samedi 16 juin 2018

Sur les quais I et II extraits 5 Léon-Paul Fargue ( Nouvelles France )




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                                                        Sur les quais I et II
                                                                extraits in
                                                         Le piéton de Paris

                         Au temps où je dansais la gigue,
                        J'aurais pu faire un bel enfant.
                        Mais à présent, ça me fatigue,
                        Je ne suis plus qu'un ci-devant.

                       J'en ai marre de l'élégance,
                       Des romans d'analyse et des chansons d'amour.
                       Adieu, Messieurs ! Vive la France !
                       Moi, je remonte dans ma tour.

         Ne cherchez pas de qui sont ces vers, où triomphent l'insouciance et la rêverie. Ils sont exactement d'un illustre inconnu dans le plus noble sens du terme. J'ai vainement essayé de me faire présenter à ce poète, qui me paraît, à l'odeur de ses poèmes, passer la moitié de sa vie dehors. Il aime mieux garder l'anonymat. Tout ce que je sais, c'est que ce poète ignoré et peureux, est un homme des quais, un bouquiniste, célèbre parmi les collègues, mais si volontairement hostile à la gloire qu'il ne leur a jamais donné son nom.
            Ce que l'on ne saurait nier, c'est que les quais l'aient heureusement inspiré, car il est l'auteur de deux cents poèmes de ce genre désinvolte et charmant, deux cents poèmes qui se boivent facilement, comme le vin de Vouvray, le jaune, celui que l'on ne sert que sur place...
            Chef-d'oeuvre poétique de Paris, les quais ont enchanté la plupart des poètes, touristes,  photographes et flâneurs du monde. C'est un pays unique, tout en longueur, sorte de ruban courbe, de presqu'île imaginaire qui semble être sortie de l'imagination d'un être ravissant.
            Je connais tellement, pour l'avoir faite cent fois, la promenade qui berce le marcheur du quai du Point du Jour au quai des Carrières à Charenton, ou celle qui, tout jeune, me poussait du quai d'Ivry au quai d'Issy-les-Moulineaux, que j'ai l'impression d'avoir un sérieux tour du monde sous les talons. Ces seuls noms : Orsay, Mégisserie, Voltaire, Malaquais, Gesvres, aux Fleurs, Conti, Grands Augustins, Horloge, Ofèvres, Béthune et place Mazas me suffisent comme Histoire et Géographie.
            Avez-vous remarqué que l'on ne connaît pas mieux " ses " quais que ses sous-préfectures ? J'attends toujours un vrai Parisien sur ce point : " Où finit le Quai Malaquais, où commence le Quai de Conti ? Où se trouve le Quai de Gesvres ? D'après la réponse, je classe les gens. A ce petit jeu, on s'aperçoit qu'il n'y a pas beaucoup de vrais Parisiens, pas beaucoup de chauffeurs de taxi cultivés, encore moins d'agents de police précieux. Chacun se trompe sur la question des quais.
            Et pourtant, rien n'est plus de Paris qu'un quai de Seine, rien n'est plus à sa place, dans son décor.............
            De ce paysage, sur lequel ont poussé comme par goût les plus beaux hôtels, le Louvre des Valois, les monuments les plus étonnants, comme la Tour Eiffel, les plus suspects, comme la Chambre, les plus glorieux, comme l'Institut de France, c'est la partie centrale qui est à la fois la plus célèbre et la plus fréquentée, et ce sont certainement les quais de Conti et Malaquais qui arrivent ex-aequo en tête du concours.
            J'ai demandé à des pouilleux, à des sans-logis de la meilleure qualité pourquoi ils préféraient ces deux quais aux autres, surtout pour dormir sur les berges, mêlés aux odeurs de paille, d'absinthe et de chaussure que la Seine véhicule doucement :
            " - Parce que, me fut-il répondu, nous nous y trouvons plus à l'aise et comme chez nous. De plus, les rêves y sont plus distingués. "                                tripadvisor.se      
Image associée            Réflexion pleine d'intérêt, et qui me rappelle une anecdote. Il m'arrive très souvent de prendre un verre de vin blanc dans un petit caboulot des Halles que je ne trouve d'ailleurs qu'à tâtons la nuit. Je retrouve là des noctambules qui échangent quelques idées générales avant d'aller s'allonger sous un pont quelconque. Toutefois, je me mêle à leurs conversations. Nous nous serrons la main très noblement. Un jour, je fus présenté à une sorte de grand haillon animé, barbu, érudit et très digne, qui logeait précisément sous le Pont des Arts, et que l'on présentait ainsi : M. Hubert, de l'Académie française. Paris seul autorise ces raccourcis splendides.
            Les quais sont hantés par une double population. Je ne parle ni des touristes, ni des curieux, ni des voyageurs en transit, mais des êtres qui naissent, rêvent et meurent dans l'atmosphère séquane : ceux des berges et ceux des quais proprement dits, les couche-dehors et les bouquinistes, ceux d'en bas et ceux d'en haut. La population des berges s'étend d'Auteuil à Charenton, les jambes en l'ai, le visage caché sous le melon de la poubelle, le mégot à portée de la main, pour la première cigarette du matin, la meilleure. C'est encore sur les quais, c'est-à-dire un peu en-dessous de la surface parisienne, dans une patrie obscure et honteuse au sens que Shakespeare donnait à ces mots, que l'on peut faire connaissance avec les derniers petits métiers poétiques dont s'inspiraient naguère chansonniers, caricaturistes et poètes : le tondeur de chiens, le glaneur de charbon, le ramasseur de petits objets, tels que lames de rasoir usagées, fermetures de canettes de bière, boucles de ceinturon, épingles de sûreté, crochets à bottines et fragments de pipes en terre, le ramasseur que l'on voit longer les ruisseaux en baissant la tête, à la fin de la journée. Cour des Miracles dotée d'une plage, ce monde des berges, dont les dos se durcissent au contact des pavés, jouit d'un des plus grands bonheurs que connaisse notre époque : l'ignorance totale du journal quotidien. Certains, parfois, parcourent les journaux des Courses oubliés là, sans doute, par quelque suicidé, mais le journal des Courses fait un peu partie de la légende.
            M'étant hasardé une nuit parmi ces longs gaillards si bien portants, si hardiment barbus que je les compare volontiers aux hommes des cavernes, j'eus l'occasion d'entendre la voix même du rêve se manifester soudain par la bouche d'une de ces ombres. Après avoir enjambé quelques " chiens de fusil ", quelques thorax librement offerts, je m'installai, à mon tour, sur une borne, pour fumer une cigarette au fil de l'eau. Enormes et patients, de noirs chalands glissaient, pareils à des bêtes, sur le fleuve de crêpe. J'avais vaguement l'impression de déranger une secte. Je ne me trompais pas. Une voix s'éleva tout à coup derrière moi :
            " - Veux-tu fermer ta porte ! " me criait-on.
            J'avais visiblement affaire au Crocheteur Borgne de Voltaire...
           Tout autre est la population périphérique. Ce sont des savants. Je tiens les bouquinistes pour les êtres les plus délicieux que l'on puisse rencontrer, et, sans doute, participent-ils avec élégance et discrétion à ce renom d'intelligence dont se peut glorifier Paris.
            Le pays du livre d'occasion a ses frontières aussi. Il va du Quai d'Orsay au Jardin des Plantes sur la rive gauche....... au Châtelet, sur la rive droite. Les boîtes en sont, en principe, accordées par la ville aux mutilés de la guerre et aux pères d'une famille nombreuse, à raison de soixante-cinq francs par an, sur huit mètres de long. Quand un bouquiniste atteint l'âge respectable de soixante-dix ans ou qu'il tombe malade, il peut sous-louer son commerce à un remplaçant et se faire ainsi doubler jusqu'à sa mort. Mais il ne peut céder sa charge, comme ferait un agent de change. Une fois le dernier soupir poussé, la Ville intervient. La gent bouquiniste est la seule qui ne soit ni organisée ni syndiquée, qui ne donne aucun bal, aucun banquet annuel. Elle vit des rumeurs intellectuelles, de poussières d'idéal et d'indifférence. Elle eut pourtant un doyen, tout récemment, et
que l'on honorait sincèrement dans la profession, un doyen qui n'était autre que M. Dodeman, Charles Dodeman, auteur bien connu.......... temps où les marchands de livres étaient tenus de remporter chaque soir leurs boîtes chez eux.
            Mais, sur les quais comme partout, le vent de la modernité a soufflé en tempête. Il y a aujourd'hui des bouquinistes jeunes, actifs, très au courant des fluctuations des marchés. La raideur un peu professorale d'autrefois s'est perdue. L'été, quand il fait très chaud, les bouquinistes femmes n'hésitent pas à plonger dans la Seine..........
Image associée *         J'ai demandé à un marchand qui paraissait sérieux et renseigné si le commerce des livres à ciel ouvert était lucratif, et j'appris que la plupart des vieux bouquinistes arrivent assez facilement à posséder un peu de bien, une cinq-chevaux Citron, parfois même une maison. Et le plus surprenant est qu'aucun d'eux n'ait d'autre métier. Où trouverait-ils, d'ailleurs, le temps d'être chauffeurs ou détectives privés ? Un bouquiniste tenu de connaître son Histoire, ses textes, ses dates, ses éditeurs, aussi bien sinon mieux qu'un libraire, n'a pas trop de toute sa journée pour bien faire ce qu'il fait.
            Les quais aux livres sont divisés comme un catalogue. Il y a le parapet des livres classiques et celui des livres étrangers. Les boîtes sont assez bien fournies d'une façon générale, et il est devenu commun de se demander où se fournissent ces commerçants avisés.
            Selon une vieille habitude, le bouquiniste n'achète pas volontiers ce qu'on lui propose. Il aime mieux se rendre lui-même à l'Hôtel des Ventes, marchander à sa guise, se rendre à domicile chez des personnes " recommandées ", ou encore voyager en France, à Perpignan, au Puy, à Lille, où il est toujours sûr de faire bonne chasse. Pourtant son ravitaillement, si bien conçu, demeure assez mystérieux.
            " - N'est-ce pas, tout le secret est là ! " me disait l'un d'eux.
            Sur le plan littéraire pur, le quai joue le rôle d'un baromètre et remet les réputations en place. On aura beau lire et relire des courriers littéraires, examiner à la loupe les feuilletons de la critique, les tartines de publicité rédactionnelles, interwiever des mandarins ou des experts, il faudra toujours revenir auw quais pour obtenir une parcelle de la vérité. Car la question, comme pour le sucre ou le papier à cigarettes, demeure la même :
            " Qu'est-cee qui se vend, qu'est-ce qui ne se vend pas ? "
            Enigme que M. Robert Ganzo, bouquiniste sur les quais et libraire rue Mazarine, débrouille devant vous avec science et brio. Je n'ose énumérer les noms de mes confrères dont les bouquins ne trouvent pas acheteur, malgré le tapage,, les coups de sifflet du snobisme, ou l'influence des corps constitués. Je préfère annoncer à mes amis, Paul Valéry, Valéry Larbaud, Claudel, Gide,  entre autres, et, par-dessus les nuées et les ombres, au cher Proust, qu'ils se vendent admirablement...........
            Il faut avoir une santé de vieux chêne pour vendre des livres sur les quais, car il n'est pas un élément qui ne s'occupe de vous agacer : le vent, la chaleur, le gel, le bruit, le marchandage des clients, étant entendu qu'on n'achète jamais un livre sans marchander.
            C'est pourquoi j'admire la belle résistance et la belle nature des bouquinistes et, entre toutes, l'humeur divine du poète inconnu des quais qui trouve encore le moyen d'écrire des vers...

