mardi 23 février 2021

Le Journal du Séducteur 3 Sören Kiergaard ( Essai Danemark )

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                        7 Avril

            " A lundi donc, à 1 heure à l'Exposition. "
            Très bien, j'aurai l'honneur de m'y trouver à 1 heure moins le quart. Un petit rendez-vous. Samedi je pris donc mon parti et je me décidai à rendre visite à mon ami Adolph Bruun presque toujours en voyage. A cette fin je me rends vers 7 heures de l'après-midi à Vestergade où, selon ce qu'on m'avait dit, il devait habiter. Mais il était introuvable, au troisième étage aussi où je parvins tout essoufflé. Sur le point de descendre l'escalier, mes oreilles sont touchées par une voix mélodieuse de femme qui dit presque en murmurant :          
             " - A lundi donc, à 1 heure à l'Exposition. A cette heure-là les autres sont sortis, mais tu sais que je n'ose jamais te voir à la maison. " 
            Il est exactement 1 heure moins le quart. Ma belle Inconnue ! Que votre futur soit à tous égards aussi ponctuel que moi, ou préfèreriez-vous peut-être qu'il n'arrive jamais un quart d'heure en avance ? Comme vous le voulez,  suis à tous égards à votre service... " Enchanteresse ravissante, fée ou sorcière, fais disparaître ton brouillard, manifeste-toi, tu es sans doute déjà là bien qu'invisible pour moi, révèle-toi, car autrement je n'ose pas m'attendre à une manifestation. Y en aurait-il plusieurs ici pour le même motif qu'elle ? C'est bien possible. Qui sait pénétrer les voies de l'homme, même lorsqu'il va à une Exposition ? 
            Voilà une jeune fille dans la première salle, elle se précipite plus vite que la mauvaise conscience ne suit le pécheur. Elle oublie de montrer sa carte d'entrée, le préposé en rouge l'arrête ? Mais, mon Dieu ! qu'elle est pressée ! Ce doit être elle; pourquoi cette ardeur intempestive ? Il n'est pas encore 1 heure et rappelez-vous que vous devez rencontrer le bien-aimé. La manière de se présenter en de telles occasions est-elle donc absolument sans importance ou est-ce dans ce sens qu'on dit qu'il faut jouer des jambes ? Quand c'est un sang jeune et innocent comme elle qui a un rendez-vous, elle s'y attaque comme une forcenée. Elle est complètement affolée. Au contraire, moi qui, confortablement installé dans mon fauteuil, ai ici devant les yeux la vue charmante d'un site agreste...
            Quel diable de jeune fille ! Elle brûle toutes les salles. Il faut pourtant voiler un peu vos désirs, rappelez-vous ce qu'on dit à Mademoiselle Lisbeth :
            " Fi ! fi ! ce n'est pas beau pour une jeune fille de laissez voir ainsi ses sentiments. "
            Enfin, s'entend l'entrevue avec ce jeune homme est bien innocente. Les amoureux considèrent d'ordinaire un rendez-vous comme l'instant le plus beau. Je me rappelle moi-même, aujourd'hui encore comme si c'était hier, la première fois où je volai vers l'endroit convenu, avec le cœur plein des joies inconnues qui m'attendaient. Je me rappelle la première fois où je frappai les trois coups dans la main, la première fois où une fenêtre s'ouvrit, la première fois où le portillon du jardin fut ouvert par la main invisible d'une jeune fille qui se cachait en l'ouvrant, la première fois où, dans la nuit claire d'été, je cachai une jeune fille sous mon manteau. 
            Pourtant beaucoup d'illusions se mêlent à cette opinion. La tierce personne qui est calme ne trouve pas toujours que les amoureux soient des plus beaux à ces instants-là. J'ai été le témoin de plusieurs rendez-vous où, bien que la jeune fille fût charmante et le jeune homme beau, bien que les amoureux aient sans doute pensé le contraire.
            On gagne en un sens par l'expérience, car il est bien vrai qu'on perd la douce inquiétude que vous donne le désir impatient, mais on gagne cette attitude qui contribue à rendre l'instant réellement beau. Je suis vexé parfois de voir un homme en pareille circonstance tellement troublé que par pur amour il est pris de " delirium tremens ". 
            A gens du village trompette de bois.
            Au lieu d'avoir assez de pondération pour jouir de l'inquiétude de la belle, pour laisser cette  inquiétude enflammer sa beauté et la chauffer, il ne produit qu'une confusion disgracieuse, mais rentre néanmoins heureux chez lui, s'imaginant qu'il a vécu quelque chose de merveilleux.
            Mais que diable devient cet homme, Il est déjà bientôt 2 heures. Oui, quelle gent magnifique que ces amoureux ! Un tel gredin qui laisse une jeune fille vous attendre ? Non merci, je suis pourtant un homme bien autrement digne de foi ! Le mieux sera sans doute de l'aborder lorsque, à présent, pour la cinquième fois, elle passera devant moi.
            " Excusez mon audace, belle mademoiselle, vous cherchez sans doute votre famille ici. Vous m'avez plusieurs fois dépassé rapidement et, en vous suivant des yeux j'ai remarqué que vous vous êtes toujours arrêtée dans l'avant-dernière salle. Vous ne savez peut-être pas que derrière elle il y a encore une salle où peut-être vous rencontrerez ceux que vous cherchez. "                                      123 RF
            Elle me fait une révérence qui lui sied bien. L'occasion est favorable. Je suis heureux que le jeune homme ne vienne pas. On pèche toujours mieux en eau trouble, lorsqu'une jeune fille est saisie d'émotion on peut utilement risquer bien des choses qui autrement ne réussiraient pas.
            Je lui ai fait la révérence avec autant de politesse qu'un étranger peut y mettre, et je suis à nouveau installé dans mon fauteuil, je regarde le site agreste et l'observe. La suivre aussitôt serait trop risqué, cela pourrait paraître indiscret, et elle serait immédiatement sur ses gardes. Maintenant elle pense que je l'ai abordée par compassion, et je suis dans ses bonnes grâces.
            Il n'y a pas âme qui vaille dans la dernière salle, et je le sais bien. La solitude aura une bonne influence sur elle. Tant qu'elle voit beaucoup de monde autour d'elle elle est inquiète, toute seule elle se calmera. Parfaitement juste, elle y reste. Sous peu j'y viendrai, en passant. Une réplique me revient encore de plein droit, oui, elle me doit presque un salut.
            Elle s'est assise, pauvre petite, elle a l'air si mélancolique. Elle a pleuré, tout au moins elle a eu les larmes aux yeux. C'est révoltant, provoquer des larmes chez une telle jeune fille ! Mais, soyez tranquille, tu seras vengée, je te vengerai, il saura ce que cela veut dire d'attendre.
            Comme elle est belle maintenant que les différentes bourrasques se sont calmées et qu'elle repose dans un état d'âme. Sa nature est mélancolie et harmonie dans la douleur. Elle est vraiment gentille. Elle est là en costume de voyage et cependant ce n'était pas elle qui devait partir. Elle l'a revêtu afin de partir à la recherche de la joie. A présent le costume représente sa douleur, car elle est comme celui dont la joie prend congé. Elle a l'air de dire adieu pour toujours au bien-aimé. Qu'il s'en aille !
            La situation est favorable, l'instant me fait signe. Ce qui importe maintenant c'est que je m'exprime de façon à avoir l'air de penser qu'elle cherchait sa famille ou des amis, mais en y mettant assez de chaleur pour que chaque mot s'harmonise avec ses sentiments, alors j'aurai bonne chance de m'insinuer dans ses pensées.
            " Au diable le gredin ! Ce type qui s'amène là est sans doute lui. Regarde-moi le maladroit maintenant que je venais de tout arranger comme je le voulais. Bien, bien, on en tirera bien quelque chose. Il faut que je reste en touche, que je trouve ma place dans la situation. Lorsqu'elle m'apercevra elle sera amenée à sourire de moi, parce que je pensais qu'elle cherchait à découvrir sa famille, alors que c'était tout autre chose. Ce sourire fait de moi un confident, c'est toujours quelque chose. 
            Mille remerciements, mon enfant. Ce sourire a pour moi plus de valeur que tu ne penses. C'est un commencement, et commencer est toujours le plus difficile. Maintenant nous nous connaissons et notre connaissance a pour base une situation piquante. Cela me suffit jusqu'à nouvel ordre. Vous ne resterez pas ici plus d'une heure, je pense. Je saurai qui vous êtes, car dans quel autre but pensez-vous la police tient-elle des bureaux de recensement ?


