lundi 18 novembre 2019

La fin de la jalousie Proust ( Nouvelle France )

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                                                      La Fin de la Jalousie                         
                                                                                                                                                                          

            - Mon petit arbre, petit âne, ma mère, mon frère, mon pays, mon petit Dieu, mon petit étranger, mon petit lotus, mon petit coquillage, mon chéri, ma petite plante, va-t-en, laisse-moi m'habiller, et je te retrouverai rue de la Baume à huit heures. Je t'en prie, n'arrive pas après huit heures et quart, parce que j'ai très faim. 
            Elle voulut fermer la porte de sa chambre sur Honoré, mais il lui dit encore : " Cou ! " et elle tendit aussitôt son cou avec une docilité, un empressement exagéré qui les fit éclater de rire.
            - Quand même tu ne voudrais pas, lui dit-il, entre ton cou et ma bouche, entre tes oreilles et mes moustaches, entre tes mains et mes mains des petites amitiés particulières. Je suis sûre qu'elles ne finiraient pas si nous ne nous aimions plus, pas plus que, depuis que je suis brouillé avec ma cousine Paule, je ne peux empêcher mon valet de pied d'aller tous les soirs causer avec sa femme de chambre. C'est d'elle-même et sans mon assentiment que ma bouche va vers ton cou.
            Ils étaient maintenant à un pas l'un de l'autre. Tout à coup leurs regards s'aperçurent et chacun essaya de fixer dans les yeux de l'autre la pensée qu'ils s'aimaient. Elle resta une seconde ainsi, debout, puis tomba sur une chaise en étouffant, comme si elle avait couru. Et ils se dirent, presque en même temps avec une exaltation sérieuse, en prononçant fortement avec les lèvres, comme pour embrasser :
            - Mon amour !
            Elle répéta d'un ton maussade et triste, en secouant la tête :
            - Oui, mon amour.                                
            Elle savais qu'il ne pouvait pas résister à ce petit mouvement de tête, il se jeta sur elle en l'embrassant et lui dit lentement :
             " - Méchante ! ",  et si tendrement que ses yeux à elle se mouillèrent.    
              Sept heures et demie sonnèrent. Il partit.
              En rentrant chez lui, Honoré se répétait à lui-même :  
              " Ma mère, mon frère, mon pays, - il s'arrêta, - oui, mon pays !... mon petit coquillage, mon petit arbre ", et il ne put s'empêcher de rire qu'ils s'étaient si vite faits à leur usage, ses petits mots qui peuvent sembler vides et qu'ils emplissaient d'un sens infini. Se confiant sans y penser au génie inventif et fécond de leur amour, ils s'étaient vu peu à peu doter par lui d'une langue à eux, comme pour un peuple, d'armes, de jeux et de lois.
            Tout en s'habillant pour aller dîner, sa pensée était suspendue sans effort au moment où il allait la revoir comme un gymnaste touche déjà le trapèze encore éloigné vers lequel il vole, ou comme une phrase musicale semble atteindre l'accord qui la résoudra et la rapproche de lui, de toute la distance qui l'en sépare, par la force même du désir qui la promet et l'appelle. C'est ainsi qu'Honoré traversait rapidement la vie depuis un an, se hâtant dès le matin vers l'heure de l'après-midi où il la verrait. Et ses journées en réalité n'étaient pas composées de douze ou quatorze heures différentes, mais de quatre ou cinq heures, mais de quatre ou cinq demi-heures, de leur attente et de leur souvenir.   
             Honoré était arrivé depuis quelques minutes chez la princesse d'Alériouvre, quand Madame Seaune entra. Elle dit bonjour à la maîtresse de la maison et aux différents invités et parut moins dire bonsoir à Honoré que lui prendre la main comme elle aurait pu le faire au milieu d'une conversation. Si leur liaison eût été connue, on aurait pu croire qu'ils étaient venus ensemble, et qu'elle avait attendu quelques instants à la porte pour ne pas entrer en même temps que lui. Mais ils auraient pu ne pas se voir pendant deux jours ( ce qui depuis un an ne leur était pas encore arrivé une fois ) et ne pas éprouver cette joyeuse surprise de se retrouver qui est au fond de tout bonjour amical, car, ne pouvant rester cinq minutes sans penser l'un à l'autre, ils ne pouvaient jamais se rencontrer, ne se quittant jamais.                                                                                                      
Résultat de recherche d'images pour "dubout dessin""            Pendant le dîner, chaque fois qu'ils se parlaient, leurs manières passaient en vivacité et en douceur celles d'une amie ou d'un ami, mais étaient empreintes d'un respect majestueux et naturel que ne connaissent pas les amants. Ils apparaissaient ainsi semblables à ces dieux que la fable rapporte avoir habité sous des déguisements parmi les hommes, ou comme des dont la familiarité fraternelle exalte la joie, mais ne diminue pas le respect que leur inspire la noblesse commune de leur origine et de leur sang mystérieux. En même temps qu'il éprouvait la puissance des iris et des roses qui régnaient languissamment sur la table, l'air se pénétrait peu à peu du parfum de cette tendresse qu'Honoré et Françoise exhalaient naturellement. A certains moments il paraissait embaumer avec une violence plus délicieuse encore que son habituelle douceur, violence que la nature ne leur avait pas permis de modérer plus qu'à l'héliotrope au soleil, ou, sous la pluie, aux lilas en fleurs.
            C'est ainsi que leur tendresse n'étant pas secrète était d'autant plus mystérieuse. Chacun pouvait s'en approcher comme de ces bracelets impénétrables et sans défense aux poignets d'une amoureuse, qui portent écrits en caractères inconnus et visibles le nom qui la fait vivre ou qui la fait mourir, et qui semblent en offrir sans cesse le sens aux yeux curieux et déçus qui ne peuvent pas le saisir.
            " Combien de temps l'aimerai-je encore ? " se dit Honoré en se levant de table. Il se rappelait combien de passions qu'à leur naissance il avait crues immortelles et la certitude que celle-ci finirait un jour assombrissait sa tendresse.
            Alors il se rappela que, le matin même, alors qu'il était à la messe, au moment, où le prêtre lisant l'Evangile disait : " Jésus étendant la main leur dit : Cette créature-là est mon frère, elle est aussi ma mère et tous ceux de ma famille ", il avait un instant tendu à Dieu toute son âme, en tremblant, mais bien haut, comme une palme et avait prié : " Mon Dieu ! Mon Dieu ! faites-moi la grâce de l'aimer toujours. Mon Dieu, c'est la seule grâce que je vous demande, faites, Mon Dieu, qui le pouvez, que je l'aime toujours ! "
            Maintenant, dans une de ces heures toutes physiques où l'âme s'efface en nous derrière l'estomac qui digère, la peau qui jouit d'une ablution récente et d'un linge fin, la bouche qui fume, l'oeil qui se repaît d'épaules nues et de lumières, il répétait plus mollement sa prière, doutant d'un miracle qui viendrait déranger la loi psychologique de son inconstance aussi impossible à rompre que les lois physiques de la pesanteur ou de la mort.
            Elle vit ses yeux préoccupés, se leva, et, passant près de lui qui ne l'avait pas vue, comme ils étaient assez loin des autres, elle lui dit avec ce ton traînard, pleurard, ce ton de petit enfant qui le faisait toujours rire, et comme s'il venait de lui parler :
            - Quoi ?
            Il se mit à rire et lui dit :
            - Ne dis pas un mot de plus, ou je t'embrasse, tu entends, je t'embrasse devant tout le monde !
            Elle rit d'abord, puis reprenant son petit air triste et mécontent pour l'amuser, elle dit :
            - Oui, oui, c'est très bien.                                                               9aev.org
Résultat de recherche d'images pour "dubout dessin""            - Comme tu sais très bien mentir! et, avec douceur, il ajouta : " Méchante  ! méchante ! "
            Elle le quitta et alla causer avec les autres. Honoré songeait : " Je tâcherai, quand je sentirai mon coeur se détacher d'elle, de le retenir si doucement, qu'elle ne le sentira même pas. Je serai toujours aussi tendre, aussi respectueux. Je lui cacherai le nouvel amour qui aura remplacé dans mon coeur mon amour pour elle aussi soigneusement que je lui cache aujourd'hui les plaisirs que, seul, mon corps goûte çà et là en-dehors d'elle. ( Il jeta les yeux du côté de la princesse d'Aliérouvre. ) Et de son côté, il la laisserait peu à peu fixer sa vie ailleurs, par d'autres attachements. Il ne serait pas jaloux, désignerait lui-même ceux qui pourraient lui offrir un hommage plus décent ou plus glorieux. Puis il imaginait en Françoise une autre femme qu'il n'aimerait pas, mais dont il goûterait savamment tous les charmes spirituels plus le partage lui paraissait noble et facile. Les mots d'amitié tolérante et douce, de belle charité à faire aux plus dignes avec ce qu'on possède de meilleur, venaient affluer mollement à ses lèvres détendues.
            A cet instant, Françoise ayant vu qu'il était dix heures, dit bonsoir et partit. Honoré l'accompagna jusqu'à sa voiture, l'embrassa imprudemment dans la nuit et rentra.
            Trois heures plus tard, Honoré rentrait à pied avec M. de Buivres dont on avait fêté ce soir-là  le retour du Tonkin. Honoré l'interrogeait sur la princesse d'Alierouvre qui, restée veuve à peu près à la même époque, était bien plus belle que Françoise. Honoré, sans en être amoureux, aurait eu grand plaisir à la posséder s'il avait été certain de le pouvoir sans que Françoise le sût et en éprouvât du chagrin.
            - On ne sait trop rien sur elle, dit M. de Buivres, ou du moins on ne savait trop rien quand je suis parti, car depuis que je suis revenu je n'ai revu personne.
            - En somme, il n'y avait rien de très facile ce soir, conclut Honoré.
            - Non, pas grand chose, répondit M. de Buivres et, comme Honoré était arrivé à sa porte, la conversation allait se terminer là, quand M. de Buivres ajouta :
            - Excepté madame Seaune à qui vous avez dû être présenté, puisque vous étiez du dîner. Si vous en avez envie, c'est très facile. Mais à moi, elle ne me dirait pas ça !
            - Mais je n'ai jamais entendu dire ce que vous dites, dit Honoré.
            - Vous êtes jeune, répondit Buivres, et tenez, il y avait ce soir quelqu'un qui se l'est fortement payée, je crois que c'est incontestable, c'est ce petit François de Gouvres. Il dit qu'elle a un tempérament ! Mais il paraît qu'elle n'est pas bien faite. Il n'a pas voulu continuer. Je parie que pas plus tard qu'en ce moment elle fait la noce quelque part. Avez-vous remarqué comme elle quitte toujours le monde de bonne heure ?
            - Elle habite pourtant, depuis qu'elle est veuve, dans la même maison que son frère, et elle ne se risquerait pas à ce que le concierge raconte qu'elle rentre dans la nuit.
            - Mais, mon petit, de dix heures à une heure du matin, on a le temps de faire bien des choses ! Et puis, est-ce qu'on sait ? Mais une heure, il les est bientôt, il faut vous laisser vous coucher.
                 Il tira lui-même la sonnette. Au bout d'un instant, la porte s'ouvrit, Buivres tendit la main à Honoré, qui lui dit adieu machinalement, entra, se sentit en même temps pris du besoin fou de ressortir, mais la porte s'était lourdement refermée sur lui, et excepté son bougeoir qui l'attendant en brûlant avec impatience au pied de l'escalier, il n'y avait plus aucune lumière. Il n'osa pas réveiller le concierge pour se faire ouvrir et monta chez lui.

