dimanche 29 avril 2018

Mémoires d'un estomac racontées par lui-même 2 Sydney Whithin ( Roman Angleterre )

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                                                Mémoires d'un estomac
                                                     
                                                        Suite.......

                                              Légende de la Cornemuse

            " L'un des anciens Rois du Nord quitta un jour son palais scandinave pour une expédition lointaine et avec une bande d'aventuriers choisis. Il fit voile pour la côte d'Ecosse. Son voyage fut prospère. Il débarqua sans encombre, se dirigeant tout droit vers un certain grand village d'où il envoya ses ordres et se donna tous les airs d'un Monarque naturel du sol. Les malheureux aborigènes s'efforcèrent de le calmer plutôt que de le repousser, et celui-ci, après avoir levé force tributs en bestiaux, en peaux d'animaux et en une sorte d'esprit que les premiers habitants de cette contrée appelaient " Weiss Keigh ", se disposa à retourner dans son pays.
            Je dois ici remarquer que non seulement le Monarque était le représentant d'un peuple puissant, inquiet et maraudeur, mais qu'il était continuellement doué de plusieurs talents, entre autres, de la connaissance de l'alchimie et de la magie. Par son art il pouvait changer des objets inanimés en êtres animés et, quand il avait besoin d'un coursier de guerre ou d'un vaisseau, il recourait à ses incantations.
            Comme il était sur le point de retourner dans son royaume chargé de dépouilles, un picte aussi téméraire que brave, indigné de la soumission apathique avec laquelle ce conquérant pirate avait été accueilli, résolut de prendre, comme l'on dit, la Loi dans ses mains et d'essayer de tuer cet intrus.
            S'armant d'une grosse pierre qu'il plaça dans une fronde faite de peau de bouc il attendit près du rivage l'arrivée de l'ennemi de son pays et, sollicitant une entrevue, il fut introduit en sa royale présence. Se dressant alors de toute sa hauteur il s'écria :
            - Pourquoi, ô Monarque du Maëlstrom et de l'Iceberg, viens-tu lever des taxes impies sur un peuple inoffensif ? Mais Thor et Odin, que tu sers, ont permis à ce bras de venger mon pays, et ta dernière heure, homme téméraire, est arrivée !
            Il dit, et la fronde, rapide comme l'éclair, décrivit une évolution dans l'air et, avec la force de la foudre, elle descendit sur le trône, vide, du Monarque.
            Oui, le Roi Nécromancien avait disparu et, ses courtisans se précipitant sur cet homme dévoué et malheureux l'entraînèrent dans un appartement intérieur pour y être jugé.
            Là siégeait le terrible Roi du Nord, aussi calme et impassible que si rien n'était arrivé, méditant quel châtiment il infligerait à celui qui voulait être son meurtrier. Enfin, fronçant son sourcil ténébreux, il lui dit :
            - Sache, ô homme, que tu dois mourir ! Il est écrit dans le livre des destins que, si jamais je pardonne au misérable qui attente à ma vie, les calamités de toutes sortes visiteront mon peuple, et les portiques du Valhalla me seront fermés pour toujours. Donc, tu dois mourir ! J'aurais pu pardonner à ton dessein insensé en l'honneur de ton patriotisme, mais le destin me le défend et, par Igdrasil, ( à ce serment terrible la terre trembla ), je le jure, tu mourras ! Tout ce que je puis faire pour atténuer ta juste punition, est de rendre ta mort douce et facile. Au lieu de t'envoyer à la chambre des tortures où tes cris de douleur charmeraient les oreilles des cruelles Euménides. Leur fureur doit cependant être apaisée et les clameurs d'angoisse que j'épargne à ton agonie doivent être à jamais perpétuées sous une autre forme dans la terre que tu habites. C'est assez. J'ai prononcé l'arrêt des destins et ton sort est fixé.
            A ces mots, avant que le captif terrifié ait pu prononcer une seule parole, l'Enchanteur lui jette une poudre à la face, les spectres de la mort s'assemblent autour de lui, et il tombe sur le sol, cadavre inanimé.
            L'austère arbitre de son sort le regarde quelque temps en silence, puis s'écrie en accents où perce presque la pitié :                                                                              lejournaltoulousain.fr
            - Qu'on l'enterre là où les corlieus volent en cercle dans les airs, où la mouette fait entendre son chant funèbre, et où l'océan murmure son éternel requiem pour les trépassés. Mais avant tout, rendez-moi l'estomac de cet homme afin que je l'offre en sacrifice aux furies, comme je l'ai promis, et que l'esprit du défunt puisse reposer en paix.                                       
            A cet ordre, le principal de la bande ouvrit avec son sabre le cadavre du picte et, en ayant soigneusement extrait l'estomac avec le tuyau qui y conduit, autrement dit l'oesophage, il le déposa sur la terre, au pied du Nécromancien, pendant que d'autres serviteurs emportaient le corps pour l'enterrer sur le rivage. La scène à ce moment fut véritablement touchante et pleine de grandeur. Le Roi Magicien était assis, baguette en main et, à ses pieds gisaient les organes digestifs du défunt. Enfin il prononça quelques mots étranges et, traçant de sa main royale des hiéroglyphiques dans l'air, il s'écria à haute voix :
            - Change de forme, ô objet qui fus d'un si puissant usage à ce peu d'argile, lorsque la vie l'animait, et que sur ton tube il y ait des clefs et des touches, et que dans ta cavité il y ait de l'air, et que les habitants de cette contrée acquièrent l'art de t'employer comme instrument de musique, et que les sons soient aussi perçants que les cris d'un homme torturé, afin que les Euménides soient apaisées, et que l'on t'appelle dorénavant " pipeau-sac " ( Cornemuse ), pour que mes paroles reçoivent à la lettre leur entier accomplissement.
            Il dit et ses compagnons émerveillés ramassèrent sur le sol le premier instrument de ce nom qu'ait vu l'Ecosse. Bientôt un naturel du pays l'ayant trouvé, et s'étant mis à en jouer, ils se précipitèrent tous vers leurs vaisseaux, en se bouchant les oreilles, et ne mirent plus jamais les pieds sur le rivage d'Alben. "

