dimanche 25 mars 2012

Lettres à Madeleine 24 Apollinaire


Ensemble de bagues réalisées à partir de métal récupéré.Lettre à Madeleine
( Le 19 au soir le poète envoie une 3è lettre à Madeleine "Je pense que nous commençons ce soir...Je vous ai envoyé ce soir un autre encrier fusée de 150 mais sans graduation, le tout posant dans un  culot de 77..." Son imagination vagabonde " ... Je t'imagine lisant mes lettres dans ton lit, tes cheveux dénoués et ton sein fripon qui se soulève... " Il s'inquiète " ... Ton idylle un peu jalouse avec les colchiques m'a beaucoup touché..
... mais prends aux colchiques, c'est je crois un poison violent... Il me tarde que cette chose actuelle ait eu lieu... " --- 20 septembre de Foix à Oran les lettres Madeleine tardent un peu puis il explique " ... J'ai publié chez Michaud ( 1910 ) un petit livre très illustré de documents portraits etc, intitulé Le Théâtre italien , j'y ai traduit un acte du scénario d'une comédie ressortissant à l'art scénique improvisé de la Commedia dell' arte. Le titre était autant qu'il m'en souvienne Colombine soldat par amour c'était assez amusant... "  et il joint des objets martelés dans des " obus boches de 150 ".



                                                                                             21 septembre 1915

            Mon amour, ta lettre du 17, lettre de ton retour de Narbonne m'a fait un plaisir inimaginable, tu es vraiment digne de moi, de nos plaisirs futurs et actuels, tu es merveilleuse, tu te prêtes au plus charmant commerce qui soit et nos fiançailles sont exquises grâce à ton âme si ouverte à notre amour et à ton corps si prêt à suivre le mouvement de nos âmes.Je te vois lisant dans ton lit, mes lettres, tu es l'image même de la volupté, mais de la jeune volupté.Moi aussi j'ai appris à discerner un peu les mouvements de ton désir à ton écriture, mais peut-être pas autant que toi, si pourtant autant. Je ne crains donc plus de te troubler et du moment que tu aimes notre volupté nous pouvons en parler et cela nous servira plus que tout pour nous connaître et donner à notre amour le plus de vérité, le plus de vie possible. Il est certain que seule Madeleine peut m'aimer comme je suis aimé et je ne connaissais rien à l'amour avant toi, c'est toi qui est l'innocence même qui me l'apprends et quelle leçon exquise.
            Oui, tu as bien compris pourquoi j'étais content que tu fusses vendéenne. En effet les Vendéennes doivent savoir aimer.Le maraîchinage est une vieille coutume de Vendée, elle se perd ou plutôt devient vulgaire et immorale sous l'influence des préjugés modernes et misérables.
            Le maraîchinage était et est encore un peu, l'ensemble des us et coutumes vendéens du baiser avant le mariage et même avant les fiançailles.Les filles et les garçons se baisaient sur la bouche de longues heures durant et apprenaient ainsi des finesses qui embellissaient leur race sans mièvrerie, puisqu'une coquetterie si pleine d'abandon est charmante mais non mièvre.L'art des baisers de la langue se raffinait ainsi suprêmement et on ne retrouverait un art aussi complet du baiser lingual que chez les Slaves de la Pologne et des Balkans. Ces quelques mots ne te donnent qu'une vague esquisse du maraîchinage vendéens sur lequel des érudits prudes ou non ont entassé déjà de gros volumes.
            Note que du temps du maraîchinage la débauche était moins fréquente que maintenant en Vendée et l'était encore moins que dans les autres provinces françaises car la sensualité n'est pas la débauche et s'accorde parfaitement avec l'intelligence. Les Athéniens ont atteint le plus haut degré de civilisation par leur raffinement et leur sensualité en demeurant les gens les plus spirituels du monde et sans qu'on puisse les accuser spécialement de débauche puisque les courtisanes mêmes étaient à Athènes par leur intelligence et leur harmonie infiniment respectables et respectées.
            Tu m'as mis au courant ma chérie de la naissance en toi de la Volupté. Je veux que tous les mouvements où ton corps et ton âme s'unissent pour ton plaisir en moi, me soient réservés au point que ma pensée seule les suscite en toi et que pensant à moi tu n'aies qu'à serrer ces jambes, que tu me redonnes encore dans ta lettre, tu n'aies qu'à les serrer, dis-je, pour que la volupté te secoue comme l'aquilon un roseau, ou plutôt une rose !
            Ne crains pas non plus de te troubler, je te l'ai écrit, je suis mon maître autant que le tien, mais quelle adorable idée tu as de me faire dormir sur tes seins, dans tes bras serrés en baisant mes cheveux.
            N'oublie pas cependant que quand je pourrai dormir ainsi c'est que toi aussi mon amour tu auras bien sommeil, va.
            Un poème secret joint à ma lettre te parle des neuf portes.Tu fais bien de tout me dire et j'adore, mon amour, cet amour que tu inventes et peu à peu tu m'apprendras de l'amour autant que je t'en apprendrai et c'est vraiment exquis. Et que j'aime ton trouble, tes bouleversements, tes agitations amoureuses, mon amour, je prends ta bouche et bois ton âme jusqu'à ce que tu t'évanouisses. Oui j'ai goûté ton baiser-friandise avec une vraie passion de sauvage c'est jusqu'à présent le plus grand plaisir de ma vie et le plus inattendu. Il n'y a plus que la réalité de ton corps qui puisse je crois, être plus fort que ce baiser inventé par ton innocence. Mais, il est vrai que ton âme recèle sans doute des richesses encore plus inattendues. Ne dis-tu point que tu veux encore inventer des baisers. C'est plus que du talent, mon amour, tu as le génie de l'amour.
            Oui, je pense à notre vie future et nous en parlerons longuement lors de ma permission.