                                                                                                       II
                                                                             Nos actes sont nos bons et nos mauvais
                                                              anges, les ombres fatales qui marchent à nos côtés.
                                                                                        ( Beaumont et Fletcher )

         La vie avait bien changé depuis le jour où M. de Buivres lui avait tenu, entre tant d'autres, des propos - semblables à ceux qu'Honoré lui-même avait écoutés ou prononcés tant de fois avec indifférence, - mais qu'il ne cessait plus le jour quand il était seul, et toute la nuit, d'entendre. Il avait tout de suite posé quelques questions à Françoise, qui l'aimait trop et souffrait trop de son chagrin pour songer à s'offenser. Elle lui avait juré qu'elle ne l'avait jamais trompé et ne le tromperait jamais. Quand il était près d'elle, quand il tenait ses petites mains à qui il disait, répétant les vers de Verlaine :
                                                          Belles petites mains, qui fermerez mes yeux,
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quand il l'entendait lui dire : " Mon frère, mon pays, mon bien-aimé, " et que sa voix se prolongeait indéfiniment dans son coeur avec la douceur natale des cloches, il la croyait, et s'il ne se sentait plus heureux comme autrefois, du moins il ne lui semblait pas impossible que son coeur convalescent retrouvât un jour le bonheur. Mais quand il était loin de Françoise, quelquefois aussi quand, étant près d'elle, il voyait ses yeux briller de feux qu'il s'imaginait aussitôt allumés autrefois, - qui sait, peut-être hier comme ils le seraient demain, - allumés par un autre. Quand, venant de céder au désir tout physique d'une autre femme, et se rappelant combien de fois il y avait cédé et avait pu mentir à Françoise sans cesser de l'aimer, il ne trouvait plus absurde qu'elle aussi lui mentait, qu'il n'était même pas nécessaire pour lui mentir de ne pas l'aimer, et qu'avant de le connaître elle s'était jetée sur d'autres avec cette ardeur qui le brûlait maintenant, - et lui paraissait plus terrible que l'ardeur qu'il lui inspirait, à elle, ne lui paraissait douce, parce qu'il la voyait avec l'imagination qui grandit tout.
            Alors, il essaya de lui dire qu'il l'avait trompée. Il l'essaya non par vengeance ou besoin de la faire souffrir comme lui, mais pour qu'en retour elle lui dît aussi la vérité, surtout pour ne plus sentir le mensonge habiter en lui, pour expier les fautes de sa sensualité, puisque, pour créer un objet à sa jalousie, il lui semblait par moments que c'était son propre mensonge et sa propre sensualité qu'il projetait en Françoise.
            C'était un soir, en se promenant avenue des Champs Élysées, qu'il essaya de lui dire qu'il l'avait trompée. Il fut effrayé en la voyant pâlir, tomber sans forces sur un banc, mais bien plus quand elle repoussa sans colère, mais avec douceur, dans un abattement sincère et désolé, la main qu'il approchait d'elle. Pendant deux jours il crut qu'il l'avait perdue ou plutôt qu'il l'avait retrouvée. Mais cette preuve involontaire, éclatante et triste qu'elle venait de lui donner de son amour, ne suffisait pas à Honoré. Eût-il acquis la certitude qu'elle n'avait jamais été qu'à lui, la souffrance inconnue que son coeur avait apprise le soir où M. de Buivres l'avait reconduit jusqu'à sa porte, non pas une souffrance pareille, ou le souvenir de cette souffrance, mais cette souffrance même n'aurait pas cessé de lui faire mal quand même on lui eût démontré qu'elle était sans raison. Ainsi nous tremblons encore à notre réveil au souvenir de l'assassin que nous avons déjà reconnu pour l'illusion d'un rêve. Ainsi les amputés souffrent toute leur vie dans la jambe qu'ils n'ont plus.
            En vain, le jour il avait marché, s'était fatigué à cheval, à bicyclette, aux armes. En vain il avait rencontré Françoise, l'avait ramenée chez elle, et, le soir, avait recueilli dans ses mains, à son son front, sur ses yeux, la confiance, la paix, une douceur de miel, pour revenir chez lui encore calmé et riche de l'odorante provision, à peine était-il rentré qu'il commençait à s'inquiéter, se mettait vite dans son lit avant que fût altéré son bonheur qui, couché avec précaution dans tout le baume de cette tendresse récente et fraîche encore d'à peine une heure, parviendrait à travers la nuit, jusqu'au lendemain, intact et glorieux comme un prince d'Egypte. Mais il sentait que les paroles de Buivres, ou telle des innombrables images qu'il s'était formées depuis, allait apparaître à sa pensée et qu'alors s'en serait fini de dormir. Elle n'était pas encore apparue, cette image, mais il la sentait là toute prête et se raidissant contre elle, il rallumait sa bougie, lisait, s'efforçait avec le sens des phrases qu'il lisait, d'emplir sans trêve et sans y laisser de vide son cerveau pour que l'affreuse image n'ait pas un moment ou un rien de place pour s'y glisser.                                                         cornette-saintcyr.com
Résultat de recherche d'images pour "dubout dessin""            Mais tout à coup, il la trouvait là qui était entrée, et il ne pouvait plus la faire sortir maintenant. Les portes de son attention qu'il maintenait de toutes ses forces à s'épuiser avait été ouverte par surprise. Elle s'était refermée et il allait passer toute la nuit avec cette horrible compagne. Alors c'était sûr, c'était fini, cette nuit-ci comme les autres il ne pourrait pas dormir une minute. Eh bien, il allait à la bouteille de bromidia, en buvait trois cuillerées, et certain maintenant qu'il allait dormir, effrayé même de penser qu'il ne pourrait plus faire autrement, que de dormir, quoiqu'il advînt, il se remettait à penser à Françoise avec effroi, avec désespoir, avec haine. Il voulait, profitant de ce qu'on ignorait sa liaison avec elle, faire des paris sur sa vertu avec des hommes, les lancer sur elle, voir si elle céderait, tâcher de découvrir quelque chose, de savoir tout, se cacher dans une chambre 
( il se rappelait l'avoir fait pour s'amuser étant plus jeune ) et tout voir. Il ne broncherait pas d'abord pour les autres, puisqu'il l'aurait demandé avec l'air de plaisanter, - sans cela quel scandale ! quelle colère ! - mais surtout à cause d'elle pour voir si le lendemain quand il lui demanderait :
            " - Tu ne m'as jamais trompé ? " elle lui répondrait :
            " - Jamais, " avec ce même air aimant. Peut-être elle avouerait tout, et de fait elle n'aurait succombé que sous ses artifices. Et alors ç'aurait été l'opération salutaire après laquelle son amour serait guéri de la maladie qui le tuait lui, comme la maladie d'un parasite tue l'arbre ( il n'avait qu'à se regarder dans la glace éclairée faiblement par sa bougie nocturne pour en être sûr ). Mais, non, car l'image reviendrait toujours, combien plus forte que celles de son imagination et avec quelle puissance d'assènement incalculable sur sa pauvre tête, il n'essayait même pas de le concevoir.
            Alors, tout à coup, il songeait à elle, à sa douceur, à sa tendresse, à sa pureté et voulait pleurer de l'outrage qu'une seconde il avait songé à lui faire subir. Rien que l'idée de proposer cela à des camarades de fête !
            Bientôt il sentait le frisson général, la défaillance qui précède de quelques minutes le sommeil par le bromidia. Tout d'un coup n'apercevant rien, aucun rêve, aucune sensation, entre sa dernière pensée et celle-ci, il se disait :
             " - Comment je n'ai pas encore dormi ? " Mais en voyant qu'il faisait grand jour, il comprenait que pendant plus de six heures, le sommeil du bromidia l'avait possédé sans qu'il le goûtât.
            Il attendait que ses élancements à la tête fussent un peu calmés, puis se levait et essayait en vain par l'eau froide et la marche de ramener quelques couleurs, pour que Françoise ne le trouvât pas trop laid, sur sa figure pâle, sous ses yeux tirés. En sortant de chez lui, il allait à l'église, et là, courbé et las, de toutes les dernières forces désespérées de son corps fléchi qui voulait se relever et rajeunir, de son coeur malade et vieillissant qui voulait guérir, de son esprit, sans trêve harcelé et haletant et qui voulait la paix, il priait Dieu, Dieu à qui, il y a deux mois à peine, il demandait de lui faire la grâce d'aimer toujours Françoise, il priait Dieu maintenant avec la même force, toujours avec la force de cet amour qui jadis, sûr de mourir demandait à vivre, et qui maintenant, effrayé de vivre, implorait de mourir, le priait de lui faire la grâce de ne plus aimer Françoise, de ne plus l'aimer trop longtemps, de ne pas l'aimer toujours, de faire qu'il puisse enfin l'imaginer dans les bras d'un autre sans souffrir, puisqu'il ne pouvait plus se l'imaginer dans les bras d'un autre. Et peut-être il ne se l'imaginerait plus ainsi quand il pourrait se l'imaginer sans souffrance.
            Alors il se rappelait combien il avait craint de ne pas l'aimer toujours, combien il gravait alors dans son souvenir pour que rien ne pût les effacer, ses joues toujours tendues à ses lèvres, son front, ses petites mains, ses yeux graves, ses traits adorés. Et soudain, les apercevant réveillés de leur calme si doux par le désir d'un autre, il voulait n'y plus penser et ne revoyait que plus obstinément ses joues tendues, son front, ses petites mains - oh ! ses petites mains, elles aussi ! - ses yeux graves, ses traits détestés.
            A partir de ce jour, s'effrayant d'abord lui-même d'entrer dans une telle voie, il ne quitta plus Françoise, épiant sa vie, l'accompagnant dans ses visites, la suivant dans ses courses, attendant une heure à la porte des magasins. S'il avait pu penser qu'il l'empêchait ainsi matériellement de le tromper, il y aurait sans doute renoncé, craignant qu'elle ne le prît en horreur. Mais elle le laissait faire avec tant de joie de le sentir toujours près d'elle, que cette joie le gagna peu à peu, et lentement le remplissait d'une confiance, d'une certitude qu'aucune preuve matérielle n'aurait pu lui donner, comme ces hallucinés que l'on parvient quelquefois à guérir en leur faisant toucher de la main le fauteuil, la personne vivante qui occupent la place où ils croyaient voir un fantôme et en faisant ainsi chasser le fantôme du monde réel par la réalité même qui ne lui laisse plus de place.
            Honoré s'efforçait ainsi, en éclairant et en remplissant dans son esprit d'occupations certaines toutes les journées de Françoise, de supprimer ces vides et ces ombres où venaient s'embusquer les mauvais esprits de la jalousie et du doute qui l'assaillaient tous les soirs. Il recommença à dormir, ses souffrances étaient plus rares, plus courtes et si alors il l'appelait, quelques instants de sa présence le calmaient pour toute une nuit. 

                                                                           III

                                                                                 Nous devons nous confier à l'âme jusqu'à
                                                                   la fin. car des choses aussi belles et aussi magnétiques
                                                                    que les relations de l'amour ne peuvent être supplantées
                                                                     et remplacées que par des choses plus belles et d'un                                                                                 degré plus élevé.