            Je reviens aux événements de mon aventureuse existence. Le temps s'écoulait et le moment était venu de me mettre à l'école. On m'envoya à un établissement public. Là, je dois l'avouer, je gagnai rapidement bonne humeur et santé, car le régime strict, la régularité des repas et la discipline générale auxquels je fus soumis firent bientôt disparaître les traces d'une indigestion préliminaire de
riche gâteau de pudding et autres objets malfaisants emballés pour mon usage dans une malle dont, il faut le dire, la clef, pendant les premiers jours, grinçait dans la serrure environ toutes les deux heures. Ces provisions étant bien vite épuisées je commençai tout de bon la vie d'école.
            Une fois, il m'en souvient, pendant les heures consacrées au jeu, j'entendis une grande rumeur parmi les jeunes gens lorsque, tout à coup, je reçus une telle bourrade que je crus franchement être . chassé de la cage osseuse qui m'enserre. Je découvris que cet incident était dû à un échange poli de coups entre deux garçons, un ancien et un nouveau, qu'on avait mis aux prises pour essayer la force du second, afin de lui assigner sa place propre dans l'échelle proportionnelle du pugilisme. J'avoue que je détestais cordialement ces engagements-là, mais toute souffrance était préférable aux angoisses d'une surcharge ou d'une indigestion. Au reste, il faut dire, à l'honneur de ces gamins, qu'il était reconnu déloyal parmi eux de me choisir comme le lieu de l'attaque. Au contraire la tête et les côtes étaient plus généralement favorisées des attentions courtoises de ces messieurs. Loi très équitable et qui reçut mon entière approbation.
            A l'occasion, les plus grands s'échappaient de l'enceinte du collège pour acheter toutes sortes d'abominations, quoique je fusse bien aise, de temps en temps, d'une petite addition à la carte de nos repas ordinaires.
            Dans une circonstance particulière, le comique et le tragique combinés marquèrent si étrangement un incident que l'habitude a depuis dépouillé pour moi de sa nouveauté, qu'il convient de le raconter avant d'aller plus loin.                                                                                   zazzle.ca
Résultat de recherche d'images pour "pipeau sac"            Le jour était tombé, la cloche avait sonné la retraite et l'appel à la prière lorsque, au milieu du tumulte des écoliers courant à leurs places respectives, je me sentis enlever, aussi vite qu'une paire de jeunes jambes pouvaient me porter, bien au-delà du territoire scolaire. J'eus bientôt la conscience qu'une épreuve d'une sorte ou d'une autre m'était réservée.
            Au lieu de me trouver, comme d'ordinaire, dans une boutique de pâtissier, une certaine odeur
marine, comme de vieux poissons, m'embarrassa extraordinairement. Et j'attendais l'éclaircissement de ce mystère au milieu de sensations que seul peut éprouver un estomac dans l'incertitude pénible de ce qui va lui arriver et de ce qu'il va recevoir, surtout lorsqu'il est livré à la merci d'un écolier affamé et sans scrupules.
            On ne me tint pas longtemps en suspens et je n'oublierai jamais les impressions de ce moment.
             Tout à coup descend en clapotant, c'est le mot, dans mon intérieur étonné, une petite masse mucilagineuse, d'une saveur saumâtre, où la vie semblait palpiter encore.
            Grands Dieux ! Je crois qu'il n'avait pas eu le temps de régler ses affaires !
            L'ensemble était accompagné d'un fluide d'une extrême acidité et de particules de poivre noir chaud et piquant. En vérité, jamais de ma vie je ne fus aussi complètement abasourdi.
            Je tournai et retournai ce merveilleux composé, et ne savais que faire de l'informe petit monstre. Avant qu'il me fût possible de donner issue au flot d'invectives que l'indignation soulevait en moi, un autre, puis un autre se glissèrent sans cérémonie, et à la suite vint, gargouillant et écumant, un torrent d'une sorte de liquide, couleur jus de réglisse, appelé Porter !
            Alors, un horrible soupçon traversa mon esprit. Un instant je me demandai si ces substances particulières, salées et mollasses, qui m'avaient inspiré tant d'horreur, n'étaient pas les yeux de ces pauvres brasseurs employés dans l'Etablissement bien connu sous la raison " Nux vomica et Cie ".
Cette idée terrible paraissait être, jusqu'à un certain point, corroborée par le goût saumâtre auquel j'ai déjà fait allusion et que j'attribuais naturellement à la saveur spéciale des larmes de ces malheureux.
La poudre, il est vrai, rendait douteuse l'exactitude de mes suppositions mais, avec mes ressources exquises d'imagination, je le considérais comme un rejaillissement à la face de ces hommes, d'une portion de cette poudre malfaisante que leur maître s'était efforcé de jeter aux yeux du public, lorsqu'il s'amusait à soutenir que sa bière était " génuine ".
            Mon attention, toutefois, fut bientôt distraite par un autre cataracte de la liqueur noire, et quand l'argent sonna sur le comptoir, le nom de cet extraordinaire petit étranger, qui n'avait pas été le bienvenu, je vous assure, vint pour la première fois frapper mon oreille et le mot HUÎTRE fut ineffaçablement gravé dans ma mémoire.
            Depuis ce temps j'ai eu mainte occasion de recevoir ces créatures avec une extrême courtoisie sous toutes les formes et dans toutes les circonstances, à l'écaille, cuites à l'étuve, au beurre, grillées, avec barbes et sans barbes, etc. Mais pour un estomac jeune et ingénu, comme je l'étais alors, l'huître crue, assaisonnée légèrement de vinaigre fort et de poivre noir, et arrosée d'un fluide semi-opaque, pour la faire descendre, présentera toujours un ensemble gastronomique propre à fixer agréablement ses souvenirs, prouvant une fois de plus combien est mince la partition qui sépare le sublime du ridicule.   saveur-biere.com
Résultat de recherche d'images pour "bière favorite d'homer simpson"            L"expérience m'a appris, depuis, qu'il est d'usage dans la bonne société de commencer le dîner par quelques huîtres pour aiguiser l'appétit., et cela ne m'a nullement surpris, car tout estomac ayant tant soit peu la conscience de la dignité de sa position, comme membre scientifique d'un corps merveilleux, est si curieux d'analyser ce remarquable mollusque dès que celui-ci arrive à sa destination intérieure qu'il secrète, incontinent, une plus grande quantité de l'acide gastrique qu'il n'est absolument nécessaire pour l'épreuve, et l'excédent devient pour l'appétit un stimulant additionnel.
            Pendant mon travail d'analyse je découvris que cette agglomération de matière, en apparence inorganique, possède une très importante structure ayant une bouche, des lèvres prolongées, de branchies, un foie, des muscles, des intestins et, par-dessus tout, un coeur dans lequel peuvent reposer, à ce que nous sachions, des affections douces, et les plus gracieux instincts.
            Dans tous les cas la femelle peut produire environ 1 200 000 oeufs, si petits qu'un million de ces oeufs tiendraient dans un espace d'un pouce carré, en sorte que si les facultés affectives sont tant soit peu dépendantes de la fécondité, l'Huître doit prétendre à une rare distinction sur ce point. Leur sensibilité est telle qu'on les a vues fermer leurs valves sous l'ombre d'un bateau qui passait au-dessus d'elles. Conséquemment il ne serait pas téméraire de supposer qu'elles sentent vivement leur cruelle position lorsqu'un couteau sans pitié les ouvre violemment, quand elles sont arrachées de leurs demeures, et brutalement jetées dans la puissante solution que je tiens toujours prête pour mes victimes.
            On se demandera, naturellement, si ces délicats petits animaux ont été uniquement destinés à chatouiller les appétits gastronomiques de l'homme ?
            - Héliogabale était-il né pour les huîtres, ou les huîtres pour Héliogabale ? Je croirais volontiers que la nature les a appelées à un plus noble rôle que celui de contribuer aux plaisirs de la table, même d'une table romaine dans tout son luxe. Car la géologie nous apprend que les immenses bancs formés par les huîtres constituent une des plus puissantes barrières aux envahissements de la mer sur la terre ferme. Ces animaux voulant ainsi, sans doute, se réserver l'usage exclusif de leur propre élément. Cet égoïsme légitime, au reste, nous est très utile, et certaines personnes ne croiraient pas, en considérant une huître isolée, que l'agglomération des individus de cette espèce crée à la longue une sorte de brise-mer sous-marin.                                               madame.lefigaro.fr
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            Les huîtres vivent ensemble dans une république plus heureuse que celle de Thomas Morus, remplissant les devoirs de la vie avec mesure et énergie, nous donnant l'exemple des vertus conjugales, accumulant un capital commun en bijoux plus précieux que l'or, et faisant même de ces maladies particulières à vie marine une source incalculable de richesses pour le genre humain.
            Je ne sais si les beaux messieurs et les belles dames qui étaient leur luxe dans le Hay Market, ce grand marché pour la vente de tous les articles appartenant à la famille des mollusques, je ne sais s'ils ont jamais réfléchi sur tous ces titres à notre considération, et si, lorsque les tendres entrailles du pauvre bivalve palpitant étaient soudainement exposées à leur vue, ils les avalaient au moins avec des sentiments de bienveillante sympathie.
           - Hélas ! pour l'honneur de l'humaine nature, je crains bien qu'il n'en soit rien. Toutefois en voilà assez pour ma première expérience de l'huître, production animale chez laquelle, soit dit en finissant, la nature semble avoir interverti la manière ordinaire de mourir. Car elle ne vit que dans son lit, et meurt presque toujours dehors.



                                                                                   à suivre.............

            M'étant étendu sur l'idiosyncrasie.............

       

vendredi 27 avril 2018

Voyelles Arthur Rimbaud ( Poésie France )

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                                                       Voyelles


                           A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles,
                           Je dirai quelque jour vos naissances latentes :
                           A, noir corset velu des mouches éclatantes
                           Qui bombinent autour des puanteurs cruelles,

                           Golfes d'ombre ; E, candeurs des vapeurs et des tentes,
                           Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d'ombelles :
                           I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles
                           Dans la colère ou les ivresses pénitentes ;

                           U, cycles, vibrements divins des murs virides,
                           Paix des pâtis semés d'animaux, paix des rides
                           Que l'alchimie imprime aux grands fronts studieux :

                           O, suprême Clairon plein des strideurs étranges,
                           Silences traversés des Mondes et des Anges :
                           - O l'Oméga, rayon violet des Ses Yeux !


                                                                                    Arthur Rimbaud
Peinture musicale (7)
                         






































Mémoires d'un estomac racontés par lui-même - extraits - Sidney Whiting ( Roman Angleterre )

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                                          Mémoires d'un estomac
                           écrits par lui-même pour le bénéfice de tous ceux
                                         qui mangent et qui lisent
                                          
                                         D'après une édition parue en 1874

                             Préface

            Ces derniers temps, un ou deux phallus, dont celui d'un célèbre marquis, ont pris la parole, et un futur bambin nous a expédié de sa matrice quelques réflexions sur le monde. Habituellement tout quidam, vous, moi, se contente de parler au nom de son cerveau, reptilien ou non.
            Le foie n'est plus en crise depuis l'invention des produits allégés, notre rate doit trop souvent se contenter de ses dimensions naturelles, quant aux boyaux, à peine si leur existence nous est rappelée......... Où en est Mr Gaster ? En ces temps des Trois M, Minceur, Mise en forme et Musculation, il n'émet que quelques borborygmes lorsque le régime se fait trop sévère.
            Pourtant, si l'on prend le temps de s'y arrêter on s'étonne de la place que l'estomac, organe apparemment dépourvu de noblesse, tient dans notre imaginaire. Bien accroché il peut aussi se dilater vers le bas jusqu'à occuper la partie la plus inférieure de notre corps.....................
            Ainsi débute la présentation du livre par Monique Lebailly dans une édition de 1991.

