lundi 5 novembre 2012

Les Quais et les Bibliothèques Apollinaire ( Nouvelle in le Flâneur des deux rives France )



                                                     Les Quais et les Bibliothèques

            Je vais le plus rarement possible dans les grandes bibliothèques. J'aime mieux me promener sur les quais, cette délicieuse bibliothèque publique.
            Néanmoins je visite parfois la Nationale ou la Mazarine et c'est à la Bibliothèque du Musée social, rue Las-Cases, que je fis connaissance d'un lecteur singulier qui était un amateur de bibliothèques.
            - Je me souviens, me dit-il, de lassitudes profondes dans ces villes où j'errais et afin de me reposer, de me retrouver en famille,j'entrais dans une bibliothèque.
             - C'est ainsi que vous en connaissez beaucoup.
              - Elles forment une part importante de mes souvenirs de voyages. Je ne vous parlerai pas de mes longues stations dans les bibliothèques de Paris : l'admirable Nationale aux trésors encore ignorés, aux encriers marqués E.F. ( Empire Français ) ; la Mazarine, où j'ai connu des lettrés charmants : Léon Cahun, auteur de romans de premier ordre qu'on ne lit pas assez ; André Walckenear, Albert Delacour, les deux premiers sont morts, le troisième semble avoir renoncé aussi bien aux lettres qu'aux bibliothèques ; la lointaine Bibliothèque de l'Arsenal, une des plus précieuses qui soient au monde pour la poésie et, enfin, la Bibliothèque de Sainte-Geneviève, chère aux Scandinaves.
            Je crois que pour ce qui est de la lumière, la bibliothèque de Lyon est une des plus agréables. Le jour y pénètre mieux que dans toutes les bibliothèques de Paris.
            A la petite bibliothèque de Nice, j'ai lu avec volupté l'Histoire de Provence de Nostradame et m'inquiétais du Fraxinet des Sarrasins, loin des musiques, des confetti de plâtre et des chars carnavalesques.
            A la bibliothèque de Quimper, on conserve une collection de coquillages. Un jour que j'étais là, un monsieur for bien entra et se mit à les examiner.
            - Est-ce vous qui avez peint ces babioles ? demanda-t-il à voix très haute en s'adressant au conservateur.
            - Non, répondit avec calme celui-ci, non monsieur, c'est la nature qui a orné ces coquillages des plus délicates couleurs.
            - Nous ne nous entendrons jamais, repartit le visiteur élégant, je vous cède la place.
            Et il s'en alla.
            A Oxford il y a une bibliothèque ( je ne sais plus laquelle ), où l'on a brûlé tous les ouvrages ayant trait à la sexualité entre autres : La Physique de l'amour de Rémy de Gourmont, Force et Matière de Ludwig Büchner.
            A Iéna, à la Bibliothèque de l'Université, par décision du Sénat universitaire, on a retiré de la salle publique les oeuvres de Henri Heine qui ne sont plus communiquées que sur autorisation spéciale, dans la salle de la Réserve.
            A Cassel, j'espérais toujours voir passer l'ombre du marquis de Luchet qui, vers la fin du XVIIIè siècle, en fut le directeur et, au dire des Allemands, la désorganisa en peu de temps, mettant Wiquefort parmi les Pères de l'Église, inscrivant dans les cartouches des barbarismes comme exeuropeana, qui paraissaient inadmissibles non seulement aux latinistes de Cassel, mais encore à ceux de de Goettingue et de Gotha. Ces derniers menèrent un tel bruit que Luchet dut cesser d'administrer la bibliothèque.  
Suisse            La bibliothèque de Neuchâtel, en Suisse, est la mieux située que je connaisse. Toutes ses fenêtres donnent sur le lac. Séjour enchanteur ! La salle de lecture est charmante. Elle est ornée de portraits représentant les Neuchâtelois célèbres. Il faut ajouter qu'on y est fort tranquille pour lire, car on y voit presque jamais personne. L'administrateur - et par tradition ce poste est toujours confié à un théologien - dort sur son pupitre. On y trouve une riche collection de livres français du XVIIè et du XVIIIè siècle. Quand quelqu'un demande des livres difficiles à trouver il est invité à les chercher lui-même. La bibliothèque s'honore avant tout de conserver des manuscrits de Rousseau dans une grande enveloppe jaune et c'est bien la seule chose qu'on vous communique sans rechigner, tant on en est fier.
            A la bibliothèque de Saint-Pétersbourg on ne communiquait pas Le Mercure de France dans la salle de lecture. Les privilégiés allaient le lire dans l'espace réservé aux bibliothécaires. J'y ai vu d'admirables manuscrits slaves écrits sur de l'écorce de bouleau. La bibliothèque était ouverte de 9 heures du matin à 10 heures du soir. Et dans la salle de lecture se tenaient beaucoup d'étudiants pauvres venus là pour se chauffer.
Ce fut un vrai centre révolutionnaire. Atout moment des descentes de police où chaque lecteur devait montrer son passeport, venaient troubler l'atmosphère studieuse de la bibliothèque. On y voyait des gamines de douze ans qui lisaient Schopenhauer. Grâce à l'influence de Sanine d'Artybachew on y vit ensuite des dames élégantes qui lisaient les oeuvres des derniers symbolistes français.
            L'influence de Sanine eut un moment les résultats les plus étranges. Des lycéens et des lycéennes de quatorze à dix-sept ans avaient fondé des sociétés de sanistes. Ils se réunissaient dans une salle de restaurant. Chacun d'eux apportait un bout de bougie que l'on allumait. Alors on chantait, on buvait, et lorsque la dernière bougie s'était éteinte, l'orgie commençait.
            Peu avant la guerre ce fut, chez les jeunes gens du même âge, une lamentable épidémie de suicides.
            La bibliothèque d'Helsingfors est très bien fournie de livres français, même les plus récents.
            Dans le Transsibérien le wagon-promenoir contenait, avec des pots de fleurs et des rocking-chair, une bibliothèque d'environ cinq cents volumes dont plus de la moitié étaient des livres français. On y voyait les oeuvres de Dumas père, de George Sand, de Willy.
            A la Martinique, Fort-de-France possède une bibliothèque, grande villa coloniale construite après le grand incendie d'il y a une vingtaine d'années. Quand j'y fus, le conservateur était un vieux brave qui est peint dans le célèbre tableau des Dernières Cartouches. Érudit charmant, il faisait lui-même les honneurs de sa bibliothèque, allait chercher les livres, etc. Il se nommait M. Saint-Félix et, s'il vit encore, je lui souhaite longue vie.
            J'ai eu l'occasion de connaître la bibliothèque du savant Edison. Je n'y ai pas vu L'Eve future,dont il est l'un des personnages. Peut-être ignore-t-il encore cette belle oeuvre de Villiers de l'Isle-Adam. Par contre, Edison fait sa lecture favorite des romans d'Alexandre Dumas père. Les Trois Mousquetaires, Le Comte de Mont-Cristo sont ses livres de chevet.
            A NewYork, j'ai fait de longues séances à la Bibliothèque Carnegie, immense bâtiment en marbre blanc qui, d'après les dires de certains habitués, serait tous les jours lavé au savon noir. Les livres sont apportés par un ascenseur. Chaque lecteur a un numéro et quand son livre arrive, une lampe électrique s'allume, éclairant un numéro correspondant à celui que tient le lecteur. Bruit de gare continuel. Le livre met environ trois minutes à arriver et tout retard est signalé par une sonnerie. La salle de travail est immense et au plafond trois caissons destinés à recevoir des fresques contiennent, en attendant, des nuages en grisaille. Tout le monde est admis dans la bibliothèque. Avant la guerre tous les livres allemands étaient achetés. Par contre, les achats de livres français étaient restreints. On y achetait guère que les auteurs français célèbres. Quand M. Henri de Régnier fut élu à l'Académie française, on fit venir tous ses ouvrages, car la bibliothèque n'en possédait pas un seul. On y trouve un livre de Rachilde, Le Meneur de Louves,dans la traduction russe et, dans le catalogue, on trouve le nom de l'auteur en russe, avec la traduction en caractères latins suivis de trois points d'interrogation. Cependant la bibliothèque est abonnée au Mercure depuis une dizaine d'années. Comme il n'y a aucun contrôle, on vole 444 volumes par mois en moyenne. Les livres qui se volent le plus sont les romans populaires, aussi les communique-t-on copiés à la machine. Dans les succursales des quartiers ouvriers il n'y a guère que des copies polygraphiées. Toutefois la succursale de la quatorzième rue ( quartier juif ) contient une riche collection d'ouvrages en yiddish. Outre la grande salle de travail dont j'ai parlé il y a une salle spéciale pour la musique, une salle pour les littératures sémitiques, une salle pour la technologie,une salle pour les patentes des Etats-Unis, une salle pour les aveugles, où j'ai une jeune fille lire du bout des doigts Marie-Claire de Marguerite Audoux : une salle pour les journaux, une salle pour les machines NYPL Seward Park Branch, Manhattan.jpgà écrire à la disposition du public. A l'étage supérieur enfin on trouve une collection de tableaux.
           Et voilà les bibliothèques que je connais.
           - J'en connais moins que vous , répondis-je. Et prenant l'Errant des bibliothèques par le bras , je m'efforçai de mettre la conversation sur un autre sujet.