                                                                                                         Emerson

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            Le salon de Madame Seaune, née princesse de Galaise Orlandes, dont nous avons parlé dans la première partie de ce récit sous son prénom de Françoise, est encore aujourd'hui un des salons les plus recherchés de Paris. Dans une société où un titre de duchesse l'aurait confondue avec tant d'autres, son nom bourgeois se distingue comme une mouche dans un visage, et en échange du titre perdu par son mariage avec M. Seaune, elle a acquis ce prestige d'avoir volontairement renoncé à une gloire qui élève si haut, pour une imagination bien née, les paons blancs, les cygnes noirs, les violettes blanches et les reines en captivité.
            Madame Seaune a beaucoup reçu cette année et l'année dernière, mais son salon a été fermé pendant les trois années précédentes, c'est-à-dire celles qui ont suivi la mort d'Honoré de Tenvres. Les amis d'Honoré qui se réjouissaient de le voir retrouver peu à peu sa belle mine et sa gaieté d'autrefois, le rencontraient maintenant à toute heure avec madame Seaune et attribuaient son relèvement à cette liaison qu'ils croyaient toute récente.
            C'est deux mois à peine après le rétablissement complet d'Honoré que survint l'accident du Bois de Boulogne, dans lequel il eut les deux jambes cassées sous un cheval emporté.
            L'accident eut lieu le premier mardi de mai, la péritonite se déclara le dimanche. Honoré reçut les sacrements le lundi et fut emporté ce même lundi à six heures du soir. Mais du mardi, jour de l'accident, au dimanche soir, il fut le seul à croire qu'il était perdu.
            Le mardi, six heures, après les premiers pansements faits, il demanda à rester seul, mais qu'on lui montât les cartes des personnes qui étaient déjà venues savoir de ses nouvelles.
            Le matin même, il y avait au plus huit heures de cela, il avait descendu à pied l'avenue du Bois de Boulogne. Il avait respiré tour à tour et exhalé dans l'air mêlé de brise et de soleil, il avait reconnu au fond des yeux des femmes qui suivaient avec admiration sa beauté rapide, un instant perdu au détour même de sa capricieuse gaieté, puis rattrapé sans effort et dépassé bien vite entre les chevaux au galop et fumants, goûté dans la fraîcheur de sa bouche affamée et arrosée par l'air doux, la même joie profonde qui embellissait ce matin-là la vie du soleil, de l'ombre, du ciel, des pierres, du vent d'est et des arbres, des arbres aussi majestueux que des hommes debout, aussi reposées que des femmes endormies dans leur étincelante immobilité.
            A un moment il avait regardé l'heure, était revenu sur ses pas, et alors... alors cela était arrivé. En une seconde, le cheval qu'il n'avait pas vu lui avait cassé les deux jambes. Cette seconde-là ne lui apparaissait pas du tout comme ayant dû être comme nécessairement telle. A cette même seconde il aurait pu être un peu plus loin, ou un peu moins loin, ou le cheval aurait pu être détourné, ou, s'il y avait eu de la pluie, il serait rentré plus tôt chez lui, ou, s'il n'avait pas regardé l'heure, il ne serait pas revenu sur ses pas et aurait poursuivi jusqu'à la cascade. Mais pourtant cela qui aurait si bien pu ne pas être qu'il pouvait feindre un instant que cela n'était qu'un rêve, cela était une chose réelle, cela faisait maintenant partie de sa vie, sans que toute sa volonté y pût rien changer. Il avait les deux jambes cassées et le ventre meurtri. Oh ! l'accident en lui-même n'était pas si extraordinaire. Il se rappelait qu'il n'y avait pas huit jours, pendant un dîner chez le docteur S..., on avait parlé de C..., qui avait été blessé de la même manière par un cheval emporté. Le docteur, comme on demandait de ses nouvelles, avait dit :
            " - Son affaire est mauvaise. " Honoré avait insisté, questionné sur la blessure, et le docteur avait répondu d'un air important, pédantesque et mélancolique :
            " - Mais ce n'est pas seulement la blessure, c'est tout un ensemble. Ses fils lui donnent de l'ennui. Il n'a plus la situation qu'il avait autrefois, les attaques des journaux lui ont porté un coup. Je voudrais me tromper, mais il est dans un fichu état. " Cela dit, comme le docteur se sentait au contraire, lui, dans un excellent état, mieux portant, plus intelligent et plus considéré que jamais, comme Honoré savait que Françoise l'aimait de plus en plus, que le monde avait accepté leur liaison et s'inclinait non moins devant leur bonheur que devant la grandeur du caractère de Françoise. Comme enfin, la femme du docteur S..., émue en se représentant la fin misérable et l'abandon de C..., défendait par hygiène à elle-même et à ses enfants aussi bien de penser à des événements tristes que d'assister à des enterrements, chacun répéta une dernière fois :
            " - Ce pauvre C..., son affaire est mauvaise " en avalant une dernière coupe de Champagne et en sentant au plaisir qu'il avait à la boire que " leur " affaire à eux  était excellente.
             Mais ce n'était plus du tout la même chose. Honoré maintenant se sentant submergé par la pensée de son malheur, comme il l'avait souvent été par la pensée du malheur des autres, ne pouvait plus comme alors reprendre pied en lui-même. Il sentait se dérober sous ses pas ce sol de la bonne santé sur lequel croissent nos plus hautes résolutions et nos joies les plus gracieuses, comme ont leurs racines dans la terre noire et mouillée les chênes et les violettes, et il butait à chaque pas en lui-même.
En parlant de C... à ce dîner auquel il repensait, le docteur avait dit :
            " - Déjà avant l'accident, et depuis les attaques des journaux j'avais rencontré C..., je lui avais trouvé la mine jaune, les yeux creux, une sale tête ! " Et le docteur avait passé sa main d'une adresse et d'une beauté célèbres sur sa figure rose et pleine, au long de sa barbe fine et bien soignée et chacun avait imaginé avec plaisir sa propre bonne mine comme un propriétaire s'arrête à regarder son locataire jeune encore, paisible et riche. Maintenant Honoré se regardant dans la glace était effrayé de sa " mine jaune " de sa " sale tête ". Et aussitôt la pensée que le docteur dirait pour lui les mêmes mots que pour C..., avec la même indifférence, l'effraya. Ceux mêmes qui viendraient à lui pleins de pitié s'en détourneraient assez vite comme d'un objet dangereux pour eux. Ils finiraient par obéir aux protestations de leur bonne santé, de leur désir d'être heureux et de vivre. Alors sa pensée se reporta sur Françoise, et, courbant les épaules, baissant la tête malgré soi, comme si le commandement de Dieu avait été là, levé sur lui, il comprit avec une tristesse infinie et soumise, qu'il fallait renoncer à elle. Il eut la sensation de l'humilité de son corps incliné dans sa faiblesse d'enfant, avec sa résignation de malade, sous ce chagrin immense, et il eut pitié de lui comme souvent, à toute la distance de sa vie entière, il s'était aperçu avec attendrissement tout petit enfant, et il eut envie de pleurer                                                                                                    .toys-collection.com
Résultat de recherche d'images pour "dubout dessin chats""            Il entendit frapper à la porte. On apportait les cartes qu'il avait demandées. Il savait bien qu'on viendrait chercher de ses nouvelles, car il n'ignorait pas que son accident était grave, mais tout de même, il n'aurait pas cru qu'il y avait tant de cartes, et il fut effrayé de voir que tant de gens étaient venus, qui le connaissaient si peu et ne se seraient dérangés que pour son mariage ou son enterrement. C'était un monceau de cartes et le concierge le portait avec précaution pour qu'il ne tombât pas du grand plateau, d'où elles débordaient. Mais tout d'un coup, quand il les eut toutes près de lui, ces cartes, le monceau lui apparut une toute petite chose, ridiculement petite vraiment, bien plus petite que la chaise ou la cheminée. Et il fut plus effrayé encore que ce fût si peu, et il se sentit si seul, que pour se distraire il se mit à lire fiévreusement les noms. Une carte, deux cartes, trois cartes, ah ! il tressaillit et de nouveau regarda : "Comte François de Gouvres. " Il devait bien pourtant s'attendre à ce que M. de Gouvres vînt prendre de ses nouvelles, mais il y avait longtemps qu'il n'avait pensé à lui, et tout de suite la phrase de Buivres : " Il y avait ce soir quelqu'un qui a dû rudement se la payer, c'est François de Gouvres - il dit qu'elle a un tempérament ! mais il paraît qu'elle est affreusement faite et il n'a pas voulu continuer ", lui revint, et sentant toute la souffrance ancienne qui du fond de sa conscience remontait en un instant à la surface, il se dit :
            " Maintenant je me réjouis si je suis perdu. Ne pas mourir, rester cloué là, et, pendant des années, tout le temps qu'elle ne sera pas auprès de moi, une partie du jour, toute la nuit, la voir chez un autre ! Et maintenant ce ne serait plus par maladie que je la verrais ainsi. Ce serait sûr. Comment pourrait-elle m'aimer encore ? Un amputé ! "
            Tout d'un coup il s'arrêta.
             " Et si je meurs, après moi ? "
              Elle avait trente ans. Il franchit d'un saut le temps plus ou moins long où elle se souviendrait, lui serait fidèle. Mais il viendrait un moment... " Il dit qu'elle a un tempérament... "  Je veux vivre, je veux vivre et je veux marcher. Je veux la suivre partout, je veux être beau, je veux qu'elle m'aime !
            A ce moment, il eut peur en entendant sa respiration qui sifflait, il avait mal au côté, sa poitrine semblait s'être rapprochée de son dos, il ne respirait pas comme il voulait, il essayait de reprendre haleine et ne pouvait pas. A chaque seconde il se sentait respirer et ne pas respirer assez. Le médecin vint. Honoré n'avait qu'une légère attaque d'asthme nerveux. Le médecin parti, il fut plus triste. Il aurait préféré que ce fût plus grave et être plaint. Car il sentait bien que si cela n'était pas grave, autre chose l'était et qu'il s'en allait. Maintenant il se rappelait toutes les souffrances physiques de sa vie, il se désolait. Jamais ceux qui l'aimaient le plus ne l'avaient plaint sous prétexte qu'il était nerveux. Dans les mois terribles qu'il avait passés après son retour avec Buivres, quand à sept heures il s'habillait après avoir marché toute la nuit, son frère qui se réveillait un quart d'heure les nuits qui suivent des dîners trop copieux lui disait :
            - Tu t'écoutes trop, moi aussi il y a des nuits où je ne dors pas. Et puis, on croit qu'on ne dort pas, on dort toujours un peu.
            C'est vrai qu'il s'écoutait trop. Au fond de sa vie il écoutait toujours la mort qui jamais ne l'avait laissé tout à fait et qui, sans détruire entièrement sa vie, la minait, tantôt ici, tantôt là. Maintenant son asthme augmentait, il ne pouvait pas reprendre haleine, toute sa poitrine faisait un effort douloureux pour respirer. Et il sentait le voile qui nous cache la vie, la mort qui est en nous, s'écarter et il apercevait l'effrayante chose que c'est de respirer, de vivre.
            Puis, il se retrouva reporté au moment où elle serait consolée, et alors, qui ce serait-il ? Et sa jalousie s'affola de l'incertitude de l'événement et de sa nécessité. Il aurait pu l'empêcher en vivant, il ne pouvait pas vivre, et alors ? Elle dirait qu'elle entrerait au couvent, puis quand il serait mort se raviserait. Non ! Il aimait mieux ne pas être deux fois trompé, savoir. - Qui ? - Gouvres, Alériouvre, Buivres, Breyves ? Il les aperçut tous et, en serrant ses dents contre ses dents, il sentit la révolte furieuse qui devait à ce moment indigner sa figure. Il se calma lui-même. Non, ce ne sera pas cela, pas un homme de plaisir. Il faut que cela soit un homme qui l'aime vraiment. Pourquoi est-ce que je ne veux pas que ce soit un homme de plaisir ? Je suis fou de me le demander, c'est si naturel. Parce que je l'aime pour elle-même, que je veux qu'elle soit heureuse. - Non, ce n'est pas cela, c'est que je ne veux pas qu'on excite ses sens, qu'on lui donne plus de plaisir que je ne lui en ai donné, qu'on lui en donne du tout. Je veux bien qu'on lui donne du bonheur, je veux bien qu'on lui donne de l'amour,  je ne veux pas qu'on lui donne du plaisir. Je suis jaloux du plaisir de l'autre, de son plaisir à elle. Je ne serai pas jaloux de leur amour. Il faut qu'elle se marie, qu'elle choisisse bien... Ce sera triste tout de même.
            Alors un de ses désirs de petit enfant lui revint, du petit enfant qu'il était quand il avait sept ans et se couchait tous les soirs à huit heures. Quand sa mère, au lieu de rester jusqu'à minuit dans sa chambre qui était à côté de celle d'Honoré, puis de s'y coucher, devait sortir vers onze heures et jusque-là s'habiller, il la suppliait de s'habiller avant dîner et de partir n'importe où, ne pouvant supporter l'idée, pendant qu'il essayait de s'endormir, qu'on se préparait dans la maison pour une soirée, pour partir. Et pour lui faire plaisir et le calmer, sa mère tout habillée et décolletée à huit heures venait lui dire bonsoir, et partait chez une amie attendre l'heure du bal. Ainsi seulement, dans ces jours si tristes pour lui où sa mère allait au bal, il pouvait, chagrin, mais tranquille, s'endormir.
            Maintenant la même prière qu'il faisait à sa mère, la même prière à Françoise lui montait aux lèvres. Il aurait voulu lui demander de se marier tout de suite, qu'elle fût prête, pour qu'il pût enfin s'endormir pour toujours, désolé mais calme, et point inquiet de ce qui se passerait après qu'il se serait endormi.
            Les jours qui suivirent, il essaya de parler à Françoise qui, comme le médecin lui-même, ne le croyait pas perdu et repoussa avec une énergie douce mais inflexible la proposition d'Honoré.
            Ils avaient tellement l'habitude de se dire la vérité, que chacun disait même la vérité qui pouvait faire de la peine à l'autre, comme si tout au fond de chacun d'eux, de leur être nerveux et sensible dont il fallait ménager les susceptibilités, ils avaient senti la présence d'un Dieu, supérieur et indifférent à toutes ses précautions bonnes pour des enfants, et qui exigeait et devait la vérité. Et envers ce Dieu qui était au fond de Françoise, Honoré, et envers ce Dieu qui était au fond d'Honoré, Françoise s'étaient toujours senti des devoirs devant qui cédaient le désir de ne pas se chagriner, de ne pas s'offenser, les mensonges les plus sincères de la tendresse et de la pitié.
            Aussi quand Françoise dit à Honoré qu'il vivrait, il sentit bien qu'elle le croyait et se persuada peu à peu de le croire :                                                                                           sde.fr  
Résultat de recherche d'images pour "dubout dessin chats""            " Si je dois mourir, je ne serai plus jaloux quand je serai mort, mais jusqu'à ce que je sois mort? Tant que mon corps vivra, oui ! Mais puisque je ne suis jaloux que du plaisir, puisque c'est mon corps qui est jaloux, puisque ce dont je suis jaloux, ce n'est pas de son coeur, ce n'est pas de son bonheur, que je veux, par qui sera le plus capable de le faire. Quand mon corps s'effacera, quand l'âme l'emportera sur lui, quand je serai détaché peu à peu des choses matérielles comme un soir déjà quand j'ai été très malade, alors que je ne désirerai plus follement le corps et que j'aimerai d'autant plus l'âme, je ne serai plus jaloux. Alors véritablement j'aimerai. Je ne peux pas bien concevoir ce que ce sera, maintenant que mon corps est encore tout vivant et révolté, mais je peux l'imaginer un peu, par ces heures où ma main dans la main de Françoise, je trouvais dans une tendresse infinie et sans désirs l'apaisement de mes souffrances et de ma jalousie.
            J'aurai bien du chagrin en la quittant, mais de ce chagrin qui autrefois me rapprochait encore de moi-même, qu'un ange venait consoler en moi, ce chagrin qui m'a révélé l'ami mystérieux des jours de malheur, mon âme, ce chagrin calme grâce auquel je me sentirai plus beau pour paraître devant Dieu, et non la maladie horrible qui m'a fait mal pendant si longtemps sans élever mon coeur, comme un mal physique qui lancine, qui dégrade et qui diminue. C'est avec mon corps, le désir de son corps que j'en serai délivré. - Oui, mais jusque-là, que deviendrai-je ? plus faible, plus incapable  d'y résister que jamais, abattu sur mes deux jambes cassées, quand, voulant courir à elle pour voir qu'elle n'est pas où j'aurai rêvé, je resterai là, sans pouvoir bouger, berné par tous ceux qui pourront
 " se la payer " tant qu'ils voudront à ma face d'infirme qu'ils ne craindront plus.
            La nuit du dimanche au lundi, il rêva qu'il étouffait, il sentait un poids énorme sur la poitrine. Il demandait grâce, n'avait plus la force de déplacer tout ce poids. le sentiment que tout cela était ainsi sur lui depuis très longtemps lui était inexplicable, il ne pouvait pas le tolérer une seconde de plus, il suffoquait. Tout d'un coup, il se sentit miraculeusement allégé de tout ce fardeau qui s'éloignait, s'éloignait, l'ayant à jamais délivré, et il se dit : " Je suis mort ! " 
            Et, au-dessus de lui, il apercevait monter tout ce qui avait ainsi si longtemps pesé sur lui à l'étouffer. Il crut d'abord que c'était l'image de Gouvres, puis seulement ses soupçons, puis ses désirs, puis cette attente d'autrefois dès le matin, criant vers le moment où il verrait Françoise, puis la pensée de Françoise. Cela prenait à toute minute une autre forme, comme un nuage, cela grandissait, grandissait sans cesse, et maintenant il ne s'expliquait plus comment cette chose qu'il comprenait être immense comme le monde, avait pu être sur lui, sur son petit corps d'homme faible, sur son pauvre coeur d'homme sans énergie et comment il n'en avait pas été écrasé. Et il comprit aussi qu'il en avait été écrasé, et que c'était une vie d'écrasé qu'il avait menée. Et cette immense chose qui avait pesé sur sa poitrine de toute la force du monde, il comprit que c'était son amour.
            Puis il se redit : " Vie d'écrasé ! " et il se rappela qu'au moment où le cheval s'était renversé, il s'était dit : " Je vais être écrasé, " il se rappela sa promenade, qu'il devait ce matin-là aller déjeuner avec Françoise, et alors, par ce détour, la pensée de son amour lui revint. Et il se dit : " Est-ce mon amour qui pesait sur moi ? Qu'est-ce que ce serait si ce n'était mon amour ? Mon caractère, peut-être ? Moi ? Ou encore la vie ? " Puis il pensa : " Non, quand je mourrai, je ne serai pas délivré de mon amour, mais de mes désirs charnels, de mon envie charnelle, de ma jalousie. " Alors il dit : " Mon Dieu, faites venir cette heure, faites-la venir vite, mon Dieu, que je connaisse le parfait amour. "
            Le dimanche soir, la péritonite s'était déclarée, le lundi matin vers dix heures il fut pris de fièvre, voulait Françoise, l'appelait, les yeux ardents : " Je veux que tes yeux brillent aussi, je veux te faire plaisir comme je ne t'ai jamais fait... je veux te faire... je t'en ferai mal. " Puis soudain, il pâlissait de fureur. " Je vois bien pourquoi tu ne veux pas, je sais bien ce que tu t'es fait faire ce matin, et où et par qui, et je sais qu'il voulait me faire chercher, me mettre derrière la porte pour que je vous voie, sans pouvoir me jeter sur vous, puisque je n'ai plus mes jambes, sans pouvoir vous empêcher, parce que vous auriez eu encore plus de plaisir en me voyant là pendant. Il sait si bien tout ce qu'il faut pour te faire plaisir, mais je le tuerai avant, je te tuerai avant, et encore avant je me tuerai. Vois ! Je me suis tué ! " Et il retombait sans force sur l'oreiller.
            Il se calma peu à peu et toujours cherchant avec qui elle pourrait se marier après sa mort, mais c'était toujours les images qu'il écartait, celle de François de Gouvres, celle de Buivres, celles qui le torturaient, qui revenaient toujours.
             A midi, il avait reçu les sacrements. Le médecin avait dit qu'il ne passerait pas l'après-midi. Il perdait extrêmement vite ses forces, ne pouvait plus absorber de nourriture, n'entendait presque plus. Sa tête restait libre et sans rien dire, pour ne pas faire de peine à François qu'il voyait accablée, il pensait à elle après qu'il ne saurait plus rien, qu'il ne saurait plus rien d'elle, qu'il ne pourrait plus l'aimer.
            Les noms qu'il avait dits machinalement, le matin encore, de ceux qui la posséderaient peut-être, se remirent à défiler dans sa tête pendant que ses yeux suivaient une mouche qui s'approchait de son doigt comme si elle voulait le toucher, puis s'envolait et revenait sans le toucher pourtant, et comme, ranimant son attention un moment endormie, revenait le nom de François de Gouvres, et il se dit qu'en effet peut-être il la posséderait et en même temps il pensait : " Peut-être la mouche va-t-elle toucher le drap ? non, pas, encore, " alors se tirant brusquement de sa rêverie : " Comment ? l'une des deux choses ne me paraît pas plus importante que l'autre ! Gouvres possédera-t-il Françoise, la mouche touchera-t-elle le drap ? oh ! la possession de Françoise est un peu plus importante. " Mais l'exactitude avec laquelle il voyait la différence qui séparait ces deux événements lui montra qu'ils ne le touchaient pas beaucoup plus l'un que l'autre. Et il se dit : " Comment, cela m'est si égal ! Comme c'est triste. " que par habitude et qu'ayant changé tout à fait, il n'était plus triste d'avoir changé. Un vague sourire desserra ses lèvres. " Voilà, se dit-il, mon pur amour pour Françoise. Je ne suis plus jaloux, c'est que je suis bien près de la mort. Mais qu'importe, puisque cela était nécessaire pour que j'éprouve enfin pour Françoise le véritable amour. "
Résultat de recherche d'images pour "dubout dessin chats""*            Mais, alors, levant les yeux il aperçut Françoise, au milieu des domestiques, du docteur, de deux vieilles parentes,  qui tous priaient là près de lui. Et il s'aperçut que l'amour, pur de tout égoïsme, de toute sensualité, qu'il voulait si doux, si vaste et si divin en lui, chérissait les vieilles parentes, les domestiques, le médecin lui-même, que Françoise, et qu'ayant déjà pour elle l'amour de toutes les créatures à qui son âme semblable à la leur l'unissait maintenant, il n'avait plus d'autre amour pour elle. Il ne pouvait même pas en concevoir de la peine, tant tout amour exclusif d'elle, l'idée même d'une préférence pour elle, était maintenant abolie.
            En pleurs, au pied du lit, elle murmurait les plus beaux mots d'amour d'autrefois : " Mon pays, mon frère. " Mais lui, n'ayant ni le vouloir, ni la force de la détromper, souriait et pensait que son        " pays " n'était plus en elle, mais dans le ciel et sur toute la terre. Il répétait dans son coeur : " Mes frères ", et s'il la regardait plus que les autres, c'était pas pitié seulement, pour le torrent de larmes qu'il voyait s'écouler sous ses yeux, ses yeux qui se fermeraient bientôt et déjà ne pleuraient plus. Mais il ne l'aimait pas plus, pas autrement que le médecin, que les vieilles parentes, que les domestiques. Et c'était là la fin de sa jalousie.

