mardi 13 février 2018

Dans la neige Stefan Zweig ( nouvelle Autriche )



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                                                            Dans la neige

            Une petite ville allemande du Moyen-Âge, tout près de la frontière polonaise, avec la lourdeur carrée propre aux bâtiments du XIVè siècle. L'image colorée et animée qu'offre habituellement la ville a laissé place à une impression unique, une blancheur aveuglante, étincelante qui domine les larges murailles d'enceinte et pèse sur les sommets des tours que la nuit vient d'envelopper d'un pâle voile de brume.
            L'obscurité s'étend rapidement. L'agitation sonore et désordonnée de la rue, l'activité de la foule laborieuse s'assourdit jusqu'à se transformer en un bruit diffus qui semble venir de très loin et que seul interrompt, à intervalles réguliers, le chant monotone des cloches vespérales. La journée de travail s'achève pour les artisans fatigués qui aspirent au repos, les lumières se font de plus en plus rares, de plus en plus clairsemées, pour finir par disparaître entièrement. La ville, tel un seul être puissant, est profondément endormie.
            Tout son s'est évanoui, même la voix tremblante du vent sur la lande s'est éteinte en une douce berceuse ; on entend le léger chuchotement des flocons de neige qui s'écrasent au terme de leur course.
            Soudain on perçoit un faible bruit. On dirait les pas lointains et pressés d'un cheval qui s'approche. Étonné, l'homme de garde ivre de sommeil se met à la fenêtre, à l'écoute de ce qui se passe au-dehors. Effectivement un cavalier se dirige au grand galop vers la porte, et une minute plus tard une voix rauque, éraillée par le froid, réclame le droit d'entrer. Le portail s'ouvre, un homme s'introduit tenant à ses côtés un cheval en nage qu'il remet aussitôt au portier dont il apaise rapidement les réticences à l'aide de quelques paroles et d'une assez grosse somme d'argent, puis, d'une démarche rapide et assurée, montrant ainsi qu'il connaît parfaitement les lieux, il dépasse la place du marché déserte, d'une blancheur scintillante et, par des ruelles silencieuses et des chemins enneigés, il prend la direction de la partie opposée de petite ville.
            Il y a là quelques maisons exiguës, serrées les unes contre les autres, comme si chacune avait besoin d'être étayées par ses voisines. Toutes sont austères, modestes, penchées et noircies de fumée et elles baignent toutes dans le silence immémorial du secret des ruelles. On a l'impression que jamais elles n'ont connu la gaieté de ces fêtes où le plaisir s'exprime dans l'exubérance, que jamais des transports de joie n'ont fait vibrer ces fenêtres rendues aveugles et cachées, que jamais un brillant rayon de soleil n'a reflété l'éclat de son or dans les vitres. A l'écart, pareilles à des enfants effarouchés qui ont peur des autres, elles se blottissent ensemble dans la concentration du ghetto.
            L'étranger s'arrête devant une de ces maisons, celle qui est la plus grande et qui a relativement la plus belle apparence. Elle appartient à l'homme le plus riche de la petite communauté et sert en même temps de synagogue.                                                                                    
            A travers les fentes des rideaux tirés passe une vive lueur et de la chambre éclairée parviennent des voix en train de chanter un cantique. C'est la fête de Hanouka qui est célébrée dans la paix, la fête de l'allégresse et de la victoire des Maccabées, un jour qui rappelle à ce peuple, expulsé et asservi par le destin,  la plénitude de sa force d'autrefois, un des rares jours de joie que la Loi et la vie lui ont accordés. Mais ces chants ont un accent de mélancolie et de nostalgie, et l'éclat métallique des voix est rouillé par les millions de larmes versées. Le cantique semblable à une complainte désespérée, résonne dans la ruelle déserte, puis s'éteint.
Mutnovsky Tunnel 03            L'étranger reste quelque temps immobile devant la maison, perdu dans ses pensées et dans ses rêves, sa gorge se remplit de lourdes larmes qui jaillissent et de sanglots, et involontairement elle se met à chanter les antiques mélodies sacrées qui montent de son coeur. Son âme est empreinte d'un profond recueillement.
           Puis il se ressaisit. D'un pas hésitant il se dirige vers le portail fermé et abat avec vigueur le marteau sur la porte qui vibre sourdement. Cette vibration se propage dans le bâtiment tout entier.
           Comme sous l'effet d'un signal convenu, le chant s'éteint instantanément en haut. Tous ont pâli et se regardent d'un air effaré. D'un seul coup l'atmosphère de fête s'est dissipée. Engloutis les rêves de la force victorieuse d'un Judas Maccabée aux côtés duquel chacun se tenait en esprit, plein d'enthousiasme, disparu le radieux royaume des juifs qu'ils avaient devant les yeux. Ils sont devenus les pauvres juifs frissonnants et impuissants. La réalité est de nouveau là.                                                          
            Silence de mort. Le livre de prières est tombé des mains tremblantes de l'officiant, personne ne peut empêcher ses lèvres blêmes de frémir. Une angoisse horrible a pris possession de la pièce et enserre toutes les gorges d'une poigne de fer.                                                                    
            Ils en connaissent bien la raison.                                                          
            Un mot terrible était parvenu jusqu'à eux, un mot nouveau, jamais entendu, dont leur propre peuple devait éprouver la signification sanglante. Les flagellants avaient fait leur apparition en Allemagne, ces sauvages fanatiques qui se lacéraient le corps à coups de fouet dans des déchaînements de joie et d'extase, ces hordes d'ivrognes et de fous furieux qui avaient massacré et torturé des milliers de juifs et voulaient leur arracher par la force  leur palladium le plus sacré : l'antique foi de leurs ancêtres. Et c'était là leur plus grande peur. L'expulsion, les coups, le vol, l'esclavage, ils avaient tout accepté avec une patience aveugle et fataliste.  Chacun d'entre eux avait vécu tard dans la nuit des agressions accompagnées de pillage et d'incendie et un frisson parcourait toujours leurs membres au souvenir de ces temps-là.
            Et la rumeur avait couru il y a quelques jours seulement qu'une bande se dirigeait également vers cette région qui jusque là ne connaissait les flagellants que de nom et qu'elle ne devait plus être loin.. Peut-être étaient-ils déjà ici ?