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            Les quais ont toujours été pour les Parisiens de bonne race un endroit de prédilection. Tout le long de la Seine, maintenue dans une atmosphère de haute distinction par le voisinage des bâtiments augustes qui la font royale, et pourtant bohémienne par la présence des bouquinistes, le passage des chalands et les brusques apparitions de sombres poètes au bord des boîtes, la flânerie s'est toujours sentie là chez elle. Lorsque j'étais jeune, et que les romans à bon compte m'intéressaient, nous nous donnions rendez-vous, quelques amis et moi, sur la margelle du quai Malaquais, pour regarder Anatole France, prince des chercheurs et vieil ami des marchands, Jules Lemaître, qui promenait son lorgnon, Faguet, qui n'achetait jamais rien, le jeune et magnifiquement olivâtre Barrès, qui méprisait la poussière mais adorait l'air léger de ce quartier, Albert Besnard, Rostand, qui ressemblait à un ténor de salons, Forain, Barthou, Bourget ou Capus, qu'encadraient des salonnardes charmantes, menteuses et trompeuses comme toutes les autres, et particulièrement cette marquise de Sauve, héroïne de Cruelle Enigme, qui faisait alors courir un frisson dans les départements français.
            Mais à côté de ces illustres personnages dont le profil se médaillait déjà dans l'histoire littéraire ou artistique de la nation, nous prenions souvent en filature de vieux Parisiens sans importance, tout pimpants de guêtres et de pantalons gris, le favori délicatement peigné, le tube impeccable, la canne sous le bras, une forte cravate voyante ou diaphane sous un col de belle proportions, la fleur à la boutonnière, un sourire installé sur des lèvres heureuses. Vieux messieurs rentés, soignés, gâtés, qui cheminaient voluptueusement le long des cartes du ciel, des timbres postes, des gravures pornographiques et des éditions originales, en attendant l'heure d'aller retrouver au Bois, dans quelque thé, dans quelque boudoir aussi, quelque petite femme généralement dressée par un dompteur ou par un montreur de puces.

            Ils le savaient bien, les bougres, qu'ils étaient trompés et surtrompés par de jeunes gaillards aux cuisses tendues et aux fines moustaches, mais ils avaient une sagesse solide et ne demandaient à l'amour que ce qu'il pouvait leur donner. Nombreux étaient ceux qui croyaient encore dérober des plaisirs à la jeunesse confiante et versatile. Ce type d'homme, immanquablement généreux, et spirituel, on le retrouve non pas seulement dans les pièces de l'époque, qu'elles soient de Tristan................ de Willy qui rima , à ce propos, des vers demeurés célèbres :

                         Deux grammairiens se disputaient pour Lise                 academie-francaise.fr                                
Résultat de recherche d'images pour "académie française"                         Mais un juge, plus preste, ou plus tendre, l'a prise
                         Et la loge en garni près de la gare de l'Est.
                                                   Morale
                         Grammatici certant, sub judice Lise est.

            Gracieuse époque. Les quais traduisaient pour nous, qui n'avions encore droit aux salons, aux cabinets particuliers, aux " boudoirs confidentiels ", cette sorte d'animation heureuse qui tremblotait dans Paris, et Paris se réduisait alors pour nous à une synthèse où nous voyions une jolie femme, une jolie femme..... un trottin, un vieux général, une bouquetière....... La rue de Paris n'était pas autre chose. Sur les quais, aux abords de l'Académie, c'était une rumeur de jupes et de murmures qui donnait à l'avenir un goût violent et nous faisait grogner contre notre jeune âge...............

            Puis nous allions coller nos yeux chez Groupy ou chez Champion pour voir passer les érudits, des messieurs très graves qui craignaient, selon le conseil d'Anatole France, " les femmes et les livres, pour la mollesse et l'orgueil qu'on y prend. " Ainsi, les érudits préféraient bavarder avec les marchands, les libraires, et s'en retourner à leurs cahiers poussiéreux et sans danger............. Ces vitrines bien fournies et ravissantes, combien de fois ne virent-elles pas le visage de Charcot, alors hôte illustre de l'hôtel de Chimay........., de Poincaré ou d'Hanotaux.......... C'était le beau temps des conférences, plus attirantes alors que ne le seront jamais les plus célèbres matches de tennis, des premières communions sensationnelles, des mariages qui donnaient le vertige à des faubourgs entiers. Le moindre événement prenait de l'importance, et nous sentions bien que Paris était à l'extrême bord de la civilisation, qu'il terminait le monde moderne comme un bouquet termine quelque feu d'artifice, qu'il vibrait " au point doré de périr ", eut dit Paul Valéry.
            Douce et lointaine actualité des quais, à cette époque où les bouquinistes savaient tout, et que l'Académie Française dominait de sa majesté dorée.......... Déjà nous étions possédés par les redresseurs magiques pour mauvaises attitudes, les voyantes ultrasensibles, les talons tournants, les rénovateurs dus à des curés, les philtres et les procédés inouïs contre les poils superflus.
            Stern, jockey français, gagnait le Derby d'Epsom avec Sunstar. Un nommé Orphée enlevait la course à pied Lyon-Troyes-Paris en 75 heures 8 minutes. On prenait des porto-flips et des whisky-cocktails dans des décors qui feraient rire Bobino. La comtesse de Kersaint ou le baron de Coubertin faisaient, d'une kermesse du Palais Royal, quelque chose de plus osé et de plus excentrique que l'Exposition............ Ces événements arrivaient jusqu'aux quais, lesquels m'on toujours fait songer à quelque forum où se seraient disputés les mérites respectifs des maîtres de l'heure artistique ou littéraire.
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Image associée            L'Académie Française, qu'illustrèrent à l'époque Loti et France plus que l'ensemble de leurs collègues, puis Rostand, dont ce fut un numéro que d'en être, et l'ambassade d'Allemagne, située tout contre les quais et lui tournant le dos, sont les deux bâtiments essentiels de ce quartier en longueur qu'ornent des livres et des images..................
            Il n'était pas interdit non plus de prendre une dame dans un coin et de lui souffler à l'oreille :
            " - Ma chère amie, il vient de m'arriver une bien curieuse aventure. Vous connaissez cette petite Zozy qui veut bien parfois m'accompagner à Longchamp ? Eh bien, figurez-vous qu'elle a les meilleures relations du monde. Tel que vous me voyez, je reviens d'un thé à l'ambassade d'Allemagne, où j'ai eu l'honneur d'être interrogé par ce sacré Radolinsky de Radolin, et par la comtesse Kessler. Il paraît que l'Europe va mal... etc. ".......................
            J'ai même connu un bouquiniste qui avait en réserve toute une série de Romantiques à l'intention d'un client qui arrivait en courant, payait et s'en retournait au galop chez lui. Quand on voulait lui acheter un Gautier ou un Hugo, à ce brave marchand, il répondait :
            " - Impossible, c'est pour le comte, qui doit passer à cinq heures et qui est censé fouiller dans mes boîtes depuis trois heures de l'après-midi... "




                                                                         Léon-Paul Fargue

                                                                                   à suivre............

