vendredi 13 juillet 2012

Ragotte ( suite ) Jules Renanrd ( Nouvelles France )


                                                            Ragotte
                                                                       ( suite)              


2                                                                      La mort du  petit Joseph

            L'infirmière dit à Gloriette :
            - Votre petit jeune homme ne va pas.
            - Perdu ?
            - Bien malade !
            Et le médecin :
            C'est une méningite ! Il peut vivre encore huit jours ou trois semaines. Trois semaines, ça m'étonnerait. Prévenez la famille.
            J'écris à Philippe et lui conseille de venir à Paris.
            - Triste voyage, dit-il en arrivant.
            Il va tout de suite à l'hôpital avec sa fille Lucienne et ne trouve pas Joseph si mal.
            - Il vous a reconnu, Philippe ?
            - Oh ! et même de loin ! Il faisait : bou ! bou! avec ses lèvres. Je lui ai dit : " Tu veux donc m'embrasser ? " Il a répondu : " Oui. " Je me suis penché, et, comme mon pied glissait, il m'a dit : " Tu vas tomber ! " Il a voulu boire, Lucienne soutenait le verre par le fond. Je disais à Joseph : " Tu en en as assez ! " C'était pour rire, non pour lui refuser son lait. Il répondait : " Ma foi, je bois tout : " Et il a tout bu : preuve qu'il va mieux.
            - Ne vous faites pas d'illusion !
            - Oh ! je ne m'en fais pas beaucoup ; son mieux, c'est peut-être son pire.
            - Dès qu'un grand médecin comme le sien a parlé!...
            - Quelquefois, les médecins se trompent, dit Philippe.
            - Pas quand ils affirment qu'il n'y a rien à faire.
            - Ah !
            - J'admire les grands médecins, dit Gloriette émue.
            La barbe de Philippe et ses rides  se brouillent et sa figure a bientôt l'air d'une souche trempée.
            - Vous avez pu, Philippe, vous assurer par vous-même que Joseph est bien soigné à cet hôpital ?
            - Oui, mais il y a de l'eau qui lui coule du front et le mouille jusqu'à l'estomac.
            - C'est l'eau de la glace qu'on lui met sur la tête pour endormir le mal.Vous ne trouveriez pas de glace à la campagne.
            - Non : il serait mieux tout de même si quelqu'un restait près de lui.
            - L'infirmière ne bouge pas, Philippe ! Elle va d'un malade à l'autre. Elle ne quitte la salle que pour déjeuner, et elle n'a que ce moment de repos. C'est dur, le métier d'infirmières ; elles travaillent de sept heures du matin à sept heures du soir.
            - Joseph n'aurait pas d'infirmière chez nous, répond Philippe, mais moi, la Ragotte ou le Paul, on ne le laisserait pas seul, on serait toujours là pour le recouvrir s'il se découvrait et pour lui donner quelque chose, quand il demanderait à boire, ou n'importe.
            - Ce n'est pas de soif que Joseph mourra, Philippe. Que dites-vous de l'hôpital ? Vous n'en aviez pas encore vu ?
            - Non.
            - Il vous a semblé bien tenu, hein ? propre, tout luisant !
            - C'est assez convenable.
            - Depuis combien d'années Joseph est-il à notre service ?
            - Ce serait la septième.
            - Sept ans, déjà ! Espérons qu'il n'aura pas été bien malheureux chez nous.
            - Il ne se plaignait pas trop, dit Philippe.

             L'infirmière est jolie, blonde, douce et grave ; elle ne s'attarde pas aux malades qui plaisantent. Elle donne avec le même sérieux le verre de lait et la bouteille à pipi. Malgré son métier, elle reste si bien femme que Gloriette, à sa vue, ne manque de dire :
            - Comme je la comprends ! Moi aussi, j'aimerais être garde-malade.    
            Le petit Joseph n'a presque pas de fièvre et il divague. Il divague poliment, d'un air raisonnable. Il a reconnu son père et ne se rappelle plus sa visite. Il semble qu'on lui ait asséné un coup de marteau sur le crâne, non pour le tuer, mais pour l'étourdir. Il grimace et ne souffre pas. Ses mains sont glacées, l'une blanche, l'autre violette. Elles se cherchent, mais si la blanche fait, à elle seule, plus de la moitié du chemin, la violette bouge à peine.
            - Vous m'emmenez ? me dit-il .
            - Oui, bientôt.
            - Oh ! je peux marcher, allons ! dépêchons-nous !
            Il s'efforce de remuer ses jambes inertes.
            - On m'a monté ici sur un brancard, dit-il, mais, pour redescendre, je les aiderai et je tiendrai le bout du brancard.
            Il voit au mur des ronds de soleil et s'écrie :
            - Oh ! des brioches !
            - Hier, dit-il, un vieux était très malade. Il a demandé le bon Dieu. Il est là, dans l'armoire, le bon Dieu.
            L'interne l'a questionné.
            - Buvez-vous quelquefois ?
            - Non.
            - Jamais ?
            - Non, non,.
            - Qu'est-ce que vous faites ?
            - Moi ?
            - Oui, vous, dans la vie ?
            - Je suis domestique.
            - Servez-vous aux repas ?
            - Oui.
            - En débarrassant la table, vous prenez la goutte ?
            - Il n'y a pas de goutte chez nous ! répond le petit Joseph avec force.
            Les autres malades nous observent et se disent sans doute :
            " C'est lui, ce n'est pas moi, qui va mourir. "
            - Bonsoir, petit !
            - Vous partez ?
            - Oui, nous reviendrons.
            - Et moi, je reste ?
            Va-t-il pleurer ? Quand je me retourne, ses yeux s'amusent déjà aux brioches qui s'arrondissent sur le plâtre blanc.
            - Là-bas, on les habille, me dit Philippe ; est-ce qu'on va l'habiller ?
            - Je ne crois pas. Nous lui donnerons un drap avec un oreiller, et il sera mieux dans un drap propre que dans ses effets qui ne l'étaient plus.
            - Là-bas, on les habille, répète Philippe.
            - Ici, non. Chaque pays a ses habitudes. Paris a les siennes. Il faut les respecter.
            - Oui, mais je ne veux pas qu'on jaguille Joseph.
            - Comment ?
            - Je ne veux pas qu'on le jaguille ! Vous, qui connaissez les médecins, défendez-leur de le jaguiller. Je sais qu'à l'hôpital ils jaguillent les morts, si on ne dit rien. Ils ont jaguillé la fille de Rolin. Moi, je ne veux pas : Défendez !
            Il parle ainsi, têtu et sombre, parce qu'il se souvient d'en avoir presque jaguillé un lui-même à la ferme des Corneille.Un domestique était mort subitement. La Compagnie d'Assurances exigea l'autopsie et le médecin fit l'opération avec l'aide de Philippe, renommé pour son adresse à égorger les porcs. Philippe, quoique habitué au sang, ne trouva pas que c'était de l'ouvrage agréable.
            - Défendez, monsieur, défendez !
            - Je ferai votre commission.
                                                                       
                                                                                chrysanthème de la toussaint
            - Je n'ai plus rien à faire ici, je m'en vais , dit-il à Lucienne.
            Il s'assure qu'il a dans sa poche le livret de caisse d'épargne et le porte-monnaie du petit.
            - Vous savez que vos autres enfants ont droit à la moitié de cette somme ?
            Philippe ne répond pas. Il boutonne étroitement sa veste et son pardessus, se coiffe d'aplomb, et dit à sa fille, d'un ton autoritaire :
            - Je pars, je l'ai vu, ça suffit ; mais toi, tu restes. Tu iras à l'hôpital tous les jours, et tous les jours tu écriras pour donner de ses nouvelles. N'y manque pas, tu m'écoutes ?

