samedi 2 juillet 2016

Daisy Miller 1 Henry James ( nouvelle EtatsUnis )

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                                                                   Daisy Miller 

                                                                       I

                        Dans la petite ville de Vevey, en Suisse, il y a un hôtel particulièrement confortable. Il y a, en fait, plusieurs hôtels car le divertissement des touristes est l'affaire de l'endroit qui, comme beaucoup de voyageurs s'en souviendront, est situé au bord d'un lac d'un bleu remarquable, un lac que tout touriste se doit de visiter. Le rivage du lac offre un déploiement sans faille d'établissements de cet ordre, de toutes catégories, depuis le Grand Hôtel de la dernière vogue avec une façade blanc crayeux, une centaine de balcons et une douzaine de drapeaux s'élançant du toit, jusqu'à la petite pension suisse d'un autre temps avec son nom inscrit en un lettrage façon gothique sur un mur rose ou jaune, et un pavillon ingrat dans le coin du jardin. Un des hôtels de Vevey, toutefois, est fameux, classique même, pour ce qu'il se distingue de nombre de ses voisins parvenus par un air de luxe et de maturité mélangées. Dans cette région, au mois de juin, les voyageurs américains sont extrêmement nombreux. On peut dire, en fait, que Vevey revêt durant cette période un certain nombre des traits qui caractérisent une station balnéaire américaine. Il y a des sons et des visions qui évoquent un écho, une vue de Newport et de Saratoga, un perpétuel va-et-vient de jeunes filles " dans le vent ", un bruissement de volants de mousseline, un crépitement de musique de danse aux heures du matin, un bruit de voix haut perchées en tout temps. Vous avez un aperçu de ceci à l'excellente auberge des Trois Couronnes où vous vous trouvez transporté en imagination à Ocean House ou Congress Hall. Mais aux Trois Couronnes, il faut l'ajouter, il y a des particularités qui jurent nettement avec ces idées : irréprochables serveurs allemands qui ressemblent à des secrétaires d'ambassade, princesses russes assises dans le jardin, petits garçons polonais déambulant en tenant la main de leur gouverneur, une vue sur la crête neigeuse de la Dent du Midi et les pittoresques tours du château de Chillon.
            Je ne saurais dire si c'étaient les analogies ou les différences qui prenaient le dessus dans l'esprit d'un jeune Américain qui, voici deux ou trois ans de cela, se trouvait assis dans le jardin des Trois Couronnes, jetant autour de lui des regards plutôt distraits vers quelques-uns des gracieux objets que j'ai mentionnés. C'était une très belle matinée d'été et, quelque soit la façon dont le jeune Américain regardait les choses, elles avaient dû lui paraître charmantes. Il était arrivé la veille de Genève, par le petit vapeur, pour voir sa tante qui séjournait à l'hôtel, Genève ayant été longtemps son lieu de résidence. Mais sa tante avait la migraine, sa tante avait presque toujours la migraine, et elle était maintenant cloîtrée dans sa chambre, aspirant du camphre, de sorte qu'il était libre de vaguer à sa guise. Il avait quelque vingt-sept ans. Quand ses amis parlaient de lui ils disaient généralement qu'il était à Genève " pour études ". Quand ses ennemis parlaient de lui, ils disaient, mais, après tout, il n'avait pas d'ennemis. C'était un garçon extrêmement aimable, et universellement apprécié. Ce que je dois ajouter, simplement, c'est que quand certaines personnes parlaient de lui, elles affirmaient qu'il passait tant de temps à Genève parce qu'il était très attaché à une dame qui y vivait, une étrangère, une personne plus âgée que lui. Il y avait très peu d'Américains, aucun en fait, je pense, qui aient vu cette dame sur qui courraient d'étranges histoires. Mais Winterbourne avait un vieil attachement pour la petite métropole du calvinisme. On l'y avait mis à l'école tout enfant et c'est là qu'il était ensuite allé au collège, ce qui l'avait conduit à former un grand nombre d'amitiés de jeunesse. Beaucoup lui étaient restées, et elles lui étaient une source de grande satisfaction.  *        
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            Après avoir frappé à la porte de la chambre de sa tante et su qu'elle était souffrante, il était allé se dégourdir les jambes dans la ville, puis était rentré déjeuner. Il buvait maintenant une petite tasse de café déposée sur une petite table du jardin, par un des garçons qui avaient un air d'attaché. Son café terminé il alluma une cigarette. A cet instant un petit garçon s'avançait dans l'allée, un gamin de neuf ou dix ans. L'enfant qui était plutôt chétif pour son âge, avait sur le visage une expression vieille, un teint pâle et des traits menus et aigus. Il portait des knickerbockers avec des bas rouge qui mettaient en évidence ses pauvres petits mollets de coq. Il avait aussi une cravate d'un rouge éclatant. Il tenait à la main un long alpenstock et en plantait la pointe acérée dans tout ce qui passait à sa portée, les plates-bandes, les bancs de jardin, les traînes des robes des dames. Au niveau de Winterbourne il marqua un arrêt fixant sur lui deux petits yeux brillants et pénétrants.
            - Voulez-vous me donner un morceau de sucre ? demanda-t-il d'une petite voix dure et rêche, une voix non mûrie et cependant, en un sens, pas jeune.
            Winterbourne jeta un regard sur la petite table à ses côtés qui portait le service à café, et vit que plusieurs morceaux de suce restaient.
            - Oui, vous pouvez en prendre un, répondit-il, mais je ne crois pas que le sucre soit bon pour les petits garçons.
            Le petit garçon en question s'avança et choisit soigneusement trois des fragments convoités. Deux furent enfouis dans la poche de ses knickerbockers, tandis que l'autre était tout aussi rapidement déposé dans un autre endroit. Il piqua son alpenstock à la manière d'une lance dans le banc de Winterbourne et essaya de cser le morceau de sucre avec ses dents.