            Un frayeur terrible qui retient les battements de leur coeur s'est emparée de tous. Ils revoient les hordes sanguinaires aux visages avinés se ruant farouchement dans leurs maisons, des torches flamboyantes à la main, l'appel au secours étouffé de leurs femmes, contraintes d'assouvir le désir brutal des assassins, résonne déjà à leurs oreilles, ils devinent déjà l'éclat des armes. Tout cela est pareil à un rêve, aussi précis, aussi vivant.
            L'étranger lève la tête écoute et, comme personne ne lui ouvre, il recommence à frapper. Le grondement sourd vibre à nouveau à travers la maison bouleversée et muette.
            Entre-temps le maître des lieux, l'officiant, auquel sa blanche barbe ondoyante et son grand âge donnent l'aspect d'un patriarche, s'est un peu ressaisi. D'une voix très basse il murmure :
            - A la grâce de Dieu !
            Il se penche alors vers sa petite fille, une belle enfant, qui fait penser à un chevreuil effrayé se retournant vers celui qui le poursuit avec de grands yeux suppliants :
            - Léa va voir qui est dehors !
            Tous les regards se tournent et se concentrent sur le visage de la jeune fille qui se dirige d'un pas timide vers la fenêtre, elle écarte le rideau de ses doigts pâles et tremblants. Puis un cri jaillit du plus profond de son âme :
            - Dieu soit loué, c'est un homme seul.
            - Loué soit Dieu ! répète-t-on de tous côtés en un soupir de soulagement.
            A présent les personnages figés sur qui pesait ce terrible cauchemar s'animent de nouveau. Des groupes épars se forment, les uns prient en silence, d'autres commentent, pleins de crainte et d'incertitude, l'arrivée inopinée de l'étranger à qui l'on ouvre maintenant la porte.
            Toute la pièce est remplie de l'odeur lourde et oppressante des bûches et de la présence d'une assemblée si nombreuse réunie autour de la table de cérémonie richement garnie sur laquelle est posé l'emblème et le symbole de cette sainte soirée, le chandelier à sept branches. Ses bougies brûlent d'un faible éclat dans cette atmosphère quelque peu enfumée. Les femmes portent de somptueux vêtements ornés de bijoux, les hommes ont mis de larges habits avec des châles de prière blancs. A travers la pièce étroite souffle une profonde solennité.
            On entend déjà les pas pressés de l'étranger qui monte, et voici qu'il fait son entrée. *
Image associée Une bourrasque d'une force effroyable pénètre avec lui par la porte ouverte dans la chaleur de la maison. Un air glacial mêlé de neige s'engouffre et fait frissonner toute l'assistance. Le vent coulis éteint les bougies vacillantes du chandelier, mais une dernière continue de tressaillir, comme sur le point de mourir. La chambre baigne soudain dans une lueur crépusculaire pesante désagréable. On dirait que tout à coup une nuit froide cherche à descendre le long des murs. Instantanément le bien-être et la paix se sont envolés. Chacun a conscience du mauvais présage lié à l'extinction des bougies sacrées et la superstition les fait à nouveau frémir. Mais personne n'ose prononcer un seul mot.
            A la porte se tient un homme de haute taille, à la barbe noire, qui paraît n'avoir guère plus de trente ans. Il se débarrasse à la hâte des tissus et des couvertures dans lesquels il s'était emmitouflé.
            A l'instant où ses traits deviennent visibles à la clarté incertaine de l'unique bougie dont la flamme tremble, Léa se précipite sur lui et le prend dans ses bras. C'est Josué, son fiancé, de la ville voisine.
            Les autres se pressent aussi vivement autour de lui et le saluent joyeusement. Mais bientôt ils se taisent, car il repousse sa fiancée, la mine triste et sévère. La connaissance de faits graves et inquiétants a creusé de larges sillons sur son front. Tous les regards craintifs pèsent sur lui qui incapable de maîtriser ses propos face au raz de marée de ses sentiments. Il saisit les mains les plus proches, et dans un souffle arrache le pénible secret de ses lèvres :
            - Les flagellants sont là...
            Les regards interrogateurs se figent et il sent s'arrêter soudain le pouls des mains serrées dans les siennes. Pris de tremblements l'officiant se retient à la lourde table, si bien que le cristal des verres se met à chanter doucement et à vibrer. La peur enserre à nouveau ces coeurs abattus et arrache l'ultime goutte de sang de ces visages effrayés fixés sur le messager.
            L'unique bougie vacille une dernière fois et s'éteint. La lampe suspendue continue seule d'éclairer faiblement ces êtres effarés et anéantis, frappés comme par la foudre par les paroles du jeune homme.
            - Dieu l'a voulu ! murmure sourdement une voix pleine de résignation, de fatalisme. Mais les autres sont incapables de réagir.
            Cependant l'étranger continue à parler avec véhémence, par bribes, comme s'il ne voulait pas lui-même entendre ce qu'il dit.
            - Ils arrivent. Nombreux. Des centaines. Et avec beaucoup d'autres. Le sang coule dans leurs mains, ils ont tué des milliers de gens, tous des nôtres, à l'est. Ils sont déjà passés dans ma ville.
            Il est interrompu par le cri terrible que pousse une femme dont les torrents de larmes ne peuvent atténuer la violence. Celle-ci, encore jeune, mariée depuis peu, se précipite sur lui.
           - Ils sont là ? Et mes parents ? Mes frères, mes soeurs, leur est-il arrivé malheur ?
           Il se penche sur elle et, la gorge nouée par les sanglots il prononce doucement ces mots qui sonnent comme une consolation :
           - Ils ne connaîtront plus la souffrance humaine.
           Le silence règne à nouveau, un silence absolu. Le spectre effroyable  de la peur de la mort se dresse parmi eux et les fait trembler. Il n'est pas un seul d'entre eux qui n'ait eu dans la ville là-bas un cher disparu.
           Des larmes coulent dans la barbe argentée de l'officiant et, de sa voix frêle qui ne veut pas lui obéir, il entonne alors avec des mots hésitants l'antique et solennelle prière des morts. Tous psalmodient avec lui. Ils ne savent pas eux-mêmes qu'ils chantent, ils ne savent rien du texte et de la mélodie qu'ils répètent machinalement, chacun ne pense qu'aux êtres qui lui sont chers. Le chant prend de plus en plus d'ampleur, la respiration devient de plus en plus profonde, le refoulement des sentiments qui jaillissent de plus en plus pénible, les paroles de plus en plus confuses et finalement tous fondent en larmes dans la violence et le désarroi de leur douleur. Une souffrance infinie, pour laquelle il n'existe plus de nom, les a fraternellement étreints.
            Silence de mort. De temps en temps seulement un profond sanglot impossible à étouffer. Et de nouveau le timbre grave et engourdissant du jeune homme.
            - Ils reposent tous auprès de Dieu. Pas un ne leur a échappé. Moi seul ai pu me sauver par la volonté de Dieu.