            J'avais dit à Philippe :
            - Vous êtes un homme, vous ! un homme s'en rire, mais Ragotte n'est qu'une pauvre vieille maman ; soutenez-la !
           Philippe nous télégraphie de là-bas : " Ragotte pas malade, mais ennuyée. "

           Après Philippe, c'est le Paul qui vient voir son frère Joseph une dernière fois. Il a voulu partir à toute force. Il arrive à la gare de Lyon, au milieu de la nuit, et il attend que l'heure soit convenable pour sonner à la porte du concierge.
            Il se présente avec une petite cravate-plastron de couleur printanière, où brille une épingle dorée, et dès les premières paroles, il pleure, comme une grosse pomme cuite fendue.
            Le Paul ne veut pas s'y connaître moins qu'un autre.
            - Oh ! pour moi, il est perdu ! dit-il  
            Joseph aura été deux fois à l'hôpital. La première fois, Ragotte criait : " Il n'en sortira plus ! "
            Nous l'avons réprimandée ferme. Joseph est sorti.
            - Je regrette mes paroles de défiance, a dit Ragotte. Oh ! je n'aurai plus peur de l'hôpital, et si mon petit y retourne, je me tiendrai tranquille.
            Le petit Joseph y est retourné, et, cette fois, il y reste.
            
            Lucienne et Paul ont du chagrin, mais surtout de la mauvaise humeur : " Ça m'agace ! " dit Lucienne. Ils gémissent en bougonnant. 
            - Ce n'était pourtant guère difficile à voir, que la fin approchait !
            - A quoi ça sert d'envoyer une dépêche ? Il est mort, il est mort !
             Le Paul dit à Lucienne :
             - Naturellement, je reste à Paris jusqu'à demain. Il faut bien que j'achète une couronne !
             Et Lucienne dit :
             Inutile de faire tant de frais ! C'est déjà gentil de l'emmener. Et tu sais qu'on ne les habille pas, ici ; tâche de garder ça pour toi et de ne pas raconter chez nous qu'on l'a mis dans le cercueil sans l'habiller.
             - Je ne suis pas si bête que tu crois, répond le Paul.
             - Non, dit Lucienne, mais tu n'as guère souvent la main à la poche, quand il s'agit de payer ! Si tu me remboursais ! tu t'imagines que ça ne coûte rien, le Métro ?
             Ils disent : " Je l'ai vu ; il est tel qu'hier; la mort ne l'a pas changé ! "
             C'était bien la peine !

             - Pour l'emmener, disent-ils, on paiera avec ses économies. C'est son argent. Il faut que l'argent qu'il a gagné lui profite.
             - Cet argent, dis-je, profitera surtout au patron de ce monsieur noir qui vient de nous faire ses offres. 
            - Vous avez raison, mais si Joseph pouvait parler, il dirait comme nous.
            C'est Philippe qui reçoit la dépêche au village. Il la lit et pleure d'abord, seul, tout son soûl. Il garde la dépêche dans sa poche plus d'une heure.
             Ragotte est au coin du feu avec une voisine, la Chalude. Philippe, sans donner la dépêche à Ragotte, puisqu'elle ne sait pas lire, sans même la lui montrer, l'embrasse, ce qu'il ne faisait plus depuis des années.
             Ragotte comprend et pleure dans son tablier. La Chalude ayant deviné, pleure aussi.

             Il y avait beaucoup de monde à l'enterrement. Ragotte a dit :
             - Nous avons beau être pauvres, nous ne sommes pas mal regardés !  
             Elle aura bien du plaisir à se rappeler toutes les personnes qui se sont dérangées.
             Mais Philippe n'y était pas. An dernier moment, il a refusé de mettre une chemise. Il a dit d'une voix sourde : " Non , je n'irai pas ! " Et il est allé se coucher sur la paille, près de Jaunette.

             Le monde marchait, silencieux, sauf la Chalude, courbé contre le vent qui balayait la route. La Chalude, qui ne parle pas vite, mais qui finit tout de même par dire ce qu'elle veut, déclarait à Lucienne :
             - Il y a juste treize ans que, à la même époque, au mois de mars, votre frère aîné est mort  J'ai bonne mémoire, je ne me trompe pas. Et quand votre frère aîné est mort, il y avait juste treize ans que votre grand-père était déjà mort. Vous verrez, que, dans treize ans, il y aura encore quelque chose pour vous. 

            A l'église , M. le curé en donna pour ses vingt-cinq francs, mais il n'était pas rasé, ce que tous remarquèrent.
            On a vraiment bien pleuré le petit Joseph. Je ne l'ai jamais vu pleurer lui-même, et c'est la première fois qu'il faisait pleurer les autres.
            Quelques jours encore, il continue de vivre pour ceux qui ne savent pas.
            - Et votre petit jeune homme, on ne le voit plus ; qu'est-ce qu'il devient ?
            - Mort.
            - Oh ! pardon ! si j'avais su, je ne vous aurais pas demandé de ses nouvelles.
            Il venait de faire une folie.
            Souvent invité aux noces de son village, où il ne pouvait que regarder les danseurs, il prenait, cet hiver, sans le dire à personne, des leçons de danse. Il avait acheté d'un coup pour cinquante francs de cachets.
            Il en laisse trois ou quatre.

                                                       Le chagrin de Ragotte

            Quand le petit Joseph venait la voir, il était câlin avec elle. Il ne lui flanquait jamais rien dans les jambes. Il ne partait jamais sans lui glisser, au moment de l'adieu, sur ses gages à lui, une pièce d'argent pour sa cachette, et comme Ragotte voulait la rendre, il lui tenait la main fermée jusqu'à l'arrivée du train.
       