                                                         
                                                                                            ........ ( à suivre )

vendredi 23 mars 2012

La Chanson du Mal-Aimé Guillaume Apollinaire ( poème Fance )







                                                          La Chanson du Mal-Aimé

                                                                                                         à Paul Léautaud

                                                                                         Et je chantais cette romance
                                                                                         En 1903 sans savoir
                                                                                         Que mon amour a la semblance
                                                                                          Du beau Phénix s'il meurt un soir
                                                                                          Le matin voit sa renaissance


                                        Un soir de demi-brume à Londres
                                        Un voyou qui ressemblait à
                                        Mon amour vint à ma rencontre
                                        Et le regard qu'il me jeta
                                        Me fit baisser les yeux de honte

                                         Je suivis ce mauvais garçon
                                         Qui sifflotait mains dans les poches
                                         Nous semblions entre les maisons
                                         Onde ouverte de la mer Rouge
                                         Lui les Hébreux moi Pharaon

                                         Que tombent ces vagues de briques
                                         Si tu ne fus pas bien-aimée
                                         Je suis le souverain d'Egypte
                                         Sa soeur-épouse son armée
                                         Si tu n'es pas l'amour unique

                                         Au tournant d'une rue brûlant
                                         De tous les feux de ses façades
                                         Plaies du brouillard sanguinolent
                                         Où se lamentent les façades
                                         Une femme lui ressemblant

                                         C'était son regard d'inhumaine
                                         La cicatrice à son cou nu
                                         Sortit saoule d'une taverne
                                         Au moment où je reconnus
                                         La fausseté de l'amour même

                                         Lorsqu'il fut de retour enfin
                                         Dans sa patrie le sage Ulysse
                                         Son vieux chien de lui se souvint
                                         Près d'un tapis de haute lisse
                                         Sa femme attendait qu'il revint

                                         L'époux royal de Sécontale
                                         Las de vaincre se réjouit
                                         Quand il la retrouva plus pâle
                                         D'attente et d'amour pâlis
                                         Caressant sa gazelle mâle

                                         J'ai pensé à ces rois heureux
                                         Lorsque le faux amour et celle
                                         Dont je suis encore amoureux
                                         Heurtant leurs ombres infidèles
                                         Me rendirent si malheureux

                                         Regrets sur quoi l'enfer se fonde
                                         Qu'un ciel d'oublis s'ouvre à mes voeux
                                         Pour son baiser les rois du monde
                                         Seraient morts les pauvres fameux
                                         Pour elle eussent vendu leur ombre

                                         J'ai hiverné dans mon passé
                                         Revienne le soleil de Pâques
                                         Pour chauffer un coeur plus glacé
                                         Que les quarante de Sébaste
                                         Moins que ma vie martyrisée

                                         Mon beau navire ô ma mémoire
                                         Avons-nous assez navigué
                                         Dans une onde mauvaise à boire
                                         Avons-nous assez divagué
                                         De la belle aube au triste soir

                                         Adieu faux amour confondu
                                         Avec la femme qui s'éloigne
                                         Avec celle que j'ai perdue
                                         L'année dernière en Allemagne
                                         Et que je ne reverrai plus

                                         Voie lactée ô soeur lumineuse
                                         Des blancs ruisseaux de Chanaan
                                         Et des corps blancs des amoureuses
                                         Nageurs morts suivrons-nous d'ahan
                                         Ton cours vers d'autres nébuleuses

                                         Je me souviens d'une autre année
                                         C'était l'aube d'un jour d'avril
                                         J'ai chanté ma joie bien-aimée
                                         Chanté l'amour à voix virile
                                         Au moment d'amour de l'année


                                                                                     Guillaume Apollinaire

                                          
                                                                                




jeudi 22 mars 2012

Lettres à Madeleine 23 Apollinaire

croixLettre à Madeleine

( Lettre du 18 septembre, réflexions sur l'amour et ce qu'il appelle les vices dans le couple " ...il pourrait y avoir des vices dans l'amour dès que le devoir n'intervient pas... ". La beauté et l'amour "... les Grecs élevaient des statues à Vénus Callipyge... " Le 19 septembre 1è lettre "... Nous ne sommes pas chastes et nous sommes purs comme deux lys... " et toujours son rêve de beauté, il imagine "...Je songe à tes hanches de canéphore, à ton sein, à ta bouche rouge comme une alise, je redeviens pur comme ce prince qui alla réveiller la Belle au bois dormant... " La lettre qui suit est la deuxième écrite le 19.