            - Zut, c'est du-u-r ! s'exclama-t-il d'une façon bizarre.
            Winterbourne s'était immédiatement aperçu qu'il pourrait avoir l'honneur de reconnaître en lui un compatriote.
            - Faites attention de ne pas vous abîmer les dents, dit-il paternellement.
            - Je n'ai pas de dents à abîmer. Elles sont toutes tombées. Je n'ai que sept dents. Ma mère les a comptées hier soir, et il y en une qui est tombée juste après une autre. Je n'y peux rien. C'est cette vieille Europe/ C'est le climat qui les fait tomber. En Amérique elles ne tombent pas. C'est ces hôtels.
            Winterbourne s'amusait beaucoup.
            - Si vous mangez trois morceaux de sucre, votre mère vous donnera certainement une gifle, dit-il.
            - Elle n'a qu'à me donner des bonbons alors, répliqua son jeune interlocuteur. Je ne peux pas avoir de bonbons ici, de bonbons américains. Les bonbons américains sont les meilleurs bonbons.
            - Et les petits garçons américains ? demanda Winterbourne.
            - Je ne sais pas. Je suis un petit Américain, dit l'enfant.
            - Je vois que vous êtes un des meilleurs ! fit en riant Winterbourne.
            - Etes-vous un Américain ? enchaîna l'enfant vivace.
Afficher l'image d'origine            Et, sur la réponse affirmative de Winterbourne, il déclara :
            - Les Américains sont les meilleurs.
            Son compagnon le remercia du compliment, et l'enfant maintenant à califourchon sur son alpenstock, resta à regarder autour de lui, tout en attaquant un deuxième morceau de sucre. Winterbourne se demanda s'il avait été comme ça dans son enfance, car c'est à peu près à cet âge qu'il avait été emmené en Europe.
            - Voilà ma soeur ! cria l'enfant au bout d'un  moment. C'est une fille américaine.
            Winterbourne remonta le sentier du regard et vit avancer une très belle jeune dame.
             - Les filles américaines sont les meilleures filles, dit-il                                                            gaiement à son jeune compagnon.
             - Ma soeur n'est pas la meilleure ! déclara l'enfant. Elle est toujours en train de me cafarder.
             - J'imagine que c'est votre faute, pas la sienne, dit Winterbourne.
            Pendant ce temps la jeune femme s'était rapprochée. Elle était vêtue de mousseline blanche, avec une centaine de froncés et de ruchés et des noeuds de ruban de couleur pâle. Elle était nu-tête mais elle balançait dans sa main une grande ombrelle avec une large bordure de broderie : et elle était étonnamment, admirablement belle.
            - Comme elles sont belles, pensa Winterbourne en se redressant sur son siège, comme pour se lever.
            La jeune dame s'arrêta devant son banc, près du parapet du jardin d'où l'on voyait le lac. Le petit garçon avait maintenant converti son alpenstock en perche à sauter et l'utilisait pour faire des bonds dans le gravier qu'il faisait abondamment voler.
            - Randolph, dit la jeune dame, mais qu'est-ce que tu fais ?
            - J'escalade les Alpes, répondit Randolph. C'est comme ça qu'on fait !
            Et il fit un autre petit bond faisant voler les cailloux à proximité des oreilles de Winterbourne.
            - C'est comme ça  qu'on descend, dit Winterbourne.
            - C'est un Américain ! s'écria Randolph de sa petite voix dure.
            La jeune dame ne prêta aucune attention à ce faire-part, mais jeta un regard aigu à son frère.
            - Je crois que tu devrais te tenir tranquille, se contenta-t-elle d'observer.
           Winterbourne eut l'impression que les présentations avaient, en un sens, été faites. Il se leva et s'avança lentement vers la jeune fille en jetant sa cigarette.
            - Ce jeune garçon et moi avons fait connaissance, dit-il fort urbainement.
            A Genève, comme on n'avait pas manqué de le lui apprendre, un jeune homme n'était pas autorisé à parler à une jeune personne encore demoiselle, si ce n'est dans certaines conditions qui se présentaient rarement. Mais ici, à Vevey, quelles meilleures conditions pouvaient-ils y avoir ? " Une jolie fille américaine s'arrêtant devant vous dans un jardin ". Cette jolie fille américaine, toutefois, se contenta de répondre par un bref coup d'oeil à la remarque de Winterbourne, elle détourna ensuite la tête et regarda par-dessus le parapet, en direction du lac et des montagnes en face. Il se demanda s'il n'était pas allé trop loin, mais il décida que la poursuite de l'avance était préférable à la retraite. Pendant qu'il cherchait ce qu'il pourrait dire, la jeune dame se tourna à nouveau vers le petit garçon.
            - J'aimerais bien savoir où tu as eu cette perche, dit-elle.
            - Je l'ai achetée ! répliqua fièrement Randolph.  
            - Tu ne vas pas me dire que tu vas l'emporter en Italie !
            - Oui, je vais l'emporter en Italie ! déclara l'enfant.                        panoramio.com
Afficher l'image d'origine            La jeune fille considéra le devant de sa robe et lissa un ou deux noeuds de ruban. Puis elle reporta à nouveau les yeux vers le paysage.
            - Je crois que tu devrais la laisser quelque part.
            - Vous partez pour l'Italie ? demanda Winterbourne sur un ton de grand respect.
            La jeune fille lui jeta un nouveau bref coup d'oeil.
            - Oui monsieur, répondit-elle.
            Et rien de plus.
            -  Vous... euh... franchissez le Simplon ? poursuivit Winterbourne un peu embarrassé.
            - Je ne sais pas, dit-elle. Ce doit être un genre de montagne. Randolph, quelle montagne franchissons-nous ?
            - Pour aller où ? demanda l'enfant.
            - En Italie, expliqua Winterbourne.
