samedi 25 janvier 2014

Premier en anglais,Toto - Mon petit frère -Courteline ( Nouvelles France )


crobardures.canalblog.com

                                                   Premier en anglais
                                                          TOTO

            - Moi, comme j'ai été le premier en anglais maman a dit comme ça :
            " Comme cet enfant, qu'elle a dit, a été le premier en anglais, pendant les vacances de Pâques on le mènera voir la comédie, puisqu'il a été le premier en anglais. "
            - Ah ?
            - Oui. Alors papa est allé louer des places. Ça fait qu'il est rentré mardi en disant :
            " Je viens de louer des places
              - Et pour où que tu as loué des places ? qu'a dit maman ".
           - Papa a dit qu'il avait loué des places pour aller au Théâtre Français voir jouer Le Supplice d'une femme. Alors maman s'a fichu en colère. Elle a dit que papa était un imbécile et qu'il ne faisait que des bêtises.
            - Ah ?
            - Oui. Elle criait :
            " Est-ce que tu perds la tête de mener cet enfant à une pièce pareille ? Tu veux donc lui donner de mauvaises idées ? "
           - Et papa baissait le nez, parce qu'il ne savait pas quoi répondre. A la fin maman a dit que papa ne savait pas ce qu'il faisait, mais qu'elle aimait encore mieux que j'aie de mauvaises idées que de laisser perdre des places qui avaient coûté vingt-cinq francs. Alors on a été tout de même voir jouer Le Supplice d'une femme.
            - Ah ?
            - Oui. en voilà une pièce qui est bête ! Mon vieux, on y comprend rien ! C'est rien que des gens qui parlent à tort et à travers et qui disent tout ce qui leur passe par la tête. T'as jamais rien vu de plus bête, et tout le temps maman me disait :
              " N'écoute pas ce qu'ils disent, Toto, c'est des mensonges ! "
             - Et elle disait à papa : 
             " Il faut être aussi fou que tu l'es pour avoir amené cet enfant à une pièce aussi immorale. "
             - A la fin on a rentré et maman a dit comme ça :
             " Je ne veux pas que cet enfant reste sous le coup de mauvaises idées. Demain soir on ira voir jouer La Chatte blanche. "
            - Ah ?
PabloPicasso 1900 
            - Oui. Ça fait que le lendemain on a été au Châtelet. Mon vieux, c'est ça qui est rupin ! Pour sûr alors, c'est rupin !... Si tu savais!... Mon vieux, il y a des dames toutes nues !... C'est joli :... On voit tous leurs estomacs !... A un moment y en a qui dansent, des fois elles relèvent leurs jupes et elles font voir leurs derrières... Tu ne peux pas te faire un idée comme c'est chic !... Crénom ! j'ai rudement rigolé ! Maman aussi. Tout le temps elle disait :
            " Tu t'amuses Toto ? "
            - Et elle disait à papa :                                            
            " Hein ? Voilà un vrai spectacle à faire voir à des enfants. Au moins ça ne leur donne pas de mauvaises idées ! "
            - Je serais toi je dirais à ta mère de te mener voir La Chatte blanche. C'est pas comme Le Supplice d'une femme où on ne sait pas ce que ça veut dire. On comprend, mon vieux !... On comprend...



                                                                                                Georges Courteline   


                                                         ********************


chêne de courbet
                             fr.culture.fr                                 Mon petit frère

            Mon petit frère qui était en cinquième l'an dernier ne passera que l'an prochain dans la classe suivante. Suffisant en mathématiques, plutôt brillant en thème latin, il a été au-dessous de tout en littérature française, il s'est montré l'égal d'un cochon dans l'art d'expliquer La Fontaine, si bien qu'il a été recalé à l'examen et qu'il va redoubler sa cinquième à titre de vétéran. Ce pauvre enfant est désolé. Je l'ai consolé de mon mieux puis questionné à mon tour. Or voici scrupuleusement sténographié sous la dictée de ce bambin digne de foi ce qui se serait passé entre lui et son examinateur. Ça empeste la vérité à en tomber asphyxié, et je crois devoir livrer à l'étonnement des masses cette surprenante entrevue.