          Un jour je rencontrai sur les quais M. Ed. Guénoud qui était gérant d'immeubles à Montparnasse et consacrait ses loisirs à la bibliophilie. Il me donna une petite brochure amusante dont il était l'auteur.
          C'est une plaquette illustrée par Carlègle. Elle est inconnue et par la suite deviendra sans doute célèbre parmi les bibliophiles qui recherchent les catalogues fantaisies En voici le titre :
           Catalogue des livres de la Bibliothèque de M. Ed. G. qui seront vendus le 1er avril prochain à la salle des Bons Enfants.
           Voici quelques mentions tirées de ce catalogue facétieux :
            Abeilard - Incomplet.Coupé
            Alexis ( P. ) - Celles qu'on n'épouse pas.Nombr. taches.
            Allais ( A. ) - Le parapluie de l'Escouade. Percale rouge.
            Ange Benigne -Perdi, le couturier de ces dames.Av. notes
            Aristophane - Les Grenouilles. Papier du Marais.
            Auriac - Théâtre de la foire. Papier pot.
            Balzac ( H. de ) -  La Peau de chagrin. Rel. id.
            Beaumont ( A. ) - Le Beau Colonel. Parf. état de conserv.
            Boisgobey ( F. de ) - Décapitée. En 2 part., tête rog., tr. r.
            Borel ( Pétrus ) - Madame Putiphar. Se vend sous le manteau.
            Carlègle et Guénoud - L'Automobile 217-UU. Beau whatman.
            Clarétie - La Cigarette. Papier de riz.
            Coulon - La mort de ma femme. Demi-chagrin.
            Courteline - Un client sérieux. Rare, recherché.
            Dubut de Laforêt - Le Gaga. Très défraîchi.
            Dufferin ( lord ) -Lettres écrites dans les régions polaires. Papier glacé.
            Dumas ( A. ) - Napoléon. Un grand tome.
            Dumas fils ( A. ) - L'ami des femmes.Complètement épuisé.
            Dumas fils ( A. ) - Monsieur Alphonse. Dos vert. 
            Fleuriot ( Z. ) - Un fruit sec. Couronné par l'Acad. franc.
            Gaignet - Bossuet. Pap. grand-aigle.
            Gazier. - Port-Royal des champs.Rel. janséniste.
            Grandmougin - Le Coffre-fort.Ouvr. à clef.
            Graye ( Th. de ) - Le Rastaquouère. Av. son faux titre.
            Guimbal - Les Morphinomanes.Nombr. piq.
            Hauptmann - Les Tisserands. Toile pleine
            Havard ( H. ) -Amsterdam et Venise. Petites capitales
            Hervilly ( E. d' ) - Mal aux cheveux .Une jolie fig.
            Karr ( A ) - Les guêpes. Piq.
            Kock ( P. de ) - Histoire des cocus célèbres. Nombr. cornes.
            La Fontaine - L'anneau d'Hans Carvel. Mis à l'index.
            La Fontaine - Les deux pigeons. Format colombier. Livre d'heures. in 18 Jésus
            Maeterlinck - La vie des Abeilles. Qques bourdons
            Maindron - Les Armes. Grav. sur acier
            Mattey - Le billet de mille. Très rare
            Maury ( L ) - Abd-el-Aziz. Maroq. écrasé
            Montbart ( G. ) - Le Melon. Tr. coupées
            Rémusat ( P. de ) - Monsieur Thiers. Un petit tome
            Thierry ( G.A ) - Le Capitaine sans façon. Basane
            Vigny - Cinq-Mars. Tête coupée
            Vilmorin - Les Oignons. Pap. pelure
            Voltaire - Le Siècle de Louis XIV. Magnif. ill. en tous genres, etc., etc.
           
            Et voilà un curieux divertissement bibliographique.
            Je revis plusieurs fois M. Ed. Guénoud sur les quais. Il est mort récemment et quand je passe devant les boîtes des bouquinistes près de l'Institut j'évoque la silhouette singulière de ce gérant qui pour la bibliographie facétieuse rivalisait avec Rabelais et celle de Rémy de Gourmont , qui ne manquait jamais avant la tombée de la nuit d'aller faire son tour le long des quais.
            N'est-ce point la plus délicieuse promenade qui se puisse faire à Paris ? Ce n'est pas trop, lorsqu'on a le temps, de consacrer un après-midi à aller de la gare d'Orsay au pont Saint-Michel. Et sans doute n'est-il pas de plus belle promenade au monde, ni de plus agréable.

