mercredi 20 janvier 2021

Anecdotes et Réflexions d'hier pour aujourd'hui 137 Samuel Pepys ( Journal Angleterre )

rtbf.be

 






 

                                                                                                                                16 Mars 1665

            Levé et à mon bureau, avons travaillé toute la matinée. Ce matin ma femme de retour de sa sortie sur le fleuve, après avoir passé la nuit sur le " Prince " avec les fillettes. A midi, dînai chez moi et ma femme me narra le déplaisant voyage fait hier; la peur des petites et les imprudences lui ont gâté tout plaisir. 
            Ai bien dîné et derechef au bureau. Cet après-midi Mr Harris, le maître voilier, m'a généreusement fait cadeau de deux chandeliers d'argent avec leurs éteignoirs ainsi que le plateau sur lequel les poser. L'ensemble est, ma foi, fort beau.. Le soir arrive Mr Andrew avec 36 livres, mon contrat de Tanger continuant à porter fruit, puis au lit, tard, las de mes affaires, mais l'esprit serein. Je remercie Dieu de ses multiples bienfaits.


                                                                                                                           17 mars

            Levé et à mon bureau puis, avec sir William Batten, à St James où nombreux sont venus prendre congé du Duc, comme prévu, mais il ne part point avant lundi.
            Cette nuit milady Wood est morte de la petite vérole, et on déplore grandement parmi la noblesse la perte d'une femme d'un naturel aimable, et bonne épouse de surcroît. Cela dit, de réputation elle était comparable à bien d'autres. 
            Le Duc nous laissa plusieurs ordres et nous le quittâmes sans lui faire nos adieux. Mais la meilleure nouvelle est qu'au lieu d'être confiées à une nuée de lords tracassiers, les affaires reposeront entre les mains du duc d'Albemarle, qui le remplacera dans sa fonction d'amiral. Voilà qui me réjouit le cœur, les autres nous eussent contraints à une présence inutile et le travail n'eût jamais été fait.
            De là à la Commission de Tanger, où le Duc apparut un moment avant de prendre congé et nous restâmes au grand complet, les lords Albemarle........ et quelques autres. Le seul ordre du jour, présenter les comptes de Povey. Bref, nul ne parla de lui en plus mauvais termes ni n'entendit personne lui jeter au visage des propos plus infamants que ceux tenus par cette assemblée, au sujet de sa bêtise, s'entend, et certaines paroles portèrent atteinte à son honnêteté. La séance s'acheva dans le désordre et la honte. Je parvins cependant à régler mes affaires, à savoir que j'obtins signature de deux lettres de change destinées aux fournisseurs et au capitaine Taylor, et rentrai donc satisfait. Puis, avec ma femme, à la Bourse pour dîner. Après quoi conduisit ma femme chez son père à Charing Cross, puis de nouveau à la commission. Nouvelle séance houleuse au sujet de Povey qui ne fait qu'aggraver son cas. Elle s'acheva de nouveau à sa plus grande disgrâce et en des termes injurieux qui le déshonoraient, à savoir qu'on ne lui confierait plus aucun argent tant qu'il ne se serait pas expliqué. Sur quoi on se quitta.
            Povey saisit l'occasion de me prier de laisser les autres et nous allâmes à Londres par eau. En chemin, de son plein gré, il me fit cette suggestion : il me cèderait le poste de trésorier et garderait la moitié des bénéfices. Voilà qui est d'une grande nouveauté en ce qui me concerne. Plus j'y songe, plus ce projet m'agrée et je l'incitai donc à faire agir le Duc. Que la chose se fasse ou non, peu me chaud, mais m'est avis que pour lors n'est pas sans intérêt.
            Chez moi, trouve ma femme rentrée et qui s'est alitée, indisposée par un coup de froid pris hier sur l'eau. Bellamy est passé me voir de nouveau à mon bureau, et j'ose tirer quelque chose de ses services. Rentré souper tard, puis au lit.


                                                                                                                     18 mars

            Levé et à mon bureau toute la matinée. A midi à la Bourse et, accompagné de Mr Hill, chez  Povey où nous dînâmes et lui fîmes visiter la maison à sa vive satisfaction, mais dès notre prochaine rencontre, je crois que nous en rirons. Ayant à faire sur place je restai, lui partit, et nous travaillâmes, Creed, Povey et moi, aux comptes de celui-ci, tout l'après-midi et jusque tard le soir. Et là,

que Dieu lui vienne en aide ! on ne vit jamais homme plus déconfit, et tous ceux qui le fréquentent en ce monde l'étaient aussi. Après avoir fait le travail requis, nous nous séparâmes et Povey, devant Creed, me fit connaître ce à quoi il était parvenu en faisant part au Duc et à d'autres de sa décision de faire de moi le trésorier. Il a mené loin l'affaire et je crois qu'on ne peut plus guère revenir en arrière. Creed, je le sens, est jaloux, mais tout en restant persuadé que ce poste ne me nuira point, je me demande si, dans le cas contraire, il ne conviendrait pas d'y renoncer pour de bon. Car il m'incommodera moi et les affaires de la marine qui, au cours de la guerre, accapareront tout mon temps. Rentrai, toujours dans cet état d'incertitude, mais que Dieu tout puissant décide au mieux !
            A mon bureau jusque très tard, puis rentrai souper et, au li


                                                                                                                             19 mars
                                                                                                          Jour du Seigneur
            Mr Povey m'envoya sa voiture de bon matin et m'en fus chez lui. Là, à notre grand désarroi, apprenons que de l'avis de Mr Brouncker c'est milord Fitzharding qui deviendra trésorier au départ de Povey, ce sur promesse antérieure faite par les ducs, et il serait prêt à offrir une somme aussi importante..
            Voilà qui nous accabla fort, si bien que nous allâmes rejoindre Creed dans ses nouveaux appartements de Mews et le trouvâmes le perroquet sur l'épaule. L'animal blessa non loin de l'oeil Mr Povey qui passait à proximité, et fort profondément, eût-il atteint l'œil il l'aurait crevé. Ceci nous contraria un moment mais la blessure n'était point trop grave et nous en vînmes à nos affaires afin d'aviser de la conduite à suivre. On arriva enfin à une décision.
            M'en fus chez Mr Coventry qui me donna d'amicaux et judicieux conseils : m'invitant à ne point refuser une telle offre qui me vaudrait, à coup sûr, de rencontrer bon nombre de personnes, alors que j'étais enterré, me dit-il, parmi mes trois ou quatre collègues de la marine, " mais ne vous mettez pas en conflit déclaré contre milord Fitzharding ".
            De là chez Creed, nous nous promenâmes et bavardâmes dans le parc une heure et allâmes dîner chez milord Sandwich. Puis chez Povey, allé chez le duc d'York et Mr Coventry ayant intercédé auprès de lui, celui-ci lui fit savoir que rien n'empêcherait l'affaire, qu'on passerait outre Bouncker et que milord Fitzharding se tairait. .
            Mais, conséquence fâcheuse, j'entendis dire que sir George Carteret parut mécontent et ne dit mot en apprenant que j'étais proposé comme successeur de Povey. Ce qui m'apprend à discerner qui, parmi les hommes, qui est l'ami véritable, qui est le faux.
            Fort réjouis par cette nouvelle, Mr Povey et moi nous rendîmes à Hyde Park dans sa voiture, car c'est aujourd'hui le premier jour de la parade. On y voit de fort jolies femmes : Castlemaine allongée sur le dos avec impudeur dans sa voiture dormait la bouche ouverte. On vit aussi milady Carnegie, ex-milady Anne Hamilton, dont on dit qu'elle a donné une chaude-pisse au Duc la première fois qu'il la visita. Je vis également la fille de John Lawson et son mari, un beau couple, ainsi que Mr Southwell et sa nouvelle épouse, femme fort avenante.
            Rentrai, fis un détour chez le docteur Hoare, dont je vis l'épouse, fort belle. Puis chez moi et, à ma requête, Creed me rejoignis bientôt, dormit chez moi, et ce fut fort gai, la conversation allant bon train quant à décider que faire le lendemain et quels avantages accompagneront ma désignation à ce poste qui, je crois, seront considérables.


