyse et de là chez Mr Povey ainsi qu'à divers endroits dans ce quartier de la ville pour diverses affaires. Par ce beau temps de givre la marche fut plaisante. Revins à pied à la Bourse, prenant au passage mes livres à la reliure chez mon libraire. Il m'en a coûté pour réassortir à ma bibliothèque les reliures de plusieurs vieux ouvrages, à quoi s'ajoutent d'autres livres neufs mis sur la même facture 3 £, mais ce sera du plus bel effet. A la Bourse où j'apprends cette nouvelle fraichement arrivée de Deal, que le soir du jour où milord Sandwich s'embarquait de là-bas avec sa flotte, on repéra des bâtiments de guerre hollandais à l'abri des sables de Goodwin, qui, selon toute probabilité doivent être en vue de la flotte de milord, auquel cas ils devront faire feu. Puis chez mon oncle White où toute la famille était invitée à dîner, parmi laquelle la jolie Mrs Margaret, très jolie dame en vérité. Et bien que pour m'en tenir à mon voeu il m'en ait coûté 12 pence par baiser, le premier non compris, je me suis laissé aller à lui en prendre deux.                                                                                                                                  Puis chez moi, et parmi les diverses lettres il s'en trouve une de Jane récemment renvoyée qui me dit que sa maîtresse refuse de lui payer son trimestre de gages, et ajoute que celle-ci fait passer deux ou trois heures dans le noir au petit valet à raconter des histoires, mais ne mentionne rien de plus, si ce n'est l'indélicatesse de ma femme à se rabaisser de la sorte. J'y remédierai mais je suis fâché que Jane ait fait écrire une lettre aussi longue ce qui rend la chose publiqueis en voiture pour rendre visite à milady Sandwich qui me fit connaître par le détail son opinion sur le mariage, si toutefois milord y consentait, de milady Jemima avec le fils aîné de sir George Carteret. Mais je crains qu'il n'ait encore aucune fortune foncière. Je vais m'informer et lui donnerai mon opinion. Puis Mrs Pickering, à la demande de milady, car notre entretien privé achevé nous étions passés dans une autre pièce, me narra la mascarade donnée l'autre jour devant le roi et la Cour, où six femmes, parmi lesquelles milady Castlemaine et la duchesse de Monmouth, et six hommes, le duc de Monmouth, lord Arran et " monsieur " Blanquefort, entre autres, masqués, vêtus de costumes fort riches et anciens, dansèrent avec une splendeur et une grâce admirables. Dieu nous accorde d'autres occasions de semblables réjouissances.                                            Chez moi et après un moment à mon bureau, souper et, au lit.                                                                

                                                                                                               4 février

            Resté tard au lit à discuter avec ma femme de ses domestiques, sujet qui, Jane étant partie mécontente et contre mon avis, n'est pas sans créer quelque discorde entre nous. Ce ne sont pourtant que des soucis insignifiants et qui ne doivent guère être pris à cœur, il n'empêche voilà qui me préoccupe fort, malgré tout.                                                                                                                                       A mon bureau toute la matinée. A midi sur invitation à la taverne du Soleil, derrière la Bourse pour dîner avec milord Belasyse. On parla beaucoup et parfois fort bien. Au beau milieu de la compagnie, à table, il nous fit le récit bien tourné de la manière dont le roi lui a fait savoir par un message qu'il devait défendre la ville de Newark dont il était alors gouverneur.. Ce message lui parvint dissimulé à l'intérieur d'une balle, écrit en langage codé, enveloppé de plomb et avalé. Le messager arriva donc auprès de milord, disant qu'il avait un message du roi, mais dedans m'estomac. Sur quoi on le purgea et l'objet réapparut. C'était un mois avant que le roi ne rejoignit les Ecossais. Dans ce message il était écrit que le jour dit, le 3 ou le 6 mai, on lui ferait savoir que le roi était arrivé dans le camp des Ecossais et que le roi de France l'assurait de sa pleine liberté et serait traité avec tout l'honneur qu'on pût souhaiter, et qu'il serait en parfaite sécurité. Au jour dit il arriva en effet chez les Ecossais.                                    Il nous fit aussi cet autre curieux récit, que le roi ayant récemment privé le prince Rupert de son titre de général en raison de sa défaite à Bristol, et sir Richard Willys de son titre de gouverneur de Newark à la demande des gentilshommes du comté, titre qu'il attribua à milord Belasyse, les officiers supérieurs de l'armée royale se mutinèrent et arrivèrent ainsi, épées dégainées, sur la place du marché de la ville où se trouvait le roi, ce que voyant le roi dit : 
            - Qu'on m'apporte mon cheval ! 
            Et il alla lui-même, alors que tous s'attendaient à une opposition de la part des mutins, crier à leur chef qui se trouvait être le prince Rupert :
            - Neveu, je vous ordonne de quitter les lieux !
            Le prince fou de rage se retira alors et, sa compagnie se dispersa et, dit-on, c'est la mutinerie la plus importante qu'on vît jamais.
            Après le dîner, chez moi, à mon bureau et le soir Jane me fit prévenir qu'elle me demandait ses gages. Je fis alors venir ma femme et lui dis que, plutôt que d'être en but au qu'en-dira-t-on, je lui paierai tous ses gages pour le terme à venir, bien qu'il restât deux mois à faire, ce qui contraria ma femme, et nous commençâmes à nous fâcher. Je me rassisis et la priai de partir. Mais j'avais l'esprit cruellement contrarié à l'idée que tous mes ennuis dans ce monde me vinssent de difficultés domestiques et du manque de discernement d'une femme qui ne me vaut guère, sa belle personne mise à part, qu'ennuis et mécontentement.
            Elle partie, au travail, jusque très tard, puis rentrai souper et, au lit.