                  9 Avril

            Suis-je devenu aveugle ? Mon âme a-t-elle perdu son pouvoir visuel ? Je l'ai vue, mais c'est comme si j'avais eu une révélation céleste, car à nouveau son image a complètement disparu pour moi. C'est en vain que je dépense toutes les forces de mon âme pour évoquer cette image. Si jamais je la revoyais, je la reconnaitrais immédiatement, même parmi des centaines d'autres. Maintenant elle a fui et, de tout son désir, mon âme cherche vainement à l'atteindre.
            Je me promenais à Langelinie, apparemment inattentif et sans tenir compte de mon entourage, lorsque soudain je l'aperçus. Mes regards se fixèrent inébranlablement sur elle et n'obéissaient plus à la volonté de leur maître. Je ne pouvais leur imprimer aucun mouvement afin d'embrasser l'objet que je voulais voir, je ne voyais pas, je regardais fixement devant moi. Comme un escrimeur qui se fend, mon regard s'immobilisait, comme hypnotisé  dans la direction une fois prise. Impossible de le baisser, impossible de le lever, impossible de le tourner en moi-même, impossible de voir, parce que je voyais    beaucoup trop. 
            La seule chose que j'ai retenu est qu'elle portait un manteau vert, et c'est tout. C'est ce qu'on peut appeler prendre un nuage pour Junon. Elle m'a bien échappé comme Joseph à la femme de Putiphar et ne m'a laissé que son manteau. Elle était avec une dame déjà âgée qui semblait être sa mère. Celle-là je peux la décrire de pied en cap, et cela bien qu'au fond je ne l'ai pas du tout regardée et, tout au plus, n'en ai fait état qu'en passant.
            Ainsi va le monde. La jeune fille m'a impressionné, je l'ai oublié, l'autre ne m'a fait aucune impression, et c'est elle que je peux me rappeler.


                     Le 11 Avril

            Je reste toujours entravé par la même contradiction. Je sais que je l'ai vue, mais que de nouveau je l'ai oubliée, mais de sorte que le peu de souvenir qui m'en reste ne me réconforte pas. Comme si mon bien-être était en jeu, je demande cette image avec inquiétude et ardeur, et pourtant elle ne se montre pas. Je pourrais arracher mes yeux afin de les punir de leur manque de mémoire. Alors, après avoir ragé d'impatience et le calme en moi s'étant rétabli, c'est comme si un pressentiment et un souvenir tissaient une image qui, pourtant, ne peut prendre forme pour moi, parce que je ne réussis pas à l'immobiliser en un ensemble. Elle est comme un dessin dans un tissu fin, dessin plus clair que le fond, on ne peut pas le voir parce qu'il est trop pâle. Il s'agit d'une disposition bizarre qui pourtant en elle-même présente des agréments, parce qu'elle me convainc que je suis encore jeune.
 
          Une autre considération peut m'apprendre la même chose : c'est toujours parmi les jeunes filles que je cherche ma proie, et non parmi les jeunes femmes. Une femme a moins de naturel, plus de coquetteries, des rapports avec elle ne sont ni beaux ni intéressants, ils sont piquants, et le piquant vient toujours en dernier.
            Je n'avais pas espéré être capable de goûter à nouveau ces prémices d'une amourette. J'ai succombé à l'amour, j'ai obtenu ce que les nageurs appellent une passade, rien d'étonnant que je sois un peu perplexe. Tant mieux, je m'en promets d'autant plus.


                              Le 14 Avril

            Je ne me reconnais guère. Devant les tempêtes de la passion mon esprit est comme une mer orageuse. Si quelqu'un pouvait surprendre mon âme en cet état, il aurait l'impression de voir une barque s'enfoncer à pic dans la mer, comme si dans sa précipitation terrible elle devait mettre le cap sur le fond de l'abîme. Il ne verrait pas qu'au haut du mât veille un marin. Forces frénétiques, échauffez-vous, mettez-vous en mouvement, ô puissances de la passion, même si le choc de vos lames devait lancer l'écume jusqu'aux nuages, vous ne serez pas capables de vous élever au-dessus de ma tête, je reste tranquille comme le Roi des falaises. 
            C'est à peine si je peux prendre pied, comme un oiseau aquatique je cherche en vain à me plonger dans la mer orageuse de mon esprit. Et cependant un tel orage est mon élément, je bâtis dessus comme Alcedo ispida bâtit son nid sur la mer.
            Les dindons se gonflent de rage quand ils voient du rouge, et il en va ainsi de moi lorsque je vois du vert, chaque fois que je vois un manteau vert, et comme mes yeux me trompent souvent, toutes mes espérances échouent parfois à la vue d'un porteur de chaises de l'hôpital Frédéric.


                               Le 20 Avril

            Une condition capitale pour toute jouissance c'est de se limiter. Il ne semble pas que j'aurai de sitôt des renseignements sur la jeune fille qui emplit tellement mon âme et toutes les pensées que nourrissent mes regrets. Mais je vais me tenir tranquille, car il y a aussi de la douceur dans cet état d'émotion sombre et mystérieuse, et pourtant forte. J'ai toujours aimé, par une nuit de clair de lune, à aller en bateau sur l'un ou l'autre de nos lacs délicieux. Je rentre alors les voiles et les rames, je démonte le gouvernail, je m'étends de tout mon long et je regarde la voûte céleste. Lorsque les vagues bercent le bateau sur leur sein, lorsque les nuages vont au gré des vents et cachent un instant la lune pour la faire disparaître à nouveau, je trouve le repos malgré tout ce mouvement. Le balancement des vagues m'apaise. Le bruit qu'elles produisent en frappant la barque est comme une berceuse monotone, l'envol rapide des nuages, le changement de lumière et d'ombre m'enivrent, et je rêve sans fermer l'œil.
            C'est de cette façon que je m'étends aujourd'hui aussi, je rentre les voiles, je démonte le gouvernail, le désir et une espérance impatiente me bercent dans leurs bras. Désir et espérance s'apaisent de plus en plus et me transportent de plus en plus de joie. Ils me soignent comme un enfant, au-dessus de moi le ciel de l'espérance s'élève en voûte, l'image de la jeune fille plane rapidement devant mes yeux comme la lune indécise et m'éblouissant de sa lumière tantôt, et tantôt de son ombre.
            Que de jouissance à être ainsi secoué sur une eau agitée. Que de jouissance à être secoué en soi-même.


                           Le 21 Avril
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            Les jours passent et je n'en suis pas plus avancé. Les jeunes filles me donnent du plaisir plus que jamais et, cependant, je n'ai pas envie de jouir.   
        C'est elle que je cherche partout. Cela me rend souvent peu équitable, trouble ma vue, énerve ma jouissance. Maintenant viendra bientôt le beau temps où en parcourant les rues et les places on accumule des petites créances qu'en hiver, dans la vie mondaine, on peut payer assez cher. Car une jeune fille peut oublier bien des choses, mais non pas une situation.
            La vie mondaine vous met bien en rapport avec le beau sexe, mais ce n'est pas ce qu'il faut pour commencer l'aventure. Dans la vie mondaine toute jeune fille est armée, la situation est dénuée      ressources et, la même chose s'est présentée bien des fois, elle ne reçoit aucune secousse voluptueuse. Dans la rue elle est au large et c'est pourquoi tout produit un effet plus fort, tout est comme plus énigmatique. Je donne 100 rixdales pour un sourire de jeune fille dans une situation de la rue, mais pas même 10 rixdales pour une poignée de main dans le monde. Il s'agit là de monnaies d'espèces toutes différentes. L'aventure en train, on cherche dans le monde celle dont il est question. On a avec elle des intelligences secrètes qui tentent, c'est le stimulant le plus efficace que je connaisse. Elle n'ose pas en parler, mais elle y pense. Elle ne sait pas si on l'a oubliée ou non, et bientôt on l'égare d'une autre manière.
            Je crains de ne pas accumuler beaucoup de ces créances cette année, cette jeune fille occupe trop mon esprit. Mes gains seront en un sens maigres, mais j'ai bien une chance de gagner le gros lot.


