samedi 3 avril 2021

Autobiographie d'une Courgette Gilles Paris ( Roman France )


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                                         Autobiographie d'une Courgette

            Courgette n'aime pas être appelé Icare, cela ne présage rien d'agréable. Habitué aux gifles à cinq doigts que sa mère distribue généreusement, il gère sa vie, mais il n'a que neuf ans, et l'accident redoutable tranche, sa vie auprès du voisin dépenaillé qui ne parle qu'au cochon, jouer aux billes avec ses deux copains, c'est fini. Et Courgette " voudrait tuer le ciel ". Il voudrait aussi interroger son papa, parti avec une poule dit sa mère, ce qui laisse le jeune garçon incrédule : il ne savait pas qu'on pouvait emporter une poule en voyage. Son papa ne répond pas, il n'a pas tué le ciel. Seul Raymond, le gendarme, lui-même père de Victor et veuf, à peine remis de son chagrin, conduit Icare dans une maison d'accueil. Courgette, tous l'appelleront ainsi, s'adapte et fait connaissance avec des enfants qui ont le chagrin enfoui, mais se défendent dans cette maison où Rosy confortable soigne et veille, Geneviève, ainsi doivent l'appeler les petits pensionnaires, la directrice punit, sourit, sévère mais récompense, Simon qui sait tout sur tout le monde. Un jour il dira à Icare-Courgette, qu'il a du soleil dans le coeur , alors que chez lui il n'y a que des nuages, il a vu ses parents mourir d'une overdose. Il y a celui dont le père est en prison, il sort et rend visite. Résultat imprévu. Et quelques autres, et arrive Camille, petite fille traînée par une tante, la sorcière, et dès leur premier regard, c'est l'amour qui jaillit " ils se font des yeux terribles ". Mais Camille a parfois les yeux brumeux, elle dira " avoir un papa, une maman, une maison et une chambre à soi, c'est mieux, " même si sa maman décousait, transformait des vêtements le jour, et réparait les coeurs de messieurs qui passaient la nuit et parfois le père revenait et alors, drame.
Le cuisinier les gâte, la piscine, le mardi, Raymond le dimanche. Les enfants ne sont malheureux que lorsque le passé remonte encombrer les esprits. Raymond, " sa chemise est toujours sortie de son pantalon à cause de son ventre et il transpire sous son blouson.... " Simon joue les durs, je sais tout mais " Simon dit rien, même ses larmes c'est que du silence.... " Raymond toujours et encore qui réserve des surprises aux deux enfants devenus inséparables, Raymond et sa mère en chaise roulante une journée à la plage. Simon je sais-tout à Courgette très interrogatif : " .... l'âge est comme un élastique et que les enfants et les gens très âgés tirent dessus chacun à un bout, et il finit par craquer et c'est toujours les gens âgés qui se prennent l'élastique dans la figure et après ils meurent..... - Quand j'étais petit ma grand-mère à moi était déjà au ciel à tricoter des pulls aux anges...... " Les enfants jouent à prendre des photos " ..... sauf ma grand-mère qui tricote un pull.... elle a pas le temps de le finir sur terre : < elle fait une crise du coeur >...... " Et oui, Raymond réserve une jolie surprise à deux petits privilégiés, qui ne fera pas que des heureux parmi les autres, mais ainsi va la vie.
            Roman écrit sous la plume de Courgette, toujours vif, pensées d'enfant réflexions d'adulte, l'histoire pourrait n'être que tristesse, mais bien menée, elle tient son lecteur, sourire aux lèvres. Livre paru il y a plusieurs années, primé de multiples fois, un film tiré des aventures de Courgette and Co césarisé, présenté aux Oscars. Une histoire sans âge. 5è roman de Gilles Paris qui l'écrivit lors de circonstances difficiles, dit-il, et connut là son premier grand succès de librairie. Vraiment joli roman pour toutes les générations. Bonne lecture.



            

vendredi 2 avril 2021

Anecdotes et Réflexions d'hier pour aujourd'hui 140 SamuelComm Pepys ( Journal Angleterre )









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                                                                                                             1er Mai 1665

            Levé, chez Mr Povey, à son chevet avons longuement parlé. A ce que je vois il insiste longuement, entre autres, sur la difficulté de se procurer de l'argent, et souhaiterait que je contribue à imaginer quelque moyen de me défaire de la charge de trésorier en faveur d'un dénommé Ball. J'affichai mon mépris pour cette suggestion et résolus de faire de mon mieux ou de renoncer.
            Chez le duc d'Albemarle où je fus chagrin d'arriver un peu en retard. Puis chez moi et, à midi, à la Bourse, rencontrai Mr Brouncker, sir Robert Moray et Mr Hooke qui se rendaient en voiture dîner chez le colonel Blount si bien qu'ils s'arrêtèrent et me prirent au passage. Descendîmes à l'embarcadère de la Tour puis, par voie d'eau, à Greenwich, où noud attendaient des voitures qui nous conduisirent à sa résidence, un manoir de toute beauté, tant par son site que par ses cultures admirables, parmi lesquelles un vignoble, chose que je n'avais encore jamais vue. Le repas fut quelconque et on ne se divertit guère, sauf après dîner, lorsque nous allâmes expérimenter divers procédés destinés à rendre les voitures confortables. Parmi celles qu'on essaya une seule se révéla d'un grand confort : toute la caisse de la voiture repose sur un seul long ressort. Et chacun de faire un tour après l'autre. Belle invention et qui devrait avoir du succès. La compagnie étant venue tout exprès pour ces essais, ma foi prometteurs.
            Revînmes en voiture à Greenwich, puis prîmes le canot de plaisance du colonel pour aller à Deptford. Descendîmes pour nous rendre chez Mr Evelyn. Fort belle demeure, mais comme le jour tombait et qu'il se faisait tard, je ne restai pas. Revins à pied jusqu'à Rotherhithe, accompagné du doyen Wilkins et de Mr Hooke, satisfaits des conversations intéressantes de la journée.
            Comme il était tard les invitai à se rafraîchir chez moi, leur donnai quelques friandises et une lanterne pour rentrer chez eux. Il n'y a pas en Angleterre, ni dans le monde, je crois, hommes plus respectables que ces deux-là.
            Ensuite chez milady Batten où ma femme a passé la soirée et après avoir bavardé gaiement, rentrai et, au lit.


                                                                                                                     2 mai

            Levé et à mon bureau toute la journée, fort tard. puis y retournai derechef, et comme il avait été décidé hier, sir William Batten, milady, ma femme et moi, allâmes à la taverne du Vin du Rhin à Steelyard, mangeâmes des langoustes et des salicoques, fort réjouis de nous voir réunis tous les quatre, alors que ma femme et milady brouillées depuis un an, avaient dit ne jamais vouloir se fréquenter à nouveau. Fûmes bientôt rejoints par sir Richard Ford ainsi que Mrs Esther qui vivait auparavant chez milady Batten, mais que voilà mariée, et fort bien, à un pasteur venus voir milady.
            Rentrâmes dans la soirée, puis à mon bureau où restai tard, puis chez moi, souper et, au lit.