            

            Le petit Joseph lui revient trop fort à la pensée ; elle dit à Gloriette :
            - Oh ! si vous saviez, madame, comme on se sent puni !
            - Puni de quoi, Ragotte ?
            - Oh! madame ! Oh ! madame !
            Elle ne saurait pas le dire au juste... peut-être d'avoir oublié que le malheur nous guette à chaque instant, et qu'il faut toujours vivre en inquiétude.
            Elle dit à propos des leçons que la vie nous donne : " Il faut être pris pour être appris "
            Et à propos du petit Joseph : " Tant qu'on ne passe pas par là, on ne passe pas serré. "
            Tous les matins, elle pleure en tapotant le lit avec la petite fourche usée et jaunie.
            " Il aurait été si content de me voir un matelas ! "
            Elle a gardé son réveille-matin, dont elle aime entendre le tic tac, mais il s'arrête, elle n'ose pas le remonter et elle appelle Philippe pour qu'il le remette en vie.
            Son ouvrage fini, elle pense à Joseph et ça lui fait mal. Elle y pense trop et ça l'endort. Elle baisse la tête plus bas, un peu plus bas, jusqu'à ce qu'elle la relève avec brusquerie, comme si elle venait de heurter du front la pierre du petit.
            L'après-midi, elle s'assied au pied de la croix qui est à l'ombre, devant la porte.
            Elle y raccommode, elle y rêve et elle y dort.
            Comme le bas de la croix était vermoulu, on l'a scié, et la croix, replantée, se trouve à la taille de Ragotte. Debout, elle pourrait coller son oreille à la niche vide entre les deux bras et dire : " J'ai cru qu'on me parlait  ! "
            Mais, assise, elle semble porter la croix sur son dos et se reposer là, n'en pouvant plus de fatigue et de misère.
            Depuis longtemps, elle ne croyait plus à l'enfer, et, depuis la mort du petit Joseph, elle cesse même de croire au paradis.
            A quoi bon ?
            Elle sait que Joseph est là-bas, au cimetière. Elle profite du dimanche pour aller le voir. Elle ne prie pas. Elle aime mieux pleurer. Elle lui parle à voix haute et elle lui dit, pour qu'il entende :
            " Oh ! pauvre petit Joseph, tu étais si bon pour moi ! "
            Elle viendra prochainement à côté de lui, mais elle n'espère pas le retrouver plus tard au ciel.
            Y a-t-il seulement un ciel ?
            Est-ce que Mme Gloriette, si savante, croit au ciel ?
            Puisque madame n'y croit pas, comment Ragotte y croirait-elle ?
            Il n'y a point de ciel ; il y a, dans le cimetière, le corps du petit Joseph, et il y a, dans l'armoire de Ragotte, le linge qu'il a laissé, et qu'elle déplie et replie ( oh ! que c'est dur ! ) en criant de chagrin.
            Elle résume ainsi sa vie, hochant la tête : " J'ai enduré bien du mal ! "
            Elle dit encore qu'elle a versé des larmes pour faire marcher un moulin.
            Elle n'oserait point aller voir sa fille à Paris.
            - Votre voyage, dit Gloriette, lui ferait plaisir.
            - Je ne pourrais pas rester où la chose s'est passée.
            - Mais votre fille n'habite pas ce quartier-là, et vous ne sauriez à quel endroit votre petit Joseph a pu mourir. Paris est grand !
            - C'est égal, dit Ragotte, ce serait toujours le même pays.
            Elle n'a plus de goût à la cuisine.
            Elle fait un oeuf au vin, donne l'oeuf à Philippe et ne garde que le reste du vin. Elle y sauce son pain et tâche que ça dure longtemps, pour que Philippe voie bien qu'elle mange et qu'il ne la gronde pas.
            " La mort de Joseph l'a bien changée, dit Philippe à Gloriette, mais où elle a été le plus abattue, c'est quand vos petits poulets n'ont pas réussi. "
            Elle n'irait plus à la ville pour son plaisir, elle n'irait que pour un enterrement.
            Elle a de moins en moins d'agrément à aller à la rivière et à porter sur son bras les lourds draps mouillés.
            - Est-ce qu'on ferai la lessive demain, madame Gloriette ?
            - Comme tous les lundis, Ragotte, depuis neuf ans.
            - Faut-il acheter du savon ?
            - Naturellement.
            - Et des cristaux ?
            - S'il n'y en a plus.
            - J'apporterai les cristaux avec le savon ?
            - Mais oui, Ragotte, par la même occasion ! Qu'est-ce que vous avez ?

            Elle se lève ce matin,pour aller faire le lit du Paul qui n'est pas marié et qui couche dans une petite maison bâtie par lui.
            Comme elle ne revient pas, Philippe va voir.
            Elle était chez la Chalude, assise et causant.
            Philippe la laisse bavarder et dit, le visage dur : " Sacrées femmes ! "
            Un autre jour, à midi, à une heure, elle n'est pas là.
            Philippe mange ce qu'il trouve, et va de porter en porte demander si quelqu'un a vu Ragotte ? Personne ! Philippe n'ose pas interroger trop de monde ; l'inquiétude le gagne. Il retourne à la maison, et s'assied près de l'arche, la tête dans les mains.
            Le soir, Ragotte rentre comme si elle venait de sortir.
            Philippe la regarde et d'abord il ne peut pas parler.
            - Qu'est-ce que tu as ? dit Ragotte.
            Philippe - Où étais-tu ?
            Ragotte - Je faisais la vaisselle chez Mme Lerrin, c'est aujourd'hui la Pentecôte. Elle régale du monde, comme tous les ans, tu le sais bien.
            Philippe - Une autre fois, tu ne feras pas mal de prévenir.
            Ragotte - Pourquoi ?
            Philippe - Parce que.
            Ragotte - Tu me cherchais donc ?
            Philippe - Moi ! je n'ai pas bougé.
            Ragotte - On dirait que tes yeux sont rouges.
            Philippe - Je dormais sur l'arche.
            Ragotte - Tiens, tiens, voyez-vous ce que c'est ! Ça me fait plaisir de t'avoir désolé un petit peu.
            Et, pour la première fois, depuis la mort du petit Joseph, Ragotte sourit.
            - Tu ne pourrais plus vivre, mon pauvre vieux, sans ta vieille demoiselle !
            Philippe hausse les épaules.
            Ragotte retombe dans l'ennui.

            Elle passe toute une soirée à chercher son dé et ses lunettes.
            Elle va dehors ; au milieu de la cour, elle oublie ce qu'elle veut, s'arrête, rentre chez elle et s'assied jusqu'à ce que ça lui revienne.
            Elle n'y est plus. Il fait nuit, quand nous revenons de promenade, et elle nous dit, les mains sur le ventre : " Faut-il une lampe ? "
            Et si on lui dit : " Ragotte ! allumez le feu ! " elle répond d'une voix funèbre : " Il est donc mort ? "
            Elle a remué toute la nuit comme quatre pois dans un pot.
            Elle voudrait si sincèrement être morte qu'elle n'a presque plus peur de l'orage.
            Elle perd la mémoire.Les mots ne sortent que syllabe par syllabe, déformés, comme d'une bouche d'enfant.
            Elle ne dit pas rapetisser, mais rapetitzir un corsage.
            Elle n'est plus bonne qu'à s'endormir près du feu et à le laisser s'éteindre.
            La cendre l'attire.
            Va-t-elle bientôt mourir ? Nous attendons.
             " On meurt, dit-elle depuis que le Paul est soldat, quand on reçoit la feuille de route. Dès qu'elle arrive, il n'y a plus moyen de reculer : il faut qu'on parte ! "
            La feuille de route n'est pas encore venue.
            Ragotte se remet à vivre pour le mariage de Lucienne.