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                                                                  Marcel PROUST

                                                                     ( in Les Plaisirs et les Jours )

dimanche 17 novembre 2019

Anecdotes d'hier pour aujourd'hui 102 Samuel Pepys ( Journal Angleterre )

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                                            Informations sur certains détails de quelques jours du journal qui peuvent choquer.
                                    l'éd, écrit en notes : " Une des descriptions les plus détaillées que l'on ait jamais écrites sur les                                                flatulences...... "
                                                                                                                        1er Octobre 1663

            Lever et de bonne heure à mon bureau, réunion..... il y a bien longtemps que nous n'avions été si nombreux au conseil, en raison du voyage du roi, de l'absence du Duc, de la mienne et des récents versements de soldes.
            La réunion se prolongea tard, puis à la maison pour dîner. Me rendis ensuite en barque à Deptford pour une petite affaire, au retour m'arrêtai pour acheter deux bonnes anguilles, et après avoir écrit mon courrier à la maison pour voir le peintre qui travaille jusqu'à une heure avancée dans le petit salon de ma femme, puis souper et, au lit. J'ai passé un fort joyeux moment avec le peintre tandis qu'il travaillait.
            Le roi et la Cour sont rentrés aujourd'hui de leur voyage en province.


                                                                                                                              2 Octobre

            Levé de bonne heure et en barque à St James où fis à Mr Coventry une visite de courtoisie en raison de son récent retour en ville, mais je ne parlai guère avec lui car il était fort occupé. Rentrai à pied par les rues de Londres et fis quelques courses. Rencontrai Mr Cutler à la Bourse et nous entrâmes dans un café pour causer. Il m'assure que la probabilité est grande d'une guerre avec la Hollande, mais j'espère que nous serons bien préparés avant qu'elle ne vienne à éclater. Je prise fort sa compagnie et il me sera fort utile de le fréquenter.
            Dîner à la maison avec ma femme tout entière absorbée par le rangement de sa maison. Puis au bureau où examinai jusque tard, avec Mr Lewis, certains anciens comptes d'entrepreneurs des subsistances, puis à la maison pour souper et au lit, à l'étage, dans notre chambre rouge, où nous avons l'intention de coucher dorénavant. J'ai reçu aujourd'hui une lettre de Mr Barlow accompagnée d'une sphère magnétique, que j'espérais m'être destinée, mais j'ai le déplaisir d'apprendre pour que j'en fasse présent de sa part à milord Sandwich. Je vais cependant m'en servir un peu et la lui donnerai ensuite.


                                                                                                                   3 Octobre
                                                                                                                    impressionniste.net
Résultat de recherche d'images pour "turner peintre portrait""            Lever, fort satisfait du nouvel agencement de mon logis et de la commodité d'avoir nos servantes et personne d'autre près de nous, car Will couche en bas. Puis au bureau, fort occupé toute la matinée. A midi rentrai dîner chez moi puis sortis acheter une sonnette que nous accrocherons à la porte de notre chambre pour appeler les servantes. Au bureau trouvai Mr Blackborne venu savoir pourquoi son parent, mon commis Will, paraît à ses amis si abattu depuis quelque temps. Je lui dis que j'étais fort mécontent de lui et lui en donnai les raisons, ce dont il fut fort chagriné, mais pourtant satisfait que je me soucie de lui et comprenant que tout ce que je lui ai dit est pour le bien de ce garçon. Il va prendre le temps de l'interroger sur tout cela, et me demanda quel était mon bon plaisir à son sujet. Je lui dis qu'il devrait devenir un meilleur domestique ou alors nous ne voudrions plus de lui sous mon toit pour causer du désordre. Il me dit qu'il reviendrait me voir dans quelques jours et que nous conviendrions alors de ce qu'il faudrait faire. Rentrai à la maison et contai tout à ma femme. Je suis fâche de vois que mes domestiques et d'autres personnes sont le plus grand souci que j'ai au monde, et que je m'occupe d'eux davantage que de moi. Puis nous fîmes poser notre sonnette par un ferronnier qui s'en acquitta fort bien, puis au bureau jusque tard, et à la maison, souper et, au lit.


                                                                                                                      4 Octobre
                                                                                                     Jour du Seigneur
            Lever et à l'office. Ma maison a été affreusement inondée par la pluie hier soir. Ce qui me fait enrager. - Mon grand accès de colique - A la maison pour dîner avec ma femme, causâmes, puis derechef à l'office et à la maison. Passai une excellente soirée à causer fort agréablement de notre fortune et de notre famille, jusqu'au souper. Puis, au lit, avec mal au ventre, parce que j'ai pris froid.


                                                                                                                        5 Octobre

            Douleur quand me levai. En voiture dans le quartier du Temple avec sir John Mennes, puis allai voir mon frère et ici et là pour affaires. Ensuite à la nouvelle Bourse où rencontrai Creed, Promenade deux ou trois heures en causant de nombreuses affaires, surtout de Tanger et des comptes de milord Teviot, qui portent sur des sommes fort élevées et qui, pourtant, fussent-elles encore plus élevées ont toutes les chances d'être acceptées sans conditions. Puis parlâmes du messager que milord Sandwich a envoyé pour savoir si le roi a l'intention de venir à Newmarket comme il en est question, afin qu'il puisse être prêt à le recevoir à Hinchinghrooke.
            A la maison pour dîner. Ma femme a passé toute la matinée à tendre de tissu les murs de son petit salon, et elle s'en acquitte fort bien, toute seule et de ses propres mains, ce qui me fait grand plaisir.
            Au bureau jusqu'au soir pour différentes affaires. Puis j'allai passer une ou deux heures avec sir William Penn, à causer longuement de la sottise de l'irrésolution de sir John Mennes et des menées suspectes de sir William Batten. Je parlai ouvertement et lui aussi, de sorte que je ne crains point qu'il aille le répéter, car il en a dit autant que moi. Quoiqu'il en soit je n'ai rien dit dont je ne sois convaincu à son sujet. Puis à la maison et, au lit, souffrant beaucoup.