                                                                                                                        20 mars 1665

            Levés Creed et moi, fîmes quérir la voiture de Povey et nous rendîmes chez lui et préparâmes le travail de la journée. Puis chez milord Sandwich Povey et moi. Il m'apprend que le Duc est non seulement très favorable à ce projet, mais il me soutient et a pour moi toute l'affection, le respect et l'estime qu'il est possible. Voilà qui me comble de joie.
            A St James, empli de doute au sujet de Brouncker, mais j'ai appris qu'il renonçait finalement à son projet et que le Duc avait enjoint au secrétaire Bennet de déclarer à la commission qu'il me jugeait désirable à ce poste, et brossa de moi le portrait d'un homme qui, pour son industrie et son discernement, lui paraissait plus digne de confiance que nul autre dans ce pays, discours qu'il refit devant milord Sandwich.
            Puis à Whitehall, à une séance de la commission de Tanger où fûmes nombreux. Après d'autres affaires Povey présenta fort habilement son propos, disant qu'il était désolé d'avoir été malchanceux dans ses comptes au point de ne pas donner à leurs Seigneuries la satisfaction souhaitée, ajoutant qu'il était convaincu de la justesse de ses comptes, en espèces sonnantes et trébuchantes, qu'à l'avenir, afin que le travail soit mieux fait et que lui-même soit plus serein, il souhaitait, avec l'approbation du Duc, laisser sa place à Mr Pepys. Sur ce le secrétaire déclara ce que le Duc avait ordonné, et qui fur reçu avec une satisfaction et un assentiment inattendus, et je perçus que milord Fitzharding fut heureux de me savoir à ce poste et glissa un mot d'estime à mon sujet au secrétaire Bennet. Je reçus leurs statuts signés de leurs mains, si bien que me voici leur trésorier officiel, habilité qui plus est à émettre des tailles. Le tout sans l'ombre d'un reproche ou d'une critique, tout au contraire. C'est une heureuse fortune, et inespérée. Puis on leva la séance.
            Povey, Creed et moi, fort joyeux, allâmes dîner, ils m'installèrent, comme promis, aux côtés de sir John  Winter qui paraît être un homme de bien et de mérite et de conversation agréable. Il nous fallut discuter de la fourniture de fer pour les ancres destinées au roi, et savoir si ce fer est d'assez bonne qualité.                                                                                                                             pinterest.fr           
            Quel plaisir de me voir arrivé au point d'être reçu par des gens d'un tel rang, Winter étant depuis longtemps secrétaire auprès de la reine-mère. Puis chez Povey, examinâmes quelque peu le travail à faire, puis chez moi où je m'y consacrai jusqu'à une heure tardive. Will Howe est venu au sujet de ses comptes concernant les sommes investies dans la flotte. Après son départ, rentrai, souper et, au lit.
            La nouvelle est arrivée ce jour que le capitaine Allin est de retour de Méditerranée, non loin de Portland, avec 11 navires du roi et 22 navires marchands.
                                                                                                                                   
                                                                 
                                                                                                                           21 mars

            Lever. Mon tailleur est venu examiner ma garde-robe complète afin de remettre mes habits en état en vue de l'été. A mon bureau, travaillai toute la matinée. A midi à la Bourse, accompagnai Mr Andrews chez lui où nous dînâmes avec Mr Shipley, fort bien et gaiement et chez Mr Povey afin de décider de la question de la trésorerie. M'est avis que nous nous entendrons fort bien et je m'en réjouis. Mais plus je le vois plus je suis convaincu de sa niaiserie.
            En voiture aux Mews, mais Creed n'y était point. En chemin la voiture emprunta un chemin non loin de Drury Lane où quantité de ribaudes attendaient sur le pas de leur porte, ce qui, Dieu me pardonne ! me mit en tête de mauvaises pensées, mais grâce à Dieu, les choses n'allèrent pas plus loin.
            Chez moi et à mon bureau très tard. Rentrai et là trouvai une paire de coupes d'apparat, fort grandes, allant chercher chacune dans les 6 livres, de la part de Burrow, le marchand de hardes pour matelots.


                                                                                                                               22 mars

            Levé puis chez Mr Povey pour notre affaire, puis chez Mr Warwick, mais ne pus le voir. De là chez Mr Coventry dont le témoignage d'affection et d'estime envers moi fut si généreux et spontané que jamais je n'eusse espéré ou souhaité davantage, l'eussé-je reçu de toute autre personne en Angleterre, je ne l'eusse point mieux apprécié. Puis chez Mr Povey et à la Bourse avec Creed, puis chez moi. Mais comme c'était jour de lessive, ne dînâmes pas chez moi, mais l'emmenai, étant moi-même invité, chez Mr Hubland, le négociant, où se trouvaient aussi bon nombre d'hommes industrieux, propriétaires et affréteurs de l'Experiment prochainement mis à flot avec ses deux quilles. Nous parlâmes fort bien. Entre autres, sir William Petty me raconta, sans plaisanter le moins du monde, qu'il avait, par testament, laissé telle ou telle part de sa fortune à qui ferait telle ou telle invention, comme par exemple celui qui découvrirait la véritable manière dont le lait monte aux seins d'une femme, ou les termes susceptibles de définir pour autrui les mélanges de saveurs et de goûts. Mais il ajoute qu'à l'inventeur de l'or il ne léguerait rien, s'agissant de la pierre philosophale " car, dit-il, ceux qui la découvriront sauront se payer eux-mêmes et que mieux vaut alors donner de l'argent pour une communication à la Société, car en cet endroit mes exécuteurs testamentaires, devant attribuer une somme, ne manqueront point de vouloir être entièrement convaincus de la véracité de l'invention avant de se séparer de leurs fonds. " 
            Après dîner Mr Hill me fit entrer avec Mrs Hubland, une charmante dame, dans une autre pièce, où nous lui demandâmes de chanter, ce qu'elle fit fort bien, et j'en fus ravi.
            Ensuite à Gresham College où j'ai vu un chaton que l'on fit presque mourir, l'ayant placé dans un bocal dont on avait aspiré l'air, et aussitôt ranimé dès qu'on fit à nouveau entrer l'air. Celui-ci est obtenu par le mélange d'une liqueur et d'un corps qui fermente et dont la vapeur produit le résultat en question.
            Puis chez moi et à Whitehall où la Chambre ne parle que du Duc qui part demain, puis à St James, où survint ce qui suit :
            1. Je vis le Duc. Lui baisai la main. Il me marqua en termes fort chaleureux l'estime et la haute opinion qu'il a de moi, ce qui me combla par-dessus tout.
            2. Mr Coventry fit de même, le plus cordialement et affectueusement du monde.
            3. Vis, entourée d'autres jolies dames, Mrs Myddleton, fort belle femme que je ne connaissais point et dont on ne m'avait jamais parlé auparavant. 
            4. Vis Waller, le poète, que je n'avais jamais rencontré.
            Rentrai fort tard, en voiture, avec sir William Penn.



                                                                                                               23 mars 1665


            Levé et chez milord Sandwich qui, aujourd'hui, doit accompagner par eau le Duc jusqu'à l'estuaire où se trouve le Prince. Il me reçut avec grande bonté et, tout occupé qu'il est, me manifesta sa joie de me savoir promu et me dit, sans tarir, combien le Duc, à chaque occasion, avait manifesté à mon égard sa haute opinion de mes services et son affection. Je le remerciai et le saluai, puis rentrai chez moi où j'ai travaillé toute la matinée. 

            A midi à la Bourse, puis dîner chez moi avec Llewellyn. Ressortis en voiture, emmenai ma femme à Westminster. Au Cygne chez Herbert où j'eus la bonne compagnie de Sarah, comme je l'avais espéré, puis visite à Mrs Martin, fort aimable. Les trois premières semaines de son mois de couches sont écoulées.
            Repris ma femme au passage, puis à la maison où j'ai travaillé quelque temps, puis souper et, au lit.
            Selon la rumeur on aurait entendu gronder le canon à Deal, mais rien de précis, que ce soit vrai ou non.


                                                                                                                        24 mars

            Levé matin et, comme convenu, à la taverne du Globe, dans Fleet Street, chez Mr Clerk, mon avoué, au sujet des comptes de mon oncle, puis accompagné d'un certain Jeffreys chez l'un des barons, Spelman, où je déclarai mes comptes et fis serment de leur exactitude, à ma connaissance, si bien qu'après quelques formalités je serai dégagé de tout souci. 
            Chez Povey à qui je portai ses lettres pour lui de la plus haute importance, mais que le jeune Bland, récemment revenu de Tanger, a fait tomber en chemin, non loin de Sittingburne, et qui furent retrouvées et envoyées à Mr Pett à Chatham. Mais tout ce que fait Povey relève d'une négligence et d'une sottise des plus fâcheuses.
            Puis nous l'entreprîmes, Creed, Mr Viner et moi-même et Poyntz au sujet de la maison de correction de Clerkenwell. Nous y allâmes après dîner et vîmes les ateliers. Consultâmes aussi les textes de loi qui s'y rapportent et d'autres documents afin de pouvoir entreprendre notre projet, avec Povey, d'administrer la maison. Mais je ne crois point que nous puissions nous en mêler sans dommages, du moins jusqu'à ce que je prenne le temps d'en avoir le cœur net, mais l'idée reste ingénieuse et louable.
            Puis chez milady Sandwich où ma femme a passé la journée et a observé un jeûne très strict à l'occasion du vendredi saint. Nous y soupâmes et parlâmes fort gaiement, et milady, seul à seul, me dit qu'elle pense sérieusement au fils de sir George Carteret, que, à ce que je vois, on souhaiterait marier à milady Jemima. Puis chez moi, à mon bureau et, au lit.