                                                               Lucienne
                                                                                                                 ....../
                                                                                                             à suivre
           


jeudi 12 juillet 2012

Confession inachevée Marilyn Monroe avec Ben Hecht ( Autobiographie EtasUnis )

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                                       Confession inachevée

               Hollywood 1954, Marilyn souhaite éclaircir sa biographie, effacer les rumeurs et surtout Norma Jean. Joseph Schenck lui présente Ben Hecht, auteur et scénariste ( Je hais les artistes ) qui transcrit la conversation. Sa carrière est installée, ses photos font le tour du monde, et nul n'imagine que Darryl Zanuck ne la voulait pas dans ses studios " vous n'êtes pas photogénique " lui disait-il. C'est la force d'un rêve, cette certitude qu'elle traînait depuis cette enfance passée dans neuf foyers d'accueil, qu'elle était faite pour le public. De son père elle n' a qu'une photo, elle lui donne les traits de Glark Gable. 
Petite aide-ménagère plus qu'écolière qui n'avait pas le nickel nécessaire pour payer le bus, il lui fallait attendre que toute la famille ait pris le bain pour à son tour entrer dans cette eau qui avait déjà servi à sept ou huit personnes. Elle apprend les désordres psychiques dont sont atteints plusieurs membres de sa famille. Un premier mariage vite défait et les premiers pas vers le vedettariat, douloureux, autant que l'enfance. Elle pose comme modèle, mais les propositions sont rares. Marilyn Monroe est particulièrement lucide et le prouve tout au long de ce court ouvrage. " Hollywwod... on vous offre mille dollars d'un baiser et cinquante cents de votre âme... - Être vertueuse a une résonance un peu puérile comme avoir les oreillons... " Marilyn a plusieurs atouts outre son intelligence, elle se cultive, lit comme une forcenée, Tolstoï  et Freud, apprend l'art dramatique, suit les cours de chant et de danse, dès ses premiers salaires. Monroe ne cherchait pas un époux millionnaire, elle voulait devenir Marilyn ( prénom suggéré par le studio ) Monroe ( nom de jeune fille de sa mère ( descendante du président ? ). Elle suscite controverses et surtout jalousie " J'étais jeune, blonde, bien roulée... " Marilyn raconte la lutte féroce pour s'imposer dans les soirées mondaines, " On faisait une entrée remarquée ce qui était encore de la bonne publicité... " Soirées fort ennuyeuses, par ailleurs où les sujets de conversation sont vite épuisés. Joan Crawford épingle Marilyn sur son inélégance. Célèbres retards " ... Les gens m'attendent. Ils sont impatients de me voir. Je suis désirée. Et je me rappelle toutes les années où j'étais une indésirable... " et puis " Les gens commencèrent à me traiter différemment, je n'étais plus... un accessoire baroque, un chat errant qu'on invite à entrer et qu'on oublie l'instant d'après... Je me contentais de travailler de huit à quatorze heures par jour... Je me sentais fatiguée... et même déprimée.... à force de travailler pour réussir j'avais oublié de vivre... " C'est alors qu'elle rencontre Joe Di Maggio très célèbre joueur de base-ball. Les confidences de Marilyn s'arrêtent peu après. Le manuscrit confié à Milton Green son photographe plusieurs années, a été transmis à son fils. Une première édition épuisée, depuis trente ans, réédition de l' ouvrage et des trente deux photos de la star alors que l'on annonce qu'une société veut utiliser l'hologramme de Marilyn Monroe dans un spectacle, si elle obtient l'accord des ayants-droits. Joli livre pour les fans.       

lundi 9 juillet 2012

Ragotte Jules Renard ( Nouvelle France )





  Philippe - paysan nivernais
                                                 Ragotte
                                                               
                                                                                  à Octave Mirbeau et Lucien Descaves                                                                                                                    31 octobre 1907
                                                                                                                
  1.        Moeurs de Ragotte
            Elle est si naturelle que, d'abord, elle a l'air un peu simple. Il faut longtemps la regarder pour la voir.

                                                  A l'école
           
            Elle est allée à l'école huit mois, chez ce vieil ours de Darneau.
            On payait trente sous par mois et, en hiver chaque élève apportait le matin sa bûche.
            Il y avait deux partis en classe : les écriveux et ceux qui n'écrivaient pas. Ses soeurs ont eu le temps d'apprendre. Comme elle était l'aînée, elle a dû tout de suite se mettre au ménage avec sa mère, et elle n'a rien appris.
             Elle connaît la lettre P, la lettre J et la lettre L, parce que ces lettres lui ont servi a marqué le linge de ses petits, qui s'appellent Paul, Joseph et Lucienne. Elle reconnaît aussi le chiffre 5, on ne sait pas pourquoi.

            Elle ne peut rendre la monnaie que sur dix sous. Par exemple, si on lui achète un sou de lait, elle redoit neuf sous. A partir de de dix sous, elle s'embrouille, et elle aime mieux dire :
            -  Vous me paierez une autre fois !

            Elle se passe bien d'écrire, mais elle regrette encore de ne pas savoir lire. On a beau lui faire lentement la lecture d'une lettre, elle se méfie. Si elle savait, elle pourrait lire la lettre à son aise, la relire toute seule, en cachette, souvent.
            " J'ai soixante ans, madame, dit-elle à Gloriette, c'est trop tard ; si j'en avais vingt de moins, je vous ferais une prière, je vous prierai de m'apprendre à lire ! "

            Elle observe mademoiselle penchée sur sa table de travail.
            - Je viens voir, dit-elle, si  vous ne vous trompez pas dans vos écritures !
            Et elle ajoute, fine haussant les épaules pour se moquer d'elle-même :
            - C'est bien à moi !...

            Quand son homme, Philippe, est absorbé par la lecture du Petit Parisien, elle a envie de lui arracher le journal et de le jeter au feu.
             " Qu'est-ce qu'il trouve donc de si curieux là-dessus ? "

            Si elle reçoit une lettre à son nom, ce qui ne lui arrive presque jamais, elle l'apporte à Philippe.
            - Ah ! mon Dieu ! fait-elle, troublée, dépêche-toi !
            - Tu as le temps, peut-être, répond Philippe.
            - Écoute, dit Ragotte, tu vas me la lire d'abord une première fois, vite, pour que je sache si c'est une bonne ou une mauvaise nouvelle. Ensuite, tu me la liras une deuxième fois, sans te presser, pour que je comprenne, comme il faut, ce qu'ils me veulent.