                       Le 5 Mai

            Damné hasard ! Je ne t'ai jamais maudite d'être apparue, je te maudis parce que tu ne te montres pas du tout. Ou serait-ce une nouvelle invention de Toi, être inconcevable, mère stérile de tout, la seule chose qui reste de cette époque où la nécessité donna naissance à la liberté et où la liberté se laissa duper pour rentrer dans le sein de sa mère ?
            Damné hasard ! Toi, ma seule confidente, seul être que je juge digne d'être mon alliée et mon ennemie, toujours identique malgré la dissemblance, toujours inconcevable, toujours une énigme ! Toi que j'aime de toute mon âme sympathisante, toi à l'image de laquelle je me crée moi-même, pourquoi n'apparais-tu pas ? Je ne mendie pas, je ne te supplie pas humblement de te montrer de telle ou telle façon, car un tel culte serait une idolâtrie et peu agréable pour toi. Je te provoque au combat, pourquoi ne te montres-tu pas ? Ou est-ce que le balancier de l'univers s'est arrêté, est-ce que ton énigme a été résolue et que tu t'es jetée toi aussi dans les eaux éternelles ? Pensée terrible ! Le monde se serait arrêté d'ennui ! 
            Damné hasard ! je t'attends. je ne veux pas te vaincre par des principes, ni par ce que des imbéciles appellent du caractère, mais je veux te rêver ! Je ne veux pas être un poète pour les autres. Montre-toi, je te crée en rêve et je dévorerai mon propre poème, et ce sera ma nourriture. Ou bien me trouves-tu indigne ? Comme une bayadère danse à la gloire du dieu, je me suis voué à ton service, léger, peu vêtu, souple, désarmé, je renonce à tout. Je ne possède rien, je n'ai envie de rien posséder, je n'aime rien, je n'ai rien à perdre, mais grâce à cela ne suis-je pas devenu plus digne de toi, de toi qui, sans doute depuis longtemps, t'es lassée d'arracher aux hommes ce qu'ils aiment, lassée de leurs soupirs lâches et de leurs lâches prières.
            Surprends-moi, je suis prêt, aucun enjeu, luttons pour l'honneur. Faites-moi la voir, montrez-moi une chance qui paraîtra impossible, montrez-la- moi parmi les ombres du royaume des morts, je la ramènerai au jour, qu'elle me haïsse, me méprise, qu'elle se montre indifférente envers moi, qu'elle en aime un autre, je n'ai pas peur, mais remuez l'eau, interrompez le silence. M'affamer ainsi est une honte de ta part, toi qui pourtant t'imagines être plus forte que moi.


                     Le 6 Mai 

            Le printemps approche, tout est en train d'éclore, les jeunes filles aussi. Les manteaux sont mis de côté, mon manteau vert a probablement été rangé aussi. Voilà la connaissance de faire connaissance d'une jeune fille dans la rue et non pas dans le monde où on apprend tout de suite son nom et à quelle famille elle appartient, où elle habite et si elle est fiancée. Ce dernier point a une très grande importance comme renseignement pour tous les prétendants pondérés et posés, auxquels ne viendrait jamais l'idée de s'amouracher d'une jeune fille déjà fiancée. Un tel ours serait dans un mortel embarras à ma place, il serait complètement anéanti si ses efforts pour se procurer des renseignements étaient couronnés de succès et si, par-dessus le marché, il apprenait qu'elle était fiancée.
            Mais tout cela ne me donne pas beaucoup de soucis. La question des fiançailles ne constitue qu'une difficulté comique. Je ne crains ni les difficultés comiques ni celles qui sont tragiques. Les seules d'entre elles que je redoute sont les difficultés ennuyeuses. Jusqu'ici je n'ai pas pu me procurer un seul renseignement, bien qu'assurément je n'aie rien négligé et que, plusieurs fois, j'aie dû reconnaître la vérité des paroles du poète :
                                            Nox et hiems longoeque vioe, soevique dolores
                                            Mollibus his castris, et labor omnis inest. *
            Elle n'est peut-être pas du tout de Copenhague, mais de la campagne, peut-être, peut-être c'est à devenir fou de rage de tous ces peut-être, et plus il y a de ces peut-être, plus je le deviens. J'ai toujours l'argent prêt pour entreprendre le voyage. Je la cherche en vain au théâtre, aux concerts, aux bals, sur les promenades.
            En un sens, cela me fait plaisir. D'ordinaire, une jeune fille qui prend beaucoup part à ces amusements ne vaut pas d'être conquise. Il lui manque le plus souvent le caractère primitif qui, pour moi, constitue toujours une "  condition sine qua non ". Il est moins incompréhensible de trouver une Preciosa parmi les Tsiganes que dans ces parcs à bestiaux où des jeunes filles sont mises à l'encan, que ceci soit dit en toute innocence, bien entendu !

voir Ovide l'Art d'aimer


                                                                        à suivre..........

dimanche 21 février 2021

Révolte Charles Cros ( Poème France )

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                                      Révolte

            Absurde et ridicule à force d'être rose,
            A force d'être blanche, à force de cheveux
           Blonds, ondés, crépelés, à force d'avoir bleus
           Les yeux, saphirs trop vains de leur métempsychose.

            Absurde, puisqu'on n'en peut pas parler en prose,
            Ridicule, puisqu'on n'en a jamais vu deux,
            Sauf, peut-être, dans des keepsakes nuageux...
            Dépasser le réel ainsi, c'est de la pose.


            C'en est même obsédant, puisque le vert des bois
            Prend un ton d'émeraude impossible en peinture
            S'il sert de fond à ces cheveux contre nature.

            Et ces blancheurs de peau sont cause quelquefois
            Qu'on perdrait tout respect des blancheurs que le rite
            Classique admet : les lys, la neige. Ca m'irrite !


                                   Charles Cros
            

mardi 16 février 2021

Le Journal du Séducteur 2 Sören Kierkegaard ( Essai Danemark )

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                                               Le Journal du Séducteur

            Voici les lettres -

             Johannes !

            Je ne t'appelle pas " mon " Johannes, car je sais bien que tu ne l'as jamais été. J'ai été assez durement punie pour avoir laissé mon âme se délecter à cette idée. Pourtant, je t'appelle mien, mon séducteur, mon trompeur, mon ennemi, mon assassin, l'auteur de mon malheur, le tombeau de ma joie, l'abîme de mon infortune. 
            Je t'appelle mien et je m'appelle tienne, de même qu'autrefois cela te flattait les oreilles, toi qui fièrement t'inclinas pour m'adorer, à présent cela doit sonner comme une malédiction sur toi, une malédiction pour toute l'éternité.
            Ne te réjouis pas en pensant que j'aie l'intention de te poursuivre ou de m'armer d'un poignard pour t'exciter à des moqueries ! Où que tu fuies je suis pourtant tienne, va jusqu'au bout du monde, je resterai pourtant tienne, donne ton amour à des centaines d'autres, je suis pourtant tienne. Le langage même dont je me sers envers toi doit te prouver que je suis tienne. 
            Tu as eu l'audace de tromper un être de telle façon que tu es devenu tout pour cet être, pour moi, et que j'aurais infiniment de plaisir à devenir ton esclave. Je suis à toi, je suis tienne, ta malédiction.

                                                                                                Ta Cordélia

            Johannes !

            Il y avait un homme riche qui possédait des brebis et des bœufs en très grand nombre. Il y avait une pauvre petite fille qui ne possédait qu'une seule brebis mangeant de son pain et buvant de sa coupe. Tu étais l'homme riche, riche de toutes les splendeurs de la terre, j'étais la pauvre fille qui ne possédait que mon amour. Tu l'as pris et tu t'en es réjoui, puis le désir te fit signe et tu sacrifias le peu que je possédais, de tes propres richesses tu ne pus rien sacrifier.
            Il y avait un homme riche qui avait des bêtes en très grand nombre, des grosses et des petites, il y avait une pauvre petite fille qui ne possédait que son amour

                                                                                                   Ta Cordélia

            Johannes !

