dimanche 20 février 2022

La définition du bonheur Catherine Cusset ( Roman France )

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                                          La définition du bonheur

            Il était une fois deux jeunes filles nées à quelques mois d'écart. Destins, éducation, milieu social. Catherine Cusset nous emmène sur la route droite et rocailleuse pour l'une, accidentée, trop souvent cruelle pour la seconde. Quelques pages pour l'une, Clarisse a seize ans, son père a fui très tôt après sa naissance, italien reparti à Rome il consent néanmoins à verser une pension pour elle à sa mère alcoolique mais pas sans qualités, comme toutes les mères et nos deux héroïnes. Clarisse passe ses vacances d'été chez sa marraine. Avec son époux ils gèrent un camping à Hyères. Bien accueillie, chaleur d'été, la mer, le soleil et le premier accident amoureux, grave, pour la jeune fille. Fin des années 70. A Paris, Eve habite Boulogne, rentre tard le soir, crainte des agressions, peur certes mais pas là où elle l'attendait. Peur sans mal mais inconscience et bons sentiments sont alliés dangereux. Quinze ans plus tard retour sur le parcours de Clarisse qui " parcourt " l'Asie. Elle travaille dans des boutiques de vêtements entre deux voyages pour lesquels elle économise en désaccord avec son père qui ne veut plus cautionner son appartement. Clarisse ne renonce pas, Katmandou ou les pays limitrophes, les partenaires sont des ombres sauf Hendrik, Danois assez rustre. Nouveau logement trois enfants, une certaine stabilité semble s'amorcer, pour elle, alors que l'époux volera peut-être vers d'autres cieux, ce que regrettera le père de Clarisse qui aura toujours des gestes amicaux pour son gendre et pour ses petits-fils. Il faut constater que les hommes n'ont pas le beau rôle tout au long du récit. Quinze ans plus tard Eve épouse, devenue américaine, de Paul rencontré à Paris, est prêt d'accoucher. New York, ils habitent dans un appartement sans fenêtre qu'une vieille Hongroise leur loue à un prix dérisoire. Eve, déjà maman d'Hannah refuse les conseils de sa belle-mère qui, ce soir-là apporte des pirojkis que son fils adore, " petits raviolis à la purée ". Elle a appris que l'époux inquiet a appelé sa mère pour qu'elle garde sa petite fille, Eve étant visiblement prêt d'accoucher. Eve refuse de rester inactive et un bel épisode d'accouchement imprévu dans un endroit inhabituel. Le couple est sage, il est journaliste au New-York Time. Mais Clarisse, parisienne, libre, multiplie les accidents amoureux tout en élevant ses trois garçons, achète un logement au dernier étage, assez grand, Paris vue sur les toits, le ciel et sept étages sans ascenseur. Petit accroc du côté d'Eve, transformée en cordon bleu chef d'entreprise. Elle rencontre un jeune auteur français, et s'interroge un petit accroc dans leur couple est-ce si grave. Ainsi jusqu'en 2021, Catherine Cusset nous conte l'histoire de deux jeunes femmes, d'une société de ces 20/30 dernières années, traversant l'effroi du 11 septembre, et enfin le virus. Libre-échange pour l'une, pour Eve longue abstinence sans conséquence pour le couple. Bien écrit, comme toujours, d'une écriture que l'on peut dire languide, alors que les personnages se retrouvent liés par des liens familiaux. Catherine Cusset pose les problèmes féminins, les fantasmes, l'écrivain qui pille la vie des unes et des uns pour en faire un succès, tout entre les lignes, sauf l'écrivain entartré. Parcourir les rues de New-York, de Paris et respirer l'air de la pointe bretonne Bon livre, soupirs et réflexions, féminin, pour tous, je pense. Bonne lecture. M.

jeudi 17 février 2022

Anecdotes et Réflexions d'hier pour aujourd'hui 152 Samuel Pepys ( Journal Angleterre )

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                                                                                                                1er Novembre 1665