                                             Place du Théâtre Français
            




         



            
         


         



jeudi 14 juin 2018

Le Feu et la Fureur Michael Wolff ( Document EtatsUnis )


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                                                      Le Feu et la Fureur

            C'est l'histoire d'un candidat qui concourait et luttait pour gagner sans gagner. Donald, Mélania qui pleura de dépit lorsqu'il fut élu, et ce proche entourage si sceptique furent surpris et pas préparés. Jared vit sa tâche de gendre compliquée, Ivanka s'accommoda et s'appropria un rôle de conseillère et pratiquement première dame en l'absence de l'épouse restée à NewYork. Entré officiellement à la Maison Blanche en janvier 2017, sans culture politique, n'aimant pas et ne lisant jamais "........ La politique est devenue de plus en plus discrète. Son attrait est le B to B - business to business....... La politique est partie d'un côté, la culture d'un autre........... Et pourtant, s'opposant à toute logique culturelle et médiatique Donald Trump produit au quotidien un récit impossible à ne pas suivre......... Il n'y a presque plus d'autre sujet de conversation en Amérique et ailleurs. C'est la nature radicale de la présidence Trump : elle captive le monde......... " Michael Wolff a suivi les derniers mois de la campagne puis a obtenu un poste d'observateur de la vie à la Maison Blanche que le nouveau Président trouva défraîchie et fit rénover. Il se voulut ".... mouche sur un mur..... ". Indescriptible en peu de mots cette prise de pouvoir racontée minutieusement. Les noms qui courent au long des pages ne nous sont plus familiers, remplacés par de nouveaux directeurs de cabinet, de communication, du FBI, ou de postes plus modestes. Celui-ci "....... raconte des histoires et dévastatrices........La presse se nourrit de l'histoire des gens, elle décide qui va connaître la gloire et qui va sombrer dans l'oubli........ Les médias ont le dernier mot. " Une affaire très trouble gêne durablement le nouveau Président, l'affaire Russe. L'administration à peine installée ne sait comment gérer cette affaire, et celle-ci ajoutée à d'autres pourrait pousser le Président vers la sortie, ce qu'attendent des prétendants de tous bords. Katie Walsh reconnaît son impuissance "........ Le Président tout en s'écartant de façon radicale de normes et de traditions gouvernementales vieilles de plusieurs générations, manque d'idées précises pour transformer son venin en politique, et n'a pas d'équipe capable de s'unir derrière lui....... Non seulement il ne lit pas, mais il n'écoute pas non plus....... s'il ne lit pas il regarde la télévision........ " Réussir à devenir Président des EtatsUnis est un exploit comme " faire passer un chameau par le chas d'une aiguille........ Trump doit savoir ce qu'il fait, il a beaucoup d'intuition..... " Murdoch, magnat de la presse, a l'oreille du nouveau Président. Mais le Président commence à dicter ses lois, notamment celle sur l'environnement, et les conséquences du changement climatique ne sont pas une priorité. Trump croit en lui et aime les flatteries. Habitué à vivre à sa guise, outre le business, le golf était sa principale préoccupation, mais le Moyen Orient, la Chine et le Mexique, le Japon et la Corée vont l'accaparer. "....... La Corée du Nord, pense-t-il, est un problème complexe....... créé par des esprits inférieurs et faibles, et il a du mal à y prêter attention......... Son entourage ne l'a pas préparé à cette question............il s'aventure par des propos qu'il a souvent répétés en privé........ - La Corée du Nord ferait bien de cesser de menacer les EtatsUnis. Elle se heurtera au feu et à la fureur........... " Quelques mois plus tard Kim et Donald signent quelques accords gênants pour certains. Ainsi nous quittons une biographie et retrouvons le personnage, le héros de notre livre, vivant, embourbé dans de nouveaux problèmes, très ouvert, frondeur, chanceux. La petite histoire de la grande histoire, surprenante.



























mercredi 13 juin 2018

Passy-Auteuil in Le Piéton de Paris 4 ( Nouvelles France )

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                                                       Passy-Auteuil in
                                                    Le Piéton de Paris ( 4 )

