jeudi 20 septembre 2012

Mademoiselle Bistouri Charles Baudelaire ( Nouvelles Le Spleen de Paris France )




         Baudelaire par NAdar
                                                   Mademoiselle Bistouri

            Comme j'arrivais à l'extrémité du faubourg, sous les éclairs du gaz, je sentis un bras qui se coulait doucement sous le mien et j'entendis une voix qui me disait : " Vous êtes médecin, monsieur ? "
            Je regardai ; c'était une grande fille, robuste, aux yeux très ouverts, légèrement fardée, les cheveux flottant au vent avec les brides de son bonnet.
            - Non, je ne suis pas médecin. Laissez-moi passer.
            - Oh ! si ! vous êtes médecin. Je le vois bien. Venez chez moi. Vous serez bien content de moi, allez !
            - Sans doute, j'irai vous voir, mais plus tard, après le médecin, que diable !...
            - Ah ! ah ! fit-elle, toujours suspendue à mon bras, et en éclatant de rire, vous êtes un médecin farceur, j'en ai connu plusieurs dans ce genre-là . Venez.
            J'aime passionnément le mystère, parce que j'ai toujours l'espoir de le débrouiller. Je le laissai donc entraîner par cette compagne, ou plutôt par cette énigme inespérée.
            J'omets la description du taudis ; on peut la trouver dans plusieurs vieux poètes français bien connu. Seulement, détail non aperçu par Régnier, deux ou trois portrait de docteurs célèbres étaient suspendus aux murs.
                                  
                              
                                                             
        Comme je fus dorloté ! Grand feu, vin chaud, cigares, et en m'offrant ces bonnes choses et en allumant elle-même un cigare, la bouffonne créature me disait :
            - Faites comme chez vous, mon ami, mettez-vous à l'aise. Ça vous rappellera l'hôpital et le bon temps de la jeunesse.
            - Ah ça ! où donc avez-vous gagné ces cheveux blancs ? Vous n'étiez pas ainsi, il n'y a pas encore bien longtemps, quand vous étiez interne de L... Je me souviens que c'était vous qui l'assistiez dans les opérations graves. En voilà un homme qui aime couper, railler et rogner ! C'était vous qui lui tendiez les instruments, les fils et les éponges.
            - Et comme, l'opération faite, il disait fièrement, en regardant sa montre  : " Cinq minutes, messieurs ! Oh ! moi, je vais partout. Je connais bien ces Messieurs.
            Quelques instants plus tard, me tutoyant, elle reprenait son antienne, et me disait :
             - Tu es médecin, n'est-ce pas, mon chat ?
             Cet inintelligible refrain me fit sauter sur mes jambes.
             - Non ! criai-je furieux.
             - Chirurgien, alors ?
             - Non ! non ! à moins que ce ne soit pour te couper la tête S... s... c... c... de s... m... !
             - Attends, reprit-elle, tu vas voir.
             Et elle tira d'une armoire une liasse de papiers, qui n'était autre chose que la collection des portraits des médecins illustres de ce temps, lithographiés par Maurin, qu'on a pu voir étalés pendant plusieurs années sur le quai Voltaire.
             - Tiens ! le reconnais-tu celui-ci ?
         Baudelaire par lui même       baudelaire par lui-même
             - Oui ! c'est X... Le nom est au bas d'ailleurs mais je connais personnellement.
             - Je savais bien ! Tiens ! voilà Z...celui qui disait à son cours en parlant de X... " Ce monstre qui porte sur son visage la noirceur de son âme ! " Tout cela, parce que l'autre n'était pas de son avis dans la même affaire ! Comme on riait de ça à l'École, dans le temps ! Tu t'en souviens ?
             - Tiens, voilà K..., celui qui dénonçait au gouvernement les insurgés qu'il soignait à son hôpital. C'était le temps des émeutes. Comment est-ce possible qu'un si bel homme ait si peu de coeur ?
             - Voici maintenant W... un fameux médecin anglais ; je l'ai attrapé à son voyage à Paris. Il a l'air d'une demoiselle, n'est-ce pas ?
             Et comme je touchais à un paquet ficelé, posé aussi sur le guéridon :
             - Attends un peu, dit-elle, ça c'est les internes, et ce paquet-ci, c'est les externes.
             Et elle déploya en éventail une masse d'images photographiques, représentant des physionomies beaucoup plus jeunes.
             - Quand nous nous reverrons, tu me donneras ton portrait, n'est-ce pas chéri ?
             - Mais, lui dis-je, suivant à mon tour, moi aussi, mon idée fixe, pourquoi me crois-tu médecin ?
             - C'est que tu es si gentil et si bon pour les femmes.
             - Singulière logique, me dis-je à moi-même.
             - Oh ! je ne m'y trompe guère, j'en ai connu un bon nombre. J'aime tant ces messieurs, que, bien que je ne sois pas malade, je vais quelquefois les voir. Il y en a qui me disent froidement : " Vous n'êtes pas malade du tout ! " Mais il y en a d'autres qui me comprennent, parce que je leur fais des mines.
            - Et quand ils ne te comprennent pas... ?
            - Dame ! comme je les ai dérangés inutilement, je laisse dix francs sur la cheminée.. C'est si bon et si doux ces hommes-là ! J'ai découvert à la Pitié un petit interne, qui est joli comme un ange, et qui est poli ! et qui travaille, le pauvre garçon ! Ses camarades m'ont dit qu'il n'avait pas le sou, parce que ses parents sont des pauvres qui ne peuvent rien lui envoyer. Cela m'a donné confiance. Après tout, je suis assez belle femme, quoique pas trop jeune. Je lui ai dit : " Viens me voir, viens me voir souvent. Et avec moi, ne te gêne pas ; je n'ai pas besoin d'argent. " Mais tu comprends que je lui ai fait entendre ça par une foule de façons, je ne lui ai pas dit tout crûment ; j'avais si peur de l'humilier, ce cher enfant ! Eh bien ! croirais-tu que j'ai une drôle d'envie que je n'ose pas lui dire ? Je voudrais qu'il vînt me voir avec sa trousse et son tablier, même avec un peu de sang dessus !
            Elle dit cela d'un air fort candide, comme un homme sensible dirait à une comédienne qu'il aimerait : " Je veux vous voir vêtue du costume que vous portiez dans ce fameux rôle que vous avez créé. "
            Moi, m'obstinant , je repris :
                                                               esquisse catlin ?
            - Peux-tu te souvenir de l'époque et de l'occasion où est née en toi cette passion si particulière ?
            Difficilement je me fis comprendre ; enfin j'y parvins. Mais alors elle me répondit d'un air très triste et même, autant que je peux me souvenir, en détournant les yeux: " Je ne sais pas, je ne me souviens pas. "
            Quelles bizarreries ne trouve-t-on pas dans une grande ville quand on sait se promener et regarder. La vie fourmille de monstres innocents.
            - Seigneur, mon Dieu ! vous, le Créateur, vous, le Maître ; vous qui avez fait la Loi et la Liberté, vous le souverain qui laissez faire, vous, le juge qui pardonnez, vous qui êtes plein de motifs et de causes, et qui avez peut-être mis dans mon esprit le goût de l'horreur pour convertir mon coeur, comme la guérison au bout d'une lame ; Seigneur, ayez pitié, ayez pitié des fous et des folles ! O créateur ! peut-il exister des monstres aux yeux de Celui-là seul qui sait pourquoi ils existent, comment ils se sont faits et comment ils auraient pu ne pas se faire ?