                                                                                                                                  3 mai

            Levé tôt et à pied chez sir Philip Warwick. Passai avec lui un long moment dans son cabinet, en privé, parler de l'affaire de sir George Carteret et des préjudices qu'il fait subir au pays en se montrant mauvais payeur, ce qui nous tourmente tous deux, et je ne vois guère d'espoir d'y remédier, à ma connaissance. Puis chez milord Ashley pour une séance de la commission de Tanger portant sur les comptes de milord Rutherford. Allâmes ensuite chez milord le trésorier où je reçus un pouvoir adressé à sir Robert Long afin qu'il m'autorisât par mandat à encocher des tailles.
            Derechef à l'auberge près de Cripplegate croyant y trouver ma mère qui doit venir à Londres, mais elle n'y était point, pas plus que la semaine dernière, la diligence étant bondée.

            A la Bourse, puis rentrai dîner. Ressortis pour me rendre à Gresham College, où je vis un chat mourir sous l'effet du poison du duc de Florence. La preuve fut faite sous mes yeux que l'huile de tabac, extraite par les soins d'un membre de la Société, a le même effet, et à l'examen, n'est autre que ce poison lui-même, identique quant à sa couleur, son odeur et ses effets. Je vis aussi un avorton conservé dans l'esprit de sel. Nous partîmes, puis à Whitehall, à la Chambre du Conseil, au sujet d'un arrêt relatif à la marine, nous donnant pouvoir d'écrouer les marins ou les lieutenants de vaisseau qui, engagés ou enrôlés de force se refusent à faire leur devoir, mais ne pûmes l'obtenir. Rentrai donc, contrarié car j'avais adressé une note au duc d'Albemarle, sous ma propre signature. A mon bureau quelque temps puis, au lit.
            Milord Hyde, président du tribunal du Banc du roi, est mort               amazon                                             subitement cette semaine, il y a un jour ou deux, d'apoplexie.


                                                                                                                           4 mai

            Levé et à mon bureau. Fûmes occupés toute la matinée. A midi rentrai dîner puis, derechef, à mon bureau toute la journée, jusqu'à près de minuit. Rentrai las, souper et, au lit.


                                                                                                                                5 mai

            Levé tôt. Par le fleuve à Westminster, m'entretins pour la première fois avec sir Robert Long et lui donnai mon sceau privé ainsi que l'arrêt de milord le trésorier pour les tailles de Tanger. Il me reçut assez aimablement. Repartis par le fleuve puis descendis aussitôt vers Woolwich et jusqu'à Blackwall où je vis la Brèche qui doit être aménagée en bassin de mâtage. Puis à Deptford, à la taverne du Globe, où milord Brouncker, sir John Mennes, sir William Batten et le commissaire Pett étaient attablés après être allés eux aussi à la Brèche, mais ils estiment le coût de l'aménagement trop élevé.
            Après dîner chez Mr Evelyn qui était sort, si bien que nous nous promenâmes dans son jardin, magnifique et imposant en vérité avec, entre autres curiosités, une ruche. Comme il est plaisant de voir les abeilles dans leur ruche de verre, faire leur miel et leurs rayons. Repartis, puis passai voir Mr Povey qui, souffrant, garde encore la chambre. Sur son conseil me rendis chez un certain Lovett, vernisseur, afin d'y voir son nouveau procédé de vernissage. Ne le trouvai pas chez lui, mais son épouse, fort jolie femme, me fit voir divers échantillons d'un travail admirable. Etais venu au sujet de mes feuillets afin d'y tracer des lignes, pour mes inventaires, entre autres. Je ne saurais dire si c'était les échantillons eux-mêmes qui me plurent, ou le fait que ce fût elle qui me les montrât, mais me voilà résolu à faire venir quelques feuillets. Puis à mon bureau tard, puis souper et, au lit.
            Ma femme m'apprend que ma pauvre tante, Mrs James, s'est fait amputer d'un sein à Londres, elle avait depuis longtemps une tumeur.
            Aujourd'hui, alors que je me laissais pousser les cheveux, afin de les avoir longs, je trouve si commode de mettre une perruque que je me les suis recoupés très courts. Je m'en tiendrai dorénavant aux perruques.


                                                                                                                       6 mai 1665

            Levé et à mon bureau toute la journée, sauf pendant le dîner. Restai jusqu'à plus de minuit. Rentrai me coucher satisfait, comme je le suis toujours lorsque j'ai abattu force besogne, ce qui me réjouit grandement.


                                                                                                                          7 mai
                                                                                                    Jour du Seigneur
            Levé, puis à l'église avec ma femme. Rentrâmes dîner et arriva Mr Andrews. Il passa l'après-midi avec moi pour discuter de notre affaire de subsistance pour Tanger. Après le sermon arrivèrent Mr Hill et un gentilhomme, un certain Mr Scott, qui chante aussi fort bien, puis revint Mr Andrews et tous ensemble nous chantâmes, puis soupâmes. On rechanta ensuite et ce fut un dimanche agréable et tranquille. Allai un moment à mon bureau, puis chez moi, prières et, au lit.
            Hier ma femme a commencé à apprendre le dessin d'un certain Browne, mais Mr Hill l'aide également. D'après son premier dessin qui a pour sujet des yeux, je crois qu'elle fera de belles choses. Je m'en réjouirai.


                                                                                                                           8 mai

            Levé fort matin, travaillai bien avant de sortir voir diverses personnes, dont le capitaine Taylor qui voudrait me laisser en grande partie la conduite de ses affaires maintenant qu'il part pour Harwich. Si la chose me rapporte de l'argent, comme je le crois, j'accepterai de lui rendre quelques services.
            Puis avec sir William Batten chez le duc d'Albemarle où beaucoup de besogne, et à la Bourse. Dîner avec sir William Warren dans une gargote et parlâmes avec grand profit jusqu'à 5 heures de l'après-midi. Rentrai, eus fort à faire très tard, puis chez moi et, au lit.


                                                                                                                           9 mai

            Levé tôt, vaquai à mes affaires au bureau toute la matinée. A midi Mrs Theophilia Turner vint dîner, le maître à dessiner de ma femme resta aussi, et je me réjouis à l'idée que ma femme mène à bien cette entreprise. Llewellyn dîna aussi avec nous. J'allai ensuite à mon bureau, travaillai jusqu'à près de minuit, puis rentrai, souper et, au lit.                                                                          pinterest/com
            La nouvelle est arrivée aujourd'hui que huit vaisseaux furent capturés par quelques-uns des nôtres, alors qu'ils approchaient de l'île de Texel, les deux bâtiments de ligne qui les convoyaient s'étant réfugiés dans le port. Ils venaient des parages d'Irlande et étaient passés par le nord.


                                                                                                                         10 mai 19665

            Levé tôt, allai au Cockpit où le duc nous fit part, à sir William Batten et à moi, de la récente capture des huit vaisseaux et de son intention de ramener immédiatement la flotte à Gunfleet, ce qui nous force hâte et grands préparatifs en vue de l'arrivée de la flotte. Puis chez Mr Povey, conversâmes, puis allai à Southwork mander quelques soldats de la garde, sur ordre du Duc, afin d'aider à maintenir
les hommes enrôlés de force à bord de nos vaisseaux. Puis à la Bourse où nous fûmes fort affairés, puis dîner chez moi où je trouve ma pauvre mère, arrivée aujourd'hui de la campagne, en bonne santé. Et je me réjouis de la voir, mais mes affaires, et je le déplore, m'empêchent de lui rendre les hommages qui lui sont dus à sa première visite. Elle n'a plus guère sa tête et radote parfois lorsqu'elle parle, ce qui est dû à l'âge mais aussi à quelque tare héréditaire. Les laissai, elle et ma femme, sortir faire des achats, et m'en retournai à mon bureau. Le soir, à une taverne toute proche, retrouvai, comme convenu, sir William Warren et Mr Dering afin d'aboutir à un accord dans une grosse affaire de madriers. Rentrai, à mon bureau, puis souper et, au lit, ma mère étant déjà couchée.