            Un vieil ami, que j'ai malheureusement perdu de vue, mais dont je n'oublierai jamais qu'il s'était enrichi dans la vente d'un excellent chocolat, prit un jour la résolution d'installer dans ses meubles, avec quelques Renoir et un matelas de tapis d'origine, une splendide maîtresse qu'il avait pêchée dans une pâtisserie du Quartier latin. Une belle fille au teint abricot, aux cheveux gras, couleur d'encre à stylo, et qui, je crois, n'avait jamais quitté le boulevard Saint-Michel que pour aller montrer ses jambes aux Folies-Bergères. Le couple orienta ses recherches vers ce pays inconnu de lui qu'il nommait , avec une certaine admiration, Passy-Auteuil. Une bonne voiture de bourgeois assuré de vieillir sans angoisse les conduisit d'abord avenue Mozart, mais aucun appartement ne convint à leurs yeux. Ce qu'il voyait était trop petit ou trop grand. A la vérité, la demoiselle était déçue. Ce grand village tranquille et propret qu'elle découvrait après le curieux Trocadéro ne lui convenait qu'à demi. Elle n'apercevait ni dancings, ni cinémas, ni bars, ni restaurants. Et, brusquement, elle renonça à la félicité qu'on lui avait fait entrevoir : elle avait peur de se trouver seule, abandonnée, perdue dans une foule nouvelle qui ne comporterait que très peu d'éléments nettement parisiens. On la reconduisit à l'angle de la rue des Ecoles et du boulevard Saint-Michel, où elle vit encore dans l'atmosphère de cris et de galopades du Quartier latin. Beaucoup de Parisiens font le même raisonnement. Passy-Auteuil est " trop loin, top calme, trop nouveau... "
Image associée   *       J'ai habité Passy autrefois, du temps que j'allais au lycée Janson. Mes parents avaient un appartement rue Gustave-Courbet. A cette époque, l'avenue qui va du Trocadéro  au Rond-Point  de Longchamp était presque toute en terrains vagues, souvent dépourvus de palissades, et l'on y pouvait apercevoir des veine géologiques avec leurs fossiles. L'avenue Victor-Hugo d'aujourd'hui s'appelait alors l'avenue d'Eylau. Ce changement de nom n'a guère été suivi d'un changement d'aspect. La même et grande pâtisserie souffle toujours son haleine tiède au coin de la rue de la Pompe, accueillante aux dames bien nées qui se restaurent de crème fouettée ou de parmesanes, avant ou après l'adultère rapide de notre temps. La maison Thominet, si bien pourvue en boîtes de couleurs, en pinceliers, en balais divers, en râpes, en insecticides, en peaux de chat, existe toujours, très digne. Il y a bien, en plus, deux ou trois bijoutiers et poissonniers qui n'ont rien apporté de nouveau à ce quartier pour rentiers. Mais il n'y manque vraiment que l'hôtel de Victor Hugo, le petit hôtel à deux étages, coiffé de son toit plat.
            La rue de Passy, elle, a passé par les studios modernes. Elle a posé pour l'opérateur d'actualités. Elle dégage dans le ciel parisien de bonnes et rassurantes odeurs de frigidaires et de postes de T.S.F., qui " prennent " Moscou ou Washington. Elle a été touchée par la masse fantastique des grands buildings-columbariums, par quelques bistrots et bureaux de tabac qui se sont mis à la mode, et qui n'ont plus ni bois ni charbons, mais des billards russes, des dixièmes de la Loterie Nationale, des briquets, lames Gilette, papiers timbrés, etc. ; par quelques immeubles crayeux de grande série qui commencent à s'enfoncer dans les vieux jardinets du front d'Auteuil avec leurs maîtresses de pianistes et d'exportateurs. La rue Boislevent sent venir l'haleine froide des galères du béton. Avenue Mozart, la rue de la Source n'est plus qu'un souvenir. L'autobus a déjà remplacé le tramway. On court, ici comme ailleurs, vers le perfectionnement. On " transforme " sans relâche, depuis le fameux jour où Franklin, qui séjourna à Paris, 1, rue Singer, de 1777 à 1785, installa pour la première fois en France un paratonnerre dans une dépendance de l'hôtel Valentinois...
            Au carrefour de Passy, qui était, vers 1891, un rond de dames et de mondanités bourgeoises, la vieille pâtisserie Petit, où les familles venaient acheter un gâteau le dimanche et faire goûter les collégiens du lycée Janson de Sally, a disparu, chassée dans un duel d'artillerie par les bombes pralinées de la pâtisserie Coquelin. M. Bauer, ancien chef d'achat aux Galeries Lafayette et cousin de M. Bader, administrateur des dites Galeries, vient d'ouvrir, non loin de la place, un grand magasin de confections des plus modernes, qui ne désemplit pas et qui évoque la première marée de Lafayette... De mon temps, sur cette petite place de Passy, que de sentiments, que de jeunes filles aux joues d'amande pure, rougissantes, que de premières communions, que de fierté d'être premier en latin, que d'émotions, que de prescience, après la première communion, de ces mariages qui s'amorceraient un jour à l'Opéra Comique, à Mignon...                                                                              blogarchiphotos.com
Capture d’écran 2016-08-04 à 16.44.01            Car le quartier " Passy-Auteuil " est celui des grands mariages, des photographies pour Vogue, des grosses commandes en voyage de noces, chez Cook. Une seule différence se remarque chez l'habitant de cette région privilégiée : la demoiselle de Passy est plus " affranchie " que la demoiselle d'Auteuil. Anna de Noailles habitait Passy. La princesse de Polignac, grande animatrice et ministre moral de la musique moderne française, habite Passy. Auteuil a moins d'art, moins de manière. Mon vieil ami Jacques-Emile Blanche, je ne le vois qu'en homme de Passy, bien qu'on puisse discuter ici une petite question de frontières dans ce musée européen de l'intelligence qu'il s'est constitué pour son usage personnel, d'une tête subtile et brillante.
            Auteuil est comme la campagne de Passy avec son boulevard de Montmorency, ses quais, son viaduc, près de l'église, son restaurant du Monton Blanc, curiosité historique, ancien lieu de rendez-vous de La Fontaine, de Molière et de Racine. Les gens de Passy vont à Auteuil comme les gens de la rue Etienne-Marcel vont à Brunoy le dimanche. C'est tout juste s'ils n'emportent pas de quoi manger. Vers quatre heures, Passy-Auteuil se vide d'une portion importante de ses habitants : car on prend encore l'apéritif à Paris, on va au restaurant dans le centre, on reste au cinéma avenue des Champs-Elysées, boulevard de la Madeleine, ou rue d'Athènes. Une fois lancé, on perd une ou deux heures de plus chez Florence ou au Mélody's, et l'on rentre dans la nuit... Passy, Auteuil, sont des endroits où les voitures et les taxis grincent et se précipitent jusqu'au petit jour, ramenant de Montmartre ceux qui ne se lèvent pas avant midi.
            Passy-Auteuil est une grande province où les familles se connaissent, se surveillent et parfois se haïssent, pour peu que l'une ait eu plus d'invités, plus de politiciens ou de poètes que l'autre à son thé hebdomadaire, mensuel ou annuel ; pour peu que le fils Untel ait été reçu avec ou sans mention au baccalauréat. Pâtissiers, bouchers, teinturiers ou concierges sont au courant des disputes des ménages, des divorces et des héritages.
            Ils sont presque frères de lait, presque cousins, pleurent aux enterrements, se réjouissent aux baptêmes, envoient, comme leurs clients, leurs filles au Cours d'anglais, et mettent des gants le dimanche. Le prolétariat ni le pauvre n'ont de place dans cette perpétuelle garden-party qui se donne bon an mal an de la place Victor Hugo à la Seine. Toutes les cérémonies de Passy-Auteuil voient revenir à l'église ou aux lunchs la même troupe d'invités qui confèrent aux manifestations mondaines du seizième arrondissement un petit air d'opérette et de Congrès s'amuse non dépourvu de charme; et parfois d'imprévu. Convié un jour à une bénédiction nuptiale de haute volée à l'église Saint-Honoré-d'Eylau, un ami à moi, poète à ses heures, se rendit à l'heure dite place Victor-Hugo pour présenter ses voeux aux jeunes époux. Une assistance nombreuse, dont il connaissait tous les visages, se pressait dans la nef. Il s'approcha, serra des mains, distribua des sourires, et s'aperçut qu'il ne connaissait pas plus le marié que la mariée, s'étant tout simplement trompé de jour. Il ne voyait à l'église que les mêmes personnalités parisiennes, quasi engagées par contrat à assister à toutes les cérémonies de la petite patrie Passy-Auteuil. Comme il se trouvait sur place, il ne songea pas un instant à rebrousser chemin et se joignit aux cousins, oncles et grand-mères pour embrasser très affectueusement les époux, ainsi qu'un certain nombre de femmes qui lui parurent alliciantes.
Résultat de recherche d'images pour "caricatures 1900 paris bourgeois" **           La chronique scandaleuse ou dramatique de Passy-Auteuil est assez pauvre. Le crime ne s'y manifeste qu'avec d'infinies précautions. La police ne s'y promène guère. Tout se passe dans une atmosphère éthérée où les ragots n'on pas de prise.
            Un fait divers pourtant me revient à l'esprit, qui eût pu inspirer à Edgar Poe, mais à un Poe nourri de Rowlandson, une histoire assez affolante, s'il eût été de Passy comme Abel Bonnard ou Pierre Louÿs, Bergson ou le docteur Boucard. Elle vaudrait d'être mêlée à l'histoire de l'arrondissement, qui manque parfois un peu de ton.                                         
            J'ai connu jadis une poétesse américaine, fille adoptive de Paris, qui n'aimait de chair blanche que celle des femmes. Sur le chapitre de la nourriture, elle ne supportait la vue, l'odeur et le goût que de la seule viande rouge, et de préférence crue, jusqu'à l'abus. Comme elle avait le coeur délicat, son médecin la mit au régime. Mais sa passion de la viande était trop forte, l'habitude en était prise, et les prescriptions du médecin ne furent observées qu'avec mille difficultés. Le médecin insistait. La poétesse en fit une maladie. De guerre lasse, elle résolut un jour de finir en beauté, c'est-à-dire en artiste, c'est-à-dire en... Châteaubriant. Elle inonda son lit d'essence, y déposa quelque dix kilos de beurre, cinq à six livres de persil, s'étendit languissamment sur ses draps, déposa encore sur sa poitrine une motte de beurre, par coquetterie, comme font les bons chefs, et mit le feu à une allumette.                                                                                                                    bdzoom.com
Résultat de recherche d'images pour "caricatures 1900 paris bourgeois"            Au bout d'une petite heure, tout le quartier sentait la grillade. Les narine de Passy-Auteuil finirent par déceler d'où provenait l'odeur de grill-room qui se répandait jusqu'au bois de Boulogne, et guidèrent enfin les domestiques jusqu'au lit de leur maîtresse sur lequel ils aperçurent un rumsteck mammouth. Historique.
            Passy-Auteuil reçoit chaque année de nombreux émigrants du Nouveau-Monde, qui se décident brusquement à venir habiter Paris. On m'a raconté l'histoire d'une autre Américaine, qui s'était établie rue La Fontaine pour étudier chez nous les moeurs des domestiques. Elle les suivait dans la rue, les acculait dans les cafés, les interrogeait, les obsédait. Chauffeurs et maîtres d'hôtels ne savaient pas très bien à quelle sorte de folle ils avaient affaire et sortaient furtivement dans la rue, le col de veston relevé, prêts à décamper. Ils croyaient lasser la vieille demoiselle qui les harcelait comme une salutiste excitée. Mais la moraliste tenait bon. Les premiers éléments de son enquête la remplissaient de bonheur. Certaines histoires de sucre, de lacets de chaussures, de pourboires, l'enivraient. Un soir, elle tomba sur un gâte-sauce ravissant qui faisait sa petite visite nocturne à un aide-pharmacien. Elle le suivit avec une souplesse et des contorsions de chauve-souris. Affolé, le jeune homme se réfugia dans un de ces petits établissements qui sont exclusivement réservés aux hommes, et y resta trois heures. Puis il disparut sans se retourner. Le lendemain, des agents cyclistes ramassèrent sur un banc des quais une pauvre folle endormie qui réussit, après quelques mois de traitement, à se faire rapatrier aux Etats-Unis. L'aventure n'a bénéficié d'aucune publicité. Pourtant, quelques domestiques parlent parfois à leurs enfants du fantôme d'Auteuil...


*       michellagarde.fr
**   posterswelove.com


                                                                            Léon-Paul Fargue

                                                                                      ( à suivre........... )

                                                      Sur les quais 

dimanche 10 juin 2018

Cafés des Champs-Elysées in Le Piéton de Paris 3 Léon-Paul Fargue ( Nouvelles France )

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                                                               Le Piéton de Paris ( 3 )

                                                           Cafés des Champs-Élysées

            Il y a des cafés qui éclatent d'atmosphère, même quand ils sont vides. Des cafés qui sont, par eux-mêmes, de bons rabicoins, et qui se satisfont d'une confortable célébrité de statue ou de paysage. Tel est encore le café Lipp, tout chaud d'âme et d'intimité. Tels furent jadis le Clairon de Sidi-Brahim de la Place du Tertre, ou le Chat Noir, du temps de Narcisse Lebeau rimait :

                                               Dans la passage Vivienne,
                                               Elle me dit ; " Je suis de la Vienne .
                                               Et elle ajouta :
                                               J'habite chez mon oncle,
                                               C'est le frère à papa.
                                               Je lui soigne un furoncle,
                                               C'est un sort plein d'appas.
                                                Je devais r'trouver la donzelle
                                                Passage Bonne-Nouvelle.
                                               Mais en vain je l'attendis
                                               Passage Brady...
                                                                                                                                                                                                                                                                                   Les voilà bien, les amours de passage !...        