            - Je ne sais pas, dit Randolph. Je ne veux pas aller en Italie. Je veux aller en Amérique.
            - Oh, mais l'Italie est un merveilleux pays ! répliqua le jeune homme.
            - On peut avoir des bonbons là-bas ? demanda Randolph d'une voix sonore.
            - J'espère bien que non, dit la soeur. Je crois que tu as eu assez de bonbons, et c'est aussi l'avis de maman.
            - Il y a tant et tant de temps que je n'en ai pas eu, cent semaines au moins, s'écria l'enfant poursuivant ses bonds.
            La jeune dame inspecta ses volants et lissa à nouveau ses rubans. Et Winterbourne hasarda opportunément une remarque sur la beauté de la vue. Son embarras tombait, car il s'apercevait que de son côté elle n'était pas le moins du monde embarrassée. Il n'y avait pas eu la moindre altération sur son charmant visage. Elle n'était manifestement ni offensée, ni effarouchée. Si elle regardait d'un autre côté quand il lui parlait et ne semblait pas particulièrement l'entendre, c'était simplement son habitude, sa façon d'être. Cependant, à mesure qu'il s'enhardissait à parler et lui désignait quelques objets d'intérêt dans le paysage, qu'elle paraissait ignorait totalement, elle lui consacra peu à peu de plus en plus de ses brefs regards. Et alors il s'aperçut que ce regard était parfaitement direct et hardi. Ce n'était pas, toutefois, un regard qu'on aurait pu qualifier d'impudique, car les yeux de la jeune fille étaient singulièrement loyaux et francs. C'étaient des yeux d'une beauté merveilleuse, et en fait, il y avait longtemps que Winterbourne n'avait rien vu d'aussi beau que les traits de sa belle compatriote, son teint, son nez, ses oreilles, ses dents. Il avait un goût prononcé pour la beauté féminine. Il s'adonnait à son observation et son analyse, et quant au visage de cette jeune dame, il fit plusieurs observations. Il n'était pas du tout insipide, mais il n'était pas exactement expressif, et bien qu'il fût éminemment délicat; Winterbourne l'accusa mentalement, avec beaucoup d'indulgence, de manquer de finesse. Il lui paraissait possible que la soeur de Master Randolph soit une coquette. Il était certain qu'elle avait une personnalité originale, mais dans son petit visage clair, lisse, superficiel, il n'y avait pas trace de moquerie, ni d'ironie. Il devint très vite évident qu'elle était toute disposée à converser. Elle lui dit qu'ils allaient à Rome pour l'hiver. Elle lui demanda s'il était " vraiment américain ", elle ne l'aurait jamais pris pour tel. Il ressemblait plutôt à un Allemand, ceci fut dit avec une légère hésitation, surtout quand il parlait. Winterbourne répondit en riant qu e'il avait rencontré des Allemands qui parlaient comme des Américains. Mais il n'avait jamais, d'aussi loin qu'il se rappelle, rencontré d'Américain qui parle comme un Allemand. Puis il lui demanda si elle ne serait pas mieux assise sur le banc qu'il venait de quitter. Elle répondit qu'elle aimait rester debout et se promener, mais elle s'assit bientôt. Elle lui dit qu'elle était de l'Etat de NewYork, " si vous savez où ça se trouve. Winterbourne en apprit davantage sur elle en s'emparant de son remuant petit frère et en le retenant quelques instants à son côté.
Afficher l'image d'origine***            - Dis-moi ton nom, mon garçon, dit-il.
            - Randolph C. Millern dit le garçon rêchement. Et je vais vous dire son nom à elle.
            Et il leva son alpenstock vers sa soeur.
            - Tu ferais mieux d'attendre qu'on te le demande ! dit la jeune dame calmement
            - J'aimerais beaucoup connaître votre nom, dit Winterbourne.
            - Elle s'appelle Daisy Miller ! s'écria l'enfant Mais ce n'est pas son vrai nom, ce n'est pas son nom sur ses cartes
            - C'est vraiment dommage que tu n'aies pas une de mes cartes ! dit Miss Miller.
            - Son vrai nom est Annie P. Miller, poursuivit le garçon.
           - Demande-lui son nom à lui, dit la soeur en montrant Winterbourne.
           Mais ceci parut laisser Randolph complètement indifférent. Il continua à fournir des renseignements concernant sa propre famille.
            - Mon père s'appelle Ezra B. Miller, annonça-t-il. Mon père n'est pas en Europe, mon père est dans un meilleur endroit que l'Europe.
            Winterbourne imagina un instant que c'était ainsi que l'on avait appris à l'enfant à signifier que Mr Miller avait rejoint le lieu du repos éternel. Mais Randolph ajouta immédiatement :
            - Mon père est à Shenectady. Il a une grosse affaire. Mon père est riche, vous savez.
            - Voyons ! s'écria Miss Miller abaissant son ombrelle et considérant la bordure brodée.
            Winterbourne rendit sa liberté à l'enfant qui partit traînant son alpenstock le long de l'allée.
            - Il n'aime pas l'Europe, dit la jeune fille. Il veut s'en retourner.
            - A Shenectady, vous voulez dire ?
            - Oui. Il veut rentrer à la maison. Il n'a pas de camarade ici. Il y a un garçon ici, mais il a toujours un précepteur avec lui. Ils ne le laissent pas jouer.
            - Et votre frère n'a pas de précepteur ? s'enquit Winterbourne.
            - Ma mère a pensé en prendre un, pour voyager avec nous. Il y a eu une dame qui lui a parlé d'un très bon précepteur, une dame américaine, vous la connaissez peut-être, Mrs Sanders. Je crois qu'elle venait de Boston. Elle lui a parlé de ce précepteur et nous avons pensé le prendre pour voyager avec nous. Mais Randolph a dit qu'il ne voulait pas de précepteur voyageant avec nous. Il a dit qu'il ne prendrait pas de leçons quand il serait en voiture. Et nous sommes en voiture à peu près la moitié du temps. Il y avait une dame anglaise que nous avons rencontrée en voiture, je crois qu'elle s'appelait Mrs Featherstone, vous la connaissez peut-être. Elle voulait savoir pourquoi je ne donnais pas de leçons à Randolph, lui donner " de l'instruction ", comme elle disait. Je pense qu'il pourrait me donner davantage d'instruction que je ne pourrais lui en donner. Il est très intelligent.
