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A Anatole France
Le samedi 5 mars 1905
Mon cher Maître,
J'ai à vous remercier d'un sublime présent spirituel. J'ai été malade. Pardonnez-moi de ne pas avoir encore écrit pourquoi je ne connais rien d'aussi beau que " Sur la pierre blanche ". Je vous l'écrirai ces jours-ci. Aujourd'hui je veux seulement vous dire qu'après-demain lundi à quatre heures et demie très précises si vous voulez venir prendre une tasse de thé et écouter un peu de musique dans l'intimité vous me feriez bien grand honneur, une joie profonde. Je sais que ce genre de réunions ne vous plaisent guères ( ?! ) et que c'est un des motifs pour lesquels votre vie n'est point malheureuse , , v,que comme Hippolyte Dufresne, vous " n'allez pas dans le monde ". Aussi je ne vous demande cela qu'avec timidité et sans beaucoup d'espoir comme s'adressait le poète à l'étoile
Avec le sentiment qu'elle est à l'infini.
Tout de même si vous veniez vous verriez les phrases de Mozart " suspendre dans l'air leurs colonnes blanches et leurs guirlandes de roses " et vous me raviriez.
Daignez accepter mon cher Maître l'hommage de ma respectueuse admiration.
Marcel Proust
Pour vous dire toute la vérité et ne pas risquer de vous déplaire il y aura probablement un ou deux académiciens non pas précisément nationalistes, mais de ces libéraux qui " revendiquent les privilèges ". Mais vous n'avez pas besoin d'être près d'eux et si leur vue vous déplaît, j'irai goûter avec vous pendant qu'ils écouteront de la musique ou écouter de la musique pendant qu'ils goûteront. Tout ce que je veux c'est m'attacher à vos pas. Quant à eux ils seraient ravis de vous voir mais je sais que ce n'est pas réciproque.
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A Georges de Lauris
Vers mars 1905
Cher ami
L'avant-propos est mauvais, vous devriez le changer. La preuve c'est que tandis que tout l'article d'un bout à l'autre est admirablement écrit, il est très mal écrit, lui : " il a écrit des pages du plus beau français d'aujourd'hui et du plus pur " voilà qui n'est pas du plus beau français, même d'aujourd'hui. Et " évoquer des problèmes "n'est pas du plus pur. Et plus loin du pur charabias. Au contraire à peine l'article commencé les superbes expressions abondent, l'instinct qui doit demeurer dans l'inconscient comme le foetus dans le sein de la mère ( excusez la comparaison ) pour se fortifier, l'ennui qui est la fièvre et non le sommeil de la volonté, toute la page sur la mauvaise influence de Barrès et les signes mystérieux où l'on apprend à reconnaître les inévitables prémisses du désenchantement, les femmes maladroites et peut-être agacées ( la jolie phrase avec la citation de Barrès et la citation de Baudelaire ), la sincérité voulue mais réelle, l'amour qui seul fixe la recherche de la volupté, tout cela autant de trouvailles adorables, qui naissent les unes des autres, dans une sorte de logique enchantée. Aucune froidure comme il était à craindre. Vous avez rempli les formules de Barrès avec votre expérience de l'amour de la pensée et de la vie. Aussi votre oeuvre quoique objective est-elle personnelle, et, quoique dialectique, artiste ( le côté personnel de tout artiste G. de Lauris ) La chose la plus belle est le passage sur l'utilité du sentiment qui finit par l'exemple de Rousseau dont les mécomptes même (s ) découvrirent l'âme et qui dédaignant les amis proches, sut se rendre capable d'avoir des amis lointains. Ceci avec le passage déjà célèbre pour moi de Mr de Bonnemains est chose la plus belle et aussi la magnifique comparaison entre la douleur qui nous dépasse et le bonheur à notre mesure, ce qui fait qu'on est irrité du bonheur et non de la douleur des gens médiocres. Je trouve très juste le parallèle entre Montaigne Renan - Pascal Barrès et entre perspicacité dans l'amour et dans la haine.
La critique de la théorie du déracinement est superbe. J'ignorais les textes de Gide et Gourmont.
Le passage sur l'or extrait est imité d'une chose de Ruskin que je vous ai lue mais très bien.
L'idée du dédoublement de Barrès en deux personnages est très profonde.
Plus offusqué de la vulgarité qu'attristé de la misère est charmant. Solitude finale de Sturel très bien. L'idée sur Loyola est-elle de Barrès ou de vous. Je n'ai plus la force de tracer un seul mot. Bravo, merci, adieu. *
Marcel.