            L'examinateur -... Et maintenant nous allons passer à l'examen des auteurs français. Êtes-vous un peu fort sur ce point ?
            Mon petit frère - Oh ! très calé !
            L'examinateur - Quoi ?
            Mon petit frère ( se reprenant ) - Très ferré. Je veux dire, très ferré.
            L'examinateur - A la bonne heure. Dites-moi, de tous les écrivains qui ont illustré notre langue, auquel vont vos prédilections ?
            Mon petit frère ( embarrassé et qui n'a pas de préférence ) - Mon Dieu...
            L'examinateur - Serait-ce à Corneille ?
            Mon petit frère - Oui.
            L'examinateur - Ou à Molière ?
            Mon petit frère - En effet.
            L'examinateur - Peut-être à La Fontaine ?
            Mon petit frère - Ça se pourrait encore.
            L'examinateur -  Ce choix fait honneur à votre jugement. Je vous en félicite de toutes mes forces et puisque le hasard nous a amenés à prononcer le nom de La Fontaine, parlons un peu de La Fontaine. Qu'est-ce que vous pensez de La Fontaine ?
            Mon petit frère ( qui n'en pense rien ) - Je pense que c'est un grand poète.
            L'examinateur -  Bonne réponse! Très bien,  mon ami ! Avec des idées comme celles-là vous ferez votre chemin dans la vie. J'ose vous le prédire hardiment. Mais pourquoi vous prisez l'auteur, sans doute vous possédez l'oeuvre? Voudriez-vous me citer parmi les fables de La Fontaine, celles qui vous paraissent mériter une admiration particulière,  autant par l'ampleur des sujets que par l'excellence de la forme.
            Mon petit frère ( qui s' en bat l'oeil  ) - Ma foi...
            L'examinateur -  Je gage mon ami que vous avez une préférence pour Le Meunier, son fils et l'âne ?
             Mon petit frère - Je l'avoue...
            L'examinateur - Pour Le Paysan du Danube ?
            Mon petit frère  - Oui, monsieur.
            L'examinateur - Sans doute aussi pour Le Chêne et le Roseau ?
            Mon petit frère ( qui déborde d'admiration bien feinte ) - Oh !...
            L'examinateur - À merveille.  Je vois que vos goûts et les miens vont d'instinct aux mêmes chefs-d'oeuvre. Vous savez Le Chêne et le Roseau ?         
            Mon petit frère - Oui monsieur. ?.
            L'examinateur - Récitez-le moi. ( il prend l'attitude recueillie du monsieur qui se prépare à déguster un Maître ).
            Mon petit frère récitant - Le chêne un jour dit au roseau...
            L'examinateur - Arrêtez-vous.   Qu'est-ce que vous pensez de ce vers ?
            Mon petit frère ( très carré ) - Superbe !
            L'examinateur - Superbe, il est vrai, mais pourquoi ? (  mutisme embarrassé de mon frère ) Vous trouvez que ce verbe est superbe et vous ne savez pas pourquoi ? ( Suite du mutisme ) Et vous dites que vous connaissez La Fontaine !... ( Mon petit frère se met à pleurer ) Il ne faut pas pleurer pour ça. Voyons mon ami, répondez : Savez-vous ce que c'est qu'un chêne ?
            Mon petit frère - Oui monsieur, un Chêne c'est un arbre.
            L'examinateur - Fort bien. Mais quel espèce d'arbre ? ( reprise du motif ci-dessus : mutisme prolongé du candidat ) Est-ce un grand arbre ? Est-ce un petit ? Dites quelque chose, voyons !
            Mon petit frère ( timidement ) - Monsieur, c'est un grand arbre.
            L'examinateur ( satisfait ) - Ah ! Et un roseau, qu'est-ce que c'est ?
            Mon petit frère - C'est une espèce de petit truc. Un machin quoi, qui sort de l'eau.
            L'examinateur ( érudit ) - Le roseau est une petite plante aquatique, à tige droite, lisse et élancée, qui pousse généralement sur le bord des marais. Eh bien ! comprenez-vous maintenant tout ce qu'il y a de beau dans ce vers ? dans cette opposition du roseau et du chêne, si disproportionnés chacun à chacun et conversant d'égal à égal, cependant ? Hein ? N'y a-t-il point là une touchante antithèse ? Et n'est-ce point, je vous le demande, à tirer les larmes des yeux ?              
            Mon petit frère ( pas convaincu ) - Si.                                   *
            L'examinateur - Laissez-moi parler, je vous prie... Vous me  direz : " C'est touchant mais tout à fait invraisemblable !... On ne saurait me faire admettre que le chêne pousse la condescendance jusqu'à adresser la parole au roseau et se complaise en si petite société !... " Je vous sais gré de cette objection qui prouve votre intelligence. Mais c'est là que je vous attendais !... Oui, le chêne parle au roseau. Seulement, quand consent-il à lui parler ? UN JOUR !...
                                                                Il déclame
            Le chêne, un jour, dit au roseau...
            UN JOUR, vous entendez ? UN JOUR !... c'est à dire par extraordinaire !... contrairement à son habitude qui est de tenir le roseau à distance et de ne point frayer coutumièrement avec sa trop humble personne ! Le fabuliste a tout prévu, et je sais peu de vers dans son oeuvre où s'affirme de plus éclatante façon sa clairvoyance et son génie. Continuez.
            Mon petit frère ( récitant ) - Vous avez...
            L'examinateur ( absorbé ) - UN JOUR !... UN JOUR !...
            Mon petit frère ( récitant ) - ... bien sujet...
            L'examinateur - Et c'est le chêne qui parle, notez bien... Le roseau ( le bonhomme l'a parfaitement senti ) n'eût point eu la témérité de parler lui, le premier, au chêne !...
            Mon petit frère - Il se serait fait ramasser.
            L'examinateur - Quoi ?
            Mon petit frère - Rien... ( Il récite ) Vous avez bien sujet d'accuser la nature.
            L'examinateur ( affectant de mettre un frein à la fureur des flots ) - Halte ! Halte ! Halte !... Ne vous emportez pas, de grâce !... vous vous en porterez mieux. ( Il rit. Mon petit frère l'imite ) Quel est votre avis sur ce vers :
                                     Vous avez bien sujet d'accuser la nature ?
            Mon petit frère - Mon avis ?
            L'examinateur - Oui, votre avis. vous semble-t-il bon ou mauvais ?
            Mon petit frère - Bon Monsieur !... Excellent !
            L'examinateur - Pourquoi ?
            Mon petit frère ( que commence à gagner un certain ahurissement ) - Je ne sais pas.
            L'examinateur ( l'oeil au ciel ) - Ah ! Jeunesse !... Pourtant, réfléchissez : examinez-le de près, ce vers, efforcez-vous d'en mettre en lumière les beautés ( Silence morne de mon petit frère ) C'est tout ce que vous trouvez ?... Mais sac à papier, mon garçon, le mot " sujet " ne vous dit donc rien ?
            Mon petit frère - Si, monsieur.
            L'examinateur - Qu'est-ce qu'il vous dit ?
            Mon petit frère - ...........
            L'examinateur ( navré ) - Et le mot " nature " ? ( Silence de mon petit frère ) Pas plus ? ( Haussement d'épaules ) C'est déplorable... Déplorable... Voyons, raisonnons, voulez-vous ? Pourquoi le fabuliste a-t-il mis que le roseau avait sujet , au lieu de mettre qu'il avait raison ? ( Un temps ) Vous ne devinez pas ?... C'est cependant bien simple. Raison est vague, et Sujet est précis !... Sujet est mis là pour Motif... Grief... si vous préférez. Le roseau a " Sujet " d'accuser la nature. C'est dire qu'il peut arguer contre elle, preuves à l'appui !
            Mon petit frère - C'est évident.
            L'examinateur - Que ne le disiez-vous, alors ? ... Et pourquoi le chêne, s'il vous plaît, dit-il " la Nature " et non " Dieu " ?... Parce que, gonflé d'orgueil, il est naturellement imbu de théories matérialistes!
C'est clair comme le jour, mon ami. Du reste, il faut convenir d'une chose, c'est que si le poète eût dit :
                                       Le chêne un jour dit au roseau :
                                       " Vous avez bien sujet d'accuser Dieu... "                
Le vers eût été bien moins beau ! C'est votre avis ?                            
            Mon petit frère ( abasourdi ) - Je ne sais plus, monsieur... je ne sais plus.
            L'examinateur ( très sec ) - Allons, allons ! Vous ne savez rien ! Vous êtes un crétin, mon garçon. Allez étudier vos classiques. Nous reprendrons cet entretien à la fin de l'année scolaire.                           **
         
            Et voilà pourquoi mon petit frère redouble actuellement sa cinquième en qualité de vétéran.