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                                              Mémoires d'un estomac

                       Il est rare qu'un estomac affamé méprise les plats ordinaires
            ( Oh ! que mon estomac n'est-il long d'une encablure, et que chaque pouce de
            sa surface n'est-il un palais ! )

            Je passerai rapidement sur les jours de ma première enfance, mais je dois déclarer que je suis de bonne lignée, car je tiens du côté maternel aux célèbres Sternums, de Eaton Hall, émigrés depuis à Eaton-Moore, et, du côté de mon père, je date mon origine d'une époque très reculée, celle de la première invasion des Saxons, quand le sir Hughes Stomach fut créé baron en récompense de l'énorme quantité de boeuf qu'il était capable de digérer. Depuis ce temps une certaine portion de l'animal a été nommée d'après lui.
            ...............
                                                                                                                      culturebox.francetvinfo.fr
Résultat de recherche d'images pour "peinture estomac"            De ma pauvre mère je dirai peu de choses : elle était d'une humeur douce, conciliante et nullement adaptée à la société de son mari. Celui-ci, je suis obligé de l'avouer, doué d'une nature robuste et grossière, était incapable d'apprécier l'excellente aménité de sa compagne.
            Cette union était en vérité mal assortie, sous beaucoup de rapports.
            Trois mois environ après avoir donné naissance à un héritier, dans la personne de l'auteur, ma vénérable mère alla rejoindre les estomacs d'une autre sphère, et fut enterrée ( je veux dire ses restes )
dans le mausolée de famille. Sur sa tombe fut gravé ce simple et touchant épitaphe impromptu que composa mon père :
                                  Ma digne femme au monstre terrifique
                                          A payé le dernier tribut ;
                                        L'infortunée ! Elle mourut 
                                      Par défaut de suc gastrique !

            Je ne puis, bien entendu, me rappeler cet événement, mais je sais que je fus livré à une nourrice avant le sevrage, et que ce changement fut très préjudiciable à ma santé et à mon bien-être. La délicieuse nourriture d'une saveur amygdaline et d'un goût si suave, que me prodiguait le sein de ma pauvre mère, fit place à une sorte de lait Londinien. Les docteurs lui dirent de boire du Porter. Elle en buvait et, par-dessus le marché tout autre espèce de liqueur qu'on pouvait se procurer au cabaret. Le pire en cette affaire, c'est que je n'avais aucun redresseur de mes griefs. J'avais soin, toutefois, de faire participer tout le monde à mon dégoût, en excitant mes voisins, les bras et les jambes, à une variété de mouvements et de contorsions. Quant à la petite voix qui habitait en haut, je lui suggérais des cris si aigus et si perçants, que chacun dans la maison en vint à détester cordialement le petit corps dont j'étais le centre. Quoiqu'il en soit, je souffris terriblement pour mon défaut de patience, car, parfois, lorsque les angoisses de la faim me forçaient de prendre ce qui se présentait pour me rafraîchir, j'entendais mes bonnes amies les lèvres se débattre contre quelque mélange amer avec lequel les pauvrettes étaient obligées de se mettre en contact.
            Ces cris étaient le prélude infaillible d'une saveur horrible qui, en descendant, m'apportait autant d'étonnement que de trouble. Mais je découvris bientôt, quand la nourrice trouvait suffisante l'administration de ses dons généreux, qu'elle réprimait en moi tout désir d'en avoir davantage, au moyen d'un certain fiel, connu de la sollicitude maternelle, qui me retournait presque sens dessus dessous.
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Résultat de recherche d'images pour "estomac peinture"            Après avoir enduré cette malheureuse existence pendant quelque temps, l'heureuse période de mon changement de nourriture arriva enfin.
            Je remplirais un volume des surprises extraordinaires qui m'attendaient à chaque nouveau composé alimentaire qui sollicitait mon attention, et que j'étais, bon gré mal gré, obligé de digérer de mon mieux dans l'intérêt du système en général.
            Je me souviens, entre autres, que la bouillie m'embarrassa extrêmement. Les innocentes personnes qui me servaient s'imaginaient, je pense, qu'elles me donnaient de la farine de froment. De la farine, grands dieux !
            Quand je vins à essayer cette substance à l'aide de ma puissante machine d'analyse, machine si énergique que je pourrais dissoudre un morceau de marbre et vous dire de quoi il est composé, quand je vins, dis-je, à en faire l'épreuve, par un acide fort que je possède, je trouvai qu'il n'y avait pas plus de 20 °/de farine dans toute la composition, le reste étant un mélange d'amidon commun, d'os pulvérisé, de fécule de pommes de terre, et souvent de plâtre de Paris.
           Je dois dire qu'il y avait une sorte d'officier surveillant, appelé  Palais qui m'a toujours accompagné dans la vie, dont le devoir était de goûter chaque particule de la nourriture destinée à ma consommation, et de la rejeter s'il la désapprouver. La vigilance de ce personnage toutefois, me fut d'un faible secours contre les stratagèmes auxquels on recourait pour nous tromper tous deux. La conséquence fut qu'il tomba très souvent dans un état de sensibilité morbide, ne distinguant plus le bon du mauvais et qu'au lieu de me garder contre le mal, il m'y précipita.
            A l'occasion, alors que je me reposais tranquillement, après le rude travail consécutif à un bon repas, ou quand j'étais activement occupé à distribuer l'élément nutritif à tout ce qui m'environne, je me trouvais subitement arraché à mon sommeil, ou à mes fonctions, suivant le cas, par la descente rapide de composés dont la nature m'était totalement inconnue et qui, parfois, soulevaient en moi un tel dégoût, que je devenais rétif, et me refusais tout net à cet injuste appel fait à ma puissance d'assimilation et à ma bonne volonté à obliger.
            Mais j'étais généralement bien puni de cette résistance , et je n'oublierai jamais qu'un jour, ayant repoussé et littéralement mis à la porte un abominable mélange de sucre, de craie et de mélasse, jamais, dis-je, je n'oublierai la sensation éprouvée lorsque, après une courte conversation préliminaire entre ma garde et un médecin, mon malheureux intérieur fut inondé par une noire cascade d'une si horrible nature qu'il me sembla que les eaux du Phlégéton avaient été remuées pour m'être administrées pour mon bénéfice personnel.
            Je pensais, en vérité, que c'en était fait de moi. Et, ce qui aggrava mes souffrances, ce fut la crainte de rejeter ce poison nauséeux, accident qui m'aurait probablement soumis à une répétition de la dose. Aussi je supportai ce mal aussi bien que je pus et pris tout spécialement soin de donner à mes voisins une idée substantielle, et non simplement théorique, de mes douleurs.
            Je date de ce moment une série de petites vexations d'une nature      vraiment " protéique ", et c'était en vérité risible d'entendre frictionner de prétendus rhumatismes, de voir appliquer des cataplasmes et autres épithèmes à des ulcères rebelles, de voir recommander toutes sortes d'eaux minérales pour des maladies cutanées, et même pratiquer des opérations sur des membres malades, quand j'étais seul la cause de tout cela.
Résultat de recherche d'images pour "dionysos picasso"  *          Si les gardes-malades et les docteurs m'avaient seulement permis, pendant mes premières indispositions de rester dans un repos parfait, me fournissant, à des intervalles réguliers, une nourriture légère et suffisante, ne me donnant, de fait, rien ou peu de chose à faire, au-delà d'une agréable récréation, j'aurais jeté mes pieds reconnaissants sur mon sofa bien rembourré et, après un instant de sommeil, je me serais réveillé rafraîchi et tout aurait bien été. Mais un système de médecine, une fois commencé impliquait la nécessité de le continuer, et on s'imaginera mieux que je ne le pourrais décrire ce que j'éprouvais quand j'entendais prescrire pour moi certaines drogues que je savais devoir ultérieurement miner et détériorer ma constitution.                                                                                                     
            Il conviendra de donner ici une description brève et familière de ma mission dans la vie et, comme je désire que tous ceux qui mangent puissent me lire je me servirai le moins possible de ces locutions techniques ou anatomiques qui ne seraient comprises que de mes plus grands ennemis, la tourbe des médecins praticiens.
            Mon apparence personnelle, je dois l'avouer, ne prévient point en ma faveur, car je ressemble, pour la forme, à une cornemuse écossaise, étant moi-même le sac, et l'oesophage le tuyau de l'instrument.
            J'ai souvent désiré qu'il y ait plus de touches, surtout quand la gloutonnerie se mêle de le faire fonctionner. Il en serait probablement ainsi si je pouvais produire des sons semblables à ceux de la cornemuse calédonienne, sons si terribles, que les braves Highlanders, dit-on, pour y échapper, se précipitent au combat.
            La nature donne originellement une structure intérieure à peu près parfaite à tous les individus de mon espèce, mais elle accorda une très grande influence à une faculté présidant aux opérations de l'esprit, et appelé " raison ". En considération de l'élévation de l'homme au-dessus des autres créatures, elle établit comme une règle absolue que l'homme, par l'usage de la faculté sus-nommée, régnerait sur ses propres destinées.
            Or cette disposition paraît être très sage, car si la nature avait voulu faire de l'homme une simple machine d'un jeu parfait, elle aurait sans doute pu le faire. Mais, en lui assignant certaines facultés élevées et en lui donnant un pouvoir discrétionnaire, elle en a fait un agent libre, et lui permet de développer ces nuances et ces particularités de caractère qui nous montrent en lui un animal remarquable, et si digne d'être étudié.
            Donc, comme je l'ai dit plus haut, quoique ma forme matérielle ait été merveilleusement adaptée aux fonctions auxquelles je suis destiné, beaucoup a pourtant été laissé aux décisions de cette même raison, et le mépris de ses préceptes est la cause qui a produit un grand nombre des maux corporels qui affligent les habitants de notre planète.