                                                                                                          19 septembre 1915

              C'est pour demain, mon amour.
              Je t'envoie ci-joint la photo arrangée en médaille ou plutôt en monnaie par cet aimable scélérat de Berhier qui a promu le Kostro à la valeur d'une unité monétaire comme le Louis. Sur l'avers avec mon portrait et la signature  R. Berthier il y a :
                                                               APOLLINAIRE LE CRVEL
                                                               TYRAN DES HVRLVS 1915
              Sur le revers il y a l'indication
                                                                             
                                                                     1
                                                                 KOSTRO
                                                             le serpent la rose la flèche
et
                                                     38è ARTILLERIE -- 45 BATTERIE
                                                            SECTEUR 80 HYPOGÉE 4
                                                                             1915

               Et voilà une amusante plaisanterie.
               Je t'écrirai longuement ce soir mon amour, il est maintenant 1 heure et je pense à toi de toute mon âme. Tout à l'heure j'espère j'aurai une lettre de mon amour je n'en ai pas eu hier, car mes lettres sont postdatées en ce sens que je leur donne la date du jour le vaguemestre les prend. En général je les écris le soir et souvent très tard la nuit
               Je t'ai écrit hier soir. Je prends tes lèvres mon amour et te prend toute, tyranniquement comme il est dit sur la monnaie solaire apollinienne que je 'envoie, ma chère adorée je prends ta bouche.

                                                                                                              Gui

                                                     
     

Le Corbeau de Mizarro Pirandello conte Italie ( suite et fin )


                                                                     Le Corbeau de Mizarro

               " Peut-être me voit-il ? " pensa Ciché, et il alla se cacher plus loin.
               Le corbeau n'en continuait pas moins à voler tout en haut, sans faire mine de descendre.Ciché avait beau avoir faim, il ne voulait tout de même pas lui laisser le dernier mot. Il se remit à piocher. Il attend, il attend : le corbeau toujours en haut comme s'il le faisait exprès. Mourant de faim, avec son pain à deux pas sans pouvoir y toucher ! Il se rongeait Ciché, mais résistait et s'entêtait,furieux.
                - Tu descendras bien ! tu descendras bien ! Toi aussi, tu dois avoir faim !
                Cependant du haut du ciel, le corbeau semblait lui répondre avec sa clochette pour le faire enrager.
               - Ni toi ni moi ! Ni toi ni moi !
                La journée se termina.Ciché, exaspéré, se vengea sur l'âne en lui remettant son bât d'où pendaient, comme une javelle d'un nouveau genre, les quatre fèves. Et chemin faisant,il mordit furieusement dans le pain, son supplice tout au long de la journée. A chaque bouchée, une injure à l'adresse du corbeau : criminel, fripouille, vendu ! parce qu'il ne s'était pas laissé prendre. Mais le lendemain, il l'emporta.
                Après avoir préparé l'amorce aux fèves avec le même soin, il travaillait depuis peu, quand il entendit tout près un carillon saccadé puis un croassement désespéré doublé d'un furieux battement d'ailes. Il se précipita. Le corbeau était là, retenu par la ficelle qui lui sortait du bec et l'étranglait.
               - Ah ! te voilà pris ! lui cria-t-l en l'attrapant par ses vilaines ailes. Elle était bonne, hein, la fève ! A nous deux maintenant, sale bête ! Tu vas voir !
                Il coupa la ficelle et pour commencer lui flanqua deux coups de poing sur la tête.
               - Un pour la peur l'autre pour le jeûne forcé.
               En entendant le corbeau croasser, l'âne qui arrachait les chaumes sur le versant tout près de là, avait pris la fuite, épouvanté. Ciché l'arrêta d'un cri puis de loin lui montra la vilaine bête noire.
               - Le voilà, Ciccio ! Nous le tenons, nous le tenons cette fois.
               Il lia les pattes au corbeau, le pendit à l'arbre et se remit à travailler. Tout en piochant il songeait à la revanche qu'il allait s'offrir. Il lui raccourcirait les ailes pour l'empêcher de voler puis il le donnerait à ses enfants et aux gamins du voisinage qui en feraient de la charpie. Et en son for intérieur, il riait.
                Le soir venu, il mit le bât à l'âne, suspendit le corbeau au culeron de la croupière, enfourcha sa bête, et en route. La clochette, au cou du corbeau se mit à tintinnabuler. L'âne dressa l'oreille et se cabra
.              - Hue dia ! cria Ciché en tirant un bon coup sur les guides.
               Et l'âne se remit à marcher, se demandant tout de même ce que signifiait ce bruit insolite qui accompagnait son lent trottinement dans la poussière de la route.
                Quant à Ciché, tout en avançant, il pensait qu'à partir de ce jour-là personne n'entendrait plus le corbeau de Mizzaro carillonner dans le ciel. Il le tenait là, il ne donnait même plus signe de vie, quelle sale bête !
               - Que fais-tu ? lui demanda-t-il en se retournant et en lui cinglant la tête de sa guide.
               Et à cela, le corbeau :
               - Cra !
               Brusquement, à cette affreuse voix inattendue, l'âne s'arrêta, la tête et les oreilles dressées.Ciché éclata de rire :
               - Hue, Ciccio ! Est- ce que tu aurais peur ?
               Et il donna un coup de corde à l'âne sur les oreilles. Mais peu après il répéta sa question au corbeau :
               - Est-ce que tu dors ?
               Là-dessus, un autre coup plus fort. Alors, plus fort aussi, le corbeau :
               - Cra !
               Mais cette fois, l'âne bondit comme à saute-moutons et prit la fuite. C'est en vain que Ciché, de toute la force de ses bras et de ses jambes, essayait de le retenir. Le corbeau secoué deçà delà dans cette course furieuse se mit à croasser désespérément, et plus il croassait, plus l'âne épouvanté courait :
               - Cra ! Cra ! Cra !
               De son côté,Ciché hurlait, tirait, tirait sur la bride. Désormais, la terreur où l'une plongeait l'autre, la première en braillant l'autre en se sauvant affolait de plus en plus les deux bêtes. Cette course furieuse, désespérée, retentit un long moment dans la nuit, puis on entendit un grand plouf ! et plus rien.
               Le lendemain, on trouva Ciché au fond d'un ravin, la tête fracassée sous son âne fracassé de même, un charnier qui fumait sous le soleil au milieu d'une nuée de mouches.
               Noir dans l'azur de la belle matinée, le corbeau de Mizzaro faisait tinter sa clochette, libre et béat d'aise.