                                                                                              Baudelaire


             
           
            -

mardi 18 septembre 2012

C'est Paris Leiser Wolf ( Poèmes Anthologie poésie Yiddish )


                                                                        
                                           C'est Paris                    Hugo

            Savez-vous ce que c'est ?
            Hugo sur une crête
            Et sur la haute tour
            Un ventre nu et lourd,
            Au jardin sur un banc
            Un couple svelte et blanc,
            Il fait frais, ils s'embrassent,
            Leurs souliers sont percés
            Savez-vous ce que c'est ?
            Madame, c'est Paris.

            En bas le peuple gît
            Bossu près de la Seine,
            Et au loin, sur la mer,
            Le gentleman glacé,                                                                    
            Le soir dans un café,
            Le coffre du rentier
            La joie au cabaret
            Et la mort, oui Monsieur...

            Savez-vous ce que c'est ?
            Les citoyens français
            A la pêche à la ligne,
            Une mère outragée
            L'homme est au Parlement
                                    
                                    
            Et la fille chez lui
            Le fils est radical
            Il étudie Lassale
            Savez-vous ce que c'est ?
            Oui Monsieur, c'est Paris.

            En bas le peuple gît,
            Pour lui pas d'espérance
            Et le pêcher fleurit
            En province Provence,
            Sur les marches pourrissent
            Les femmes, les oranges,
            Les oeuvres clairvoyantes
            D'un univers perdu

                
            Et l'argent, l'argent n'est
            Qu'à la banque de France.

            Savez-vous ce que c'est ?
            Paradis de couleurs
            L'artiste dans la rue
            Le soleil au garage,
            Et la poésie - froide
            Rayonnant sur l'asphalte,

               Caillebotte
            Les ruelles étroites
            Et les peuples - sans nombre,
            Savez-vous ce que c'est ?
            C'est mon coeur, c'est Paris.