                                                                                                                       25 mars
                                                                                                    Jour de l'Annonciation  
                                                                                                                         pinterest.fr
      Levé tôt et à mon bureau toute la matinée. A midi dînai seul avec sir William Batten, parlâmes beaucoup de sir William Penn, sir William Batten étant, à ce que je vois, quelque peu en froid avec lui qu'il juge trop altier, trop hautain, puis commençai à me dire qu'on mettait en doute son courage. Sur quoi je répondis sans ambages que j'avais entendu dire qu'il avait, pour cette raison, été mis en accusation et, qu'en cette affaire, sir Henry Vane lui avait témoigné grande amitié. Ces paroles, je le vois, le remplirent d'aise. 
            A mon bureau et fort occupé jusque très tard à ma grande satisfaction.
            Cet après-midi sir William Penn est revenu brusquement après avoir quitté la flotte, pour quelle raison je l'ignore.
            Rentré tard, souper et, au lit.


                                                                                                                            26 mars
                                                                                   Jour du Seigneur et Jour de Pâques
            Levé et avec ma femme qui, depuis un mois n'est pas allée à l'église, à l'office. A midi, à la maison, Mercer étant restée pour la Cène.
            Voici sept ans aujourd'hui que, par la grâce de Dieu, j'ai réchappé à mon opération de la pierre, et que je suis à présent en parfaite santé, et durablement. Et, bien que l'hiver passé ait été l'un des plus rudes qu'on ait eus depuis longtemps, je ne me suis pourtant jamais mieux porté de ma vie, ni ne me suis couvert davantage cet hiver que je ne le fais en été, n'ayant porté qu'un pourpoint et un gilet ouvert dans le dos. Pour sortir un manteau et à la maison une veste. Mais je ne sais si c'est ma patte de lapin qui me protège des vents car je n'ai jamais eu de colique depuis que je l'ai sur moi, et rien ne me fait plus souffrir que les vents et, lorsque je les évacue, je ne souffre plus, ou bien si c'est d'avoir gardé le dos bien à l'air car, dès que je dors plus longtemps qu'à l'accoutumée sur le dos mon urine est brûlante le lendemain matin, ou bien encor si c'est d'avoir pris chaque matin une pilule de térébenthine qui me fait aller à la selle, ou bien les trois à la fois. Mais il n'empêche, béni soit Dieu tout puissant ! que je me porte aussi bien qu'il me soit possible de l'espérer ou de le désirer. J'ai bien de temps à autre quelques borborygmes causés par des vents dont je souffre un peu, mais la chose est passagère. Mon dos s'affaiblit aussi beaucoup, ce me semble, au point que je ne peux plus rester penché pour écrire, ou compter de l'argent en position debout, sans en souffrir longtemps après.
            Néanmoins, il y a seulement une ou deux semaines, j'ai eu de vives douleurs durant toute une journée, mais elles étaient dues à ce que je me suis meurtri l'une de mes testicules, puis j'ai évacué deux pierres mais n'ai eu point mal, me suis couché et ai bien soutenu mes testicules et le lendemain n'ai plus rien senti. Mais j'ai remarqué que d'être assis le dos au feu à mon bureau m'a donné mal au dos, m'a échauffé l'urine et m'a valu des douleurs, ce qui se reproduit à chaque occasion.
            J'ai envoyé hier à Mrs Turner une invitation à venir passer la journée avec moi, ce qu'elle m'a accordée, mais m'a fait dire ensuite qu'aujourd'hui étant un dimanche, de Pâques de surcroît, elle préférait un autre jour et souhaitait remettre la chose à plus tard. Comme je ne demandais pas mieux on reporta à un autre jour, que j'aurai à cœur de choisir à ma convenance, ainsi n'aurais-je peut-être pas à faire les frais d'un festin.
            A mon bureau tout l'après-midi, discutai les termes de mon contrat avec Mr Povey afin qu'il puisse être signé demain matin.
            Le soir, ai passé une heure à me promener dans le jardin avec sir John Mennes, à parler de l'affaire de la Caisse où sir William Batten s'est montré si peu scrupuleux. Sur ce point le vieil homme est, pour lors, hors de lui, mais cette ardeur ne durera pas, il ne faut guère s'y fier.
            Rentré souper, prières puis, au lit.


                                                                                                                      27 mars

            Levé tôt et chez Mr Povey où j'ai signé et scelle notre contrat disant qu'il me cède son poste de trésorier pour la commission de Tanger. Le texte est en grande partie rédigé à partir d'un projet qu'il a fait lui-même, auquel j'ai seulement rajouté deux ou trois choses en ma faveur.
            Puis chez le duc d'Albemarle, et c'est la première fois qu'en tant qu'officiers de la marine nous allons lui présenter nos respects depuis le départ du duc d'York qui l'a mandaté à ses fonctions d'amiral pendant son absence. Il m'a semblé paisible, massif, homme à promouvoir les affaires quand il le peut et à ne rien empêcher, et je suis très heureux que nous lui ayons présenté nos devoirs.
            Ensuite, seul avec lui, je lui ai adressé mes remerciements pour la faveur qu'il m'a accordée pour mon affaire de Tanger, qu'il reçut avec bienveillance et il me témoigna longuement son estime.
            Partis faire de même chez sir Henry Bennet qui me complimenta aussi. Il me donna toutes ses lettres provenant de Tanger afin que je les lusse, je les lui rapportai l'après-midi.
            Puis chez Mrs Martin dont le mari est, comme il l'écrit lui-même, bêtement parti pour la France, mais qui n'en est pas moins sotte et légère qu'auparavant. M'ébaudis en sa compagnie puis je m'en fus.
            Puis chez milord Peterborough où Povey, Creed, Willimson, Beale le comptable et moi-même, étions présents. Le spectacle de milord et Povey s'insultant sans détours à propos de leurs comptes fut fort drôle, l'un prenant l'autre pour un imbécile et, pour ma part, je ne crois point qu'ils se soient trompés, ni l'un ni l'autre, de beaucoup, bien qu'ils se trompent pour tout le reste. Leur joute verbale fut même pleine d'esprit et fort plaisante.
            Entre autres choses ce fut le dîner le plus distingué et dans la plus élégante demeure que j'aie vue depuis longtemps, elle dépassait en splendeur tout ce que j'ai jamais vu dans la résidence d'un noble.
            Rendis ensuite visite à milord Berkeley, restai un long moment à discuter avec lui dans son cabinet. Il me témoigna toute sa sympathie, toujours à propos de l'affaire de Tanger, puis nous parlâmes de l'époque et du manque d'argent. Il dit qu'il fallait de nouveau convoquer le Parlement rapidement et faire rentrer davantage d'argent, mais non point par le biais de l'impôt, il estimait le peuple incapable de le payer, mais il opinait plutôt que tout fût mis à contribution indirecte, ou bien qu'on rendît chaque corporation de la Cité redevable d'un droit qui irait dans les caisses du roi, comme c'est l'usage dans toutes les villes de par le monde. Car, à Londres, un citoyen n'est pas davantage frappé d'impôts que son voisin à la campagne, alors que, du fait qu'elle est une ville, celle-ci devrait verser des sommes considérables au roi pour sa charte. Mais je crains que tout ceci ne soit source d'aigreur.
            Puis chez Povey, parlâmes quelque peu, puis revins à mon bureau, tard. Souper et, au lit.


                                                                                                                          28 mars 1665

            Levé tôt, au bureau où nous passâmes la matinée et, Dieu en est témoin, j'ai fait la plupart du travail. Puis à la Bourse et au café avec sir William Warren. Nous devisâmes jusqu'à 4 heures, et y trouvâmes beaucoup de plaisir et de satisfaction. On se quitta et je rentrai dîner n'ayant rien mangé, puis à mon bureau. Le soir soupai avec ma femme chez sir William Penn qui doit bel et bien repartir, ainsi que toute la flotte, dès demain. Prîmes congé et à mon bureau jusqu'à plus de minuit. Chez moi et, au lit.