                                                                                                                      6 Octobre
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Résultat de recherche d'images pour "turner peintre portrait""            Assez bien dormi. Ma femme se réveilla pour sonner et appeler nos servantes pour la lessive vers 4 heures, et ma femme et moi sommes mécontents que notre sonnette ne les ait point réveillées plus tôt, mais je vais en acheter une plus grosse. Nous nous rendormîmes jusqu'à 8 heures et je me levai me sentant assez bien et au bureau, réunion au complet. Nous examinâmes les seconds comptes de Cocke. Mr Turner avait préparé un billet à ordre pour le paiement immédiat du solde, comme le demande Mr Cocke. Et sir John Mennes eut l'audace d'affirmer leur exactitude et qu'il les avait examinés, alors que c'est entièrement faux, et qu'à l'examen l'on vit qu'il manquait des pièces justificatives. Nous rejetâmes pour de bonnes raisons plusieurs de ses demandes et diminuâmes sa commission de 5 à 3%. Ainsi allons-nous épargner pour le roi de l'argent dont le contrôleur et son commis avaient véritablement fait cadeau à Cocke. Il y eut aussi deux autres occasions de querelles à la table du conseil : la première fut l'établissement d'un billet à ordre au nom du capitaine Smith pour son salaire de commandant en chef en Méditerranée. Sir John Mennes exigea une augmentation de son salaire de vice-amiral dans les Downs, car il n'avait reçu que 40 shillings sans augmentation, alors que sir John Lawson, pour le même voyage avait obtenu 3 livres, et d'autre avaient aussi eu une augmentation. Seulement lui, parce qu'il était officier du Conseil de la marine, avait été traité plus mal que n'importe qui d'autre. Il dit, en particulier, à sir William Batten, que c'était lui qui s'était autrefois opposé à ce qu'il reçut une augmentation. Cela m'étonna beaucoup de l'entendre l'accuser de manière si hardie. Nous apaisâmes donc cette dispute et proposâmes, s'il le désirait, d'examiner des précédents et de les présenter au Duc s'ils lui étaient favorables en quelque façon que ce fût.
            Le second incident survint lorsque Mr Christopher Pett et Deane, mandés pour l'occasion, vinrent nous exposer l'affaire de certaines courbes (  nte de l'éd. : pièces de bois courbes ) que Pett avait déclarées mauvaises, et qui devaient être livrées par sir William Warren. Mais nous avions indiqué dans le contrat que seules devaient être livrées celles qui seraient approuvées par nos officiers.............. Cette querelle s'apaisa aussi, et nous passâmes à d'autres affaires.
            A midi Llewellyn vint me voir, et je l'invitai, ainsi que Deane, et chez moi je retrouvai mon oncle Thomas, et nous dînâmes tous ensemble. Mais je fus fâché, ce jour étant celui de la lessive, que nous n'eussions rien de prêt à manger. J'envoyai quelqu'un chez le traiteur, et mes gens furent assez bêtes pour nous apporter le repas dans les plats du traiteur, avec son nom écrit dessus. A cela, s'ils le remarquaient, mes invités pouvaient voir que ce dîner ne venait pas de chez moi.
            Nous nous quittâmes après le repas et je pris un fiacre, laissai Llewellyn à Cheapside, puis à Whitehall j'assistai à la commission de Tanger. Mais Seigneur, comme cela me contraria de voir tous les comptes de milord Teviot, 10 000 livres, être acceptés de cette manière ! J'aurais 1000 fois préféré ne pas être là.
            Puis la séance fut levée et j'allai avec sir George Carteret dans ses appartements, où nous nous entretînmes de nos querelles de ce matin.......... Je déclarai que ces affaires étaient honnêtes, et que je n'avais donc pas besoin que quiconque fît un rapport favorable ou donnât sa parole, et que je lui en apporterais des preuves s'il le désirait. Ce qu'il me demanda et que je vais faire.
            Retour à la maison par le fleuve, souffrant beaucoup. Un moment à mon bureau, puis un moment chez sir William Penn, et à la maison et, au lit. Comme je commence à être incommodé par des vents, ce qui m'arrive souvent, et des douleurs lorsque j'urine, je pris deux pilules de Mr Hollier que j'avais chez moi.


                                                                                                               7 Octobre 1663 Mes
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Certains les appellent une horreur, d'autres disent qu'ils sont beaux - les fans, les fans ...            Elles firent de l'effet dans la matinée et je gardai le lit. Mes douleurs continuèrent très fortes, me forçant à rester à la maison toute la journée, fort incommodé, et je ne pus lâcher de vents ni faire la moindre selle après que ma médecine eut fait effet. Puis tard dans la soirée je pris un fiacre et me rendis chez Mr Hollier, mais il n'était pas chez lui, retournai donc à la maison. Était-ce le fiacre qui me fit du bien, je ne sais, mais dans ma chambre où brûlait un bon feu je lâchai six ou sept pets, petits et gros. Puis au lit et passai une nuit paisible, et pissai assez bien le matin, mais après que j'eus commencé à lâcher des vents, cela s'arrêta, alors que d'habitude j'en lâche


                                                                                                                    8 Octobre

en abondance, et pas la moindre envie d'aller à la selle. Puis, me tenant bien au chaud, au bureau, à midi dîner à la maison, ma douleur revenant comme je ne lâchais point de vents ni n'allai à la selle.
            J'allai chez Mr Hollier et, suivant ses instructions ( il m'assura que cela n'avait rien à voir avec la maladie de la pierre, mais que cela venait que je suis de constitution constipée et que cela, ajouté au temps froid, produisait et retenait les vents), je pris dans du vin blanc une poudre qu'il m'avait donnée, et veillai tard, jusqu'à 11 heures du soir passées, ma femme avec moi dans ma chambre, jusqu'à ce qu'elle eût fait effet, ce qu'elle fit si faiblement que je pus à peine dire si elle avait fait effet. Mes servantes qui, à ce moment, étaient fort sales, car elles s'occupent de laver toute ma maison, lasses, et qui auront bien du travail pour tout nettoyer demain et après-demain, étaient allées au lit avant nous, qui couchons nous aussi dans notre chambre davantage comme des bêtes que comme des chrétiens. Mais c'est seulement pour que la maison soit bientôt plus propre, ou plutôt parfaitement propre.
            Je me sentis assez bien aussi longtemps que, sous l'effet de ma médecine, mon ventre resta relâché, et je dormis bien.


                                                                                                                       9 Octobre 1663

            Gardai le lit la plus grande partie de la matinée, toujours constipé, et lâchai plus de vents, et mes douleurs revinrent donc, quoique moins fortes, mais je restai le corps bien au chaud, m'emmitouflant et parvins ainsi à les endurer. A midi je fis savoir à Mr Hollier dans quel état j'étais, c'est-à-dire que je ne pouvais aller à la selle naturellement, ni lâcher de vents et souffrais donc toujours avant de fréquentes envie d'uriner. Il m'envoya donc deux bouteilles de potion avec du sirop, l'une à prendre maintenant et l'autre demain matin.
            Le soir, le commissaire Pett vint me visiter avant de rentrer à Chatham, mais il me semble qu'il me parle d'une toute autre manière qu'avant, mal assurée et timide, comme un étranger.
            Après son départ je bus une des bouteilles, mais c'était une boisson tout à fait répugnante. Je me tins au chaud et l'après-midi je fis quand même une ou deux selles, mais peu abondantes ne laissant presque pas échapper de vents, puis au lit. Douleurs légères, mais je ne pense pas que je puisse de nouveau me sentir bien, avant de pouvoir librement aller à la selle et lâcher des vents.
            Ma femme et moi avons passé la plus grande partie de la journée ensemble, à arranger des choses et mettre de l'ordre dans son petit salon qui est assurément, et deviendra plus encore, quand je pourrai lui acheter davantage d'objets, une pièce fort agréable, et il est maintenant fort joli et j'espère qu'elle s'y plaira beaucoup. Puis, au lit.


                                                                                                                 10 Octobre

            Lever. Je suis toujours incommodé et j'ai mal en urinant. Je vois que pour me rétablir il me faut trouver un moyen, en plus de me tenir au chaud, pour lâcher des vents et aller librement à la selle. Je ne peux toujours faire ni l'un ni l'autre, bien que j'aie bu en me forçant la seconde bouteille ce matin.
            Cependant, je parvins à me rendre au bureau. Réunion. Sir John Mennes et sir William Batten me conseillèrent de prendre de l'eau de genièvre que sir William Batten fit demander à sa femme de m'en envoyer. C'est une eau-de-vie. Est-ce cela, ou ma boisson de ce matin, je ne puis le dire, mais après avoir pris cette eau de genièvre, j'évacuai deux selles et lâchai un ou deux vents. Cela va-t-il améliorer mon état, je ne puis le dire.
            Dînai à la maison à midi. Jamais, ou presque, ma femme et ma maison n'ont été dans un tel état de saleté, mais j'espère que ce soir tout sera très propre.
            Au bureau tout l'après-midi examinai une affaire de subsistances et, après avoir écrit une lettre à mon père, rentrai à la maison.
            Ce soir, Mr Hollier m'envoie un électuaire dont je dois prendre la valeur d'une noix en me couchant, ce que je fis. Et c'est vrai, je dormis bien et me levai un peu plus à l'aise le lendemains matin.


                                                                                                                          11 Octobre
 youtube.com                                                                                                        Jour du Seigneur
Résultat de recherche d'images pour "chambre rouge peinture""           Fort content de trouver ma maison propre et en ordre. Mais soudain ma femme et moi nous souvînmes qu'il fallait encore transporter le lit vert, plus beau que le rouge, dans notre chambre, quoiqu'il ne soit pas de la couleur de nos tentures, et ma femme se garda de se faire propre aujourd'hui et resta comme une souillon jusqu'au lendemain. Quant à moi, je suis toujours dans le même état et passe toute la journée sans sortir. Je ne puis ni péter ni aller à la selle après celle de ce matin effet de l'électuaire d'hier soir. Il m'apparaît que les douleurs les plus vives viennent quand je pousse pour évacuer par le bas, ce qui tire sur ma verge et mes couilles et me cause des douleurs aiguës et persistantes, et j'ai des envies fréquentes et pénibles d'uriner, je dois donc me retenir.
            Néanmoins je mange de fort bon appétit et autant qu'à l'accoutumée, et c'est ce que j'ai fait ce midi. Je restai à la maison, à causer et à m'occuper dans mon cabinet de travail. Je transportai les chaises de mon cabinet dans la chambre rouge, car elles sont recouvertes de tapisserie turque ( nte de l'éd. jaune et rouge ). Puis je mis leurs housses vertes sur celles qui étaient en haut et ne sont pas si belles.
            Le soir je lus l'Histoire de l'Église de Fuller, particulièrement la lettre de Crammer à la reine Elisabeth, qui me plaît beaucoup pour son zèle, son obéissance et sa hardiesse au service de la religion.
            Après souper, au lit, dans le même état, je souffre et ne peux lâcher de vent ni plus.


