vendredi 13 juillet 2012

Ragotte ( suite ) Jules Renanrd ( Nouvelles France )


                                                            Ragotte
                                                                       ( suite)              


2                                                                      La mort du  petit Joseph

            L'infirmière dit à Gloriette :
            - Votre petit jeune homme ne va pas.
            - Perdu ?
            - Bien malade !
            Et le médecin :
            C'est une méningite ! Il peut vivre encore huit jours ou trois semaines. Trois semaines, ça m'étonnerait. Prévenez la famille.
            J'écris à Philippe et lui conseille de venir à Paris.
            - Triste voyage, dit-il en arrivant.
            Il va tout de suite à l'hôpital avec sa fille Lucienne et ne trouve pas Joseph si mal.
            - Il vous a reconnu, Philippe ?
            - Oh ! et même de loin ! Il faisait : bou ! bou! avec ses lèvres. Je lui ai dit : " Tu veux donc m'embrasser ? " Il a répondu : " Oui. " Je me suis penché, et, comme mon pied glissait, il m'a dit : " Tu vas tomber ! " Il a voulu boire, Lucienne soutenait le verre par le fond. Je disais à Joseph : " Tu en en as assez ! " C'était pour rire, non pour lui refuser son lait. Il répondait : " Ma foi, je bois tout : " Et il a tout bu : preuve qu'il va mieux.
            - Ne vous faites pas d'illusion !
            - Oh ! je ne m'en fais pas beaucoup ; son mieux, c'est peut-être son pire.
            - Dès qu'un grand médecin comme le sien a parlé!...
            - Quelquefois, les médecins se trompent, dit Philippe.
            - Pas quand ils affirment qu'il n'y a rien à faire.
            - Ah !
            - J'admire les grands médecins, dit Gloriette émue.
            La barbe de Philippe et ses rides  se brouillent et sa figure a bientôt l'air d'une souche trempée.
            - Vous avez pu, Philippe, vous assurer par vous-même que Joseph est bien soigné à cet hôpital ?
            - Oui, mais il y a de l'eau qui lui coule du front et le mouille jusqu'à l'estomac.
            - C'est l'eau de la glace qu'on lui met sur la tête pour endormir le mal.Vous ne trouveriez pas de glace à la campagne.
            - Non : il serait mieux tout de même si quelqu'un restait près de lui.
            - L'infirmière ne bouge pas, Philippe ! Elle va d'un malade à l'autre. Elle ne quitte la salle que pour déjeuner, et elle n'a que ce moment de repos. C'est dur, le métier d'infirmières ; elles travaillent de sept heures du matin à sept heures du soir.
            - Joseph n'aurait pas d'infirmière chez nous, répond Philippe, mais moi, la Ragotte ou le Paul, on ne le laisserait pas seul, on serait toujours là pour le recouvrir s'il se découvrait et pour lui donner quelque chose, quand il demanderait à boire, ou n'importe.
            - Ce n'est pas de soif que Joseph mourra, Philippe. Que dites-vous de l'hôpital ? Vous n'en aviez pas encore vu ?
            - Non.
            - Il vous a semblé bien tenu, hein ? propre, tout luisant !
            - C'est assez convenable.
            - Depuis combien d'années Joseph est-il à notre service ?
            - Ce serait la septième.
            - Sept ans, déjà ! Espérons qu'il n'aura pas été bien malheureux chez nous.
            - Il ne se plaignait pas trop, dit Philippe.