*   sites.univ-provence.fr
** bulat-pestivien.fr

                              Georges Courteline
                                                                                                               
            

jeudi 23 janvier 2014

Shalom India Résidence Esther David ( Roman Indien )

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                                              Shalom India Résidence

            Le prophète Elie, Eliyahu Hannabi, aime avoir son verre de vin et sa place réservée dans les maisons Bene Israël pendant les fêtes de Pessah, la porte de la maison restant ouverte, transformé en papillon il passe de logis en logis pendant la lecture de la Haggada, écoute les voeux qui lui sont adressés, comme ils le seront tout au long de la vie de chacun. Les juifs nés en Inde ont émigré en Israël entre autres, une petite   communauté s'est rassemblée à Ahmédabad, dans deux résidences. Un homme en eut l'idée et de Bombay et de banlieues se retrouvèrent appliqués à suivre les préceptes religieux, mais les femmes portent des saris, friands des sucreries indiennes, elles seront sur les tables des fêtes. L'auteur qui vit en Inde nous raconte la vie de ces résidents, ils s'appellent Juliet ou Malika, Lolo Lata, Ruth, Ben Hur ( ! ), Samuel, Yacov et tous ont des sentiments, les filles des mère et père qui leur interdisent les jeans et les caracos légers, les fils ont la charge de leurs parents, et belles-filles et belles-mamans... Des mariages inattendus entre un hindou et une juive, ou un autre avec un musulman pakistanais. Histoires où des tantes consolatrices ont leur rôle. La vie très romancée d'adultes, confrontés aux chagrins ils fondent le club du rire au sein de la Résidence et s'y adonnent chaque jour, matin et soir. Avec un certain succès. " Franco rentra chez lui de bonne humeur et l'esprit léger, il n'avait pas ri comme ça depuis longtemps, et il devint accro au Jardin du rire... " Les préceptes religieux passés en revue entre problèmes d'amoureux ou de voisinage sont prétextes à fêtes, et jeunes filles et jeunes gens applaudissent les films de Bollywood, au cinéma, sur ordinateur. Et Yacov forme des jeunes hommes qui devront à leur tour souffler dans le sofar.

dimanche 19 janvier 2014

Les Choux - La Voix d'Anatole Georges Courteline ( nouvelles France )

                jefouinetufouines.fr

                                                             Les Choux

            De la pâle ruelle du lit où il s'étirait frileusement en attendant que l'heure sonnât de se lever pour le travail :
            - Chou ! cria Monsieur à Madame allongée à son côté, puisque tu as fini de le lire, passe-moi donc le journal, que je voie les nouvelles.
            - Non ! répondit sèchement Madame. Les choux ne sont pas faits pour passer les journaux.
            Cette réplique troubla Monsieur qui en médita longuement l'étrangeté inattendue. Madame, immobile, se taisait, ses mains croisées sous la nuque, jetant au reflet d'un miroir qui s'inclinait en l'ombre imprécise de l'alcôve les sombres creux de ses aisselles et la mare d'encre qu'étendaient par le lit ses beaux cheveux éparpillés.
            Cinq minutes s'écoulèrent.
            Soudain :
            - Chou ! cria de nouveau Monsieur, puisque tu es auprès de la table de nuit passe-moi donc mon paquet de tabac, que je me fasse une cigarette.
            - Non ! répondit encore Madame. Les choux ne sont pas faits pour passer du tabac.
            Elle dit et pinça les lèvres; l'oeil au plafond où rayonnait en larges plis un ciel de lit Pompadour.
            - A merveille ! dit alors Monsieur, une légère humeur dans la voix. Mais comme je m'embête en ce lit, ne pouvant ni fumer ni lire, je ne m'y attarderai pas une minute de plus. Passe-moi mes chaussettes chou, je me lève.
           Et il se soulevait sur les paumes, en effet, quand à son étonnement extrême :
           - Non ! répondit Madame une troisième fois. Les choux ne sont pas faits pour passer les chaussettes.
           - Ça va durer longtemps ? En voilà une histoire ! A-t-on idée de choux pareils ?... Par le diable il faudrait s'entendre ! S'ils ne sont faits ni pour passer le tabac, ni pour passer les chaussettes, ni passer les journaux, pourquoi donc sont-ils faits les choux ?
            Madame n'eut pas un mouvement.                            
            Simplement, amenant sur Monsieur la dureté de ses yeux bleu acier où flambaient, sombres, des rancunes :                                                                                                          
            - Pour qu'à la mode de chez nous, fit-elle d'une voix grave, on  les plante !...                                                                                                   torange-fr.com
                                                                                                                         

                                                                                      Georges Courteline

                                                           
                                                               **************


                                                              La Voix d'Anatole
                                               
            A la veille de marier sa fille avec le bel Anatole ( Chaussures de luxe - Fournisseur habituel de S.M. le roi Béhanzin - Médaille de bronze à l'Exposition Universelle de 1889 ), belle-maman a eu l'idée de tomber à l'improviste chez l'homme aux mains duquel elle va, en tremblant, confier la fleur-fruit de ses entrailles.
           Justement Anatole, enfermé dans son bureau, est en conversation vive et animée avec un X... mystérieux. Belle-maman, femme pleine d'astuce, pense qu'elle ne saurait trouver une meilleure occasion de pénétrer dans l'intimité de son futur gendre et elle colle indiscrètement son oreille à la porte.

                                                                      Un temps
            La voix d'Anatole ( à travers la porte ) - Mauvais, non !... Mais ça pourrait être bien meilleur.
            Belle-maman - D'où vient que je n'entende qu'une voix ?... ( frappée d'un soupçon ) Est-ce qu'il serait avec une femme ?...
            La voix d'Anatole - J'entends ne confier ma peau qu'à des mains qui la manieront avec une grande délicatesse. Ce n'est pas de la peau de cochon !...

                                                                      Un temps
            C'est beaucoup trop mou, beaucoup trop. On ne peut rien faire avec ça...

                                                                      Un temps
            Belle-maman( dont le front se charge de nuages ) - Ah ça mais !... Ah ça mais !... Ah ça mais !///

                                                                      Un temps
            La voix d'Anatole - Saisissez bien !... Il faut l'amener à la dureté du bois !... Bon.

                                                                  Très long temps
            La voix d'Anatole - Ah !...
                                                                 
                                                                     Autre temps
            La voix d'Anatole - Ah !...

                                                                  Nouveau temps
           La voix d'Anatole - Pas si vite, donc !... Pas si vite !... Là, c'est ça.

                                                                      Un temps
                                                                                                                       
           La voix d'Anatole - Ah !... Ah !... Ah !...                                                     

                                                 Silence interminable, puis brusquement
          La voix d'Anatole - ... Il faut me les passer au suif !... Il faut me les passer au suif !...
          Belle-maman ( suffoquée ) - Au suif  !... Ah ! j'en ai vu de raides, mais celle-là dépasse tout !... Quel cochon !... Et voilà l'homme à qui j'allais donner la main de ma fille !!!