            Elle ne sait pas encore que le timbre des lettres est à deux sous.

            Elle explique ainsi ce que fait un employé de bureau :
            " Toute la journée, dit-elle, il écrit dans une chambre. "
                             

                                                  Louée

            A douze ans, elle était déjà en maître, c'est-à-dire au service des autres, chez une vieille dame ayant les moyens, mais si avare qu'elle ne pouvait pas garder une servante.
            A l'arrivée de Ragotte, les voisines se dirent :
           " Elle est fraîche, cette petite-là ! Elle n'aura pas longtemps sa bonne mine ! "
           La vieille dame taillait elle-même la soupe pour qu'elle fut claire de pain.
           " Quand on ne travaille pas beaucoup, disait-elle, on n'a pas besoin de beaucoup manger. "
           Jamais on ne veillait. Hiver comme été, il fallait se coucher à la nuit tombante et ne pas user de chandelle.
            Dès que la vieille dormait, Ragotte allait prendre le pain dans l'arche et se coupait une tranche mince sur toute la longueur de la miche. Elle mangeait sous ses draps, sans bruit, au risque de s'étouffer, et sans plaisir, parce que, demain, la vieille s'apercevrait sûrement de quelque chose.
            La  vieille ne s'aperçut de rien, et Ragotte contente de gagner quelques sou, qu'elle devait donner à sa mère, ne se plaignait pas.
            Au bout de trois mois, sa mère, la voyant maigrir, la retira à cause des voisines, par fierté.

             Elle dit à propos de tout ce qui a précédé sa naissance :
             " En ce temps-là, je n'étais pas faite ! "

            " Quand mon père se fâchait, il me disait : - Si tu n'es pas contente, passe par où les maçons n'ont pas maçonné. "
            - Qu'est-ce qu'il voulait dire ?
            - Par la porte !

             " De mon temps, les jeunes filles rentraient toutes à la tombée de la nuit. "

                                                        Mariée

            " Ce n'était pas pour ma beauté, dit Ragotte, ce n'était pas non plus pour ma fortune, mais à l'âge de me marier, j'en avais cinq autour de moi ! Le premier m'a fait la cour trois ans. Las de m'attendre, il s'est marié avec une autre ; puis, une fois veuf, il m'a redemandée. Je ne voulais pas. Quand il était trop près de moi, j'avais de l'ennui. Il me disait :
             - Si votre mariage avec Philippe manque, vous me donnerez sa place, et je lui rembourserai tous ses frais.
             J'ai mieux aimé Philippe.
            - Vous ne regrettez rien ?
            - Ma foi non, dit(elle, après avoir un peu hésité parce que Philippe est là

                               

            " Quand je pense, dit tout de même Ragotte, que je pouvais choisir entre cinq garçons, et que j'ai choisi le plus laid !
            - Quand je pense, dit Philippe, que je connaissais trois filles et que j'ai pris la plus vieille !
            - Et ce n'était pas malin de ta part, répond Ragotte ; si j'avais été un homme, je n'aurais jamais voulu d'une femme plus âgée que moi ! Regardez-le dit-elle, il ne voit plus clair ! "
            C'est qu'en effet il plisse et ferme presque les yeux à force de rire.

            Elle s'est mariée en sabots ; elle avait acheté des souliers neufs, mais par crainte de les salir, elle ne voulait les mettre que pour faire son entrée à l'église. Arrivée sous le porche, elle voit que sa mère, qui devait les porter à la main, ne les a pas.
            - Et mes souliers, maman ?
            - Ha, ma fille, je les ai oubliés ; ils sont sous l'armoire, mon enfant !
            Il fallut bien aller jusqu'au choeur avec les sabots qui tapaient le moins possible sur les dalles.

            - Tout s'est passé comme il faut la première nuit ?
            - Oh ! oui, dit Ragotte, Philippe avait une chemise bien propre.

            Elle était encore si jeune de caractère quelle n'a pas pu, tout de suite, s'empêcher de faire la partie avec les filles du village. Elle ne s'arrêtait que lorsqu'une voisine de ses amies lui criait :
           - Attention ! voilà ton homme !

           Nouvelle mariée, elle habitait la même maison, c'est-à-dire la même pièce que son beau-père. Cela ne devenait gênant que lorsqu'elle accouchait ; mais le beau-père sortait par discrétion. Et puis Ragotte n'était pas longue. Personne ne mettait moins de temps qu'elle.

            " Mon beau-père ne m'adressait pas la parole Philippe croyait qu'il boudait par ma faute et m'en voulait. Il aimait beaucoup son père. Moi aussi, je l'aimais, le pauvre vieux, seulement, je n'étais pas bicheuse, et je ne savais pas le mignoter à sa suffisance. "

                                                       Amour

            Elle aime Philippe, mais comment oser dire qu'elle l'aime d'amour ?
            Quel nom faut-il que je donne au sentiment qui les tient liés ?
            Elle l'aime : cela signifie qu'elle le préfère à tous. Elle a perdu sa mère, Philippe lui restait. Elle perd son petit Joseph, Philippe reste. Ses autres enfants peuvent mourir, Philippe vivant, elle ne sera pas inconsolable.
            Elle dit : " Pourvu que je l'aie ! " comme elle dirait : " Tant qu'on a du pain, on ne meurt pas de faim!"
            Elle se passerait de tout, sauf de Philippe, et, pour cette raison, elle l'appelle, sans se creuser la tête :" Mon principal ! "

            Philippe l'appelle bonnement : la vieille demoiselle !

            " Aujourd'hui, dit-elle, il aime mieux se faire lécher par son chien que par moi ; mais qu'il ne vienne pas ensuite mettre sa figure contre la mienne, je n'ai pas besoin qu'il me rende les bicheries du chien ! "

            " A cause de son nez, je le reconnaîtrais entre cent cochons. "
            Philippe a le nez un peu déformé.

                                                         En Ménage

            " Moi aussi, madame Gloriette, j'étais ambitieuse ! J'ai voulu longtemps mettre des chaussettes à mes petits. Ils possédaient tous trois chacun leur paire. Je la lavais le soir, pour la faire sécher la nuit et j'en coiffais les chenets. Un matin, j'ai retrouvé les chaussettes mangées par les grillons. Je me suis rendu compte, ce jour-là, que mes petits marcheraient aussi bien pieds nus. "

            " Quand un petit commence à pouvoir rester assis sur ses fesses, madame, ça prouve qu'il n'a pas le cul trop rond. "

            Philippe ne lui donne jamais un sou. Il fait sa vie de son côté, elle fait la sienne du sien. Loin de se plaindre, elle blâme certaines femmes.