            - Loué soit son nom, murmure toute l'assistance dans un élan de piété instinctive. Ces mots résonnent comme une formule rebattue dans la bouche de ces êtres brisés et tremblants.
Nenets children getting on a reindeer sledge in the tundra 100km to the north of Yar-Sale, Yamal Peninsula, Arctic Siberia   **       - Je suis revenu tard dans la ville revenant de voyage, le ghetto était déjà rempli de pillards. On ne m'a pas reconnu, j'aurais pu fuir, mais quelque chose m'a poussé malgré moi à prendre ma place auprès de mon peuple, parmi ceux qui tombaient sous les coups. Soudain un cavalier se dirige vers moi, cherche à me frapper, me manque et vacille sur sa selle. Et brusquement le désir de vivre, la passion s'emparent de moi et me donnent force et courage, je le jette à bas de son cheval et m'éloigne au grand galop sur sa monture dans l'obscurité de la nuit pour venir vers vous. J'ai chevauché un jour et une nuit.
            Il s'arrête un instant, puis d'une voix plus assurée il dit :
            - Assez parlé de cela à présent ! Avant tout que faire ?
            La réponse fuse de tous côtés:
            - Fuir. Nous devons fuir. En Pologne !
            C'est la seule ressource que tous connaissent, l'arme du faible contre le fort, vieille comme le monde, honteuse et pourtant irremplaçable. Personne ne songe à résister. Un juif, lutter ou se défendre ? C'est à leurs yeux quelque chose de ridicule, d'impensable. Ils ne vivent plus à l'époque des Maccabées, les jours de l'esclavage en Egypte sont revenus, qui ont marqué ce peuple du sceau éternel de la faiblesse et de la servitude. Le flot des ans, des siècles, n'a pu l'effacer.
            Il faut donc fuir !
            Quelqu'un avait avancé timidement l'idée qu'on pouvait demander la protection des bourgeois, un sourire méprisant fut la réponse. Le destin de ces êtres asservis avait toujours reposé sur eux-mêmes et sur leur Dieu. Ils n'avaient plus aucune confiance en un tiers.
            On débattit alors des détails. Tous ces hommes qui n'avaient jamais eu d'autre aspiration que d'amasser de l'argent s'accordèrent pour ne reculer devant aucun sacrifice afin d'accélérer leur fuite. Tous leurs biens seraient échangés contre des espèces fût-ce aux conditions les plus désavantageuses, on se procurerait chariots, attelages et le strict nécessaire pour se protéger du froid. D'un seul coup la crainte de la mort avait aboli le particularisme du ghetto de la même façon qu'elle avait fondu le caractère de chacun en une volonté unique. Dans tous ces visages blêmes, épuisés, un seul objectif anime les pensées.
            Et lorsque le matin alluma ses feux tout était déjà discuté et résolu. Avec la mobilité de leur peuple qui avait parcouru le monde, ils s'adaptèrent à leur pénible situation de bannis et une nouvelle prière clôtura leurs dernières dispositions.
            Chacun prit sa part de l'ouvrage, et plus d'un soupir mourut dans le chant léger des flocons de neige qui s'étaient amoncelés en congères le long des rues étincelantes.
            La grande porte de la ville retomba en grondant derrière le dernier chariot des fugitifs.
            Dans le ciel la lune ne brillait que faiblement mais son éclat argentait les myriades de flocons qui dansaient un ballet exubérant, se cachaient dans les vêtements, papillonnaient autour des naseaux des chevaux et crissaient sur les routes qui avaient le plus grand mal à se frayer un chemin à travers l'épaisse couche de neige.
            A l'intérieur des voitures on parlait à voix basse. Les femmes échangeaient, avec des paroles mélancoliques, légèrement chantantes, les souvenirs de leur ville natale qui, dans sa grandeur solide, consciente de sa force, était encore pratiquement devant leurs yeux. De claires voix d'enfants curieux posaient de multiples questions, puis se calmaient et se raréfiaient de plus en plus pour se transformer en un souffle régulier. Tout ceci formait une mélodie qui s'estompait doucement sous le timbre sonore des hommes qui discutaient, soucieux de leur sort et murmuraient des prières. Tous étaient intimement soudés par la conscience de leur solidarité et par l'instinct de la peur du froid qui soufflait son haleine glacée à travers tous les trous et les brèches et qui engourdissait les doigts des conducteurs.
              Le premier chariot s'immobilisa. Aussitôt la colonne entière en fit autant. De toutes les bâches sortirent de pâles visages qui cherchaient à connaître la cause de cet arrêt. Le doyen descendit du chariot de tête et tous suivirent son exemple car ils avaient découvert la raison de cette halte.
             Ils n'étaient pas encore loin de la ville. A travers le ruissellement des flocons on pouvait reconnaître de façon indistincte la tour qui se dresse telle une main menaçante dans la vaste plaine et du sommet de laquelle émane une lueur pareille à celle d'une pierre précieuse sur des doigts couverts de bagues.
            Tout était lisse et blanc ainsi que la surface gelée d'un lac. Il n'y avait qu'un espace délimité où l'on voyait ça et là de petits monticules de hauteur égale sous lesquels, ils le savaient, ceux qu'ils aimaient reposaient dans le calme de l'éternité, rejetés de partout, solitaires, comme tout leur peuple, loin de leur patrie.                                                                                                                      
            Profond silence que seuls interrompent de faibles sanglots. Et des larmes brûlantes coulent sur les visages figés, accoutumés à la souffrance et se transforment dans la neige en gouttes de glace étincelante.
            A la vue de cette intense et muette tranquillité toute crainte de la mort se dissipe, est oubliée. Et tous sont soudain envahi par le désir infini, sauvage, à en pleurer, de ce calme et de ce repos éternel dans " le lieu de paix ", en compagnie de ceux qui leur sont chers. Sous cette couverture blanche dorment tant de moments de leur enfance, tant de souvenirs heureux, un bonheur si immense qu'ils ne retrouveront plus jamais
            C'est ce que chacun ressent et la nostalgie du " lieu de paix " les saisit tous.           pinterest.fr
10 x 20 impression de peinture originale - Snow White le jour des morts - par Lizzy Falcon.            Pourtant le temps les oblige à repartir. Ils se glissent à nouveau dans les voitures, étroitement serrés les uns contre les autres car, si à l'air libre ils n'avaient pas éprouvé la morsure du froid, des frissons glacés parcourent leurs corps maintenant, ils tremblent de tous leurs membres, claquent des dents. Et dans l'obscurité du chariot les regards se croisent, pleins d'une indicible angoisse et d'une souffrance extrême. Mais ils refont sans trêve en pensée le chemin que les larges sillons des attelages ont imprimé dans la neige pour revenir au lieu de leur désir : " le lieu de paix ".