            - Oui, dit Winterbourne, il a l'air très intelligent.
            - Ma mère va lui trouver un professeur aussitôt que nous serons en Italie. Trouve-t-on de bons professeurs en Italie ?
            - Très bons, je pense, dit Winterbourne.
            - Ou autrement elle trouvera une école. Il faut qu'il apprenne encore. Il n'a que neuf ans. Il ira au collège.
            Et ainsi Miss Miller continua à converser sur les affaires, sa famille et autres sujets. Elle restait là, assise, ses très belles mains ornées de bagues très brillantes reposant sur ses genoux, ses beaux yeux tantôt rencontrant ceux de Winterbourne, tantôt errant sur le jardin, les gens qui passaient et le splendide panorama. Elle parlait à Winterbourne comme si elle le connaissait depuis longtemps. Il trouvait cela très agréable. Il y avait de nombreuses années qu'il n'avait pas entendu une jeune fille parler autant. On aurait pu dire de cette jeune dame inconnue qui était venue s'asseoir sur un banc à côté de lui, qu'elle babillait. Elle était très calme. Elle demeurait assise dans une attitude de charmante tranquillité, mais ses lèvres et ses yeux étaient constamment en mouvement. Elle avait une voix douce, ténue, agréable, et son ton était résolument sociable. Elle fit à Winerbourne le récit de ses déplacements et intentions, ainsi que ceux de sa mère et de son frère, à travers l'Europe, et énuméra en particulier les différents hôtels où ils étaient descendus.
            - Cette dame anglaise rencontrée en voiture, dit-elle, Miss Featherstone, m'a demandé si nous ne vivions pas dans des hôtels en Amérique. Je lui ai dit que de ma vie je 'avais autant fréquenté d'hôtels que depuis que je suis venue en Europe. Je n'en ai jamais vu autant, on ne voit que ça.
Afficher l'image d'origine            Mais Miss Miller ne fit pas cette remarque sur un ton      **** maussade, tout paraissait l'enchanter. Elle déclara que les hôtels étaient très bien, une fois qu'on en avait pris l'habitude, et que l'Europe était vraime nt exquise. Elle n'était pas déçue, pas du tout. Peut-être était-ce parce qu'elle en avait tant entendu parler avant. Elle avait tant et tant d'amies intimes qui y étaient allées tant et tant de fois. Et puis elle avait eu tant et tant de robes et de choses de Paris. Chaque fois qu'elle mettait une robe de Paris, elle avait     l'impression d'être en Europe.                      
            - C'était une sorte de chapeau de Fortunatus, dit Winterbourne.
            - Oui, dit Miss Miller sans approfondir l'analogie, ça m'a toujours donné l'envie de venir ici. Mais ça ne valait pas la peine de le faire pour des robes. Je suis certaine qu'ils envoient les plus belles en Amérique. Vous voyez ici les choses les plus épouvantables. La seule chose que je n'aime pas, poursuivit-elle, c'est la société. Ou, s'il y en a une, on ne sait pas où elle se cache. Vous le savez, vous ? Je suppose qu'il y a de la société quelque part, mais je n'en ai rien vu. J'aime beaucoup la société, et je suis toujours très entourée. Pas seulement à Shenectady, mais même à NewYork. A NewYork je ne manquais pas d'entourage. L'hiver dernier j'ai eu dix-sept dîners donnés pour moi, dont trois par des messieurs. J'ai plus d'amis à NewYork qu'à Shenectady, plus d'amis hommes, et plus d'amies femmes aussi, reprit-elle au bout d'un moment.
            Elle eut un nouveau bref silence, regardait Winterbourne, irradiant toute sa beauté dans ses yeux animés et son léger sourire un peu monotone.
            - J'ai toujours eu, dit-elle, beaucoup de messieurs autour de moi.
            Le pauvre Winterbourne était amusé, intrigué et résolument charmé. Il n'avait jamais entendu une jeune fille s'exprimer de cette manière-là, jamais, du moins, si ce n'est dans les cas où le fait de dire de telles choses semblait apporter la preuve manifeste d'une certaine laxité de conduite. Mais devait-il accuser Miss Daisy de réelle ou potentielle "inconduite ", comme on dit à Genève ? Il se dit qu'il avait vécu si longtemps dans cette ville qu'il était passé à côté de beaucoup de choses : il avait perdu l'habitude du ton américain. Jamais, en fait, depuis le moment où il avait été en âge d'apprécier les choses, il n'avait rencontré une jeune Américaines au caractère aussi marqué. A coup sûr elle était très charmante, mais si diablement liante ! Etait-elle simplement une jolie fille de l'Etat de NewYork, étaient-elles toutes comme cela, les jolies filles qui avaient toujours beaucoup de messieurs autour d'elles ? Ou bien était-elle aussi une jeune intrigante, audacieuse et dénuée de scrupules ? Winterbourne avait perdu son instinct en la matière, et sa raison ne pouvait lui être d'aucun secours. Miss Daisy Miller paraissait extrêmement innocente. On lui avait bien dit que parfois, somme toute, les jeunes Américaines étaient innocentes à l'excès. Et on lui avait dit aussi que, somme toute, elles ne l'étaient pas. Il inclinait à penser que Miss Daisy était un flirt, un joli petit flirt américain. Il n'avait jamais, jusqu'alors, entretenu de rapports avec des jeunes filles de cette sorte. Il avait connu, ici, en Europe, deux ou trois femmes, des personnes plus âgées que Miss Daisy Miller et pourvues, pour des raisons de respectabilité, de maris. C'étaient de grandes coquettes, des femmes dangereuses, terrib qu'on ne pouvait fréquenter sans s'exposer à voir l'affaire prendre un tour sérieux. Mais cette jeune fille n'était pas une coquette de cette sorte. Elle était très naturelle. Ce n'était qu'un joli flirt américain.
Winterbourne fut quasiment réconforté d'avoir trouvé la formule qui s'appliquait à Miss Daisy Miller.