                                                                        
                                                                            le pain du ménage
            Il y en a, dit-elle qui gardent le porte monnaie et qui ne remettent de l'argent à leur homme que vingt sous par vingt sous. Moi, je ne pourrai pas."
            Toutefois, elle pense qu'à la rigueur la femme peut vivre sur son homme, et même le mari sur sa femme : c'est compagne et compagnon ! Même un père et une mère ne doivent pas rester à la charge de leurs enfants. Dès qu'elle ne pourra plus aidée de son principal ou seule, faire sa vie, elle voudra mourir.

            " Dans un ménage, dit-elle, quand il pleut sur l'un, il fait mou sur l'autre. "
            Ce qui veut dire  que, si l'un gagne des sous, l'autre en profite.

             Elle ne dépense pas dix francs par an à son entretien, et dans les vieilles culottes qu'on passe à Philippe et qu'il use, elle trouve encore de bonnes pièces pour se faire des chaussons tout neufs.

            Elle n'a pas adopté le pantalon des femmes ; on ne marche à l'aise que si les cuisses se touchent.
            Toujours propre, décente et modeste dans sa tenue, il faut qu'il fasse bien chaud pour qu'elle dénoue et relève sur le cou les brides de son bonnet blanc. C'est presque du libertinage.

            Ce qui l'a flattée, un  jour qu'elle s'achetait un petit manteau pour une noce, c'est que Tapin, le marchand de nouveautés, ait dit, en lui mettant sur le dos la première jaquette venue :
             - Vous êtes bien plaisante à habiller !.

             Comme Tapin faisait miroiter un caraco de satinette :
             - Oh ! non ! non! dit-elle, c'est trop victorieux pour moi !.

             Un homme peut rester au lit quand il est malade, une femme pas. Une femme n'a jamais le temps de s'écouter.

             Une femme doit manger moins qu'un homme.

             Jadis, on mêlait des pommes de terre à la farine du pain. Ragotte a mangé de ce pain-là, et elle fait la grimace au souvenir du morceau pomme de terre froide qu'on sentait tout à coup sous la dent.

            Elle a été longue à s'habituer au pain de monsieur, qui est le pain blanc. Elle aime toujours le pain de ménage, et parfois elle fait avec sa cousine, qui cuit encore elle-même, des échanges au goût et au profit de chacune.
            Elle est allée ce matin, au marché de la ville, et elle dit :
            - Autrefois, il y avait un boucher ; aujourd'hui, il y en a cinq ! Le monde devient carnassier.

            " Autrefois, il fallait courir jusqu'à la ville acheter deux sous de sel. On prenait ses précautions le dimanche. Aujourd'hui, pour notre argent, ils nous apportent tout à la maison. "

            " Manger ! Est-ce drôle que tout le monde s'enferme dans les maisons, à la même heure, pour faire la même chose : "

           Ils mangent, Philippe, Ragotte, le Paul, à une petite table où ne peut tenir que la grande écuelle commune.
           - Vous êtes bien là, dit Gloriette, serrés coude à coude.
           - Oui, madame, répond Ragotte, on se donne appétit les uns aux autres.

           Habile à avaler sa soupe proprement et nettement, elle n'aime pas les tables mal torchées.

           - Vous avez déjà fini votre soupe, Ragotte ?
           - Oh ! madame, quand on l'attaque à pleine cuiller, ça va vite.
           - C'est bien propre, Philippe, une toile cirée comme celle de madame. Il n'en faudrait pas grand sur notre petite table ! si un jour, à la ville, tu en voyais un morceau ?
           - Mange donc, lui dit Philippe.

            Elle se chauffe mal, si elle ne voit pas le feu ; elle aime les beaux feux de bois dont la braise ardente fait pleurer des larmes cuites ; mais elle trouve que rien ne vaut le gentil feu d'une paire de sabots qu'elle a portés, qu'elle brûle quand ils ne sont plus mettables, et qu'elle regarde flamber, toute songeuse.

            Le son du cor de chasse l'émeut au point qu'elle ose dire à Philippe :
            - Pourquoi n'as-tu jamais appris à flûter comme ça ?

            Il y avait à la cuisine un reste de gâteau.
            - Avez-vous mangé ce gâteau ? dit Gloriette.
            - Non, madame, je n'ai fait que laver la vaisselle.
            Elle dit à Gloriette qui surveille du boeuf à la mode :
            -  Votre fricot sent si bon que je mangerais bien mon pain sec à côté.

            - Avez-vous goûté à votre pot de confitures ?
            - Oh ! non, madame !
            - Qu'est-ce que vous attendez ?
            - Toute seule, j'aurais honte ; il me viendra peut-être de la compagnie !

            Quelquefois, la bouchère, dont elle a élevé un des petits, lui fait présent d'un morceau de viande :
            - Prenez-le, Ragotte, il ne me sert plus, et si vous n'aviez pas été là, je le jetais au feu.
            - Ne faites jamais ça, madame, je le jetterai bien moi-même.

            - On souffre, madame, quand on voit les riches jeter quelque chose.

            - Oh ! madame, vous pensez donc toujours à moi ?

            Elle dit à Gloriette qui compte sa monnaie :
            - Vous en avez des jolis sous ! Il n'y a que ça qui débêtit le monde !

            Elle croit que nous somme très riches, et si quelqu'un lui disait que nous avons au moins mille francs, ça ne l'étonnerait pas.
            Gloriette lui donne tant d'affaires que Ragotte finit par dire :
            - Vous m'affriandez, madame, et vous m'avez rendue difficile ; je ne pourrai plus maintenant redevenir malheureuse.

            Elle regarde si ses hommes, Philippe et le Paul viennent sur la route.

                                                                                       
                            
            Son profil semble dessiné par un petit gars de l'école primaire. Le cordon du tablier la divise en deux boules d'égale grosseur.
            Lasse d'attendre, elle fait, tout haut, cette réflexion :
            - Le goûter est prêt, les goûteux ne viennent pas. Si le goûter n'était pas prêt, les goûteux seraient déjà là.

           Elle revient de chercher à la ferme un double de noix qu'elle apporte dans un sac, et le sac est plein de bruit.
           - Oui, dit Ragotte, les noix causent dans le sac et ça distrait le mendiant.

          Elle dit de sa soeur qui est avare :
          - Elle ne donnerait pas l'eau où a cuit l'oeuf !

         Elle dit d'un riche orgueilleux, qui vient de se ruiner :
         " Il était si fier qu'il ne pouvait pas marcher ! Aujourd'hui, il marche sur ses plumeaux. "
         Il faut savoir, pour comprendre, que Ragotte est une habile plumeuse d'oies vivantes, et que les ailes d'une oie ainsi plumée pendent, mal soutenues, et traînent par terre.