                                    PIRANDELLO


                                                                      

mercredi 21 mars 2012

Le Corbeau de Mizzaro Pirandello ( Conte Italie )



Luigi Pirandello naît le 28 juin 1867 à Agrigente  ( Girgenti en Sicile ).Le choléra sévit, peu d'enfants résistent à l'épidémie mais Luigi " le ver luisant " comme il se nomme survit.  Dramaturge, auteurs de nouvelles ( 237 ), s'est installé ) à Rome avec son épouse Maria Antonietta et ses trois enfants. Le Corbeau de Mizzaro parut en 1902 pour la première fois dans Il Marzocco avant d'être intégré le recueil de nouvelles " Le Carnaval des Morts ".

                                                                            Le Corbeau de Mizzaro

                 Des bergers désoeuvrés qui grimpaient un jour sur les coteaux de Mizarro surprirent dans son nid un gros corbeau en train de couver paisiblement.
                - Oh vieux gaga, que fais-tu là ? Regardez-moi ça ! Il couve ! C'est à ta femme de le faire, vieux gaga !
                Qu'on ne s'imagine pas que le corbeau n'ait pas crié ses raisons, il les cria fort bien mais en bon corbeau et naturellement il ne fut pas entendu. Ces bergers se divertirent une journée entière à le tourmenter puis l'un d'eux l'emporta au pays. Toutefois le lendemain, ne sachant qu'en faire, il lui attacha au cou une clochette en bronze et lui rendit la liberté :
               - Profites-en tout ton saoul !