                                                                                                                 11 mai

            Levé tôt et à mon bureau toute la matinée. Dînai à la maison, puis au bureau toute la journée jusqu'au soir tard. Rentrai, souper, las de travailler et, au lit.


                                                                                                                  12 mai

            Levé tôt. Eus la déception de recevoir à l'instant la somme de 50 £, espérant davantage de la part de Mr Warren en remerciement de mon autorisation d'exemption de la presse, mais il me promet de faire mieux. Puis, par voie d'eau, à l'Echiquier, dont je parcourus tous les bureaux afin de faire encocher mes tailles pour un montant de 17 500 £. J'y vois le témoignage insigne que la bonté de Dieu a pour moi. En être venu, pauvre petit commis que j'étais, à ordonner moi-même l'encochage de tailles pour une telle somme et au titre où je le fais à présent, voilà qui relève, à mes yeux, d'une grâce prodigieuse. Je les ferai encocher demain. Mais voir comment un modeste quidam prend soin de ses rétributions et encaisse ce qu'il peut à chaque occasion, les taxes du roi qu'il doit lui-même payer sur ces 17 500 £ devant dépasser les 100£, voilà qui est singulière matière à réflexion.
            Puis retrouvai ma femme chez Unthank, allâmes à la nouvelle Bourse et ailleurs afin de m'acheter un col de dentelle, que nous n'achetâmes point. M'est avis que les habits élégants sont chose si indispensable que je ne peux faire autrement que d'y investir quelque argent.
            A la Bourse, puis chez mon horloger qui a fait la réparation. C'est une belle pièce, robuste qui, me dit-il, vaut 14 livres. Le cadeau a plus de valeur que je ne lui en donnai.         Rivagedeboheme
            Rentrai dîner, puis plusieurs personnes arrivèrent, parmi lesquelles mon cousin d'Hatcham, Thomas Pepys, venu toucher son dû de milord Sandwich. Lui payai aussi ce qui lui revenait au titre de la dette de mon oncle et, contre toute attente, je pus obtenir de lui qu'il signât et scellât ma vente de terres en liquidation de dettes, si bien que je m'estimes plus riche dorénavant de 100 livres. Alors que naguère mon oncle Thomas ou ses enfants, pour chaque arpent de terre vendu pouvait me demander des comptes, à moi ou à mes descendants. Voilà, me semble-t-il, une fort excellente chose que d'en avoir terminé avec tout cela.
            Lui parti, entrèrent Mr Povey, le Dr Twysden et Mr Lawson, venus quérir mon cautionnement pour le règlement de 4 000 £ accordés à sir John Lawson.
            Sortis un moment, puis revins. A mon bureau puis à mon cabinet, fort tard, à reclasser mes papiers aujourd'hui, mis sans dessus dessous. Puis souper et, au lit.


                                                                                                                              13 mai

            Levé. Souffris toute la journée de gargouillements douloureux, comme souvent, provenant de vents dus, je crois, à un jeûne prolongé et à un manque d'exercice et, peut-être, à ce que j'ai eu trop chaud dans mes habits. Le temps est à la chaleur, et je porte les mêmes habits qu'en hiver.
            A la Bourse après le bureau. L'horloger m'a remis ma montre. Une jolie pièce, c'est Briggs, le notaire, qui me l'a offerte.
            Rentrai dîner. Allai ensuite chez le procureur général lui demander conseil au sujet de la loi sur le transport par voie de terre, qu'il préféra ne pas me donner avant que le Conseil ne m'eût mandaté. 
            En revenant chez moi, fis réserver un exemplaire des " Œuvres " du Roi qui me coûtera, je crois 50 shillings. Chez moi, à mon bureau très tard.
            Grand Dieu ! suis-je donc encore à ce point sujet à mes enfantillages et caprices d'antan, que je ne puisse m'empêcher, comme je l'ai fait, de garder ma montre à la main tout l'après-midi, dans la voiture, et regarder cent fois l'heure. Je me demande volontiers comment j'ai pu en rester si longtemps privé. Encore que je me souviens en avoir eu jadis une, mais qui m'avait semblé une gêne, si bien que j'avais résolu de ne plus m'en embarrasser, aussi longtemps que je vivrais.
            Rentrai souper et, au lit. Chagriné par la lettre que m'envoie Mr Cholmley de Tanger, lequel m'avise que tout est fait pour contrer notre affaire de subsistances, ce qui me fera perdre 300 £ l'an. Je lui suis fort obligé d'avoir eu la bonté de me mettre au secret, et résolu à lui revaloir son geste, dans ses propres affaires et d'y veiller.


                                                                                                                        14 mai
                                                                                                   Jour du Seigneur
            Levé et à l'église avec ma femme en ce jour de Pentecôte. Ma femme est fort jolie dans sa nouvelle capeline en œil-de-perdrix jaune, à présent fort en vogue. Nous eûmes un piètre sermon.
            A la maison, dîner. Ma mère s'est fait livrer son nouvel habit qui lui sied fort. Après dîner, ma femme avec Mercer au baptême du premier enfant de la femme de Thomas Pepys. Me rendis à Wanstead en voiture, à la maison où vivait sir Henry Mildmay, et où demeure à présent sir Robert Brookel qui a racheté la maison au duc d'York à qui elle était revenue après confiscation. C'est une belle propriété, mais la maison est surannée, et semble à l'abandon, étant peu habitée. Puis à Walthamstow rejoints par sir William Batten, qui n'avait eu la chance de nous trouver à l'autre endroit. Visitai en compagnie de milady la maison et le parc, ma foi plaisants. Puis souper fort gai. Revins en voiture à la nuit tombée. Lus cet après-midi dans la voiture le livre  parjure sur la cour du roi Jacques, paru il y a fort longtemps, et qui vaut d'être lu, malgré la perfidie de son propos.
            Aussitôt parvenu chez moi, ayant reçu une lettre du duc d'Albmarle, pris un canot vers minuit, et descendis le fleuve en yole, avec mon petit valet, jusqu'à l'estuaire.
            Levé à nouveau, après m'être endormi et éveillé avec un égal plaisir. Ma tâche étant de monter à bord de chacun de nos navires d'avitaillement afin de les mettre en partance.

                                                                                                        
                                      15

            Rentrai, puis, après dîner, au Théâtre du Roi, seul. Vis La Maîtresse de l'amour. Quelques bons moments et fort variés, mais peu ou pas de fantaisie. Puis chez le duc d'Albemarle pour lui rendre compte de mes démarches de la journée. Il me montra des lettres de sir George Downing, écrites quatre jours plus tôt, disant que les Hollandais ont fait une sortie, qu'ils se sont regroupés, ne manquent pas d'hommes d'équipage, sont résolus à aborder nos meilleurs vaisseaux et prêts à se battre, sans l'ombre d'un doute.