            Comme on le voit, les Parisiens, à cette époque, ne connaissaient pas l'angoisse, et ce genre de petits poèmes faisaient fureur. Les cafés ont changé d'aspect, mais les amours de passage demeurent... C'est même un peu à une femme que je dois d'avoir connu les cafés des Champs-Élysées, si différents des autres, et qui ne supporteraient pas sans mourir l'absence des clients. Mon excellent confrère François Fosca a écrit que les cafés parisiens étaient trop nombreux, et qu'il faudrait certainement des années pour les visiter et pénétrer leurs secrets. Ceci est exact, si l'on considère la multitude des établissements, leur variété et leur tournure. Pourtant, il ne faut pas plus d'une journée pour se livrer à une enquête approfondie dans un quartier précis.
            C'est à une femme, je le répète, que je dois d'avoir pris contact avec les grandes verrières des
Champs-Élysées. Et quand je dis à une femme, c'est, comme on le verra, façon de parler.
            Rien ne désignait spécialement les Champs-Élysées au rôle de Foire aux Cafés qu'ils sont devenus en peu d'années. Foire aux Cafés qui va même parfois, jusqu'à la foire d'empoigne. C'est là, en effet, que se jouent à peu près toutes les parties du commerce parisien. Pourtant, la denrée en vogue, du Rond-Point à l'Étoile, est d'abord le cinéma. Sont-ce les cafés des Champs-Élysées qui ont donné naissance au marché cinématographique ? Est-ce le cinéma qui a fait sortir du bitume tant de terrasses ? Telle est la double question que je me posais, un matin, au Sélect, en attendant devant un quart Vichy, disons-le, une admiratrice. Celle-ci, que je ne connaissais que par son écriture, m'avait écrit de province pour me donner rendez-vous avenue des Champs-Élysées, au Sélect précisément. Elle désirait avoir mon avis sur un certain nombre de problèmes, dont le premier mettait en relief la nécessité où elle se trouvait de faire du cinéma pour être heureuse. Pourquoi s'adressait-elle à moi ? Je veux bien croire, puisqu'elle le spécifiai, que c'est parce que nos grand-mères s'étaient autrefois connues dans le Berry, et qu'elle-même avait composé quelques poèmes en prose avant d'être visitée par le Démon de l'Ecran. Bref, averti que, la photo aidant, on me reconnaîtrait facilement, j'attendais devant mon quart Vichy, en remuant dans ma tête les conseils de prudence que je pouvais donner à une jeune provinciale.                                                                                                                                             parisinfo.com
Image associée            Le Sélect commençait de vivre. Dans la salle du fond plus obscure et comme secrète, des oisifs s'engageaient déjà dans des parties de cartes qui dureraient jusqu'au déjeuner. Non pas des joueurs de cartes comme ceux de Toulon ou des bars de Ménilmontant, tous chômeurs joyeux, rentiers corrects ou bricoleurs sincères, mais des personnages singulièrement sérieux, préoccupés, noceurs sans argent, anarchistes du snobisme ou resquilleurs de la belle vie, qui subsistaient grâce à de savants dosages de cafés-crème. Ils jouaient dans un silence de complot, avec une application de bureaucrates. Peu à peu, la grande salle s'emplit de gigolos qui fuyaient le lycée, un bouquin dans la poche, de journalistes sans journaux, et de ces fils à papa besogneux qui attendent du ciel parisien que les situations leur tombent toutes rôties dans la bouche. On commandait les premiers cocktails. J'avais le sentiment de me trouver dans le salon d'attente de quelque professeur d'aventure, ou dans une gare cosmopolite où chacun espérait un train merveilleux à destination de la fortune. Impression que l'arrivée de Paris-Midi, sur lequel on se jetait comme sur un communiqué officie, renforçait encore. Quant à ma provinciale, d'elle pas la moindre trace. Il y avait bien des femmes, cousues aux tables comme des ornements, et toutes assurément rêvaient au film qui les sauverait de la médiocrité, mais aucune ne portait le signe provincial, aucune n'était venue à un rendez-vous...
            L'heure de l'apéritif marqua le départ de quelques joueurs de bridge, et l'entrée en groupe d'un haut personnel cinématographique, discrètement salué par les disponibles de toutes sortes. Le haut personnel cinématographique, qui venait, selon toute vraisemblance, de s'éveiller, semblait de mauvaise humeur. Les ordres furent transmis aux garçons dans un français dont les hésitations ou l'accent trahissaient tantôt le russe, tantôt l'anglais, tantôt l'allemand, tantôt le hongrois et tantôt un idiome inconnu. Le café-crème l'emportait nettement sur les vermouths, picons, vins sucrés ou alcools. C'était dans ce lieu une véritable nourriture. De fortes épouses, aux bijoux voyants et grisâtres comme des autos d'avant-guerre, vinrent bientôt retrouver les membres de l'état-major du film. On parlait millions, centaines de mille francs, pellicules, histoire de France, studios. Et pourtant, il était plus que certain que le plus important de ces personnages n'avait ni bureaux, ni employés, ni domicile. La grande affaire était de monter une société. On commence par engager en principe des acteurs, on téléphone à des distributeurs, on fait miroiter de gros bénéfices possibles devant les directeurs de salles, et l'on se procure ainsi une dizaine de mille francs, qui servent à régler des notes d'hôtels ou des taxis qui attendent. Puis, on cherche ce qui s'appelle un scénario, on écrit aux artistes, on décommande les distributeurs : on entre tout vivant dans un cauchemar de cafés-crème, d'annuaires téléphoniques, de projets, on croit à ce qu'on dit, on ne dit pas ce qu'on croit, on se satisfait de mots, de promesses, on re-commande des cafés-crème, on câble à des êtres imaginaires, qui acquièrent de ce fait une espèce d'existence, on attend des réponses, on caresse des esquisses de films propres à bouleverser Paris, et l'on s'aperçoit finalement qu'il est quatre heures de l'après-midi. Alors, on décampe, on va installer un camp de conversation dans un autre café, et l'on recommence à divaguer avec une abondance telle que le souci du lendemain n'ose jamais se lever dans l'âme...
Résultat de recherche d'images pour "cafés champs elysees peinture"   *        Il est, au Sélect comme ailleurs, une clientèle de Parisiens sensés qui ont juste le temps d'avaler un apéro avant de déjeuner dans le quartier, des Parisiens qui travaillent sans espérer à faux et lesquels, cependant, ces rêveries, ce culot monotone et cette blaguologie, " comme on dit au village ", font impression. Des demoiselles qui n'ont pas encore mal tourné n'en finissent pas de dévisager ce bataillon de Russes, de Bavarois, de Viennois, de Polonais, d'Américains pour bals champêtres, d'où s'élèvent  des fumées prometteuses. Voici bientôt cinq ans que ces faux banquiers, ces faux producteurs parlent et reparlent des mêmes choses sans bouger de place, et il se trouve encore des consommateurs pour envier leur sort. Pas un qui ait mis un film debout, si l'on peut dire, et, pourtant, le courage de continuer à cafécrémer au Sélect ne l'abandonne pas. Mon voisin de gauche caresse de sa main ganglionnée de bagues un paquet sur lequel je lis l'adresse de quelque personnage californien. Le paquet s'en ira dans l'inconnu et, des mois durant, l'expéditeur vivra de revenus d'espérance. Peu d'escrocs, assurément, dans cette clientèle des Champs-Élysées. Des fous. Les escrocs sont occupés. Ils tournent réellement. Ceux qui demeurent assis sont des intoxiqués à leur manière. Le cinéma a remplacé pour eux les mystiques agonisantes de leur pays...
            Je me proposais de révéler toutes ces choses à ma provinciale. Mais celle-ci ne se montrait pas. Déjà, les gens sérieux du quartier, entrés là par habitude, reprenaient le chemin de leurs occupations. Les autobus remontaient, vers les ateliers ou les bureaux, les Parisiens de la couture ou de l'automobile. Seuls restaient à leur table les grands malades du cinéma. Un frisson d'inquiétude traversait parfois l'établissement. L'obligation de payer certaines notes se lisait sur des visages de faiseurs de films. Admirablement insensibles à ces espérances ou à ces angoisses, les garçons passaient, polis et mécaniques, entre les tables.                                                                           sortiraparis.com
Image associée            Vexé comme celui qui aurait attendu en vain une jolie femme sous les yeux de la foule, je pris brusquement la résolution de sortir et d'aller déjeuner. Quand on sort d'un immeuble quelconque des Champs Élysées, on a la sensation du large. Je me promenai longuement, comme sur un pont de paquebot, avant d'entrer au Fouquet's, capitale indiscutée de l'endroit. Si le Sélect absorbe comme une administration ce que le quartier a de plus douteux, de plus éphémère, le Fouquet's ne donne asile qu'à ce que Paris compte de moins contestable. On va au Sélect, on a l'air d'être reçu chez Fouquet. Le haut personnel cinématographique, qui, de temps à autre, a besoin de changer d'air, quand il vient au Fouquet's choisit de préférence le soir et se confine dans les coins. Par coquetterie, dit-il, il tient la terrasse jusqu'aux premiers froids un peu vifs. A la vérité, il est profondément humilié par la clientèle heureuse de vivre du Fouquet's, dans laquelle il reconnaît ceux qui font pour de bon d'authentiques films et qui passent dans les salles. Il voit Tourneur, au nom prédestiné, Raimu, qui ne passe pas inaperçu, Murat, Pierre Benoit, qui fit des dialogues, tous gens qui ne rêvent pas. D'autres encore, mêlés au monde de la Bourse ou à celui des Courses, et pour qui le Fouquet's à la cuisine excellente est une antichambre délicieuse.
            Fouquet's est un de ces endroits qui ne peuvent passer de mode qu'à la suite, il faut bien le dire, d'un bombardement. Et encore ! D'autres cafés, d'autres restaurants périclitent, perdent leur clientèle, ferment leurs portes et font faillite. Le Fouquet's persiste, comme un organe indispensable au bon fonctionnement de la santé parisienne. C'est là qu'en des temps de rentrées les hommes vont se conter leurs bonnes fortunes de l'été. C'est là qu'ils se mendient des tuyaux de Bourse ou de Courses dont la plupart n'ont pas besoin, car le Fouquet's peut se vanter de donner asile aux grosses fortunes, mais, comme dit l'autre, il faut bien vivre comme on vit à Paris. Quel Paul Bourget nous donnera le roman de l'homme-avion, de l'homme- cocktail, à la fois sportif et mondain, affecté et cultivé, insupportable et charmant, des années 1930-1938 ? S'il existe et qu'il manque de documentation, qu'il aille au Fouquet's, Bibliothèque Nationale du parisianisme élégant.