             L'infirmière est jolie, blonde, douce et grave ; elle ne s'attarde pas aux malades qui plaisantent. Elle donne avec le même sérieux le verre de lait et la bouteille à pipi. Malgré son métier, elle reste si bien femme que Gloriette, à sa vue, ne manque de dire :
            - Comme je la comprends ! Moi aussi, j'aimerais être garde-malade.    
            Le petit Joseph n'a presque pas de fièvre et il divague. Il divague poliment, d'un air raisonnable. Il a reconnu son père et ne se rappelle plus sa visite. Il semble qu'on lui ait asséné un coup de marteau sur le crâne, non pour le tuer, mais pour l'étourdir. Il grimace et ne souffre pas. Ses mains sont glacées, l'une blanche, l'autre violette. Elles se cherchent, mais si la blanche fait, à elle seule, plus de la moitié du chemin, la violette bouge à peine.
            - Vous m'emmenez ? me dit-il .
            - Oui, bientôt.
            - Oh ! je peux marcher, allons ! dépêchons-nous !
            Il s'efforce de remuer ses jambes inertes.
            - On m'a monté ici sur un brancard, dit-il, mais, pour redescendre, je les aiderai et je tiendrai le bout du brancard.
            Il voit au mur des ronds de soleil et s'écrie :
            - Oh ! des brioches !
            - Hier, dit-il, un vieux était très malade. Il a demandé le bon Dieu. Il est là, dans l'armoire, le bon Dieu.
            L'interne l'a questionné.
            - Buvez-vous quelquefois ?
            - Non.
            - Jamais ?
            - Non, non,.
            - Qu'est-ce que vous faites ?
            - Moi ?
            - Oui, vous, dans la vie ?
            - Je suis domestique.
            - Servez-vous aux repas ?
            - Oui.
            - En débarrassant la table, vous prenez la goutte ?
            - Il n'y a pas de goutte chez nous ! répond le petit Joseph avec force.
            Les autres malades nous observent et se disent sans doute :
            " C'est lui, ce n'est pas moi, qui va mourir. "
            - Bonsoir, petit !
            - Vous partez ?
            - Oui, nous reviendrons.
            - Et moi, je reste ?
            Va-t-il pleurer ? Quand je me retourne, ses yeux s'amusent déjà aux brioches qui s'arrondissent sur le plâtre blanc.
            - Là-bas, on les habille, me dit Philippe ; est-ce qu'on va l'habiller ?
            - Je ne crois pas. Nous lui donnerons un drap avec un oreiller, et il sera mieux dans un drap propre que dans ses effets qui ne l'étaient plus.
            - Là-bas, on les habille, répète Philippe.
            - Ici, non. Chaque pays a ses habitudes. Paris a les siennes. Il faut les respecter.
            - Oui, mais je ne veux pas qu'on jaguille Joseph.
            - Comment ?
            - Je ne veux pas qu'on le jaguille ! Vous, qui connaissez les médecins, défendez-leur de le jaguiller. Je sais qu'à l'hôpital ils jaguillent les morts, si on ne dit rien. Ils ont jaguillé la fille de Rolin. Moi, je ne veux pas : Défendez !
            Il parle ainsi, têtu et sombre, parce qu'il se souvient d'en avoir presque jaguillé un lui-même à la ferme des Corneille.Un domestique était mort subitement. La Compagnie d'Assurances exigea l'autopsie et le médecin fit l'opération avec l'aide de Philippe, renommé pour son adresse à égorger les porcs. Philippe, quoique habitué au sang, ne trouva pas que c'était de l'ouvrage agréable.
            - Défendez, monsieur, défendez !
            - Je ferai votre commission.
                                                                       
                                                                                chrysanthème de la toussaint
            - Je n'ai plus rien à faire ici, je m'en vais , dit-il à Lucienne.
            Il s'assure qu'il a dans sa poche le livret de caisse d'épargne et le porte-monnaie du petit.
            - Vous savez que vos autres enfants ont droit à la moitié de cette somme ?
            Philippe ne répond pas. Il boutonne étroitement sa veste et son pardessus, se coiffe d'aplomb, et dit à sa fille, d'un ton autoritaire :
            - Je pars, je l'ai vu, ça suffit ; mais toi, tu restes. Tu iras à l'hôpital tous les jours, et tous les jours tu écriras pour donner de ses nouvelles. N'y manque pas, tu m'écoutes ?

            J'avais dit à Philippe :
            - Vous êtes un homme, vous ! un homme s'en rire, mais Ragotte n'est qu'une pauvre vieille maman ; soutenez-la !
           Philippe nous télégraphie de là-bas : " Ragotte pas malade, mais ennuyée. "

           Après Philippe, c'est le Paul qui vient voir son frère Joseph une dernière fois. Il a voulu partir à toute force. Il arrive à la gare de Lyon, au milieu de la nuit, et il attend que l'heure soit convenable pour sonner à la porte du concierge.
            Il se présente avec une petite cravate-plastron de couleur printanière, où brille une épingle dorée, et dès les premières paroles, il pleure, comme une grosse pomme cuite fendue.
            Le Paul ne veut pas s'y connaître moins qu'un autre.
            - Oh ! pour moi, il est perdu ! dit-il  
            Joseph aura été deux fois à l'hôpital. La première fois, Ragotte criait : " Il n'en sortira plus ! "
            Nous l'avons réprimandée ferme. Joseph est sorti.
            - Je regrette mes paroles de défiance, a dit Ragotte. Oh ! je n'aurai plus peur de l'hôpital, et si mon petit y retourne, je me tiendrai tranquille.
            Le petit Joseph y est retourné, et, cette fois, il y reste.
            