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                         5 février                                                                                                   Jour du Seigneur                                         Au lit le plus clair de la matinée, puis levé et descendis dans mon cabinet voir mes nouveaux livres. Quel plaisir pour les yeux que de pouvoir contempler ma bibliothèque tout entière, ou presque, d'une seule et même reliure ! Puis dîner et tout l'après-midi en compagnie de Will Hewer à mon bureau, à signer des papiers, tant mes affaires ont pris du retard ces derniers temps. Le soir, Mr Shipley me rend visite, arrivé de sa campagne, à laquelle il retourne demain. C'est à mon sens un homme de bien, généreux envers moi. Arrivent aussi Mr Andrews et Hill et nous chantons fort plaisamment. Eux partis, souper avec ma femme, puis prières et, au lit.                                                                                                          

                                                                                                                           6 février

            Levé et avec sir John Mennes et sir William Penn à St James, mais le Duc est sorti. Allai donc à Whitehall pour le trouver et je lui parlai. Puis à Westminster pour quelque affaire et enfin à la Bourse où j'eus aussi à faire. Repartis achever mon contrat pour le " Kingfisher " affrété pour Tanger et dont j'espère quelque avantage. Rentrai dîner puis rendis visite à sir William Batten de nouveau malade, plus encore qu'auparavant et m'est avis que c'est grave.                                                                                                   A mon bureau où, entre autres, je passai quatre heures ou plus avec sir William Warren jusqu'à très tard à discourir de choses et d'autres, et pris la ferme résolution, en sa présence, de servir son intérêt, ainsi que le mien autant que faire se peut. M'est avis qu'il me sera précieux et qu'il saura se montrer reconnaissant. Chez moi, souper puis, au lit.                                                                                               Aujourd'hui il a fait le froid le plus terrible, au dire de tous, que l'Angleterre ait jamais connu. J'ai passé la journée à craindre d'avoir attrapé une fièvre pour avoir porté un habit qui n'a pas été aéré depuis longtemps, et je prie Dieu que cela ne me cause aucun mal.                                                                 

                                                                                                                         7 février 1665

            Levé et à mon bureau, travaillé toute la matinée, à la maison pour dîner, mangé de très bons beignets car c'est le mardi-gras. Tout l'après-midi et la soirée à mon bureau. Le soir rentré souper et, au lit.                                                                                                                                                                               Sir William Batten malade depuis quatre ou cinq jours est aujourd'hui au plus mal, si bien qu'on commence à redouter sa mort. Quant à moi je ne puis décider s'il m'accommoderait de le voir mourir, car c'est un méchant homme, ou vivre, de peur qu'un autre bien pire ne le remplaçât.                                 

                                                                                                                        8 février

            Levé puis en voiture chez milord Peterborough où arrivèrent aussitôt milord Ashley et sir Thomas Ingram, ainsi que Povey pour ses comptes. Ce comptable est l'un des plus misérables que l'on ait jamais connus, et que je préfèrerais voir pendu plutôt que de traiter avec lui, si toutefois la question de mon billet à ordre de 117 £ était réglée. Comme il n'entend rien à ses propres comptes il n'y a personne dans son entourage qui puisse y entendre davantage.                                                                                Restai tard jusqu'à ce que j'en fusse las, ayant à faire ailleurs. De là chez moi en voiture et après dîner, diverses affaires et à mon bureau fort tard, puis chez moi, souper et, au lit.                                                        

                                                                                                                        9 février

            Levé et à mon bureau très occupé toute la matinée. A midi chez moi, dîner, puis retour à mon bureau où sir William Petty m'est venu dire, entre autres, que Mr Barlow est mort. Ce dont, Dieu m'est témoin, j'éprouve autant de chagrin qu'il est possible et que quiconque éprouverait pour un inconnu dont la mort lui vaut 100 livres par an et qui fut par ailleurs un véritable honnête homme. Mais, à la réflexion quand je  viens à considérer la providence divine qui m'accorde ainsi inopinément, 100 £ de plus de revenus j'ai tout lieu de bénir le Seigneur et je le fais du fond du cœur. Chez moi tard et au lit. 