         A qui souvient-il encore de l'époque où, sur le plan des cafés, les Champs Élysées ne brillaient que par le Fouquet's ? Ils étaient nobles et nus. Soudain, des cafés ont surgi comme une équipe de coureurs ! Le Berry, devenu le Triomphe, le Colisée, le Marignan, le Longchamp, le Normandy, le Florian, flanqués des escadrilles George V, de Champs Élysées, de Marly. Une vraie flotte. Il semble qu'il y ait eu dans le passé une nuit pendant laquelle les Parisiens auraient pris d'assaut ces établissements nouveaux, étincelants, immenses ou minuscules, qui surgirent l'un après l'autre du vieux trottoir... D'où vient cette clientèle, qui s'étale comme un auditoire électoral, les soirs d'été, jusqu'au passage des taxis ? Entre ces expositions d'apéritifs et ces cascades de café-crème, les cinémas éclatent comme des feux d'artifice, les carrossiers font des merveilles d'incendie. L'avenue devient une des plus éclairées, des plus fréquentées de l'Europe. La clientèle est venue de toutes les capitales à la fois pour goûter à nos huîtres, pour se mêler à nos mannequins, à nos directeurs de maisons de couture, clientèle pourrie malheureusement en son centre, comme une prune par un ver, par le peloton de cinéastes errants qui vont depuis vingt ans du Sélect au Fouquet's, du Fouquet's au Triomphe et du Triomphe au Sélect, dans l'espoir de trouver non pas les cent mille francs qui manquent encore pour donner le premier tour de manivelle, non pas la star qui fera frémir d'aise les provinces, mais le hasard qui les dégoûtera du cinéma...
            En quittant ce jour-là le Fouquet's, je ne me décidai pas à abandonner le quartier sans avoir jeté un coup d'oeil, par acquit de conscience, dans les cafés. La crainte de savoir que ma provinciale avait pu être happée au passage par monstre cinéma me tourmentait autant que l'espoir, très humain, de faire sa connaissance. Pouvais-je faire mieux que de m'offrir à la vue des clients des cafés ? Personne, hélas, ne se leva pour me reconnaître. Lorsque je m'éloignai enfin de l'avenue, je la vis brusquement, ce soir d'automne, comme une immense plage formée par la réunion de tous les cafés où les Parisiens viennent prendre un brin de fraîcheur et de lune, après dîner. Et l'on sent très bien, le Fouquet's mis à part, que tous ces établissements où personne ne se connaît, où l'on manque parfois ses rendez-vous, où l'on se tasse comme pour une cérémonie, sont placés " sous le signe " éphémère des plages. Il suffirait que la clientèle se portât en masse vers un autre endroit de Paris pour qu'ils se volatilisent. Le Fouquet's, seul, émergerait vivant du brouillard, et, plus bas, le Francis, d'une part, le Rond-Point de l'autre, que font vivre et durer les théâtres, les couturiers et les journalistes. Aujourd'hui, les Champs Élysées sont aux cafés. D'autres, d'ici quelques mois, naîtront sans doute sur ce trajet unique au monde. Mais, demain ?


*    galerie-creation.com



                                                                             Léon-Paul Fargue
                                                                                                      
                                                                                                        ( in Le Piéton de Paris )

                                                                                                             (  à suivre.................)

                                                                      Passy Auteuil










mardi 5 juin 2018

Les Cafés de Montmartre in Le Piéton de Paris 2 Léon-Paul Fargue ( Nouvelles France )

Vincent Van Gogh. Terrasse de café le soir (1888)
rivagedeboheme.fr

                                             Les cafés de Montmartre in

                                                Le Piéton de Paris ( 2 )