                                                                                                                      12 Octobre

            Lever , bien dormi et urinai comme à l'accoutumée. Cependant une petite douleur revint qui me donna des craintes, mais comme j'étais obligé de me rendre chez le Duc à St James, je pris un fiacre et en chemin m'arrêtai chez Mr Hollier qui me conseilla de prendre un clystère.
            Tous présents à St James et nous mîmes au service du Duc. Et là, Mr Coventry, de son propre chef, entreprit de dire au Duc qu'il lui semblait que couraient des rumeurs dommageables pour lui, selon lesquelles il prenait des honoraires, vendait des offices et d'autres choses encore. Il désirait donc faire appel à son Altesse et lui demandait s'il faisait quoi que ce fût de plus que ses prédécesseurs, et il nous en faisait tous juges. Alors sir George Carteret lui répondit que certains honoraires avaient été demandés par le passé, mais qu'ils ne savaient pas lesquels. Quant à la vente de places, cette pratique n'avait jamais été tolérée ni ne devrait l'être. Sur ce, Mr Coventry répondit avec véhémence à sir George Carteret et lui demanda s'il n'était pas un des premiers à l'avoir incité à rechercher ces honoraires................ Sir George Carteret nia........... Mr Coventry cita une autre affaire dans laquelle sir George Carteret l'avait conseillé quant à la vente de la place de comptable des magasins, quand il avait été question, eu début, de créer cet office. Ce qu'il admit mais en amoindrissant ce qu'avait dit Mr Coventry,........
            Pour finir, Mr Coventry remit au Duc une liste de plus de 250 charges qu'il avait attribuées sans recevoir un farthing de plus que ses honoraires habituels. Il le jurait sur sa vie et son honneur......
            Après cela milord Berkeley dit d'un ton joyeux qu'il aurait souhaité que ses profits fussent plus grands qu'ils ne l'étaient........... Sur ce Mr Coventry déclara ouvertement que Sa Seigneurie ou n'importe lequel d'entre nous, devrait avoir non seulement tout ce qu'il avait gagné, mais aussi tout ce qu'il possédait au monde ( et pourtant il n'était pas entré pauvre au bureau de la Marine, et ne voulait pas que l'on vît dans ses paroles le moindre mépris pour la générosité de Son Altesse royale ), et devrait avoir une année pour y réfléchir, pour 25 000 livres.
            La réponse du Duc fut qu'il aurait souhaité que nous eussions tous tiré davantage de profit de nos charges que lui et que nous eussions tous gagné autant qu'un certain courtisan, qui logeait en-dessous, qu'il ne tarda point à nommer, sir George Lane. Une fois la question close et la liste entre les mains du Duc, nous nous quittâmes, allai avec sir George Carteret, sir George Mennes et sir William Batten en voiture à la Bourse, restai un moment puis rentrai à la maison. Étaient-ce les secousses ou parce que j'avais l'esprit occupé, ce qui est fort important à mon avis, mais je pisse avec beaucoup moins de gêne maintenant, et je me sens bien tout à coup, ou à tout le moins mieux qu'avant.
            Puis me rendis à l'ancienne Bourse en fiacre, où marchandai des dentelles pour ma femme, puis chez le grand marchand de dentelles de Cheapside, et en achetai une qui me coûta 4 livres 20 shillings de plus que je n'avais prévu de dépenser, mais quand je la vis je décidai d'en acheter une qui ferait honneur à celle qui la porterait. Ensuite à la nouvelle Bourse où je la donnai à faire. Puis nous nous rendîmes aux appartements de milord où je laissai ma femme. J'allai à la commission de Tanger et retournai tard à la maison en fiacre avec ma femme, commençant à me sentir fort bien. Cependant quand j'arrivai chez moi et essayai de me dégager, le très léger effort que je fis, qui ne m'avait pas paru en être un sur le moment, me causa un peu plus tard une douleur qui persista un bon moment.
            Vers 8 heures ma femme me donna un clystère ordonné par Mr Hollier, à savoir une pinte de bière forte, quatre ounces de sucre et deux ounces de beurre. Je le gardai tandis que je restai allongé plus d'une heure, sinon deux. Alors pensant que cela n'avait servi à rien, je me levai, et peu après du fait que j'avais marché il commença à faire de l'effet, et me donna trois ou quatre selles parfaites et
 me fit évacuer des vents. Je me sentis tout à fait bien. Je pris comme d'habitude la valeur d'une noix de mon électuaire au moment de me coucher, et je fis environ deux selles au cours de la nuit et pissai sans difficulté. Évacuai quelques vents.


                                                                                                                 13 Octobre

            Et me levai donc le matin me sentant parfaitement bien, mais je me ressentais de l'effort excessif que j'avais fourni pour évacuer. Toute le matinée je me sentis bien et dans l'après-midi j'eus naturellement et facilement une selle sèche, la première depuis cinq ou six jours, que Dieu en soit loué ! Il est donc probable que je continuerai à me sentir bien si, à l'avenir, dès que réapparaîtra cette sorte de douleur, je veille :
            Règles à suivre pour ma santé. -
     
            1 - Éviter les refroidissements autant que faire se peut.
            2 - Pousser le moins possible par derrière, me ressouvenant que la douleur apparaîtra peu après, quoiqu'elle ne soit pas sensible au moment de l'effort.
            3 - Que ce soit à l'aide d'une purge par en haut ou d'un clystère par en bas, ou des deux, faire en sorte que j'aille beaucoup et facilement et que je lâche des vents.
            4 - M'inquiéter de ma santé dès que je commence à être constipé et faire en sorte, par tous les moyens, que je garde le ventre relâché et obtienne vite ce résultat, dès que je vois qu'il en va autrement.
  artifexinopere.com     
            Ce matin au bureau et à midi à la Bourse avec Creed, où beaucoup d'affaires. Mais Seigneur, quelle crainte envahit mon coeur, quoique je ne visse pas de raison pour cela, lorsque j'aperçois Stint, l'avoué borgne de Field ! Je n'ai, pourtant, pas connaissance qu'ils fassent ni ne tentent quoi que ce soit de plus contre nous dans cette affaire avant les prochaines sessions.
            A midi dîner à la maison, avec Creed. Après John Cole, mon vieil ami, vint me voir pour me parler d'un ami. Je le trouve intelligent, mais je perçois de plus en plus chez lui la pédanterie du bourgeois de la Cité. Je vais, cependant, tâcher de le voir de temps en temps, car il connaît bien l'humeur de la Cité et peut m'en informer au moins aussi bien que la plupart des jeunes gens, car il a de nombreuses connaissances, et il est lui-même, je crois, quelque peu mécontent de l'état présent de la Cour et de l'Église.
            Puis travaillai au bureau jusqu'à une heure avancée. Retour à la maison auprès de ma femme, avec aise et plaisir, de sorte que j'espère être capable de m'occuper de nouveau de mes affaires. Si Dieu le permet, je suis résolu à y retourner avec une ardeur croissante. A la Cour, il me semble que le Roi craint quelque soulèvement, soit il voudrait le faire croire ( et j'ai quelque raison d'espérer que ce n'est rien de plus ), car il a donné l'ordre à tous les commandants de châteaux etc., de rejoindre leur poste. L'autre jour il a lui-même réuni les gardes et fait l'appel. Ce qui lui a fourni plusieurs raisons de se plaindre de l'état de sa garde auprès de milord Gerard, car nombre d'hommes étaient absents, ou morts et toujours portés sur les rôles.
            Milady Castlemaine, me dit-on, jouit toujours d'une aussi grande faveur, et le roi a soupé avec elle le soir même de son retour de Bath.
            Hier soir et le soir précédent il a aussi soupé avec elle. Il fallait rôtir une échine de boeuf, et comme la marée montait dans sa cuisine, cela ne pouvait se faire. Quand la cuisinière le lui dit, elle répondit " palsambleu ! qu'elle mettrait le feu à la maison s'il le fallait, mais que la viande serait rôtie" et elle fut donc transportée chez le mari de Mrs Sarah, et fut rôtie.
            Souper à la maison et, au lit. Je suis extrêmement satisfait de toute la maison et de ma chambre rouge où ma femme et moi avons l'intention de coucher tous les jours, et de la proximité de notre cabinet de toilette et de nos servantes, sans aucune gêne ni désordre.


                                                                                                                    14 Octobre 1663

            Lever et à mon bureau toute la matinée, avec un moment sir John Mennes qui passa son temps ainsi qu'il fait tout le reste, comme un benêt, à me lire l'anatomie du corps humain, mais de si sotte façon que je ne compris rien, tant j'étais las de l'entendre. Puis me dirigeai vers la Bourse et rencontrai Mr Graunt. Nous entrâmes dans un café où il me dit que sir William Petty et son vaisseau sont en route et que le roi a l'intention de se rendre à Portsmouth pour le voir.
            A la maison et après dîner, Mr Rawlison nous conduisit, ma femme et moi, à la synagogue juive. Les hommes et les jeunes garçons portent des voiles, et les femmes sont cachées derrière un grillage. Il y a des choses posées debout, je crois que c'est leur loi, dans une armoire, devant laquelle chacun s'incline en entrant. En mettant son voile le nouvel arrivant dit quelque chose, à quoi d'autres qui l'entendent répondent Amen, puis il baise son voile. Tout le service est chanté, et en hébreu. Bientôt leurs lois sont sorties de l'armoire et portées par plusieurs hommes, quatre ou cinq, car il y a plusieurs rouleaux et ils s'entraident, ou peut-être que chacun veut avoir l'honneur de les porter, je ne puis le dire. Ils les portèrent de cette manière tout autour de la salle tandis qu'on chantait l'office. A la fin ils dirent une prière pour le roi, dont ils prononcèrent le nom en portugais, mais la prière, comme le reste, était en hébreu. ( nte de l'éd : cérémonie moins stricte ce jour-là car fête de la fin d'étude d'une année de la Torah )
            Mais Seigneur, il fallait voir ce désordre, ces rires, cet enjouement ! Point de recueillement, mais de la confusion tout le long de l'office, comme s'ils étaient des bêtes plutôt que des gens qui connaissent le vrai Dieu, de quoi jurer de ne plus jamais poser les yeux sur eux. Assurément je n'ai jamais vu pareille chose, ni n'aurais jamais imaginé qu'il existât au monde une religion pratiquée d'aussi absurde manière.
            Je partis de là en voiture, l'esprit fort troublé par ce que j'avais vu, et laissai ma femme au palais de Westminster, tandis que je me rendais à Whitehall, à la réunion de la commission de Tanger. Mais comme le Duc et la commission d'Afrique occupaient notre salle, sir George Carteret, sir William Compton et d'autres nous réunîmes dans une autre pièce où des chaises avaient été disposées en cercle, mais point de table. On parla de fort intéressante façon de l'opportunité de contrôler Salli, et des conditions selon lesquelles notre roi allait dédommager les Portugais qui avaient quitté leurs maisons à Tanger, ce qui me plut fort.
            J'allai ensuite chercher ma femme et à la nouvelle Bourse pour ses affaires. Je m'arrêtai chez Thomas Pepys, le tourneur, et achetai certaines choses chez lui. Puis à la maison pour souper et, au lit, après avoir passé un long moment avec sir William Penn à pester contre sir John Mennes et sir William Batten et dire librement ce que nous pensions d'eux. Mais rien de plus que ce que méritent la sottise du premier et la friponnerie du second.


                                                                                                                   15 Octobre
                                                                                                                                                                                           surlaroutedejostein.wordpress.com
Résultat de recherche d'images pour "dessins peinture turner""            Lever, Dieu soit loué ! je me sens assez bien, mais ne puis toujours pas aller à la selle normalement, et alors que j'allais jouir de ma femme ce matin, je sentis une très vive douleur à l'extrémité de ma verge quand elle se fit raide, comme si j'avais froissé quelque nerf ou une veine, et cela me fit très mal.
            Ensuite lever et au bureau, réunion toute la matinée. A midi je dînai à la maison, l'esprit tout occupé par le travail. Après être sorti acheter une chose ou deux, un compas et des mouchettes pour ma femme, je retournai au bureau où, fort occupé jusqu'à une heure avancée, puis à la maison bien content du travail que j'ai fait cet après-midi, et souper et, au lit.


                                                                                                               16 Octobre

            Lever et à mon bureau où passai toute la matinée, à travailler. A midi, dîner à la maison puis montai mon coffre et mes habits à l'étage dans notre nouvelle garde-robe, afin d'avoir tous mes effets à l'étage où je couche. Sortis en fiacre avec ma femme, que je laissai chez milord tandis que je me rendais à la commission de Tanger où l'on parla fort bien des articles du traité de paix qui doit être reconduit avec Gayland. Ensuite allai chercher ma femme et l'accompagnai chez son tailleur, puis à la Bourse et en d'autres endroits, et à la maison et à mon bureau, puis à la maison pour souper et, au lit.


                                                                   à suivre...........

                                                                                                                    17 Octobre 1663

            Lever et à.........

         
         





            

samedi 16 novembre 2019

A la Première Personne Alain Finkielkraut ( Document France )


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                                                 A la Première Personne

            Polémiste, philosophe, tant affublé ".... d'épithètes inamicales..... ", et l'âge venant Finkielkraut décide de se découvrir un peu. Agrégé de lettres modernes il poursuit d'autres études et aborde ses rapports avec les philosophes, certains ses professeurs, qui l'ont entraîné dans sa réflexion et il explique sa dédicace à Milan Kundéra. Il tente de présenter son point de vue sans qu'interviennent son passé, ses liens familiaux. Et citant Kierkegaard " Penser est une chose, exister dans ce qu'on pense est autre chose. " En sept chapitres il développe
            - Le Pathétique de l'amour - Joies, plaisirs et désastres de Mai 68. A gauche de la gauche, absorbé par la nouvelle pensée, il se retrouve et sa réflexion le ramène à de nouvelles constations, Mai 68 n'est pas vraiment l'amour, grâce à un texte de Rousseau où le jeune homme " ...... obtient, pour toute privauté, de baiser une seule fois la main de Mlle....... - Pour les libertins qui tiennent alors le haut du pavé, ce délice furtif...... un véritable fiasco....... " Et à ce texte détaillé, Alain Finkielkraut
ajoute avec Pascal Brukner " ...... et grâce à lui...."  Le Nouveau désordre amoureux....... " Brukner déjà romancier alors que lui étudiait encore " Je rendais, tout tremblant ma copie à Barthes, à l'Ecole pratique des Hautes Études....... " A Rousseau, l'auteur ajoute Levinas. Et "..... Quand tout le monde se prosternait devant la Sexe-Roi, j'étais reconnaissant à Rousseau de donner droit de cité à la volupté sentimentale........ La volupté...... n'est pas seulement intensité, mais révélation...... " Mais aujourd'hui d'autres thèmes s'ajoutent tel "....... les études de genre qui triomphent aujourd'hui......"
            - L'interminable question juive - Applaudi par Sartre pour sa décision d'aller au-devant des attaques sur sa judéité, Finkielkraut se cherche. Au long du chapitre, le philosophe démontre l'antisémitisme de certains écrivains affiché avec arrogance. Son regret de ne pas avoir suffisamment interrogés ses parents dont la famille avait été en grande partie " engloutie " dans les camps et morts, alors que jeune homme il était absorbé par ses études, entre autres à Berkeley.
            Si la lecture de Kundera ouvre des horizons qu'il explique longuement, la découverte de Heidegger, malgré sa proximité avec le nazisme, éclaire sa réflexion. " La métaphysique, m'apprenait Heidegger, ne se situe pas au-delà mais au fondement de la pensée courante. Elle est nichée dans la prose de tout un chacun, Elle façonne nos attitudes quotidiennes........... " De son côté René Char écrit " L'histoire des hommes est la longue succession des synonymes d'un même vocable. Y contredire est un devoir.......... " Et Finkielkraut poursuit " Qu'est-ce qu'un sol pour la métaphysique qui nous gouverne ? Un entrepôt de minerais.........."
            - Le Scandale - " Il vécut, il travailla, il mourut " Ainsi Heidegger définit Aristote. Chapitre consacré aux idées du philosophe allemand.
            Enfin dans un tout dernier chapitre Alain Finkielkraut rappelle " ....... Lessing, un des auteurs du panthéon arendtien, a écrit : " Je trouve un peu excessive l'aversion du public actuel pour tout ce qui s'appelle polémique ou paraît l'être........ " Et, alors que l'auteur se laisse parfois dépasser par la polémique, comme récemment il termine ainsi " ....... Le climat est lourd, tendu, oppressant, et il asphyxie, au moment où on en aurait le plus besoin, la vie intellectuelle. " Résumer ce très court ouvrage alors que chaque ligne demande riposte et, ou, réflexion, difficile pour ceux qui l'apprécient, beaucoup plus facile pour ceux qu'il nomme la société ouaf-ouaf. Bonne lecture.