               Quelle impression cette breloque sonore faisait au corbeau, lui seul le sut qui l'emportait à travers le ciel. D'après les amples envolées auxquelles il s'abandonnait, il semblait s'y complaire, puisqu'il en oubliait son nid et sa compagne.
               - Drelin, drelin... drelin, drelin...
               A ce tintement de cloche, les paysans courbés sur leur travail se redressaient, scrutaient de tous côtés la plaine à perte de vue sous la flambée du soleil.
               - Où ça sonne donc ?
               Pas un souffle de vent ; de quelle église lointaine arrivait donc ce carillon de fête ?
               Ils pouvaient tout imaginer sauf qu'un corbeau sonnait ainsi en plein ciel. " Des esprits ! " pensa Ciché seul et en train de creuser des trous autour de plants d'amandiers pour les remplir de fumier. Et il se signa.Car il y croyait, lui, aux esprits et comment ! Même qu'il s'était entendu quelquefois appeler le soir quand il rentrait très tard le long de la route près des  Fornaci, ces anciens fours éteints où au dire de tous  ils avaient élu domicile.Appeler , et comment ! Appeler : Ciché ! Ciché ! comme ça.Et ses cheveux s'étaient dressés sous son bonnet.
               Or, ce carillon, il l'avait d'abord entendu de loin puis de plus près puis encore de loin ; cependant, aux alentours pas âme qui vive: des champs, des arbres et des plantes qui ne parlaient ni n'entendaient et dont l'impassibilité n'avait fait qu'accroître sa frayeur.Ensuite, comme il allait déjeuner puisqu'il s'était apporté la moitié d'une miche de pain avec son oignon dans son cabas pendu un peu plus loin à une branche d'olivier avec sa veste, et bien, bonnes gens, sûr qu'il l'avait retrouvé dans son cabas mais pas son pain.Et cela en quelques jours seulement.
              Il n'en parla à personne car il savait que lorsque les esprits prennent quelqu'un pour cible, gare à s'en plaindre ! Ils vous retrouvent au tournant quand bon leur semble et même ils en remettent.
              - Je ne me sens pas à mon aise, répondait Ciché le soir à sa femme qui lui demandait pourquoi il avait cet air ahuri.
              - Tu manges bien, pourtant , lui faisait observer sa femme peu après, en le voyant avaler deux ou trois assiettées de soupe d'affilié.
              - Eh oui, je mange ! mastiquait Ciché à jeun depuis le matin et fou de rage de ne pouvoir se confier à sa femme.
              Jusqu'au moment où la nouvelle se répandit dans les villages qu'un corbeau maraudeur s'en allait dans le ciel en sonnant une clochette.Ciché eut le tort de ne pas en rire comme les autres paysans qui avaient conçu quelques appréhensions.
              - Je jure, dit-il, que je le lui ferai payer !
              Et que fit-il ? Il emporta dans son cabas avec sa moitié de miche et son oignon quatre fèves sèches et quatre aiguillées de ficelle, à peine arrivé dans son champ, il ôta le bât de l'âne et l'achemina vers la colline pour qu'il aille brouter les chaumes.Selon l'habitude des paysans, Ciché causait avec son âne de temps en temps, et l'âne dressant tour à tour une oreille, reniflait de temps en temps pour lui répondre à sa manière.
              - Va, Ciccio, va, lui dit ce jour-là Ciché.Tu vas voir, nous allons bien nous amuser.
              Il fit un trou dans les fèves, les attacha au bât par la ficelle, et les disposa par terre sur son cabas ; après quoi il alla piocher un peu plus loin.
              Une heure passa pis deux..De temps à autre, Ciché interrompait sa besogne, croyant toujours entendre la clochette ; se redressant, il tendait l'oreille.Rien.Alors il se remettait à piocher.