            Mes principales fonctions étaient celles-ci :
            Recevoir d'abord, avec la courtoisie et la politesse convenables, tous les aliments qui m'arrivaient en traversant une antichambre, ou passage, nommé Oesophage et, bien qu'il y eût, comme je l'ai déjà dit, un officier nommé Palais, aidé d'un subordonné ayant nom Odorat, stationné à l'entrée pour mettre un embargo sur les importations malfaisantes, cependant, généralement parlant, je recevais gracieusement ce que les Dieux m'envoyaient et procédais de suite à l'accomplissement de mes devoirs divers. Sitôt la nourriture arrivée dans mon enceinte et touchait la surface muqueuse je sécrétais, par la vigueur des couches adjacentes de mes parois, un acte si énergique qu'il réduisait le tout en une sorte de pulpe et que des matériaux les plus étranges et les plus disparates je formais, avec l'assistance de mes coopérateurs inférieurs, un demi fluide laiteux, nommé chyle, fluide d'une si grande valeur qu'à peine formé tout un corps de porteurs, les vaisseaux lactés, l'emportaient en toute hâte pour fertiliser le sol.                                                                                          lewebpedagogique.com
Résultat de recherche d'images pour "dionysos picasso"            Or, supposez un seul instant ce qui arriverait si vous, aimable  lecteur, aviez envoyé un certain nombre de vos serviteurs remplir leurs seaux à une source d'eau pure, pour arroser votre jardin et si, au lieu d'eau limpide, ils ne trouvaient qu'un composé semblable aux eaux de la Tamise que le Times appelle " une fosse en ébullition ". Pareille chose arrivait souvent à ces vaisseaux lactés. On les avait destinés à distribuer un chyle pur et salubre dans toutes les parties du corps et ils se trouvaient en présence de si horribles mixtures dues à la gloutonnerie et à la surcharge, que j'étais obligé d'user de toute mon influence personnelle pour les décider à remplir la tâche qui leur était imposée.
            Mais ne croyez pas un seul instant que la nature ait été assez parcimonieuse pour ne me fournir qu'un seul moyen de décomposer les substances, oh ! non.
            Outre l'acide elle m'avait aussi pourvu d'un alcali présent dans le suc pancréatique aussi bien que dans la bile, de sorte qu'il n'y avait guère de chance, pour un passager quelconque, de pouvoir s'échapper, d'autant plus que, lorsque l'acide ne parvenait pas " à lui faire son affaire ", un puissant alcali était appelé en réquisition et ce dernier me débarrassait de toutes les substances grasses avec lesquelles le suc gastrique n'avait rien à démêler. Les matières que ni l'un ni l'autre de ces puissances auxiliaires ne pouvaient dissoudre, on les envoyait promener d'une manière ou d'une autre. Je me trouvais donc pourvu par la nature contre toutes les éventualités, et les choses se passaient ainsi :
je dissolvais les aliments ordinaires comme il a été dit mais, quand des substances m'arrivaient, dont ni l'un ni l'autre de mes agents acides ou alcalins ne pouvaient venir à bout, nous les passions à un autre district et, une fois entre les mains du tendre surveillant qui y préside, leur sort était digne de pitié.
            Lorsque j'éprouvais un violent dégoût pour quelque substance suspecte, par un violent effort musculaire, je la chassais, comme un vagabond et un intrus.
             J'avais, bien évidemment, ma méthode pour commencer et accomplir mes nombreux devoirs.
             Je pourrais, si cela était nécessaire, expliquer comment par la contraction de mon muscle propre, par la fermentation partielle, par la dissolution, par l'endosmose, mais surtout par mon suc gastrique agissant comme menstrue, j'accomplissais la tâche difficile de soutenir le corps tout entier, et de lui donner toute son énergie et sa vigueur. Indépendamment de ces ressources j'avais, dans toute les directions des messagers fidèles et, entre moi et cet individu, M. Cerveau, était établie une double série de fils électriques. Grâce à leur aide je pouvais, avec toute la facilité et la rapidité possibles, lui communiquer les incidents de la journée, à mesure qu'ils se présentaient, en même temps que lui, de son côté, me pouvait informer de ses sensations et de ses impressions.
            Souvent, quand il avait reçu de mauvaises nouvelles, je refusais de digérer par pure sympathie. Et quand, à l'occasion, je devenais morose et refusais de travailler, lui aussi devenait irritable et pétulant.
            Relativement à ma ressemblance avec une cornemuse écossaise, il existe dans les archives de ma famille un vieux manuscrit écrit en caractères anglais gothiques. Il prétend rendre compte de la similitude particulière de nos formes. Comme la légende est courte et qu'elle a entièrement trait au sujet de ces mémoires, je la transcris ici.

*      lenversdelacaverne.unblog.ft

                                                                           Sydney Whiting

                                                          à suivre.............

                                     Légende de la Cornemuse

            L'un...........................
         
           

mardi 24 avril 2018

L'Opium Balzac ( extrait de la Comédie des Ténèbres )

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                                                                  L'opium


                Où était le dénouement de sa vie ?... Il ne croyait pas, comme l'abbé de Rancé à un avenir. Quand il se serait  livré à la justice humaine, elle n'aurait pas voulu de sa tête : les preuves de son crime n'existaient plus : c'était un secret entre LUI et Dieu !- Ainsi le ciel et la terre lui manquaient à la fois !... - Il essaya de la doctrine saint-simonienne, parce qu'il y voyait l'avantage de se faire prêtre tout de suite, sans passer par un séminaire... Mais il méprisait l'homme, et Saint-Simon tend à le perfectionner. - Il avait étreint jadis la débauche comme un monstre moins fort que lui. - La femme ?... elle n'existait plus. Pour lui, l'amour n'était plus qu'une fatigue, et la femme ?... un jouet qu'il avait déchiré, à la manière des enfants, pour en connaître les ressorts... Tout était dit !...
                Alors, il se mit à manger de l'opium en compagnie d'un Anglais qui, pour d'autres raisons, cherchait la mort, une mort voluptueuse ; non celle qui arrive à pas lents sous la forme de squelette, mais la mort des modernes, parée des chiffons que nous nommons drapeau !... C'est une jeune fille couronnée de fleurs, de lauriers ! Elle arrive au sein d'un nuage de poudre, ou portée sur le vent d'un boulet. C'est une espèce de folle souriant à un pistolet, ou couchée sur un lit entre deux courtisanes, ou s'élevant avec la fumée d'un bol de punch... C'est enfin une mort tout à fait fashionable !
                Ils demandaient à l'opium de leur faire voir les coupoles dorées de Constantinople, et de les rouler sur les divans du sérail, au milieu des femmes de Mahmoud : et là, ils craignaient, enivrés de plaisir, soit le froid du poignard, soit le sifflement du lacet de soie ; et, tout en proie aux délices de l'amour, ils pressentaient le pal... L'opium leur livrait l'univers entier !...       giphy.com
Image associée               Et, pour trois francs vingt-cinq centimes, ils se transportaient à Cadix ou à Séville, grimpaient sur des murs, y restaient couchés sous une jalousie, occupés à voir deux yeux de flamme - une Andalouse abritée par un store de soie rouge, dont les reflets communiquaient à cette femme la chaleur, le fini, la poésie des figures, objets fantastiques de nos jeune rêves... Puis, tout à coup, en se retournant  ils se trouvaient face à face avec le terrible visage d'un Espagnol armé d'un tromblon bien chargé !...
               Parfois ils essayaient la planche roulante de la guillotine et se réveillaient du fond des fosses, à Clamart, pour se plonger dans toutes les douceurs de la vie domestique : un foyer, une soirée d'hiver, une jeune femme, des enfants pleins de grâce, qui, agenouillés, priaient Dieu, sous la dictée d'une vieille bonne...  Tout cela pour trois francs d'opium. Oui, pour trois francs d'opium, ils rebâtissaient même les conceptions gigantesques de l'antiquité grecque, asiatique et romaine !... Ils se procuraient les plotherions regrettés et retrouvés ça et là par M. Cuvier. Ils reconstruisaient les écuries de Salomon, le temple de Jérusalem, les merveilles de Babylone et tout le Moyen Âge avec ses tournois, ses châteaux, ses chevaliers et ses monastères !...                        
              Ces immenses savanes, où les monuments se pressaient comme les hommes dans une foule, tenaient dans leurs étroits cerveaux où les empires, les villes, les révolutions se déroulaient et s'écroulaient en peu d'heures ! Quel opéra qu'une cervelle d'homme !... Quel abîme, et qu'il est peu compris -  même par ceux qui en ont fait le tour - comme Gall.
             Et l'opium fut fidèle à sa mission de mort ! Après avoir entendu les ravissantes voix de l'Italie, avoir compris la musique par tous leurs pores, avoir éprouvé de poignantes délices, ils arrivèrent à l'enfer de l'opium... C'étaient des milliards de voix furieuses, des têtes qui criaient : tantôt des figures d'enfants contractées comme celles des mourants ; des femmes couvertes d'horribles plaies, déchirées, plaintives ; puis des hommes disloqués tirés par des chevaux terribles, et tout cela par myriades ! par vagues ! par générations ! par mondes !...
Résultat de recherche d'images pour "rêve cauchemar"            Enfin, ils entrèrent dans la région des douleurs. Ils furent tenaillés à chaque muscle, à chaque plante de cheveux, dans les oreilles, au fond des dents, à tout ce qui était sensibilité en eux. Ils ressemblaient aux hommes blasés pour lesquels une douleur atroce devient un plaisir !... car c'est là ton dénouement, ô prestigieux opium !... Et ces deux hommes moururent sans pouvoir se guérir, comme toi, poète inconnu ! jeune Mée, qui nous a si bien décrit tes joies et tes malheurs factices !


point-fort.com

                                                                       Comte Alex de B.
       