            Me suis attardé au lit, devisant avec Mr Hill des événements qui surviennent dans la vie d'un homme et du peu d'importance que joue le mérite en ce monde, où seule prévaut la faveur, ajoutant qu'en ce qui me concerne c'est le pur hasard et non le mérite qui me valut ma place, et qu'ensuite seules ma propre diligence et ma propre volonté m'ont maintenu là où j'étais, étant environné d'une telle multitude de fainéants que l'homme diligent devient indispensable et qu'on ne peut plus se passer de lui. Lui relatai ensuite ma récente promotion aux subsistances et les difficultés auxquelles je devrai faire face pour m'y maintenir, ayant affaire à des personnes provenant de factions si diverses à la Cour, mais devant leur témoigner la même impartialité. Je pris grand plaisir à lui faires ces observations autant, m'a-t-il semblé que lui à les entendre.
            On se leva enfin, par un temps de pluie épouvantable et un vent de tous les diables, mais ayant promis d'aller à Erith, m'y rendis par le fleuve, la voile étant hissée, on fut sur le point de chavirer et je leur fis amener leur voile. Arrivai là-bas transi par la pluie et le froid alors qu'ils finissaient de dîner. Quoiqu'il en soit fis bonne chère. Puis nous débarquâmes avec milord Brouncker pour nous rendre aux appartements de Mrs Williams, avec sir William Batten et d'autres et, comme c'était l'anniversaire de milord chacun dut souffrir de se laisser nouer un ruban vert au chapeau, ce qui est d'une infinie bêtise, et m'est avis que c'est une honte pour milord de faire si grand étalage de ses extravagances avec cette femme. Puis en voiture avec sir William Batten pour revenir chez Boreman. 
            Alors que je rentrais chez moi par voie de terre, je vis le capitaine Cocke descendre de voiture, et il m'offrit de me ramener en voiture chez moi. Il resta souper et bavarder, après une légère altercation au sujet de la consigne donnée à cause de son nègre qui était mort. Je reconnus en être à l'origine et lui en donnai la raison. J'aurais été heureux de le savoir ailleurs que chez moi, mais comment lui dire de partir ? On soupa donc et après avoir longuement parlé du triste état et des désordres des affaires du roi, on se sépara et, ma femme et moi, au lit.
            Ce soir, avant d'arriver à Greenwich avec sir William Batten, on s'arrêta chez le colonel Cleggat qui nous dit tenir de source sûre, que le roi du Danemark s'est rallié au roi d'Angleterre. Mais j'ai entendu dire depuis que c'était faux.


                                                                                                                             2 novembre

            Levé, pris congé de ma femme et au bureau où, à ma grande joie, sir William Batten vint me trouver pour régler l'affaire des bateaux de Tanger, ce qui me vaudra 100 £, plus les 100 £ qu'il me donnera sur ses propres deniers en remerciement de mon paiement. Quand il fut parti rentrai dîner chez moi où arriva le capitaine Wager rentré depuis peu de Méditerranée. Il me fait redouter que les derniers bateaux expédiés à Tanger chargés de subsistances soient capturés. Solide et courageux gaillard que ce capitaine, et je le crois fort honnête.
            Après dîner, derechef au bureau où je restai tard à écrire des lettres. Rentrai chez moi vers 8 heures du soir, et me préparai avec l'intention de descendre ce soir rejoindre la flotte en ketch. Mais m'étant en chemin arrêté chez sir John Mennes revenu d'Erith pour quelque affaire relative aux prises, on m'y persuada de ne point m'y rendre avant le lendemain matin, car il faisait une nuit noire et un vent épouvantable.
            Rentrai chez moi et, au lit.