             Puis au Cygne chez Herbert, où j'eus la compagnie de Sarah un moment. M'en fus, puis passai à la Harpe et la Balle, dont la servante, Mary, est tout ce qu'il y a de formosa. Dieu du ciel ! je m'avise qu'aujourd'hui mon vœu n'est pas plus tôt arrivé à expiration que me voilà fin prêt à courir les plaisirs et à négliger mes affaires.
            Rentrai, eus sommeil et, au lit.


                                                                             à suivre..........
                                                                                                                                                                                                                                                                                     16 Mai 1665

               Levé tôt. Chez.....

                                                                                                                                                
           
                       



                                                                                                           





                                                                                                              




mercredi 31 mars 2021

Un homme regarde une femme César Vallejo ( Poème Pérou )

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                      Un homme regarde une femme

            Un homme regarde une femme
            Il la regarde immédiatement,
            avec son mal de terre superbe
            et il la regarde à deux mains
            et la chavire à deux poitrines
            et la remue à deux épaules.

            Je me demande alors, en pressant
            mon énorme, blanche, vigoureuse côte :
            Et cet homme
            n'a-t-il pas eu un enfant pour père croissant ?
            Et cette femme, un enfant
            pour constructeur de son sexe évident ?

            Puisque je vois maintenant un enfant,
            enfant mille-pattes, passionné, énergique ;
            Je vois qu'ils ne le voient pas
            se moucher entre eux deux, frétiller, s'habiller ;
            puisque je les accepte,
            elle dans sa nature amplifiante,
            lui dans sa flexion de foin blond.

            Alors je m'exclame, sans que cesse l'un
            de vivre, sans que l'un ne se remette
            à trembler dans la joute que je vénère :
            Bonheur suivi
            tardivement du Père;                                                                                                      pinterest.fr
            du Fils et de la Mère !                                                                                                                       
            Instant rond

            familial, que personne désormais ne ressent et n'aime !
            De quel éblouissement aphone, rouge,
            vient s'exécuter le cantique des cantiques !
            De quel tronc, l'illustre charpentier !
            De quelle parfaite aisselle, la rame fragile !
            De quel sabot, les deux sabots de devant !
                                                                                                                                                                                                                                                                                                           
                                          
                                       César Vallejo

                                                       2 Novembre 1937

                             

            

mardi 30 mars 2021

Le journal du Séducteur 9 Sören Kierkegaard ( Essai Danemark )


      











             Il existe plusieurs sortes de rougeur féminine. Il y a le rouge grossier de la brique. C'est celle dont les auteurs de romans se servent toujours assez lorsqu'ils font leurs héroïnes rougir " über und über ". Il y a la rougeur fine, c'est l'aube matinale de l'esprit qui est sans prix chez une jeune fille. La rougeur furtive qui suit une idée heureuse, est belle chez l'homme, plus belle encore chez l'adolescent, ravissante chez la femme. C'est la lueur de la foudre, l'éclair de chaleur de l'esprit. Elle est la plus belle chez l'adolescent, ravissante chez la jeune fille parce qu'elle se montre dans sa virginité et c'est pourquoi elle est  aussi la pudeur de la surprise. Plus on vieillit, plus cette rougeur disparaît.
              Je lis parfois à haute voix pour Cordélia, il s'agit en général de choses très indifférentes. Edouard, comme d'habitude, doit tenir la chandelle car je lui ai signalé un moyen très utile pour se mettre en rapport avec une jeune fille, c'est de lui prêter des livres. Aussi il y a gagné plusieurs choses, car elle lui en est assez obligée. C'est moi qui y gagne le plus car je décide du choix des livres, mais je me tiens à l'écart. Là j'ai un champ libre très étendu pour mes observations. Je peux donner à Edouard tous les livres qu'il me plaît, puisqu'il ne s'entend pas en littérature. Je peux oser ce que je veux, aller jusqu'à n'importe quel extrême. Alors, quand je me rencontre avec elle le soir, je prends, comme par hasard, un livre, je le feuillette un peu, lis à mi-voix et fais l'éloge de l'attention d'Edouard. 
            Hier soir j'ai voulu, par une expérience, me rendre compte de l'élasticité spirituelle de Cordélia. Je ne savais si je devais demander à Edouard de lui prêter les poèmes de Schiller pour tomber accidentellement sur le chant de Thécla à lire à haute voix, ou les poèmes de Bürger. J'optai pour ces derniers, surtout parce que sa " Lénore ", malgré toute sa beauté, est un peu exaltée.
            J'ouvris le livre et lus ce poème avec tout le pathétique possible. Cordélia était émue, elle cousait rapidement comme si c'était elle que Vilhelm venait enlever. Je m'arrêtai, la tante avait écouté sans y prêter beaucoup d'attention, elle ne craint pas les Vilhelm, vivants ou morts, d'ailleurs, elle ne comprend pas très bien l'allemand. Mais elle fut tout à fait à son aise lorsque je lui montrai la belle reliure du livre et que je commençai à lui parler de l'art du relieur.
            Mon intention était de détruire chez Cordélia l'effet du pathétique à l'instant même où il se produisait. Elle était un peu anxieuse mais, manifestement, cette anxiété ne la tentait pas, mais créait chez elle un effet peu rassurant.
            Aujourd'hui, pour la première fois, mes yeux se sont reposés sur elle. On dit que le sommeil peut alourdir une paupière jusqu'à la fermer. Ce regard pourrait peut-être avoir un pouvoir semblable. Les yeux se ferment, et pourtant des puissances obscures s'agitent en elle. Elle ne voit pas que je la regarde, elle le sent, tout son corps le sent. Les yeux se ferment et c'est la nuit, mais en elle il fait grand jour.

            Il faut qu'Edouard disparaisse. Il est arrivé aux dernières extrémités. A chaque instant j'ai à craindre qu'il n'aille faire une déclaration d'amour. Personne mieux que moi ne peut le savoir, moi, son confident qui à dessein le maintiens dans cette exaltation pour qu'il puisse d'autant plus influencer Cordélia. Mais ce serait trop risquer que de lui permettre de faire l'aveu de son amour. Je sais bien qu'il recevrait un refus, mais cela ne terminerait pas l'affaire. Il en serait sûrement très affecté, et cela pourrait peut-être émouvoir et attendrir Cordélia. Bien que dans ce cas je n'aie pas à craindre le pire, c'est-à-dire qu'elle revienne sur son refus, il est possible que sa fierté d'âme souffre de cette simple comparaison. Et si c'était le cas, j'aurais tout à fait manqué mon but en me servant d'Edouard.