              Vint l'heure du déjeuner.Perplexe, se demandant s'il irait chercher son pain où s'il attendrait encore un peu ; à la fin Ciché se mit en marche mais quand il aperçut l'amorce encore sur le cabas, il se refusa à la déplacer.Là-dessus, se fit entendre clairement un tintement lointain ; il leva la tête.
              - Le voici !
              Et coi et courbé, le coeur battant il alla se cacher un peu plus loin.
              Si ce n'est que le corbeau, comme s'il prenait plaisir au son de sa clochette, tournait et virait en haut, tout en haut, et ne descendait pas....
 
                                                                                                 
                                                                                             ......... .........( à suivre )
     

dimanche 18 mars 2012

Le loup de Wall Street Jordan Belfort ( roman Etats-Unis )

Le Loup de Wall Street
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                                                      Le loup de Wall Street                                                                                                                                                                                                                                                                             
                 Diplômé en biologie c'est dans la finance et plus exactement en tant que trader que Jordan Belfort va construire puis détruire une carrière de sur-doué de l'achat et de la vente d'actions. Créant des sociétés paravents pour des introductions à la limite de l'illégalité, il a créé une société de bourse hors Manhattan à Long Island, Stratton, où un millier de courtiers s'efforçaient de vendre des titres. Pour entretenir l'excitation la drogue circulait, les filles passaient, la démesure s'est installée avec l'afflux de millions de dollars. Belfort est aussi un bon auteur. A 34 ans il avait racheté le yacht de Chanel, propriétaire de plusieurs maisons, d'une deuxième épouse Nadine mannequin surnommée Duchesse de Bay Bridge et de deux enfants, 22 personnes à leur service mais il ne jouera pas au golf qui jouxte sa maison car "... n'étant qu'un simple juif... Il était impossible  d'entrer dans un quelconque club sans prouver qu'on était un wasp pur-sang... jusqu'à ce que je comprenne... étaient de l'histoire ancienne, une espèce sérieusement menacée, cousine du dodo ou de la chouette tachetée... "  Continuellement sous Mandrax et cocaïne, Xanax et un nombre infini d'autres substances il emploie toutes ses facultés à entretenir des actifs qui lui permettent un jet privé et un hélicoptère. Les opérations financières sont parfaitement expliquées, les démarches et le blanchiment d'argent vers la Suisse, le choix des passeurs. Ses aventures nombreuses avec par exemple à Genève bien servi par le service d'étages "... allai ouvrir la porte. Je levai les yeux... Il y avait une femme noire d'un bon mètre quatre-vingts... " Des associés hypocrites tout aussi shootés, le FBI intrigué par cette société avide de dollars les yeux fixés sur la bande jaune, et son patron qui dérive publiquement bavant ou s'endormant la tête dans une assiette de coke. Cependant Jordan est un génie "... Je suis un passionné d'histoire, Roland, je crois dur comme fer que qui n'étudie pas les erreurs du passé est condamné à les reproduire." Assez drôle il raconte sa vie délirante avec des mots très crus  et sous-titre le livre Vie et Moeurs des riches détraqués. Une over-dose, près de mourir, "... la toxicomanie est une saloperie de maladie... les limites du sens commun s'estompent dans le feu de l'action... " Le livre ne se lâche pas, 600 pages d'aventures vécues.                                                          
            2013 - Martin Scorses met en scène Le Loup de Wall Street. En vedette Leonardo di Caprio.