            Il est minuit passé. Les voitures sont déjà bien loin de la ville, au milieu de la vaste plaine que la lune inonde de lumière et qui est enveloppée par les reflets scintillants de la neige comme par de blancs voiles flottants. Les robustes chevaux avancent avec peine, d'un pas lourd à travers l'épaisse couche de neige qui s'attache obstinément aux roues, avec lenteur, presque insensiblement les attelages progressent en cahotant, on dirait qu'à tout moment ils vont s'immobiliser.
            Le froid est devenu effroyable et, ainsi que des couteaux glacés, il transperce les membres qui ont déjà perdu beaucoup de leur mobilité. Peu à peu une bourrasque s'est levée qui chante une mélodie sauvage et résonne le long des chariots. Telles des mains avides tendues en direction des victimes, elle s'en prend aux bâches qu'elle secoue sans relâche et que les doigts gourds ne parviennent plus à fixer qu'à grand-peine.
            La tempête hurle de plus en plus et dans son chant viennent se perdre les voix des hommes en train de murmurer des prières et dont les lèvres gelées ne peuvent plus former les mots qu'avec effort. Les sanglots des femmes désemparées inquiètes pour l'avenir et les pleurs obstinés des enfants que le froid a arrachés à l'étreinte de la fatigue expirent sous les sifflements aigus de la bourrasque.
            Les roues avancent en gémissant à travers la neige.                                               
            Dans la dernière voiture Léa se blottit contre son fiancé qui lui parle du grand chagrin d'une voix triste et monotone. Et il enlace le corps mince de la jeune fille de son bras engourdi, comme s'il voulait la protéger des attaques du froid et de tout mal. Elle le regarde les yeux pleins de reconnaissance et dans ce tohu-bohu de plaintes et de tourmentes s'écoulent quelques mots tendres et mélancoliques qui leur font oublier la mort et le péril.
            Soudain une secousse brutale les fait tous vaciller. Puis les voitures s'arrêtent.
            A travers les mugissements de la tempête on perçoit de façon indistincte, venant des premiers attelages, des cris, des claquements de fouets et un murmure ininterrompu de voix agitées. On sort des voitures, on se précipite en avant à travers le froid coupant. Un cheval est tombé et a entraîné le second dans sa chute. Autour des bêtes les hommes veulent aider mais en sont incapables, car le vent les déséquilibre comme de fragiles marionnettes, les flocons de neige les aveuglent et leurs mains sont raidies, sans force, leurs doigts semblent des morceaux de bois. Au loin aucun secours possible, seule la plaine, fière de son immensité, se perd sans horizon dans la pénombre enneigée et la tempête indifférente qui engloutit leurs cris.
            Ils reprennent alors pleinement conscience de leur triste situation. Sous une forme nouvelle, effroyable, la mort cherche à s'emparer de ceux qui sont réunis sans défense, dans leur impuissance face aux force de la nature qu'ils ne peuvent ni combattre ni vaincre, face à l'arme fatale que représente le froid.
            La tempête claironne continuellement à leurs oreilles ces mots
            - C'est ici que tu dois mourir... mourir.
            Et la mort se transforme chez eux en une résignation et un fatalisme désespérés.
            Personne ne l'a dit à voix haute, tous ont eu simultanément la même pensée. Autant que le permettent leurs membres engourdis ils remontent gauchement dans leurs voitures, étroitement serrés, pour mourir.Ils n'espèrent plus aucune aide.
Résultat de recherche d'images pour "morts dans la neige"  ***     Ils se blottissent l'un contre l'autre, chacun contre ceux qui lui sont le plus cher pour être ensemble dans le trépas. Dehors la tempête, leur compagne de chaque instant, chante un air funèbre et les flocons de neige construisent autour des chariots un grand cercueil lumineux.
           La fin approche lentement. Le froid glacial et mordant pénètre de tous côtés, par tous les pores, ainsi qu'un poison s'empare doucement des membres, l'un après l'autre, sûr de son succès.
            Les minutes s'écoulent avec lenteur, comme si elles voulaient donner à la mort le temps d'accomplir sa grande oeuvre de délivrance.
            De longues heures pesantes et chacune d'elles emportent des âmes abattues vers l'éternité.
            La tempête chante joyeuse et se rit avec sauvagerie de ce drame de la vie quotidienne. Tandis que la lune répand négligemment sa lumière argentée sur la vie et sur la mort.
            Un calme profond règne dans la dernière voiture. Quelques-uns sont déjà trépassés, d'autres subissent l'emprise hallucinatoire qui embellit la fin de ceux qui périssent par le froid. Mais ils sont tous silencieux, inertes, les pensées seules jaillissent, en désordre, pareilles à des éclairs brûlants.
            De ses mains glacées Josué serre sa fiancée contre lui. Déjà elle n'est plus, mais il ne le sait pas. Il rêve, ils sont assis tous deux dans la chambre chaude et odorante, le chandelier d'or flambe de ses sept bougies, et ils sont tous ensemble à nouveau, comme jadis. La joie de la fête se reflète sur les visages souriants des assistants qui échangent des propos amènes et qui prient. Et voilà que des êtres disparus depuis longtemps, ses parents défunts eux-mêmes entrent par la grande porte, mais cela ne le surprend pas. Ils s'embrassent tendrement et prononcent des paroles familières. Et ils sont de plus en plus nombreux à s'approcher, des juifs vêtus de costumes et d'habits de cérémonie anciens et fanés, puis viennent les héros, Judas Maccabée et tous les autres. Ils prennent place auprès d'eux, ils parlent, ils sont gais. Et ils s'approchent toujours en plus grand nombre. La pièce est remplie de monde. Les yeux de Josué sont fatigués par le va-et-vient de ceux qui se déplacent de plus en plus rapidement et courent dans tous les sens. Tout ce bruit chaotique fait bourdonner ses oreilles. Le sang bat dans ses artères, il gronde, il bout, plus fort, toujours plus fort.
            Et soudain, tout est calme, tout est fini.
            Le soleil s'est à présent levé et les flocons de neige tombent toujours abondamment, scintillent comme des diamants. La  haute colline que la neige a dressée pendant la nuit dans la plaine, resplendit comme recouverte de pierres précieuses.
            C'est un soleil joyeux et puissant, presque un soleil printanier, qui tout à coup brille. Et en vérité le printemps n'est plus loin. Bientôt il fera bourgeonner et verdir la nature et enlèvera le blanc linceul sur la tombe des pauvres juifs égarés et morts de froid qui, de leur vie, n'avaient jamais connu les beaux jours.