            Mes rapports avec Cordélia commencent à prendre une tournure dramatique. Arrivera ce qui pourra, mais je ne peux pas plus longtemps rester seulement spectateur, à moins de laisser l'instant s'échapper. Il est indispensable qu'elle soit surprise, mais si on veut la surprendre, il faut être à son poste. Ce qui d'ordinaire en surprendrait d'autres n'aurait peut-être pas le même effet sur elle. Au fond, elle devrait être surprise de telle façon qu'à l'instant même la raison en soit presque quelque chose de tout à fait ordinaire. C'est peu à peu que quelque chose de surprenant doit apparaître implicitement. C'est aussi toujours la loi de ce qui est intéressant, et de son côté la loi de tous mes mouvements concernant Cordélia. Pourvu qu'on sache surprendre, on a toujours partie gagnée, on suspend pour un instant l'énergie de celle dont il s'agit, on la met dans l'impossibilité d'agir, quel que soit d'ailleurs le moyen qu'on emploie, le moyen extraordinaire ou le moyen commun. 
            Je me rappelle encore, avec une certaine vanité, une tentative téméraire pratiquée contre une dame de la haute société. Depuis quelque temps j'avais vraiment, et en cachette, rôdé autour d'elle afin de trouver un contact intéressant, lorsqu'un après-midi je la rencontre dans la rue. J'étais sûr qu'elle ne me connaissait pas, ou ne savait pas que j'habitais à Copenhague. Elle était seule. Je coulais devant elle pour la rencontrer de face. Je me rangeais, lui cédant les dalles du trottoir. A ce moment-là je lui jetai un regard mélancolique, et je crois presque avoir une larme à l'oeil. Je soulevai mon chapeau. Elle s'arrêta. Avec une voix émue et un regard rêveur, je dis :
            " - Ne vous fâchez pas, Mademoiselle, entre vos traits et ceux de quelqu'un que j'aime de toute mon âme, mais qui vit loin de moi, il y a une ressemblance tellement frappante que vous me pardonnerez ma conduite assez bizarre. "
            Elle pensait avoir affaire à un rêveur, et une jeune fille aime bien un peu de rêverie, surtout lorsqu'en même temps elle a le sentiment de sa supériorité et ose sourire de vous. Je ne me suis pas trompé, elle souriait, ce qui lui allait à ravir. Elle me salua avec une condescendance digne et sourit. Elle reprit sa marche et je fis tout au plus deux pas à côté d'elle.
            Quelques jours plus tard je la rencontrai, et je me permis de la saluer. Elle me rit au nez. Mais la patience est une vertu précieuse, et rira bien qui rira le dernier.
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            Il y aurait plusieurs moyens pour surprendre Cordélia. Je pourrais essayer de déchaîner une tempête érotique, capable de déraciner les arbres. Grâce à elle je réussirais peut-être à lui faire perdre pied, à l'arracher du rapport de filiation et, dans cette agitation, je pourrais essayer, à l'aide de rendez-vous secrets, de provoquer sa passion. Cela n'est pas inimaginable. On peut sans doute amener une jeune fille aussi passionnée qu'elle à n'importe quoi. Cependant, esthétiquement pensé, ce ne serait pas correct. Je n'aime pas le vertige et cet état n'est recommandable que lorsqu'on a affaire avec des jeunes filles qui ne sauraient pas autrement gagner un reflet poétique. En outre, on manquerait aisément la véritable jouissance, car trop d'émoi est nuisible aussi. Sur elle cette mesure porterait entièrement à faux. En quelques traits j'aborderais peut-être ce dont je pourrais jouir pendant longtemps, oui, pis encore, ce dont j'aurais pu avec du sang-froid tirer une jouissance plus entière et plus riche.
   
      Il ne faut pas jouir de Cordélia dans l'exaltation. Au premier instant elle serait peut-être surprise si je me conduisais ainsi, mais elle serait bientôt rassasiée parce que, justement, cette surprise toucherait de trop près à son âme hardie.
            Des fiançailles pures et simples seraient de tous les moyens les meilleurs, les plus à propos. Pour elle ce sera peut-être d'autant plus impossible de croire ses propres oreilles lorsqu'elle m'entendra faire un aveu d'amour banal et la demander en mariage, encore moins que si elle écoutait ma chaude éloquence, buvait ma boisson enivrante et empoisonnée, ou entendait les battements de son cœur à la pensée d'un enlèvement.
            Quant aux fiançailles c'est le diable qu'il y ait toujours en elles de l'éthique, ce qui est aussi ennuyeux quand il s'agit de science que de la vie. Quelle différence ! Sous le ciel de l'esthétique tout est léger, beau fugitif, mais lorsque l'éthique s'en mêle tout devient dur, anguleux, infiniment assommant.
            Des fiançailles, cependant, n'ont pas au sens strict la réalité éthique d'un mariage, elles ne doivent leur validité qu'"ex consensu gentium ". Cette équivoque-là peut m'être très utile. Il y a juste assez d'éthique là-dedans pour que Cordélia, le moment venu, ait l'impression de dépasser les limites de l'ordinaire et, en outre, cette éthique n'est pas assez grave pour que j'aie à craindre un choc plus inquiétant. J'ai toujours eu quelque respect pour l'éthique. Je n'ai jamais fait de promesse de mariage à une jeune fille, pas même par incurie. Si j'ai l'air d'en faire une cette fois-ci, il faut se rappeler qu'il ne s'agit que d'une conduite feinte. Je ferai bien en sorte que ce soit elle-même qui brise l'engagement. Ma fierté chevaleresque méprise les promesses. Je méprise un juge lorsqu'il arrache l'aveu d'un délinquant par la promesse de la liberté. Un tel juge renonce à sa force et à son talent. Dans ma pratique s'ajoute encore le fait que je ne désire rien qui, au sens le plus strict, ne soit pas librement donné. Que les piètres séducteurs se servent de tels moyens ! Par surcroît, qu'y gagnent-ils ?
            Celui qui ne sait pas circonvenir une jeune fille jusqu'à ce qu'elle perde tout de vue, celui qui ne sait pas, au fur et à mesure de sa volonté, faire croire à une jeune fille que c'est elle qui prend toutes les initiatives, il est et il restera un maladroit. Je ne lui envierai pas sa jouissance. Un tel homme est et restera un maladroit, un séducteur, terme qu'on ne peut pas du tout m'appliquer.
            Je suis un esthéticien, un érotique qui a saisi la nature de l'amour, son essence, qui croit à l'amour et le connait à fond, et qui me réserve seulement l'opinion personnelle qu'une aventure galante ne dure que six mois au plus et que tout es fini lorsqu'on a joui des dernières faveurs. 
            Je sais tout cela, mais je sais en outre que la suprême jouissance imaginable est d'être aimé, d'être aimé au-dessus de tout. S'introduire comme un rêve dans l'esprit d'une jeune fille est un art, sortir est un chef-d'œuvre. Mais ceci dépend essentiellement de cela.                                      pinterest.fr
            Un autre moyen serait possible. Je pourrais tout mettre en œuvre pour la fiancer à Edouard. Alors je serais ami de la maison. Edouard aurait une entière confiance en moi, car ce serait moi à qui il serait presque redevable de son bonheur. Il y aurait alors pour moi quelque chose à gagner à rester plus caché. 
            Non, cela ne vaut rien. Elle ne peut pas être fiancée à Edouard sans que, d'une manière ou d'une autre, elle se déprécie. Bien plus, mes rapports avec elle deviendraient ainsi plus piquants qu'intéressants. Le prosaïsme infini inhérent à des fiançailles est justement la table de résonance de ce qui est intéressant.