            N'y a-t-il donc aucun espoir ? Ton amour ne se réveillera-t-il jamais à nouveau, car je sais que tu m'as aimée, bien que je ne sache pas ce qui m'en donne l'assurance. J'attendrai, même si le temps me paraît long. J'attendrai jusqu'à ce que tu en aies assez de l'amour des autres. Alors ton amour pour moi resurgira du tombeau, alors je t'aimerai comme toujours, comme autrefois, oh Johannes ! comme autrefois ! Johannes ! Ta froideur insensible envers moi représente-t-elle ta véritable nature, ton amour, les richesses de ton coeur, n'étaient-ils que mensonge, que fiction, es-tu redevenu toi-même ? Aie patience avec mon amour, pardonne-moi de t'aimer toujours. Je le sais, mon amour est un fardeau pour toi, mais le temps viendra où tu retourneras auprès de ta Cordélia. 
            Ta Cordélia ! Ecoute ce mot suppliant ! Ta Cordélia ! Ta Cordélia !          carte-sms.weebly.com

                                     
                                                                                   Ta Cordélia 
          

            Même si Cordélia n'a pas été à la taille de ce qui chez elle provoque l'admiration pour son Johannes, il ressort cependant clairement de tout qu'elle n'a pas été dépourvu de modulation. Son état d'âme se manifeste clairement dans chacune des lettres, bien qu'elle ait manqué d'une certaine clarté dans l'expression. C'est surtout le cas pour la seconde lettre où on devine, plutôt qu'on ne comprend,
ses pensées. Mais, pour moi, cette imperfection la rend d'autant plus émouvante.

            4 Avril.

            Prudence ! Ma belle inconnue ! Prudence ! Descendre de carrosse n'est pas chose aisée, cela équivaut parfois à un cas décisif. Je pourrais vous prêter une nouvelle de Tieck, vous verriez qu'une dame en descendant de cheval se compromit à tel degré que ce pas décida du reste de sa vie. Aussi les marchepieds des carrosses sont généralement si maladroitement faits qu'on est presque forcé de renoncer à toute grâce et, en désespoir, à risquer un saut qui vous fait tomber dans les bras du cocher ou d'un valet. 
             Oui, ces gens sont enviables. Je crois vraiment que je vais essayer de trouver un engagement comme valet dans une maison où il y a des jeunes filles. Un valet devient aisément confident des secrets d'une petite damoiselle.
            " - Mais, je vous en prie, ne sautez pas, pour l'amour de Dieu, Oui, il fait sombre. Je ne vous dérangerai pas, je ne me mettrai que sous ce réverbère, il vous sera impossible de me voir et, n'est-ce pas ? on n'est jamais timide que dans la mesure où on est vu, mais on n'est toujours vu que dans la mesure où on voit. "
             Donc, par sollicitude pour le valet qui, peut-être, ne serait pas capable de résister à un tel saut, par sollicitude pour la robe de soie, item par sollicitude pour les franges de dentelles, par sollicitude pour moi, permettez à ce pied mignon dont j'ai déjà admiré l'étroitesse de tâter du monde, courez le risque de vous fier à lui, il saura bien prendre pied, et si vous frémissez un instant en pensant qu'il ne réussirait pas à trouver sur quoi se poser si vous frémissez encore après qu'il l'a trouvé, alors avancez vite l'autre pied car, qui serait assez cruel pur vous laisser planer dans cette position, qui serait assez disgracieux, assez lambin pour ne pas se hâter devant la révélation du beau ? Ou craignez-vous peut-être une tierce personne, le valet sûrement pas, ni moi non plus, car j'ai déjà bien vu le petit pied et, comme je suis naturaliste, j'ai appris par Cuvier à en tirer les conclusions les plus sûres.
            Dépêchez-vous donc ! Ah, comme cette angoisse ajoute à votre beauté. Mais l'angoisse en soi n'est pas belle, elle ne l'est qu'à l'instant où on s'aperçoit de l'énergie qui la surmonte.
            Parfait. Comme ce petit pied s'est maintenant bien implanté. J'ai remarqué que les jeunes filles qui ont de petits pieds savent généralement mieux s'y tenir ferme que celles qui ont des pieds plutôt gros de piéton. Qui y songerait ? C'est contre toute expérience, en sautant de voiture il y a bien plus de chance pour que la robe s'accroche que lorsqu'on descend tranquillement. Mais il est aussi bien toujours un peu grave pour les jeunes filles de se promener en carrosse, elles finiront par y rester. Les dentelles et les franges sont perdues, et voilà tout ! Personne n'a rien vu. Seul se montre le profil sombre d'un homme recouvert d'un manteau jusqu'aux yeux, on ne peut pas voir d'où il vient car la lumière du réverbère vous éblouit les yeux, il vous dépasse au moment où vous vous apprêtez à entrer par la porte de la maison. Juste à l'instant décisif un regard oblique se jette sur un objet. Vous rougissez, votre poitrine s'enfle trop pour pouvoir se vider en un souffle. Dans votre regard il y a de l'irritation, un fier mépris. Vos yeux, où brille une larme, sont suppliants. Larme et prière sont également belles et je les accepte avec un droit égal, car je peux représenter n'importe quoi.
            Toutefois je suis méchant. 
             Quel peut bien être le numéro de la maison ? Qu'est-ce que je vois ? Un étalage de bimbeloterie
             Ma belle inconnue, c'est peut-être révoltant de ma part, mais je suivrai le chemin éclairé...
             Elle a oublié le passé, hélas, oui ! Lorsqu'on a 17 ans, lorsque à cet âge heureux on sort pour faire des emplettes, lorsqu'on attache un plaisir indicible à chacun des objets, grands ou petits, qui vous tombe sous la main, on a l'oubli facile. Elle ne m'a pas encore vu, je me trouve à l'autre bout du comptoir, très loin, à l'écart. Un miroir est suspendu sur le mur opposé, elle n'y pense pas, mais le miroir y pense. Avec quelle fidélité n'a-t-il pas su saisir son image, il est comme un humble esclave qui prouve son attachement  par la fidélité, un esclave pour lequel elle a de l'importance mais qui n'a aucune importance pour elle, qui ose bien la comprendre, mais non pas la prendre. Ce malheureux miroir qui sait bien saisir son image, mais non la saisir, ce malheureux miroir qui ne peut pas garder son image dans le secret de ses cachettes en la dérobant à la vue du monde entier, mais qui ne sait que la révéler à d'autres, comme maintenant à moi ! 
            Quel supplice pour un homme s'il était ainsi fait. Et pourtant, n'y a-t-il pas beaucoup de gens qui sont ainsi faits, qui ne possèdent rien sauf au moment où ils le montrent aux autres, qui ne saisissent que l'apparence des choses et non pas la substance qui perdent tout au moment où celle-ci désire se montrer, exactement comme ce miroir perdrait son image si par un seul souffle elle désirait lui ouvrir son cœur.
            Si un homme était incapable de garder dans son souvenir une image de la beauté, pas même à l'instant de sa présence, il devrait désirer en être toujours éloigné et jamais trop proche pour voir la beauté de ce qu'il serre dans ses bras, et qu'il ne voit plus, mais qu'il pourrait revoir en s'éloignant et qui, au moment où il ne peut pas voir l'objet parce qu'il est proche de lui, au moment où les lèvres se joignent pour le baiser, sera tout de même visible pour les yeux de son âme... 
            Ah, comme elle est belle ! Pauvre miroir, quel supplice pour vous, mais quelle chance aussi pour vous de ne pas connaître la jalousie. Sa tête, parfaitement ovale, s'incline un peu en avant, ce qui rehausse le front. Celui-ci se dresse pur et fier, sans refléter d'aucune manière ses facultés intellectuelles. Ses cheveux foncés cernent doucement et tendrement le front. Son visage est comme un fruit, partout arrondi et replet, sa peau est transparente et mes yeux me disent qu'au toucher elle doit être comme du velours. Ses yeux, oui je ne les ai pas encore vus, il sont cachés derrière des paupières armées de franges soyeuses et crochues, dangereuses pour ceux qui cherchent son regard. Sa tête est comme celle d'une madone, imprégnée de pureté et d'innocence, elle s'incline comme la Madone, mais sans se perdre dans la contemplation de l'Unique, et il y a de la mobilité dans l'expression de son visage. 
            Ce qu'elle contemple est la variété, les multiples choses sur lesquelles les somptuosités splendides de la terre jettent un reflet. Elle ôte un gant pour montrer au miroir et à moi une main blanche droite et bien sculptée, comme une œuvre antique, et une bague d'or plate à l'annulaire, bravo ! 
            Elle lève les yeux et tout change, tout en ne changeant pas. Le front est un peu moins haut, le visage un peu moins régulièrement ovale, mais plus vivant. Elle parle avec le vendeur. Elle est gaie, heureuse et loquace. Elle a déjà choisi un, deux, trois objets, elle en prend un quatrième, le tient dans sa main, ses yeux se baissent à nouveau, elle en demande le prix, elle le met de côté, sous le gant, il s'agit sûrement d'un secret, à destination d'un... d'un fiancé ? Mais elle n'est pas fiancée.
            Je sais, hélas ! il y en a beaucoup qui ne sont pas fiancées et qui ne connaissent pas l'amour.
            Faudrait-il que je l'abandonne ? Faudrait-il que je la laisse en paix dans sa joie ?... 
            Elle s'apprête à payer, mais elle a perdu son porte-monnaie... elle donne son adresse, ce que je ne veux pas entendre, je ne veux pas me priver de la surprise. Je pense bien la rencontrer à nouveau dans la vie, et je la reconnaîtrai bien, elle me reconnaîtra peut-être moi aussi. On n'oublie pas si vite mon regard oblique. Alors, lorsque par surprise je l'aurai rencontrée là où je ne m'y attendrais pas, son tour viendra. Si elle ne me reconnaît pas, si ses regards ne m'en convainquent pas tout de suite, j'aurai bien l'occasion de la regarder de côté, et je vous promets qu'elle se rappellera la situation.
            Pas d'impatience, pas d'avidité. Il faut jouir à longs traits. Elle est prédestinée, elle sera bien rattrapée.