*         fotki.yandex.ru
**           offtheunbeatentrack.com
***        europe1.fr

                                                                                                Stefan Zweig ( 1881/1942 )
                                                                             
                                                                                  Dans la neige 1è éd 1901
            ( post O3/08/14 à 04.51 )

dimanche 11 février 2018

Reginald et les invitations Saki ( Nouvelle ) Grande-Bretagne


surfinmururoha.wordpress.com



                                          Reginald et les invitations

            L'ennui c'est qu'on ne connaît jamais vraiment son hôte et son hôtesse. On finira par bien connaître leurs fox-terriers et leurs chrysanthèmes, on saura le genre d'histoire qu'on peut leur raconter au salon ou qu'il vaut mieux dire en aparté de peur de choquer l'opinion publique. Mais nos hôtes resteront toujours pour nous une sorte sous-bois ombré qu'on n'a jamais vraiment le temps d'explorer.
            J'ai séjourné quelquefois chez quelqu'un dans le Warwickshire qui cultivait ses terres et, à part ça, ne faisait pas de vagues. On ne lui aurait même pas supposé une âme, c'est peu dire. Or, quelque temps après, voilà qu'il enlevait la veuve d'un dompteur de lions et qu'il s'installait comme professeur de golf quelque part le long du golfe persique. Ce qui était parfaitement immoral, je vous l'accorde, car c'était un joueur des plus médiocres, ce qui dénote tout de même un certain culot. Sa femme fut bien à plaindre, car il était la seule personne à venir à bout de la cuisinière, aussi fait-elle toujours désormais suivre ses invitations à dîner  de l'expression " Deo volente ". Et même si Dieu ne le veut pas toujours, il vaut mieux perdre un mari qu'une cuisinière, car une maîtresse de maison qui perd une cuisinière ne retrouve jamais tout à fait sa position dans le monde.      premiere.fr
Image associée            Je suppose qu'il en est de même pour les hôtes. Ils ont rarement l'occasion de bien connaître leurs invités et souvent, quand ils commencent à mieux faire connaissance, ils semblent devoir renoncer tout à coup. C'est un phénomène très étrange, mais que j'ai, à plusieurs occasions, pu vérifier. Lorsque j'ai quitté ces gens dans le Dorsetshire il soufflait une petite bise glaciale. Voyez-vous il m'avait invité à une partie de chasse, et j'avoue ne pas être un très bon chasseur. Rien n'est plus monotone, à mon avis, que la chasse à la perdrix. Quand vous en manquez une, vous les manquez toutes. Telle est du moins mon expérience. Et, après la chasse, comme nous étions au fumoir, ils se sont moqués de moi sous prétexte que j'en avais manqué une à dix mètres. On aurait dit un troupeau de boeufs qui cherchait à taquiner un taon. En somme, c'était assez grotesque et assez pitoyable. Aussi, le lendemain je me suis levé à l'aube parce que l'on entendait le pépiement des alouettes dans le ciel et que l'herbe était toute imprégnée de rosée, et je me suis mis en quête de ce qu'il pouvait y avoir de plus voyant en matière d'oiseau. Puis, mesurant la distance qui m'en séparait, dans la mesure du possible, j'ai fait feu de toutes mes forces. Ils ont bien sûr prétendu après coup qu'il s'agissait d'un oiseau domestique, ce qui est ridicule, car il a eu l'air très effrayé après les premiers coups de feu. Puis il s'est un peu calmé et quand il eut cessé de dire adieu au paysage à force de battements d'ailes, j'ai dit au petit aide-jardinier de le traîner dans le vestibule afin que tout le monde pût le voir en se rendant dans la salle à manger. Quant à moi, je me suis fait servir dans ma chambre. Je me suis laissé dire par la suite que ce repas avait été empreint d'un esprit fort peu chrétien. Je suppose qu'introduire un paon dans une maison doit porter malheur. En tout cas, lorsque je pris congé de mon hôtesse, j'ai immédiatement vu dans son oeil qu'elle m'avait définitivement rayé de son carnet d'adresses.
Résultat de recherche d'images pour "caricatures angleterre 1900" *           On trouve, bien sûr, des hôtesses prêtes à tout vous pardonner, même vos instincts pavonicides ( si un tel mot existe ), pour peu que vous soyez suffisamment joli garçon et suffisamment insolite pour trancher avec le reste de la compagnie, et il y en a d'autres, comme la jeune fille qui lit Meredith, et qui apparaît aux heures des repas avec une ponctualité inhabituelle dans une robe qu'elle a faite elle-même et dont elle n'a pas fini de se repentir. Elle finira pourtant par se dénicher un mari aux Indes et reviendra admirer les toiles de la Royal Academy en pensant qu'un plat de crevettes au curry constitue le minimum d'un déjeuner digne de ce nom. C'est alors qu'elle peut réellement devenir dangereuse, mais elle ne sera jamais pire que celle qui s'amuse à vous bombarder de questions sans la moindre provocation de votre part.
            Ainsi, l'autre jour, alors que je tentais de réfléchir à ce que je disais pour ne pas débiter trop d'âneries ( encore que c'est souvent quand on parle sans réfléchir qu'on en dit le moins ), ne voilà-t-il pas que mon hôtesse commence à me demander combien de poulets peuvent entrer dans un poulailler de trois mètres sur deux, ou quelque chose d'aussi incongru. Des masses, lui ai-je répondu, surtout si vous fermez bien la porte, ce dont elle ne s'était jamais avisée, si j'en juge par le silence méditatif dans lequel elle s'absorba pendant le reste du dîner.                                       lecrayon.net
Image associée            Evidemment, on prend parfois des risques et l'on commet des erreurs qui peuvent s'avérer fructueuses à long terme. Prenons nos anciennes colonies d'Amérique, par exemple, Si nous ne les avions pas aussi sottement perdues, nous n'aurions jamais eu d'Américains pour venir nous enseigner comment nous habiller ou nous coiffer. Or, il faut bien que les idées viennent de quelque part, n'est-ce pas ? Même les voyous ont une patrie. J'ai, pour ma part, idée qu'ils ont été inventés en Chine il y a des siècles et des siècles, quand nous dormions encore. L'Angleterre doit se réveiller, comme l'a dit l'autre jour le duc du Devonshire. Ah, non ? C'était quelqu'un d'autre ? Non, non, je ne suis pas de ceux qui désespèrent de l'avenir. Il finit toujours bien par arriver. A quoi bon s'en préoccuper ? Et puis il a toujours des choses gentilles à dire sur le passé. Imaginez un peu nos petits s'avisant de me trouver sympathique. J'en ai froid dans le dos.
            Tenez, il y a des moments où l'on voudrait être Hérode.