          Elle pousse violemment la porte et tombe sur le bel Anatole qui, penché sur le téléphone engueule avec tous les égards dus à cet homme de mauvaise foi, un corroyeur qui lui a vendu des basane de qualité inférieure.

tableaux pieds-chaussures René Magritte
                                                                                        Courteline

samedi 18 janvier 2014

L'histoire de France racontée par la publicité Claudine Chevrel et Béatrice Cornet ( document France )




                                                 L'histoire de France racontée par la Publicité

            En 2013 la Bibliothèque Forney présentait aux Parisiens une exposition de 150 affiches relatant diverses étapes de l'incursion des personnages historiques dans la Publicité de 1870 à nos jours, de la IIIè à la Vè République. Un album conserve la mémoire de cette présentation. Commentant l'environnement des personnages historiques héros autant que la marque qu'ils véhiculent. Ainsi de Dagobert ou Charlemagne au Président Mitterrand et Mac Mahon. Le détournement des lieux est aussi noté : " La prise de la Bastille... est présentée avec légèreté sur les affiches de la Loterie Nationale... " Henri IV ne prise pas la poule au pot, mais pour la publicité dans les tons orangé : " Je veulx que tout enfant ayt chascun jour son Chocolat Henry "
et les auteurs ajoutent  "... on lui prête également des commentaires flatteurs sur l'armagnac ". Charlemagne. Une publicité signée Adrien Barrère " vers 1910 " pour l'alcool de menthe Ricqlès dispose d'une panoplie de rois sur des volutes, Clovis buvant avec un paille, François Ier, Jeanne et Saint Louis, Louix XIV, Bonaparte. Les publicistes ont beaucoup fait appel avec humour aux rois pour présenter des liqueurs. En 1907 Leonetto Cappiello use César pour Espérantine, liqueur digestive, et en 1925 Georges Ripart pose Henry IV et son panache blanc sur son cheval blanc pour la bière Laubenheimer. Charlemagne barbe blanche, couronne et cape, au centre d'une affiche pour promouvoir... " Le Fil de Lin Superr " vers 1900. A ce moment arrive le vélocipède et revoici... Henry IV. Signée Philippe Chappellier en 1895 sur fond orange publicité pour l'usine Albert ( Somme ) " ENFIN ! Il est descendu de son cheval pour monter une Regina. " L'histoire évolue et toujours les auteurs commentent l'environnement. 1945 l'Armagnac de Condom dans le Gers Paul Farrago propose "... le roi arbore la barbe blanche associée au panache blanc du chapeau (à la couleur du cheval blanc d'Henry IV, blague de potache qui a surgi après la Seconde Guerre Mondiale ), sur fond sombre roi souriant à jabot rose. En 1897 Bonaparte un paquet de cigarettes bien en vue s'écrie " ... Soldats, je ne fume que le Nil... " Les Sans-Culottes en 1935, en 1955 héros pour la Loterie Nationale. Le Triple-Sec Cointreau : Mac Mahon fringant Président de la République ( 1873/1879 ) présente la liqueur dans une publicité de 1895, auparavant, en 1875 c'était un fil à coudre. Plus près de nous une photo détournée de François Mitterrand " Avec le TGV à Nevers il aurait pu être là tous les jours." Détournée par Canal + : Ségolène Royal " J'irai pas c'est ça la bravitude " et Lionel Jospin " Si cette émission a lieu je me retire de la vie politique ".
            

            

vendredi 17 janvier 2014

Le coup de marteau Georges Courteline ( Poème - Rime France )

wallpapers-diq.com                                                               

                                                      Le coup de marteau

            Au temps lointain où le dénommé Marc Lefort
            Était mécanicien sur la ligne du Nord,
            Où le nommé Prosper Nicolas Lacouture
            Était mécanicien sur la Grande Ceinture,
            Où les nommés Lafesse et Gustave Pruneaux
            Étaient chauffeurs sur la ligne des Moulineaux,
            ( Champ-de-Mars-Saint-Lazare ) ; en ce même temps, dis-je

            - Et cette vérité tient presque du prodige -,
            Le nommé Jean-Paul-Pierre-Antoine-Oscar Panais
            Menait l'express sur la ligne du Bourdonnais.
            C'était un grand garçon à l'humeur assagie
            De bonne heure, vivant d'un verre d'eau rougie
            Et d'un croûton de pain rassis barbouillé d'ail,
            Qui jamais n'eût emménagé sans faire un bail,
            Et dont les gens disaient : " C'est une demoiselle ".
            Contents de lui, ses chefs l'estimaient pour son zèle,
            Prisaient fort son intelligence et trouvaient bon
            Qu'il économisât sur ses frais de charbon,
            Lesseps, un an, l'avait employé pour son isthme.
            Par malheur, il était atteint de daltonisme,
            En sorte que l'erreur de ses sens abusés
            Lui montrait à rebours les tons interposés :
            Il voyait le vert rouge et le rouge émeraude
            Fatalité ! Souvent, à l'heure où le soir rôde,                             
            Vieux voleur, sur les toits embrumés des maisons,
            Met un voile de rêve aux lointains horizons
            Où la nuit lentement jette ses tentacules,
            Où sur la profondeur des fins de crépuscules
            Les signaux allumés en feux rouges, verts, blancs,
            Épouvantablement ouvrent leurs yeux troublants
            Oscar Panais sentait sa poitrine oppressée ;                               
            Le front bas sous le poids trop lourd de sa pensée,
            Il blêmissait, songeant qu'il tenait en ses mains
            Les clés de tant de sorts et de fils humains !
            Cela devait finir de façon effroyable.

            Un jour qu'il conduisait son train, le pauvre diable
            ( La neige à gros flocons tombant d'un ciel couvert ),
            Vit le disque fermé malgré qu'il fût tout vert.
            Au lieu de ralentir, Panais, tendant l'échine, 
            Renversa la vapeur, fit stopper la machine.
            Au même instant, le train de ballast Trente-Six
            Arrivait et prenait le rapide en coccis.
            Choc ! Vainement Panais, la prunelle agrandie,
            Sur le régulateur tient sa dextre roidie,
            Fait hurler le sifflet aigu, gémir le frein.
            Les wagons de ballast sont déjà sur son train !...
            O splendeur de l'horrible ! O monstrueuse joie
            Des yeux terrifiés et ravis ! Sur la voie
            Sur la voie s'abattent lourdement les fourgons terrassés.
            Le sang des morts ruisselle en l'herbe des fossés.
            Cris ! Pleurs ! Sanglots ! Spectacle atroce et magnifique !

            Les pieds en l'air près d'un poteau télégraphique,
            La machine du train Trente-Six a sombré ;
            La braise coule à flots de son sein éventré.
            On entend : " Je me meurs ! Au secours ! " Une mère
            Veut revoir son enfant aimé, sa fille chère.
            On se cherche à travers les décombres, parmi
            Les morts défigurés ; l'ami cherche l'ami,
            La soeur cherche son frère, un vieillard crie : " Auguste ! "
            
            Un gros Anglais ganté de rouge, dont le buste
            Jaillit hors de la glace en miettes d'un coupé,
            Hurle : " J'ai perdu mon chapeau, j'en ai soupé !
            Je ferai constaté le fait par ministre
            D'huissier, et m'irai plaindre au consul d'Angleterre.
            Je veux d'indemnité dix mille francs au moins !
            Et vous, mes compagnons, vous serez mes témoins ! "
            Puis la nuit vint, sereine, et d'astres constellée...