             Tout chez Wahl devient de plus en plus significatif. On sent clairement qu'une vie cachée s'agite sous les formes de tous les jours, et que cette vie doit bientôt se manifester en une révélation connexe. La maison des Wahl se prépare à des fiançailles. Un observateur simplement étranger penserait peut-être à une union entre la tante et moi. Et qu'est-ce qu'un tel mariage ne pourrait faire dans la génération future pour la propagation des connaissances d'économie rurale !
            Je serais alors l'oncle de Cordélia. Je suis un ami de la liberté de penser, et aucune pensée n'est assez absurde pour que je n'aie pas le courage de la retenir. 
            Cordélia redoute une déclaration d'amour d'Edouard, mais celui-ci espère qu'une telle déclaration décidera tout. Aussi peut-il en être sûr. Mais afin de lui épargner les conséquences désagréables d'une telle démarche, je verrai à le devancer. J'espère bientôt le congédier, car il e barre vraiment le passage. Je l'ai bien senti aujourd'hui. Avec cet air de rêveur, ivre d'amour, on peut redouter que subitement il se dresse comme un somnambule et devant toute la communauté fasse l'aveu de son amour, dans une contemplation si objective qu'il ne s'approche mùeme pas de Cordélia. Je lui allongeai aujourd'hui un coup d'oeil sévère. Comme un éléphant qui prend un objet sur sa trompe je l'ai mis de tout son long sur mes regards et je l'ai renversé. Bien qu'il n'ait pas bougé de sa chaisen je crois que tout son corps a ressenti le choc de ce renversement.

            Cordélia n'est plus si sûre de moi qu'autrefois. Elle s'approchait toujours de moi avec une assurance féminine, à présent elle hésite un peu. Cela n'a cependant pas grande importance et il ne me serait pas difficile de remettre tout en état. Toutefois, cela je ne le veux pas.
            Un seul sondage encore et ensuite les fiançailles. Celles-ci ne peuvent présenter aucune difficulté. Cordélia, dans sa surprise, dira, " oui " , et la tante, " un amen " cordial . Elle sera folle de joie d'avoir un gendre aussi agronomique.
            Gendre ! Comme tout est uni comme les doigts de la main quand on se risque sur ce terrain. Au fond, je ne serai pas son gendre, mais seulement son neveu, ou plutôt, volonte dio, ni l'un, ni l'autre.



                                                             à suivre............















dimanche 28 mars 2021

Le Journal du séducteur 8 Sören Kierkegaard ( Essai Danemark )

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            Voilà une jeune fille élégante et empesée qui arrive. Mais aussi c'est dimanche aujourd'hui...Tempérez-la un petit peu, éventez-la de fraîcheur, glissez doucement au-dessus de sa tête, enlacez-la en l'effleurant innocemment ! Oh ! que je devine le teint finement rosé de ses joues, les lèvres prennent un coloris plus prononcé, le sein se soulève... N'est-ce pas vrai ? ma petite, c'est une béatitude au-delà de toute expression que d'aspirer ce souffle si plein de fraîcheur ? Sa collerette se berce comme une feuille. Comme elle respire sainement et fortement. Sa marche se ralentit, elle est presque portée par la douce brise, comme une nuée, comme un rêve... Soufflez un peu plus, par des souffles plus longs !... Elle se recueille, les bras s'approchent du cou qu'elle couvre avec plus de précaution pour qu'aucun souffle ne soit assez indiscret pour se faufiler lestement et fraîchement sous le léger tissu... Elle rougit plus sainement, les joues prennent plus d'ampleur, les yeux sont plus transparents, la marche plus rythmée. Toute tribulation embellit les êtres. Toute jeune fille devrait s'éprendre des zéphyrs, car aucun homme ne sait tout de même mieux qu'eux relever sa beauté tout en luttant avec elle... Elle se penche un peu, la tête est tournée vers la pointe des pieds... Arrêtez-vous un peu ! C'est trop, sa taille s'élargit, elle perd sa belle sveltesse... Eventez-la un peu !... N'est-ce pas vrai, ma petite. Il est fortifiant quand on s'est échauffé de sentir ces légers frissons rafraîchissants, on serait enclin à ouvrir ses bras de gratitude, de joie de vivre... Elle se tourne de côté. Vite alors un souffle vigoureux pour que je puisse deviner la beauté des formes !...  Plus de vigueur ! pour que l'étoffe épouse mieux les formes... C'est trop ! Son attitude n'est plus belle, et son pas leste est gêné... Elle se retourne à nouveau... Maintenant, soufflez davantage, qu'elle s'essaie !... C'est assez, c'est trop : une de ses boucles tombe... je vous prie, maîtrisez-vous ! Et voilà tout un régiment qui approche :
                                        Die eine ist verliebt gar sehr
                                        Die andre wäre es gerne.
                  Oui, c'est indéniablement un piètre emploi dans la vie que de se promener avec son futur beau-frère au bras gauche. Pour une jeune fille cela représente à peu près ce que signifie pour un homme le poste de commis auxiliaire... Mais le commis auxiliaire peut avancer il a, en outre sa place au bureau, il est présent aux occasions exceptionnelles. Mais le lot d'une belle-sœur ? Par contre son avancement se fait avec moins de lenteur, à ce moment-là, lorsqu'elle a son avancement et change de place dans les bureaux... Maintenant, soufflez, soufflez un peu plus vite ! Lorsqu'on a un appui bien ferme, on sait bien résister... le centre s'avance fortement, les ailes ne peuvent pas suivre... Il est assez solidement campé, le vent ne peut pas l'ébranler, il est trop lourd, mais il est aussi trop lourd pour que les ailes puissent le soulever de terre. Il fonce en avant afin de montrer, quoi ?... qu'il est un corps lourd, mais plus il reste immobile, plus les jeunes filles en souffrent.
            Mes belles dames, permettez-moi un bon conseil, s'il vous plaît : plantez-la votre futur mari, votre futur beau-frère, essayez-vous toutes seules, et vous verrez le plaisir que vous en aurez... maintenant soufflez un peu plus doucement !... comme elles se débattent dans les vagues du vent : tantôt elles se trouvent les unes en face de l'autre en s'envolant des deux côtés de la rue. Une musique de danse quelconque peut-elle produire une gaieté plus joyeuse ? et cependant le vent n'épuise pas, il fortifie. Maintenant elles se ruent d'un train de tempête et à pleines voiles le long de la rue. Une valse quelconque peut-elle de manière plus séduisante griser une jeune fille, et le vent ne fatigue pas, mais porte... N'est-ce pas ? un peu de résistance est agréable, on se bat volontiers pour entrer en possession de ce qu'on aime, et on atteint sûrement ce pour quoi on se bat. Il y a une Providence qui vient en aide à l'amour, et voilà pourquoi l'homme a le vent arrière... 
            Ne l'ai-je pas bien arrangé . Lorsqu'on a soi-même le vent arrière il est facile de doubler le bien-aimé, mais si on a vent debout le mouvement devient agréable et on se réfugie auprès de lui. Le souffle du vent vous rend plus saine, plus attrayante, plus séduisante, il rafraîchit ce que les lèvres doivent donner et qui, de préférence, doit être dégusté froid, parce que c'est si brûlant, de même que le champagne chauffe tout en glaçant presque... Comme elles rient, comme elles bavardent, et le vent enlève les mots, et de quoi parler aussi ? Elles rient à nouveau et s'inclinent devant le vent, retiennent leurs chapeaux et surveillent les pieds.
            Arrêtez maintenant pour que les jeunes filles ne s'impatient pas et se fâchent contre nous, ou prennent peur de nous ! C'est parfait, résolue et puissante, la jambe droite en avant !... Quel regard hardi et crâne elle jette à la ronde... Si je vois juste, elle donne bien le bras à quelqu'un, elle est donc fiancée.
  *          Voyons, mon enfant, quelle étrenne l'arbre de Noël de la vie t'a offerte... Ah ! oui, il a bien l'air d'être un fiancé de tout repos. Elle est donc au premier stade des fiançailles, elle l'aime, c'est bien possible, mais son amour voltige librement autour de lui en cercles vastes et spacieux. Elle possède encore ce manteau de l'amour qui peut en envelopper beaucoup d'autres... Un peu plus de souffle, mes amis !... Oui, quand on marche si vite il n'est pas étonnant que les brides du chapeau se serrent pour résister au vent, que celles-ci flottent au gré des caprices du vent, de même que cette figure légère, et son amour, comme un voile d'elfes. Oui, lorsqu'on regarde l'amour ainsi, il a l'air d'être assez extensible, mais lorsqu'il faut s'en revêtir, lorsque le voile doit être refait en une robe de tous les jours, alors on ne peut pas s'offrir le luxe de beaucoup de bouffants
            Eh, mon Dieu ! si on a le courage de risquer un pas décisif pour toute la vie, n'aurai-t-on pas le courage aussi d'aller directement contre le vent? Qui en doute ? pas moi. Mais du calme, ma petite demoiselle, du calme. Le temps châtie durement, et le vent aussi peut être dur... Taquinez-la un peu !... Qu'est devenu le mouchoir ?... Ah bien ! Vous l'avez tout de même retrouvé... Et voilà l'une des bribes du chapeau qui se dsserre... que c'est désagréable en présence de votre futur... Là, une amie arrive qu'il faut saluer. C'est la première fois qu'elle vous voit depuis que vous êtes fiancée, et c'est bien pour vous montrer comme telle que vous vous promenez ici dans la Bredgade et avec l'intention de vous rendre ensuite à Langelinie. Autant que je sache, les nouveaux mariés ont pour habitude d'aller à l'église le premier dimanche après le mariage, tandis que les fiancés vont à Langekinie. Oui, aussi les fiançailles ont beaucoup en commun avec Langelinie.
            Maintenant, prenez garde, le vent attrape le chapeau, retenez-le un peu, penchez la tête. Quelle fatalité ! vous n'avez pas du tout pu saluer votre amie, il vous manquait le calme qui permet à une jeune fiancée, avec la mine altière requise, de saluer les non-fiancées... Soufflez maintenant un peu plus doucement !... Les jours meilleurs approchent... Comme elle s'accroche au bien-aimé, elle est si loint devant lui qu'elle peut retourner la tête, lever les yeux vers lui et s'en réjouir, lui qui est son trésor, son boheur, son espérance, son avenir... Oh ! ma petite, tu exagères... car, n'est-ce pas grâce à moi et au vent qu'il a une mine si superbe ? Et n'est-ce pas également grâce à moi et à la douce brise qui, à présent, te guérit et te fait oublier ta douleur que toi-même paraîs être si saine de corps et d'esprit, et si pleine d'espérance et de pressentiments ?
                                                 Og jeg vil ikke have en Student,
                                                  Som ligger og loeser om Natten,
                                                  Men jeg vil have en Officer,
                                                   Som agaaer med Fjer udi Hatten.
            On le voit tout de suite en te regardant, ma petite, il y a quelque chose dans ton regard. Non, un étudiant ne fait nullement ton affaire... Mais pourquoi justement un officier ? Un licencié ayant terminé ses années d'études ne pourrait-il faire aussi bien ?... Toutefois, pour le moment, je ne peux vous fournir ni un officier, ni un licencié. Mais je peux t'envoyer quelques souffles tempérés et rafraîchissants... Soufflez un peu plus !... Très bien, rejette le châle sur ton épaule, va tout lentement, les joues pâliront bien un peu et l'éclat des yeux sera moins ardent !... C'est cela, un peu de mouvement, surtout dans un temps aussi délicieux qu'aujourd'hui, et enfin un peu de patience, avec cela vous aurez bien votre officier.
            Les deux qui viennent là sont bien accouplés. Quel mouvement soutenu, quelle sûreté dans toute la tenue qui témoigne d'une confiance réciproque, quelle " harmonia praestabilita" dans tous les mouvements, quelle belle suffisance ! Leurs attitudes manquent de légèreté et de grâce, ils ne dansent pas l'un avec l'autre, non, il y a en eux de la durée, de la franchise, sources d'un espoir infaillible et qui inspirent l'estime réciproque. Je parie que leur conception de la vie se réduit à ceci : la vie est un chemin. Aussi ils semblent destinés à se promener bras dessus bras dessous à travers les joies et les chagrins de la vie. Ils s'accordent si bien que la dame a renoncé à son privilège sur les dalles du trottoir..
Mais, chers zéphyrs, pourquoi vous affairez tellement avec ce couple qui ne semble pas mériter votre attention ? Y aurait-il quelque chose de particulier à remarquer ? Mais il est une heure et demie, en route pour Höjbroplads !