            Le 5 Avril.

            Voilà qui me plaît. Toute seule le soir à Oestergade. Oui, je vois bien le valet qui vous suit, et soyez persuadée que je ne vous juge pas assez mal pour penser que vous vous promeniez toute seule, croyez-moi, mon expérience ne pouvait pas manquer, dès le premier coup d'œil dans la situation, de me montrer cette grave figure. Mais pourquoi si pressée ? On est tout de même un peu anxieuse, on sent un certain battement de cœur qui ne vient pas d'un désir impatient de rentrer, mais d'une crainte impatiente qui pénètre tout le corps avec sa douce inquiétude et qui provoque le rythme accéléré des pieds.
            Mais, comme c'est délicieux, impayable, de se promener ainsi toute seule, avec le valet derrière vous...  On a seize ans, on a beaucoup lu, beaucoup lu de romans bien entendu, et en traversant par hasard la chambre des frères, on a pu surprendre un mot d'une conversation entre eux et leurs amis, un mot au sujet de Oestergade. Ensuite on a tournaillé plusieurs fois parmi eux afin, si possible, de se( mieux renseigner. Mais en vain. Il faut tout de même, comme il sied à une jeune fille déjà grande, qu'on connaisse un peu le monde.
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         Ah, si d'emblée on pouvait sortir suivi du valet. Merci ! Il y a papa et maman, regarde la tête qu'ils feraient, et quelle excuse donner ? S'il s'agit d'une réception l'occasion n'est pas bonne, elle a lieu un peu trop tôt, car j'entendais August parler de 9 heures, 10 heures. En rentrant c'est trop tard et le plus souvent on aura alors un sigisbée sur le dos. Jeudi soir, en rentrant du théâtre, serait vraiment une excellente occasion. Seulement, il faut alors toujours aller en voiture et y empaqueter aussi Madame Thomsen et ses aimables cousines. Si encore on était seule, on pourrait ouvrir la fenêtre et regarder un peu par là. 
            Seulement " unverhofft kommt oft " ( allemand : l'imprévu arrive souvent - trad. folio )
            Maman me disait aujourd'hui : 
            " - Je crains que tu n'aies pas fini aujourd'hui ce que tu brodes pour l'anniversaire de ton papa, et pour être tout à fait tranquille, va chez ta tante Jette et restes-y jusqu'à l'heure du thé ; Jens viendra alors te chercher. "
            Au fond ce n'était pas du tout une idée agréable, car chez tante Jette on s'ennuie énormément, mais après je dois rentrer seule à 9 heures avec le valet. Et lorsque Jens viendra il pourra bien attendre jusqu'à 10 heures moins le quart, et alors, en route.
            Oh ! si je pouvais rencontrer M. mon frère ou M. August. Non, tout de même, ce ne serait peut-être pas désirable, car alors je serais probablement accompagnée jusqu'à la maison.
            Merci ! La liberté avant tout. Mais si je pouvais les apercevoir sans être vue moi-même...
            Eh bien ma petite demoiselle, que voyez-vous alors, et que pensez-vous que je vois, moi ?
            D'abord la petite Mütze ( id. capeline ) qui vous va à merveille et qui est tout à fait en harmonie avec la précipitation de votre allure. Ce n'est pas un chapeau, ni un bonnet, plutôt une espèce de capeline. Mais, sûrement, ce n'était pas elle que vous portiez ce matin en sortant. Est-ce que le valet vous l'a apportée ou l'auriez-vous empruntée à tante Jette ? Vous êtes peut-être incognito. Il ne faut pas non plus laisser la voilette couvrir toute la figure lorsqu'il y a des observations à faire. Ou peut-être ne s'agit-il pas d'une voilette, mais seulement d'une large dentelle ? Les ténèbres ne me permettent pas d'être fixé là-dessus. Mais, quoi que ce soit, cela cache la partie supérieure de la figure. Le menton est assez beau, un peu trop pointu, la bouche est petite et elle s'ouvre, cela vient de ce que vous êtes trop pressée. Les dents blanches comme la neige. C'est très bien comme ça. Les dents ont une importance capitale. Elles sont un garde du corps qui se cache derrière la douceur des lèvres. Les joue flamboient de santé.
            Si on penche un peu la tête de côté il serait bien possible de s'insinuer sous cette voilette ou cette dentelle.
            Prends garde, un tel regard d'en bas est plus dangereux qu'un regard " gerade aus ". C'est comme à l'escrime, et quelle arme est aussi tranchante, aussi pénétrante dans son mouvement, aussi luisante et, grâce à cela, aussi décevante qu'un regard ? On marque une quarte haute, comme dit l'escrimeur, et on se fend en seconde. Plus l'attaque est prompte à venir, mieux ça vaut.
            Cet instant est indescriptible. L'adversaire se rend presque compte du coup, il est touché, oui, c'est ainsi, mais touché à un tout autre endroit qu'il croyait... Vaillamment elle avance, sans peur et sans reproche. 
            Prenez garde, là-bas vient quelqu'un, baissez la voilette. Ne permettez pas à son regard profane de vous souiller. Vous n'en avez aucune idée, pendant longtemps il vous serait impossible d'oublier l'angoisse abominable avec laquelle cela vous atteindrait. Vous ne le remarquez pas, mais moi je vois qu'il a embrassé la situation. Le valet a été choisi pour premier objet. Oui, vous voyez les conséquences de vous promener seule avec le valet. Il est tombé. C'est au fond ridicule, mais qu'est-ce que vous allez faire maintenant ? Retourner pour l'aider à se remettre sur pied, cela n'est pas possible. Se promener seule est grave. Prenez garde, le monstre s'approche...
            Vous ne me répondez pas. Mais regardez-moi donc. Est-ce que ma vue vous donne quelque chose à craindre ? Je ne fais aucune impression, je semble être un homme bénin d'un autre monde. Rien dans mes paroles qui vous dérange, rien qui vous rappelle la situation, aucun mouvement qui vous porte atteinte au moindre degré. Vous êtes encore un peu effrayée, vous n'avez pas encore oublié l'élan vers vous de cette figure unheimliche ( id. inquiétante ). Vous me prenez un peu en affection, ma timidité qui m'interdit de vous regarder vous donne la supériorité. Cela vous réjouit et vous rassure. Vous seriez presque tentée de vous payer ma tête. Je parie qu'à ce moment-ci vous auriez le courage de me prendre sous le bras si l'idée vous en venait... 
            Vous habitez donc à Stormgade. Vous me saluez froidement et rapidement. Est-ce tout ce que j'ai mérité, moi qui vous aide à vous tirer de tout cet embarras ? Vous le regrettez, vous revenez pour me remercier de ma courtoisie, et vous me tendez la main. Pourquoi pâlir ? Ma voix n'est-elle pas toujours la même, et mon attitude, mon regard n'est-il pas toujours calme et tranquille ? Cette poignée de main ? Une poignée de main peut donc signifier quelque chose ? Oui, beaucoup, ma petite demoiselle, beaucoup. Avant quinze jours je vous expliquerai tout. Jusque-là vous resterez dans la contradiction : je suis un homme bénin qui, comme un chevalier vient en aide à une jeune fille, et je peux aussi vous serrer la main en homme rien moins que bénin.