            La Compagnie, un mois après, fut appelée
            Devant les tribunaux, comme civilement
            Responsable, et se vit condamnée amplement.
            Les uns eurent cent francs, les autres d'avantage.
            Le gros Anglais eut un chapeau neuf en partage,
            Et chacun s'en alla content, ayant son dû.
            Touchant Panais, le jugement dit :
                                                              " Attendu
            Que Panais est un simple idiot, pas autre chose, 
            Qu'il importe dès lors de le mettre hors cause,
            L'acquitte, le renvoie indemne et l'interdit,
            Le prive de ses droits civils, ordonne et dit
            Qu'il sera dès ce soir reçu dans un asile
            Où, défrayé de tout, à titre d'imbécile,
            Il sera mis ès mains des hommes dits de l'art. "
            Or, j'ai vu ce pauvre être, hier, à Ville-Evrard.
            Il est fou tout à fait, et se prend pour un disque !
            Parfois, une heure ou deux, droit comme un obélisque,
            Il demeure immobile et, sans un mot, tourné
            Vers le mur de hospice, un mur illuminé                                               
            De soleil et qu'habille une frondaison verte,
            Voulant dire par là que la voie est ouverte,
            Puis, sur ses lourds talons évoluant soudain,
            Le dos au mur alors, et le nez au jardin :
            " Je suis fermé, dit-il. Que le convoi recule ! "
            Et je ne trouve pas cela ridicule.


                                                                            Georges Courteline
                                                     

mardi 14 janvier 2014

Taxi Khaled al Khamissi ( roman Egypte )


Taxi
                                                                Taxi

            Le Caire avril 2005 - mars 2006. L'auteur, le livre est écrit à la première personne, se livre à la transcription de 58 conversations entre le client et le chauffeur de taxi. Ceux-ci très nombreux sillonnent la ville, répondent au cri du lieu de destination de malheureux bloqués sur le bitume, dans une pollution extrême des rues surencombrées cairotes. Moubarak est encore au pouvoir et briguera un cinquième mandat. Chacun sait ce qu'il advint de l'ex-président, des frères musulmans et des divers rebondissements graves parfois survenus ces dernières années. Le livre très drôle très argumenté, la vox populi partagée, les atouts des frères, la démocratie vue par d'autres, Dieu à tous moments. Approche imagée " ... le chauffeur était écarlate... l'impression que ses veines tels des serpents se gonflaient et se rétractaient sous le coup de la colère... " Ils se tuent tous à la tâche pour nourrir femme et enfants, la voiture louée à un particulier, les taxes, la corruption invraisemblable. Les pères se ruinent en cours particuliers pour des enfants à l'avenir incertain, d'autres sortiront illettrés du système scolaire, les parents placent les sommes économisées, et leur donneront ce petit capital. "... Je touche 450 livres. C'est déjà un bon salaire... ma femme et deux enfants... les dépenses domestiques... transports, habits, médicaments... mon salaire est épuisé en dix jours... " Les voitures viennent des pays du golfe, les cigarettes de Lybie, les passeurs traversent la frontière à pied. Parfois le taxi se fait arnaquer par un client de belle apparence et alors "... le taxi a pleuré d'avoir été aussi bête... il a perdu le reste de la journée à chercher un proche qui pourrait lui prêter la somme de la location du taxi... " Et le taxi tourne, tourne, les prix fixés à l'avance, " ... Le taxi : Je suis comme un poisson et la voiture est mon aquarium... une petite prison... Mon dos s'est figé en position assise... " Vie sociale, vie quotidienne. 58 conversations, des amoureux du Caire, lucides, amères " ... Celui qui n'est pas allé en prison sous Nasser n'ira jamais en prison, celui qui ne s'est pas enrichi sous Sadate ne s'enrichira jamais, et celui qui n'a pas mendié sous le règne de Moubarak ne mendiera jamais... " Des chapitres très courts, chaque homme aborde l'un des multiples problèmes différents, pourtant semblables aux précédents. De l'humour l'auteur n'en manque pas. Le livre se referme à regret.                                                                                                                         

vendredi 3 janvier 2014

Une vie pornographique Mathieu Lindon ( roman France )

                                                                                                                               

                                                                                              
                                                Une vie pornographique
         
            Une vie d'addiction. Compliquée la vie lorsqu'elle se vit à trois, ou même à quatre, lorsque Perrin veut cacher son héroïne à Kei, son amoureux, en fait l'amour de sa vie dit-il, qui après un vol de douze heures est prêt à de grandes heures d'amour. Las, l'universitaire en manque doit d'abord trouver un nouveau dealer, car ces derniers tombent souvent, et bourgeois il se débat pour promener son amant aux Champs Elysées et non à Barbès où il trouvera son héroïne. Écrit avec détachement le livre permet des épisodes aussi crus que drôles. L'héroïne est une maîtresse chère, maître de conférence à l'université à Tours "... Il a instauré une règle satisfaisant à la fois le social et l'économique... " Et l'auteur détaille avec minutie toutes les heures de la vie de cet homme et de ses amis, obligé, alors que son corps ne répond pas à une vie sexuelle, tant il est rempli de drogue, de fantasmer au téléphone au cours d'une séance onéreuse. Lusiau son compère est hétéro, peintre, Ninon, sa compagne ignorante ( elle le quitterait si elle apprenait la présence de cette héroïne entre eux ) " Pour en prendre il n'a pas trop de mal, même en couple chacun a sa part d'intimité ) mais soupçonneuse " elle fait de l'amour physique un test... il ne peut pas avoir la migraine tous les jours d'autant qu'il était franchement demandeur avant que son appareil génital ne soit relégué au second plan... "
Intrusion minutée, malaise et bien-être, état d'esprit avant, pendant, après. Cela dans les chapitres - Dedans- Amitiés opiacées - La Polygamie - " La passion a ses détracteurs qui mettent en cause sa rationalité et pourtant elle règle et dérègle tout... la peur du vide ... de même que les tornades et autres ouragans soufflant sur toute vie sentimentale et sexuelle... " Addiction - Passion. Perrin ne peut continuer, son avancement en pâtit, chapitre - Stop - mais suivi de - Un Camaïeu d'addictions - Le professeur Taroumond  à un an de la retraite grand buveur de whisky s'en prend à Perrin à la fin d'un repas : " ... Monsieur Perrin estime sans doute que le Jack Daniel's est tellement plus nocif que le haschich et l'héroïne. Il faudrait qu'il nous explique comment il en est arrivé à cette conclusion qu'aucun juriste ni expert de santé publique n'a jamais corroborée. " Enfin s'il est un épisode qui fera sourire, l'histoire pourrait être triste, mais l'auteur a pris le parti du scientifique optimiste, c'est bien celui de la fuite d'un de ses amours, Benassir, après un repas avec un couple d'amis. Perrin ne comprend pas, s'agit-il d'une rupture. Non de son nez. Plus précisément de crottes de nez. Nez exploré consciencieusement tout au long du repas. Un sniffeur a l'habitude de récupérer les brins qui ont pu rester accrochés aux parois, au prix du gramme ! " Comment s'en débarrasser si la crotte s'accroche au doigt ... " Du dernier chapitre je ne dirai rien - Les chiottes de l'histoire - lieu souvent utilisé pour la prise et pour satisfaire divers besoins. " ... Pour les autres la drogue est un fantasme... "                                                                                                                                                                                                                                                                          

mercredi 1 janvier 2014

Hortense, couche-toi ! Courteline ( pièce en 1 acte France )