            On ne croirait pas possible de prévoir avec justesse et dans ses moindres détails l'histoire du développement intime d'un être. Cela montre combien Cordélia est saine de corps et d'esprit. Oui, c'est vrai, c'est une excellente jeune fille. Bien que placide, modeste et simple. Inconsciemment elle a en elle une énorme exigence. Tout cela m'a frappé aujourd'hui en la voyant entrer par la porte extérieure de la maison. Le peu de résistance qu'une bouffée de vent peut faire semble éveiller toutes les puissances en elle, sans pourtant qu'une lutte intérieure se produise. Elle n'est pas une petite jeune fille insignifiante qui disparaît entre les doigts, ni si frêle qu'on a presque peur de la voir se casser si on la regarde, mais elle n'est pas non plus une fleur de luxe pleine de prétentions. C'est pourquoi je peux comme un médecin avoir plaisir à observer tous les symptômes de cette histoire d'une bonne santé.


            Peu à peu mes attaques s'approchent d'elle, deviennent plus directes. Si je devais indiquer ce changement de tactique dans mes rapports avec la famille, je dirais que j'ai tourné ma chaise de façon à la voir de côté. Je m'occupe un peu plus d'elle, je lui adresse la parole, je lui arrache des réponses. Son âme est passionnée, violente et sans que des réflexions insensées et vaines l'aient aiguisées vers les bizarreries, elle ressent un besoin d'exceptionnel. Mon ironie sur la méchanceté des hommes, ma raillerie de leur lâcheté et de leur tiède indolence l'intéressent. Elle aime, je crois, à conduire le char du Soleil à travers la voûte du ciel, à s'approcher trop de la terre et à griller un peu les hommes. Mais elle n'a pas confiance en moi et jusqu'ici j'ai mis obstacle à toute tentative de rapprochement, même spirituel. Il faut qu'elle prenne plus de force en elle-même avant que je la laisse s'appuyer sur moi. Par intervalles on pourrait bien avoir l'impression que c'est d'elle que j'aimerais faire une confidente dans ma franc-maçonnerie, mais aussi ce n'est que par intervalles. Son développement doit se faire en elle-même, elle doit se rendre compte du ressort de son âme, elle doit s'essayer à soupeser le monde. Ce qu'elle a à dire, et ses yeux me montrent aisément les progrès qu'elle fait. Une seule fois j'y ai aperçu une rage
d'anéantissement. Il faut qu'elle ne me soit redevable de rien, car elle doit se sentir libre, l'amour ne se trouve que dans la liberté, et ce n'est qu'en elle qu'il y a de la récréation et de l'amusement éternel. Car, bien que je vise à ce que par la force des choses, pour ainsi dire, elle tombe dans mes bras et que je     * m'efforce à la faire graviter vers moi, il faut pourtant aussi qu'elle ne tombe pas lourdement, mais comme l'esprit qui gravite vers l'esprit. Bien qu'elle doive m'appartenir, cela ne doit pas s'identifier avec la laideur d'un fardeau qui pèse sur moi. 
            Elle ne doit pas non plus m'être une attache au physique qu'au moral une obligation. Seul le jeu propre de la liberté doit régner entre nous deux. Elle doit être assez légère pour que je puisse la prendre, moi, à bout de bras.
                                                                                                                       