            En bas le peuple gît,
            Piétiné, ébloui,
            Enlacé et bercé
            Il fait nuit. Le désir
            Paie l'amour en secret
            Et le garçon demande
            Qu'on lui fasse une avance,
            Tandis que le travail
                                         
                         
            Lève dans le métro
            Le drapeau de la flamme,
            Sonne la dernière heure,
            Madame !
                                           1936

                                          Leiser Wolf

                           ( Leiser Mekler dit Wolf. Vilno 1910 - Ouzbékistan 1943. Poète dès 16 ans, 
                              fut peintre et gantier. ) - in Anthologie de la poésie Yiddish,
                             la mémoire d'un peuple. France éd. Poésie Gallimard

lundi 17 septembre 2012

Anecdotes et réflexions d'hier pour aujourd'hui



           maison de victor hugo à guernesey
                                                      Choses vues

                                                                                                      25 août 1872

            Une souris était hier soir dans ma chambre. On lui a fait la chasse ; elle s'est cachée. Ce matin, Mariette l'a trouvée tremblante derrière la porte. J'ai proclamé l'amnistie. J'ai pris la petite bête dans ma main et je l'ai jetée dans le jardin ; puis j'ai demandé de l'eau et je me suis lavé les mains de cette bonne action.

                                                                                                     1er septembre 1872

            Un pur catholique français qui habite Guernesey, fort bonhomme d'ailleurs, a dit à M. Marquand :
- Si j'avais Victor Hugo et Garibaldi, là, dans mon champ, au bout de mon fusil, je les tuerai comme des chiens.
                               
                                                                                                       19 septembre 1872

            Les républicains de Paris célèbrent dans un banquet l'anniversaire de la République ( 22 septembre 1872 ). Ils m'ont demandé un toast. Je l'ai écrit ce matin. Je l'ai lu ce soir en famille, et envoyé immédiatement à Paris.                        

                                                                                                      22 septembre 1872

            Après le déjeuner, nous sommes sortis à pied, Lockroy et moi. Je l'ai mené à Fermain-Bay. J'ai confiance en Lockroy. Je lui ai parlé de tout ce dont j'ai parlé hier à Victor.
            On me presse de rentrer à Paris. On me dit que mon action politique est là. Je réponds que, depuis le 7 août que j'ai quitté Paris, j'ai écrit deux manifestes, l'un pour le banquet de l'anniversaire du 22 septembre, l'autre pour le congrès de la Paix à µLugano, et j'ai sauvé la vie à une femme, Marguerite Prévost ( la cantinière du bataillon de Lockroy ) condamnée à mort par les conseils de guerre.


                               


                                                                                                       Fragments épars sans date

            Vous dites : jamais la France n'a été plus bas : elle est morte. Je vous l'accorde et j'ajoute : jamais elle n'a été plus haut ; elle est immortelle.
            Vous dites : Paris est horrible. soit, avec cette variante : Paris est sublime.

            Les philosophes n'admettent pas qu'il puisse être fait ou de quoi que ce soit pour les besoins de la colère.

            A côté d'un monde surchargé, un monde désert. On entend ce cri sortir de l'infini, ce cri formidable : Prends !
            Il n'y a qu'à prendre en effet.

           Cette solution immense, le 19è siècle la voit ; le 20è l'aura.


                                                                                                         Victor Hugo

dimanche 16 septembre 2012

Folie Leiser Wolf ( Poème Anthologie de la poésie yiddish )


        Noir : Petite sphère blanche sur un fond noir brillant
                                                                         Folie

                                                          Le jour est une auto noire
                                                          Qu'un chauffeur tout nu conduit
                                                          Et sur un nuage blanc
                                                          Rit un chat couleur de nuit.

                                                          Les rayons, barbelés d'or,
                                                          Le ciel un mirage sombre
                                                          Et Dieu est assis dans l'ombre
                                                          Et la colère est en lui.

                                                          La nuit, une guêtre noire,
                                                          Porte en son centre un grand trou
                                                          Qu'Adam et Eve en voyage
                                                          Traversent sur leur traîneau

                                                          Les chevaux blancs comme beurre,
                                                          Les fouets sont durs et poisseux,
                                                          Dieu, assis dans sa fourrure,
                                                          Ne sait point qui a raison.

                                                          La peau jaune, deux Chinois,
                                                          Portent une lune rouge,
                                                          Les herbes hautes s'enroulent
                                                          Au pied d'une jouvencelle.

                                                          Et Napoléon galope
                                                          Sur un cheval de papier,
                                                          On dit qu'il est un proverbe :
                                                          " Le temps a toujours le temps ".