                                                                          
                                                              à suivre............
            

             

          


samedi 13 février 2021

Unité 8200 Dov Alfon ( Policier France )
















                                                   Unité 8200

            De Jérusalem à Macao, de l'embrasement à Paris à la poursuite d'une jeune femme blonde vêtue d'un tailleur rouge et chaussée d'escarpins rouges, qui devient le cauchemar d'Abadie et d'un jeune Israélien de 21 ans enlevé, non ! échappé des griffes d'un gang chinois, Yermanski mobilise la police française et le colonel Abadie fraîchement nommé par l'Etat Major, Tsahal, de passage à Paris pour, dit-on, rendre visite à sa mère et le commissaire Léger. Pas de repos en cette fin de journée d'avril. Israël et la France craignent que le terrorisme, l'Iran soient les sujets de luttes qui conduisent à une surchauffe de meurtres en l'espace de quelques heures. Et l'enquête commence, passant d'un chapitre l'autre de Jérusalem, Tsahal, les bunkers, les droits et devoirs des militaires des Renseignements au saccage à Paris d'une séance animée place de l'Opéra et rue Scribe au Grand Hôtel à l'hôtel Molitor où se détend une espionne chinoise, le roman file entrecoupé un court moment par la dégustation de pâtisseries tunisiennes. Et peu à peu on apprend que les Chinois sont peut-être les plus intéressés par la capture du jeune Yermanski, des tueurs vêtus de noir, lunettes sombres tirent vite, et les morts s'accumulent, livreurs de drogue et autres, du côté de Bobigny, sous les ordres de Ming arrivé à Paris dans l'un des 7 Boing 747 appartenant à des particuliers, et Mr Ming calcule en bitcoins. 20 millions. Mr Ming s'occupe de casinos à, entre autres, Macao. L'informatique est la grande compagne de chaque protagoniste. L'enquête détaillée court sur 24 heures. L'auteur connaît le sujet, ancien espion puis journaliste à Haaretz, il travaille aujourd'hui pour une édition numérique de Libération. Bonne lecture.





 


 


samedi 6 février 2021

Le Chat du Rabbin - Vol. 10 - Rentrez chez vous Joann Sfar ( Bande dessinée France )

     dargaud.com

         
                                              Le Chat du Rabbin -
                                               - Rentrez chez vous ! -


                                     

 


                                                                                                                                                                                                                                                                                  

               Au bord de la mer Zlabia, des visiteurs et le chat prudent près de l'eau donc sur l'épaule du rabbin ou du rabbin des rabbins, réplique à l'un d'eux : " Agitez vos vêtements vers la mer - Croire en Dieu c'est accepter de faire des trucs ridicules...... Dieu est un n marrant....... - Pour une fois mon chat a raison, c'est ridicule et Dieu le sait...... " Ainsi le chat sera le compagnon d'un voyage qu'entreprend la joli Zlabia qui accompagne quelques voyageurs, surtout une dame désireuse de visiter Israël, les lieux saints, pensant trouver ce que chacun cherche. Alger quittée, le séjour dans ce pays en construction, entre deux guerres, 1925, une nouvelle société, les kibboutz, le partage des taches, quitte à ramasser des cailloux sur des terres qui, plus tard, donneront fruits et herbages. De son côté la dame chrétienne découvre les églises et les soins apportés, bien partagés entre les différentes communautés. Ces visiteurs venus d'Alger ont quitté le pays après le décret Crémieux, ils sont donc devenus Français, ce qui donne à Sfar l'occasion de quelques bulles ironiques. La gente dame offrit son amitié et des biscuits à un aveugle qui dit être tombé amoureux " Ce fut un amour chaste..... " Ce qui fait bien rire le chat. Mais Zlabia est peut-être bien amoureuse d'un jeune homme distrait, sur le bateau. Elle le suit dans le pays. En définitive cet homme jeune, étrange, découvre que lui et son violon ne peuvent vivre loin de leur kibboutz. Israël quitté la bonne dame et son entourage poursuivent leur chemin vers l'Afrique. Mais là d'autres déceptions l'attendent, et la morale, s'il y en a une sera apportée par un chien que son maître veut tuer, en le pendant, pour n'avoir pas été une bonne aide durant la chasse. Sauvé une première fois, guidé  par le chat toujours habile, futé et intelligent, entraîne son nouveau copain loin du maître cruel. Mais le chien, fidèle, préfère ce maître cruel, la mort. En Israël Zlabia passe beaucoup de temps à s'étonner : " Dans le réfectoire on n'entendait que le bruit des cuillers. Puis les débats ont commencé/ Comme chez nous à table. Chacun d'eux était sénateur à Rome. - Les douches en commun !
- C'est le meilleur moyen de se débarrasser de la pudeur bourgeoise et de la bigoterie religieuse. "
De retour à Alger, Zlabia épouse son amoureux délaissé. Ils s'installent à Nice où, des décennies plus tard, en 1970, la jolie Zlabia devenue une grosse dame, son époux, ses trois enfants et le chat, chargé d'ans mais alerte, séjournent pour la première fois en Israêl. Devant le Mur des Lamentations le petit fils interpelle  : - Papi ! -" Le chat sur son épaule intervient : " - Laisse-le faire ses prières. " 
            Ce n° 10, l'un des meilleurs de la série, est précieux. Pas critique Joann Sfar constate : les conséquences pour chacun du traité de Balfour, du décret Crémieux. De l'adaptation ou non des nouveaux immigrés et de ceux qui naitront. Nombre de bulles piquent juste, ou pas, selon chacun. Vraiment bonne BD. Bonne lecture.

      

jeudi 4 février 2021

Anecdotes et Réflexions d'hier pour aujourd'hui 138 Samuel Pepys ( Journal Angleterre )

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                                                                                                         1er Avril 1665

            Eus fort à faire à mon bureau toute la  matinée, ayant à mettre au clair pour milord le trésorier général les comptes du semestre dernier. A midi dîner léger puis visite à sir Philip Warwick et en voiture chez milord le trésorier. Après un entretien où je lui fis voir mes documents, revins à la Cité et chez George Carteret que je trouvai dînant en compagnie des membres de la commission de prises chez le capitaine Cocke qui habite à Broadstreet, tous fort  gais. Entre autres, un violoneux aveugle se présenta à la porte, sir George Carteret le fit entrer en le conduisant par la main. Puis avec ce dernier chez milord le trésorier général bientôt rejoints par sir William Batten et sir John Mennes. Nous nous rendîmes devant milord et lui fîmes constater le montant de nos dépenses pour les six derniers mois ainsi que nos prévisions pour les sept mois à venir ; les premières s'élèvent à plus de 500 000 £, quant aux dernières, selon nos estimations, elles dépassent le million.
            Voir milord le trésorier se signer et s'écrier qu'il n'en pouvait mais, ni ne pourrait donner plus d'argent qu'il n'en avait, quelles que fussent la gravité des circonstances et l'ampleur de la dépense, voilà qui n'est guère pour nous réjouir. Mais, lorsque ensuite j'entendis sir George Carteret, tel un âne enragé et ignare, contre les abus de billets de solde, je crus devenir fou et eus bien du mal à tenir ma langue.
            Rentrai chez moi profondément irrité de voir de quelle stupidité nos grands hommes d'Etat se satisfont dans leurs réflexions comme dans les actions, tandis que le service du roi en pâtit furieusement
            A mon bureau très tard, au point de manquer de sommeil à force de veiller la nuit et de courir de droite et de gauche.