 *    Texte de Balzac paru en 1830 dans " La Caricature " sous le pseudonyme : " Comte Alex de B.



dimanche 22 avril 2018

Anecdotes et Réflexions d'hier pour aujourd'hui 88 Samuel Pepys ( Journal Angleterre )

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                                                                                                              16 février 1663

            Lever et en fiacre avec sir William Batten et sir John Mennes à Whitehall et, après notre entretien habituel avec le Duc, chez milord Sandwich. A sa demande chez sir William Wheler, descendu de son cabinet en chaise à porteurs, car il est podagre, afin de lui emprunter 1OOO livres pour les besoins de milord. Mais il m'opposa un refus très courtois, mais que si d'autres y consentaient il se porterait garant de milord pour cette somme. Ensuite au palais de Westminster, où tous s'interrogent sur la décision du Parlement, lorsqu'il siégera de nouveau dans deux jours, en matière de religion. La grande question est de savoir si les pasteurs presbytériens accepteront que les papistes obtiennent la liberté de conscience avec eux, ou s'ils préféreront qu'elle leur soit refusée aussi à eux-mêmes. Et les papistes, me dit-on s'efforcent de faire en sorte que les presbytériens consentent à obtenir leur liberté et à les laisser obtenir la leur tout comme eux, et d'aucun pense qu'ils l'obtiendront.
            Il paraît qu'un prêtre en vêtements sacerdotaux a été pris en train de dire la messe quelque part à Holbornn l'autre jour, et a été emprisonné par le secrétaire Morice comme le veut la loi, et l'on dit que l'évêque de Londres l'en a remercié.
            Ensuite dînai chez milord Crew en nombreuse compagnie. L'affaire dont je viens de parler est présentement le sujet de toutes les conversations.
            Puis chez mon avocat, Mr Philips, pour l'entretenir de plusieurs affaires, afin de mettre un terme à toutes les démarches engagées, et au Temple où, chez l'avocat général je retrouve Mr Chomley et Creed lisant à celui-là l'accord qu'il devra rédiger concernant le contrat pour la construction du môle à Tanger. La somme de 13 shillings le yard cube a été arrêtée. Mais, sur ma conscience, il n'est pas un membre de la commission en dehors des parties concernées qui entende ce qui se fait à ce sujet, ni si l'on donne trop ou pas assez.
            De là allai avec Mr Creed voir Mr Moore toujours malade et qui garde la chambre. Je demeurai un bon moment après le départ de Creed à parler de tout ce qui me venait à l'esprit, du travail ou autre chose. Puis rentrai voir sir William Penn et jouai aux cartes avec lui, sa fille et Mrs Rooth. Puis un petit moment à mon bureau, et à la maison, et au lit.


                                                                                                              17 février

            Lever et à mon bureau réunion toute la matinée. Ma femme étant allée à Chelsea avec son frère, sa belle-soeur et Mrs Lodum assister à la fête de l'école où travaille Mary Ashwell, à midi j'amenai chez moi Mr Pett pour dîner. Nous eûmes une longue conversation sur les affaires du bureau, et nous nous séparâmes. Avec bien des difficultés, car il pleuvait très fort, ce qui ne s'était pas produit depuis bien longtemps car il gelait depuis un bon moment, je trouvai un fiacre et me rendis dans le quartier du Temple où je parlai avec Mr William Montagu du dessein qu'a milord d'emprunter de l'argent. Pris ensuite une barque, ce que je n'ai pas fait depuis longtemps à cause du froid, pour Westminster voir sir William Wheler que je trouve chez lui occupé avec les commissaires aux égouts.. Mais je lui parlai de l'emprunt que veut faire milord, et me rendis chez milord Sandwich pour lui rendre compte de mes démarches. Je le trouvai jouant aux cartes avec Pickering, mais il finit promptement et nous restâmes seuls. Après avoir écouté mon rapport il me dit avoir un grand secret à me confier que ne connaissait et ne devait connaître âme qui vive. C'était le suivant : hier matin Eschar, serviteur de Mr Edward Montagu, vint le voir de la part de son maître accompagné de plusieurs clercs du Trésor, afin que milord signât leurs registres au sujet de l'argent de l'ambassade. Milord, fort civilement, exprima son désir de n'en rien faire avant d'avoir parlé à son maître en personne. Dans l'après-midi, alors que milord et milady Wright jouaient aux cartes dans son cabinet, voilà qu'arrive Mr Montagu. Il demanda à entretenir milord dans l'encoignure de la fenêtre de sa chambre, et commença à l'accuser de la plus grande ingratitude du monde : milord qui lui devait son titre de comte, son titre de la Jarretière, ses 4 000 livres de rente et sa position dans le monde, s'employait à présent à lui causer tout le déshonneur qu'il pouvait. Il dit ensuite à milord que s'il disait tout ce qu'il savait de lui, il pourrait faire bien des choses. En un mot, il alla chercher contre milord tout ce que l'on pouvait dire de mal et usa pour l'exprimer des termes les plus vils. A quoi milord répondit avec beaucoup de flegme, se justifiant tout en s'efforçant de modérer l'emportement de son cousin. Cette humeur est surprenante de sa part lorsque l'on sait qu'il doit tout ce qu'il possède au monde à milord et qu'il est maintenant tout ce qu'il est par son entremise et sa faveur. Mais milord s'abstint d'envenimer la querelle, sachant qu'il n'avait rien à gagner à ce que le monde vît une désunion dans sa famille et, au contraire, apaisa Mr Montagu, tant et si bien qu'il se mit à pleurer. Et après une longue conversation, son cousin lui dit entre autres, qu'il y avait en ville une certaine personne, et il me nomma, qui l'avait desservi, et que s'il venait à en être certain il lui donnerait la bastonnade. Milord lui promit que si à l'examen des comptes il constatait qu'il ne restait peu de fournisseurs impayés, il signerait les registres. Mais dans le cas contraire il ne pourrait prendre une trop grosse dette sur lui. Alors, aujourd'hui, il lui a envoyé ses comptes et une lettre par laquelle il l'assurait qu'il n'y avait pas plus de 200 livres d'impayés. Et milord a donc signé les registres du Trésor.                                                                                                       le1hebdo.fr  
Image associée            D'après tout cela j'entends fort bien quel coquin il est et ce que milord pense et pensera de lui à l'avenir, car il m'a dit qu'il avait aussi agi ainsi envers son père, milord Manchester, et toute sa famille. Qui pis est il a insulté et dans ses discours il insulte tous les jours milord le chancelier dont il a perdu la faveur. Il n'a aucun ami à part sir Henry Bennet, je connais les débuts de cette amitié, cela uniquement parce qu'ils ont les mêmes plaisirs et fréquentent la même compagnie, portent le même intérêt aux choses viles et à la luxure, que Dieu le leur pardonne ! Mais il se flatte, d'après des promesses de sir Henry Bennet, de pouvoir obtenir une pension de 2 000 livres par an et d'être fait comte. Milord me dit qu'il s'attendait à quelque provocation de sa part, mais qu'il n'y avait pas grand chose à craindre car sa réputation est au plus bas depuis son duel avec Mr Chomley, tout simple et insignifiant qu'il soit, le brave et se pavane devant lui en présence de la reine, au grand amusement et au vu de toute la Cour.
            Et il a retenu milord à la fenêtre, l'insultant et le bravant plus d'une heure durant, alors que milady Wright était à côté, mais milord me dit qu'elle n'a pas pu entendre toutes ses paroles quoiqu'elle sût fort bien de quoi ils parlaient. Elle en avait suffisamment entendu. Il me commande donc de considérer cela comme le plus grand secret du monde et m'ordonne de ne rien dire contre Mr Montagu de crainte que j'aie à souffrir de sa fureur.
            Après qu'il m'eut dit cela retour en fiacre à la maison et trouvai ma femme couchée, sa belle-soeur dans sa chambre avec elle. Elle n'avait pas pu rester à la fête tant ses menstrues la font souffrir, ce dont j'eus bien du regret. Nous envoyâmes chercher la viole de gambe de sa belle-soeur dont elle joue fort bien pour une jeune femme. Mais elle déçoit fort mon attente, non seulement pour son jeu, mais pour sa disposition d'esprit car elle est, je le vois, une coquine fort subtile et rusée qui donnera bien du tourment à son mari, toute jeune qu'elle est, alors que je la prenais jusque-là pour une enfant,  innocente. Je jouai également, cela faisait longtemps que je n'avais pas touché d'instrument. M'interrompis finalement pour aller à mon bureau, craignant de me laisser gagner par mon trop grand intérêt pour la musique, de retomber dans mon ancienne passion pour elle, et donc de négliger mon travail, comme par le passé.
            Puis à la maison et, au lit.
            Rentrant de chez milord Sandwich j'ai accompagné Mr Pickering dans le quartier du Temple. Il me dit que l'histoire de l'avorton tombé sur le parquet lors du bal à la Cour est absolument vraie et que le roi l'a pris dans son cabinet une semaine plus tard et l'a disséqué et à déclaré en plaisantant qu'à son avis il devait être âgé d'un mois et trois heures et que, quoi qu'en pensent certains, il était le plus grand dans cette affaire, car il y avait perdu un sujet.
            Il me dit également que la seconde histoire, celle du mariage de milady Castlemaine et de la Stuart est tout à fait vraie, et que c'était pour que le roi couchât avec la Stuart, ce que tout le monde croit. Il me dit que sir Henry Bennet est catholique et que toute la Cour a changé en mal depuis son arrivée, car tous le craignent, et que la Cour de la reine-mère est maintenant la plus grande de toutes et que notre propre reine a peu ou pas de compagnie qui vienne la voir. Et je sais aussi que c'est parfaitement vrai, et cela me fait du regret.