           

                                                                                                 Apollinaire
                                                                                         (  in Le Flâneur des deux rives )

           


dimanche 4 novembre 2012

Anecdotes et Réflexions d'hier pour aujourd'hui journal 3 Samuel Pepys ( Angleterre )



   Hogarth                                                    Journal
                                                                        ( 13 janvier 1660 )

            En arrivant au bureau le matin, rencontrai Mr Fage et l'emmenai au Swan, Il me raconta avec quelle virulence la nuit dernière Hesilrigz et Morley s'étaient emportés chez le lord maire contre la Cité de Londres, accusant cette dernière d'avoir renié sa charte. Et comment le trésorier de la Cité de Londres les avait remis à leur place, leur rappelant combien ils étaient redevables à la Cité, etc.Il m'a également rapporté que la lettre de Monck qui leur avait été remise par le porte-glaive, était une machination et qu'ils ne lui faisaient guère confiance ; mais qu'ils étaient résolus à ne plus rien demander au Parlement, à ne plus payer un sou, tant que les députés exclus ne seraient pas réadmis ou qu'un parlement libre n'aurait pas été institué.
            De là, à mon bureau, où il n'y avait rien à faire. Aussi allai-je chez Will avec Mr Pinkney qui m'invita à une réception à son club le lundi suivant. Je rentrai ensuite à la maison chercher ma femme et l'emmenai dîner chez Mr Wade. Après quoi nous allâmes visiter Catau , avant de rentrer à la maison. Ma femme ne voulait pas que je reparte et quoique cela ne lui fît pas très plaisir, voulait m'accompagner si je sortais.Comme je m'apprêtais à aller à Whitehall, elle décida de me suivre : je l'attendis et l'emmenai se promener dans Whitehall, et la ramenai à la maison en colère. J'allai ensuite chez Mrs Jemima, que je trouvai debout et joyeuse : il s'avérait qu'elle n'avait pas la petite vérole, mais seulement la varicelle ; je fis donc une ou deux parties de cartes avec elle avant de me rendre chez Mr Vines, où je jouai avec lui et Mr Hudson à divers jeux en compagnie de la femme et de la belle-soeur de Dick. Après cela je rentrai à la maison ; ma femme était partie en visite chez Mr Hunt et rentra quelque peu après moi. Puis, au lit.
      Hogarth   
                                                                                14 janvier

            Rien à faire au bureau. Me rendis donc à Westminster, et juste comme je quittais le palais de Westminster pour aller dîner chez Mr Moore avec qui j'étais resté dans les couloirs pour savoir les nouvelles ( à cette occasion je parlai à sir Anthony Ashley Cooper du logement de milord ), je rencontrai le capitaine Holland qui me dit qu'il avait laissé sa femme chez moi. Je rentrai donc en toute hâte et achetai un plat de viande à leur intention. Ils restèrent avec moi tout l'après-midi et ne partirent que dans la soirée.
            Je sortis alors avec ma femme et la laissai au marché, et allai, pour ma part, au café où j'entendis une argumentation extrêmement convaincante contre l'affirmation de Mr Harrington comme quoi un gouvernement stable implique que les classes au pouvoir possèdent la majorité des biens fonciers.
            De retour à la maison j'écrivis à Hinchingbrooke et envoyai cette lettre avec mes autres lettres que j'avais omis d'envoyer jeudi dernier. Puis, au lit.
imag: Queens Guards                                                                                
                                                                                               
                                                                                                           
                                                                                    15 janvier

            Ayant passé une fort mauvaise nuit à cause des aboiements du chien d'un de nos voisins, qui m'empêchèrent de dormir pendant une ou deux heures, je me réveillai tard. Le matin je pris une purge et restai à la maison toute la journée.
            A midi, mon frère John vint me voir et je corrigeai du mieux que je pus son discours en grec en vue de la joute oratoire quoique, me sembla-t-il, il fut tout aussi capable de le faire que moi. Après cela nous nous mîmes à lire dans le grand Livre des Offices ce qui se rapportait à la bénédiction des cloches dans l'Église romaine.
            Après cela, ma femme et moi discourûmes plaisamment jusqu'au soir, puis nous soupâmes ; j'allai ensuite mettre la touche finale à mes notes pour cette semaine, puis, au lit.
            Comme il faisait froid et qu'il neigeait beaucoup, ma purge ne m'a pas fait autant d'effet qu'elle aurait dû.

                                                                                              Samuel Pepys
           

samedi 3 novembre 2012

Le Vilain Ânier Reid ( Fabliau )

             

                                                  Le Vilain Ânier

            Il arriva à Montpellier qu'un vilain avait l'habitude de ramasser, avec deux ânes, du fumier pour fumer sa terre. Un jour, ayant chargé ses bêtes, il entre bientôt dans la ville, poussant devant lui les deux ânes, souvent contraint de crier : " Hue ! " Il arrive enfin dans la rue où sont les marchands épiciers : les garçons battent les mortiers. Mais sitôt qu'il sent les épices, lui donnât-on cent marcs d'argent qu'il n'avancerait plus d'un pas. Il tombe aussitôt évanoui, si bien qu'on peut le croire mort. A cette vue on se désole ; des gens disent : " Mon Dieu, pitié ! Voyez ici cet homme mort. " Mais aucun n'en sait le pourquoi. Les ânes restent arrêtés bien tranquillement dans la rue ; car l'âne n'a guère coutume d'avancer qu'on ne l'y invite.Un brave homme du voisinage, s'étant trouvé là par hasard, vient et demande aux gens qu'il voit :
            - Qui veut faire guérir cet homme ? Je m'en chargerais pour pas cher.
            Alors un bourgeois lui répond :
            - Guérissez-le moi tout de suite vous aurez vingt sous de ma poche.
            Et l'autre dit :
            - Bien volontiers !
            Avec la fourche que portait le vilain en poussant ses ânes, il prend un paquet de fumier et va le lui porter au nez. Humant la parfum du fumier, l'homme oublie l'odeur des épices ; il ouvre les yeux, il se lève et se dit tout à fait guéri ; et, bien content , de déclarer :
            - Je n'irai plus jamais par là, si j'arrive à passer ailleurs.
            Je veux montrer par cet exemple que n'a ni bon sens ni mesure qui veut renier sa nature ; chacun doit rester ce qu'il est
                                      
                                                                                                   TBW Reid
                                                                                               ( twelve fabliaux )

vendredi 2 novembre 2012

Happy ! Naoki Urazawa ( Manga Japon )





















                                                          Happy !

            Délicieux manga. Longue série de 22 volumes au Japon, 15 en France. Urasawa a réussi un thriller qu'il ne souhaitait pas vraiment écrire. Après le judo il décrit le milieu du tennis. Du tennis business. Outre le talent les joueurs ne peuvent participer aux grands tournois professionnels sans coaches,sponsors, médias et éventuellement un public acquis à leur personnalité. Ici de plus Miyuki Umino orpheline ses, parents morts dans un accident de voiture, deuxième d'une fratrie de 5 enfants, abandonne le lycée pour subvenir aux besoins de ses petits frères et sœur. Enfant son père tennisman lui apprit à jouer. Miyuki aimerait poursuivre une carrière d'amateur mais elle est menacée par des yakuzas qui lui réclament 250 millions de yens, dette de son frère qu'ils détiennent disent-ils. Miyuki est-elle un prodige de naïveté ? Les hasards et un excellent entraîneur, au passé trouble, lui permettent de montrer ses capacités de joueuse, mais elle porte ombrage involontairement à des joueuses en compétition, à des jeunes filles amoureuses. Et pourtant elle joue, et le graphique nous la montrera dans toutes les situations : de passing-shot à balle en l'air, de botte secrète en ace, tout le répertoire, toutes les attitudes du tennis accompagnent l'histoire d'une petite joueuse tokyoïte confrontée aux rancœurs d'une mère, femme d'affaires éminente au Japon, ancienne championne de tennis, d'un fils qu'elle tente d'effacer, d'affirmer... Revanches de femmes. Hommes d'affaires mafieux, jeux d'argent dans les tribunes. Mais le tennis c'est : " ...un match de boxe sans le sang... Écouter la balle et oublier le public... " Rebondissements imprévus, méchanceté et bassesse, intelligence là où on ne l'attend pas et la perspective de jouer l'US Open à New-York. Les japonaises face aux américaines, roumaines, argentines. Urasawa prend nettement position en faveur des Tokyoïtes. Ne se lâche pas quel que soit l'âge ( conseillé à partir de 14 ans par l'éditeur ).