 Il se renversa sur son siège. Il se fit en aparté la remarque qu'elle avait le nez le plus charmant qu'il ait jamais vu. Il se demanda quelles étaient les conditions et interdis qui gouvernaient les rapports à entretenir avec un " joli flirt américain ". Il était manifestement sur le point de l'apprendre.
Afficher l'image d'origine *****      - Avez-vous visité ce vieux château  demanda la jeune fille en désignant de son ombrelle la lueur lointaine des murs du château de Chillon.
            - Oui, auparavant, plus d'une fois, dit Winterbourne. Vous l'avez sans doute vu aussi ?
            - Non, nous n'y sommes pas allés. J'ai affreusement envie d'y aller. J'ai vraiment l'intention d'y aller. Je ne partirai pas d'ici sans avoir vu ce vieux château.
            - C'est une très jolie excursion , dit Winterbourne, et très facile à faire. On peut y aller par la route ou par le petit vapeur.
            - On peut y aller en voiture, dit Miss Miller.          
            - Oui, on peut y aller en voiture, acquiesça Winterbourne.
            - Notre courrier dit qu'on arrive ainsi jusqu'au château, poursuivit la jeune fille. Nous devions y aller la semaine dernière, mais ma mère n'a pas pu. Elle a une dyspepsie qui la fait atrocement souffrir. Elle a dit qu'elle ne pouvait pas partir. Randolph ne voulait pas non plus, il dit que les châteaux ça ne lui dit pas grand chose. Mais je pense que nous irons cette semaine, si nous arrivons à décider Randolph.
            - Votre frère ne s'intéresse pas aux monuments anciens ? s'enquit Winterbourne souriant.
            - Il dit que les vieux châteaux il n'en a pas grand chose à faire. Il n'a que neuf ans. Il veut rester à l'hôtel. Maman a peur de le laisser seul, et le valet ne veut pas rester avec lui, de sorte que nous ne sommes pas allés dans beaucoup d'endroits. Mais ce serait vraiment dommage de ne pas aller là-haut.
            Et Miss Miller désigna de nouveau le château de Chillon.
            - Cela devrait pouvoir s'arranger, dit Winterbourne. Ne pourriez-vous trouver quelqu'un pour rester un après-midi avec Randolph ?
            Miss Miller le considéra un moment, et répondit très tranquillement :
            - Et si vous restiez avec lui ?
            Winterbourne hésita un moment.
             - Je préférerais de beaucoup aller à Chillon avec vous.
             - Avec moi ? demanda la jeune fille avec la même tranquillité.
             Elle ne se leva pas en rougissant comme l'aurait fait une jeune fille de Genève, et cependant, Winterbourne sentant qu'il avait été très audacieux, pensa qu'il l'avait peut-être offensée.
            - Avec votre mère, répondit-il très respectueusement.
            Mais, apparemment, ni son audace, ni son respect n'atteignirent Miss Daisy Miller.
            - Je crois que ma mère n'ira pas, somme toute, dit-elle. Elle n'aime pas sortir l'après-midi. Mais vous pensiez vraiment ce que vous venez de dire à l'instant, que vous vouliez aller là-haut ?
            - Le plus sérieusement du monde, répondit Winterbourne.
            - Donc ça peut s'arranger. Si maman reste avec Randolph, je pense qu'Eugenio voudra aussi.
            - Eugenio ? s'enquit le jeune homme.
            - Eugenio est notre courrier. Il n'aime pas rester avec Randolph, c'est l'homme le plus exaspérant que j'ai jamais vu. Mais c'est un admirable courrier. Je pense qu'il restera avec Randolph si ma mère reste, et alors nous pourrons aller au château.                     ******
Afficher l'image d'origine            Winterbourne réfléchit un moment aussi lucidement que possible. Le " nous " ne pouvait désigner que Miss Daisy Miller et lui-même. Ce programme semblait presque trop beau pour être vrai. Il fut sur le point de baiser la main de la jeune dame. Et il l'aurait peut-être fait, et aurait ainsi gâché le projet. Mais à cet instant une autre personne, Eugenio sans doute, apparut. Un grand et bel homme portant une jaquette de velours, avec de superbes favoris et une chaîne de montre brillante, s'approcha de Miss Miller, fixant un regard pénétrant sur son compagnon.
            - Oh ! Eugenio ! dit Miss Miller de son ton le plus amical.
            Eugenio, ayant inspecté Winterbourne de la tête aux pieds, s'inclina gravement vers la jeune dame.
            - J'ai l'honneur d'informer mademoiselle que le déjeuner est servi.
            Miss Miller se leva lentement.
            - Ecoutez donc, Eugenio, dit-elle, j'irai à ce vieux château de toute façon.
            - Au château de Chillon, mademoiselle ? demanda le courrier. Mademoiselle a déjà pris ses dispositions ? ajouta-t-il sur un ton que Winterbourne jugea extrêmement impertinent.
            Le ton d'Eugenio parut jeter, y compris pour Miss Miller, une lumière quelque peu ironique sur la situation de la jeune fille. Elle se tourna vers Winterbourne en rougissant légèrement, très légèrement.
            - Vous n'allez pas vous défiler ? dit-elle.
            - Je n'aurais de cesse que nous y allions, protesta-t-il.
            - Et vous demeurez dans cet hôtel ? enchaîna-t-elle. Et vous êtes vraiment américain ?
            Le courrier continuait à fixer Winterbourne d'un air provoquant. Le jeune homme pensa que ce regard était, à tout le moins, une offense faite à Miss Miller. Il semblait vouloir dire que le courrier la soupçonnait de ramasser des connaissances.
            - J'aurai l'honneur de vous présenter une personne qui vous dira tout sur mon compte, dit-il en souriant se référant mentalement à sa tante.
            - Bon, c'est réglé, nous irons un de ces jours, dit Miss Miller.
            Elle lui sourit et lui tourna le dos. Elle déploya son ombrelle et reprit le chemin de l'auberge aux côtés d'Eugenio. Winterbourne la suivit des yeux et, tandis qu'elle s'éloignait, traînant ses mousselines falbalassées sur le gravier, Winterbourne pensa qu'elle avait l'allure d'une princesse.