                                                                         ...................................                  ....../


dimanche 8 juillet 2012

Anecdotes et réflexions d'hier pour aujourd'hui



image : mon jardind'images
                                                    Le Cochon

               Grognon, mais familier comme si nous t'avions gardé ensemble, tu fourres le nez partout
   et tu marches autant avec lui qu'avec les pattes.
               Tu caches sous des oreilles en feuilles de betterave tes petits yeux cassis.
               Tu es ventru comme une groseille à maquereau.
               Tu as de longs poils comme elle, comme elle la peau claire et une courte queue bouclée.
               Et les méchants t'appellent : " Sale cochon ! "
               Ils disent que, si rien ne te dégoûte, tu dégoûtes tout le monde et que tu n'aimes que l'eau
   de vaisselle grasse.
               Mais ils te calomnient.
               Qu'ils te débarbouillent et tu auras bonne mine.
               Tu te négliges par leur faute.
               Comme on fait ton lit, tu te couches, et la malpropreté n'est que ta seconde nature.


                                                             *****                

                                                      Les Hirondelles

               Elles me donnent ma leçon de chaque jour.
               Elles pointillent l'air de petits cris.
               Elles tracent une raie droite, posent une virgule au bout, et, brusquement, vont à la ligne.
               Elles mettent entre folles parenthèses l a maison où j'habite.

                                   
                                         SOS Hirondelles - Lalinde

               Trop vives pour que la pièce d'eau du jardin prenne copie de leur vol, elles montent de la
   cave au grenier.
               D'une plume d'aile légère, elles bouclent d'inimaginables parafes.
               Puis, deux à deux, en accolade, elles se joignent, se mêlent, et, sur le bleu du ciel, elles font
   taches d'encre.
               Mais l'oeil d'un ami peut seul les suivre, et si vous savez le grec et le latin, moi je sais lire
   l'hébreu que décrivent dans l'air les hirondelles de cheminées.


                                                          *****

                                                       Le Hanneton

              
               Plus lourd que l'air, à peine dirigeable, têtu et ronchonnant, il arrive tout de même au but,
   avec ses ailes en chocolat.



                                                                                        Jules Renard
                                                                              ( Histoires naturelles )



                               
                                                               


                                                 

jeudi 5 juillet 2012

C'est Paris... Leiser Wolf ( Anthologie de la poésie yiddish )





    Le Louvre                                                C'est Paris...

                                             Savez-vous ce que c'est ?
                                             Hugo sur une crête
                                             Et sur la haute tour
                                             Un ventre nu et lourd.
                                             Au jardin sur un banc
                                             Un couple svelte et blanc,
                                             Il fait frais, ils s'embrassent,
                                             Leurs souliers sont percés
                                             Savez-vous ce que c'est ?
                                             Madame, c'est Paris.

                                             En bas le peuple gît
                                             Bossu près de la Seine,
                                             Et au loin, sur la mer,
                                             Le gentleman glacé,
                                             Le soir dans un café,
                                             Le coffre du rentier
                                             La joie au cabaret
                                             Et la mort, oui Monsieur...

                                             Savez-vous ce que c'est ?
                                             Les citoyens français
                                             A la pêche à la ligne,
                                             Une mère outragée
                                             L'homme est au Parlement
                                             Et la fille chez lui
                                             Pour quelques francs louée,
                                             Le fils est radical
                                             Il étudie Lassale
                                             Savez-vous ce que c'est ?
                                             Oui Monsieur, c'est Paris.

                                             En bas le peuple gît,
                                             Pour lui pas d'espérance
                                             Et le pêcher fleurit                                                      
                                          
                                             En province Provence,
                                             Sur les marchés pourrissent
                                             Les femmes, les oranges,
                                             Les oeuvres clairvoyantes
                                             D'un univers perdu
                                             Et l'argent, l'argent n'est
                                             Qu'à la Banque de France.

                                             Savez-vous ce que c'est ?
                                             Paradis de couleurs
                                             L'artiste dans la rue
                                             Le soleil au garage,
                                             Et la poésie - froide
                                             Rayonnant sur l'asphalte,
                                             Les ruelles étroites
                                             Et les peuples sans nombre.
                                             Savez-vous ce que c'est ?
                                             C'est mon coeur, c'est Paris.

                                             En bas le peuple gît,
                                             Piétiné, ébloui,
                                             Enlacé et bercé
                                             Il fait nuit. Le désir
                                             Paie l'amour en secret
                                             Et le garçon demande
                                             Qu'on lui fasse une avance,
                                             Tandis que le travail
                                             Lève dans le métro
                                             Le drapeau de la flamme,
                                             Sonne la dernière heure, Madame !


                                                                                                   Leiser Wolf

                      ( Leiser " Mekler " Wolf - 1910 né en Lituanie 1943 mort en Ouzbékistan
                          ouvrier gantier, romancier, poète )



                                         


mercredi 4 juillet 2012

Plaisirs légers au chocolat 100 recettes Jean-Michel Cohen ( Pâtisseries France )


100 recettes plaisirs légers au chocolat
                                              Plaisirs légers au chocolat


   
            Peut-on se passer de chocolat ? A moins d'hypocrisie rares sont ceux qui ne fondent devant l'appât. Mais maigrir sans se priver de cette douceur que l'on dit : stimulant, euphorisant, anti-stress,
fortifiant naturel, aphrodisiaque etc... C'est ce que propose le docteur JM Cohen, nutritionniste. Il faut c'est simple, alléger. Bien photographiées les recettes proposées sont particulièrement alléchantes et surprenantes : " Papillotes Banane/Chocolat - Poulet au cacao - Souvenirs d'enfance ( pain perdu ) - Macarons au chocolat à l'Espelette - Goélettes aux myrtilles voiles craquantes au chocolat - Flans à la châtaigne et au chocolat ". Quelques exemples parmi la centaine de pâtisseries proposées, pour toutes la règle est tout d'abord remplacer le sucre par l'édulcorant, bien utiliser la farine de maïs, les petits-suisses et fromages blancs à 0%. Plusieurs degrés de light par part : " Light 320 kcal,  Extra-Light  220kcal,, Ultra-Light 150 kcal. Les recettes sont vraiment appétissantes et simples à réaliser. A s'offrir pour les yeux et pour la table.

mardi 3 juillet 2012

Anecdotes et Réflexions d'hier pour aujourd'hui


                                  Choses vues

                                                                                           12 mai 1847 

                Cicéron met au premier rang des devoirs du sénateur l'exactitude. Semper adesse.

                                                                 *****

                 Mort du marquis d'Aligre. Il a suivi de près le comte Roy. C'était les deux richards de
                 France. Ni l'un ni l'autre n'étaient des richards Coeur-de-Lion.