            Ma vie a été vécue de telle façon que je connais tous les cafés de Montmartre, tous les tabacs, toutes les brasseries. Quarante ans de voyages à pied dans ce pays formé par les frontières du dix-huitième et du neuvième arrondissement, m'ont familiarisé avec les établissements de cette sorte de festival permanent qu'est Montmartre, depuis le caboulot sans chaises où, debout, face à face avec le patron, l'on ne peut choisir qu'entre trois bouteilles, jusqu'à la grande machine modern-style, avec inter-urbain, poissons rouges, cireur et fruits de la mer, depuis le café-restaurant de Nine, cher aux ministres radicaux et marseillais de Paris, depuis les bars en couloir d'autobus de la rue de Douai, jusqu'aux tabacs de la rue de Clichy, dont la clientèle se renouvelle dix et cent fois par jour.
            Cafés crasseux, cafés pour hommes du Milieu, cafés pour hommes sans sexe, pour dames seules, cafés de tôliers, cafés décorés à la munichoise, esclave du ciment armé, de l'agence Havas, tous ces Noyaux, ces Pierrots, ces cafés aux noms anglais, ces bistrots de la rue Lepic, ces halls de la place Clichy, donnent asile aux meilleurs clients du monde. Car le meilleur client de café du monde est encore le Français, qui va au café pour aller au café, pour y organiser des matches de boissons, ou pour y entonner, avec des camarades, des hymnes patriotiques.
            Le soir, Montmartre ne vit que par ses cafés qui entretiennent dans le quartier toute la lumière de la vie. Rangés le long du fleuve-boulevard comme des embarcations, ils sont à peu près tous spécialisés dans une clientèle déterminée. Café des joueurs de saxophone sans emploi, café des tailleurs arméniens, café des coiffeurs espagnols, café pour femmes nues, danseuses, maîtres d'hôtel, bookmakers, titis, le moindre établissement semble avoir été conçu pour servir à boire à des métiers précis ou à des vagabondages qui ne font pas de doute..
            Un soir que j'accompagnais chez lui un vieil ami qui avait fortement bu dans divers bars de la rue Blanche, nous fûmes arrêtés par un " guide " qui, nous prenant pour des étrangers, nous proposa un petit stage dans des endroits " parisiens ", et il insistait sur le mot. Nous lui fîmes comprendre que nous étions plus parisiens que lui ; puis, sur sa prière, nous le suivîmes dans des cafés ou, le service terminé, se réunissent des garçons et des musiciens. Ils sont là dans l'intimité, chez eux, car ils veulent aller au café aussi, comme des clients. On nous servit " ce qu'il y a de meilleur ". Au petit jour, mon compagnon, complètement ivre, me disait, tandis que nous longions des rues toujours éclairées :                                                                                                         pinterest.com
Image associée            " - Montmartre est une lanterne aux milles facettes. "
            Pour ceux qui se couchent à minuit, dédaigneux du cabaret qu'on abandonne aux " vicieux " ou aux étrangers, le chef-d'oeuvre de cette illumination, c'est le Wepler qui, pendant des années, est resté surmonté d'un mur de planches couvert d'affiches et semblant vivre sous un tunnel.
            J'aime cette grande boîte à musique, importante comme un paquebot. Le Wepler de la place Clichy est rempli de merveilles, comme le Concours Lépine. Il y a d'abord à boire et à manger. Et des salles partout, ouvertes, fermées, dissimulées. La voilure amenée, ces salles sont habillées en un rien de temps. Les femmes se distribuent suivant leurs îlots, leurs sympathies, contre le décor et les boiseries 1900. Au milieu, composé de prix du Conservatoire, l'orchestre joue son répertoire sentimental, ses sélections sur Samson et Dalila, la Veuve joyeuse ou la Fornarina, avec de grands solos qui font oublier aux dames du quartier leur ménage et leurs chaussettes.
            Cette musique, entrecoupée de courants d'air et de chutes de fourchettes, se déverse en torrents bienfaisants sur la clientèle spéciale qui rêvasse dans les salles : rentiers cossus, vieux garçons sur lesquels la grue tente son prestige, boursiers du second rayon, fonctionnaires coloniaux, groupes d'habitués qui se réunissent pour ne rien dire, solitaires, voyageurs de commerce de bonne maison, quelques journalistes et quelques peintres, qui ont à dîner ou qui ont dîné dans le quartier.
            Les virtuosités de l'orchestre filent le long des môles, traversés par les chocs des billes de billard. Célèbres, les salles de billard du Wepler sont immenses, composées et distribuées comme les carrés de gazon d'un jardin. Les hommes du Milieu qui hantent le Wepler ont des postes un peu partout dans ce paysage de verreries. Mais ils se réunissent de préférence au billard, à cause du spectacle... Il en est d'une classe et d'une distinction spéciales...........types confortables, gras et muets, aux joues mates, aux cheveux bien lustrés, aux paupières lourdes de sens.
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Résultat de recherche d'images pour "poulbot et gavroche"            " Les amants des prostituées sont heureux, dispos et repus... " Baudelaire dixit.
            La grande salle de billard du Wepler a quelque chose d'une Bourse. Des consommateurs se serrent la main sans se connaître, mais il y a des années qu'ils viennent là avec leurs dames, comme pour accomplir une besogne précise et nocturne. Ce sont des confrères, comme les coulissiers ou les mandataires. Leur place entre dix heures et minuit est place Clichy, et les verres absorbés finissent par devenir d'autres articles de bureau. Aventuriers qui ne quittent jamais Paris, commis aux cravates bien alignées, aux épaulettes américaines, bureaucrates qui citent parfois du latin devant de vieux camarades de collège, professeurs de l'Enseignement Secondaire qu'aucun art n'a tentés, neurasthéniques qui n'ont que cette heure pour oublier la vie, l'absence d'épouse et le manque de charme... Le Wepler est doux à toutes ces âmes ; il les abrite, il les couve, il les choie...
            Du temps que Jules Lemaîtrre écrivait des préfaces charmantes pour les contes du Chat Noir, Montmartre fut la patrie des cafés dits célèbres, réservés à certains initiés, ou se réunissaient des artistes, poètes et peintres, qui échangeaient des idées et contribuaient à entretenir ce qu'on a appelé l'esprit parisien. On travaillait, on rimait, on composait au café. Des albums paraissaient, qui reproduisaient la peinture de premier choix dont s'ornaient les cabarets. Aujourd'hui, cette peinture a pris le chemin des collections particulières, et les mots d'esprit viennent surtout de la Société des Nations...
            Il reste encore de la peinture........ Mais quelle peinture ! Elle est pourtant à l'image de notre époque, romanpolicière et cinématographique............ Le dernier café littéraire et artistique qui survécut à la révision des valeurs après la guerre fut le Franco-Italien, où Béraud, chaque soir, cueillait des grappes d'approbation dans des groupes de journalistes, qui avaient alors tout juste de quoi s'offrir un plat de spaghetti.
            Mais le vrai café de Montmartre a changé. Il est parfois aussi accueillant qu'autrefois, et l'atmosphère qui s'y respire est toujours celle d'une vie de bohème. Mais le décor en a subi de profondes transformations. Le café de Montmartre, avec ses grues-loteries à jumelles et à couteaux suisses, ses dixièmes de la Loterie Nationale, ses caramels, ses brioches, ses petits jeux, son billard russe, ses briquets, tient à la fois du garage et du bazar. On y achète autant qu'on y boit, et Boubouroche ne s'y trouverait plus à l'aise.
            J'ai demandé un soir à un vieux joueur de manille, à la fois grand liseur de journaux, d'indicateurs, stratège, politicien et cocu, pourquoi il passait maintenant ses journées dans certains buffets de gares au lieu de choisir, comme faisaient ses ancêtres, un café de tout repos, où des ménagères hirsutes et baveuses venaient chercher leurs maris, comme cela se voyait dans les nouvelles de Courteline.                                                                                                      toutpourlamusique.centerblog.net    
Image associée            D'abord, les dames vont au café aussi, soit qu'elles aient pris goût à l'alcool, soit qu'elles veuillent entendre de la musique, jouer aux courses, ou prendre part à des discussions féministes. Elles ont troublé l'atmosphère purement masculine des cafés d'autrefois......... Enfin, ce sont les patrons qui, manquant de tradition, ont innové dans leurs établissements des boissons modernes, américaines, mélangées, dont la saveur ou les noms ont vivement heurté le traditionalisme des vieux clients.
            Le Montmartrois moderne, qui a eu tant d'illustrateurs, n'a pas encore trouvé son vrai peintre. Je pense à Chas Laborde, à Dignimont, à Utrillo. Tous en sont encore restés à l'après-guerre immédiate. A ce moment, le café semblait encore réservé, du moins à Montmartre, à une élite de la population artistique et boulevardière. Aujourd'hui, ce sont les représentants de toutes les fractions du peuple français qui ont pris possession du zinc, du velours ou du cuir, à commencer par les propriétaires des petites Renault, achetées d'occasion, qui en ont eu assez un beau jour d'être comme tenus à l'écart des réjouissances. Un vrai café montmartrois, je n'en nommerai aucun, vit en 1938 sous le double " signe " du grouillement et du banal. On y voit une famille de charcutiers fort bien mis et dont les fils sont des bacheliers, un garagiste en compagnie de sa maîtresse, serpentée de renard argenté, un légionnaire en permission, un chansonnier politique en herbe, des champions de vélo, des envoyés spéciaux de grands journaux qui vivotent dans le quartier entre deux enquêteurs, quelques juifs sarrois, un agrégé, un pion, un clown, un boxeur, une lingère, un futur auteur dramatique, et quelques poules de théâtre usées et qui s'assomment à ressembler à des bourgeoises. Qui se lèvera pour détailler une chanson triste, ou quelques couplets qui feront de leur auteur, plus tard, un académicien distingué ? Personne. Celui qui se lèverait ne serait pas pris au sérieux.
            Plus loin, le vrai quartier des artistes, avec ses cafés pittoresques, bourrés de Petite Histoire, ce bloc formé par les rues Saint-Vincent, Saint-Rustique ou des Saules, l'ancien village, la rue Lamarck et les Moulins, a été " modernisé " à son tour par la percée de l'avenue Junot. Daragnès, un des princes de cette nouvelle voie, sent très bien que les brasseries montmartroises ont fait leur temps, qu'une autre guerre a passé par là, celle du ciment, du jazz, du haut-parleur et quand il va au café, c'est à l'autre bout de Paris, sur la rive Gauche éternelle, chez Lipp ou aux Deux Magots, qu'il va chercher des vitamines.
            Les cafés de Montmartre sont morts.                                      pinterest.fr
Image associée            Ils ont été remplacés par des débits, des bars ou des grills. Je connais pourtant un petit bistrot, un Bois et Charbon, où le bonheur et le pittoresque se conçoivent encore. Les propriétaires du fonds, Auvergnats de père en fils, ont connu des gens célèbres, jadis, et conservent à l'égard du client une bonhomie qui n'est plus admise ailleurs, chez les émancipés de la ville moderne. Des jambons de province y pendent qui ne sont pas des jambons d'hostellerie. Quelques prostituées s'y réfugient, après avoir abandonné sur le seuil de la porte leurs préoccupations professionnelles. On y reçoit encore des rapins à gibus qui croient encore à la gratuité de l'art et à la misère des peintres ; des affranchis dont la bassesse est maniérée comme celle des gaillards de Steinlen ou de Charles-Louis Philippe.
            Enfin, détail exquis, le patron avait préparé, vers 1925, une pancarte qu'il n'ose plus exhiber, une pancarte qui dit bien que la douceur de vivre s'est évaporée comme une rosée, un charmant avis, qu'il se proposait de placer dans sa devanture, entre un pot de géraniums et un jeu de dames, un texte que, seule, la dignité montmartroise autorisait :
            " Le patron joue aux cartes... "
            Aujourd'hui il est bien obligé d'attendre le règlement des conflits avant de se risquer à provoquer des passants moroses, anxieux et avares.