                                                                                                              18 février

            Lever et laissé ma femme malade, comme hier soir, au lit. Au bureau toute la matinée à faire les comptes avec le capitaine Cocke pour les 500 tonnes de chanvre amenées de Riga et qu'il a achetées avec ses associés. Je trouve bien des choses utiles à connaître. Puis à midi allai dîner emmenant Mr Hayter pour ne pas perdre de temps, et l'après-midi seuls au bureau lui et moi finîmes les comptes concernant les dépenses extraordinaires de la marine, qui ne relèvent pas en propre de la Marine depuis l'avènement du roi et jusqu'à Noël dernier, et une fois retranchés tous les frais annexes, je trouve que les véritables dépenses de la marine, jusqu'à cette date s'élèvent à 374 743 livres par an. Je m'arrêtai de travailler vers 11 heures du soir et rentrai me coucher, presque épuisé.
            Aujourd'hui nouvelle réunion du Parlement depuis sa longue prorogation. Mais je ne sais rien de ce que l'on y a fait n'étant pas sorti de toute la journée.


                                                                                                               19 février 1663
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Image associée            Lever et à mon bureau fort occupé toute la matinée. Ma femme pas encore rétablie dînai donc à son chevet. Nous nous sommes presque querellés quand j'ai parlé de retarder la venue de Miss Ashwell, car ma femme a cru que j'avais dans l'idée de prendre Pall, ce qui est faux quoique j'aimerais bien qu'elle fût digne de venir chez nous. Puis à mon bureau bientôt en réunion, la première depuis fort longtemps, nos heures ayant changé car le Parlement a recommencé de siéger. La réunion achevée, à mon bureau jusqu'à minuit à établir des copies de dépenses extraordinaires de la marine, dont une à envoyer à Mr Coventry tôt demain matin. Puis à la maison et au lit, fatigué, somnolent et la vue commençant à baisser d'avoir si longtemps regardé du papier blanc à la lueur d'une chandelle.
            J'ai lu ce jour le discours du roi, hier, au Parlement. Il est fort court et peu civil, et les informe simplement qu'il désire obtenir le pouvoir d'accorder la tolérance aux consciences scrupuleuses sans pour cela souffrir la moindre atteinte à la discipline de l'Église selon l'Acte d'uniformité; et il dit la même chose pour les papistes mais se déclare opposé à ce qu'ils soient jamais autorisés à occuper des charges ou des fonctions de confiance dans le royaume. Mais Dieu m'est témoin qu'ils sont trop nombreux à en avoir.


                                                                                                                 20 février
            Lever et par le fleuve à Deptford avec le commissaire Pett. Visitai l'arsenal et fis appel, ce qui me donna l'occasion d'être fort satisfait  de notre nouveau registre du personnel qui est de mon invention.............  après avoir avancé nos affaires en canot jusqu'au bateau de plaisance. Je manquai être malade en route car le vent était très frais. Mais tout fut très agréable et c'était la première fois que je montais sur cette sorte d'embarcation. Fûmes conduits à la pointe du Cocu, puis en canot jusqu'au quartier du Temple, sous une pluie battante. Ne trouvai point mon cousin Roger avec qui je voulais m'entretenir et rentrai à pied et à mon bureau jusqu'à l'heure du coucher, puis à la maison et, au lit.


                                                                                                                  21 février

            Lever et à mon bureau où se trouvait déjà sir John Mennes, toute la matinée à répondre à des requêtes et m'occuper d'autres affaires. Vers midi entre un homme, comme s'il venait pour une affaire ordinaire et qui me montre une injonction de la cour de l'Echiquier, qui s'appelle une ordonnance de prise de corps, et me dit que je suis son prisonnier. Il s'agit de notre affaire avec Field. J'eus l'impression que mon coeur se glaçait de penser que nous n'étions pas en sûreté lorsque nous travaillions aux affaires du roi. Je lui dis comment et au service de qui nous étions employés, et le priai de montrer quelque considération, et comme il voyait que nous étions occupés il accepta et se retira pour une heure. Pendant ce temps sir John Mennes se rendit à la Cour pour voir ce qu'il pourrait faire de là-bas. Et l'avoué qui nous représente contre Field arriva à l'improviste et me dit qu'il irait payer les droits au tribunal et mettrait un terme à cette affaire. Il partit s'en occuper et je demeurai dans mon petit cabinet jusqu'au moment où, un peu plus tard, l'homme et quatre de ses acolytes vinrent s'enquérir de se que je voulais faire. Je leur dis d'attendre jusqu'au moment où je recevrais des nouvelles du roi ou de milord premier baron de la cour de l'Echiquier que j'avais entre-temps fait tous deux aviser. Ils se concertèrent et me dirent que si je voulais bien promettre de ne pas quitter la maison, ils iraient se restaurer puis reviendraient pour connaître la réponse que j'aurais reçue.
            Après leur départ j'allai dîner chez moi, où arriva à l'improviste Mr Hawley qui dîna avec moi.
            Avant même que j'eus fini mon repas les baillis revinrent avec le sergent de ville, frappèrent à la porte du bureau mais ne me trouvèrent point. Moi, jugeant à ce que j'entendais la manière dont ils se conduisaient, je me gardai bien de leur faire savoir où je me trouvais. Ils restèrent donc là à frapper et à demander après moi.
            Bientôt, à la fenêtre de mon petit salon, se montre Mingo, valet de sir William Batten, pour me dire que ses maîtres m'invitaient à venir chez eux en passant par le logement de sir John Mennes, ce qui était impossible. Je passai, cependant, au moyen d'échelles, par dessus la palissade qui sépare nos deux cours et parvins ainsi jusqu'à leur maison. où je les trouve fort inquiets, à juste titre, pour moi, particulièrement milady.
            Les drôles restèrent plantés dans la cour, lançant des jurons en compagnie d'un ou deux sergents de ville. A un moment nous les enfermâmes dans la cour, pour les laisser sortir un peu plus tard, et ainsi occupés tout l'après-midi, sans les laisser me voir ni leur montrer où j'étais. Une fois je montai tout en haut de la maison et depuis une des fenêtres je parlai à ma femme qui se tenait à l'une des nôtres. Je fis cela par plaisanterie, mais j'étais affligé, je crois, de penser combien il serait triste que je fusse pour de bon prisonnier. Puis arrive sir John Mennes qui, selon son habitude très caractéristique, nous dit qu'il ne peut nous être d'aucune utilité, mais que milord le chancelier s'étonne  que nous n'ayons pas envoyé les marins leur frotter les côtes, ce que nous eussions fait bien volontiers si cela avait été possible sans être vus. Ce que fit le capitaine Grove......... qui fut amené à tirer l'épée contre l'un d'eux..........
            Bientôt arriva Mr Clerke notre avoué qui nous apporte une décharge du procureur, pourvu que nous payions les frais de l'ordonnance, cinq marcs, et leur dû à ces drôles qui ont nom d'huissiers, mais ce sont les plus infâmes coquins que j'aie jamais vus. Il leur montra sa décharge, ce qui sembla les satisfaire, et ils s'en allèrent chez le procureur pour recevoir leur argent. Avant leur départ sir William Batten et milady leur lancèrent des quolibets, mais les coquins leur répondirent avec impudence, jurèrent qu'ils reviendraient et me traitèrent de coquin et de rebelle, et qu'ils amèneraient le shérif jusque dans leur maison..........                                                            abcgallery.com
Image associée            Bon, ils s'en allèrent enfin, et j'en profitait, comme on me le conseillait, pour sortir et me promener dans la rue, me montrer aux voisins, afin qu'ils n'allassent pas penser que l'affaire est pire qu'elle ne l'est. Rencontrai les capitaines Taylor et Bowry dont nous avons affrété le vaisseau pour Tanger. Nous marchâmes jusqu'à Cornhill parlant de leur affaire et après avoir discuté leur prix nous parvînmes à un accord. Ils insistèrent ensuite pour m'emmener à la taverne où je bus un verre de vin et parlai un peu du fret d'un navire qui pourrait me rapporter quelque argent. Puis je rentrai chez sir William Batten où se trouvaient sir John Lawson et quelques autres. La conversation ne roula que sur le déshonneur qui rejaillit sur notre bureau pour s'être trouvé exposé à tout cet embarras, et dont il faut le laver.
            Bientôt arriva Mr Clerke qui dit avoir payé les droits du tribunal pour l'ordonnance, mais que les hommes n'accepteront pas moins de 5 livres pour leurs frais, ce qu'il refuse de leur donner. Il me conseille donc de ne pas sortir jusqu'à ce qu'il revienne ou m'envoie une lettre lundi, ce qui fait que je ne pourrai pas me rendre à Whitehall chez le duc d'York, comme je le devrais.
            Je restai donc là jusqu'à dix heures du soir, fâché et cependant content de voir tout le monde, ........ prendre mon parti. A la maison, mes gens sont fort étonnés des événements, mais cela ne me fait guère souci, car il ne s'agit pas d'une chose qui touche ma personne ou mes biens propres.
           Sir William Batten m'a dit qu'aujourd'hui a été ordonné que tous les membres de la Chambre devaient souscrire à l'abjuration du convenant, ce qui va créer de l'embarras à certains, pense-t-on.
            On a aussi présenté un projet de loi pour interdire le port d'étoffes et de drap fabriqués à l'étranger, et il est probable qu'il sera adopté.
            Parmi les sujets abordés ce soir, milady a parlé de l'affaire du commissaire Pett qui aurait traité le roi de " bâtard " et d'autres noms injurieux. Sir William Batten nous dit qu'il avait fait au Duc ou à Mr Coventry un rapport à ce sujet et sur d'autres faits semblables par écrit et sous serment, ce qui m'a causé et de la honte et du regret. Mais je vois bien qu'il y a entre eux une haine implacable que rien ne peut changer. Et sir John Mennes, ce vieux fat, se réserve de s'en servir, ce qui me tourmente. ..........  A mon bureau je rédigeai le journal de ce jour, puis à la maison l'esprit fort troublé, non pas véritablement affligé par les événements, mais honteux, pour moi un peu, et pour l'honneur du bureau bien davantage. Ensuite à la maison et, au lit.