Miniature

                                                                                                                                                                                                     

samedi 17 mars 2012

Lettres à Madeleine 22 Apollinaire


1925

                                          
                                                      Lettre à Madeleine

                                                                                                                  17 septembre 1915

                Mon amour, j'ai aujourd'hui ta lettre du 11. Je n'écris plus à Narbonne Les lettres n'y parviendraient point à te joindre. Vénus se serait embarquée dans son port. Je crois que le bal va commencer ici. On nous montera demain des vivres pour 3 jours et de l'eau aussi. Par conséquent je croîs que nous n'aurons pas de lettres et que tu n'en recevras pas. Il faut ma chérie, que tu ne t'inquiètes pas de quelques jours sans lettres. Mais je t'écrirai tout de même chaque jour et toi aussi -
                D'autre part mon amour, il faut que tu gardes avec ton coeur nouveau de femme, dis-tu, ton coeur virginal de jeune fille. Les deux sont toi, n'en chasse aucun, les deux sont moi aussi.Si tu savais...
              Mais si, mon amour tu me rends très très heureux. Je trouve tout en toi et le bonheur que tu me donnes dans tes lettres bien que très voluptueux est d'une pureté merveilleuse. Non je ne souffre pas misérablement et honteusement. Je sais me dominer. Je ne souffre que de notre éloignement et aussi évidemment je préférerais t'avoir toute vraiment. Mais c'est tout. Je te désire infiniment et ce m'est délicieux. Je n'ai souffert que dans les temps où je ne savais pas encore - je le savais cependant - combien tu étais à moi. Mais maintenant il y a eu en moi toute la curiosité de mon amour pour toi mais rien de bas. Je t'adore mais j'ai trop le sentiment du devoir pour m'épuiser en imaginations qui pouvaient hanter un solitaire de la Thébaïde livré à lui-même et sans but, sinon un but métaphysique, mais non au soldat. D'ailleurs un soldat doit être chaste. Au début mon amie de Nice m'avait proposé de venir en seconde zone de secteur 59 où il y avait encore des patelins, je n'ai pas voulu. Je voulais être chaste. Je comptais me rattraper après la guerre ou en permission.Tu es venue ensuite à mon appel et tout le reste s'est écroulé. J'ai eu des occasions comme tout le monde dans le secteur 59 dans les villages de 2è zone, mais si même j'avais pu me laisser aller, ton souvenir, qui devenait un avenir, m'aurait retenu. J'aime ma chasteté actuelle parce qu'elle me permet de supporter les fatigues, de n'être pas malade et surtout parce qu'elle me permet d'être digne de Madeleine et que mon désir ne pourrait aller qu'à elle-même, en corps et âme. Mon désir va vers toi et non à une émanation, viendrait-elle de toi et pour rien au monde je ne voudrais être semblable à ce malheureux Ixion qui fit dodo avec un fantôme de nuées fait à la semblance de Junon. J'aime Madeleine et j'aime qu'elle m'écrive parce que ses lettres sont fines, intelligentes, voluptueuses, aimables, délicates, pleines d'aperçus sur elle, sur nous, mais ce ne sont pas ses lettres que j'aime, et un amour aussi monstrueux m'abaisserait trop à mes yeux pour qu'il puisse même être question d'une souffrance comme celle-là, tes lettres devenant les pommes du pauvre Tantale, non ne crains rien. Loin de me faire de la peine, tes lettres en me prouvant ton amour augmentent au contraire ma joie, ma joie de t'aimer toi si juvénile, si femme même si prête à notre amour complet. Et moi aussi quoique ce ne soit pas évidemment afin de créer la chasteté entre nous - au contraire - je prends tes lèvres purement et chastement. C'est-à-dire que je fais aux lettres la part qu'elles peuvent avoir mais que l'homme t'est tout entier réservé. Aussi te désiré-je infiniment pour le moment où je pourrai t'avoir.
             Je savais bien que tu ne portais pas de corset ! C'est merveilleux cette divination ! Je ne t'en ai parlé que parce que j'en avais l'intuition absolue. Je n'ai cependant pas insisté parce que j'aurais pu me tromper.Tu ne peux te figurer à quel point cette merveilleuse et importante nouvelle m'a fait plaisir.Ton buste est libre... Ma Madeleine.Tu es donc une divinité ! Et quant à la nouvelle qui concerne tes hanches de déesse, je l'avais aussi pensé à tes photos et à ta démarche, patent incessu dea. Tu as exactement les hanches que je préfère. Et pardonne à mon impudeur, je suis impudique avec une ingénuité de sauvage tu verras, mais pardonne-moi de te le dire aussi crûment, je crois que je ne pourrais pas aimer une femme qui n'aurait pas les hanches comme tu dis et comme tu les as. Sans y mettre aucun vice et aucune manie, j'ai l'âme des Grecs qui adoraient Vénus Callipage et je n'ai aucune honte d'un goût aussi hellénique. Donc, tue n'as pas à t'en consoler mais à t'en réjouir, ma très belle Madeleine. Mais où as-tu lu que Néron n'aimait pas les femmes aux hanches étroites ? Moi je les abomine.
               Ce Néron était donc bien remarquable. Je crois au demeurant qu'on a fait justice de toutes les accusations portées contre lui.
               Tes formes ma chérie sont admirables.Je l'avais vu dans ta photo en peignoir et aussi dans celle où tu es sur la terrasse et où ta jambe gauche est dessinée. J'attends avec impatience ta photo de Narbonne.
              Que j'aime ta phrase sur notre bonheur. Elle montre combien nos goûts coïncident en tout puisque tu la mets après m'avoir livré un peu, beaucoup même de ton corps que je devine admirable comme ta figure.
              Mon aimée, embrasse pour moi tes pieds, ces chers souffrants comme disaient les Précieuses qui, ma foi, n'étaient pas toujours ridicules.
              Oui mon amour nous donnerons mutuellement beaucoup beaucoup d'amour. Et puis pardonne à mon ingénuité qui me fait appeler les choses avec une précision qui est dans ma nature et dans la tienne aussi, car tu es aussi franche, aussi nette que moi, et va, mon amour, bien que j'aie plus vécu, je suis pur aussi et digne de ta merveilleuse pureté si voluptueuse.
             Et quand je pense à toi, ma chérie, chaque fois, brusquement c'est au Cantique des Cantiques que ton image me fait penser. Cette merveilleuse pastorale est comme un décor qui va si bien aux retraites africaines d'où tu m'écris, d'où tu m'appelles et me tends dans le plus pur des désirs le corps le plus beau, le plus vierge qui soit et aussi le plus voluptueux, ô mon amour.