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vendredi 8 novembre 2019

Guerlain Saint Dizier Li An ( BD France )

Sa
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                                                           Guerlain

                                                Le Prince des Parfums

                                                      Première époque

                                           Pierre-François Pascal ( 1798 - 1864)

            Pierre-François-Pascal Guerlain ne reprendra pas la boutique paternelle, mélange d'épicerie, de vaisselle. Intelligent très jeune il se passionne pour les plantes, son odorat développé au-delà de la norme, il reconnaît facilement les plantes et travaille "..... J'ai encore besoin de travailler ma mémoire des odeurs.... " Et en bon Picard il use le terme d'Abbeville pour exprimer sa détermination " Quand j'ai une idée en tête je fais en " allant "....... " Et il le prouvera dès 1817 décidant se former au métier de parfumeur, il décide de se rendre à Paris, avec l'accord de ses parents. En plus de ses cours il trouve rapidement un emploi de représentant de la maison Briard " Fabricant de parfums ". Quelques années durant il parcourt l'Europe et se forme à la partie commerciale, puis décide de poursuivre ses études en Angleterre alors " .... à l'avant-garde de la parfumerie.... " Quelles études choisit Guerlain
" .... étudier la chimie, les molécules et les plantes. Mme de Staël n'avait pas tort en affirmant que la parfumerie moderne est la rencontre de la mode, de la chimie et du commerce........ " Il revient à Paris parfumeur accompli et, bien que prudent, décide d'ouvrir une boutique " .... un local situé au rez-de-chaussée de l'Hôtel Meurice.... " Ce sera un succès. Ses projets vont évoluer ".... il veut créer un empire..... " Outre les parfums, les eaux de Cologne, les pommades, plus tard la graisse d'ours censée faire repousser les cheveux, il ouvre rue de la Paix, alors encore en chantier entourée des percées et des travaux du baron Haussmann, boutique élégante qui attire toutes les coquettes de Paris. En 1857 il devient fournisseur de la maison du tsar de Russie. Sa notoriété est bien installée, il est heureusement marié, a déjà quatre enfants, mais la naissance du cinquième bébé est problématique. Et à ce moment les chagrins personnels pèsent sur l'homme brillant. Mais il avance, construit sa propre usine et prépare deux de ses fils à prendre sa succession. Histoire d'un succès, d'une réussite matérielle exceptionnelle, mais endeuillée et douloureuse par ailleurs, bien que le sujet ne soit qu'effleuré par l'auteur, on le présume. Cette bonne bande dessinée est le premier tome de l'histoire survolée de cette saga familiale-industrielle. Les dessins sont modestes, le scénario et le texte plus conséquents. Bonne lecture, pour qui ? pour tous de 10/11 ans à 107 ans et plus.

vendredi 1 novembre 2019

Lappin et Lapinova Virginia Woolf ( Nouvelle Grande Bretagne )