                                                                                                                     2 avril
                                                                                                Jour du Seigneur
            A mon bureau toute la matinée. J'ai renouvelé par écrit mes promesses. Chez moi pour le dîner. Mr Tasborough, l'un des secrétaires de Mr Povey passa l'après-midi avec moi au sujet des comptes de son maître. Le soir chantai avec Mr Andrews et Hill, ils ne restèrent point souper. Après quoi, au lit.


                                                                                                                          3 avril

            Leve. Chez le duc d'Albemarle, puis au palais de Whitehall où j'eus fort à faire. Chez moi dîner. Avec Creed, ma femme et Mercer, au Théâtre du Duc voir une pièce de milord Orrery, Mustapha. La pièce étant médiocre le rôle tenu par Betterton ainsi que celui de Ianthe étaient d'un tel commun que nous en sortîmes mécontents. A la maison, puis à mon bureau un moment, rentrai souper et, au lit. Le seul agrément de la soirée au théâtre fut la présence du roi et de milady Castlemaine, ainsi que celle de la jolie Nell, cette actrice pleine d'esprit qui joue au Théâtre du Roi, et de la jeune Marshall, toutes deux assises près de nous, ce qui me plut fort.


                                                                                                                                4 avril
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            Travaillai toute la matinée à mon bureau. A midi à la Bourse, puis montai à l'étage acheter une paire de bas de coton, à cette boutique tenue par celui qui a la plus jolie femme alentour. Elle m'invita à lui acheter aussi du linge, et j'en profitai pour lui commander quelques tours de cou, avec l'intention de faire d'elle ma couturière. C'est une des plus jolies femmes que j'aie jamais vues, et de mine fort
honnête
            Dînai chez moi puis à mon bureau, très tard, au point de m'endormir, dodelinant de la tête plusieurs fois au milieu de mes lettres.


                                                                                                                                5 avril

            Aujourd'hui fut un jour de jeûne public, sur ordre du roi, observé à l'occasion de la guerre contre la Hollande. Me rendis tôt chez milord Tooker que j'ai engagé dans la marine afin qu'il gère l'expédition des marchandises en temps voulu, d'ici vers la flotte ou ailleurs. Le conduisis à Woolwich et Deptford où j'avais été depuis longtemps empêché de me rendre en raison de mes affaires. Travaillâmes beaucoup. Puis chez moi où je trouvai Creed comme il me l'avait promis, et nous sortîmes en voiture avec ma femme et Mercer, prendre l'air. Nous rendîmes à Hackney, où nous sommes déjà allés, et mangeâmes des poulets que nous avions emportés ainsi que d'autres victuailles, puis rentrâmes après une ou deux parties de galets. Creed resta avec moi mais, comme il avait sommeil, il ne se sentait point l'esprit à parler affaires, si bien que je l'ai invité, sans le commander, à rester dormir chez moi. On se coucha donc, lui et moi, puis on s'endormit. C'est la première fois que j'ai pris autant de plaisir et de grand air depuis plusieurs semaines, voire des mois.


                                                                                                                             6 avril 1665

            A mon bureau toute la matinée où, en l'absence de sir William Batten sir George Carteret, qui s'était emporté pour l'affaire des billets de solde, s'en prit à sir William Batten pour ses propos au sujet des signatures de billet et le traita devant nous, à table, les commis s'étant retirés, de " fieffé merdeux ", ce qui me contraria.
            A midi à la Bourse où je soumis mon affaire à sir William Warren, à savoir l'acquisition d'allèges pour le roi, pour lesquelles, je crois, il me consentira un bon prix, je m'en réjouis. 
            Chez moi et, après avoir avalé un morceau, à mon bureau jusqu'à 6 heures. Au palais de Whitehall où, avec sir George Carteret et milord Brouncker, vîmes le duc d'Albemarle pour la question des fonds.
            Puis chez mon barbier Jervas au sujet de ma perruque laissée chez lui pour être remise en état. J'apprends que Jane, tout à fait perdue de réputation, a pris ce bon à rien pour mari, bien qu'ils ne soient pas mariés et qu'elle l'a fréquenté pendant plusieurs semaines, alors qu'il avait déjà femme et enfants, et qu'elle va partir en Irlande.
            Fis venir ma femme à la Bourse. A la maison puis à mon bureau où j'écrivis des lettres jusqu'à une heure du matin, près encore une fois de tomber de sommeil. On parle beaucoup d'une nouvelle comète, et il en est apparu une, la chose ne fait aucun doute, largement aussi brillante que la précédente, mais je ne l'ai point vue de mes propres yeux.


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            Levé tôt, chez le duc d'Albemarle au sujet de l'argent qu'il nous faut obtenir pour la marine, faute de quoi nous devrons fermer boutique. De là à Westminster Hall, fis quelques allées et venues, sans plus. Revins à la Cité afin d'éviter de dîner avec Povey, revins à Westminster chez Herbert où je dînai. Ensuite chez milord le trésorier général, trouvai sir Philip Warwick, puis à Whiehall au cabinet de milord jusqu'à la nuit tombée, parlâmes environ quatre heures de l'affaire des dépenses de la marine et de la manière dont sir George Carteret dirige les choses, nous laissant dans l'ignorance de ce qu'il fait de son argent. En outre, sir Philip ne me cacha pas à quoi se trouvait le roi pour obtenir de l'argent pour la marine. Il m'assura qu'il lui était impossible de trouver des fonds, à moins de persuader quelques nobles ou gentilshommes riches et fortunés de lui consentir un prêt, ou de convaincre la Cité. " Nous avons déjà, explique-t-il, dépensé le tiers de trois ans de recettes fiscales, soit 2 500 000. "
 
          Me voilà fort satisfait des discussions de la journée, sauf que je crains de perdre le crédit de sir George Carteret qui sait l'entretien que j'ai ici, dans le privé, toute la journée avec sir Philip Warwick. Quoiqu'il en soit je veillerai à ce qu'il en soit aussi peu offensé que possible. 
            Chez moi, à mon bureau puis, au lit.  


                                                                                                                      8 avril

            Levé, au bureau toute la matinée fort occupé. A midi dîner avec milord Povey. Nous examinâmes ensemble l'une de ses affaires. Me rendis ensuite chez milord le chancelier où je pensais m'entretenir avec le duc d'Albemarle, mais le roi et le Conseil étant occupés, je ne le pus.
             A l'ancienne Bourse achetai quatre tours de cou chez ma jolie nouvelle couturière.
             Rentré chez moi trouvai ma maison frottée de fond en comble, puis à mon bureau très tard, jusqu'à plus de minuit. Rentrai me coucher.
             Les ambassadeurs de France sont arrivés incognito, devançant leur suite qui suivra en grande pompe. On pense qu'ils sont venus afin de convaincre notre roi de se joindre au roi de France pour l'aider dans sa lutte contre la Flandre, tandis qu'eux nous aideraient contre la Hollande. Voilà déjà longtemps qu'une grosse escadre est postée à Harwich. Les Hollandais n'ont pas encore déployé la leur, dit-on. Quant à nous, si notre escadre était défaite, nous aurions beau faire tout notre possible, m'est avis que nous serions incapables de faire appareiller une autre flottille. Dieu nous accorde la paix ! je l'en supplie.


                                                                                                                       9 avril
                                                                                                  Jour du Seigneur
            Le matin, à l'église avec ma femme parée de sa nouvelle robe de soie claire, ma foi des plus élégantes, avec sa nouvelle dentelle. Dînai à la maison, puis à Fenchurch l'après-midi. Cette petite église au milieu de Fenchurch Street où se trouvait fort peu de monde et presque aucune personne de rang. 
            Après le sermon, chez moi. Le soir allâmes marcher dans le parc, et milady Penn et sa fille se promenèrent avec moi. Rentrâmes à la maison manger tous ensemble, et ce fut fort gai, puis nous quittâmes et, au lit.