            Lucienne et Paul ont du chagrin, mais surtout de la mauvaise humeur : " Ça m'agace ! " dit Lucienne. Ils gémissent en bougonnant. 
            - Ce n'était pourtant guère difficile à voir, que la fin approchait !
            - A quoi ça sert d'envoyer une dépêche ? Il est mort, il est mort !
             Le Paul dit à Lucienne :
             - Naturellement, je reste à Paris jusqu'à demain. Il faut bien que j'achète une couronne !
             Et Lucienne dit :
             Inutile de faire tant de frais ! C'est déjà gentil de l'emmener. Et tu sais qu'on ne les habille pas, ici ; tâche de garder ça pour toi et de ne pas raconter chez nous qu'on l'a mis dans le cercueil sans l'habiller.
             - Je ne suis pas si bête que tu crois, répond le Paul.
             - Non, dit Lucienne, mais tu n'as guère souvent la main à la poche, quand il s'agit de payer ! Si tu me remboursais ! tu t'imagines que ça ne coûte rien, le Métro ?
             Ils disent : " Je l'ai vu ; il est tel qu'hier; la mort ne l'a pas changé ! "
             C'était bien la peine !

             - Pour l'emmener, disent-ils, on paiera avec ses économies. C'est son argent. Il faut que l'argent qu'il a gagné lui profite.
             - Cet argent, dis-je, profitera surtout au patron de ce monsieur noir qui vient de nous faire ses offres. 
            - Vous avez raison, mais si Joseph pouvait parler, il dirait comme nous.
            C'est Philippe qui reçoit la dépêche au village. Il la lit et pleure d'abord, seul, tout son soûl. Il garde la dépêche dans sa poche plus d'une heure.
             Ragotte est au coin du feu avec une voisine, la Chalude. Philippe, sans donner la dépêche à Ragotte, puisqu'elle ne sait pas lire, sans même la lui montrer, l'embrasse, ce qu'il ne faisait plus depuis des années.
             Ragotte comprend et pleure dans son tablier. La Chalude ayant deviné, pleure aussi.

             Il y avait beaucoup de monde à l'enterrement. Ragotte a dit :
             - Nous avons beau être pauvres, nous ne sommes pas mal regardés !  
             Elle aura bien du plaisir à se rappeler toutes les personnes qui se sont dérangées.
             Mais Philippe n'y était pas. An dernier moment, il a refusé de mettre une chemise. Il a dit d'une voix sourde : " Non , je n'irai pas ! " Et il est allé se coucher sur la paille, près de Jaunette.

             Le monde marchait, silencieux, sauf la Chalude, courbé contre le vent qui balayait la route. La Chalude, qui ne parle pas vite, mais qui finit tout de même par dire ce qu'elle veut, déclarait à Lucienne :
             - Il y a juste treize ans que, à la même époque, au mois de mars, votre frère aîné est mort  J'ai bonne mémoire, je ne me trompe pas. Et quand votre frère aîné est mort, il y avait juste treize ans que votre grand-père était déjà mort. Vous verrez, que, dans treize ans, il y aura encore quelque chose pour vous. 

            A l'église , M. le curé en donna pour ses vingt-cinq francs, mais il n'était pas rasé, ce que tous remarquèrent.
            On a vraiment bien pleuré le petit Joseph. Je ne l'ai jamais vu pleurer lui-même, et c'est la première fois qu'il faisait pleurer les autres.
            Quelques jours encore, il continue de vivre pour ceux qui ne savent pas.
            - Et votre petit jeune homme, on ne le voit plus ; qu'est-ce qu'il devient ?
            - Mort.
            - Oh ! pardon ! si j'avais su, je ne vous aurais pas demandé de ses nouvelles.
            Il venait de faire une folie.
            Souvent invité aux noces de son village, où il ne pouvait que regarder les danseurs, il prenait, cet hiver, sans le dire à personne, des leçons de danse. Il avait acheté d'un coup pour cinquante francs de cachets.
            Il en laisse trois ou quatre.