jeudi 1 novembre 2012

Souvenir d'Auteuil Guillaume Apollinaire ( nouvelle France )



                                                       Souvenir d'Auteuil

            Les hommes ne se séparent de rien sans regret, et même les lieux, les choses et les gens qui les rendirent le plus malheureux, ils ne les abandonnent point sans douleur.
            C'est ainsi qu'en 1912, je ne vous quittai pas sans amertume, lointain Auteuil, quartier charmant de mes grandes tristesses. Je n'y devais revenir qu'en l'an 1916 pour être trépané à la Villa Molière.
            Lorsque je m'installai à Auteuil en 1909, la rue Raynouard ressemblait encore à ce qu'elle était du temps de Balzac. Elle est bien laide maintenant. Il reste la rue Berton, qu'éclairent des lampes à pétrole, mais bientôt, sans doute, on changera cela.
            C'est une vieille rue située entre les quartiers de Passy et d'Auteuil. Sans la guerre elle aurait disparue ou du moins serait devenue méconnaissable.
            La municipalité avait décidé d'en modifier l'aspect général, de l'élargir et de la rendre carrossable.
            On eût supprimé ainsi l'un des coins les plus pittoresques de Paris.bld2
            C'était primitivement un chemin qui, des berges de la Seine, montait au sommet des coteaux de Passy à travers les vignobles.
            La physionomie de la rue n'a guère changé depuis le temps où Balzac la suivait lorsque, pour échapper à quelque importun il allait prendre la patache de Saint-Cloud qui l'amenait à Paris.
            Le passant qui, du quai de Passy remarque la rue Berton, n'aperçoit qu'une voie mal tenue, pleine de cailloux et d'ornières et que bordent des murs ruineux, clôture à gauche d'un parc admirable et à droite d'un terrain qui a été destiné par ceux qui le possèdent à des fins diverses et bien singulières. Une partie est aménagée en jardin ; ailleurs se trouve un potager ; il y a encore des matériaux et d'une grande porte donnant sur le quai part un large chemin sablé qui mène à un grand théâtre en bois. Monument bien imprévu à cet endroit et que l'on appelle la salle Jeanne d'Arc. Des lambeaux d'affiches déjà anciennes montraient, en 1914, qu'une fois, il y avait peut-être cinq ou six ans La Passion de N.S. Jésus -Christ y avait été représentée. Auteuil villa dietz monin.jpgLes acteurs, c'étaient peut-être des gens du monde  et vous avez peut-être rencontré dans un salon le Christ d'Auteuil : un baron de la Bourse converti y joua peut-être à la perfection le rôle ingrat de ce saint caïnite, Judas, qui commença par la finance, continua par l'apostolat et finit en sycophante.
            Mais que le passant entre dans la rue Berton, il verra d'abord que les rue qui la bordent sont surchargées d'inscriptions, de graffiti, pour parler comme les antiquaires. Vous apprendrez ainsi que Lili d'Auteuil aime Totor du Point du Jour et que pour le marquer elle a tracé un coeur percé d'une flèche et la date 1884. Hélas ! pauvre Lili, tant d'années écoulées depuis ce témoignage d'amour doivent avoir guéri la blessure qui stigmatisait ce coeur. Des anonymes ont manifesté tout l'élan de leurs âmes par ce cri profondément gravé : Vive les Ménesses !.
            Et voici une exclamation plus tragique : Maudit soit le 4 juin 1903 et celui qui l'a donné.Les graffiti patibulaires ou joyeux continuent ainsi jusqu'à une construction ancienne qui offre, à gauche, une porte cochère superbe flanquée de deux pavillons à toiture en pente ; puis on arrive à un rond-point où s'ouvre la grille d'entrée du parc merveilleux qui contient une maison de santé célèbre, et c'est là que l'on trouve aussi l'unique chose qui relie - mais si peu, puisque la poste est si mal faite - la rue Berton à la vie parisienne : une boîte à lettres.
            Un peu plus haut, on trouve des décombres au-dessus desquels se dresse un grand chien de plâtre. Ce moulage est intacte et je l'ai toujours vu à la même place, où il demeurera vraisemblablement jusqu'au moment où les terrassiers viendront modifier la rue Berton. Elle tourne ensuite à angle droit et, avant le tournant, c'est encore une grille d'où l'on voit une villa moderne,encaissée dans une faille du coteau. Elle parait misérablement neuve dans cette vieille rue, qui dès le tournant apparaît dans toute sa beauté ancienne et imprévue. Elle devient étroite, un ruisseau court au milieu, et par-dessus les murs qui l'enserrent ce sont des frondaisons touffues qui débordent du grand jardin de la vieille maison de santé du docteur Blanche, toute une végétation luxuriante qui jette une ombre fraîche sur le vieux chemin.
            Des bornes, de place en place, se dressent contre les murs et au-dessus de l'une d'elles on a apposé une plaque de marbre marquant que là se trouvait autrefois la limite des seigneuries de Passy et d'Auteuil.
            On arrive ensuite derrière la maison de Balzac. L'entrée principale qui mène à cette maison se trouve dans un immeuble de la rue Raynouard. Il faut descendre deux étages et, grâce à l'obligeance de feu M. de Royaumont, conservateur du musée de Balzac, on pouvait sinon descendre l'escalier même que prenait Balzac pour aller rue Berton et qui est maintenant condamné, du moins prendre un autre escalier qui mène dans la cour que devait traverser le romancier et passer sous la porte qui le faisait déboucher dans la rue Berton.
            On arrive, après cela, en un lieu où la rue s'élargit et où elle est habitée. On y trouve une maison adossée contre la rue Raynouard et qui la surplombe. Une vigne grimpe le long de la maison et, dans des caisses poussent des fushias. A cet endroit un escalier très étroit et très raide mène rue Raynouard en face de la neuve voie qui est l'ancienne avenue Mercédes, nommée aujourd'hui avenue du Colonel Bonnet, et qui est l'une des artères les plus modernes de Paris.
            Mais il vaut mieux suivre la rue Berton qui s'en va mourant entre deux murs affreux derrière lesquels ne se montre aucune végétation, jusqu'à un carrefour où la vieille rue rejoint la rue Guillon et la rue Raynouard, en face d'une fabrique de glace qui grelotte nuit et jour d'un bruit d'eau agitée.
            Ceux qui passent rue Berton au moment où elle est la plus belle, un peu avant l'aube, entendent un merle harmonieux y donner un merveilleux concert qu'accompagnent de leur musique des milliers d'oiseaux, et, avant la guerre, palpitaient encore à cette heure les pâles flammes de quelques lampes à pétrole qui éclairaient ici les réverbères et qu'on n'a pas remplacées.
            La dernière fois qu'avant la guerre j'ai passé rue Berton, c'était il y a bien longtemps déjà et en la compagnie de René Dalize, de Lucien Rolmer et d'André Dupont, tous trois morts au champ d'honneur.
            Mais il y a bien d'autres choses charmantes et curieuses à Auteuil.