                                                          Eliminé, le globe pleure
                                                          Dans une tasse d'argile
                                                          Et du soleil ne demeure
                                                          Qu'un peu de cendre et de soufre.

                                                          L'homme, tel un fil d'argent,
                                                          Est coousu dans la tempête.
                                                          Et Dieu - pendu sur le vent,
                                                          La Lune a perdu la tête.

                                                                                                          Leiser Wolf
                                                                                          ( Vilno 1910 - Ouzbékistan 1943 )
                                                                                                ouvrier peintre puis gantier
                                                                                                                        extrait de l' Anthologie de la poésie yiddish
                                                                                                                                         Le Miroir d'un peuple

Sans Titre Moshe Nadir ( Nouvelles extrait Anthologie de la poésie yiddish )



                                                                 XVII            Sans titre

                         .                      Une fois j'eus besoin d'un certain mot. Je l'ai fait appeler et je l'ai mis à sa
                                juste place. Soudain j'ai entendu la clameur des mots en tous genres, jeunes, âgés,
                                neufs ou usés J'ai tendu l'oreille et perçu le brouhaha de la famille perdue du mot, qui
                                l'avait accompagné. Oncles, tantes, nièces, frères, compatriotes. Tous se bousculaient
                                et voulaient rester auprès du mot-père. Je tentais de me les concilier. Je leur dis : " Je
                                n'ai pas de place et de toute façon je n'ai nul besoin d'une aussi nombreuse famille. "
                                Mais ils s'en sont tenu à leur principe : tous en même temps ou rien. Finalement, avec
                                les oncles, tantes, neveux, beaux-frères et concitoyens du mot, j'ai dû aligner tout un
                                paragraphe. Rien à faire pour m'en dépêtrer.



                                                                       **************

                                                                                                stock photo : MOSCOW, RUSSIA - MAY 30: "Hamlet" by William Shakespeare performed by actors of the Central Academic Theatre of Russian Army on May 30, 2010 at Central Academic Theatre of Russian Army  in Moscow.

                                                                       XXVIII      Sans titre

                                                      La vie a noué sa cravate, s'est aspergée d'eau de Cologne et s'en est
                                allée au théâtre. Elle a chaussé ses lunettes - la vie est un peu myope - et s'est mise à
                                observer la scène. Au premier acte, sur le plateau, c'était une fête exceptionnelle, une
                                fête comme elle n'en avait jamais vu. Des amoureux apparaissaient qui parlaient un
                                langage tel que la vie, depuis qu'elle vit, n'en avait jamais entendu. Dieu, la vit ouït-elle
                                jamais de pareils propos ! Au deuxième et au troisième acte survinrent des malheureux
                                si originaux  que la vie dut ôter ses lunettes pour les essuyer. Jamais, en nul lieu, en nul
                                temps, la vie n'avait vu des gens se comporter de cette façon. Le rideau est tombé sur
                                le dernier acte et la vie a applaudi, crié bravo. Quand la vie a quitté la représentation, il
                                était tard. Elle a comparé ce qu'elle avait vu au théâtre et en a conclu que la vie ne sait
                                pas du tout vivre. Qu'il lui faudrait, de temps à autre, faire un saut au théâtre pour
                                apprendre comment les gens se comportent, afin de savoir quoi faire en des
                                circonstances analogues. Et, depuis lors, la vie va régulièrement au théâtre, et la vie
                                devient chaque jour plus intéressante, meilleure, plus raffinée, plus dramatique.



                                           Moshe Nadir
                                         ( Galice - Naraiev 1885 - NewYork 1943 )
                         Journaliste, auteur, il écrit dans des journaux satiriques, traducteur de Twain, Anatole France

vendredi 14 septembre 2012

A propose de Rimbaud Lettre 2

                                                            
 verlaine par domac                                                                       Paul Verlaine à Victor Hugo