Herodote.net  


                                                         

                                                                                                                                                                                      10 février

            Levé et me rendis près de Saint-Paul pour voir les derniers de mes livres nouvellement reliés, entre autres, ma Cour du roi James et Grandeur et Décadence de la famille Stuart. Et me voici fort satisfait de mon cabinet, un ravissement pour les yeux.                                                                                             De là à Westminster, dans la voiture de Mr Grey, et j'apprends qu'hier le roi a rencontré les Chambres pour attribuer par vote extraordinaire un crédit s'élevant à 2 500 000 £. Après quelques affaires à la maison où Mr Moore dîna avec moi et compara nos estimations du capital et intérêt de la dette de milord Sandwich envers moi. Il s'avère qu'à présent, l'un et l'autre compris, la somme qui m'est due se monte à 257 £ et 7 shillings, et je remercie Dieu que ce ne soit pas davantage.                                             Au bureau tout l'après-midi. Rentré souper tard, prières puis, au lit.                                                   

                                                                                                                                11 février

            Levé et à mon bureau toute la matinée. A midi à la Bourse en voiture avec milord Brouncker. Travaillai beaucoup puis rentré dîner. A mon bureau tout l'après-midi, jusqu'à plus de minuit, fort occupé. Puis à la maison et, au lit.                                                                                                                        

                                                                                                                               12 février                                                                                                                                         Jour du Seigneur                                       Levé puis à l'église St Lawrence pour entendre le très savant docteur Wilkins, par pure curiosité, car je ne l'ai encore jamais entendu. Toutefois, il ne me plut guère, mais sur le banc où je m'étais par hasard assis se trouvait un gentilhomme qui chantait à merveille, et à son visage je me souvins qu'il était du collège Saint-Paul, mais ne retrouvai pas son nom. L'église m'enchanta aussi, elle est fort belle. Ensuite, rentré dîner et à mon bureau tout l'après-midi. Arriva Mr Hill mais sans Andrews et nous passâmes une bonne soirée à chanter, souper, bavarder. Ensuite prières et, au lit.                                                                           

                                                                                                                                13 février

            Levé puis à St James où nous fîmes nos affaires habituelles auprès du Duc. De là à Westminster et par eau, prenant au passage Mr Stapely le cordier à sa fabrique de cordes et à sa chaulerie, pour voir les chaufours, et j'appris d'excellentes choses. Au retour me rendis à bord de l'Experiment de sir William Petty. C'est un beau vaisseau, fort spacieux qui, je l'espère, ira loin. Puis accostai à une auberge hollandaise pour boire une bière de froment. Je rencontrai des Hollandais, on causa des fours à chaux et de la confection des câbles. Il faut voir avec quel mépris ils disent qu'il nous faut largement plus de mains qu'eux pour la moindre tâche et qu'ils terminent avec 20 hommes le câble que nous faisons avec 60;                                                                                                                                                                                Rentré chez moi manger un morceau, puis à mon bureau très tard, puis souper et, au lit. Apparemment le capitaine Stoakes est mort à Portsmouth, enfin.                                                                                                                     

                                                                                                                           14 février 1665                   

   *                                                      Saint-Valentin                                                  Ce matin très tôt arrive Dick Penn pour être le Valentin de ma femme, et qui s'approche de notre lit. Je le fais alors venir près de moi, croyant l'obliger ainsi à m'embrasser, mais il me devina et il n'y eût rien à faire. Il alla ensuite trouver sa Valentine. Quel garçon remarquable, robuste et plein d'esprit. Levé, ayant fort à faire mais, en ouvrant la porte j'aperçois la femme de Bagwell. Nous bavardons puis elle m'annonce effrontément qu'elle est venue assez tôt dans l'espoir d'être ma Valentine, et la voilà donc. Mais mon serment m'a gardé de perdre du temps avec elle.                                                              Sorti avec mon petit valet à Westminster pour régler deux ou trois affaires, retour à la Bourse où j'eus beaucoup à faire. Il semble que milord Sandwiche soit dans la baie de Aldeburgh avec sa flotte. Rentré dîner puis à mon bureau jusqu'à presque minuit. Rentré, souper puis, au lit.                                                                                   