                                                                                                                          29 mars
pinterest.fr
            Levé tôt et chez Povey où nous parlâmes affaires pendant un bon moment, puis je partis pour la Cité, mais la taille que m'a donnée Povey ne m'a point permis d'obtenir d'argent à Lombard Street, tant est grande la mauvaise réputation qui le poursuit, à ce que j'observe, depuis qu'il a renoncé à son poste. On pense que ce ne fut pas choix mais nécessité, ce qui est la vérité. Retournâmes chez lui après être passés chez moi goûter de mon vin, mais ma femme étant absente nul ne peut y avoir accès, et nous fûmes déconfits.
            Chez lui et, avant de dîner, nous discutâmes du fret qui me cause un si grand embarras. Plus de 100 £ me reviennent et pour le reste j'ai tiré une lettre de change avec trop de hâte en son nom. Mais voilà qu'il décide d'y impliquer Creed, ce qui m'inquiète au plus haut point. Creed est arrivé et, après le dîner, Povey, de la manière la plus fine qui soit, mena son affaire avec lui, avec un tel esprit d'à-propos que l'homme le plus subtil du monde n'aurait point fait mieux. Je dois avouer qu'il est fort rusé et perspicace et que je le redoute au plus haut point dans mon commerce avec lui bien que, pour toutes les matières sérieuses relevant de son travail, ce soit le plus bel idiot que j'aie jamais vu. On tira la traite, dont on donna un exemplaire à Creed qui inscrivit son intratur sur l'original, qui passera, je l'espère, du moins me voici maintenant contraint et forcé de faire face et de me justifier. Mais je prie Dieu que cela ne fasse pas l'objet d'une enquête.
            Puis, mi-inquiet, mi-satisfait, ne sachant que penser, rentrai chez moi et pris au passage les trois volumes de milord Coke chez mon libraire. Arrivé chez moi je trouve une nouvelle bonne, cuisinière, qui a pour nom Alice et qui ne me dit rien qui vaille. A mon bureau, ai travaillé fort tard à la rédaction d'un projet que le capitaine Taylor, qui fait construire un nouveau bateau, ira déposer à la Cité. Le projet me paraît bien, j'espère qu'il fera l'affaire. Rentrai souper et, au lit.


                                                                                                                    30 mars

            Levé, chez milord Ashley, mais ne fîmes rien, puis chez sir Philip Warwick avec qui je parlai affaires. Revins à mon bureau où je passai toute la matinée. A midi rentrai dîner, puis à une séance de la commission de Tanger. Grand Dieu ! les voir se précipiter pour accorder à sir John Lawson, venu aujourd'hui en ville pour régler ses affaires, la somme de 4 000 £ en vue de la construction de son môle, et être prêts à lui accorder 4 shillings par yard supplémentaire, ce qui fait 36 000 £ pour toute la longueur du môle, voilà qui est fort singulier. Par chance, la dernière proposition n'a pas été retenue, mais la première le fut.
            De là chez Mrs Martin dont le mari est, semble-t-il, parti et elle appris qu'il a une autre femme qu'il fréquente comme si elle était son épouse, et ce depuis longtemps. Elle s'est montrée fort prude et résolue à le demeurer jusqu'au retour de son mari ce qui, s'agissant d'elle, prête à sourire.
            Rentrai chez moi, puis à mon bureau tard et, au lit.


                                                                                                                     31 mars

            Levé de bon matin. A pi                                                                                          ed chez milord Ashley, trouvai Creed et, après une longue attente, nous pûmes lui parler et fûmes reçu avec civilité. Me rendis ensuite chez sir Philip Warwick puis chez milord de Farmouth qui me reçut aussi fort aimablement, mais point comme je m'y attendais. Il a cru, je le vois, que j'avais entrepris de justifier les comptes de Povey et d'en assumer la responsabilité, ce en quoi je le détrompai. Ensuite chez milady Sandwic pour le dîner. Nous montâmes ensuite dans sa chambre pour parler du fils de George Carteret que nous avons décidé de présenter à milady Jemima.
            Chez Povey où je passai un après-midi fort affairé, jusqu'à ce que j'en eusse assez de ce travail et de négliger mes affaires de la marine. Le soir demandai à ma femme de venir chez milady, puis on rentra, et à mon bureau où je fis mes comptes pour ce mois, dont le total, Dieu en soit remercié ! se monte à 1 300 £, ce dont je rends grâce à Dieu. A minuit passé rentrai, souper et, au lit.
            Ai vu Creed transporté de joie d'entendre les paroles généreuses que milord Falmouth avait eues pour lui, lorsqu'il lui avait dit qu'il lui réservait un poste que Creed espère éminent. C'est un homme d'esprit à plus d'un chef, mais guère d'un bon naturel, ni avec qui il faut traiter de manière ordinaire. Milady Castlemaine est de nouveau souffrante, on parle d'une fausse-couche.


                                                        à suivre............

                                                                                                               1er Avril 1635

            Eus fort à faire......
                                                   

            
                                                                                                         

            

  

samedi 16 janvier 2021

La Végétarienne Han Kang ( Roman Corée )

 





                                       


  

amazon.frn 

                                                              La Végétarienn

            Séoul. Yonghye est " ni grande ni petite, des cheveux ni longs ni courts...... " Son époux d'aspect assez froid travaille beaucoup dans un bureau, elle crée des bulles pour les bandes dessinées. Leur couple semble sans problème. Seule l'absence de soutien-gorge pouvait être gênant pour son mari et le fut lors d'un repas avec son patron et divers directeurs, les très petits seins de la jeune femme  sous son chemisier attirant les regards des dames. Par ailleurs, devenue végétarienne elle refusa la plupart des plats. Un soir le mari encore jeune trouve sa femme debout devant le frigidaire qu'elle vide de toutes les paquets de viande. Elle refuse dorénavant de les cuisiner et ne le nourrit plus que de soupes, de riz et légumes au grand mécontentement du mari qui a cependant le droit d'en manger à l'extérieur mais plus de l'embrasser car " il sent la viande " Le congélateur sera également vidé de toutes viandes et poissons. Plus d'œufs. Pourquoi ? " A cause des rêves ", que l'auteur décrits. Puis une scène décisive éclate lors d'un repas de famille où chacun se régale de leurs plats préférés et nombreux de viande. Evidemment Yonghye ne se nourrit pas, colère du père, un drame survient Yonghye sera internée quelque temps, et le couple divorce. La deuxième partie vue par la sœur aînée reprend le sujet donnant les bases du couple qu'elle forme avec un homme vidéaste, père de leur petit Chiu. Il apprend par hasard que sa belle-sœur porte la tache fréquente chez les asiatiques, tache mongolique au bas du dos, et cela le fait rêver alors qu'un chorégraphe a porté sur scène son court film. Il rêve et réalise son rêve, peindre deux corps nus, des fleurs partout, chez Yonghye autour de la tache et sur l'homme. Si sa femme ignore le sujet de ce nouveau film qu'il réalise seule, elle gère sa boutique de produits de beauté et malgré un horaire lourd, souvent jusqu'à 11 h du soir, prend soin de chacun. Et surprendra dans leur sommeil sa sœur et son mari tout peint de fleurs et dont les ébats ont été filmés. Et la troisièmes partie est vue à travers les yeux de cette " Grande Sœur ". Yonghye qui espéra quelques minutes après sa scène d'amour avec son beau-frère être délivrée de ses rêves, sombre à nouveau et est internée. Séparation du second couple, sans drame. Des mariages sans amour. Tous pensent avoir échappé au piège de l'amour. Mais Yonghye croit s'être trouvée, végétale. Un arbre. Drame. Beaucoup de sujets dans ce roman où chacun peut trouver matière à interrogation. Bonne lecture du livre qui correspond à notre époque, vegan. Yonghye refuse aussi les laitages et les chaussures en cuir et ne porte plus que des baskets. Booker Prize 2016.

lundi 11 janvier 2021

Le passereau solitaire Giacomo Leopardi ( Poème Italie )




     




                 



jardinage.lemonde


                                             Le Passereau solitaire

            Sur le sommet de la vieille tour, passereau
            solitaire, tu vas chantant, jusqu'à ce que s'éteigne
            le jour, et ton harmonieuse voix se répand par
            cette vallée. Autour de toi, le printemps resplendit
            dans l'air ; il tressaille de joie à travers les
            campagnes ; spectacle qui attendrit le cœur. Tu
            entends bêler les troupeaux, mugir les bœufs, et
            tu vois les autres oiseaux tes frères, joyeux, faire
            ensemble mille tours, dans leurs disputes, par les
            libres espaces du ciel, pour fêter leur meilleure
            saison. Toi, pensif et retiré, tu regardes tout cela.
            tu ne voles pas avec tes compagnons. Que t'im-
            porte cette allégresse ? Tu chantes et tu vois passer
            ainsi la plus brillante fleur de l'année et
            de tes jours ?

            Hélas ! combien ma vie ressemble à la tienne !
            rires et jeux, doux cortège du premier âge, et
            toi, frère de la jeunesse, amour, après qui la vieil-
            lesse soupire si douloureusement, je n'ai nul souci 
            de vous, je ne sais pourquoi. Que dis-je je vous
            fuis, et comme l'ermite, étranger à mon coin
            natal, je vois s'écouler le printemps de ma vie.
            Ce jour, qui maintenant fait place à la nuit, est
            un jour de fête pour notre village. Entends-tu
            cette cloche qui vibre dans l'air pur ? entends-tu
            ces coups de feu répétés qui tonnent et retentis-
            sent de maison en maison. Toute la jeunesse du     
            pays, en habits de fête, quitte le logis et se répand
            par les chemins. Elle va voir et se montrer. La
            joie remplit les cœurs. Moi seul, dans ce lieu
            écarté, je marche à travers la campagne. Je remets
            à un autre temps tout plaisir et toute joie ; et, en
            attendant, mon regard perdu dans l'espace, reçoit
            l'atteinte des rayons du soleil qui, par-delà les
            monts lointains descend et disparaît. Il semble
            nous avertir que l'heureuse jeunesse aussi
             s'évanouit.