                                                                                                                   22 février
                                                                                                  Jour du Seigneur
            Grasse matinée et pas sorti de la journée mais après dîner chez sir William Batten et sir William Penn. On a beaucoup causé du tapage et du scandale d'hier. Mais ce qui m'inquiéta le plus c'est que sir John Mennes revint de la Cour le soir et au lieu de m'en rapporter un grand réconfort, mais je ne m'attendais pas à mieux de sa part, il me dit que le Duc et Mr Coventry ne sont guère préoccupés par cette affaire. Puis le soir, fort mécontent, fis mes prières et, au lit.


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Image associée            Levé de bonne heure et, n'osant emprunter les rues, rejoignit discrètement Whitehall par le fleuve, Griffith m'accompagnant de crainte qu'il ne m'arrive quelque chose. Retrouvai Mr Coventry et comme à l'accoutumée me rendis chez le Duc, le second de mes commis étant arrivé. Mais il ne fut point question de notre affaire, le Duc étant appelé par le roi. Ce matin milord Windsor, de retour de Jamaïque, est venu baiser la main du roi, il lui parla de sa santé mauvaise durant tout le trajet mais qui s'améliorait depuis son retour, Il raconta au Duc la prise du fort de Santiago sur l'île de Cuba, par ses hommes. Mais, dans l'ensemble, je pense qu'il s'est conduit comme un jeune lord, et ne supportait pas de servir hors de son pays où il aurait pu mener une vie de plaisirs, car je trouve honteux que cet après-midi même, le premier jour qu'il passait en ville, on l'ait vu au théâtre.
            Puis chez milord Sandwich, malade bien qu'il soit sorti deux ou trois jours. Il s'est fait saigner ce matin, mais j'espère qu'il n'a qu'un rhume.
            Je fus très contrarié, et grande était mon appréhension, que milord me demandât de me rendre au palais de Westminster, à la porte du Parlement, pour affaire et d'aller voir sir William Wheler. Je lui dis que j'irais volontiers mais n'osais de crainte d'être arrêté par ces coquins. Mais il me fallut aller jusqu'à Whitehall pour embarquer et accoster sous la Tour de la Porte de Fer, et je dus emprunter le chemin de derrière pour gravir la petite colline de la Tour. Et le visage caché dans mon manteau j'emmenai avec moi un des bateliers et demeurai à l'abri d'un mur du nouveau bâtiment, derrière notre jardin pendant qu'il allait voir si quelqu'un était posté devant la porte des fournisseurs par laquelle nous passons pour entrer dans notre jardin. Il n'y avait qu'un petit garçon fort sale, mais je me mis à trembler et suer à l'idée qu'il s'agît d'un piège. Mais il n'y avait personne et je parvins sain et sauf dans le jardin. Comme j'ouvrais la porte de mon bureau, quelque chose qui était derrière tomba, ce qui me fit sursauter. Dieu sait dans quel déplorable état je serais si je me trouvais réellement dans la situation de bien des pauvres gens endettés, et je devrais donc bénir le ciel de n'avoir pas de raison véritable de m'inquiéter, et m'efforcer de me garder par ma bonne conduite et la gestion prudente de mes affaires de tomber dans de telles conditions.
            A la maison, dîner avec ma femme et Mr Creed qui se trouvait là. Je trouvai un mot que Mr Clerke avait laissé en mon absence pour m'informer que j'étais libre et qu'il avait interrompu toutes les actions en justice. Et j'en fus très content, et il me vint tout de suite à l'esprit une pensée frivole, celle d'aller me divertir pour me mettre du baume au coeur. Je décidai donc d'emmener ma femme voir une pièce à la Cour ce soir, d'autant plus que c'est mon anniversaire. J'ai aujourd'hui trente ans, le ciel en soit loué !
            Pendant que ma femme s'habillait Creed et moi allâmes voir quelle pièce on jouait aujourd'hui, et il s'avéra que c'était " La demoiselle dédaignée ". Mais le ciel m'est témoin que, bien que me sachant hors de danger, je n'osais passer par la rue, mais pris par le jardin pour sortir par la rue de la Tour !
            Nous partîmes en fiacre pour le Théâtre du Duc où nous vîmes une bonne représentation, quoique la pièce ne vaille pas grand chose, fort content de voir la petite fille danser costumée en garçon, car elle a de bien jolies jambes, à part qu'elle a les cuisses arquées, comme apparemment toutes les femmes. La pièce terminée, en fiacre à la Cour où nous trouvâmes de bonnes places pour voir " Le Galant furieux ", représenté par la troupe du roi. Mais la pièce était mal jouée et si mauvaise que je n'en ai jamais vue de pire ou presque, et si peu en rapport avec le titre que, du début à la fin, je fus incapable et le suis toujours de dire avec certitude lequel des personnages est le galant furieux. Le roi, pendant toute la durée, eut l'air fort mécontent.............. Milady Castlemaine valait bien d'être vue ce soir, ainsi que la petite Stuart...........
            Après la représentation, en fiacre rentrâmes chez nous vers minuit, sans encombre. Comme j'avais l'esprit fort peu satisfait de ces deux pièces, j'étais en les voyant affligé de me dire que j'avais dépensé tant d'argent et m'étais aventuré à enfreindre mes résolutions, ce que je regrette, béni soit le ciel ! et pourtant mon naturel me porterait volontiers à continuer de m'adonner à ce plaisir. Je réglai mon amende sur le champ, mais j'espère la regagner en renonçant à deux pièces à la Cour pour celle du Théâtre Royal, ou bien à celle que je dois voir à Pâques, la dernière parce que le Carême va commencer, je fus d'autant mieux consolé d'avoir gaspillé tant d'argent.
            Puis au lit.
             Aujourd'hui on m'a dit que milady Castlemaine s'était fait offrir tous les cadeaux de Noël que le roi avait reçus des pairs, ce qui est une chose tout à fait abominable, et qu'au grand bal elle portait bien plus de bijoux que la reine et la duchesse mises ensemble.


                                                                                                                       24 février

            Dormis profondément jusqu'à 8 heures, puis fus éveillé par Mr Clerke qui venait me consulter sur l'affaire Field. Je le fis venir à mon chevet pour parler et, selon lui, nous allons l'étriller.
            Puis lever et au bureau, et à 11 heures en barque à Westminster. Vu sir William Wheler au sujet de l'emprunt de milord, puis chez milord toujours malade mais va se rétablir, je n'en doute pas.
            Il me dit, entre autres, avoir entendu que les Communes ne se rallieront pas à la récente déclaration du roi et ne concéderont pas que les papistes puissent avoir quelque possibilité que ce soit de relever la tête en Angleterre, ce à quoi l'on s'attendait à la Cour, me fait comprendre milord. Retour à la maison et, après un mauvais dîner, car je n'étais pas attendu, au bureau. Réunion et avec le capitaine Cocke nous examinâmes les comptes concernant son chanvre, jusqu'à 9 heures du soir. Puis, ne me sentant pas très bien, à la maison, souper et, au lit. Mon indisposition, inflammation et démangeaisons étant revenue il me faudra penser à suer comme la première fois.