            Il y a encore, entre la rue Raynouard et la rue La Fontaine, une petite place si simple et si proprette que l'on ne saurait rien voir de plus joli.
            On y voit une grille derrière laquelle se trouve le dernier Hôtel des Haricots !... Ce nom évoque l'Empire et la garde nationale. C'est là que l'on envoyait les gardes nationaux punis. Ils étaient bien logés. Ils y menaient joyeuse vie, et aller à l'Hôtel des Haricots était considéré comme une partie de plaisir plutôt que comme une punition.
            Lorsque la garde nationale fut supprimée, lHôtel des Haricots se trouva sans destinataire, et la Ville y fît son dépôt de l'éclairage. Tel quel, il constitue un musée assez curieux, propre à éclairer - c'est le mot - sur la façon dont s'illuminent la nuit les rues parisiennes.
            Il n'y a plus que très peu de lanternes anciennes. On les a vendues aux communes suburbaines, mais en revanche, quelle forêt sans ombre, de fûts en fonte, de lyres, de réverbères à gaz et à l'électricité !
            On n'y voit guère de bronze ; il n'y a de réverbères en cet alliage coûteux qu'à l'Opéra. Autrefois, on cuivrait la fonte, et ce cuivrage revenait à près de 200 francs par réverbère.
            Aujourd'hui, la Ville est plus économe, on peint seulement les réverbères avec une couleur bronzée, et l'opération revient à 3 francs environ.
            Les plus hauts et les plus grands réverbères, ce sont ceux du modèle dit des boulevards. Voici encore les consoles qui servent aux angles et dans les rues à trottoirs étroits.
            Mais on peut regretter que la Ville n'ait pas conservé, dans son dépôt, au lieu de les vendre, un spécimen au moins de chaque appareil d'éclairage.
            Il y en a bien quelques-uns à Carnavalet, mais si peu, et quelques photographies de certains modèles se trouvent encore à la bibliothèque Lepelletier de Saint-Fargeau.
            En été, une visite au musée de l'éclairage n'est pas recommandable. Il n'y a pas plus d'ombrage, dans ce bocage métallique, que dans une forêt australienne.

            Mais il y a de l'ombre sur la petite place.
            C'est là, sur un banc situé devant la grille, qu'Alexandre Treutens, au retour de ses pérégrinations, venait faire des vers.
            Ce poète populaire plus pauvre que les plus pauvres. Il composait des poèmes vaguement humanitaires qu'il récitait aux terrassiers, dans les bistrots. Quelles obscures raisons avaient amené ce petit homme triste à délaisser son métier de cordonnier pour la poésie ? Il errait aux environs de Paris, et, quand il s'arrêtait dans une localité, il avait un tel souci de respecter l'autorité, qu'il subordonnait son inspiration au bon plaisir du maire de l'endroit. J'ai vu, de mes yeux vu, une pièce authentique délivrée par la mairie d'Enghien et donnant au nommé Alexandre Treutens la permission d'exercer " pendant un jour ", dans la commune d'Enghien, " la profession de poète ambulant ".

            Dans la rue La Fontaine, du côté gauche, il y un long mur gris sombre. Une porte qu'on ne franchit pas sans difficultés donne accès dans une cour où quelques poules se promènent gravement. A gauche en entrant, on a entassé de singulières choses qui sont, je crois, les cerceaux des anciennes crinolines.
             Cette cour est encombrée de statues. Il y en a de toutes formes et de toutes grandeurs, en marbre ou en bronze.                                                                 
             Il paraît qu'il y a une oeuvre de Rosso ; les grands cerfs de bronze du salon de 1911 ont été apportés là et se tiennent auprès de " La Fiancée du Lion ", oeuvre bizarre inspirée par un passage de Chamisso :
                Parée de myrtes et de roses, la fille du gardien, avant de suivre au loin et contre son coeur
                          l'époux qui la réclame, vient faire ses adieux à son royal ami d'enfance et lui donner
                          le dernier baiser. Fou de douleur, le lion l'anéantit dans la poussière, puis se couche
                          sur le cadavre attendant la balle qui va le frapper au coeur.
            Le bâtiment de droite est une sorte de musée inconnu où l'on voit un grand tableau de Philippe de Champaigne, un Le Nain : Saint Jacques, beau tableau qui serait bien au Louvre, et un grand nombre de tableaux modernes.
            Quelques salles sont pleines de christs que l'on a enlevés au Palais de Justice.
            Celui d'Elie Delaunay mériterait qu'on l'exposât au Petit Palais. La profusion de ces christs a quelque chose de touchant. On dirait d'un congrès de crucifiés. C'est qu'ils subissent en commun leur exil administratif.
            Il me semble qu'au lieu de les abandonner ainsi on ferait mieux de les donner à des églises pauvres.
            Ce musée fait partie d'une grande cité mystérieuse composée de l'ancien Hôtel des Haricots, derrière lequel se trouve la forêt des réverbères. Il y a aussi la Salle des tirages de la Ville de Paris, et, plus loin, dans une plaine immense, s'élèvent des pyramides de pavés. On les défait sans cesse et on les refait et parfois une de ces pyramides s'écroule, avec le bruit dans des galets quand la vague se retire.
           
            Séparée de cette cité édilitaire par la rue de Boulainvilliers, une usine à gaz occupe, avec ses gazomètres, ses différentes constructions, ses montagnes de charbon, ses crassiers, ses petits jardins potagers, un terrain qui s'étend jusqu'à la rue du Ranelagh, à l'endroit où elle est une des plus désertes de l'univers. C'est là qu'habite M. Pierre Mac Orlan, cet auteur gai, dont l'imagination est pleine de cow-boys et de soldats de la Légion étrangère. La maison où il demeure n'a rien de remarquable à l'extérieur. Mais quand on entre, c'est un dédale de couloirs, d'escaliers, de cours, de balcons où l'on se retrouve à grand-peine. La porte de M. Pierre Mac Orlan donne au fond du couloir le plus sombre de l'immeuble. L'appartement est meublé avec une riche simplicité. Beaucoup de livres, mais bien choisis. Un policeman en laine rembourrée varie ses attitudes et change de place selon l'humeur du maître de la maison. Au-dessus de la cheminée de la pièce principale se trouve une toute petite caricature de moi-même par Picasso. De grandes fenêtres s'ouvrent sur un mur situé à trois mètres environ, et, si l'on se penche un peu, on voit à gauche les gazomètres dont l'altitude n'est jamais la même, et, à droite, la voie du chemin de fer. La nuit, six cheminées gigantesques de l'usine à gaz flambent merveilleusement : couleur de lune, couleur de sang, flammes vertes ou flammes bleues. Ô Pierre Mac Orlan, Baudelaire eût aimé le singulier paysage minéral que vous avez découvert à Auteuil quartier des jardins !