                                                                     Samedi 19 juillet 1873, Bruxelles

            Cher et vénéré maître, cette lettre est bien faite pour vous surprendre, tant par l'indication qui précède que par l'ardente prière qui va suivre, mais n'êtes-vous pas la bonté comme vous êtes le génie ? - et puisque depuis les déjà longues années que j'ai l'honneur et le bonheur de vous connaître, vous m'avez toujours bien voulu témoigner, ainsi qu'au bonheur de mon pauvre ménage, le plus vif et le plus paternel intérêt, j'ose, mon cher maître, m'ouvrir à vous tout entier aujourd'hui, et près de sombrer affreusement, je vous crie au secours, sauvez-moi !
            Voici : vous êtes plus ou moins au courant de mes affreux démêlé avec ma femme. Puisque vous êtes à Paris ( ce sont du moins les journaux d'il y a dix jours qui m'en ont instruit, je ne lis plus de journaux depuis ma captivité ) M. Burty à qui j'en ai écrit très longuement dans le temps pourra vous communiquer mes confidences, Voilà juste un an que, moitié folie moitié horreur, de la maison de mon beau-père j'ai quitté Paris et la France en compagnie d'un ami qui ne m'a quitté qu'à de rares intervalles, tous exigés par moi, et consacrés par moi à l'attente - infructueuse toujours hélas ! - du retour de ma femme auprès de moi. Il y a quinze jours ou trois semaines ( le surlendemain de la réception de votre dernière lettre ) je quittais brusquement Londres et mon ami, - laissant celui-ci sans autres ressources que ma garde-robe qu'il a dû vendre, - pour me rendre à Bruxelles dans le dessein bien arrêté - que je signifiai à ma femme, de me détruire si elle ne venait pas dans 3 jours à telle adresse que je lui donnais. Elle ne vint pas. Mon ami, à qui en débarquant à Anvers j'avais écrit pour l'avertir de mon dessein, accourut avant la fin du 3è jour. Sa présence retarda mon projet. J'avais - durant les deux premiers jours, conçu la mort sous un autre aspect et fait une démarche auprès de l'ambassade d'Espagne, à l'effet de m'engager dans les volontaires fédéraux. On me répondit à l'ambassade qu'on n'acceptait pas d'étrangers. Je télégraphiai à ma femme que je l'attendrai jusqu'au lendemain à midi, qu'elle me télégraphiât et vînt. Ma mère arriva, je lui avais écrit à tout hasard de venir. - J'avais une fièvre affreuse qui dégénéra en une véritable folie quand le lendemain de mon télégramme, ma femme ne fût pas venue. J'achetai un revolver que je chargeai bien décidé à partir le soir même pour Paris. J'eusse sonné à la porte de ma femme, l'eusse prié de me recevoir et si elle avait refusé me fusse tué sur son palier. Le hasard de la folie en disposa autrement. Je rentrai chez moi, où se trouvaient ma mère et mon ami. Ce dernier ( cause en grande partie de mes démêlés avec ma femme ) mais qui dans cette circonstance fit preuve, comme en mille autres, du plus grand dévouement, me parla - paraît-il - je vous dis que j'étais absolument absent - je m'irritai et eus le malheur inouï de diriger vers lui un coup de pistolet qui le blessa heureusement très peu au bras gauche. Il se contenta de me reprocher doucement mon acte fou et me pardonna. Nous le pansâmes, ma mère et moi, il manifesta le désir d'aller se faire soigner chez sa mère. Alors, je m'y refusai et lui dis : si tu t'en vas maintenant je me brûle la cervelle devant toi. Il se méprit au sens de mes paroles et s'enfuit ( ceci dans la rue ). Je le poursuivis, le rappelant. - Un sergent de ville nous arrêta -, et me voici en prison, en cellule depuis 9 jours sous l'inculpation de Tentative d'assassinat.Toutefois, j'ose espérer en l'indulgence de la justice. Mon cas étant tout de folie, tous les témoignages y compris celui du pauvre blessé, le confirmant.
            Mon cher maître, c'est affreux, mais le pire, c'est ma femme, qui est la cause indirecte de tout cela, et qui, - sans doute ne sachant rien encore - me laisse là !... Ô mon cher et vénéré maître, tenez, vous le pouvez, vous seul le pouvez. Parlez-lui, faites-la venir chez vous, dîtes-lui qu'elle doit pardonner à ce malheureux, que seule elle peut me sauver du remords, de l'angoisse, seule elle peut m'aider à refaire ma vie, qu'il serait impie à elle de persister davantage dans sa rancune. Si légitime qu'elle puisse être. - Je lui offre tout, j'humilie mon orgueil. Je serai doux comme un enfant, qu'elle ait enfin pitié et qu'elle considère ce que le désespoir  m'a déjà fait faire, qu'elle vienne ici me voir, avec notre enfant, et m'écrive bien vite : j'espère peut-être un temps prochain recouvrer ma liberté : mais qu'en ferais-je désormais sans elle ? Qu'elle profite de ce grand malheur qui me frappe pour pardonner tout le mal que j'ai pu lui causer. Je ne suis pas méchant, elle le sait bien.. Je serai si bon, elle sera si heureuse, si elle fait ce pas vers moi, si elle me veut bien sauver l'avenir !                                                  juliette drouet   Image IPB
            Dîtes-lui tout cela, mon cher maître ! Vous avez tout autorité sur elle et elle vous écoutera avec respect et fruit, j'en suis sûr. Ai-je besoin de vous dire quelle immense gratitude nous vous aurons tous, elle, moi - et plus tard, ce pauvre enfant !
            C'est peut-être fou à moi de vous demander un tel service, mais je vous aime tant, mon cher maître, que je suis sûr que vous me la rendrez.
             Elle demeure rue Nicolet 14, 18è arrondt,Qr Clignancourt, Paris.
             Si vous n'êtes pas à Paris, oh, alors, écrivez-lui. Daignez me répondre bien vite.
             Je rougis de signer
                                                            Votre dévoué
                                                              P. Verlaine
             Détenu à la prison des Petits-Carmes Bruxelles
             Veuillez me donner votre adresse.
             ( Si Madame Drouet voulait se faire votre auxiliaire dans la tache pieuse que j'ose vous offrir, elle a, je crois, grande influence sur ma femme. )