*    /aroundthestory.com

                                                                                    Saki
         

mardi 6 février 2018

Il était une fois la comédie à l'italienne Enrico Giacovelli ( Document Italie )

                    
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                                      Il était une fois

                            La Comédie Italienne

            Une aventure qui dura une vingtaine d'années, se termina autour des années 80. Le cinéma italien avait bien avant déjà pris ses marques, mais les grandes comédies, celles qui mélangeaient humour et un peu de drame. Le panorama est si complet qu'on ne peut lors d'une première lecture qu'avoir survolé les textes et les très nombreuses photos. par exemple Toto, dont on aimerait revoir les films, Vittorio Gassman dans le Fanfaron, Gassman très présent dans les films de cette période Nous nous sommes tant aimés avec Nino Manfredi. Il y eut les films passés du néo-réalisme au réalisme rose. Voici Vittorio de Sica avec Gina Lollobrigida. Martine Carol elle aussi joua une femme solitaire perdue parce que refusant la société de consommation qui se développe alors. Arrive donc les années Boom Sandra Milo et François Périer dans Annonces matrimoniales en 1963. Marcello Mastroianni participe évidemment à la ronde des films à succès tel Fantômes à Rome.
Quand les jambes d'une femme captivent les yeux d'un homme, Valeria Fabrizi et Nino Taranto en
1962 dans Les faux jetons, nous sommes nous tout regard pour ce cinéma. Arrive le cinéma de Conjoncture, Annie Girardot dans un épisode de Ah ! les belles familles 1964 réalisé par Ugo Gregoretti.  Tous les films sont détaillés, expliqués, gestes, maquillage, rapports à la société de l'époque, à venir. Il y eut le cinéma des voyages, des années de plomb. Cinéma des vieux, cinéma des jeunes. Nombre de comédiens et metteurs en scène emblématiques, Anna Magnani joua tant au théâtre qu'au cinéma, Monica Vitti à l'affiche des meilleures productions, ainsi Ugo Tognazzi. Comencini, Ettore Scola, son film La terrasse clôt la période des comédies italiennes. Un index termine ce fort volume, beau livre sur papier glacé, où l'on retrouve les titres et les noms des comédiens et réalisateurs. Passionnant pour qui s'intéresse à l'histoire du cinéma ou amoureux de l'Italie.

dimanche 4 février 2018

Commandant en chef 1 Tom Clancy ( Roman USA)


    
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                                                     Commandant en chef