                                                                ******************


    resmusica.com                                                                          Le Boeuf sur le Toit
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            Si j'avais à écrire une histoire de France d'après-guerre, je ferais une place à part au " Boeuf sur le Toit ", sorte d'académie du snobisme qui donne en outre la clef d'une foule de liaisons, de contrats et de mouvements, tant littéraires que politiques ou sexuels.
            Le " Boeuf sur le Toit " date de 1920. Moyses, très éprouvé par la guerre, gagnant péniblement sa vie dans les Ardennes, plaçant à droite et à gauche de l'article de Paris, du ruban, du bijou, monté sur sa bicyclette à boîte, arriva à toute vitesse à Paris dans la hâte de trouver une affaire. En rôdant, il dénicha rue Duphot, à deux pas de Prunier, un tout petit bar-lavabo, qui s'appelait " Gaïa ", Gaïa, qui vendait fort mal son porto. Moyses dévissa son stylographe et fit presque aussitôt la connaissance d'un groupe d'artistes : Arthur Rubinstein, Picasso, Germaine Taillefer, Cocteau, dix autres, qui s'emballèrent instantanément sur lui.
            Moyses était ce qu'il est resté, grand, costaud, coloré, charnu, cordial, l'amitié grande ouverte, la poignée de main bonne. Il s'agitait, il bafouillait en riant, il était partout à la fois, toujours amical et malin, l'air serviable, au courant, plein de tact, ne manquant pas de l'usage du monde. Le bar était-il plein comme un oeuf, il s'arrangeait pour que l'habitué, l'ami ou l'inconnu qui arrivait tard, trouvât toujours une table, un coin, un renfoncement. En cinq coups de cuiller à pot, Gaïa fut à la mode.
            L'endroit faisait jeune. La gaieté y fusait de toutes parts, juteuse, nouvelle, centripète, et Paris de rappliquer.
            Un Tout-Paris qui ne dédaignait pas de mettre la main à la pâte. Tour à tour, un peintre, un poète allaient prendre possession du jazz. Les femmes qui lançaient les modes d'alors dansaient comme chez elles, le maquillage franc, le corps secrètement disponible. Ah ! si j'osais m'étendre sur quelques bonnes fortunes de ce bon temps ! Mais déjà les carreaux de la boîte volaient en éclats en même temps que sa renommée s'infiltrait dans les coins les plus barricadés de la capitale. La Compagnie des Six venait de se créer sous le patronage d'Erik Satie, vrai maître, inventeur d'une musique " maisonnière ". Les Six furent Auric, Poulenc, Honneger, Germaine Taillefer, Durey et Darius Milhaud. Groupe délicieux, dans le sillage duquel évoluait une sorte de collégien de génie, when they are so clever, they never live long, Raymond Radiguet. Au-dessus de ce bouillonnement de trouvailles, de sonates, de sauces anglaises et d'adultères rapides, s'élevait le petit soleil de la gloire d'Apollinaire.
            Un jour, pourtant, il fallut déménager. Moyses, qui est resté grand sourcier, découvre un beau jour, rue Boissy-d'Anglas, de part et d'autre d'une porte cochère où se tenait provisoirement un campement de... jeunes, une boutique louche à l'enseigne de Paris la Nuit. On commença par la vider comme un mulet, par l'asperger, avant d'y accueillir les gens du monde en état de prurit artistique. Le vrai " Boeuf "était né. Le vrai " Boeuf " fut celui de la rue Boissy-d'Anglas. On y était un peu plus au large, un peu moins serré qu'à Gaïa et l'on y poussait de petits cris en y apercevant ces nouveautés dans le décor qui foisonnent aujourd'hui à Saint-Jean-Pied-de-Port ou à Mareuil-sur-le-Lay : lampes-appliques et abat-jour en parchemin. Dans le domaine spirituel, l'école Dada succédait au groupe des Six, et les belles snobs aux cuisses si douces chantaient :
                                                    Buvez du lait d'oiseau,
  neufhistoire.fr                                    Mangez du veau !
Image associée            Le " Boeuf " de la rue Boissy-d'Anglas était constitué par deux boutiques, un restaurant et un dancing, sortes de vases communicants entre lesquels, par la cour obscure, on faisait la navette en s'embrassant ou en se tapant, au sens le plus financier du terme. Le Tout-Paris qui ne peut tenir en place, qui s'ennuie, qui change dix fois de crèmerie dans la soirée pour fuir quelque chose qu'il ne fuira jamais, faisait régulièrement irruption au " Boeuf " et n'en bougeai plus. On voyait là le Bottin Mondain, le Sport, l'Annuaire des Artistes, la Banque, le Chantage qui se faisaient risette. Une belle salle de répétition générale à chaque coup. Marcel Proust s'y risquait souvent, amusé et gentil.
            Un soir que je bavardais avec Raymonde Linossier, l'avocate, j'aperçus Proust dans une forme excellente. Je ne sais plus si je voulais lui adresser la parole ou faire un pas vers lui, mais à ce moment ma compagne fut brusquement prise à partie par un vague gigolo du bar, nommé Delgado, qui la traita d'institutrice et l'accusa sans raison de porter des bottines à élastiques. Je me précipitai sur le bonhomme auquel Proust, très gentilhomme, fit immédiatement remettre sa carte. Mais le Delgado se dégonfla piteusement et disparut. Le Lendemain, nous apprenions qu'il avait succombé dans la nuit même à un ulcère à l'estomac.
            Le jazz du " Boeuf ", qui fut un des tout premiers de Paris, attirait rue Boissy-d'Anglas les clients les plus divers.......... Henry Torrès celle de Cocteau, Beucler y apprit qu'on lui avait décerné à Hollywood un premier de scénarios, Joseph Kessel y réglait des additions formidables.................                   Or, toutes les boîtes du quartier, à commencer par Maxim's, et des jaloux de la concurrence,n'allaient pas tarder à porter plainte contre le "Boeuf " sous le prétexte que Moyses n'avait pas la permission de la nuit. Le commissaire divisionnaire, Peyrot des Gachons, homme d'esprit, Berrichon notoire et protégé du président Forichon, fit bientôt une première apparition officielle............ le commissaire revint tous les soirs. Justement, c'était l'époque où le " Boeuf " n'ignorait pas seulement ce que c'était que l'heure réglementaire, mais le petit jour, la mesure, le silence. Un jour............. ce fut pour voir Jef Kessel enfoncer d'un coup de poing, jusqu'à la pomme d'Adam, le haut-de-forme d'un mondain insolent. Celui-ci soudain masqué par une cheminée de locomotive, battait des nageoires au beau milieu du dancing et se faisait guider par sa femme comme un aveugle. Un autre jour, c'était le groupe Picabia qui exposait cer Oeil Cacodylate que la clientèle, un peu estomaquée quand même, admirait sans réserves, soutenue par un bataillon d'esthètes anglais, de sculpteurs monténégrins et de marchands de cocaïne prudents. Ceci est à noter. Le " Boeuf " fut toujours irréprochable : trafiquants de drogue ou de perles, laveurs de chèques eurent généralement le bon goût de garder leur marchandise dans leurs poches.
            Les difficultés avec la police ne cessèrent que sur l'intervention de M. Bader, des Galeries Lafayette, et Moyses obtint enfin l'autorisation de la nuit. Mais la maison bourgeoise dans laquelle s'incrustait le bar ne se tint pas pour battue. Après avoir compté sur l'extérieur pour la délivrer, elle se rabattit sur l'intérieur. Cela fit songer aux dernières cartouches de Bazeilles. La veuve d'un notaire fameux groupa les locataires de l'immeuble en un faisceau, se plaignit, au nom d'une association, de ne pas avoir fermé l'oeil depuis des années, et arracha à l'Administration l'expulsion de Moyses. 
           Une crise allait commencer.
           Le " Boeuf " s'installa dans la même rue, en face de ses propres souvenirs, dans une boîte qui portait la guigne, et ne put s'y tenir.
            C'est alors que l'on prit le chemin de la rue de Penthièvre, avec le grand Chobillon, ancien saint-cyrien, comme gérant.                                                                                                                                                                                                                                dadaparis.blogspot.com
            Le " Boeuf " de la rue de Penthièvre était encore le " Boeuf ". Mais déjà se mêlait aux habitués du type mondain-artiste une clientèle nouvelle composée de gigolos encore au lycée et d'employés de commerce qui eurent le front d'organiser des banquets corporatifs dans le sous-sol. Bien-sûr, on y vit Damia, et d'autres, à ces fêtes, mais un banquet est un banquet, et le groupe initial ne faisait plus que de courtes apparitions dans le quartier. Il avait horreur de ces jeunes filles à coktails qui conduisent ventre à terre dans Paris, et de ces administrateurs,habitués, depuis qu'il y a des bars à jeter leurs mégots dans les soucoupes des autres.
            De la rue dePenthièvre aussi il fallut partir un jour, Moyses, dont la soeur venait de se marier avec Henrion, qui prenait le " Grand Ecart ", se mit à la recherche d'un endroit nouveau et s'arrêta à l'avenue Pierre-Ier-de-Serbie, où fréquentent, me dit-on, des snobs en rupture de smoking, toujours un peu en extase devant les métèques du cinéma qui hantent les hôtels voisins et se hasardent parfois à venir prendre un verre au " Boeuf ", avec le sentiment de s'encanailler et de frôler le vice parisien, et dont Moyses saura bien s'absterger.
            Quant à ceux de la bande Boissy-d'Anglas, ils ont des enfants, des dettes, des postes. J'en rencontre parfois au coin d'une rue ou dans le salon de quelque vieille dame. C'est à peine si nous échangeons une poignée de souvenirs...



                                                                          à suivre...............


                                                     Cafés des Champs-Elysées 












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