                                                                                                                      25 février

            Lever et à mon bureau où je terminai les comptes avec le capitaine Cocke. A midi à la maison pour dîner. Ma femme venait d'entrer après avoir dépensé environ 4 livres pour diverses choses en vue du carême. L'après-midi dans le quartier du Temple, chez mon frère, à la Garde-Robe, chez Mr Moore et ailleurs pour de menues affaires. Le soir retour à mon bureau, puis souper et, au lit.
            Les Communes au Parlement, dit-on, sont fort désireuses de s'en tenir à l'Acte d'uniformité, et n'accorderont point la tolérance aux papistes, ce que le parti de la cour tente d'obtenir, ni aux presbytériens.


                                                                                                                26 février 1663
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Résultat de recherche d'images pour "holbein henry viii"            Lever et bu un verre de vin d'armoise avec sir William Batten à la taverne de Steelyard, puis au Parlement en barque. Il entra et je me promenai dans le vestibule. On ne parle que de l'écart considérable entre les voix de ceux qui sont pour la tolérance aux papistes et aux presbytériens, et celles de ceux qui sont contre, ces derniers l'ayant emporté par 200 voix contre 30. Et c'est chose admirable de voir comment le roi veut donner de lui-même l'image d'un protestant inflexible et d'un bon fils de l'Église, tout en voulant paraître disposé à accorder des libertés à ces gens à cause de sa promesse de Breda. Cependant tout le monde est persuadé que le roi ne désire pas du tout que cette liberté leur soit accordée.
            Puis chez milord qui, me dit-on, a de nouveau de la fièvre, ce dont je suis désolé. Ensuite avec Creed à la table d'hôte de la Tête du Roi. Nombreuse compagnie, notamment un jeune godelureau récemment arrivé de France qui se gargarisait de son français, lequel ne m'a point paru fort bon, quoique suffisant pour qu'il se crût pour longtemps un homme très sage. Rentrai en barque à la nouvelle Bourse à la Tour. Réunion au bureau, puis écrivis des lettres jusqu'à 11 heures du soir.
            Inquiet de ce que ma femme ne soit pas rentrée de Chelsea où elle est allée voir la pièce donnée par l'école où travaille Miss Ashwell. Mais elle a fini par rentrer, apparemment en barque, dans le froid et l'obscurité. Mais rentrée saine et sauve et me dit avoir beaucoup aimé le jeu et le maintien de Miss Ashwell, ce dont je suis heureux.
            Puis à la maison souper et, au lit.


                                                                                                          27 février

           Lever et à mon bureau où plusieurs personnes me vinrent voir pour affaires. Vers 11 heures avec le commissaire Pett à pied à l'hôtel des chirurgiens. Nous étions tous invités avec la promesse d'y dîner. On nous conduisit dans l'amphithéâtre où le conférencier, le Dr Terne, le grand maître et toute la corporation firent leur entrée en un fort beau cortège. Quand tous furent installés il commença sa leçon, la seconde qu'il donnait sur les reins, les uretères et la verge. Ce fut fort bien.. A la fin du discours nous nous rendîmes dans la grande salle. Il y avait beaucoup de monde et nous fîmes un excellent dîner, en bonne et savante compagnie, comprenant maints docteurs en médecine, et l'on nous traita avec un respect extraordinaire.
            Entre autres, nous bûmes à la santé du roi dans une coupe dorée offerte par le roi Henri VIII et ornée de clochettes que chacun est tenu de faire tinter en agitant la coupe après l'avoir entièrement vidée. Il y a aussi dans la salle un excellent portrait de ce roi peint par Holbein, avec les membres de la corporation agenouillés devant lui pour recevoir la charte.
            Après le dîner le Dr Scarburgh emmena certains de ses amis, auxquels je me joignis, pour voir le corps en privé. Il s'agissait d'un vigoureux gaillard, un marin pendu pour vol. Je touchai le cadavre de ma main nue. C'était froid, et je trouvai sa vue fort désagréable.
            Il paraît qu'un certain Dillon, issu d'une grande famille, a été, après qu'on eût fait bien des efforts pour le sauver, pendu cette session avec une corde de soie, préparée de ses mains, et non point uniquement pour des raisons d'honneur, mais parce que, semble-t-il, étant souple et lisse, cette sorte de corde glisse aisément, serre de près et tue, par strangulation, immédiatement. Alors que plus raide ne serre pas d'aussi près et la personne peut mettre un certain temps à mourir. Mais tous les docteurs avec qui j'étais à table affirment que la pendaison ne fait aucunement souffrir, car elle arrête la circulation du sang et par conséquent toute sensation et tout mouvement instantanément.
            Nous nous rendîmes ensuite dans une salle interdite au public, c'est apparemment là que les corps sont préparés, où se trouvaient les reins, les uretères, la verge, les testicules et les canaux séminaux sur lesquels portait la leçon d'aujourd'hui. Et le Dr Scarburgh, à ma demande et à celle de l'assistance, expliqua fort clairement la maladie de la pierre et son opération, et répondit à toutes les autres questions qui me vinrent à l'esprit, et il nous parla aussi de la nature de la semence et de la façon dont elle parvient à la verge, et comment l'urine arrive à e la vessie en passant par les trois peaux ou membranes, exactement comme ce pauvre Dr Holliffe me l'avait exposé autrefois.
            Ensuite, fort satisfait, rejoignis le reste de la compagnie et entendis d'intéressantes conversations. Puis assistai à la leçon de l'après-midi sur le coeur, les poumons, etc. Quand ce fut fini nous prîmes congé et rentrâmes tous deux au bureau........
            Restai tard, puis chez sir William Warren pour parler d'une affaire. Je trouve sir John Mennes qui me parut fort éméché. Il me prit en particulier pour me dire qu'étant passé aujourd'hui chez milord le chancelier, il avait appris que le grand sceau allait prochainement être apposé sur la nomination de sir William Penn comme contrôleur, en quelque sorte pour lui être associé, puisque la charge est trop lourde pour un homme seul. Ce qui le rend fou de rage et le fait jurer de renoncer à sa charge, et pester de plus belle contre sir William Penn.
            Je fis de mon mieux pour augmenter son emportement et cela me fit grand plaisir de l'entendre pester contre l'autre, car je vois ainsi clairement qu'il est peu probable qu'ils soient jamais grands amis puisqu'il tempête contre lui au sujet de sa maison, de son jardin, Dieu sait quoi encore. Pour ma part j'espère, une fois tout cela terminé, être à l'abri de leur envie en me consacrant à mon travail. C'est merveille de voir comment ce vieillard ce pavane et jure qu'il est aussi facile de comprendre sa charge que de casser une noix ! Et même plus facile, dit-il à milord le chancelier, car des dents il n'en a plus, et qu'il l'entend mieux que quiconque en Angleterre, et qu'il ne permettra jamais que l'on écrive dans les annales qu'il était incapable de s'acquitter seul de ses fonctions. Et pourtant, Dieu sait qu'il ne le peut davantage qu'un enfant.
            Je suis content de voir de tels différends les opposer sans que j'aie rien à craindre. Cependant j'espère qu'en dépit de cela le service du roi s'accomplira comme à l'accoutumée; car je ne voudrais point qu'il eût à souffrir de la moindre de nos querelles privées.
            Ensuite à mon bureau, puis à la maison, souper et, au lit.


                                                                                                                      28 février 1663

            M'éveillai avec une grande douleur dans l'oreille droite, j'y suis sujet apparemment, car j'ai pris froid. Lever et au bureau en réunion toute la matinée. Dînai avec sir William Warren par hasard, car nous sommes tous les deux en affaires au sujet d'un contrat pour l'achat de mâts de Nouvelle-Angleterre.
            Puis dans le quartier du Temple rencontrer mon oncle Thomas, mais mon cousin Roger n'étant pas rentré je pris une barque et me rendis à Westminster. Je le trouvai l'après-midi au Parlement. La Chambre ce midi a rencontré le roi pour lui exposer les raisons de son refus d'accorder la tolérance aux presbytériens et aux papistes, ce qu'il reçut avec un grand contentement et un plaisir apparent............
            De là chez milord Sandwich que son rhume continue d'incommoder. Parler de différentes affaires.........
             Puis ensemble au Temple, mais comme mon oncle était parti, nous nous séparâmes et je rentrai à pied à mon bureau. Et à 9 heures dînai fort bien d'une joue de boeuf préparée et cuisinée par ma femme. Ensuite de nouveau à mon bureau jusqu'à 11 heures du soir à faire mes comptes du mois écoulé. Et il apparaît que la somme est la même que la dernière fois, c'est-à-dire 640 livres. Puis à la maison et, au lit.
            Sur le chemin du retour me suis arrêté à Whitehall et au Sceau privé j'ai vu l'abrégé de la lettre patente qui fait de sir William Penn l'assistant du contrôleur, comme me l'a dit sir John Mennes hier soir. Je dois m'efforcer d'empêcher cette affaire.



                                                                                 à suivre.............

                                                                                                                  1er Mars 1663

            Lever et................