                                                                                                                                     3 novembre

            M'étant fait réveiller vers 4 heures allai de nuit, éclairé par une lanterne, prendre une barque pour gagner le ketch et mis à la voile, après avoir quelque peu dormi dans la cabine jusqu'à l'aube. Levé commençai à parcourir le livre de Mr Evelyn sur la peinture, fort bel ouvrage. Ayant apporté de bonnes choses à manger et en compagnie de Tom déjeunai vers 9 heures, puis me remis à lire et on arriva vers la flotte vers midi. Trouvai milord à bord du Royal James qui a pour capitaine sir Thomas Allin. Eus un entretien en tête-à-tête avec milord à propos de la meilleure conduite à suivre par sa Seigneurie en la circonstance, car il est victime de la jalousie du duc d'York, de Mr Coventry et de bien d'autres. Et, si méritoires que soient ses actes, ils ne feront que susciter de la jalousie tandis qu'on en diminuera le mérite. Son prestige à la Cour pâtit de son absence et, plus grave encore, jamais nous ne pourrons mettre à la mer une flotte digne de son commandement, ni de l'y maintenir, à supposer que l'on puisse l'y mettre, ni même lui faire accomplir aucun exploit et, à supposer même que cela se produise, personne ici ne se soucierait plus de ce qu'il adviendrait de lui lorsqu'il serait en mer. Enfin, étant donné l'état de dislocation imminente dans lequel les affaires publiques semblent se trouver, il serait fort dommage qu'il ne fût point ici.
            Milord en convint, me remerciant infiniment de ma visite et de mes conseils que, met dit-il, il avait trouvé à son gré. Mais il posa la question suivante : que faire si le roi ne se considérait pas en sécurité, dès l'instant où ce n'était pas n'importe quel homme, mais le Duc qui partait ? Comment partir alors ? Je n'avais guère de réponse toute prête, si ce n'est qu'il fallait faire comprendre au roi qu'il pouvait lui rendre des services bien plus grands en ne partant pas, tandis qu'un autre que lui partirait. Ce fut là ma seule réponse. Nous parlâmes ensuite de diverses autres menues affaires, et on dîna, milord se montrant d'une grande bonté pour moi.
            Après dîner le laissai en compagnie de capitaines à priser du tabac.
           Je repris le Bezan pour rentrer et, la brise et la marée étant favorables, nous arrivâmes en vue du Hope ce soir-là, après que j'eus pris grand plaisir à apprendre à chanter à la manière des matelots quand ils jettent la sonde. Puis souper et, au lit. Je dormis le mieux du monde, encore que le vent et la pluie se soient déchaînés toute la nuit.
            << 4 >> On leva l'ancre vers minuit et on arriva à Greenwich vers 5 heures du matin, mais je suis resté couché jusqu'à 7ou 8 heures. Puis à mon bureau, avec une légère migraine due au manque de véritable repos, à l'énorme tâche qui m'attend aujourd'hui, mais aussi à la nouvelle que je viens d'apprendre : l'un des petits garçons de la maisonnée où j'habite est souffrant, et on soupçonne qu'il s'agit de la peste, car ils ont fait apporter des emplâtres et de quoi faire des fumigations. Envoyai Mr Hayter et Will Hewer s'entretenir avec la mère, mais ils revinrent m'assurer qu'il n'y avait aucun risque à craindre, que le petit garçon allait mieux et que la mère avait proposé de le faire examiner. Quoi qu'il en soit j'ai pour ma part pris la résolution de m'abstenir d'y aller pour un temps.
            Au bureau toute la matinée avec sir William Batten. A midi allâmes dîner chez Boreman accompagnés de Mr Seymour qui est d'une prétention sans bornes et que rien ne justifie chez lui. Sir William Batten nous dit, ce que j'apprenais pour la première fois, que, lors de notre dernière séance, Mingo ( le serviteur noir ) s'était fait voler son manteau alors qu'il rentrait dîner à la maison, et que les matelots l'avaient battu, si bien qu'il avait juré qu'il viendrait encore à Greenwich mais ne mettrait plus les pieds au bureau tant qu'il n'y sera pas en sécurité. 
            Derechef au bureau, restai fort tard, fort contrarié par la présence d'une centaine de matelots qui ont passé tout l'après-midi en bas, dans la rue, à jurer, maudire et casser les fenêtres. Ils ont juré de tout démolir mardi prochain. Je fis prévenir la Cour, mais rien n'en viendra à bout, que l'argent ou la corde. Allai tard le soir chez Mr Glanville pour dormir un ou deux soirs d'affilée et, au lit.


                                                                                                                          5 novembre
                                                                                                         Jour du Seigneur   
            Levé et une fois rasé me rendis par bateau au Cockpit où j'entendis le chapelain du duc d'Albemarle prêcher un sermon oiseux. Vitupérant, entre autres, contre l'imperfection du savoir humain, il s'écria : 
            " Pas un seul de nos médecins ne sait ce qu'est une fièvre, et toute notre arithmétique est impuissante à calculer la durée de vie d'un homme. "
            Dieu sait que l'arithmétique n'est pour rien là-dedans, mais que ces choses-là dépassent notre entendement.
            Au dîner entendis quantité d'inepties, mais le pire est que j'ai appris que la peste redoublait d'intensité à Lambeth, St Martin et Westminster, et je crains qu'elle ne couvre aussi la Cité. De là au Cygne pensant voir Sarah, mais elle était à l'église. Me rendis donc par le fleuve à Deptford où je rendis visite à Mr Evelyn qui, entre autres, me montra d'excellentes miniatures, à la détrempe, à l'encre de Chine, des aquarelles, des eaux-fortes, et surtout m'apprit tous le secret, l'art et la manière du " mezzo tinto " fort admirable, et qui permet d'exécuter de belles choses. Il me lut aussi de nombreux extraits du traité auquel il travaille, et depuis de longues années, sur le jardinage, ce qui fera un ouvrage fort agréable et fort intéressant. Il me lut aussi des passages tirés d'une ou deux pièces de théâtre qu'il a écrites, fort bonnes mais point autant qu'il le croit, à mon avis. Il me fit voir son " Hortus Hyemalis " , feuillets reliés à la façon d'un livre, et qui contiennent une variété de plantes séchées, mais dont la couleur est cependant préservée, le tout fort joli, bien plus qu'un herbier ordinaire. En un mot c'est un excellent homme à qui on doit bien concéder quelques vanités auxquelles il ne lui est pas interdit de prétendre, tant il est supérieur aux autres. Il me fit lecture, mais avec une emphase exagérée, de plusieurs petits poèmes de sa composition, ma foi loin d'être exceptionnels, hormis une ou deux belles épigrammes, entre autres celle de la demoiselle qui regardait entre les barreaux d'une cage d'où un aigle lui donna des coups de bec.                                                                                                        pinterest.fr
            C'est alors que surgit au beau milieu de notre conversation le capitaine Cocke, saoul comme un âne, mais encore capable de tenir debout et de parler et de rire. La cause de sa liesse était qu'il avait passé l'après-midi avec une jolie dame, qui n'était autre que milady Robinson. Il a beau être plaisant homme il en devint gênant à force de bruit, de paroles et d'éclats de rire.
            En voiture, avec lui, chez Mr Glanville où il resta un bon moment avec Mrs Penington et moi à nous parler de cette bonne dame, puis s'en alla. Puis j'eus avec Mrs Penington une conversation des plus sérieuses. Nous nous dîmes entre autres quelle brave fille est cette milady Robinson dont on raconte qu'elle a des bontés pour les prisonniers, et qu'elle aurait dit à sir George Smith, avec lequel elle est très liée : " Regarde le bel homme que voici. Point n'hésiterais à enfreindre un commandement avec lui. Elle est coutumière de ce genre de propos libertins.
            Après une heure de bavardage, au lit. Cette dame s'inquiète fort de ce que sa petite chienne est très malade et refuse de manger. Mais le plus drôle est que je l'entendis se lamenter dans sa chambre au sujet de la chienne qu'elle finit par prendre avec elle dans son lit, et que celle-ci pissa dans le lit, si bien qu'elle dut se lever et vint dans ma chambre chercher des charbons pour sécher son lit. Ce soir George Carteret m'apprit par lettre qu'il serait en ville demain, ce qui m'étonne.