                 
                                                                          Lundi 21 juillet 1873, Bruxelles
                                              
                                               Rapport d'un indicateur à la Préfecture de µpolice de Paris

                                                                                                            Bruxelles 21 juillet73

            J'ai annoncé, il y a peu de jours, une tentative d'assassinat commise par un Verlaine Paul, homme de lettres, sur le sieur Rimbaud, arthur, également homme de lettres ; us deux français. L'enquête vient de faire connaître que la cause doit en être attribuée à des relations immorales, existant entre ces deux individus.
            Rimbaud a quitté Bruxelles le surlendemain de l'attentat pour se rendre à Paris.

            Cat.

           Le   nommé Verlaine... venait de contracter mariage avec une demoiselle Moté de Ferville lorsqu'il prit sous son patronage un jeune poète, le jeune Rimbaud, Arthur, 16 ans, né à Charleville. Celui-ci lui était recommandé par un sieur Corrège, rentier, domicilié dans cette localité qui faisait d'ailleurs l'éloge le plus flatteur de l'intelligence et du talent de son jeune compatriote.
            Ce dernier ne tarda pas, toutefois, à s'attirer par ses goûts dépravés, le mépris des personnes qui, tout d'abord, s'étaient intéressées à lui.
            Quant à l'inculpé, épris d'une passion honteuse pour le nommé Rimbaud, il quitta Paris avec lui au mois de juillet dernier en abandonnant sa jeune femme et un enfant en bas âge. Il est d'ailleurs représenté sous de mauvais rapports. Il aurait des habitudes d'intempérance, et l'abus des boissons alcooliques aurait, dit-on, affaibli ses facultés intellectuelles.

            Cat.

                                                      ( in Correspondance Arthur Rimbaud éd. Fayard )









                                                                  

mardi 11 septembre 2012

Lettre à Madeleine 45 Apollinaire

                                                                                                                                                                        