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            .......... Il s'était toutefois engagé......./

         
         

           
     

mercredi 29 juin 2016

Carnets noirs Stephen King ( Roman EtatsUnis )

Carnets noirs

                                         
                                                     Carnets noirs        

            EtatsUnis 1978 John Rothstein auteur heureux mais désespérant a publié une trilogie à très grand succès, l'histoire d'un garçon symbole d'une société rude, affligé des maux de sa génération. Malheureusement le troisième volume le voit travailler dans la pub, simplement. Ce qui déplaît énormément à son fan le plus déjanté Morris Bellamy, élevé par sa mère enseignante. Rothstein est un vieux monsieur, il n'écrit plus depuis de nombreuses années, n'utilise pas de chéquier, retire son argent chaque mois de la banque et entasse les billets dans son coffre. Il vit seul dans une ferme à 8 kilomètres de ses plus proches voisins. Et cela Bellamy, très très fâché contre son auteur et son héros fétiche, le sait. Il le dit à l'auteur qui comprend le danger et le supplie de prendre l'argent mais pas les carnets de moleskine. Bellamy prend tout. Et l'enterre. L'alcool qu'il ne supporte pas, un acte dont il ne garde qu'un souvenir vague l'envoient en prison pour de très nombreuses années où il subit les tyrans jusqu'à un certain point, son héros l'aide. " Pouvoir suprême de la fiction ".
            En 2009 dans cette ville du New Hampshire où des habitants en quête d'un travail, attendaient à la porte d'un City Center, étaient fauchés par un automobiliste fou, rappelez-vous " Mr Mercedes " ( prix Edgar Poe ), de nombreuses familles connaissent une forme de déchéance sociale, la crise financière et la fin de l'aide donnée aux blessés de ce crime rendent précaires les foyers, notamment celui de Pete et Tina tous deux collégiens. Pete est le garçon le plus gentil qui se puisse trouver, il aime sa mère, son père et sa soeur, Tina assez fine, et la littérature. Jimmy Gold, héros de papier, l'aidera-t-il ? Tout au long du livre Stephen King nous parle de la littérature " ..... L'une des révélations les plus électrisantes dans une vie de lecteur c'est une vie de lecteur, pas seulement capable de lire..... mais amoureux de la lecture. Éperdument. Raide dingue. " Rothstein aurait-il écrit la suite, pour lui seul ? Peut-être sur la centaine de carnets de moleskine. De 1978 à 2014 l'histoire évolue jusqu'aux événements qui vont réunir tous les protagonistes dans un feu. Au deux tiers du livre on retrouve Hodges, détective à la retraite, Holly qui a hérité de la Mercedes, et Tom et Brady criminel ( Mr Mercedes )réduit à l'état de légumes. Mais un pouvoir fort dans son regard renverse un cadre de photos, ouvre les robinets, etc. Doutes évidemment, sûrement levés dans le prochain et dernier volume de la trilogie annoncé pour juin 2017 aux EtatsUnis. 

lundi 27 juin 2016

Gourmandises 2 Colette ( Oeuvres France )

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                                                          Extraits........ Lettres aux petites fermières

                                                                                             Saint-Tropez 10 avril 1934

            ............/  Hélas, quinze jours de pluie, sauf quelques heures d'un soleil qui s'est montré pour nous dire :
                  " - Voilà ce que je pourrais faire. "          

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                                                                                             Paris 25 décembre 1938

            Vous vous êtes donc souvenue que j'aime les fondants, mon enfant ? Ceux que vous m'envoyez sont bien pareils aux fondants de mon enfance. Quelle chance que les confiseurs n'aient pas d'imagination !..........

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                                                                                               Paris 24 décembre 1940
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Afficher l'image d'origine            Mes petites filles....... Ce colis arrivé ce matin, et qui contient tout, depuis le sel-sel-sel-sel-sel-sel, jusqu'à des poules-au-pot en comprimés ! Ce beurre à peine salé, aussi beau qu'un marbre ! J'ose à peine parler des oeufs... A Paris leur rareté est telle, que rien que d'en parler ça doit coûter au moins deux francs. Quand vous êtes venue, mieux et plus chargée que des mages..........
 
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                                                                                               Paris 3 janvier 1941

            ............ Mes chères filles....... Je suis trop loin, vous n'avez pas peur de moi. Toutes ces richesses. Figurez-vous qu'il y avait deux oeufs cassés, ou plutôt écrasés ( on aura posé un paquet lourd sur le précieux colis ) mais les oeufs sont si frais, le jaune si élastique, que l'un des deux, coquille fracassée, blanc répandu, avait gardé un joli jaune intact, et nous l'avons cueilli sans le crever........

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                                                                                               Paris 7 janvier 1941
                                                                                                                   bibliobs.nouvelobs.com 
Afficher l'image d'origine            .......... C'est fous ces colis....... Les oeufs et les haricots blancs ont l'air d'être de la même famille. Peut-être avons-nous été les seuls, ce jour-là, à manger de la salade fraîche. Nous sommes tout de même les passagers d'un grand navire en danger qui est Paris........  visite d'un très gentil ménage qui habite la rive gauche....... neige, verglas, ces 8 degrés au-dessous de zéro sur ma rive droite. " Mais nous cherchons à manger, dirent-ils. Sur notre partie de la rive gauche, il n'y a rien.......  Mon beau-frère, une heure plus tard, nous téléphonait que sans acquisitions possibles, ils ne savaient que faire. Maurice est parti pour leur porter sur-le-champ une boîte de sardines, un bout de beurre,et... 4 de vos oeufs. Si vous saviez quelle soupe épaisse de légumes nous a faite Pauline, grâce à vous........
La cave recèle encore quelques " boîtes "....... quinze petites boîtes de lait condensé, et du beurre en boîtes qu'on ne consommera qu'à la dernière extrémité, et cinq litres de pétrole ( j'aimerais mieux dl'huile ! ). Et cinq boîtes de boeuf bourguignonne ( ?! )....... Il est bon que je vous étale nos richesses, pour vous faire tenir un peu tranquilles. J'en arrive à cette merveille de poule blonde et rose, d'un genre de beauté si " Boucher " ! Potelée à point, ronde........  Merci                                                                                                         

                                                                                                  Colette

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  csaveursla.com                                                                                                   Paris 13 janvier 1941
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            Vous n'imaginez pas, mes petites filles, ce que c'est, ici, que des oeufs comme ceux-là. C'est une nourriture introuvable et délicieuse.......... Et ce pâté....... je vous fais une proposition....... je m'ouvre un compte chez vous........ Pauline a fait des pommes de terre dans la graisse du pâté.........  