                                                       Le chagrin de Ragotte

            Quand le petit Joseph venait la voir, il était câlin avec elle. Il ne lui flanquait jamais rien dans les jambes. Il ne partait jamais sans lui glisser, au moment de l'adieu, sur ses gages à lui, une pièce d'argent pour sa cachette, et comme Ragotte voulait la rendre, il lui tenait la main fermée jusqu'à l'arrivée du train.
       
            

            Le petit Joseph lui revient trop fort à la pensée ; elle dit à Gloriette :
            - Oh ! si vous saviez, madame, comme on se sent puni !
            - Puni de quoi, Ragotte ?
            - Oh! madame ! Oh ! madame !
            Elle ne saurait pas le dire au juste... peut-être d'avoir oublié que le malheur nous guette à chaque instant, et qu'il faut toujours vivre en inquiétude.
            Elle dit à propos des leçons que la vie nous donne : " Il faut être pris pour être appris "
            Et à propos du petit Joseph : " Tant qu'on ne passe pas par là, on ne passe pas serré. "
            Tous les matins, elle pleure en tapotant le lit avec la petite fourche usée et jaunie.
            " Il aurait été si content de me voir un matelas ! "
            Elle a gardé son réveille-matin, dont elle aime entendre le tic tac, mais il s'arrête, elle n'ose pas le remonter et elle appelle Philippe pour qu'il le remette en vie.
            Son ouvrage fini, elle pense à Joseph et ça lui fait mal. Elle y pense trop et ça l'endort. Elle baisse la tête plus bas, un peu plus bas, jusqu'à ce qu'elle la relève avec brusquerie, comme si elle venait de heurter du front la pierre du petit.
            L'après-midi, elle s'assied au pied de la croix qui est à l'ombre, devant la porte.
            Elle y raccommode, elle y rêve et elle y dort.
            Comme le bas de la croix était vermoulu, on l'a scié, et la croix, replantée, se trouve à la taille de Ragotte. Debout, elle pourrait coller son oreille à la niche vide entre les deux bras et dire : " J'ai cru qu'on me parlait  ! "
            Mais, assise, elle semble porter la croix sur son dos et se reposer là, n'en pouvant plus de fatigue et de misère.
            Depuis longtemps, elle ne croyait plus à l'enfer, et, depuis la mort du petit Joseph, elle cesse même de croire au paradis.
            A quoi bon ?
            Elle sait que Joseph est là-bas, au cimetière. Elle profite du dimanche pour aller le voir. Elle ne prie pas. Elle aime mieux pleurer. Elle lui parle à voix haute et elle lui dit, pour qu'il entende :
            " Oh ! pauvre petit Joseph, tu étais si bon pour moi ! "
            Elle viendra prochainement à côté de lui, mais elle n'espère pas le retrouver plus tard au ciel.
            Y a-t-il seulement un ciel ?
            Est-ce que Mme Gloriette, si savante, croit au ciel ?
            Puisque madame n'y croit pas, comment Ragotte y croirait-elle ?
            Il n'y a point de ciel ; il y a, dans le cimetière, le corps du petit Joseph, et il y a, dans l'armoire de Ragotte, le linge qu'il a laissé, et qu'elle déplie et replie ( oh ! que c'est dur ! ) en criant de chagrin.
            Elle résume ainsi sa vie, hochant la tête : " J'ai enduré bien du mal ! "
            Elle dit encore qu'elle a versé des larmes pour faire marcher un moulin.
            Elle n'oserait point aller voir sa fille à Paris.
            - Votre voyage, dit Gloriette, lui ferait plaisir.
            - Je ne pourrais pas rester où la chose s'est passée.
            - Mais votre fille n'habite pas ce quartier-là, et vous ne sauriez à quel endroit votre petit Joseph a pu mourir. Paris est grand !
            - C'est égal, dit Ragotte, ce serait toujours le même pays.
            Elle n'a plus de goût à la cuisine.
            Elle fait un oeuf au vin, donne l'oeuf à Philippe et ne garde que le reste du vin. Elle y sauce son pain et tâche que ça dure longtemps, pour que Philippe voie bien qu'elle mange et qu'il ne la gronde pas.
            " La mort de Joseph l'a bien changée, dit Philippe à Gloriette, mais où elle a été le plus abattue, c'est quand vos petits poulets n'ont pas réussi. "
            Elle n'irait plus à la ville pour son plaisir, elle n'irait que pour un enterrement.
            Elle a de moins en moins d'agrément à aller à la rivière et à porter sur son bras les lourds draps mouillés.
            - Est-ce qu'on ferai la lessive demain, madame Gloriette ?
            - Comme tous les lundis, Ragotte, depuis neuf ans.
            - Faut-il acheter du savon ?
            - Naturellement.
            - Et des cristaux ?
            - S'il n'y en a plus.
            - J'apporterai les cristaux avec le savon ?
            - Mais oui, Ragotte, par la même occasion ! Qu'est-ce que vous avez ?