                                                                                                                          6 novembre


            Levé et à mon bureau, affairé toute la matinée. Puis dîner chez le capitaine Cocke avec Mr Evelyn, fort convivial. Après dîner fûmes seulement contrariés d'avoir à patienter le temps que notre voiture arrive. Enfin, à Lambeth, puis au Cockpit, où sir George Carteret était arrivé et tenait réunion avec le Duc et la Compagnie des Indes orientales pour régler l'affaire des prises de guerre qui les occupait toujours.
            Leur séance levée, sir George Carteret sortit, traversâmes le jardin jusqu'à la berge, puis je montai dans son bateau et, par le fleuve, avec le capitaine Cocke, descendîmes jusqu'à sa maison de Greenwich.
            Pendant qu'on préparait le souper allâmes, avec sir George Carteret, nous promener une heure dans le jardin devant la maison, et parlâmes des affaires de milord Sandwich, des ennemis qu'il s'est faits et de la manière dont ils ont essayé de le salir, en particulier en racontant qu'il aurait négligé d'attaquer 30 navires ennemis , et qu'il aurait rappelé Penn qui s'apprêtait à les affronter, ce qui est parfaitement faux. En dépit de quoi il ajoute qu'à la Chambre des Communes des écervelés avaient l'intention de faire voter, au moment où on votait un cadeau pour le duc d'York, 10 000 £ pour le prince et une demi-couronne pour milord Sandwich, mais la proposition resta sans suite. Il n'en est pas moins vrai que milord conserve malgré tout le ferme soutien du roi, de milord le chancelier et de milord Arlington. Le prince est aimable en apparence, le duc d'York garde le silence et ne prononce pas la moindre parole blessante, mais les autres médire en sa présence.
            Sir William Penn est le plus fieffé pendard qui soit. Carteret ajouta d'ailleurs que le duc d'Albemarle avait, cet après-midi même, traité Penn de couard et de faquin, rapportant qu'il avait fait entrer dans la flotte ces coquins, ces fanatiques de capitaines, et qu'il avait juré que plus jamais il ne prendrait en mer le commandement de cette flotte. Que sir William Coventry est toujours aussi plein de bontés pour Penn, mais qu'aucun de ses actes ni aucune de ses paroles ne porte ouvertement préjudice à milord. Il pense, tout comme moi, que jamais le roi ne pourra remettre une flotte à la mer avant l'année prochaine, et que tout menace ruine, car le seul argent sur lequel on puisse, à l'avenir, compter est celui des prises qui, tout au plus, rapporteront 20 000 £, ce qui est une somme ridicule. Que la récente loi du Parlement destinée à remplir les caisses de l'Echiquier et à payer directement la flotte est conçue de manière à lui porter préjudice, et ne portera ses fruits que trop tard, après avoir ruiné les affaires du roi. Ce que, pour ma part, je crains aussi, et je m'étonne que sir William Coventry se soit laissé convaincre par sir George Downing de faire accepter la chose par le roi et le Duc, avant même qu'ils en aient considéré tous les aspects, qu'en ce qui concerne milord, le roi lui a dit récemment que j'étais un excellent officier, et que milord le chancelier, à son avis, m'estime et me respecte autant qu'il est possible d'estimer quelqu'un qu'on connait aussi peu.
            Après quoi, et quand je lui eus appris la triste nouvelle, à savoir qu'il est à craindre que l'argent nous fasse défaut, et pour longtemps encore, car nous n'avons pas même l'argent des prises, je m'habituai à l'idée que tout le service du roi était en déconfiture.
            On alla souper, fort gaiement, puis je rentrai, tard, chez Mr Glanville, et sir George Carteret alla se coucher. Au lit, très tard.