            Toi, oiseau solitaire, quand sera venu la fin
            des jours que te comptent les étoiles, tu ne te
            plaindras pas de ton sort, parce que tous vos
            désirs sont soumis à la nature. Mais moi, s'il ne
            m'est pas donné d'éviter le seuil détesté de la vieil-
            lesse, lorsque mes yeux ne pourront plus parler
            au cœur de mes semblables, que le monde sera
            vide pour mon regard, que le lendemain me pa-
            raîtra plus triste encore et plus sombre que le
            jour présent ; que penserai-je alors de ce que je
            fuis maintenant, de mes années envolées et de
           moi-même ? Ah ! Je me repentirai ! et bien souvent
           mais sans en être consolé, je me retournerai vers
           Le passé.
          

                       Giacomo Leopardi                                             rtl.be



dimanche 10 janvier 2021

Anecdotes et Réflexions d'hier pour aujourd'hui 136 Samuel Pepys ( Journal Angleterre )

 eldebate.es





 

                                                                                                                              1er Mars 1665


              Lever. Comme aujourd'hui est la date que je m'étais depuis longtemps fixée par ma promesse de donner à ma femme 20 £ pour s'acheter ses toilettes de Pâques, je me raccommodai avec elle, et elle avec moi, malgré la querelle d'hier. J'ai néanmoins barguigné tant et plus avant de me séparer de mon argent, puis ai fini par le lui remettre. Elle s'en fut donc à ses emplettes. Travaillai toute la matinée à mon bureau. A midi dînai à Trinity House, puis à Gresham College où Mr Hooke qui parlait en premier nous fit un second exposé fort difficile sur la dernière comète, démontrant, entre autres, qu'il s'agit bien de celle déjà apparue avant 1618, et qu'elle réapparaîtra sans doute après le même laps de temps. Voilà une idée fort nouvelle, mais tout ceci sera imprimé.
             Puis à la séance, au cours de laquelle les deux fils de sir George Carteret, ainsi que sir Nicholas Slaning, furent admis dans la Société. Ai aujourd'hui payé le montant de ma cotisation, 40 shillings. On fit de beaux discours, et des expériences. Mais mes connaissances en philosophie de la nature étant trop limitées pour que je les comprenne, je n'ai rien retenu. Il y eut, entre autres, un compte rendu fort détaillé de la confection de diverses sortes de pain en France réputé être le meilleur pays du monde pour le pain.
            Retour chez moi fort occupé à trouver des réponses aux questions de sir Philip Warwick au sujet des dépenses de la Marine. Pris ensuite une voiture avec ma femme et Mercer, à 8 heures du soir, pour aller chez sir Philip à qui j'ai parlé, elles sont restées dans la voiture, puis à la maison souper et, au lit.


                                                                                                               2 mars

            Aujourd'hui commençai tôt la journée, levé avant 6 heures et descendu réveiller mes gens. Je trouve Bess et la fille de service tout habillées, enveloppées dans leurs couvertures et couchées par terre au coin du feu, la chandelle ayant brûlé toute la nuit. Elles prétendirent qu'elles allaient se lever tôt pour récurer. Voilà qui me rend furieux, mais Bess part et ne me causera plus de contrariétés très longtemps. Levé donc et chez Burston par coche d'eau m'enquérir de l'estampe de milord, puis chez moi, à mon bureau passai toute la matinée. Dînai à midi avec sir William Batten, ma femme étant de nouveau sortie faire des emplettes, car elle n'a rien pu acheter hier, faute d'avoir Mrs Pearse pour l'accompagner. A nouveau à mon bureau, travaillai jusqu'à minuit, irrité de ce que ma femme restât si tard en ville, car elle n'était point rentrée à neuf heures. Elle rentra enfin, mais pourquoi elle a tant tardé, je l'ignore encore. Refermai mes livres, rentrai, souper et, au lit.


                                                                                                                     3 mars

            Levé puis sortis pour plusieurs affaires. Entre autres, pour voir Mr Honeywood qui est passé chez moi l'autre jour, mais je m'aperçois que la seule raison de sa visite était de me payer le trimestre de mon frère John. De là m'en fus voir Mrs Turner qui prend très mal le fait que je ne sois pas venu au dîner qu'a donné le lecteur son mari. " C'était, me dit-elle, le plus grand banquet jamais donné pour un lecteur ", et je veux bien la croire, mais je suis content de n'y être point allé, ce qui la conforte dans l'opinion qu'elle a de moi, à savoir que je deviens hautain.
            Puis à la Bourse et à divers endroits. Rentrai dîner et à mon bureau jusqu'à minuit afin de préparer un rapport que je dois adresser à Mr Coventry sur les pêcheurs de la Tamise, après qu'il a soulevé cette question devant moi, s'agissant de leur exemption de la presse. Puis chez moi, souper et, au lit.


                                                                                                                     4 mars

            Levé de bon matin, fis l'aller et retour par un froid de loup, à pied jusqu'à Ratcliff, chez le graveur. A mon bureau toute la matinée. Ai souffert toute la journée, bien qu'ayant l'intestin vide, de flatuosités et de ballonnements. Dînai seul, ma femme étant ressortie faire d'autres achats. A mon bureau tout l'après-dîner. William Howe est venu me rendre visite, récemment débarqué avec milord. Ce garçon a gagné en sagesse, mais aussi en vanité. Il me dit le peu de respect que sir William Penn a témoigné à milord, en mer, à bord du navire du Duc, et me dit aussi que le capitaine Myngs, l'un des favoris du prince Rupert, manifesta bien peu de respect envers milord, mais que tous, hormis eux, surent lui témoigner de l'estime, comme ils se devaient de le faire. Je juge déplorable la sottise de ce capitaine et irritante la duplicité du premier.
            Le soir, rentrai souper chez moi et, au lit. 
            Aujourd'hui, à la Bourse, fut rendue publique la guerre contre la Hollande.


                                                                                                                   5 mars 1665
                                                                                                    Jour du Seigneur
            Levé puis, après que Mr Burston m'eut apporté, comme je le lui avais demandé, les estampes destinées à milord, pris une voiture et me rendis chez milord Sandwich et dînai avec lui. C'était son premier dîner chez lui depuis son retour de mer. A milady, devant moi, milord posa cette singulière question : " - Comment vous portez-vous ma chère ? Et comment votre semaine s'est-elle passée ? " me faisant lui-même la remarque qu'il l'avait à peine vue de toute la semaine. Il eut pour moi à ce dîner les plus grands égards du monde, me trancha lui-même la viande, ce qu'il n'avait fait pour nul autre, demandant souvent à milady de m'en découper davantage, et le plus affablement du monde.
            Après le dîner il examina les estampes, elles lui plurent fort. En vérité, en ce domaine, il n'y a pas plus fin connaisseur que lui. Derechef chez moi. Le soir, après avoir chanté une ou deux chansons avec Mr Hill, me rendis à mon bureau, puis chez moi, souper et, au lit.


                                                                                                                      6 mars

            Levé et en compagnie de sir John Mennes en voiture à St James. Il fait aujourd'hui le froid le plus terrible qu'on ait eu cette année. Nous traitâmes nos affaires avec le Duc, ensuite grands préparatifs pour qu'il puisse reprendre la mer au plus tôt. Je le vis essayer son manteau en cuir de buffle et son cabasset recouvert de velours noir. L'idée qu'il ait décidé de partir me tourmente plus que tout dans cette guerre.                                                                                                                                     pinterest.frl
            Rentré dîner et vu partir Bess. De toutes les domestiques qui ont logé chez nous, celle-ci qui fut la plus comblée, outre ses gages, d'affection, d'égards et de vêtements de qualité, est partie en faisant preuve de la plus grande ingratitude.
            Ressortis ensuite m'enquérir de mes hamacs, puis au retour trouvai notre nouvelle femme de chambre, Mary. Loin d'être accorte, ainsi que ma femme l'avait dit et semble toujours croire, me semble très quelconque, je fus donc en cela fort déçu.
            A mon bureau, travaillé très tard, puis rentré souper et, au lit, affligé toute cette nuit d'une douleur dans mon testicule gauche qui, peu après, s'est prolongée jusqu'à mon rein gauche et n'a cessé de me lanciner toute la nuit, une vraie torture.
  