            Si M. Riciotto Canudo n'avait déménagé d'Auteuil, pour aller fonder Mont-joie  dans le centre de Paris, une légende se serait formée à Auteuil à propos de la chambre qu'il habitait dans un hôtel situé à l'angle de la rue Raynouard et de la rue Boulainvilliers. Je n'ai jamais vu cette chambre, mais beaucoup d'habitants d'Auteuil ont eu l'occasion d'y regarder et il n'était jadis question que de cela dans les cafés du quartier, en autobus et dans le métro. Ce qui étonnait les habitants d'Auteuil, c'est que M. Canudo, qui habitait le même hôtel, n'y logeait point en garni. Il paraît qu'en effet il était dans ses meubles, c'est-à-dire un petit lit, une table, une chaise et une étagère supportant des livres. Le lit, disait-on, était fort étroit et j'ai entendu un habitant d'Auteuil dire en parlant d'une femme maigre : " Elle ressemble au lit de M. Canudo ".
            On disait aussi que les rideaux de cette chambre étaient toujours tirés et que nuit et jour il y brûlait un grand nombre de bougies. Si bien que l'on prenait M. Canudo pour le grand prêtre d'une religion nouvelle dont il accomplissait les rites dans sa chambre. Quelques feuilles de lierre répandues ça et là donnaient lieu à des suppositions singulières, et celle qui rencontrait le plus de crédit était que M. Canudo se servait du lierre dans des opérations magiques dont on n'avait pas encore deviné le but.
            Et c'est ainsi qu'à Auteuil les bonnes gens voyageaient agréablement et curieusement autour de la chambre de M. Canudo.

            Mais descendons vers la Seine. C'est un fleuve adorable. On ne se lasse point de le regarder. Je l'ai chantée bien souvent en ses aspects diurnes et nocturnes. Après le pont Mirabeau la promenade n'attire que les poètes, les gens du quartier et les ouvriers endimanchés.
            Peu de Parisiens connaissent le nouveau quai d'Auteuil. En 1909 il n'existait pas encore. Les berges aux bouges crapuleux qu'aimait Jean Lorrain ont disparu. " Grand Neptune, Petit Neptune, " guinguettes du bord de l'eau qu'êtes-vous devenus ? Le quai s'est élevé à la hauteur du premier étage. Les rez-de-chaussée sont enterrés et l'on entre maintenant par les fenêtres.
           Mais le coin le plus mélancolique d'Auteuil se trouve entre le Port-Louis et l'avenue de Versailles. Théophile Gautier habita au rond-point de Boulainvilliers, mais sans doute n'y avait-il pas alors à cet endroit tant de ferraille qu'aujourd'hui et le Port-Louis n'existait point avec sa flottille de bélandres bariolées de couleurs vives. Sur le pont sont rangés des pots de géraniums, de fushias ; dans des caisses poussent des arbres verts autour d'un petit cercueil d'enfant. Et quand le soleil brille, le petit cercueil des bélandres n'est pas du tout lugubre.


                                                                                        Apollinaire
                                                                        ( in Le flâneur des deux rives )
           







dimanche 28 octobre 2012

Lettres à Madeleine 51 Apollinaire




La Collecte - Centerblog
                                                Lettre à Madeleine

                                              Dans ses lettres des 5 et 6 décembre Apollinaire remercie Madeleine de lui apporter tous les mots qui lui permettent de traverser l'épreuve de la guerre et " ... c'est la 1è fois que la messe est dite tout à fait en 1è ligne. On l'a déjà dite dans les lignes de repli, mais pas encore en toute 1è ligne. A midi visite du colonel. Il a compris mon explication si nette et m'a dit que je partirai en permission le 3è... dans les 1ers jours de janvier... Il faut avoir vécu cette pénible vie pr s'en rendre compte. Amour, je t'adore... Peut-être irai-je à l'attaque ce soir à la tête de ma section... Le cadavre a été enlevé. Tant mieux on s'y habituait trop. Les hommes suspendaient leur musette à ses pieds... - Le 6 ... J'ai eu amour, l'indicible joie de ta lettre du 22, ta lettre volupté...

                                                                                                              7 Décembre 1915

            Ci-inclus, mon amour le portrait des 2 Russes dont je te parlais l'autre jour et qui avaient passé par ma batterie d'alors, ils ont été trouvés par ma Cie actuelle où on m'a donné leur photo que je t'envoie.

                                                 La Tranchée

                       Je suis la blanche tranchée au corps creux et blanc
                       Et j'habite toute la terre dévastée
                       Viens avec moi jeune dans mon sexe qui est tout mon corps
                       Viens avec moi pénètre-moi pour que je sois heureuse de volupté sanglante
                       Je guérirai tes peines, tes soucis, tes désirs ta mélancolie
                       Avec la chanson fine et nette des balles et l'orchestre d'artillerie
                       Vois comme je suis blanche, plus blanche que les corps les plus blancs
                       Couche-toi dans mon sein comme sur un ventre bien-aimé
                       Je veux te donner un amour sans second, sans sommeil, sans paroles
                       J'ai tant aimé de jeunes gens
                       Je les aime comme les aime Morgane
                       En son castel sans retour
                       Au haut du mont Gibel
                       Qui est l'Etna dont s'éloignent vite nos soldats destinés à la Serbie
                       Je les ai aimés et ils sont morts et je n'aime que les vivants
                       Allons viens dans mon sexe plus long que le plus long serpent, long
                               comme tous les corps des morts mis l'un devant l'autre
                       Viens écoute les chants métalliques que je chante bouche blanche
                               que je suis
                       Viens ceux qui m'aiment sont là armés de fusils de crapouillots de bombes
                               de grenades et ils jouent silencieusement

            Mon amour,, je n'ai pas eu de lettre de toi aujourd'hui. Je t'adore. Je me demande s'il n'y aura pas de lettres perdues pour toi ou moi. Je pense que non. Je prends ta bouche.


                                                Le... Poème Secret

                        Voilà de quoi est fait le chant symphonique de l'amour qui bruit
                                 dans la conque de Vénus
                         Il y a le chant de l'amour de jadis
                         Le bruit des baisers éperdus des amants illustres
                         Les cris d'amour des mortelles violées par les dieux
                         Les virilités des héros fabuleux érigés comme des cierges vont et viennent
                                 comme une rumeur obscène
                         Il y a aussi les cris de folie des bacchantes folles d'amour pour avoir mangé
                                 l'hippomane sécrété par la vulve des juments en chaleur
                         Les cris d'amour des félins dans les jongles
                         La rumeur sourde des sèves montant dans les plantes tropicales
                         Le fracas des marées
                         Le tonnerre des artilleries où la forme obscène des canons accomplit
                                  le terrible amour des peuples
                          Les vagues de la mer où naît la vie et la beauté
                          Et le chant victorieux que les premiers rayons de soleil faisaient chanter
                                  à Memnon l'immobile
                         Il y a le cri des Sabines au moment de l'enlèvement
                         Le chant nuptial de la Sulamite
                         Je suis belle mais noire
                         Et le hurlement précieux de Jason
                         Quand  il trouva la toison
                         Et le mortel chant du cygne quand son duvet se pressait entre
                                  les cuisses blanches de Léda
                         Il y a le chant de tout l'amour du monde
                         Il y a entre tes cuisses adorées
                                  Madeleine
                         La rumeur de tout l'amour comme le chant sacré de la mer
                                  bruit tout entier dans le coquillage


                                                                                                                         Gui

samedi 27 octobre 2012

Anecdotes et Réflexions d'hier pour aujourd'hui journal 2 Samuel Pepys ( Angleterre )




                                                                Journal
                                                                             1660 -  Janvier

            8 - Dimanche. - Ce matin je me suis rendu chez Mr Gunning ; il fit un bon sermon dans lequel il raconta la vie du Christ et nous donna toutes les preuves pour nous convaincre que le Christ a, en vérité, appris le métier de son père et fut charpentier jusqu'à sa trentième année. Allai ensuite déjeuner chez mon père où je retrouvai ma femme contrainte de venir y déjeuner du fait que nous n'avions pas un morceau de charbon à la maison et qu'il faisait un temps glacial. L'après-midi, comme mon père devait se rendre chez quelqu'un pour réclamer de l'argent qui était dû à ma tante Bell, ma femme et moi nous rendîmes chez Mr Messom où un docteur en théologie fit un très bon sermon. Puis j'envoyai ma femme chez mon père et j'allai passer quelque temps chez Mrs Turner. En revenant chez mon père j'y trouvai Mr Shipley. Après souper nous revînmes ensemble à la maison. J'ai appris que Mr Palmer était mort et qu'on devait l'enterrer demain à Westminster.