            Elle se lève ce matin,pour aller faire le lit du Paul qui n'est pas marié et qui couche dans une petite maison bâtie par lui.
            Comme elle ne revient pas, Philippe va voir.
            Elle était chez la Chalude, assise et causant.
            Philippe la laisse bavarder et dit, le visage dur : " Sacrées femmes ! "
            Un autre jour, à midi, à une heure, elle n'est pas là.
            Philippe mange ce qu'il trouve, et va de porter en porte demander si quelqu'un a vu Ragotte ? Personne ! Philippe n'ose pas interroger trop de monde ; l'inquiétude le gagne. Il retourne à la maison, et s'assied près de l'arche, la tête dans les mains.
            Le soir, Ragotte rentre comme si elle venait de sortir.
            Philippe la regarde et d'abord il ne peut pas parler.
            - Qu'est-ce que tu as ? dit Ragotte.
            Philippe - Où étais-tu ?
            Ragotte - Je faisais la vaisselle chez Mme Lerrin, c'est aujourd'hui la Pentecôte. Elle régale du monde, comme tous les ans, tu le sais bien.
            Philippe - Une autre fois, tu ne feras pas mal de prévenir.
            Ragotte - Pourquoi ?
            Philippe - Parce que.
            Ragotte - Tu me cherchais donc ?
            Philippe - Moi ! je n'ai pas bougé.
            Ragotte - On dirait que tes yeux sont rouges.
            Philippe - Je dormais sur l'arche.
            Ragotte - Tiens, tiens, voyez-vous ce que c'est ! Ça me fait plaisir de t'avoir désolé un petit peu.
            Et, pour la première fois, depuis la mort du petit Joseph, Ragotte sourit.
            - Tu ne pourrais plus vivre, mon pauvre vieux, sans ta vieille demoiselle !
            Philippe hausse les épaules.
            Ragotte retombe dans l'ennui.

            Elle passe toute une soirée à chercher son dé et ses lunettes.
            Elle va dehors ; au milieu de la cour, elle oublie ce qu'elle veut, s'arrête, rentre chez elle et s'assied jusqu'à ce que ça lui revienne.
            Elle n'y est plus. Il fait nuit, quand nous revenons de promenade, et elle nous dit, les mains sur le ventre : " Faut-il une lampe ? "
            Et si on lui dit : " Ragotte ! allumez le feu ! " elle répond d'une voix funèbre : " Il est donc mort ? "
            Elle a remué toute la nuit comme quatre pois dans un pot.
            Elle voudrait si sincèrement être morte qu'elle n'a presque plus peur de l'orage.
            Elle perd la mémoire.Les mots ne sortent que syllabe par syllabe, déformés, comme d'une bouche d'enfant.
            Elle ne dit pas rapetisser, mais rapetitzir un corsage.
            Elle n'est plus bonne qu'à s'endormir près du feu et à le laisser s'éteindre.
            La cendre l'attire.
            Va-t-elle bientôt mourir ? Nous attendons.
             " On meurt, dit-elle depuis que le Paul est soldat, quand on reçoit la feuille de route. Dès qu'elle arrive, il n'y a plus moyen de reculer : il faut qu'on parte ! "
            La feuille de route n'est pas encore venue.
            Ragotte se remet à vivre pour le mariage de Lucienne.

                                                               Lucienne
                                                                                                                 ....../
                                                                                                             à suivre
           


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