                                                                                                                          15 février    

            Levé et à mon bureau toute la matinée, fort occupé. A midi dîner avec Creed à Trinity House, fort bon, avec la bande de joyeux lurons. On raconta comment le Roi Oak s'était abîmé dans la bais de Bentam, sur les rochers des Sorlingues. Il y eut dans ce récit bien des détails extraordinaires, que je consignerai par écrit si je le peux.                                                                                                                              De là avec Creed à Gresham College où la semaine dernière Mr Povey avait proposé que j'en fusse membre, et j'y fus admis ce jour, après avoir signé un registre, donné la main à milord Braouncker et entendu quelques mots d'accueil. Mais c'est un rare plaisir que d'assister à leurs débats et de voir leurs expériences. Ils ont traité aujourd'hui de la nature du feu et de sa faculté de s'éteindre là où l'air est confiné, et de durer moins longtemps lorsque l'air est raréfié, ce qu'ils démontrèrent à l'aide d'une machine appropriée. Lorsque ce fut fait ils allèrent à la taverne de la Couronne, derrière la Bourse, et milord ainsi que la plupart se réunirent pour le souper de leur cercle, qui comprend sir Paul Neale, sir Robert Moray, le docteur Clarke, le docteur Whistler, le docteur Goddard et d'autres fort éminents. Il y avait surtout à l'assemblée Mr Boyle et puis particulièrement encore Mr Hooke, l'homme le plus brillant et celui qui montre le moins de signes d'excellence. Ce furent de remarquables conversations jusqu'à environ dix heures du soir. Puis chez moi et chez sir William Batten où j'apprends que sir Thomas Hervey entend déloger Mr Turner de chez lui et y venir habiter lui-même, ce qui sera très rude pour eux. Et, bien que je n'aime pas cet homme, je le plains à cause de sa famille. Chez moi, puis, au lit.                                        

  *    bulliescenterblog.net                                                              à suivre.........

                                                                                                               16 février 1665

            Levé et                                                                       

                                                                                                                                                                     

                                                                                                            

                

            

    


                                                                            

dimanche 8 novembre 2020

Pour seul refuge Vincent Ortis ( Roman Policier France )

           amazon.fr








 



                                        Pour seul refuge

            Les montagnes du Montana en hiver ne sont pas accueillantes au citadin confortablement installé dans un modèle haut de gamme de voiture dotée de tous les luxes, sortie des usines dix ans plus tôt mais demeurée coûteuse. Son propriétaire Edward est juge et se rend à Missoula pour tenter d'innocenter son fils accusé d'utiliser et de vendre de la drogue, ce que dément Ben le jeune homme, et pourrait être démontré. Laura, divorcée d'Edward, se rend aussi à Missoula pour les mêmes raisons, mais dans une petite voiture. Mais surtout Ted, féroce manipulateur, sorcier quasiment dans ses haines et son adresse dans la préparation jusqu'au nombre de pas accomplis pour certains déplacements et autres. Ted est un policier, il a pris une année sabbatique sans solde. Il est très malheureux car sa femme Thelma est morte assassinée, par un jeune Indien, peut-être, et le jugement déplaît fortement à Ted. L'expérience que va vivre Edward sous la coupe de Ted dans une cabane très éloignée de toute habitation, auprès d'un Ted fracassant tout si un mot lui déplaît, mais si le confort est minime la pièce garde-manger est pleine et chaque matin ils mangent leurs cracottes. Durant les quelques jours que dure la captivité, Edward apprend peu à peu les raisons de son kidnapping. Il n'y a évidemment pas de connexion téléphonique, Marcher dans la masse neigeuse le juge ne peut non plus l'envisager. Mais peu à peu Ted délivre quelques bribes de ses vérités, tout en manipulant nerveusement des pièces de un dollar, et révèle sa décision de libérer son prisonnier, le moment, les conditions. Machiavélique. Au sein de montagnes glaciales, au risque de rencontres d'ours affamés. Et pendant ce temps à Missoula, Laura s'active. Libérer son fils, rechercher son ex-mari Edward, après la découverte de sa voiture sans aucun signe apparent de vol ou autre accident. La préparation minutieuse et le dénouement de l'histoire qui se passe tant entre les hauts sommets du Montana, et Missoula et d'autres agglomérations. Tous circulent beaucoup en voiture évidemment, mais le plaisir éprouvé par certains dans la conduite, comme Carter capitaine mal accepté de l'équipe de la ville, parti pour rouler douze heures, dans son auto confortable où il se sent mieux peut-être qu'au bureau. La vie du jeune Indien, les manipulations des jugements ou jugés, surprennent le lecteur qui ne quitte guère les personnages, l'atmosphère. Bonne lecture où l'on découvre différentes formes de mensonges et de manipulation.