                                                                                                                              7 novembre

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          Levé et chez sir George Carteret qui était fort pressé de partir, sans même prendre le temps de déjeuner. Chez le duc d'Albemarle, avec Fen, par le fleuve. Seigneur ! il fallait le voir s'étonner, entre autres, de n'apercevoir sur le fleuve pas la moindre embarcation, pas même un batelier à l'embarcadère de l'hôtel des douanes. Combien il était rempli de crainte et irrité de voir que son valet, qui tenait à la main le verre à vin destiné à son maître, avait fourré ses mains sous le manteau du batelier, car c'était une matinée ventée, pluvieuse et glaciale, et pourtant, il avait pris la précaution de faire venir le batelier d'une région située à environ trois lieues en amont de la Tamise. Pis encore, le valet emporta ce verre avec lui chez le duc d'Albemarle, afin que sir George Carteret pût y boire, car il avait l'intention d'y dîner, prétendant que c'était là un moyen d'éviter de salir inutilement. Il faut ajouter que pour cette même raison il avait emporté avec lui une serviette chez le capitaine Cocke, lui faisant croire qu'il tenait à avoir à table une serviette déjà sale. Il se promena un long moment avec le duc dans le parc, et moi avec Fen, mais je n'ai pas perçu chez lui d'intention de rester longtemps avec nous, ni celle de nous verser le moindre sou. Advienne que pourra.                                                              

            Rentrâmes, et sir William Batten nous rejoignit bientôt. Après être restés jusqu'à midi, entourés de quantité de gens, sir William Batten et moi prîmes congé du duc et de sir George Carteret, ayant épuisé tous les moyens d'espérer obtenir de l'argent.
            On passa le fleuve puis à Greenwich en voiture où on dîna chez Boreman à une heure tardive. Puis, l'esprit fort préoccupé par mes affaires, et fort inquiet des conséquences de la pénurie d'argent, je terminai mon courrier vers 8 heures et rentrai chez moi où je passai toute la soirée, jusqu'à minuit à bavarder avec Mrs Penington, qui est une femme de jugement et fort avisée. Nous parlâmes fort plaisamment, et de quantité de choses diverses. Elle m'apprit, à sont grand chagrin, que sa chienne était morte ce matin, dans son lit. On se quitta et, au lit.


                                                                                                                  8 novembre 1665

            Levé et à mon bureau, fort occupé entre autres par la lecture des brevets relatifs à l'affaire des subsistances, ces brevets parvenus ce matin, ceux des intendants de port ainsi que le mien pour ma nomination au poste de surintendant des subsistances. En fis part surtout à Tom Wilson, et je rendrai, à n'en pas douter, d'aussi bons services au roi qu'il nous donnera de bons salaires. Aujourd'hui étant jour de jeûne tout le monde était à l'église et le bureau fort calme, si bien que j'ai pu expédier quantité de travail.                                                                                                                        pinterest.fr                          
            A midi m'aventurai à retourner à mon ancien logement où j'ai dîné, mais je ne fus guère heureux car je n'ai point vu Christopher, on me dit qu'il est sorti. Après derechef au bureau où milord Rutherford me fait dire de le rejoindre à la taverne de la Tête du Roi, ce qui ne peut me valoir que quelque désagrément, car je ne peux espérer de lui aucun avantage. Le quittai aussi vite que je le pus et me rendis par le fleuve à Deptford, où je m'arrangeai pour aller et venir dans les prés jusqu'à ce qu'il fît nuit noire et c'est alors que je pus " alloy à la maison de ma valentine ", et là " je faisais tout ce que je voudrais avec elle ( nte de l'éd. Mrs Bagwell ). Vers 8 heures repris une barque, heureux de n'être point en ville, car il semble que la peste y fait rage plus que jamais. A mes appartements où milord donnait un souper, ainsi que la maîtresse de maison ainsi que ses filles. Mrs Pearse s'attardant pour me parler de l'affaire de son mari, je la priai de rester souper avec nous, puis le soir milord et moi la raccompagnâmes à pied chez elle. Lui et moi ayant dit tout ce que nous avions à dire au sujet de ses affaires, je pris congé et repartis chez Mr Glanville, et allai me coucher, fort tard, au lit.