                                                                                                                     Gui









vendredi 16 mars 2012

La tache sur l'ongle Miguel de Unamuno ( conte Espagne )

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raidergazette.com

                                  Miguel de Unamuno Bilbao 1864 Salamanque 31 décembre 1936
                                            ( conte paru le 25 janvier 1923 dans Les Lunes de El Impartial )

                                           La tache sur l'ongle

               Procopio cultivait ce qu'on pourrait appeler la superstition des superstitions, c'est-à-dire celle de n'en avoir aucune. Le monde était pour lui un mystère, mais vide de sens. Rien ne signifie rien, était sa devise.Vouloir tout expliquer est une invention de l'homme, superstitieux par nature. Toute la philosophie - et pour Procopio, la religion était une philosophie à l'usage des enfants ou des vieillards, avant ou après leur développement mental - se réduisait à l'art de poser des charades où le tout procède des parties, mon premier, mon second, mon troisième etc. Tel était l'abc de sa sagesse. Mais à quoi correspond ce rien qui a cependant un sens qu'il traduit sans le vouloir ? A la rigueur, l'homme ne pense que pour parler, pour communiquer avec ses semblables et se persuader ainsi qu'il est un homme.
            Un jour que Procopio se préparait à se couper les ongles - opération à laquelle il se livrait fréquemment - il remarqua à la base de l'ongle du majeur de la main droite, un peu vers la gauche, une petite tache blanche de la dimension d'une lentille. Incident naturel non contagieux, affaire de tissu. " Bah ! se dit-il, elle montera avec la croissance de l'ongle et finira par disparaître.Un jour je la ferai sauter en coupant l'ongle. " Mais l'homme propose et Dieu dispose, et Dieu fit que Procopio ne put s'empêcher de chasser de son esprit cette petite tache blanche sur son ongle.
Afficher l'image d'origine*           Aussi, lorsqu'il entreprit, quelques jours après cette découverte, de prendre une plume, la tache l'empêcha de la faire courir à son gré. " Mais c'est idiot, se disait-il, furieux contre lui-même, puisque cela ne veut rien dire ! superstitions avilissantes ! " Il se rappelait qu'étant enfant on lui avait expliqué que ces petits points blancs sur les ongles représentent autant de mensonges et qu'ils surgissent sur les ongles des enfants menteurs. Mais il n'était plus un enfant - encore moins un vieillard - et il n'avait aucun souvenir d'avoir fait récemment un gros mensonge ou de s'être menti à lui-même. Au reste, tout cela ne voulait rien dire, et il partit à la campagne pour voir si le soleil et le grand air lui feraient oublier cette petite tache sur l'ongle du majeur.
               Mais quoi ? Il lui eût été plus facile de faire disparaître de son ongle la petite tache." Mais qu'est-ce que cela veut dire ? se demandait-il, sans vouloir se le dire, qu'est-ce que cela signifie ? Certainement rien ! Quelque chose, certainement ! car il n'est pas d'effet sans cause et, indubitablement, il y a un effet, un effet de quelque chose. Ce n'est pas sans raison que cette petite tache s'est faite sur mon ongle et précisément sur l'ongle du majeur et de la main droite, et non sur quelque autre de mes dix doigts. C'est à voir ? " Et il se mit à examiner ses autres ongles." Il n'y a pas d'effet sans cause, pas de cause sans effet.Pourquoi cette petite tache est-elle survenue ?... Une petite tache ? " Il entreprit de discuter de l'existence même de la tache.Or, les taches lui paraissaient généralement tirer sur le noir." Cependant, cependant, blanc sur noir est une tache, aussi bien  que noir sur blanc. Sur un vêtement noir, le lait fait une tache comme l'encre sur le plastron d'une chemise blanche. " Il espérait par ces sophismes chasser de son imagination la petite tache. Mais quoi ? pas même cela, et le problème n'était plus dans la découverte de la signification de la petite tache, mais celui de savoir si elle avait une signification... Au vrai, de préciser si quelque chose signifie quelque chose.
                Procopio était persuadé de ne pas croire aux " présages ", prédictions et autres superstitions - un pêché, comme l'enseigne le père Astète - mais la superstition de Procopio était de croire que rien ne signifie rien et que rien n'est explicable. " Et si nous cherchions plus avant : quelle signification apporter au fait qu'on m'ait appelé Procopio ? pourquoi mon père, qui avait pour prénom Wilibrod, m'a-t-il fait baptiser sous ce nom ? et je sais qu'il avait un frère, mon oncle, Burgundôforo... " Mais en vain... Non, il ne réussissait même pas par ces digressions à chasser l'obsession de la petite tache blanche. Elle était toujours là, sur l'ongle, le narguant, comme pour lui dire : Devine, c'est une devinette. Que fait l'oeuf dans la paille ? Et moi, qu'est-ce que je fais ici ?...                                                                                          pixers.fr
Afficher l'image d'origine                La " chose ", comme il l'appelait en se parlant à lui-même, commença à le troubler, il était obsédé par la petite tache. Douleur, non ! Ce n'était pas une douleur ; cela n'arrivait pas jusqu'à la souffrance. C'était quelque chose qui le tracassait, pareil à l'anxiété de celui qui ne se souvient plus du nom de son père, de son fils ou du sien propre. Il se rappela aussi qu'un jour, étant enfant, il dut sortir de l'église où il entendait dévotement la messe, ne pouvant supporter de sentir moucher les cierges de l'autel. Et maintenant il retrouvait les angoisses de son enfance.
               Devait-il peindre son ongle ? le limer ? le couper ? le mieux serait de le laisser pousser. Peut-être même, dans son désir de voir disparaître cette tache mystérieuse - oui, mystérieuse, mystérieuse ! -, l'ongle pousserait-il plus rapidement. Pourquoi pas ?... la volonté n'aurait-elle pas par hasard une action plus ou moins rapide sur la croissance des ongles?
               " On raconte que Newton, se dit Procopio, eut la révélation de la gravitation en voyant tomber une pomme... Un racontar, certainement ! Mais l'apparition de cette petite tache sur un de mes ongles ne serait-elle pas pour moi comme la chute de la pomme pour Newton ? Et maintenant ? que vais-je découvrir ? " Il était indispensable de trouver quelque chose ; l'esprit veut une explication. Seulement, comme rien ne signifie rien... Serait-il amené à découvrir que rien ne signifie rien ? Il croyait avoir trouvé la solution, mais pour lui seul. Mais quand on ne réussit pas à dévoiler aux autres ce qu'ils croient tenu pour découvert, on commence à soupçonner que soi-même  on n'a rien trouvé.
               " Et si je pouvais démontrer que la chose ne signifie rien ? " L'épouvante l'envahit. L'obsession de la petite tache le laissait incapable de penser à des affaires plus sérieuses ?
                Procopio rentra à la maison, pensant à tous les problèmes qu'il aurait à résoudre. La tache de son ongle prenait les dimensions d'un événement cosmique. Il n'osait plus dormir de crainte d'en rêver. Procopio  avait une horreur superstitieuse de la superstition.


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                                                                      Miguel de Unamuno