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                                                                                                          Paris, 4 février 1941

            Ah ! mes petites filles, ce que ça peut sentir bon, un colis de légumes !.......... Je viens de déballer pieusement, navets, premiers radis, précieuses salades, petits beurre, vitamines, râble de lapin, choux de Bruxelles en boutons de rose........ Vous êtes nos anges nourrisseurs.........

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                                                                                                           Paris 14 février 1941

            Petite Yvonne, il est encore arrivé des merveilles ! Ces deux poulets... Soyez tranquilles, ma belle-soeur en mangera. Ils ont eu aussi des oeufs. Mais vous savez, je suis terrible, je ne "prodigue " pas. Vous avez fait de moi non pas un gros poussin, mais une de ces vieilles poules qui ont la rage de s'asseoir sur tous les oeufs qu'elles rencontrent. Pauline et moi nous thésaurisons les biscottes carrées, pour... on ne sait pas...........

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                                                                                                             Paris 29 avril 1941
                                                                                                                    consoglobe.com
Afficher l'image d'origine            ................ Ici la disette serre chaque jour son cercle.......... Il y avait samedi un magnifique arrivage d'ananas.......... les prix : 240 F un ananas de deux kilos. Je vous avoue que, par chance, ces choses-là m'enlèvent la convoitise.........

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                                                                                                                   Paris 6 août 1941

            .............. Pauline met dix oeufs par semaine depuis trois semaines, dans le truc à conserver. Mais comme c'est une substance devenue introuvable, il vaut mieux les manger. Les pêches arrivent bien et les poulets crus grâce au temps plus frais. Mais le pauvre melon a été écrasé. Nous n'avions jamais vu de melon-galette ! Le lapin s'est mangé très bien en sauce !.......... Excusez le ton alimentaire de ce mot........

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                                                                                                                      Paris 9 mars 1942
                                                                                                                     pinterest.com 
Résultat de recherche d'images pour "colette palais royal hiver"            ............ Cocteau ne mange jamais chez lui, les oeufs lui manquent moins qu'à d'autres..........
Etes-vous consolées du " Désastre des Trente oeufs " ? Ça a l'air d'un nom de bataille d'autrefois........
Le pain est rare. Croiriez-vous que vous pourriez m'envoyer quelques " casse-croûte " ou " Bien-cuits " ? Nous vous embrassons encore
            Votre
                          Colette


                                                  Extraits de Lettres aux petites fermières

         















                                                     







                                                  

vendredi 24 juin 2016

Lettres de Proust à Anatole France - De Lauris - Mme Straus ( Correspondances diverses France )


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causeur.fr


                                               A Anatole France

                                                                                         Le samedi 5 mars 1905

            Mon cher Maître,

            J'ai à vous remercier d'un sublime présent spirituel. J'ai été malade. Pardonnez-moi de ne pas avoir encore écrit pourquoi je ne connais rien d'aussi beau que " Sur la pierre blanche ". Je vous l'écrirai ces jours-ci. Aujourd'hui je veux seulement vous dire qu'après-demain lundi à quatre heures et demie très précises si vous voulez venir prendre une tasse de thé et écouter un peu de musique dans l'intimité vous me feriez bien grand honneur, une joie profonde. Je sais que ce genre de réunions ne vous plaisent guères ( ?! ) et que c'est un des motifs pour lesquels votre vie n'est point malheureuse , , v,que comme Hippolyte Dufresne, vous " n'allez pas dans le monde ". Aussi je ne vous demande cela qu'avec timidité et sans beaucoup d'espoir comme s'adressait le poète à l'étoile
                                      Avec le sentiment qu'elle est à l'infini.
            Tout de même si vous veniez vous verriez les phrases de Mozart " suspendre dans l'air leurs colonnes blanches et leurs guirlandes de roses " et vous me raviriez.
            Daignez accepter mon cher Maître l'hommage de ma respectueuse admiration.
                         
                                                                                           Marcel Proust

            Pour vous dire toute la vérité et ne pas risquer de vous déplaire il y aura probablement un ou deux académiciens non pas précisément nationalistes, mais de ces libéraux qui " revendiquent les privilèges ". Mais vous n'avez pas besoin d'être près d'eux et si leur vue vous déplaît, j'irai goûter avec vous pendant qu'ils écouteront de la musique ou écouter de la musique pendant qu'ils goûteront. Tout ce que je veux c'est m'attacher à vos pas. Quant à eux ils seraient ravis de vous voir mais je sais que ce n'est pas réciproque.
douglasngedimbourg


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                                                 A Georges de Lauris

                                                                                          Vers mars 1905

            Cher ami
            L'avant-propos est mauvais, vous devriez le changer. La preuve c'est que tandis que tout l'article d'un bout à l'autre est admirablement écrit, il est très mal écrit, lui : " il a écrit des pages du plus beau français d'aujourd'hui et du plus pur " voilà qui n'est pas du plus beau français, même d'aujourd'hui. Et " évoquer des problèmes "n'est pas du plus pur. Et plus loin du pur charabias. Au contraire à peine l'article commencé les superbes expressions abondent, l'instinct qui doit demeurer dans l'inconscient comme le foetus dans le sein de la mère ( excusez la comparaison ) pour se fortifier, l'ennui qui est la fièvre et non le sommeil de la volonté, toute la page sur la mauvaise influence de Barrès et les signes mystérieux où l'on apprend à reconnaître les inévitables prémisses du désenchantement, les femmes maladroites et peut-être agacées ( la jolie phrase avec la citation de Barrès et la citation de Baudelaire ), la sincérité voulue mais réelle, l'amour qui seul fixe la recherche de la volupté, tout cela autant de trouvailles adorables, qui naissent les unes des autres, dans une sorte de logique enchantée. Aucune froidure comme il était à craindre. Vous avez rempli les formules de Barrès avec votre expérience de l'amour de la pensée  et de la vie. Aussi votre oeuvre quoique objective est-elle personnelle, et, quoique dialectique, artiste (  le côté personnel de tout artiste G. de Lauris ) La chose la plus belle est le passage sur l'utilité du sentiment qui finit par l'exemple de Rousseau dont les mécomptes même (s ) découvrirent l'âme et qui dédaignant les amis proches, sut se rendre capable d'avoir des amis lointains. Ceci avec le passage déjà célèbre pour moi de Mr de Bonnemains est chose la plus belle et aussi la magnifique comparaison entre la douleur qui nous dépasse et le bonheur à notre mesure, ce qui fait qu'on est irrité du bonheur et non de la douleur des gens médiocres. Je trouve très juste le parallèle entre Montaigne Renan - Pascal Barrès et entre perspicacité dans l'amour et dans la haine.                                                  
Afficher l'image d'origine            La critique de la théorie du déracinement est superbe. J'ignorais les textes de Gide et Gourmont.
            Le passage sur l'or extrait est imité d'une chose de Ruskin que je vous ai lue mais très bien.
            L'idée du dédoublement de Barrès en deux personnages est très profonde.
            Plus offusqué de la vulgarité qu'attristé de la misère est charmant. Solitude finale de Sturel très bien. L'idée sur Loyola est-elle de Barrès ou de vous. Je n'ai plus la force de tracer un seul mot. Bravo, merci, adieu.  *