                                                                 *****

                                                                                              23 mai 1847

                 On a donné jeudi l'École des familles de M. Adolphe Dumas. Lundi M. Edouard  Thierry
                 demandait à Alexandre Dumas :
                 - Quand joue-t-on au Théâtre-Historique L'2cole des familles de votre homonyme ?
                 - Jeudi, dit Alexandre Dumas.
                 - Combien de temps pensez-vous qu'on la joue ?
                 - Jeudi.
                 - Mais je ne vous demande pas quand, je vous demande combien de temps on la jouera ?
                 - Eh bien ! reprend Alexandre Dumas, je vous dis jeudi.

                                                                  *****

                                                                                                    31 mai 1847

                  Dans L'Ami des hommes, quelqu'un adresse au marquis de Mirabeau cette question :
                  " - Où avez-vous pris cela, que les hommes sont frères ? " Il répond :
                  " - Dans deux jours de leur vie, le premier et le dernier. "

                                                                   *****

                                                                                                     1er juin 1847

                  Le marquis de Mirabeau dit : " - Les grands sont plus  ingrats que les petits. J'ai fait un peu
                  de bien, je le sais. Plus de bienfaits se perdent en montant qu'en descendant. "

                  Le même dit encore : " - C'est Dieu qui a fait les poètes et les artistes. Il fallait bien rendre
                  le monde logeable. "

                                                                   *****

                                                                                                       6 juin 1847

                  Il y a aux Tuileries M. Trognon et il y a M. Vatout : " - C'est désagréable, dit Vatout, de            
                  s'appeler Trognon quand on n'est le chou de personne. "

                                                                     *****

                                                                                                        8 juin 1847

                  Saint Médard. Il a plu.

                                                                                                        11 juin 1847

                  Saint Barnabé. Il a fait beau.

                                                                         *****

                                                                                                          18juin 1847 

                  Dialogue entendu. Deux petites filles de douze ans.
                  - T'es-tu bien amusée hier, chez toi ?
                  - Non.
                  - Qu'est-ce qu'on a donc fait toute la soirée ?
                  - On a lu.
                  - On a lu ?
                  - Oui.
                  - On a lu quoi ?
                  - Du Casimir Delavigne.
                  - Pff ! On lit du Casimir Delavigne chez toi ! Chez nous on ne lit que du Victor Hugo !
                  J'ai entendu cela aux Tuileries de mes deux oreilles.

                                                                            *****

                                                                                                               1er  juillet 1847 

                    Saint Médard et saint Barnabé. Je leur dis M et je leur dis  B.                                                                                                      

                                                                                               Victor Hugo
                                                                                              














lundi 2 juillet 2012

Lettre à Madeleine 40 Apollinaire




                                             Lettre à Madeleine

                                                                                                                        
                                            Les 28, 29, 30 octobre, 3 et 4 novembre, Apollinaire écrit à Madeleine, toujours des lettres d'amour mais il signale aussi les intempéries et les inconforts avec délicatesse :
ainsi : "... Ah ! Madeleine quelle boue, quelle boue, tu n'imagines pas la boue il faut l'avoir vue ici, ayant parfois la consistance du mastic, parfois de la crème fouettée parfois encore de l'encaustique et glissant d'une façon extraordinaire. Il faut avoir vu les attelages s'abattre se relever sous les fouets des conducteurs ou casser les traits quand la chute est trop brusque. Mon cheval a glissé trois fois, il s'est abattu une fois en glissant, je l'ai relevé heureusement . La chevauchée dans ces conditions sur des pistes savonneuses et encombrées de troupes à pied et à cheval n'est pas un agrément. Et ça m'aurait embêté de rouler dans la boue, mais après son agenouillement quelques coups d'éperon ont montré à mon bon cheval ( qui ne boite plus ) qu'il faut marcher dans la boue comme ailleurs.
            Appuyez chevaux ne glissez pas. En arrivant à l'emplacement de notre nouvel échelon car il n'est pas loin de nos positions d'hier ( nous ne verrons les nouvelles que demain ) j'ai eu la joie de ta lettre du 27... "


                                                                                                                  6 nov 1915

            Mon petit amour pas de lettre de toi. Mais as-tu bien lu ma lettre d'hier et as-tu compris ce que j'avais souligné. Aujourd'hui on a décoré notre colonel, prise d'armes défilé, trompettes. J'étais serre-file de la 2è section. On a manié le sabre pour la première fois depuis la guerre ! Beau spectacle ma foi. La sonnerie des trompettes de cavalerie a quelque chose de plus poétique de plus lointain de plus céleste que celle des clairons. Les permissions reprennent mais n'en parle pas il n'est pas encore question de la mienne  je t'avertirai quand il commencera à en être question. Je t'aime mon très cher amour. Je t'envoie un mot d'un de mes amis qui est un des meilleurs poètes actuels. Bras amputé ! ( note de l'éditeur : Blaise Cendrars )
            Je t'aime, je pense à ta chère beauté.

                                        Le Septième Poème Secret

            Une grande ardeur en moi
            Une grande mollesse ardente en toi
            Tu ouvres délicieusement toutes les portes
            Je me déguise et je t'emprunte des moustaches et la barbe
            Ta toison
            Je m'arme de la langue et je creuse un délicieux sentier
                        Dans la forêt vierge
            Madeleine est une jeune bergère
                      Qui pait le blanc troupeau des brebis de son corps
            Madeleine est une jeune bergère d'une merveilleuse beauté
            Ses seins sont d'adorables proues
            Deux vaisseaux cuirassés qui seront mon escadre
            Ma langue est le mineur qui fouille
            Dans la mine de houille
                      Ta toison
            J'adore tes lèvres rouges
                      Gondoles de parade
            Qui larguent leurs amarres tressés comme tes cheveux noirs
                    Tes cheveux
            Tes cheveux qui sont le crépuscule de toutes les beautés
            Et il ne demeure que la tienne
            Naviguons sur tes yeux de sinople   
                                                                                                 107regard.jpg                                                                                         
      site regard rochelais

                   Il s'y jette les fleuves des veines bleues de la chair si noble
              J'adore la source divine qui sourd
                                 Sous
                                 Ta toison
              Ma langue sens ma langue
              Elle te oréparera à l'étreinte profonde
              Le sac de la charrue creusera le sillon
              Je t'adore mon amour
              Entends chanter Ö Madeleine pâmée
                             Entends chanter et rechanter
                                    Le rossignol caché
             Le froid revient le froid terrible
                                    Sous les toiles tentes
             Et je t'écris poème que je chante en l'écrivant
             Et je t'écris couché par terre
                            Le froid revient, le froid sans feu
                            Car on n'a pas de bois
             Je t'adore mon amour, je suis heureux par toi
             Et je prends tous les trésors
             De ton corps
             Dans une immense caresse
             Qui fait surgir dans l'hiver sans liesse
                             De tout printemps
                             Le Lys la rose
                                      Sous ma caresse


                                                                                              Gui