                                                                               
                                                         Hortense, couche-toi !         
                      
            scène en un acte entrecoupé de choeurs ( les déménageurs ), musique Charles Levadé.

           Personnages : - La Brige
                                   Saumâtre
                                   Hortense.
           Décor : Les déménageurs sèment la pagaille dans un salon, restent paille et paniers "... gueules ouvertes... "
                                                              Scène Ière

            Les déménageurs - Le temps passe que rien ne saurait prolonger.
                                             Le nouveau locataire est là, qui veut la place.
                                                  Commençons par déménager
                                             Ce seau, cette pendule et cette armoire à glace,
                                                  Sur nos nuques et sur nos dos
                                             Chargeons, messieurs, chargeons les lourds fardeaux.
            La Brige ( il entre ) - Une petite minute, s'il vous plaît, messieurs les déménageurs. Je dois vider les lieux aujourd'hui, mais il importe qu'au préalable je paye à M. Saumâtre, propriétaire de cette maison, le montant du trimestre échu. N'ayant pas les fonds nécessaires, j'ai écrit à M. Saumâtre de venir s'entendre avec moi touchant son règlement de compte ; nul doute que nous nous entendions. Mais voici la charmante Hortense.
                                                    Entre Hortense enceinte de neuf mois

            Les déménageurs - Ciel ! quel spectacle. Ah ! qu'elle est belle à voir !
                                             Quelle aimable pudeur ! Quels feux en sa prunelle !
                                                                     
                                                                 ( à part )

                                                      L'espiègle enfant en son tiroir
                                                      Dissimule un Polichinelle !...
                                              Affectons de ne pas nous en apercevoir.                             
                                                                    Haut 
                                                      Sur nos nuques et sur nos dos
                                              Chargeons, messieurs, chargeons les lourds fardeaux.

            Hortense ( après avoir salué ) - Est-ce que M. Saumâtre est venu
            La Brige - Je l'attends d'une minute à l'autre, car il est midi tout à l'heure et il ne peut tarder maintenant.                                                                                                                          
                                                Au même instant entre M. Saumâtre au fond de la scène.
                                                                                                                                        
            Monsieur Saumâtre - Me voici, monsieur.                                                
                                                                                                                                                                                 
                                
                                                                 Scène II

                                                Les mêmes, M. Saumâtre 

            La Brige - C'est ma foi vrai ! C'est M. Saumâtre en personne ! Et ! Bonjour monsieur Saumâtre
            Monsieur Saumâtre - ( très réservé ) Monsieur, mes civilités !                                                                                                      welti.furrer.ch                                                                                   
            Hortense - Monsieur Saumâtre, votre servante !
            Monsieur Saumâtre - Madame, je vous présente mes devoirs !
            La Brige - Mais donnez-vous la peine d'entrer, et prenez un siège, je vous prie !
            Monsieur Saumâtre - C'est inutile.
            La Brige - Si fait ! Si fait ! Voyons, Hortense ma fille, grouille-toi. Apporte un siège à Monsieur. Donnez-moi votre chapeau.
            Monsieur Saumâtre - ( débarrassé de son chapeau ) Pardon
            Hortense - ( elle tente de s'asseoir ) Votre parapluie.
            Monsieur Saumâtre - ( débarrassé de son parapluie ) Excusez
            Hortense - Désirez-vous vous rafraîchir
            Monsieur Saumâtre - Je vous remercie.
            Hortense - Un verre de bière !... ( A la  Brige ) Tu es là comme un soliveau !... va donc chercher une canette.
            La Brige - J'y cours
            Monsieur Saumâtre - Je vous prie de n'en rien faire. Je ne bois jamais entre mes repas, d'abord ; puis, je ne fais qu'entrer et sortir. Donc, causons peu, mais causons bien. ( Il met la main à la poche intérieure de sa redingote ) Je vous apporte votre quittance.
            La Brige il se méprend ) Ah : Monsieur !... Une telle générosité !... Une telle grandeur d'âme !... 
            Hortense - Quand je te disais que Monsieur Saumâtre est un homme plein de délicatesse !                                                                                                                                 
            La Brige - Croyez bien que vous ne perdrez rien. Nous sommes ni des ingrats ni des malhonnêtes gens ! Hortense est là, qui peut vous le dire, et... 
            Monsieur Saumâtre - Pardon ! Vous avez les fonds ?  
            La Brige - ( interloqué ) Non.
            Monsieur Saumâtre - En ce cas...
                                                                                                                                                                                                                
                                                        Il remet sa quittance dans sa poche 
                                                                                                                                        
            La Brige - Comment !                                                
            Monsieur Saumâtre ( il se lève ) Veuillez me rendre mon chapeau.
            La Brige - M. Saumâtre, écoutez-moi.
            Monsieur Saumâtre - Monsieur, je n'ai rien à écouter.
            Hortense - Pourtant...
            Monsieur Saumâtre - Je n'ai que faire de vos paroles.
            La Brige - Un mot, monsieur Saumâtre, un seul ! Voilà exactement cinq ans que je suis locataire. Ne vous ai-je pas toujours, à la minute précise, payé l'argent que je vous devais ?
            Monsieur Saumâtre - Il ne s'agit pas de l'argent que vous avez pu me devoir, mais bien de l'argent que vous me devez !
            La Brige - Mon Dieu, je sais !
            Monsieur Saumâtre - Il ne s'agit pas de l'argent que vous me donnâtes autrefois, mais de l'argent qu'il faut me donner aujourd'hui.
            La Brige - Mais monsieur, je ne puis vous le donner, je ne l'ai pas.
            Monsieur Saumâtre - Je garderai donc votre mobilier.
            Hortense - ( aux cent coups ) Notre mobilier !
            Monsieur Saumâtre - C'est mon droit. Mon parapluie, s'il vous plaît.
            La Brige - Monsieur Saumâtre...
            Monsieur Saumâtre - Monsieur, vous perdez votre temps et vous me faites perdre le mien. Vous me devez. Vous ne me payez pas, c'est bien, je me paierai moi-même, ainsi que la loi m'y autorise. Je n'ai pas à vous faire de cadeaux. En aurais-je le désir que je n'en ai pas le moyen. Voilà qui est clair, je pense ? Faites donc enlever au plus vite votre lit et vos instruments de travail. Le nouveau locataire attend que vous lui cédiez la place. J'ai dit. Rendez-moi, je vous prie, mon parapluie et mon chapeau.
            Les déménageurs -
                                            Vit-on jamais férocité pareille ?
                                Monsieur Saumâtre en lui porte un coeur de rocher.
                                             Quoi ! Rien ne le saurait toucher ?
                                Mais prêtons à la suite une attentive oreille.
                                             Sur nos nuques et sur nos dos
                                Chargeons, messieurs, chargeons les lourds fardeaux.