            Cordélia occupe presque trop mon esprit. Je perds de nouveau mon équilibre, non pas devant elle lorsqu'elle est présente mais, au sens le plus strict, lorsque je suis seul avec elle. Il m'arrive de soupirer après elle, non pour parler avec elle mais pour laisser son image planer devant mes yeux. Je peux me glisser après elle lorsque je sais qu'elle est sortie, non pour être vu mais, pour la voir. 
            L'autre soir nous sommes partis ensemble de chez les Baxter, Edouard l'accompagnait. Je me suis séparé d'eux et me suis enfui par une autre rue ou mon valet m'attendait. En moins de rien je me suis changé et je l'ai rencontrée une seconde fois sans qu'elle s'en doute. Edouard était muet, comme toujours. 
            Je suis bien amoureux, bien sûr, mais non pas au sens propre et, à cet égard, il faut aussi être très prudent, car les conséquences sont toujours dangereuses, et on ne l'est qu'une seule fois, n'est-ce pas ?
            Mais le dieu de l'amour est aveugle, et si on est malin on réussit bien à le duper. Par rapport aux impressions, l'art consiste à être aussi réceptif que possible et à savoir celle qu'on fait sur toute jeune fille et celle qu'elles vous font.
            On peut ainsi être amoureux de maintes à la fois, parce qu'on les aime de différentes façons. 
            Aimer une seule est trop peu. Aimer toutes est une légèreté de caractère superficiel. Mais se connaître soi-même et en aimer un aussi grand nombre que possible, enfermer dans son âme toutes les puissances de l'amour de manière que chacune d'elles reçoive son aliment approprié, en même temps que la conscience englobe le tout, voilà la jouissance, voilà qui est fourbe.


                               3 juillet.

            Au fond, Edouard ne peut pas se plaindre de moi. Il est bien vrai que je veux que Cordélia tombe amoureuse de lui, que grâce à lui elle se dégoûte de l'amour pur et simple et que par là elle dépasse ses propres limites. Mais pour cela il faut justement qu'Edouard ne soit pas une caricature, sinon c'est inutile. Non seulement Edouard est, dans l'estime générale, un bon parti, aux yeux de Cordélia cela ne signifie rien, car une jeune fille de dix-sept ans ne regarde pas à ces choses-là, mais il possède personnellement plusieurs qualités affables, et je fais de mon mieux pour les lui faire valoir. Comme une habilleuse, comme un décorateur, je l'équipe aussi bien que possible, selon ses moyens. Oui, parfois je l'affuble même d'un peu de luxe emprunté. Alors, en nous rendant ensemble chez Cordélia, il m'est tout à fait drôle de marcher à côté de lui. C'est comme s'il était mon frère, mon fils, et pourtant il est mon ami, de mon âge, il est une rivale. Mais il ne pourra jamais devenir dangereux pour moi. Par conséquent, plus je l'élève, lui qui après tout doit tomber, mieux et plus s'élève en Cordélia la conscience de ce dont elle fait fi, avec plus d'ardeur elle devine ce qu'elle désire. Je l'aide à se tirer d'affaire, je le recommande, bref, je fais tout ce qu'un ami peut faire pour un ami.
            Pour bien mettre ma froideur en relief, je déclame presque contre Edouard. Je le décris comme un rêveur. Comme Edouard ne sait pas du tout marcher par lui. -même, il faut que je le place en évidence.
            Cordélia me hait et me craint. Qu'est-ce qu'une jeune fille peut craindre ? L'esprit. Pourquoi ? Parce que l'esprit constitue la négation de toute son existence féminine. La beauté masculine, une nature prenante, etc. sont de bons moyens. Ils servent aussi à faire des conquêtes, mais ne peuvent jamais gagner une victoire complète. Pourquoi ? parce qu'on guerroie contre une jeune fille dans sa propre puissance, et là elle est toujours la plus forte. Ces moyens peuvent servir à faire rougir une jeune fille, à lui faire baisser les yeux, mais jamais à provoquer cette angoisse indescriptible et captieuse qui rend sa beauté intéressante.

            Non formosus erat, sed erat facundus Ulixes,
            Et tamen aequoreas torsit amore Deas.

            Enfin, chacun doit connaître ses forces. Mais j'ai souvent été révolté de voir que même ceux qui sont doués se comportent avec tant de maladresse. Au fond, chez toute jeune fille victime de l'amour d'un autre ou, plutôt, du sien propre, on devrait pouvoir discerner immédiatement, en la regardant, dans quel sens elle a été dupée. Un assassin rompu au métier porte toujours ses coups de la même façon, et une police experte reconnaît tout de suite l'auteur du crime en regardant la blessure. 
            Mais où rencontre-t-on de tels séducteurs systématiques ou de tels psychologues ? Séduire une jeune fille signifie pour la plupart des gens : séduire une jeune fille et tout est dit. Et, pourtant, tout un langage se cache dans cette pensée.

            Comme femme elle me hait. Comme femme douée, elle me craint. Comme intelligence éveillée, elle m'aime. C'est d'abord cette lutte que j'ai provoquée dans son âme. Ma fierté, mon obstination, ma raillerie froide, mon ironie sans cœur la tentent, non comme si elle était encline à m'aimer, non, il n'y a assurément pas là la moindre trace de tels sentiments en elle, surtout pas à mon égard.
            Elle veut rivaliser avec moi. La fière indépendance envers les hommes, une liberté comme celle des Arabes dans le désert la tentent. Mon rire et mon excentricité neutralisent toute manifestation érotique. Elle est assez libre avec moi, et pour la réserve elle est plus intellectuelle que féminine. Elle est si loin de voir en moi un amant que nos rapports ne sont autres que ceux qui existent entre deux fortes têtes. Elle me prend la main et me la serre, elle rit et me marque un intérêt au sens purement grec.
            L'ironiste et le railleur l'ayant alors mystifiée assez longtemps, je suis la directive de la vieille chanson : le chevalier déploie sa capote d'un rouge si vif et prie la belle demoiselle de s'y asseoir. Mais je ne déploie pas ma capote afin de rester assis dessus avec elle sur la pelouse, mais afin de disparaître avec elle dans les airs, dans l'envol de la pensée. Ou je ne l'amène pas avec moi, mais j'enfourche une pensée, lui envoie des saluts avec la main et un baiser, je deviens invisible pour elle et audible seulement par le bruit de la parole ailée. Je ne deviens pas, grâce à la voix, de plus en plus visible comme Yahweh, mais de moins en moins, car plus je parle, plus je monte. Et alors elle veut me suivre, se mettre en route pour l'envol hardi des pensées. Mais ce n'est qu'un instant, car l'instant d'après je suis froid et sec.


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                                                                         à suivre................