                                                                                                                        9 novembre

            Levé et, après avoir donné la pièce aux domestiques chez Mr Glanville, pris congé avec l'intention d'aller dormir ce soir dans mes propres appartements.
            A mon bureau, occupé avec Mr Gauden par notre affaire de subsistances. Il se réjouit fort du tour que prennent les choses, et s'est montré touché par la faveur que je lui ai faite, et me promit de me le revaloir en dévouement. A midi, par le fleuve, à la Tête du Roi à Deptford où le capitaine Taylor avait invité sir William Batten et sir Joseph Robinson, qui entra suivi d'une foule de gens, car il revenait de la chasse dont il nous ramena un lièvre encore vivant et de stupides histoires de chasse sur lesquelles ils sont intarissables, car la chose les amuse fort, moi pas du tout, car chacun ne goûte pas les mêmes plaisirs, d'autres nous parlèrent de l'inspection de son nouveau bateau
            Il est curieux de voir à quel point bombance et bonne chère réconcilient tout le monde, sir William Batten et sir Joseph de se montrer maintenant tout aimables avec le capitaine, de dire grand bien de son bateau et de ses faits et gestes, de lui promettre de l'argent, et sir William Batten de solliciter ses services. Etrange spectacle, à vrai dire, car hier ils étaient les deux plus grands ennemis qu'il y eût au monde et, au fond de leur cœur ils le sont encore.
            M'éclipsai après dîner et à mon bureau où j'expédiai force besogne jusqu'à minuit, puis retournai dormir chez Mrs Clerke. En chemin Will Hewer m'apprit que ma femme allait venir ici demain et qu'elle avait congédié Mary. Voilà qui me contrarie prodigieusement. C'est plus fort que moi, bien que ce soit irraisonné de ma part et, à bien y réfléchir, je ne pense pas que ma femme ait pensé à mal, sinon je suis bien sot de m'en inquiéter, car qu'y puis-je ?
            A notre grand chagrin le bulletin a augmenté de 399 morts cette semaine, et cette augmentation se généralise à toute la ville et à ses banlieues, ce qui nous afflige tous.


                                                                                                                    10 novembre 1965

            Levé et ai rédigé mon journal depuis le 28 octobre, ayant encore frais à ma mémoire les événements de chaque jour, bien qu'il m'en coûte de m'en ressouvenir. J'y fus d'ailleurs contraint, n'ayant point été chez moi pendant plusieurs jours, et donc sans mes livres et mes papiers. Puis à mon bureau où je fus pris jusqu'à 2 ou 3 heures avant de pouvoir rentrer chez moi dîner et derechef au bureau. Le soir on me fit prévenir que ma femme était arrivée. Allai donc auprès d'elle et passai la soirée en sa compagnie, sans guère y prendre plaisir, car je suis fâché qu'elle ait congédié Mary en mon absence. Je me gardai cependant d'en parler et abordai d'autres sujets de conversation. Etant elle-même venue chez moi à Londres, ce qui prouve sa hardiesse, veiller à ce que Mary emporte ses affaires, elle me dit que notre voisin Mr Harrington, marchand de la Compagnie des Indes orientales, était mort de la peste à Epsom, et qu'un autre de nos voisins, Mr Hollworthy, pourtant en parfaite santé, est mort aussi, d'une chute de cheval à la campagne, le pied pris dans l'étrier, le crâne écrasé et vidé de sa cervelle. Restâmes ainsi à bavarder et, après souper, au lit.


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            Levé, puis au bureau, ma femme encore au lit, jusqu'à midi. Rentrai dîner et derechef au bureau. Ma femme est repartie à Woolwich et je suis resté fort tard au bureau, puis rentrai et, au lit.


                                                                                                                                                                                                12 novembre
                                                                                                                     Jour du Seigneur
            Levé, étant invité à dîner chez le capitaine Cocke. Une fois prêt m'y rendis et on dîna ensemble, ainsi que Mr Yard de la Compagnie des Indes, fort gaiement. Puis par le fleuve chez le duc d'Albemarle
avec qui j'ai pu brièvement m'entretenir de nos affaires principalement, afin de recevoir ses ordres au sujet des pilotes dont nous avons besoin pour nos navires hambourgeois prêts à prendre la mer à cette époque de l'année et à convoyer les navires marchands qui, depuis trois ou quatre mois, attendent, non sans regret ni sans frais, dans le port de Harwich, qu'une escorte leur soit donnée
            On espère ici que la peste sera moins virulente cette semaine. Revins ensuite par le fleuve chez le capitaine Cocke, et nous passâmes tous deux une bonne partie de la soirée à reprendre ce qui nous avait occupés plus tôt dans la journée, la lecture puis la discussion sur une partie du livre de Mr Stillingfleete, Origines Sacrae. Il y a là maintes bonnes choses et d'autres futiles. Puis tous deux chez Mrs Pennington pensant passer la soirée avec elle mais elle était allée se coucher. On rebroussa donc chemin et on se promena un peu, puis chez lui, souper. Après quoi on se quitta, je rentrai chez moi et,   au lit.