Apollinaire au temps de Louise Lalanne in Apollinaire travesti




                                                          Lettre à Madeleine

                                                                                                   19 nov. ( soir ) 1915

            Mon amour, je n'ai pas eu de lettre de toi aujourd'hui mais je n'en attendais pas. On m'a envoyé aujourd'hui une coupure tirée de La Renaissance. Je n'ai pas lu l'écho qui avait précédé. Willy qui est bien gentil le déclare charmant mais je me doute bien qu'il devait contenir quelque perfidie dans le goût du commentaire qui suit la lettre de Willy - Le malheureux ou la malheureuse qui a écrit ces sottises ne se doute pas que s'il y avait eu un peu plus de cubisme, c'est -à-dire d'idées modernes où je sais bien la guerre serait peut-être finie et nous célébrerions la victoire. Mais je t'adore et le reste ne m'importe pas. Je te prends toute ma chérie et profondément, ma virilité joue à la porte de ton parvis. Mon amour j'ai imaginé aujourd'hui une chose singulièrement amoureuse, un concert de ton corps. Ma chérie, tu m'aideras à chercher la gamme de tes sensations et par des attouchements délicats sur les différentes parties de ton corps par les doigts, la langue et les lèvres je te jouerai de divins concerts que tu sentiras profondément et que nous terminerons par l'étreinte exquise. Ma bouche mordillera la pointe de ton sein gauche ma main descendra ensuite légèrement le long de ton épine dorsale jusqu'à la naissance de ta bouche, ma langue ira ensuite chatouiller la plante de tes pieds de déesse puis ma bouche ira pomper le délicieux organe du parvis tandis que mes doigts arachnéens sur tes côtés et tes hanches exciteront doucement tes nerfs électriques. Puis je te prendrai follement sur ma bouche, ton parvis plein de ma virilité et le médius de ma main droite
agaçant la neuvième porte. Je boucherai ainsi les trois portes de ta volupté et tu seras pleine de moi amour
et nos yeux ne se quitteront pas.Oui si tu veux amour en hiver nous parfumerons très fort le lit d'une odeur qui soit comme un puissant dérivé de ton propre parfum et nous nous couvrirons entièrement même la tête pour en être enivrés et nous nous étreindrons sauvagement dans l'air raréfié.
            Amour, je vis dans le décor shakespearien d'un hypogée creusé dans un cimetière, près de mon horrible demeure, un obus a déterré ce matin un Boche dont le tibia sort maintenant de lambeaux de linceul terreux. Ce cimetière est sur le flanc du coteau, mais on ne peut aller sur la crête d'où on est vu. T'ai-je dit l'histoire du colonel boche tué ici avec 2 femmes qu'il avait avec lui. On a retrouvé aujourd'hui leurs réticules. J'ai trouvé une carte postale militaire allemande très terreuse, mais je te l'envoie comme curiosité. T'ai-je dit que ma cagnat s'appelle d'après l'inscription le " joyeux moulin ", Lustige Mühle, t'ai-je dit aussi que j'avais lu les lettres d'une petite putain de Wiesbaden Jela Muller, elle écrivait à son amant qui a oublié les lettres ici ou y est mort et elle mettait avant sa signature : das hübschtes Püppchen, la plus jolie des petites poupées ! Ce matin grand événement, on trouve deux Russes en costume de soldats russes prisonnier, les Boches les avaient mis entre lignes pour établir les réticules de fils de fer barbelés, placer les chausse-trappes et les chevaux de frise. Ils se sont sauvés à travers les fils de fer épouvantables, les Boches tirent dessus sans les atteindre. On ne les voit même pas passer dans nos lignes
(  c'est un comble ! ) et on ne les a retrouvés qu'en 3è ligne,  près des artilleurs. Ils ne savaient pas un mot de français ni d'allemand, on m'a demandé de leur parler mais je ne sais pas le russe. L'un s'appelait Kars et il est de Pétrow. Kars est un nom juif. Ils étaient partis avec une couverture, du pain de soldat  ( Pumpernickel ) et un livre de messe grec, in-quarto populaire récent imprimé à Constantinople et intitulé  
 Mεgά  ( je ne me souviens plus du mot suivant quelque chose comme Evxoλογιοv ) il y avait des psaumes suivis de la doxologie tout cela du rite grec. On les a copieusement photographiés tandis qu'ils faisaient force courbettes à la juive puis ils ont été emmenés à la division pour être interrogés. Il arrive souvent ici et en Italie que des prisonniers russes employés par les Boches se sauvent et viennent dans les lignes de leurs Alliés.
            Je prends ta bouche infiniment.


                                                                                                        Gui   
                                                                      

dimanche 9 septembre 2012

Anecdotes et Réflexions d'hier pour aujourd'hui

        


                                                                    Choses Vues

                                                                                                                  31 août 1847

            Un ouvrier cordonnier apporte à son maître un ouvrage fait dont le prix convenu était trois francs. Le maître trouve la besogne mal faite et ne veut la payer que cinquante sous. Refus de l'ouvrier. Querelle. Le maître jette l'ouvrier à la porte. L'ouvrier revient avec ses camarades et casse à coups de pierre les carreaux du cordonnier. La foule survient. Emeute. On met la Garde nationale, la ligue et la police sur pied. Tout Paris est sens dessus dessous.
            Je n'aime pas ces symptômes. Quand on a un vice dans le sang, le moindre bouton détermine une maladie, et une écorchure peut entraîner une amputation.

                                                                                                                 Sans date
                 
                            La Du Barry fut emprisonnée à la Conciergerie

            Mlle Deluzy, et non Luzzy, est toujours à la Conciergerie. Elle se promène tous les jours à deux heures dans la cour. Elle porte tantôt une robe de nankin, tantôt une robe de soie à larges raies. Elle sait que beaucoup de regards sont fixés sur elle de toutes les fenêtres. Les gens qui l'ont vue disent qu'elle prend des poses. Elle fait la distraction de M. Teste, dont la fenêtre donne sur cette cour. Du reste elle a envoyé chercher chez Mme Lemaire deux cents francs et du linge. Elle était encore au secret le 31.
            Granier de Cassagnac, qui l'a vue m'en faisait ce portrait : " Elle a le front trop bas, le nez trop retroussé, les cheveux trop blonds. Cependant, somme toute, elle est jolie. Elle regarde fixement tous ceux qui passent, cherchant à observer et peut-être aussi à fasciner. "
            C'est une de ces femmes auxquelles il manque du coeur pour avoir de l'esprit. Elle est caoable de sottises, non par passion, mais par égoïsme.