letemps.ch
                           















                                                        Lappin et Lapinova

             Ils étaient mariés.
             La marche nuptiale retentissait.
             Les pigeons voletaient.
             Des petits garçons avec leurs uniformes d'Eton lançaient du riz, un fox terrier bondissait dans l'allée et Ernest Thorburn conduisait son épouse jusqu'à la voiture, se frayant un passage parmi ces badauds londoniens totalement inconnus, mais que ne manquent jamais d'attirer le bonheur ou le malheur d'autrui.
            Pas de doute, il était beau et elle avait l'air timide.
            On jeta encore du riz et la voiture démarra.
            Cela se passait le mardi. On était maintenant le samedi. Rosalind devait encore s'habituer à être Mrs Ernest Thorburn.
            Peut-être ne s'habituerait-elle jamais à être Mrs Ernest Qui-que-ce soit, pensait-elle, assise devant la baie vitrée de l'hôtel qui donnait sur les montagnes de l'autre côté du lac, attendant que son mari descende prendre son déjeuner.
            Ernest est un nom auquel il fallait un certain temps pour s'habituer. Pas le nom qu'elle eût choisi. Elle aurait préféré Thimothy, Antony ou Peter. Lui non plus n'aimait pas Ernest. Ce nom lui faisait penser au mémorial du prince Albert, à des buffets d'acajou, à des chalcographies du prince consort avec sa famille. Bref, la salle à manger de sa belle-mère à Porchester Terrace.
            Enfin le voilà. Dieu merci il n'avait pas l'air d'un Ernest. Mais de quoi avait-il l'air ? Elle le regarda à la dérobée. Eh bien, en mangeant son pain grillé, il avait l'air d'un rabbit.
            Personne d'autre n'aurait perçu une ressemblance avec un animal aussi chétif et si timide chez ce jeune homme si net et si musclé, avec son nez rectiligne, ses yeux bleus et sa bouche volontaire. Mais ce n'en était que plus amusant. En mangeant il fronçait imperceptiblement le nez, comme le petit rabbit de Rosalind. Ce froncement de nez la fascinait et, quand il la surprit l'observant, elle dut lui expliquer pourquoi elle riait.                                                              pixabay.com
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            - C'est parce que tu as l'air d'un rabbit, Ernest, d'un rabbit de garenne, ajouta-t-elle en le regardant. Un rabbit chasseur. Un rabbit royal, un rabbit qui fait la loi à tous les autres.
            Ernest ne voyait aucun inconvénient à être un rabbit de cette sorte, et si cela amusait Rosalind de le voir froncer le nez ( il n'avait jamais su qu'il fronçait le nez), il le fit exprès.
            Elle rit à gorge déployée, et il rit aussi, si bien que les vieilles demoiselles et le pêcheur et le serveur suisse à la veste noire toute graisseuse, devinèrent juste : ils étaient très heureux.
             Mais, ce bonheur-là, se demandaient-ils, il y en a pour combien de temps ? Et chacun répondait selon son expérience personnelle.
            A l'heure du déjeuner, assise sur une touffe de bruyère près du lac :
            -  Laitue, rabbit ? demanda Rosalind en présentant la laitue destinée à accompagner les œufs durs. Viens la manger dans ma main, ajouta-t-elle, et Ernest tendit le cou pour grignoter la laitue en fronçant le nez.
            - Gentil, gentil rabbit, dit-elle en le tapotant comme elle tapotait son rabbit apprivoisé chez elle. Mais c'était un geste absurde. De toute façon, il n'était pas un rabbit apprivoisé. Elle résolut de le franciser et de l'appeler " lapin ".
            Mais de toute façon ce n'était pas un rabbit français. Il était anglais de la tête aux pieds, né à Porchester Terrace, ancien élève de rugby, et maintenant fonctionnaire au service de Sa Majesté.
            Alors elle essaya Bunny. Mais c'était pire.
            - Bunny était une personne dodue, douce et enjouée. Lui était mince, dur et grave. Quand même il fronçait du nez. " Lapin ", s'écria-t-elle tout à coup, et elle poussa un petit cri, comme si elle venait de tomber juste sur le mot qu'elle cherchait.
            - Lappin, Lappin, Roi Lappin, répondit-elle. Cela lui allait comme un gant : il n'était pas Ernest, il était Roi Lappin. Pourquoi ? Elle n'en savait rien.
            Quand ils n'avaient pas de nouveau sujet de conversation au cours de leurs longues promenades solitaires, qu'il pleuvait, tout le monde les avait prévenus qu'il pleuvrait, ou le soir, quand ils se tenaient près du feu, car il faisait froid et les vieilles demoiselles étaient parties, le pêcheur aussi, et le serveur ne venait que si on le sonnait, alors son imagination jouait avec l'histoire de la tribu Lappiren. damstime.com
Résultat de recherche d'images pour "images lapins animés""            Sous ses mains, elle cousait et Ernest lisait, ils devenaient très réels, très colorés, très amusants. Ernest posa son journal pour l'aider.
            Il y avait les lapins noirs et rouges : les ennemis et les amis. Il y avait le bois où ils vivaient, les prairies environnantes et le marécage. Surtout, il y avait Roi Lappin qui, loin de n'avoir pour seul signe particulier son froncement de nez, acquit au fil des jours une très forte personnalité. Rosalind ne cessait de le doter de nouvelles qualités. C'était avant tout un grand chasseur.
            - Et, demanda Rosalind le dernier jour de leur lune de miel, qu'est-ce que le roi a fait aujourd'hui ?
            En réalité ils avaient passé toute la journée en montagne et elle avait une ampoule au talon. Mais ce n'était pas de cela qu'elle parlait.
            - Aujourd'hui, répondit Ernest qui fronçait le nez en tranchant des dents l'extrémité de son cigare, il a poursuivi un lièvre. Il se tut, craqua une allumette et fronça de nouveau. Un lièvre femme, précisa-t-il.
            - Un lièvre blanc, s'écria Rosalind, comme si elle s'attendait à cette nouvelle. Plutôt petit, gris argenté, de grands yeux brillants ?
            - Oui, dit Ernest en la regardant de la même façon qu'elle l'avait regardé, un animal de taille modeste avec des yeux protubérants et deux petites pattes de devant qui pendillent.
            Rosalind était assise exactement ainsi, son ouvrage pendillant entre ses mains, et ses yeux, si grands et si brillants, étaient effectivement un peu protubérants.
            - Ah, murmura Rosalind-Lapinova.
            - C'est ainsi qu'on l'appelle ? demanda Ernest. La véritable Rosalind ? Il la regarda, il était vraiment très amoureux.
            - Oui, dit Rosalind, c'est ainsi qu'on l'appelle, Lapinova.
            Et ce soir-là, avant d'aller se coucher, ils avaient réglé la question.
            Il était Roi Lappin et elle Reine Lapinova. Ils étaient tout le contraire l'un de l'autre : lui téméraire et volontaire, elle prudente et capricieuse. Il dirigeait les activités du monde des lapins, elle vivait dans un monde désert, mystérieux, qu'elle visitait surtout au clair de lune. Néanmoins leurs territoires se touchaient, ils étaient roi et reine.                                                   pinterest.it                       
Résultat de recherche d'images pour "PEYNET"            Ainsi, au retour de leur lune de miel, ils possédaient un univers privé, entièrement peuplé de lapins, à la seule exception d'un lièvre blanc. Personne n'en soupçonnait l'existence, ce qui n'en était que plus amusant. Grâce à cela, plus encore que la plupart des jeunes couples, ils se sentaient solidaires contre le reste du monde. Ils échangeaient souvent un regard complice quand on parlait autour d'eux de lapins, de bois, de pièges et de chasse. A table ils échangeaient un clin d'oeil furtif quand la tante Mary déclarait qu'elle ne pourrait pas souffrir de voir un lièvre dans un plat, il ressemblait tant à un bébé, ou quand le frère d'Ernest, John le chasseur, leur disait les prix qu'atteignaient les lapins cet automne-là dans le Wiltshire, viande et peaux comprises. Parfois, quand ils avaient besoin d'un garde-chasse, ou d'un braconnier, ou encore d'un châtelain, ils s'amusaient à distribuer les rôles à leurs amis. Le rôle du squire, par exemple, allait comme un gant à Mrs Reginald Thorburn, la mère d'Ernest. Mais tout cela demeurait secret, c'est cela qui comptait, personne en-dehors d'eux ne savait qu'un tel monde existait.
            Rosalind se demandait souvent comment, sans ce monde-là, elle aurait pu passer l'hiver. Ainsi, il y avait eu la réception des noces d'or, quand tous les Thorburn s'étaient retrouvés à Porchester Terrace pour fêter le cinquantième anniversaire de cette union tellement bénie, n'avait-elle produit Ernest Thorburn, et tellement féconde, n'avait-elle pas produit neuf autres fils et filles par-dessus le marché, dont la plupart étaient mariés et féconds eux aussi ?
             Elle avait redouté cette réception. Mais elle n'avait pas pu s'y soustraire. En gravissant l'escalier elle songea, non sans amertume, qu'elle était fille unique, orpheline par surcroît. Une goutte d'eau parmi tous ces Thorburn dans le grand salon tapissé d'un brillant papier satiné, tout reluisant de portraits de famille. Les Thorburn vivants ressemblaient beaucoup aux Thorburn peints, à ceci près qu'ils n'avaient pas des lèvres peintes, mais de vraies lèvres, qu'ils rappelaient des plaisanteries, des plaisanteries d'écoliers. La fois où l'on avait ôté la chaise quand la gouvernante s'asseyait. La fois où l'on avait glissé des grenouilles entre les draps virginaux des vieilles filles. Pour sa part Rosalind n'avait même jamais fait un lit en portefeuille.
            Son cadeau à la main elle s'avança vers sa belle-mère somptueusement vêtue de satin jaune, et de son beau-père dont la boutonnière était ornée d'un œillet jaune foncé. Sur les tables et sur les fauteuils étaient déposées des offrandes d'or, les unes nichées dans du coton, d'autres déployant leur rutilance : bougeoirs, étuis à cigares, chaînes, toutes dûment estampillées par l'orfèvre, pour preuve qu'il s'agissait d'or massif, poinçonné, authentique.
            Mais le cadeau de Rosalind était seulement une petite boîte de pacotille percée de trous : un vieux sablier, une relique du XVIIIè siècle que l'on utilisait pour sécher l'encre sur le papier. Un cadeau plutôt absurde, pensa-t-elle, à une époque où l'on se sert du buvard. Et en le présentant, elle revit devant elle, comme au temps de ses fiançailles, l'écriture hérissée et noire de sa belle-mère formulant " l'espoir que mon fils vous rendra heureuse ".
            Non, elle n'était pas heureuse. Pas heureuse du tout. Elle regarda Ernest, raide comme un piquet, avec un nez pareil à tous les nez des portraits de famille, un nez qui ne se fronçait jamais.
Résultat de recherche d'images pour "lapin yeux roses""            Ensuite on descendit dîner. Rosalind était à moitié cachée par les grands chrysanthèmes qui ourlaient leurs pétales rouges et or en grosses boules serrées. Tout était de l'or. Un carton doré sur tranche avec des initiales dorées entrelacées détaillait la liste de tous les plats qui leur seraient successivement servis. Elle plongea sa cuillère dans une assiette emplie d'un liquide clair et doré. A la lumière des lampes la blancheur crue du brouillard au-dehors devenait une résille dorée qui estompait le rebord des plats et rendait l'écorce des ananas rugueuse et dorée. Elle seule, dans la robe blanche de son mariage, regardait loin devant elle, de ses yeux à fleur de tête, semblait aussi peu soluble qu'un glaçon.
            Pourtant, au cours du dîner, une vapeur chaude envahit la salle. La sueur perlait au front des hommes. Rosalind sentit le glaçon se liquéfier. On la faisait fondre, se répandre, se dissoudre dans le néant, au bord de l'évanouissement. C'est alors que, à travers la houle dans sa tête et le vacarme dans ses oreilles, elle entendit une femme s'écrier :
            - Mais ils sont si prolifiques !
            Elle fit écho à la remarque. Les Thorburn, en effet, ils sont prolifiques, et elle regardait ces faces rubicondes que son vertige lui faisait voir deux fois plus grosses, et agrandies par la brume dorée qui leur faisait un halo. " Ils sont prolifiques. " Alors John brailla :
            - Ces petits démons !... Tirez-les ! Écrasez-les avec de grosses bottes ! C'est le seul moyen avec ces foutus lapins !
            A ce mot, ce mot magique, elle revint à la vie. Jetant un œil entre les chrysanthèmes, elle vit se froncer le nez d'Ernest. Il frémissait en froncements répétés. Et c'est alors qu'une mystérieuse catastrophe s'abattit sur les Thorburn. La table dorée se métamorphosa en une lande couverte d'ajoncs en fleur, le vacarme des voix fut changé en une trille d'alouette cascadant du haut du ciel. Un ciel d'azur où lentement passaient des nuages. Et les Thorburn, ils étaient tous transformés. Rosalind regarda son beau-père, un petit homme furtif, aux moustaches teintes. Il avait le goût des collections, cachets, boîtes émaillées, bibelots de coiffeuses du XVIIIè siècle qu'il cachait à sa femme dans les tiroirs de son bureau. Rosalind le vit maintenant tel qu'il était : un  braconnier qui se sauvait, son manteau bourré de faisans et de perdrix qu'il irait, en cachette, enfourner dans un pot à trois pieds au fond de sa chaumière enfumée. Voilà ce qu'était vraiment son beau-père : un braconnier. Et Célia, la fille célibataire, qui fourrait toujours son nez dans les secrets d'autrui, dans les petites choses qu'ils désiraient cacher, c'était un furet blanc, aux yeux roses et au museau tout crotté à cause de son horrible manie de fouiller dans la boue et d'en tripoter. Dans un filet, jetée en travers des épaules des hommes et balancée dans un trou quelle existence pitoyable que celle de Célia. Ce n'était pas sa faute. C'est ainsi qu'elle voyait Célia. Puis elle regarda sa belle-mère que l'on surnommait le " squire ". Cramoisie, grossière, tyrannique, elle était tout cela, tandis que, debout, elle adressait des remerciements, mais maintenant que Rosalind, ou plutôt Lapinova la voyait, elle aperçut derrière cette femme la décrépitude de sa demeure familiale, le plâtre qui s'écaillait des murs, et elle l'entendit adresser avec des sanglots dans la voix, à ses enfants qui la détestaient, des remerciements pour un monde qui avait cessé d'exister. Il y eut un brusque silence. Tous étaient debout, leur verre levé. Tous burent, c'était fini.
             - Oh, Roi Lappin, s'écria-t-elle, comme ils rentraient ensemble chez eux dans le brouillard, si tu n'avais pas froncé le nez à ce moment précis, j'étais prise au piège.
            - Mais tu es saine et sauve, répondit Roi Lappin en lui étreignant la patte.
            - Oui, saine et sauve.                                                                      
            Et le fiacre les ramena en traversant Hyde Park, roi et reine du marais, de la brume et de la lande qui sentait bon les ajoncs.
            Ainsi le temps passa. Une année, deux années de temps. Et un soir d'hiver qui, par coïncidence était le jour anniversaire des noces d'or, mais Mrs Reginald Thorburn était morte, la maison à louer et seul un gardien l'habitait, Ernest revint du bureau. Ils avaient un gentil petit intérieur, la moitié d'une maison au-dessus d'une boutique de sellerie dans South Kensington, à proximité du métro. Il faisait froid, du brouillard dans l'air, et Rosalind cousait, assise près du feu.
            - Devine ce qui m'est arrivé aujourd'hui, commença-t-elle sitôt qu'Ernest se fut installé, les jambes allongées vers le feu. Je traversais le ruisseau quand...
            - Quel ruisseau ? interrompit Ernest.
            - Le ruisseau du fond à la limite de notre bois et du bois noir, expliqua Rosalind.
            Un instant Ernest eut l'air complètement ahuri.
            - Mais, que me chantes-tu là ?
            - Ernest chéri ! s'écria-t-elle consternée. Roi Lappin, ajouta-t-elle en ballottant ses petites pattes de devant à la lueur du feu.
            Mais le nez d'Ernest ne se fronça pas. Les mains de Rosalind, c'était redevenu des mains, s'agrippèrent sur l'étoffe. Ses yeux sortaient presque des orbites. Quant à Ernest il lui fallut au moins cinq minutes pour redevenir Roi Lappin et, dans cette attente, Rosalind sentit un poids sur sa nuque, comme si on allait lui tordre le cou. Enfin Roi Lappin apparut, son nez se fronça, tous deux passèrent la soirée à errer dans les bois, comme à l'accoutumée.
            Mais elle dormit mal. Au milieu de la nuit elle s'éveilla avec l'impression qu'il lui arrivait quelque chose de bizarre. Elle était raide et avait froid. Elle finit par allumer et regarda Ernest, allongé à ses côtés. Il dormait profondément, il ronflait. Mais même en ronflant son nez restait parfaitement immobile. On aurait dit qu'il ne s'était jamais froncé.
            Était-ce vraiment Ernest ? Était-elle vraiment mariée à Ernest ? La vision de la salle à manger de sa belle-mère surgit devant elle : ils étaient assis là, tous les deux, Ernest et elle, vieux, sous les gravures, devant le buffet... Le jour de leurs noces d'or. Vision insupportable.
            - Lappin, chuchota-t-elle, Roi Lappin !
            Et un instant il eut l'air de froncer le nez spontanément. Mais il dormait toujours.
            - Réveille-toi Lappin, réveille-toi, s'écria Rosalind.
            Ernest s'éveilla et, la voyant assise toute droite près de lui, il demanda :
            - Que se passe-t-il ?
            - J'ai cru que mon lapin était mort ! dit-elle d'un ton pleurnichard.
            Ernest était furieux.
            - Arrête de dire ces idioties, Rosalind. Allonge-toi et dors.             youtube.com
Résultat de recherche d'images pour "peynet animaux""            Il se retourna. Un instant plus tard il ronflait, profondément endormi.
            Mais elle ne pouvait pas dormir. Recroquevillée dans son coin de lit, elle reposait comme un lièvre en son gîte. Elle avait éteint, mais au plafond sur le faible reflet du lampadaire de la rue, se dessinaient comme un réseau de dentelle les ombres du feuillage au-dehors, un bosquet au plafond dans lequel elle errait, faisait mille tours et détours, tantôt chassait ou était poursuivie, entendait les mugissements de la meute et des cors, fuyant, s'échappant... jusqu'à l'heure où la femme de chambre vint ouvrir les volets et leur porter leur première tasse de thé.
            Le lendemain elle ne put se mettre à rien. Comme si elle avait perdu quelque chose. Comme si son corps s'était ratatiné, avait rapetissé, noirci, durci. Ses articulations lui semblaient raidies et en se regardant dans la glace, ce qu'elle fit à plusieurs reprises en errant dans l'appartement, elle eut l'impression que ses yeux lui sortaient de la tête, comme les raisins d'un petit pain. Les pièces semblaient pareillement rétrécies. Elle se heurtait à tous les angles contre d'énormes meubles. Elle finit par mettre son chapeau et sortit.
            Elle descendit Cromwell Road, et quand elle jetait un coup d'oeil à l'intérieur des maisons devant lesquelles elle passait, il lui semblait toujours voir une salle à manger avec de lourds rideaux de dentelle jaune, des buffets d'acajou, et où des gens étaient à table sous les chalcographies accrochées au mur. Elle arriva au Muséum d'histoire naturelle. Enfant elle aimait y aller. Mais en entrant le premier objet qu'elle vit était un lièvre empaillé avec des yeux de verre roses, dressé sur de la fausse neige. Elle en trembla de tous ses membres. Peut-être les choses iraient-elles mieux à la nuit tombante.
            Elle rentra chez elle, s'assit devant le feu sans allumer la moindre lumière. Elle tenta d'imaginer qu'elle se trouvait seule sur la lande, et qu'il y avait un ruisseau rapide, et plus loin un bois obscur. Mais elle ne put pas aller plus loin que ce ruisseau. Elle finit par s'accroupir sur la berge, sur l'herbe mouillée et resta recroquevillée dans son fauteuil, les mains ballantes, vide, et ses yeux brillaient comme du verre à la lueur des flammes. Puis un coup de feu retentit... Elle sursauta comme si elle avait été touchée.
            C'était simplement Ernest faisant tourner sa clé dans la serrure de l'entrée. Rosalind attendait en tremblant. Il entra, alluma la lumière. Resta debout bien droit et bien bâti, se frottant les mains rougies par le froid.
            - Assise dans le noir ?
            - Oh, Ernest, Ernest ! s'écria-t-elle en se redressant brusquement.
            - Eh bien, qu'est-ce donc maintenant ? demanda-t-il d'un ton bref, en se réchauffant les mains au feu.
            - C'est Lapinova... bredouilla Rosalind. Ses grands yeux lui jetaient un regard affolé. Elle est partie, Ernest, je l'ai perdue.
           Ernest fronça les sourcils. Serra les lèvres
           - C'est donc cela ? dit-il, décochant à sa femme un sourire sardonique. Il resta là, debout et silencieux dix bonnes secondes. Elle attendait, éprouvant la sensation de doigts qui lui étreignaient la nuque.
            - Oui, dit-il enfin, pauvre Lapinova...
            Il ajusta sa cravate devant le miroir au-dessus de la cheminée.
            - Prise dans un piège, dit-il, tuée.
            Et il s'assit pour lire le journal.
            Et ce fut la fin de ce mariage-là.

raymond-peynet-gravure 

                                                                    Virginia Woolf

                                           ( in Romans et Nouvelles - La Pochothèque )