                                                                                                                                 13 novembre

            Levé et à mon bureau fort affairé toute la matinée. A midi dîner, comme prévu, chez le capitaine Cocke afin de régler notre affaire de comptes. Mais arriva un échevin, marchand fort joyeux drille, et on dîna. Après son départ, Cocke et moi allâmes nous promener dans le jardin où, après quelques palabres, il promit de me garantir par sa signature une part de bénéfices de 500 £ sur les prises de guerre que nous avions achetées. Nous convînmes de ces termes qui me desservent moins que prévu. Puis, ayant peine à contenir ma joie, on se quitta jusqu'au soir. Me rendis à mon bureau où, entre autres, je m'occupai de dresser un acte relatif à notre accord et où il n'aurait plus qu'à apposer sa signature et son sceau.
            Puis allâmes tous deux chez Glanville, où nous restâmes bavarder et badiner avec Mrs Penington que nous trouvâmes déshabillée, en jupons et en chemise, au coin du feu. Après avoir bu et ri, elle souffrit bien volontiers que je lui mette la main fort coquinement sur la poitrine, et que je l'y laisse longtemps, ce que je trouvais fort étrange, car je considérais que je m'étais singulièrement trompé au sujet d'une dame dont je ne croyais pas qu'elle eût toléré ces manières, à la juger d'après nos précédentes conversations. Elle m'avait paru de si grande vertu, et que sais-je encore. Nous restâmes fort tard, puis je revins chez moi, après avoir marché jusqu'à minuit passé pour le raccompagner à sa porte, au bord de la Tamise, par cette belle nuit de clair de lune, fraîche et sans nuage. Chez moi à une heure du matin passée.


                                                                                                                               14 novembre

            Réveillé au point du jour par une visite du capitaine Cocke, comme prévu, et nous partîmes tous deux dans sa voiture, passant par Kent Street, cette rue bien triste depuis la peste, pleine de gens malades qui mendient assis par terre et couverts d'emplâtres. En route puis chez Vyner et Colvill pour affaires d'argent. Passai ensuite à ma maison où je pris 300 £ destinées à milord Sandwich, en paiement partiel de la somme que je dois verser au capitaine Cocke en vertu de notre accord. Lui portai donc puis descendis à Greenwich à mon bureau où je restai travailler jusqu'à midi. Rentrai dîner puis derechef au bureau et ensuite chez le duc d'Albemarle par le fleuve, en fin de soirée. Là, voyant bien que j'avais pris rendez-vous avec lui aujourd'hui pour parler d'argent, je m'excusai de n'être point arrivé plus tôt. Je constate que, si falot soit-il, il se souvient cependant de temps à autre, des choses auxquelles on eût pu le croire indifférent.                                                                                          pinterest.fr
            J'étais venu quémander de l'argent à la Compagnie des Indes orientales. Mais Seigneur ! c'est merveilleux d'entendre le duc tirer gloire de ses activités au sein de la compagnie, ainsi que milord Craven, et le roi, qu'aurait-il fait sans milord le Duc ? Il s'agite beaucoup et avec la plus grande emphase dit quel homme remarquable je suis.
            Revins par le fleuve sous une pluie battante, si bien que plutôt que d'aller, comme j'en avais l'intention, à l'estuaire de la Tamise, allai à mon bureau. Et bien m'en a pris, car jamais de mémoire d'homme on ne vit pire tempête que cette nuit-là. Tard à mon bureau puis chez moi et, au lit.
            Aujourd'hui, en passant chez Mrs Rawlinson voir comment ils allaient j'ai appris que ma jolie épicière, Mrs Beversham, qui habite par là-bas, vient de perdre son mari de la peste dans Bow Street, ce qui m'attriste car je risque de perdre cette voisine.


                                                                                                                       15 novembre 1665

            Levé et fus fort pris à mon bureau toute la matinée. A midi à la taverne de la Tête du Roi où aujourd'hui avait lieu un dîner organisé par les membres de Trinity House, au grand complet, afin d'élire un nouveau grand maître en remplacement de Hurlestone qui est mort. Le capitaine Crisp fut désigné. Mais Grand Dieu ! il fallait voir sir William Batten se mêler de tout gouverner et fouler aux pieds la mémoire de Hurlestone. Je suis pour ma part convaincu que cette assemblée ne pourra que pâtir d'une telle disparition, car elle sera désormais sous la coupe de Batten et du faquin paresseux, sénile et corrompu qu'il est.
            Après dîner arrive, grande surprise, milady Batten, suivie d'une escouade d'une douzaine de femmes, ou presque, qui, à ce que j'appris par la suite, espéraient y faire sensation, mais personne ne leur prêta attention. Le plus drôle est que voyant qu'elles n'intéressaient personne, elles décidèrent de décamper, mais comme il faisait fort mauvais temps, milady Batten, qui marchait dans la fange de la ruelle chaussée de ses souliers blancs immaculés, perdit une de ses galoches dans la boue où elle resta collée, si bien qu'elle dut rentrer chez elle avec une galoche en moins, ce qui la contraria considérablement. Je la raccompagnai chez elle, puis après l'avoir encore taquinée en riant je pris congé d'elle et me rendis chez Glanville où je savais que sir Joseph Robinson, sir George Smith et le capitaine Cocke étaient allés. Et là, en compagnie de Mrs Penington, dont j'apprends que le père avait fait partie du tribunal et était mort de la maladie de la pierre emprisonné à la Tour de Londres, je les convainquis de rester, heure après heure, jusqu'à minuit, car dehors il faisait une nuit noire épouvantable, et le vent et la pluie se déchaînaient. Mieux encore, moi qui ne buvais que de la petite bière, je réussi à tous les saouler au vin, ce qui amusa beaucoup sir John Robinson.
            Eux partis, cette dame et moi, passâmes courtoisement une heure au coin du feu, à parler de la niaiserie de ce Robinson dont le seul souci est de faire son propre éloge et de louer ce qu'il dit et ce qu'il fait, vaniteux et borné comme il est.
            La peste, Dieu soit loué ! a fait 400 morts de moins, ce qui donne pour la semaine un total d'environ 1 300. Dieu en soit remercié !