           11 - Alors que je me trouvais chez Will avec le capitaine Barker qui m'a remis ce matin 300 livres au bureau, voici qu'entre mon père ; je l'accompagnai à pied et le laissai chez W. Joyce, j'allai quant à moi jusque chez Mr Crew, mais j'arrivai trop tard pour dîner. Après une partie de volant avec Mr Walgrave et Mr Edward je retournai chercher mon père chez W. Joyce qui était lui-même sorti. Nous étant renseignés auprès d'un portier nous allâmes dans une taverne et après un verre ou deux nous nous quittâmes. Je m'acheminai vers Londres et en chemin je passai voir Crowley qui est devenu un très grand lion parfaitement apprivoisé. Je me rendis ensuite chez Mr Stevens avec une paire de mouchettes en argent, j'y achetai une paire de cisailles pour couper l'argent et m'en retournai à la maison.Home Décor Creepy Halloween Punk de vapeur Vintage 1900 Antique de 1900 victorienne gothique Snuffer Bougie Silver Plate
            De chez moi, allai rendre visite à Mrs Jemima. Les médecins avaient maintenant confirmé qu'elle avait la petite vérole.
            Retour à la maison, puis au café où je ne m'attardai pas, et rentrai à la maison.


                                                                                                      Samuel Pepys

vendredi 26 octobre 2012

Voyage au pays des Ze-Ka Julius Margolin ( Récit Autobiographie Israël )

     
Julius Margolin, Voyage au pays des Ze-Ka, jaquette
                                        Voyage au pays des Ze-Ka
                                                                          ( traduction du russe Nina Berberova, Mina Journot
                                                                            revu par Luba Jurgenson )

            " Pour nous les petites gens le 23 août 1939 est une date fatale... " Julius Margolin a 39 ans, né en Biélorussie il vit à Tel-Aviv depuis 1936, de passage en Pologne où demeurent sa mère et son père, il sera pris dans les filets inextricables des ordres allemands, polonais, russes "...  journaliste indépendant, père de famille citoyen polonais...qui n'a rien à voir avec l'Union Soviétique et n'a commis aucun délit contre ce pays est retenu par l' Armée Rouge sur le Territoire Polonais... il est constaté qu'il n'est ni espion, ni voleur ni assassin... " Julius Margolin est docteur en philosophie, il parle russe, sera détenu jusqu'en 1945 dans les camps en Sibérie, détruit physiquement atteint moralement lorsque le froid et la faim étaient extrêmes, au point de voler le pain de son ami. A son retour, le premier il nommera ces lieux où sont parqués des hommes de toutes origines, tant voleurs, les ourkis, que des êtres acquis à la cause communiste, dans l'obligation d'apporter leur force à l'ouvrage collectif soit le Plan, le Goulag. Ils coupent le bois des forêts, scient le bois, dans le froid sibérien, à peine vêtus, nourris d'une soupe liquide et parfois de kacha, d'un morceau de pain. Volés, abrutis de fatigue, les hommes en manque de nourriture, dorment sur des bas-flancs. L'inracontable est écrit, décrit avec minutie, les faits et gestes du quotidien. Le froid sibérien, la cruauté, l'amitié devenue inimitié devant la gamelle vide. Plus que Soljenitsine dans " La journée d'Ivan Denissovitch " Margolin nous enchaîne à sa suite, son écriture simple même si parfois il a tendance à nous emmener vers Marx et Hegel nous absorbe. La faim tuait ces hommes obligés de tuer à l'aide d'aiguilles à tricoter les chenilles énormes ou invisibles qui couvrent les feuilles de choux, asservissement. Auteur il reconnaît " s'il n'avait pas été interné il n'aurait pu témoigner de cet esclavagisme. " Ecrit en dix mois " parut sous le titre La Condition Inhumaine ". Plusieurs chapitres manquaient qui furent rajoutés au fil des rééditions. Inoubliables ces Ze-Ka nom donné aux travailleurs forcés dans ces camps aux abords de la Mer blanche et du Canal Baltique où mourraient plus vite les Géorgiens habitués à une température plus douce.



           

jeudi 25 octobre 2012

L'histoire se répète Mark Twain ( Conte humoristique USA )



    gorfou macaroni                                                                L'histoire se répète


            Ce qui suit je l'ai trouvé dans un journal des Îles Sandwich qui me fut envoyé par un ami du fond de cette paisible retraite. La coïncidence entre ma propre expérience  et celle dont parle ici feu M. Benton est si frappante que je ne puis m'empêcher de publier et de commenter ce paragraphe. Voici le texte du journal Sandwich :
            " Combien touchant, le tribut payé par feu l'honorable T.H. Benton à l'influence de sa mère.
            " - Ma mère me demanda de ne jamais fumer. Je n'ai jamais touché de tabac depuis ce jour-là jusqu'à aujourd'hui. Elle me demanda de ne plus jouer. Je n'ai plus jamais touché une carte. Je suis incapable quand j'ai vu jouer de dire qui a perdu. Elle me mit en garde aussi contre la boisson. Si j'ai quelques qualités              joueurs  de cartes cézanne
d'endurance actuellement, si j'ai pu me rendre quelque peu utile dans la vie je l'attribue à mon obéissance à ses voeux pieux et corrects. Quand j'avais sept ans elle me demanda de ne pas boire, et je fis alors le voeu d'abstinence absolue. Si j'y fus constamment fidèle c'est à ma mère que je le dois. "
            Je n'ai jamais rien vu de si curieux. C'est presque un bref résumé de ma propre carrière morale, en substituant simplement une grand-mère à une mère. Combien je me rappelle ma grand-mère me demandant de ne pas fumer ! Vieille chère âme " Je vous y prends, affreux roquet !  Bon ! Que je ne vous y prenne encore à mâcher du tabac avant le dîner ! Et je vous parie que je vous donne le fouet jusqu'à vous laisser pour mort. "
            De ce jour à aujourd'hui je n'ai jamais plus fumé dans la matinée.
            Elle me demanda de ne pas jouer. Elle me chuchota " Jetez-moi ces damnées cartes, tout de suite. Deux paires et un valet, idiot, et l'autre à une séquence. "
           Je n'ai plus joué depuis ce jour, jamais plus, sans un jeu de rechange dans la poche. Je ne puis pas même dire qui doit perdre une partie quand je n'ai pas fait moi-même  le jeu.
           Quand j'avais deux ans elle me demanda de ne pas boire. Je fis le voeu d'abstinence complète.
           Si je suis resté fidèle et si j'ai ressenti les effets bienfaisants de cette fidélité, jusqu'à ce jour, c'est à ma grand-mère que je le dois. Je n'ai jamais bu, depuis, une goutte de quelque sorte d'eau que ce soit.