                                                                                                                     7 mars

            Levé frais et dispos, mais sur le chemin de mon bureau, et m'est avis que c'est dû au fait d'être resté assis le dos au feu, je ressentis de nouveau une douleur atroce, telle que je ne pus rester l'après-midi et dus rentrer, ne parvins pas non plus à m'asseoir pour dîner, mais dû m'aliter. Après que j'eus passé un moment au lit, ma douleur s'atténua et tendit à disparaître. Me levai donc pour uriner, imaginant une simple contusion d'un testicule meurtri par accident, comme j'ai accoutumé de le faire. Mais en pissant j'ai évacué deux calculs, les sentis fort distinctement, ce qui me fit examiner mon urine. N'ayant éprouvé aucune douleur en pissant, je ne pensais guère qu'il puisse s'agir de calculs, d'autant que sitôt alité, je n'avais plus eu mal ni éprouvé d'autre envie d'uriner avant un long moment. Allai de nouveau pisser, sans douleur et d'abondance. Après quoi je restai couché, l'esprit rasséréné toute la soirée, puis me suis relevé, ai veillé une heure ou deux, et derechef au lit. Ai dormi jusqu'à 8 heures, levé bien qu'il gelât à pierre fendre
                                                             < 8  mars > et bien que mon testicule restât quelque peu endolori et sensible. Je pense que le froid est la vraie raison de ma souffrance. J'espère que ma maladie de la pierre ne se redéclarera pas, et Dieu me l'accorde ! qu'elle disparaîtra en pissant, mais je consulterai mon médecin.
            Ce matin on m'apporte à mon bureau la triste nouvelle du London, que les hommes de sir John Lawson se préparaient à mener de Chatham jusqu'à l'estuaire où il devait s'embarquer, mais le navire explosa dans les parages immédiats de la bouée de Nower. 24  hommes environ, plus une femme qui se trouvaient dans la dunette et la chambre de conseil furent sauvés. Les autres, plus de 300, se noyèrent, le vaisseau se brisa, et 80 bouches à feu en bronze furent envoyées par le fond. Du vaisseau coulé la dunette émerge au-dessus de l'eau. Pour sir John Lawson c'est une lourde perte, car il y avait à bord tant d'hommes bien choisis et qui comptaient parmi eux bon nombre de ses parents.
            Me rendis à la Bourse où la nouvelle fit grand émoi. Rentré dîner accompagné de Mr Moore, puis à Gresham College où je vis plusieurs belles expériences, puis chez moi et à mon bureau, le soir, vers 11 heures, rentrai souper et, au lit.


                                                                                                                      9 mars

            Levé et à mon bureau. Avons travaillé toute la matinée. A midi dînai à la maison puis sortis avec ma femme que je quittai à la nouvelle Bourse et me rendis à Westminster où j'apprends que Mrs Martin a accouché d'un garçon qui a été baptisé Charles, ce dont je me réjouis, car je craignais qu'on me demandât d'en être le parrain. Mais apparemment la chose dut se faire très vite, si bien que j'y échappai.
            Il est étrange de constater combien l'oisiveté, ou à tout le moins une sortie dépourvue d'objet précis peut conduire un homme au vice, car je m'apprêtais à lui rendre visite et aurais, à cette occasion, été amené, nécessairement, à rompre mon serment ou à donner un gage. Mais je n'en fis rien, au vu qu'elle n'était point seule, ce que j'appris de mon portier. Si bien que je rentrai, pris au passage ma femme qui me déposa au College Saint Paul où je pus rendre visite à Mr Cromleholme, chez lui. 
            Seigneur ! Un pédagogue suffisant, si savant soit-il, n'est jamais que très ridicule, tant il met de dogmatisme dans le moindre geste, la moindre parole. Nous parlâmes entre autres de nos souvenirs du collège Saint-Paul, et quand je lui fis part de la haute estime où je tenais l'école, il me donna un exemplaire, aux caractères fort anciens, de la grammaire de Lily, telle qu'elle était en usage à l'époque catholique. J'en prendrai grand soin. Après avoir bavardé quelque peu, partis rejoindre ma femme qui achetait du linge chez le drapier, puis à la maison et à mon bureau, jusque très tard, puis rentrai souper et, au lit. Cette nuit ma femme était vêtue d'un nouveau déshabillé de soie, gris cendré à fleurs, fort seyant.


                                                                                                                     10 mars 1665

            Levé et à mon bureau toute la matinée. A midi à la Bourse où les biles sont échauffées au sujet de la proposition récemment faite, que la Cité dédommage le roi de la perte du London, et lui donne un autre navire. Ce serait un beau geste et réalisable si l'entreprise était bien menée. Mais je crains que cela n'aboutisse point, si cela tombe en de mauvaises mains, ou si les courtisans souhaitent s'en occuper. Rentrai dîner puis à une séance de la commission de Tanger à Whitehall où se trouvaient milord Berkeley, Craven et d'autres. Mais Seigneur ! quelle légèreté dans l'affaire de la loterie. Voilà qui jettera le discrédit sur la pêcherie et ne lui vaudra nul avantage.
            Chez moi, irrité par cette perte de temps et à mon bureau. Tard dans la soirée arrivent les deux Bellamy, anciens mandataires aux subsistances de la marine, venus chercher conseil en la matière d'une dette qu'ils ont contractée vis-à-vis de la Marine, pour le règlement de laquelle ils sont prêts à verser une coquette somme, proposition fort équitable. Peut-être pourrais-je m'y consacrer et en tirer quelque  bénéfice qui sera une fort bonne chose. Rentré tard me coucher.                                                                                                                                                                                              journalopenedition                         

                                                                                                    11 mars

            Levé et à mon bureau, à midi chez moi, dîner et derechef au bureau, jusqu'à une heure tardive, rentrai, souper puis, au lit.
            Sir William Batten et sir John Mennes reviennent aujourd'hui de la rade de Lee, où ils sont allés voir l'épave du London dont, disent-ils, les canons peuvent être renfloués, mais dont la coque est totalement perdue et ne peut être mise hors d'eau.

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                              12 mars
                                                                                            Jour du Seigneur
            Levé. Empruntai la voiture de sir John Mennes, me rendis chez milord Sandwich, mais il était sorti. Renvoyai la voiture pour ma femme. Milord dînait chez lui pour la seconde fois afin de me recevoir. Hormis ces deux fois il n'a pas dîner chez lui depuis son retour de mer. Je m'assis et lus en entier le sermon de l'évêque de Chichester, prononcé à l'occasion de l'anniversaire de la mort du roi, dont on fait grand cas, mais m'est avis, il est bien médiocre.
            Milord arriva bientôt et nous parlâmes de nombreux sujets relatifs à la Marine, d'égal à égal. De cette vérité générale selon laquelle les choses les plus grandes sont fréquemment dues aux soins d'hommes dont la nature et l'expérience du monde ne sont que très ordinaires, entre autres milord Berkeley. Nous envisageâmes aussi de nommer Will Howe comme officier de rôle en lieu et place de Creed, si ce dernier consent à laisser sa place, ce que milord consentit sans grand enthousiasme, traitant Howe, dans un accès de colère, de fat et de vaniteux.
            A table pour le dîner ma femme porte son nouveau col de dentelle, ma foi fort beau, il me plaît beaucoup ainsi qu'à milady. A ce dîner milord fut charmant. Après le dîner il alla regarder son estampe qui lui a été portée aujourd'hui par Burston, la dernière des trois qu'il aura gravées. Lorsqu'il fut satisfait, il sortit. Quant à moi, après m'être longuement entretenu avec milady du fils de George Carteret, qu'elle verrait volontiers épouser milady Jem, et une fois revenu en voiture à la maison, je pris quelque bon temps à chanter, assez longtemps, avec Mr Andrews et Hill. Quand ils furent partis, nous soupâmes et, au lit.


                                                                                                                              13 mars

            Levé tôt car c'est la première matinée pour laquelle vaut la promesse que je me suis faite, sous peine de gage, de ne plus rester au lit un quart d'heure après mon premier réveil. Allé à St James où j'eus fort à faire. Le roi fut présent un long moment. De là, à la Bourse puis, avec le capitaine Taylor et sir Watler Warren, dînai à une taverne toute proche, pour converser à loisir. Puis chez moi où je trouvai une lettre de Mrs Martin qui désire me parler et, contrairement à ma promesse, je m'y rendis. La trouvai en habit de grossesse. Elle souhaite obtenir ma faveur pour placer son mari. Ne restai guère et, après avoir conduit sir William Warren à Whitehall, à la maison. Nous convînmes, entre autres, d'un travail qui, dit-il, me rapportera, s'il est mené à bien, cent livres. Après son départ, souper et, au lit.
            < Aujourd'hui ma femme s'est mise à porter des boucles blondes, presque blanches qui, bien qu'elles la fassent paraître fort jolie, ne me siéent guère, parce qu'elles ne sont point naturelles, et il ne me plaît pas qu'elle les porte. J'ai vu aujourd'hui milord Castlemaine à St James, récemment revenu de France. >


                                                                                                                   14 mars

            Levé avant six heures. A mon bureau où j'ai travaillé toute la matinée. Dînai à midi avec sir William Batten et sir John Mennes à la Tour, en compagnie de sir John Robinson, à l'occasion d'un dîner d'adieu qu'il offre au major Holmes pour sa sortie de la Tour, où il est resté quelque temps emprisonné, depuis son retour de Guinée. Il a, semble-t-il, fait don hier au lieutenant de 50 pièces d'or. Nourriture bonne et abondante, et de la compagnie.
            Chez moi, à mon bureau jusque très tard, puis souper et, au lit, las de travailler.