            La Brige - J'imagine, monsieur Saumâtre, que vous n'avez pas bien compris. Nous ne vous demandons pas un cadeau, nous vous demandons un délai : quarante-huit heures, pas une de plus.
            Hortense - Nous aurons de l'argent après-demain.
            La Brige - Ma famille va m'en envoyer. Voici la lettre qui l'atteste.
                               ( Il présente la lettre en question, que M. Saumâtre se refuse à lire ) 
            La Brige - Dieu merci, nous sommes d'honnêtes gens. Demandez plutôt à Hortense si nous devons un sou dans le quartier.
            Hortense -  ( l'ongle aux dents ) Pas ça.
            La Brige - Nous nous trouvons gênés. Ces choses-là arrivent à tout le monde. La vérité est qu'Hortense ayant eu une grossesse pénible j'ai dû donner au médecin les quelques louis qu'un à un j'avais mis de côté pour vous ( câlin ). Allons, monsieur Saumâtre, allons !
            Hortense - ( chatte ) Ne vous faites pas plus méchant que vous ne l'êtes.
            La Brige - Je vous jure que vous serez payé.
            Hortense - Jusqu'au dernier sou.
            La Brige - Dans deux jours. Laissez-nous partir.
            Monsieur Saumâtre - Eh, partez !... Je ne vous demande pas autre chose.
            La Brige - Avec mon mobilier ?
            Monsieur Saumâtre - Ah non !                                                                   
            La Brige - Monsieur, nous ne sommes pas des bohèmes. Nous ne voulons pas emménager avec un lit et une paillasse.
            Hortense - De quoi aurions-nous l'air ?
            La Brige - ( les bras élargis du désir de persuader )  Voyons !
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                                                        Mutisme de M. Saumâtre

            La Brige - Causons chiffres. Je vous dois deux cent cinquante francs.
            Monsieur Saumâtre - Je ne le sais que trop.
            La Brige - Or, j'ai ici pour cinq mille francs au moins de meubles. Laissez-m'en enlever une moitié et gardez l'autre en garantie.
           Monsieur Saumâtre - Non.
           La Brige - Remarquez que je vais vous signer des billets, payables après-demain matin.
           Monsieur Saumâtre - Je n'accepte pas cette monnaie.
           La Brige - Pourquoi ? Elle en vaut une autre. Des meubles sont toujours des meubles, et des billets sont toujours des billets. Si les billets que je vous offre ne sont pas payés à l'heure dite, eh bien ! Vous ferez saisir mes meubles à mon nouvel appartement.

                                                      Mutisme de M. Saumâtre 

            La Brige - Nous vous laisserons par exemple, le buffet de la salle à manger, qui vaut vingt-cinq louis comme un liard, et tout le mobilier du salon.
            Hortense - Y compris le piano.
            La Brige - La garniture de la cheminée.
            Hortense - Le baromètre.
            La Brige - Et le bronze de chez Barbedienne que nous avons gagné à la loterie de l'Exposition. Le diable y serait, voilà une proposition acceptable !... doublement avantageuse, puisqu'elle sauverait votre créance et, du coup, nous permet à nous de sauvegarder notre dignité, en emménageant comme tout le monde, dans des conditions décentes.
            Monsieur Saumâtre - ( dans un pâle sourire ) On se fait bien des illusions sur l'état de propriétaire.
            La Brige - ( il commence à rager ) L'état de locataire sans argent est bien plus enviable sans doute, et je vous plains de tout mon coeur.
            Monsieur Saumâtre - Il suffit. Vos impertinences ne parviennent pas à me convaincre.
            La Brige - Je ne suis pas impertinent. Je constate simplement que dans toute cette affaire vous faites preuve d'une étrange mauvaise volonté.
            Monsieur Saumâtre - Je fus échaudé trop souvent.
            La Brige - Encore une fois...
            Monsieur Saumâtre - Encore une fois, veuillez me rendre mon chapeau... Et vous, Madame, mon parapluie.
            Les déménageurs :
                                            Conspuez, ô nos coeurs, cet homme opiniâtre.  
                    Contenez vos élans justement indignés.
Sem                                                          Et vous, nos yeux, de pleurs baignés,
                                                          Flétrissez le cruel Saumâtre !
                                                          Sur nos nuques et sur nos dos
                                           Chargeons, messieurs, chargeons les lourds fardeaux.
                                                                
            La Brige - ( aux déménageurs ) Je vous demande pardon mes enfants, mais je suis dans l'obligation de renoncer à vos services. Toutefois, il ne sera pas dit que de braves garçons comme vous se seront dérangés pour rien. J'entends que vous buviez un coup à ma santé. Tu as de la monnaie Hortense ?
            Les déménageurs :
                                            De votre front chargé d'ennui
                                            Écartez toute âpre pensée ;
                                            Le déménageur porte en lui
                                            Une âme désintéressée.
                                            Puisque ce monsieur nous accorde
                                            Une équitable indemnité,
                                            Salut à lui ! Paix et concorde
                                            Aux gens de bonne volonté.
            La Brige - Je suis pauvre. Voilà cent sous. Allez vous désaltérer et laissez là vos paniers que vous reprendrez tout à l'heure.
            Les déménageurs : ( enthousiasmés )
                                            Cent sous !... Il nous offre une thune !
                                            Ventre Saint-Gris, c'est la fortune !
                                            Or, voici qu'il est midi vingt,
                                  Précipitons nos pas vers le marchand de vin.
                                             Sur nos nuques et sur nos dos
                                  Chargeons, messieurs, chargeons les lourds fardeaux.