            Guerre de requins, guerre d'espions. Jack Ryan junior " analyste spécialisé dans l'analyse financière ", à ce titre il traque les points de blanchiment d'argent. A Rome en compagnie de son amie Ysabel, le jour ils visitent les galeries de tableaux car sur des renseignements de la CIA plusieurs d'entre elles participent à des opérations de transfert, "...... alimentant la kleptocratie à la tête du gouvernement russe...... ", le soir le couple mène une vie douce romaine. Mais les paparazzi, l'un d'eux, Salvatore, semble avoir reconnu Jack, fils du président des EtatsUnis. Plus de dolce vita, la couverture de Jack semble découverte, de plus une forte explosion dans un dépôt pétrolier, l'attaque d'un train transportant des soldats russes, tout cela dans les petits pays baltes, l'Estonie, la Lituanie, l'oblast de Kaliningrad démontrent la nervosité qui règne dans la région. Jack quitte Rome précipitamment pour le Luxembourg place financière, laissant Ysabel terminer le travail d'enquête à Rome. Par ailleurs à Moscou le président Vladimir Volodine ne montrera ses incertitudes qu'à un seul homme, Limonov, jeune gestionnaire financier, sans ambition politique, ce qui plaît à Volodine qui décide de lui confier son portefeuille évalué à ce moment à vingt et un milliards d'euros. car, dit-il, "...... j'ai entendu parler de ton réseau financier........ J'ai besoin que tu fasses quelque chose pour moi........ ce sera très lucratif....... Ceci sous le sceau du secret le plus absolu....... - Konetchko ( évidemment ) "  Limonov est un financier aguerri, il a travaillé pour entre autres Gazprom, il écoute avec étonnement le président "....... J'ai un certain nombre de biens personnels un peu partout dans le monde ainsi que quelques comptes bancaires....... " Ainsi parle l'un des hommes les plus riches du monde, fortune placée dans des sociétés et surtout dans des paradis fiscaux, et trop nombreux, des membres de son gouvernement, sont ceux qui savent où se trouve son argent. " Pour que personne ne puisse savoir où se trouve mon argent, tout un tas de gens doivent savoir où se trouve mon argent....... " Volodine pense qu'à l'ouest ses avoirs sont traqués. En Russie tout le monde craint le FSB, ex KGB. Pourtant le problème de Volodine "...... n'est pas les Américains, il est dans nos murs...... " Et les événements s'accélèrent à Vilnius, au Luxembourg, aux EtatsUnis, où la Défense a repéré un sous-marin très puissant à la limite des eaux internationales et alors que Jack Ryan sénior vole vers le Danemark pour une visite officielle. Très intéressant roman qui entre dans les méandres financiers des paradis fiscaux, Volodine acceptera de transformer toute sa fortune, un très court moment, en bitcoins, et le scénario est bien expliqué, semble parfait. Qui dans cette histoire se bat pour la liberté, les espions sont partout. Très bon roman.





Vie et Caractère du Doyen Swift ( Poème Irlande )

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                                          Vie et Caractère du Doyen Swift

            La Rochefoucauld, en sa sagesse
            Fit une maxime rosse, vraie et fine :
            Et s'il n'a pas parlé pour rire
            Les hommes sont vraiment de drôles de gens.
            Mais, avant tout autre commentaire,
            Citons donc la maxime elle-même.

            Il dit : " Chaque fois que le sort décide
             Le malheur de nos plus chers amis,
             Extérieurement, nous sommes tristes,
             Mais sous cape, nous rions souvent. "
            Et quand j'y songe, en cette minute,
            Je me dis qu'il y a du vrai là-dessous.
            Quand un compagnon glisse et tombe
            Tous et chacun éclatent de rire.

            Tom convoite une femme bien pourvue,
            Jeune personne de bien dix mille livres...
            Il ne pouvait vraiment pas faire mieux.
            Un rival vient -- et Tom est floué.                                                     pinterest.fr
Image associée            Voyez donc ses plus sûrs amis,
            Comme ils le tournent en dérision...
            Les langues se déchaînent, on vient dire :
            " Pauvre Tom, qu'est-ce qu'il a pris sur le nez ! "

            L'amitié des hommes n'est qu'un leurre ;
            Combien d'exemples ai-je sous la main !
            Chaque fois qu'un jeune lèche-bottes pleurniche :
            " Vous êtes un autre moi-même ", il ment...
            Pour une guinée perdue aux cartes
            Il a plus de peine, de rage et de soucis,
            Plus de chagrin sincère en son coeur
            Que si vous vous rompiez les membres.

            Dîtes-moi, cela vous ferait-il plaisir,
            Si votre ami est un égal,
            Qu'il prenne toujours le pas sur vous,
            Tâchant de passer aux yeux du monde
            Pour quelqu'un de très supérieur ?
            L'envie, je pense, prendrait vite le dessus
            Et votre affection ne durerait guère.
            Ce serait pour vous une gourmandise
            Qu'à la fin il se cassât le nez.

            Certes on parle beaucoup de l'amitié                                                commons.wikimedia.org
Image associée            Mais qui sait lui rester fidèle ?
            La vraie amitié veut deux coeurs
            Ayant même désir et même haine.
            Mon ami doit, quand je suis triste,
            Sentir une peine proche de la mienne.

            Or, l'expérience souvent nous montre
            Que nos amis ont autre chose en tête ;
            Et quand la goutte me martyrise
            Ça les fait rire de m'entendre hurler,
            Tout heureux d'être eux-mêmes ingambes,
            Supposons deux amis intimes
            Et tous deux aspirants poètes...
            L'un des deux aimerait-il apprendre
            Que l'autre a décroché la timbale ?
            Que son rival est sur le pavois
            Et lui-même est classé deuxième ?

            Vos amis, dîtes-vous, prennent chaque jour
            De vos nouvelles, quand vous êtes malade ;
            Ça vous fait belle jambe, hélas !
            Ils se moquent bien de vous ; - c'est pour la forme -
            Le soir de votre mort, ils ne laisseront pas
            D'aller voir jouer les marionnettes,
            Mais seront exacts aux condoléances
            Nantis de crêpes, d'écharpes et de gants.
            Pour mettre en relief ces vérités..
            Supposons qu'il s'agisse de moi-même :

            Le jour viendra où les gens diront :
              " L'avez-vous su ?... Le Doyen est mort.
              - Le Pauvre, il est parti si vite !...
              Il a craqué... et dans la fosse...
              - Qu'est-ce qu'il a laissé comme argent ?...
              - On a parlé de deux cent mille livres...
              - On dit qu'il avait du talent...
              - Mais il a écrit tant de sottises...
             - Il devait être très cultivé...
            - Ça ne m'a jamais frappé chez lui...
            Je sais qu'on se plaignait entre ses proches
            Qu'il fût léger pour un Doyen...
            C'était un honnête homme pour sûr...
            - Pardon, là nous ne sommes pas d'accord.
            Car si j'en crois un autre son de cloche,
            C'était un Tory enragé.
            - Nous savons pourtant de source sûre
              Qu'il était bien vu à la Cour.
            - Oui, on y était très bon pour lui,
            Plus qu'il ne méritait, je vous assure...
            Si l'on en croit ses familiers,
            Il était devenu d'un rasoir... "

            Il espérait gagner quelque chose,
            Quelque médaille pour son talent
            Mais là, il a bien été floué...                                                                   la-fontaine-ch-thierry.net
Résultat de recherche d'images pour "la rochefoucauld biographie"            - Je trouve que de toute vos sales blagues
              Il avait bien le droit de se plaindre...