                                                                                                                   15 mars

            Levé et en voiture à St James avec sir William Batte, Entre autres affaires à régler devant le Duc, on fit entrer le capitaine Taylor qui, sir John Robinson, son accusateur, n'apparaissant point, fut disculpé de la charge portée contre lui, et déclara qu'il partait pour Harwich, ce dont je me réjouis.
            De là me rendis aux appartements de Mr Coventry afin de parler travail en privé avec lui. Lui donnai plusieurs notes concernant des affaires pour lesquelles il doit obtenir ordre du Duc avant son départ, ceci afin de mettre nos affaires au clair. Il reconnut s'en remettre largement à mes soins pour les affaires du bureau. Reçus de lui de vifs témoignages d'affection et nous nous séparâmes, étant pour ma part fort satisfait. Revins à la Bourse puis rentrai dîner chez moi. Les filles de milord Sandwich ayant demandé à ma femme, de manière impromptue, qu'elle descende avec elle, jusqu'à l'estuaire, pour voir le Prince, je dînai seul. Ensuite à mon bureau puis à Gresham College. Là, tandis qu'on faisait d'intéressants discours, on essaya sur un chien le poison violent de Macassat, mais il n'eut aucun effet pendant la séance.
            La séance fut levée. Chez moi, travaillai tard à mon bureau, ma femme ne rentrant pas. Puis, au lit, contrarié, vers minuit ou plus tard.


                                                               à suivre...........

                                                                                                                     16 mars 1665

            Levé et.........


                                                                                     

mardi 5 janvier 2021

Les murets, un figuier, un petit oiseau Luigi Pirandello ( Nouvelle Italie )

 pinterest.fr








                       