                                                       Ils sortent

                                                        Scène III

                           Les mêmes moins les Déménageurs 

            La Brige - ( il rapporte son parapluie et son chapeau à M. Saumâtre ) Le Christ a dit : " Rend à César ce qui appartient à César " Voici votre pépin et votre tube. Et maintenant toi, Hortense, couche-toi !
            Hortense - ( ahurie ) Que je me couche ?
            La Brige - A l'instant même. Monsieur Saumâtre... serviteur !
            Monsieur Saumâtre - ( abasourdi ) Comment !...
            La Brige - Veuillez vous retirez.
            Monsieur Saumâtre - Ah ça ! mais, qu'est-ce que cela veut dire ?
            La Brige - Cela veut dire, monsieur Saumâtre, que madame, enceinte est à terme, et que la loi lui donne neuf jours pour accoucher.
            Monsieur Saumâtre - Neuf jours !                                                                                
            La Brige - Oui, neuf jours.
            Monsieur Saumâtre - Ce n'est pas vrai.
            La Brige - Oh ! mais pardon !... Soyez poli, ou je vais avoir le regret de vous mettre à la porte.
            Monsieur Saumâtre - Monsieur, j'ai pour habitude d'être poli avec tout le monde, seulement, vous me permettrez de vous le dire, vous me faites rire avec vos neuf jours. Et mon nouveau locataire ?
            La Brige - Vous n'avez pas la prétention de le coucher dans le lit d'Hortense ?
            Monsieur Saumâtre - Non, mais encore faut-il qu'il couche quelque part.
            La Brige - Il couchera où il voudra.
            Monsieur Saumâtre - ( avec finesse ) A vos frais.
            La Brige - Pourquoi à mes frais ? Je ne connais pas cet homme, comme disait saint Pierre. C'est avec vous, non avec moi, qu'il a passé un contrat. C'est donc non à moi, mais à vous qu'il intentera un procès, gagné d'avance, bien entendu.
            Monsieur Saumâtre - Possible ! Seulement moi, malin, je vous poursuivrai à mon tour.
            La Brige - Deuxième procès !
            Monsieur Saumâtre - Deuxième procès !
            La Brige - Que vous perdrez comme le premier.
            Monsieur Saumâtre - Parce que ?
            La Brige - Parce que des trois personnes en cause vous êtes la seule qui n'ait pas raison jusqu'au cou. Comment ! Vous ne comprenez pas que votre nouveau locataire a précisément les mêmes droits à venir occuper ce logement que moi à ne pas en sortir ?... lui, en vertu de la loi commune qui régit les contrats entre particuliers, moi, en vertu de la loi d'exception que crée le cas de force majeure ?
            Monsieur Saumâtre - D'où je conclus qu'étant donné une maison dont je suis seul propriétaire, tout le monde y est maître, excepté moi ?...
            La Brige - Naturellement.
            Monsieur Saumâtre - Dans tous les cas, il est tout à fait inutile d'élever la voix comme vous le faites. Discutons et tombons d'accord. Nous ne sommes des bêtes féroces ni vous ni moi... Voyons... vous me laisseriez, vous dites?
            La Brige - Je vous laisserai peau de balle.
            Monsieur Saumâtre - Comment ?
            La Brige - Et balai de crin... J'emporterai jusqu'aux verres de lampes.
            Monsieur Saumâtre - Tout à l'heure...
            La Brige - Tout à l'heure n'est pas à présent... Il fallait accepter quand je vous l'ai offert.
            Monsieur Saumâtre - J'ai changé d'avis.
            La Brige - Moi aussi.
            Monsieur Saumâtre - Soit, je ne veux pas de discussion avec un bon locataire. Vous me signeriez donc des billets à ordre payables dans quarante-huit heures ?
            La Brige - Je vous signerai peau de zèbre.
            Monsieur Saumâtre - Elle est trop forte ! Pourquoi me l'avez-vous offert, puisque vous aviez l'intention de revenir sur votre parole ?...
            La Brige - Pourquoi avez-vous refusé puisque vous deviez revenir sur votre décision ?
            Monsieur Saumâtre - Permettez !
            La Brige - Permettez vous-même. J'étais, il y a un instant, un pauvre diable au désespoir de ne pouvoir payer ses dettes et qui en appelait humblement au bon vouloir de son semblable. La loi me menaçait donc de ses foudres. A cette heure, passé à d'autres exercices, je vous expulse d'une maison qui a cessé d'être la mienne. J'ai donc la loi avec moi. Car c'est aussi simple que cela, et il suffit neuf fois sur dix à un honnête homme échoué dans les toiles d'araignée du Code de se conduire comme un malfaiteur, pour être immédiatement dans la légalité. Eh bien monsieur, j'y suis, j'y reste. Vous m'avez contraint à m'y mettre , vous trouverez bon que j'y demeure. Sur ce, mon cher propriétaire, faites-moi le plaisir de filer, que j'aille chercher la sage-femme. Eh bien Hortense ?... Au lit !... Couche-toi !
            Monsieur Saumâtre - Hortense, ne vous couchez pas ! ( à La Brige ) Fichez-moi le camp vous, elle, votre bronze de chez Barbedienne, votre buffet et votre baromètre ! Débarrassez-moi le plancher et que je n'entende plus parler de vous.
            Hortense - Pardon, et les cent sous que nous avons donnés aux déménageurs ?
            Monsieur Saumâtre - ( goguenard ) Il faut que je vous les rende peut-être !
            La Brige - Vous ne les rendrez pas ?
            Monsieur Saumâtre - Non !
            La Brige - Hortense...
            Monsieur Saumâtre - ( exaspéré ) Assez !... Les voilà ! Est-ce tout ? Voulez-vous ma montre ?... Voulez-vous mon parapluie ?
            La Brige - Mille remerciements, cher monsieur. Respectueux du bien d'autrui, je vous laisserai l'un et l'autre. J'ajoute que vous ne perdrez rien. Je vous dois deux cent cinquante francs, je vous les paierez à un centime près !... par acomptes !... vingt sous par semaine !... sur lesquels vous pouvez compter comme s'ils étaient déjà à la Caisse d'Epargne. C'est l'affaire de quelques années, mais que sont quelques années comparées à l'éternité ? Or, voici les déménageurs qui viennent reprendre leurs paniers et qui arrivent fort à propos pour terminer la comédie. ( Aux déménageurs ) Tout est bien qui finit bien, nous sommes d'accord, monsieur et moi, et vous pouvez enfin, messieurs, sur vos nuques et sur vos dos, charger , charger les lourds fardeaux.
            Les déménageurs :
                                                   Bénissons l'heureuse journée
                                                   Qui voit triompher la vertu
                                                          ( à M. Saumâtre ) 
                                                    Et toi, monstre avide et têtu,
                                                    Fuis vers une autre destinée.
                                                    Sur nos nuques et sur nos dos
                                      Chargeons, messieurs, chargeons les lourds fardeaux.                               


                                                                           Georges Courteline

                                     Saynète créée au Grand Guignol, à Paris, le 15 mars 1897                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                           '