Titres
Barrès politique et sentimental
Barrès et les Muses
Barrès, l'Amour, la Haine, la Politique et l'Amitié
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doudou.gheerbrant.com
A Madame Straus
Le 22 ou le 23 mars 1905
Madame,
Je ne peux pas vous dire la joie que j'ai eue quand j'ai su que vous sortiez . Mais j'ai eu depuis deux jours de véritables convulsions d'asthme et d'asphyxie, pendant lesquelles écrire m'aurait été aussi impossible que parler. Sans cela je vous aurais tout de suite dit mon bonheur. Ma plus grande souffrance pendant ces deux jours, c'était de ne pouvoir exprimer la joie que je ressentais à travers mon mal, en pensant que l'air, cet air que je ne pouvais pas arriver à respirer, vous l'aviez bien absorber dehors, qu'il avait dû vous donner faim, renouveler votre sang, vous rendre un peu de force.
J'en éprouve le bien intime, le bonheur parfait. Si je pouvais penser que mes conseils épouvantants de cure d'isolement ont pu accroître, par la peur d'en venir là, votre désir de guérir et votre volonté de vous soigner je serais bien heureux. Mais quelle qu'ait été la cause je suis bien heureux. Je me rappelle que vous disiez que M. Halévy s'était guéri par peur d'être obligé d'aller aux eaux. Mais lui avait une maladie d'organes, qui a pu laisser des traces. Vous heureusement n'avez rien qui subsiste, ce qu'il faut c'est que votre corps refuse désormais son consentement à la maladie ( paraphrase du mot de Goethe que vous connaissez ). Ah ! cela m'aurait fait bien plaisir de voir ajoutée à toutes vos gentillesses, la gentillesse la plus grande, celle pour laquelle nous vous bénissons tous, la gentillesse de la convalescente. Peut-être cela me sera-t-il donné. En ce moment je vais mettre des ventouses pour voir si cela me rend un peu de souffle ! Cela peut d'ailleurs passer en un jour, mais toutes sorties à des heures normales impossible.
L'autre jour j'avais fait téléphoner à M. Straus pour lui demander si je pouvais venir prendre part à son dîner solitaire on n'a pas répondu. Et j'ai été pris presque aussitôt. J'ai lu l'autre jour dans le Figaro que vous alliez aller dans le Midi et reprendre " vos réceptions ". Je n'en demande pas tant. Mais peut-être le Midi vous fera-t-il du bien. Je ne sais pas pourquoi je me figure que si vous n'avez pas le mal de mer, comme vous avez des amis ayant des yachts admirables comme le Prince de Monaco et M. Edmond de Rothschild, cela vous ferait peut-être beaucoup de bien. J'ai été cet été cinq jours sur un petit yacht. Et je pensais déjà que cela vous ferait peut-être du bien parce qu'on prend l'air sans jamais sortir. Je vais malheureusement être obligé d'aller dans une sorte de sanatorium pour y passer trois ou quatre mois, mais je crois que je remettrai cela après ma fièvre des foins. Je pourrais donc vous voir avant. Si je savais des livres qui puissent vous amuser je vous les enverrais tout de suite, mais vous avez tout lu comme dans ces vers de Mallarmé :
La chair est triste hélas ! et j'ai tout lu !
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Je suis sûr que maintenant que vous allez vous désaltérer tous les jours un peu plus à la vraie santé qu'au fond vous ne connaissiez plus depuis longtemps, vous allez vouloir être une personne des plus robustes et vous n'en serez que plus heureuse, plus intelligente et plus belle ( qu'est-ce que cela sera !) Vous allez vous sentir comme une enfant de Maeterlinck avec des sensations d'une fraîcheur exquise pour toutes les choses naturelles et bonnes. Faites tout ce que les médecins vous diront mais ne prenez pas trop de remèdes. Presque tous sont toxiques et je vous assure que rien n'est dénourrissant comme de s'intoxiquer. Je crois aussi que vous feriez bien à moins qu'on ne vous le dise de ne plus trop " sabler l'eau de Vichy " comme vous disiez. Cela avait l'air admirable ces orgies hygiéniques. Au fond je ne sais pas si le champagne n'est pas encore moins malsain. Enfin on vous dira cela autour de vous. Je ne veux pas vous fatiguer à vous écrire trop longuement mais enfin si la vue des foules agenouillées est de v douce à vos yeux un peu indolents de convalescente je voudrais vous donner la sensation que ( ce n'est pas bien original puisque c'est comme tout le monde, mais peut-être encore plus vivement et plus spécialement ) je vous aime à un point qui me fait ressentir comme une torture votre mal et chanter moralement d'allégresse ( puisque je ne peux pas ouvrir la bouche ) de votre guérison.
Votre très respectueux
Marcel Proust
Remerciez bien vivement Monsieur Straus qui a été le correspondant le plus patient et le plus actif, et le plus charmant.
* lolo1955gravoline.blogspot.com
( Lettres in Collection Kolb )
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