                                        Les murets, un figuier, un petit oiseau

            Une panne de moteur, que l'on ne pouvait pas réparer en moins d'une heure.
            J'étais déjà dans la ville où m'attendaient amis et affaires : la campagne à travers laquelle je fuyais en automobile, n'avait été jusque-là qu'un souffle de vent et une continuelle disparition de choses imaginaires. Maintenant elle s'était immobilisée autour de moi, campagne solitaire, et ce qui disparaissait dans le vent c'était une route entre les maisons, l'arrivée devant un portail : une scène sur laquelle s'étaient confondus et tournoyaient de grands visages familiers et des paroles qui étaient les leurs, déjà formées dans mon esprit, entêtement de la pensée, et le cadran d'une pendule qui indiquerait l'heure préétablie dans un salon plongé dans la pénombre.
            J'ai une qualité : je crois immédiatement à ces catastrophes mentales. Et je sais qu'il ne faut pas importuner le mécanicien.
            - Une heure ?
            - Je ne sais pas si cela suffira.
            Je regarde ma montre et je m'éloigne.
            Ce n'était pas qu'une halte en pleine campagne fût totalement imprévue, mais cette campagne-là ne pouvait plus constituer l'unique réalité de mes pensées. Je m'étais engagé dans un sentier latéral en montée, et m'étais assis sur un muret, à l'ombre d'un gros figuier qui me plongeait dans un bain de parfum, chaud et âcre. Des cigales et partout beaucoup de poussière qui me parut sournoisement tapie et prête à s'élever. Il fallut rendre grâces à la chaleur lourde et immobile du ciel qui la flétrissait.
            J'étais monté pour respirer plus librement et contempler l'espace, mais le sentier continuait à grimper à flanc de colline, comme pour m'avertir que ce n'était pas encore le bon endroit.
            - Peu importe, lui répondis-je, il me suffit de peu.
            Mais à vrai dire, même ce peu n'y était pas. Unique satisfaction : un petit oiseau s'était aperçu de ma présence.. Mais je compris aussitôt, à ma grande déception, qu'avec ses pépiements poliment hésitants et ses volettements, il voulait me chasser de là. 
            C'était lui qui avait raison, et j'eus tort de me vexer. Peut-être estimez-vous que l'arrogance envers les oiseaux est licite et que j'étais dans mon droit en tapant dans mes mains et en criant :
            " - Ouste ! "
            Cela veut dire que, pour une fois, vous serez d'accord avec moi, alors que je ne le suis pas avec moi-même.
            Le petit oiseau s'enfuit droit devant lui dans un claquement de queue et je restai là, satisfait de me sentir beaucoup plus gros que lui, mais me demandant comment j'aurais fait pour m'envoler, moi, si quelqu'un de beaucoup plus gros s'était amusé à me crier :                                      pinterest.fr
            " - Ouste ! "
            Quelqu'un de plus gros qui ne fût pas nécessairement pourvu d'un corps : ç'aurait pu être ma mélancolie. Je serais parti gauchement, à petits pas, avec l'impression d'entendre une voix me narguer dans mon dos. Je n'ai vraiment rien à gagner à combattre les petits oiseaux qui voudraient me chasser.
            Midi : il n'y avait pas âme qui vive. Et pourtant, le peu de terre que j'apercevais, une pente abandonnée sous le soleil vertical, me semblait désormais remplie d'une foule de gens. Je ne me rendais pas compte du malaise qu'elle m'avait donné, dès le premier instant. Elle grouillait de sentiments humains, naturellement tristes : haines, lassitudes, intérêts. Lois. Impôts.
            C'est cela : les murets. Je n'en avais jamais vu autant, dans un si petit espace. Ils le coupaient en tous sens, le morcelant en au moins sept ou huit petites portions misérables, aussi loin que portait mon regard, et n'étaient que lutte et chagrin obstiné, pas à pas, un pas en avant, un pas en arrière, par à coups. Murettes et murs à sec, chemisés et rustiques, décrépits, mais quelques-uns plus jeunes étaient les plus tristes. Sur une courte distance ils se tenaient bien droits, l'air arrogant et sûrs d'eux, puis penchaient de guingois, torves, ventripotents, et ceux qui étaient dotés d'un petit portail avaient l'air humiliés, comme si on les y avait forcés. Ils donnaient l'impression d'une chose factice, mais si hérissée qu'elle ne prêtait pas à rire.
            Terre disputée, divisée et subdivisée sous ce soleil qui semblait avoir fait le pari de la rendre aride !
            Afin de chasser mon malaise, je me pris à rêver, à penser tout haut :
            " Figuier, sais-tu que ma course pourrait s'arrêter ici ? 
            Va savoir pourquoi je cours ainsi, pourquoi je rends ma vie si précaire. On dirait que je m'agite sans raison. Mais c'est parce que je suis toujours prêt au définitif. Vous ne trouvez pas cela naturel ? Un homme qui a dû créer. Des heures qui passaient pour tous, une vie qu'il aurait fallu vivre, dissiper, gaspiller, user. Eh bien, non : Elles lui servaient à l'arrêter, ces heures, des heures et des heures, toute sa vie. Il l'a prise au sérieux : il n'a rien fait d'autre. Devoir définir. Bien faire, tout, scrupuleusement. Impossible de laisser des remords derrière soi. Définitif. C'est cela, créer.
            Est-ce cela, vivre ? La vie : créer, oui. Mais créer, c'est donner une consistance, figer : c'est la mort.
            Et quelle mélancolie on acquiert, figuier, quand on est toujours prêt au définitif  ! Une halte, la plus anodine, peut toujours se transformer, pour moi, en dernier repos. C'est pourquoi je m'agite le plus possible, maintenant que, bien tard, j'ai compris le jeu : tant que je le pourrai, tant que j'aurai l'impression d'en avoir envie, ou tant que quelqu'un ou quelque chose m'appellera, j'irai, ici ou là. "
            Le petit oiseau était revenu. Mon immobilité n'arrivait pas à le convaincre, elle le maintenait à distance. Peut-être aurait-il voulu me voir vivre : c'était lui, encore une fois, qui avait raison. Si j'avais été occupé à une tâche plus naturelle, je ne sais pas, telle que biner ce carré de terre, il ne se serait pas méfié de moi. On ne sait jamais ce que peut devenir brusquement un homme, qui pense sous un figuier. Il ne devient rien, pauvre sot. Un homme de passage. Il a tôt fait de se lever et de s'en aller. Avec ses pensées. Il est de passage, tout comme ses pensées. Et toi, tu restes, petit oiseau éternel. Et vivant. Et tu ne sais pas quelle contradiction tu résous avec un seul de tes trilles !
            " Pour un peu, figuier, rien que pour embêter ce petit oiseau stupide, je resterais ici. Ce ne serait pas mal, ni pour toi ni pour moi, si on me mettait entre tes racines : ensemble, nous donnerions des figues très sucrées.
            Je me disais : au moins en ce qui concerne mes figues, ceux qui n'en auraient pas mangé ne pourraient pas dire qu'elles n'étaient pas sucrées.                                                 pinterest.fr
            " Toi oui, figuier, tu pourrais t'efforcer de devenir célèbre pour tes figues si sucrées, et tu aurais raison. Ta réputation serait pour toujours confiée à tes figues. Mais un artiste, penses-tu ! Tant que son nom est confié à la connaissance de ses œuvres, il ne peut pas connaître la célébrité : seulement l'estime d'un cercle plus ou moins restreint de lecteurs. La célébrité vient lorsque, allez savoir pourquoi et comment, son nom, un beau jour, se détache de ses œuvres, se couvre de plumes et prend son essor : son nom. Les œuvres sont plus sérieuses, elles suivent à pied de leur côté, avec le poids et la valeur qu'elles ont, tout doucement. Mais le nom vole. Et avec lui quelque idée abstraite, farfelue, drolatique, quelque intrigue défigurée, à l'envers, quelque titre. 
            C'est la pire des farces, la pire des injures que le sort puisse faire à un artiste, car l'art est tout entier, tout entier et uniquement dans les détails. Il est tout entier dans les figues, tu comprends ? Aucun artiste n'est plus inconnu qu'un artiste célèbre. Tu sais qu'aujourd'hui, beaucoup de gens éprouvent une vive antipathie pour mon art, et ils le tournent en dérision, lui font obstacle à leur manière, ils voudraient le voir effacé. Mais ont-ils lu une seule ligne de moi ?
            Il n'en savait rien. Ou cela lui était égal. Mais je n'ai pas l'habitude de parler seul.
            " Et le sort d'un nom qui vole ? Tu es là si bien enraciné que tu ne peux pas comprendre. Mais ce petit oiseau stupide doit savoir qu'aussitôt, contre quelque chose qui vole, un petit oiseau ou un nom, les chasseurs pointent leurs fusils. Ils tirent. N'aie pas peur : je ne suis pas un petit oiseau. Ce n'est pas un drame : ils le criblent de plombs, le plument. Ils ont bien plumé mon nom, figuier : j'ignore quel plaisir ils y ont trouvé car, désormais, ils doivent supporter de le voir voler çà et là dans cette tenue indécente, sous les cieux de notre patrie. Tu comprendras toi aussi que, tant que l'on tire sur un nom littéraire on ne peut pas tuer ce nom. Je pourrais toujours en rire, moi le dernier. Et j'en ris, en effet : mais cela m'ennuie que, parmi ces chasseurs de noms il y ait des jeunes. 
            Mon Dieu, des jeunes, pas vraiment au sens où on l'entend : ce sont des jeunes lettrés, c'est un peu différent. Il faut qu'ils se frayent un chemin. Intelligents, tu sais ? Ils ont décrété que le caractère propre des Italiens, c'est la rixe, les factions. Il n'y a rien au monde de plus respectable que les caractères d'une race : acoquinés en bande, ils se sentent à leur aise. Lettrés, tant qu'on voudra, mais jeunes, sans aucun doute.
            Je me venge avec la sympathie instinctive que j'éprouve pour tous ceux qui font quelque chose, du bruit, des sottises, qui se donnent du mal et s'agitent pour des calculs sans logique, sans queue ni tête, des choses qui ne sont pas définitives, des choses de la vie. 
            En dehors de l'art, grâce à Dieu ! quel soulagement. Et cela me fait vraiment plaisir qu'ils les prennent pour des problèmes artistiques. Mais ils sont intelligents, ils ne sont pas dupes. Mais, qui sait, qui sait ? Et, après tout, pourquoi devraient-ils être si intelligents ? Espérons qu'ils soient dupes. Ils abattront d'abord Pirandello mais, entendons-nous bien, pour construire leur œuvre, après. L'illusion selon laquelle il faudrait " faire table rase " m'attendrit, comme toute illusion. Moi, je n'ai plus d'illusion. Moi, je n'ai plus d'illusions, hormis celle de ne plus en avoir. En contrepartie, j'ai plus de compréhension qu'il n'en faut pour vivre : je comprends même leurs jeux allègres. C'est comme si je ne croyais plus à la cruauté, et quant à la méchanceté, elle m'amuse. Et après tout, eux aussi constituent un spectacle pour mes yeux désintéressés. Comprends-tu, figuier ?
            Ce n'était pas drôle de lui parler : il répondait toujours oui.
            J'étais seul.
            Dans ce soleil furieux qui assombrissait l'air, dans cette poussière lourde, ah, comme j'aurais voulu me désagréger moi aussi ! Que faisaient les murets, eux qui l'auraient vraiment pu ? Brûlants, desséchés, crevassés, ils étaient peut-être déjà en poussière et tenaient debout par la force de l'illusion. Oubliant que le point d'équilibre quand on est un mur, pour un mur, c'est quand il est bien sec. 
            Et pour un homme, quel est le point d'équilibre ? Quand il s'est tellement desséché que même les intrigues de ses adversaires peuvent l'amuser un moment ? Ma volonté me le dit, que je suis desséché, avec le bougonnement d'une pauvre servante persécutée par des maîtres exigeants, le sentiment et l'intellect : le premier ne connaît pas de trêve dans son désir de découverte, le second est toujours plein de fraîcheur, constamment émerveillé.                                                            pinterest.fr
            Pour beaucoup il est difficile d'aimer les jeunes, pas pour moi. Encore libres des rigides constructions mentales dans lesquelles les années, le métier, les responsabilités les emprisonneront eux aussi., disposés à écouter les appels désintéressés de la vie, sympathiques, oui, mais irritants pour les gens sérieux : on ne sait jamais comment les prendre. Peu commodes. Même l'amour naturel, entre un homme et une femme, est pour eux tourmenté, hérissé de désespoirs, de malentendus, de problèmes moraux suraigus, d'arrogances naïves. La plupart n'arriverait à les aimer vraiment que quand ils sont vieux. Le vieillard, comme le jeune qui ne l'a pas encore acquise, a souvent abandonné en chemin, peu à peu, la fixité des traits de caractère qui lui donnaient corps à l'époque de sa vie où il se construisait : sur ce point-là la distance les rapproche. Et si le vieillard, au contraire, s'est ratatiné davantage, comme un de ces murets que la ténacité avide du ciment ancien a rendus très durs ? Mais ils sont aussi sonnants et fragiles. Il suffit de les pousser un peu pour qu'ils s'écroulent. S'ils dérangeaient... Mais les jeunes les évitent avec un haussement d'épaules et quelques paroles ironiques. Ils ne les considèrent pas vraiment comme des murets secs, plutôt comme des feuilles mortes, stridentes, inutiles. Le vent de la mort les balaye du chemin des vivants. Il semble plus naturel, plus humain que notre ciment. La volonté cède avec les années et que les blocs de convictions, de sentiments, de préférences qu'il maintenait solidement s'écroulent peu à peu et finissent de se désagréger sur le chemin. Mur croulant, en ruine : place à ceux qui doivent passer.
            C'est étrange, mais c'est vraiment comme si j'étais vieux.
            Un vieillard doit être intelligent. Celui qui marche sur lui, qui piétine ses débris, va construire son mur un peu plus loin. Pour durer quelques années, lui aussi.
            Place, place à ceux qui passent.


                                        Luigi Pirandello
                                                              
                                                             ( 1931 )














































vendredi 1 janvier 2021

A une chatte Charles Cros ( Poème France )



           












                                                                                                            

                   A une Chatte

            Chatte blanche, chatte sans tache,
            Je te demande, dans ces vers,
            Quel secret dort dans tes yeux verts,
            Quel sarcasme sous ta moustache.

            Tu nous lorgnes, pensant tout bas
             Que nos fronts pâles, que nos lèvres
             Déteintes en de folles fièvres,
             Que nos yeux ne valent pas

              Ton museau que ton nez termine,
               Rose comme un bouton de sein,
               Tes oreilles dont le dessin 
               Couronne fièrement ta mine.

                Pourquoi cette sérénité ?
                Aurais-tu la clé des problèmes
                Qui nous font, frissonnants et blêmes,
                Passer le printemps et l'été ?

                Devant la mort qui nous menace,
                Chats et gens, ton flair, plus subtil
                Que notre savoir, te dit-il
                Où va la beauté qui s'efface,

                 Où va la pensée, où s'en vont
                 Les défuntes splendeurs charnelles ?...                                     
                 Chatte, détourne tes prunelles,
                 J'y trouve trop de noir au fond.


                                        Charles Cros

           pinterest.fr