                                                                                                                                                                                                                                                                                                10 avril
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            Levé et chez le duc d'Albemarle, de là au palais de Whitehall à une séance de la commission de Tanger où de nouvelles irrégularités apparaissent dans les comptes de milord Povey, à tel point que je désespère de pouvoir jamais lui succéder aux affaires de la Trésorerie. Le capitaine Cooke vint me trouver et parut mécontent de mon petit valet, Tom qui ne consacre pas assez de temps à son chant et à son luth. A cela je lui répondis sans ambages que selon son désir je m'en allais lui donner une bastonnade. A la Bourse et de là au vieux Jacques pour dîner avec quelques lords afin de discuter de la question du chanvre. Puis à Whitehall pour présenter mes devoirs au roi et au lord chancelier au sujet des dettes de la marine et afin d'obtenir de l'argent. Mais l'entrevue n'eut pas lieu. Milord Brouncker m'emmena donc, ainsi que sir Thomas Harvey, dans sa voiture, au parc, mais la poussière y est fort gênante et on ne vit guère de grandes beautés aujourd'hui, hormis Mrs Myddleton.
            Revins à mon bureau où Mr Warren m'offrit 100 livres en échange de ma protection pour un navire qui doit quitter le port. Ce que je ferai, je crois. Rentrai, souper et, au lit.


                                                                                                                      11 avril

            Levé et me rendis très tôt chez l'échevin Chiverton afin de régler le problème du chanvre, puis revins à mon bureau. A midi dînai à la taverne du Soleil, derrière la Bourse, avec sir Edward Dering, son frère et le commissaire Pett, car nous avons ce jour signé un contrat avec sir Edward au sujet du bois. Puis à mon bureau où j'eus fort à faire. Mais à la peine que je me donne vient s'ajouter l'espoir de quelques bénéfices. Rentrai souper et, au lit.


                                                                                                                12 avril 1665

             Dînai chez moi puis regagnai Whitehall, où je gaspillai le plus clair de mon temps ces jours-ci, et cela ne me vaut que soucis, surcroît de travail, pertes de temps et manque à gagner.
   
        La séance levée, sir George Carteret, milord Brouncker et sir Thomas Harvey descendîmes au cabinet de milord le trésorier afin de le voir ainsi que le duc d'Albemarle. Je leur fis un compte rendu général du coût de la marine et de nos besoins en argent. Ce fut alors un spectacle des plus curieux : ils levèrent les bras au ciel en criant : 
            " - Mais que signifie tout ceci, Mr Pepys ? C'est la vérité, direz-vous, mais que voulez-vous que j'y fasse ? J'ai donné tout ce qu'il était en mon pouvoir de donner. Pourquoi refuse-t-on de donner de l'argent ? Pourquoi n'accorde-t-on pas au roi la confiance qu'on accordait à Olivier ? Pourquoi nos prises se réduisent-elles à rien, alors qu'elles nous rapportaient tant jadis ? "
            Ce fut la seule réponse qu'on nous fit, et nous partîmes sans obtenir davantage. Et c'est ma foi fort triste de voir une époque comme celle-ci, alors qu'on se lance dans la plus grande entreprise jamais envisagée en Angleterre, on se moque de tout, on laisse tout aller à vau-l'eau, tant bien que mal.
            Rentré contrarié. En chemin me rendis chez milady Batten. Je vis un grand nombre de femmes dans sa chambre, toutes fort ébaudies. Il y avait, entre autres, milady Penn et sa fille. Milady Penn me renversa sur le lit, se jeta elle-même par-dessus moi, puis avec d'autres, puis chacune à son tour, et on se divertit beaucoup.  Rentrai chez moi et priai ma femme de venir souper avec milady Penn, et je fus aussi gai que possible, tout irrité que j'étais. Puis, au lit.


                                                                                                                  13 avril

            Restai au lit un moment quelque peu indisposé par des vents, mais pas outre mesure. Puis à mon bureau toute la matinée. A midi dînai chez le shérif Waterman, étaient présents tous les membres du bureau qui étaient à Londres, ainsi que nos épouses, milady Carteret, ses filles, milady Batten, Penn etc. La chère fut bonne, la compagnie aussi. Le dîner fut accompagné et suivi de musique, un gaillard dansa une gigue, mais lorsque toute la compagnie se mit à danser je m'échappai, de peur d'y être entraîné. Dieu seul sait comment ma femme s'est comportée ! Toujours est-il que je l'ai laissée tenter sa chance.
            Rentré, tard à mon bureau, puis chez moi, souper et, au lit.


                                                                                                                           14 avril
                                                                                                                                  pinterest.fr
            Levé, de bonne heure chez Mr Povey, désireux de m'être fin à mon inquiétude pour mon affaire de la commission de Tanger et de savoir s'il avait l'intention d'accepter l'offre de milord Ashley, à savoir qu'il redevint trésorier. Je proposai alors, avec un semblant d'extrême générosité, qu'il reprit ses fonctions dans les termes qu'il estimait lui convenir, mais il me jura qu'il n'en ferait rien, au grand jamais, ce qui pour lors me satisfit. 
            Mais après l'avoir quitté rencontrai Creed dont les paroles me laissèrent craindre que, de par sa nature même, la situation n'exigeât qu'il fut réinvesti dans ses fonctions. Il me fit part des raisons avancées par les comptables qui, je dois l'avouer, coulent tellement de source, que je ne vois guère comment les contrer. Mais il me conseilla le plus ingénieusement du monde la conduite à suivre. Aussitôt, voyant arriver milord Berkeley en compagnie d'autres membres de la commission, bien que ne tenant pas réunion, j'obtins qu'ils donnassent l'ordre du transfert du solde des comptes de Povey à mon nom, ordre s'il est accepté, me sera d'un grand secours dans l'obtention du poste.
            A midi chez un traiteur dans Charing Cross avec Creed, où nous pûmes dîner et discuter à loisir. Il me parla fort pertinemment de mon affaire et d'autres, parmi lesquelles le double jeu que joue avec nous William Howe, ce qui nous révéla à l'un et à l'autre qu'il joue différemment devant nous et dans notre dos. Quel fieffé fourbe en vérité. 
            Retour à Whitehall où passai l'après-midi. Passai chez moi prendre une lettre destinée au Conseil puis retournai à Whitehall. Marchai une heure en compagnie de Mr Wren, secrétaire de milord le chancelier et de Mr Agar. Puis chez Unthank où je passai prendre ma femme. Traversâmes ensemble la Cité jusqu'à Mile End Green pour manger des gâteaux à la crème. Revînmes à la maison, à mon bureau un moment, rentrai souper et, au lit.
            Ce matin, la première nouvelle qui frappa mon oreille fut que les flottes, la notre et la hollandaise, s'étaient livré bataille. Qu'à Walthamstrow on avait entendu gronder toute la journée les bouches à feu et que le capitaine Teddema avait eu les jambes emportées par un boulet à bord du Royal Catherine. Mais dans la soirée j'entends le contraire, à la fois par les lettres que j'ai reçues et par les messagers venus de là-bas, à savoir que les nôtres sont tous saufs, que l'ennemi ne s'est pas encore montré, que le Royal Catherine a rejoint la flotte, et ne dépare pas parmi les autres navires du roi, ce dont je me réjouis de tout cœur, à la fois au nom de Christopher Pett et de celui du capitaine Teddeman qui est à son bord.


                                                                                                                         15 avril

            Levé et à Whitehall pour plusieurs affaires, mais tout d'abord pour voir si Creed a fait avancer mes autorisations de paiement pour Tanger. Mais j'apprends, à mon désarroi, qu'elles ne sont pas prêtes. Revins à mon bureau où fus occupé tout l'après-midi et jusque très tard. Rentrai souper et me couchai, las.


                                                       à suivre.......................

                                                                                                             16 Avril 1665

            Restai............                                                                                                                                                                                                                                                                                                  






















mercredi 3 février 2021

Le coffret de Santal Charles Cros ( Poèmes France )

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                   Le Coffret de Santal 

            Au plus grand nombre je déplais,
            Car je semble tombé des nues,
            Rêvant de terres inconnues
            D'où j'exile les gens trop laids.

            La tête au vent, je contemplais
            Le ciel, les bois, les splendeurs nues.
            Quelques rimes me sont venues.
            Public, prends-les ou laisse-les.

            Je les multiplie et les sème
            Pour que, par hasard, ceux que j'aime
            Puissent les trouver sous leurs pas.


            Quand ceux-là diront que j'existe,
            La foule, qui ne comprend pas,
            Paiera. C'est l'espoir de l'artiste.


                             Charles Cros
                                                                                                                                                                                                                                     ce1ce2curie.canalblog.com