( Deluzy objet de la jalousie de la duchesse Choiseul Praslin gouvernante de ses dix enfants et maîtresse de son mari qui tua sans doute son épouse et se suicida. )

                                                                                                               4 septembre

            Douloureux anniversaire. Le malheur y revient à jour fixe. L'an dernier, Charles était malade. Cetteannée, c'est Toto.

            On a exhumé ce matin la pauvre Claire, au cimetière de Saint-Mandé.
( Claire fille de Juliette Drouet )

                                                                                                               5 septembre 1847

            L'émeute pour les dix sous dure encore. Elle s'aggrave même. C'était hier le cinquième jour.
            L'émeute est née rue Saint-Honoré.Cela commençait hier à engorger la rue Rambuteau.

                                                                                                               6 septembre

            Boileau écrit à Brossette à propos de je ne sais quel cuistre qui l'avait critiqué : " Le misérable m'attribue une satire où il me fait rimer dernier avec épargner.
                                                                              
                                                                                                               6 septembre 1847
                           
                                                           
            Cette nuit, j'ai rêvé ceci : on avait parlé d'émeutes toute la soirée à cause des troubles de la rue Saint-Honoré.
             Je rêvais donc. J'entrai dans un passage obscur. Des hommes passèrent auprès de moi et me coudoyèrent dans l'ombre. Je sortis du passage. J'étais dans une grande place carrée, plus longue que large, entourée d'une espèce de vaste muraille ou de haut édifice qui ressemblait à une muraille et qui la fermait des quatre côtés. Il n'y avait ni porte ni fenêtres, à cette muraille ; à peine ça et là quelques trous. A de certains endroits, le mur paraissait criblé ; dans d'autres, il pendait, à demi entrouvert, comme après un tremblement de terre. Cela avait l'aspect nu, croulant et désolé des places des villes d'Orient.
             Pas un seul passant. Il faisait petit jour. La pierre était grisâtre, le ciel aussi. J'entrevoyais à l'extrémité de la place quatre choses obscures qui ressemblaient à des canons braqués.
             Une nuée d'hommes et d'enfants déguenillés passa près de moi en courant avec des gestes de terreur.
             - Sauvons-nous ! criait l'un d'eux, voici la mitraille.
             - Où sommes-nous donc ? demandai-je. Qu'est-ce que c'est que cet endroit-ci ?
             - Vous n'êtes donc pas de Paris ? reprit l'homme. C'est le Palais-Royal.
             Je regardai alors et je reconnus en effet, dans cette affreuse place dévastée et en ruine, une espèce de spectre du Palais-Royal.
             Les hommes s'étaient enfuis comme une nuée.Je ne savais où ils avaient passé.
             Je voulais fuir aussi. Je ne pouvais. Je voyais dans le crépuscule aller et venir une lumière autour des canons.
             La place était déserte. On entendait crier : " Sauvez-vous ! On va tirer ! " Mais on ne voyait pas ceux qui criaient.
             Une femme passa près de moi. Elle était en haillons et portait un enfant sur son dos. Elle ne courait pas. Elle marchait lentement. Elle était jeune, pâle, froide, terrible. En passant près de moi, elle me dit :
             - C'est bien malheureux  ! le pain est à trente-quatre sous, et encore les boulangers trompent sur le poids !
              Je vis la lumière faire un éclair au bout de la place et j'entendis le canon. Je m'éveillai.
              On venait de fermer la porte cochère avec bruit.


                      

                                                                                                            7 septembre 1847

            L'émeute pour les dix sous est finie. Elle a duré sept jours.

                                                                                                              10 septembre 1847

            On disait à une lorette que son monsieur avait quittée et qui était triste :
            - Vous regrettez donc bien M.S. ?
            Elle répondit :
            - Ah !  que voulez-vous ? il était si bête ! c'était la crème des hommes.



                                                                                                                 Victor Hugo

mercredi 5 septembre 2012

Filles de NewYork Avrom Reisen ( Poèmes Anthologie de la Poésie Yiddish )




                                                         Filles de NewYork

                                             Les Filles dans les rues
                                             Ondulent et se plient.
                                             Chacune est violon
                                             Leurs gestes - mélodie.

                                             Dans la beauté du soir
                                             Où que ton pas se risque,
                                             Tu vois les violons
                                             Tu n'entends que musique.

                                              Ô violons aimés
                                              Dans la ville si vaste,
                                              Dès lors où que tu sois
                                              Tu es dans un orchestre.

                                                                                      1914

                                                                                              Avrom Reisen