                                                                                                                                                                                                                                                 
                                                                                                      Marcel.
            Titres

            Barrès politique et sentimental
            Barrès et les Muses
            Barrès, l'Amour, la Haine, la Politique et l'Amitié


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                                                   A Madame Straus

                                                                                                  Le 22 ou le 23 mars 1905

            Madame,
       
            Je ne peux pas vous dire la joie que j'ai eue quand j'ai su que vous sortiez . Mais j'ai eu depuis deux jours de véritables convulsions d'asthme et d'asphyxie, pendant lesquelles écrire m'aurait été aussi impossible que parler. Sans cela je vous aurais tout de suite dit mon bonheur. Ma plus grande souffrance pendant ces deux jours, c'était de ne pouvoir exprimer la joie que je ressentais à travers mon mal, en pensant que l'air, cet air que je ne pouvais pas arriver à respirer, vous l'aviez bien absorber dehors, qu'il avait dû vous donner faim, renouveler votre sang, vous rendre un peu de force.
J'en éprouve le bien intime, le bonheur parfait. Si je pouvais penser que mes conseils épouvantants de cure d'isolement ont pu accroître, par la peur d'en venir là, votre désir de guérir et votre volonté de vous soigner je serais bien heureux. Mais quelle qu'ait été la cause je suis bien heureux. Je me rappelle que vous disiez que M. Halévy s'était guéri par peur d'être obligé d'aller aux eaux. Mais lui avait une maladie d'organes, qui a pu laisser des traces. Vous heureusement n'avez rien qui subsiste, ce qu'il faut c'est que votre corps refuse désormais son consentement à la maladie ( paraphrase du mot de Goethe que vous connaissez ). Ah ! cela m'aurait fait bien plaisir de voir ajoutée à toutes vos gentillesses, la gentillesse la plus grande, celle pour laquelle nous vous bénissons tous, la gentillesse de la convalescente. Peut-être cela me sera-t-il donné. En ce moment je vais mettre des ventouses pour voir si cela me rend un peu de souffle ! Cela peut d'ailleurs passer en un jour, mais toutes sorties à des heures normales impossible.
            L'autre jour j'avais fait téléphoner à M. Straus pour lui demander si je pouvais venir prendre part à son dîner solitaire on n'a pas répondu. Et j'ai été pris presque aussitôt. J'ai lu l'autre jour dans le Figaro que vous alliez aller dans le Midi et reprendre " vos réceptions ". Je n'en demande pas tant. Mais peut-être le Midi vous fera-t-il du bien. Je ne sais pas pourquoi je me figure que si vous n'avez pas le mal de mer, comme vous avez des amis ayant des yachts admirables comme le Prince de Monaco et M. Edmond de Rothschild, cela vous ferait peut-être beaucoup de bien. J'ai été cet été cinq jours sur un petit yacht. Et je pensais déjà que cela vous ferait peut-être du bien parce qu'on prend l'air sans jamais sortir. Je vais malheureusement être obligé d'aller dans une sorte de sanatorium pour y passer trois ou quatre mois, mais je crois que je remettrai cela après ma fièvre des foins. Je pourrais donc vous voir avant. Si je savais des livres qui puissent vous amuser je vous les enverrais tout de suite, mais vous avez tout lu comme dans ces vers de Mallarmé :

                                             La chair est triste hélas ! et j'ai tout lu !
                                                                                                            pinterest.fr
Afficher l'image d'origineJe suis sûr que maintenant que vous allez vous désaltérer tous les jours un peu plus à la vraie santé qu'au fond vous ne connaissiez plus depuis longtemps, vous allez vouloir être une personne des plus robustes et vous n'en serez que plus heureuse, plus intelligente et plus belle ( qu'est-ce que cela sera !) Vous allez vous sentir comme une enfant de Maeterlinck avec des sensations d'une fraîcheur exquise pour toutes les choses naturelles et bonnes. Faites tout ce que les médecins vous diront mais ne prenez pas trop de remèdes. Presque tous sont toxiques et je vous assure que rien n'est dénourrissant comme de s'intoxiquer. Je crois aussi que vous feriez bien à moins qu'on ne vous le dise de ne plus trop " sabler l'eau de Vichy " comme vous disiez. Cela avait l'air admirable ces orgies hygiéniques. Au fond je ne sais pas si le champagne n'est pas encore moins malsain. Enfin on vous dira cela autour de vous. Je ne veux pas vous fatiguer à vous écrire trop longuement mais enfin si la vue des foules agenouillées est de v douce à vos yeux un peu indolents de convalescente je voudrais vous donner la sensation que ( ce n'est pas bien original puisque c'est comme tout le monde, mais peut-être encore plus vivement et plus spécialement ) je vous aime à un point qui me fait ressentir comme une torture votre mal et chanter moralement d'allégresse ( puisque je ne peux pas ouvrir la bouche ) de votre guérison.
            Votre très respectueux

                                                                                                    Marcel Proust

            Remerciez bien vivement Monsieur Straus qui a été le correspondant le plus patient  et le plus actif, et le plus charmant.

*      lolo1955gravoline.blogspot.com 

                                                                                     ( Lettres in Collection Kolb )