           


                                                                 Mark Twain
















































           

lundi 22 octobre 2012

Anecdotes et Réflexions d'hier pour aujourd'hui - Choses vues Victor Hugo


                                                     
                                                   Choses vues

                                                                                                                Novembre 1849

            Les ministres actuels sont des carreaux de vitres. On voit le président au travers.

                                              Le Vice-Président de la République

            M. Boulay de la Meurthe était un bon gros homme, chauve, ventru, petit, énorme avec le nez très court et l'esprit pas très long. Il était l'ami de Harel auquel il disait : " mon cher " et de Jérôme Bonaparte auquel il disait : " Votre Majesté ".
            L'Assemblée le fit, le 20 janvier, vice-président de la République.
            La chose fut un peu brusque et inattendue pour tout le monde, excepté pour lui. On s'en aperçut au long discours appris par coeur qu'il débita après avoir prêté serment. Quand il eut fini L'Assemblée applaudit puis à l'applaudissement succéda un éclat de rire. Tout le monde riait, lui aussi ; l'Assemblée par ironie, lui de bonne foi.
            Odilon Barrot qui, depuis la veille au soir, regrettait vivement de ne pas s'être laissé faire vice-président, regardait cette scène avec un haussement d'épaules et un sourire amer.
            L'Assemblée suivait du regard Boulay de la Meurthe  félicité et satisfait, et dans tous les yeux on lisait ceci : " Tiens ! Il se prend au sérieux ! "
            Au moment où il prêta serment d'une voix tonnante qui fit sourire, Boulay de la Meurthe avait l'air ébloui de la République, et l'Assemblée n'avait pas l'air éblouie de Boulay de la Meurthe.
            Ses concurrents étaient Vivien et Baraguay-d'Hilliers, le brave général manchot, lequel n'eut qu'une voix. Vivien avait beaucoup compté sur la chose. Quelques moments avant la proclamation du scrutin on le vit quitter son banc et s'en aller à côté du général Cavaignac. Le président manqué consola le vice-président raté. Je n'aimais pas Vivien parce qu'il était honteux de son père ancien maître d'études, pion, chien de cour, comme disent les gamins à la pension Cordier-Decotte, rue Sainte-Marguerite n° 41. Ceci m fit voter pour Boulay de la Meurthe.
            J'avais passé trois années de mon enfance, 1815, 1816 et 1817 dans cette pension Decotte.
            Ce père Vivien était un personnage à part. C'était un vieillard ébouriffé, flottant dans un habit à grandes basques. L'habit était râpé, le bonhomme était maigre, le tout était piteux. Le père Vivien avait été dans l'Inde et en avait rapporté des sparteries assez curieuses dont était tapissé le cabinet où son fils, élève gratuit, travaillait avec mon frère Eugène et moi. Ce cabinet n'était autre chose qu'un compartiment de la classe réservé aux grands. Vivien fils avait cinq ou six ans de plus que moi. C'était un grand beau jeune homme rose aux yeux bleus, clairs et brillants ; il avait sur le front deux petites bosses comme les faons dont les cornes vont pousser. Il était fort en discours latin. Il semblait humilié d'être " le fils du pion ". Ainsi le nommais la moquerie indifférente et féroce des enfants. Au sortir de la pension Decotte nous nous perdîmes de vue. Je le revis trente ans plus tard en 1847 ; lui avait été ministre et était député ; j'étais pair de France. Ma rencontre lui fut désagréable ; j'avais connu son père.
            Pendant que le vice-président pérorait à la tribune je causais avec Lamartine. Nous parlions architecture. Il tenait pour Saint Pierre de Rome, moi pour mes cathédrales. Il me disait ; " Je hais vos églises
sombres ; Saint-Pierre est vaste, magnifique, lumineux, éclatant, splendide. " Et je lui répondais : " Saint-Pierre de Rome n'est que le grand ; Notre-Dame, c'est l'infini. "
                                               
                  
                                               Monsieur le duc D'Harcourt
  
            M. le duc d'Harcourt venait à l'épaule de M. Thiers. Il était impossible de voir un plus petit homme et un plus grand nom. M. d'Harcourt avait l'oeil vif, le nez pointu, les cheveux gris, le sourire fin, les manières aisées et simples, l'air d'un grand seigneur et d'un bon homme. Ses opinions dépassaient le libéralisme. Un jour à propos de la Pologne il fit contre les rois d'Europe une telle sortie que M. Pasquier le rappela à l'ordre. M.d'Harcourt se contenta de lui jeter un regard d'ancien duc à nouveau duc.
            A la Chambre des pairs, il ne restait jamais en place ; il allait et venait sans cesse, ses deux mains dans les goussets de son pantalon gris, le collet de son habit de pair rabattu sur ses épaules, un bonnet de velours vert sur la tête. Un de ses fils, Jean d'Harcourt, était dans la marine et bon officier.
            M. d'Harcourt, presque républicain, affectait certaines façons suprêmes ; il faisait partie du groupe de pairs qui portait le collet de velours noir à broderie étroite ; ce velours noir était ménagé à dessein par les anciens pairs pour laisser voir la place des fleurs de lys, ce qui indiquait la date de leur pairie.          





              Sous la Restauration le collet et les parements des pairs  étaient brodés de fleurs de lys d'or et le collet et les parements des députés de fleurs de lys d'argent. Les pairs, depuis 1830, couvraient collet et parement de broderies qui laissaient à peine voir le velours. Ce collet séparait les anciens orgueils des vanités nouvelles. M. d'Harcourt n'était pas inaccessible à ces misères. Du reste intelligent, cordial, généreux, il ne battait personne à terre. Il fut clément pour Teste. La tribune lui venait au menton, mais il avait des idées, de la chaleur d'âme et se haussait peu à peu. Il commençait par être petit  et finissait par être grand. Au rebours des opinions reçues, il avait une haute idée de la Chambre des pairs comme pouvoir. Il me dit un jour : " Si cette Chambre voulait, elle ferait tout, elle a la parole comme la Chambre des députés et la durée comme le roi. "
            La République de Février le fit ambassadeur à Rome. M. d'Harcourt était fort laborieux A Gaëte, pendant l'exil du pape, il recopiait lui-même de sa main toutes ses dépêches. Il est vrai que la légation était désorganisée et qu'il n'avait pas de secrétaire.                        Gaëte ortie royale                                                                      
               Même à travers les choses folles et violentes que   
la réaction lui imposait contre les républicains de Rome, son vieux levain anti-monarchique lui restait. Le jour de la fête du roi de Naples, il se dispensa d'aller au baise-main et, par son ordre, le Tenare qui était mouillé dans la rade, ne se pavoisa ni ne salua.
               Cette haine lui venait, disait-on, d'un mot de Louis XVIII. Louis XVIII l'avait surnommé le duc-mouche. M. d'Harcourt dit : " La mouche piquera. " Par représailles il appelait Louis XVIII le roi-cachalot.


                                                                                                        Hugo