            Allons-nous oublier le Drapier ?
            N'a-t-il pas fait beaucoup pour l'Irlande ?
            Les Lettres du Drapier sont de lui....
            Mais l'oeuvre était au-dessus de ses forces ;
            Nous avions cent talents plus aptes,
            Et n'avions nul besoin de sa plume...
            Dîtes ce que vous voulez de sa culture
            Mais ne venez pas défendre son ton...
            Il se déchaînait dans des satires,
            Et ne laissait personne tranquille...
            Attaquant selon son bon caprice
            Cour, ville, province, sans y regarder.
            Et n'était-ce que du gâchis que sa campagne
            Contre notre grand patriote Sir Robert
            Dont les avis à la Couronne
            Firent tant de fois le salut de la Nation ?
            Satires, libelles, pseudo-voyages,
            Sans respect pour sa propre soutane
            Dans laquelle il mord, comme une mite.

            Que les hommes s'en prennent à eux-mêmes
            S'il ne les peint pas meilleurs que les elfes :
            Quand on veut décontenancer le vice
            Il faut en rire, ou bien le flageller.
            - Mais s'il arrive que je trébuche,
              De quel droit empoigne-t-on le fouet ?

            Si ça vous froisse, à qui la faute ?
            Il ne connaît ni vous ni votre nom.
            Le vice est-il au-dessus du blâme
            Parce que l'homme qui l'a est un duc ?
            Le vice est une fouine. - Les chasseurs
            Disent que contre elle il n'y a pas de règles,
            Chacun l'extermine comme il veut.
                                                                                                                                     amazon.fr
Résultat de recherche d'images pour "la rochefoucauld biographie"            - Je n'aime guère les beaux esprits
              Qui écrivent pour soulager leur bile.
              Tel fut le Doyen... Sa seule idée
              Était de passer pour misanthrope ;
              Il y gagna la haine de tous ;
              S'il aimait ça - grand bien lui fasse :
              Quantité d'hommes furent ses ennemis
              Dix-neuf sur vingt, dans deux Royaumes
              Il brûlait, non de fouiller les crimes
              Mais de faire rager les gens de son temps -
              Lui eût-on offert assez tôt
              De s'élever ou de remplir ses coffres
              Il eût peut-être rampé aussi bien
             Que certains de ses frères en soutane.
            - Il n'eût pas donné son sang pour le parti...
              Je n'en dis pas plus... parce qu'il est mort...

            Mais qui peut lui reprocher en face
            Une seule bassesse devant le pouvoir ?
            Ses principes de la vieille école,
            Heurtent ceux qu'on professe maintenant.
            Il rejette le Pape et Calvin
            Comme deux ennemis aussi redoutables.
            L'Eglise, l'Etat ont plus souffert
            De Calvin que de la catin pourpre ;
            Zèle papiste et zèle des sectaires
            Font tous deux la ruine de l'Angleterre.
            Le Pape nous eût ravi la foi
            Mais sans détruire la monarchie ;
            Tandis que la vile tourbe des Sectaires
            Abattit l'Eglise et le monarque.
            Si de tels blâmes sont mérités,
            L'écoeurement du Doyen s'explique :
            Il voyait mignoter les sectes
            Et brimer les amis de l'Eglise ; 
            Les patrons de " la Bonne vieille Cause "
            Siéger au Sénat, faire la loi :
            Les préférences aller toujours
            A la plus malfaisante des hordes
            Et chacun pouvoir à sa guise
            Railler en chaire le Roi Martyr.   

            Triste, il voyait des foules de sectes
            Mieux traitées que l'Eglise de la Loi.
            Du noble nom de Protestant,
            Il jugeait indignes ces Tartuffes                                            mobilmusic.ru
Image associée            Dont la protestation cache un dard
            Mortel à l'Eglise et au Roi,
            Et se serait faite, pensait-il,
            Aussi bien athée que Socinienne...
            Un protestant c'est un grappin
            Qui attrape sceptiques et libres penseurs,
            Qui attrape chaume, paille et bois
            Qui attrape tout sauf ce qu'il doit.

            " Quelles oeuvres laisse-t-il derrière lui ?
               - Je crois qu'il y en a de deux sortes
                Certaines en vers mais plus en prose...
              - De pompeux pamphlets, je suppose...
                Tous pondus dans le pire des temps,
                Palliant les crimes de son cher Oxford
                Louant la Reine Anne, ou niant même
                Qu'elle eût soutenu le Prétendant...
                Des libelles, interdits depuis lors,
                Contre la Cour pour montrer sa rage...
               Peut-être ses Voyages, livre troisième ;
               Un mot sur deux y est un mensonge
               Offensant une oreille loyale...
               Mais pas de sermons, soyez tranquille. "

            - Monsieur il y a un autre son de cloche ;
               Et vos conjectures sont injustes.
               Son oeuvre était seulement de plaire
               Et ainsi de réformer les hommes.
               S'il a manqué souvent son but
               Ce sont eux qui en portent la faute
               A lui l'honneur, à eux le blâme.

            Puisque son fouet n'est plus à craindre
            Laissez dormir en paix ses cendres.


                 
                                                                   Jonathan Swift
                                                                                        1731
                                                                                ( in Oeuvres )