                                                          à suivre.............

                                                                                                                             Le 16 novembre 1665

            Levé, me préparai...........
                                                                                                                                   




































. Vers 





































 



















mercredi 9 février 2022

L'homme qui peignait les âmes Metin Arditi ( France Roman )

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                                             L'homme qui peignait les âmes 

            Roman tout à la fois conte cruel, pour adultes compréhensifs. Mais réalité des faits. Une icône est la véritable héroïne de ce roman-conte. A Mar Saba, Avner jeune pêcheur, avec son père, livre du poisson au monastère situé à 20 kilomètres de Bethléem. Il est juif mais ses livraisons toujours accueillies avec plaisir par le moine qui lui réserve une collation faite des fruits d'un figuier sauvage. Ce jour-là son regard tombe sur une icône. Fasciné le jeune garçon, il a 14 ans, questionne, et le moine " lit " l'image. Submergé par l'émotion devant le tableau plus que par l'image qui représente le Christ. Accepté par les moines il peint à son tour les sujets habituels dans leur atelier. Mais le père d'Avner n'apprécie pas cette vie parallèle. En l'an mille dans la Palestine d'alors chacun vit de son côté sa foi. Mais rien n'empêchera Avner de peindre. Le départ de sa cousine élevée dans leur foyer après la mort de sa mère, sœur de la maman du jeune homme, alors qu'ils découvrent l'amour et ses désirs, et ses accommodements dans les modestes, petites maisons. De jolies scènes, avec les moutons, un papillon, des odeurs. Avner a trouvé sa voie, ses icônes le révèlent le meilleur iconographe de l'équipe de moines. Mais à la jalousie, moines mais hommes, s'ajoute l'éclat des scènes, des saints, et le bleu qu'emploie Avner pour ses fonds, délaissant le lapis-lazuli. L'higoumène reconnait par-devers lui : Avner l'a trompé, il n'a pas renié sa religion, n'est pas devenu chrétien. Il doit quitter le monastère. Dans son dénuement il a la chance de rencontrer Mansour, marchand ambulant accompagné d'un âne, d'une mule et d'un chameau. Il accompagne l'homme, musulman qui suit les rites de sa religion. Pourquoi ne pas faire route à ses côtés. Jeune homme né juif, il peint des icônes représentant des sujets chrétiens et prie avec leurs mots, et à ce moment de sa vie il suit les règles de son compagnon sans arrière-pensée. Les règles, les prières sont le fruit des hommes, mais, ce qu'on lui reproché, lorsqu'il peint : il saisit, l'intérieur de l'humain, l'âme. Était-il-elle bon ou cruel, fâché ou indifférent, le peintre observe, se retire et produit ce qu'il a saisi. Ainsi au fil des ans et de ses pérégrinations avec ce compagnon, il a aussi un passé douloureux, les portraits apportent un apaisement dans le quotidien de ces modèles. Mais les croyants des trois religions sont réunis dans une haine pour ce peintre et ses représentations des femmes et des hommes. Rien ne détourne Avner. Il regarde avec l'esprit et saisit celui du demandeur-euse. Ils se réfugient à Capharnaüm, la ville maudite. Mais les Croisés fondent sur cette Palestine qu'ils veulent arracher à ceux qu'ils nomment mécréants. Le portrait de l'un d'eux sauvera-t-il le petit groupe de la cruauté des femmes et des hommes inquiets devant ces représentations, ces portraits qu'ils craignent. De ces chapitres courts on sort encore enfoui dans les grottes nombreuses, de ce pays où dans cette histoire les femmes sont douces, les animaux des compagnons heureux. Des senteurs, et l'histoire d'icônes que l'auteur signalent dans certaines galeries à Paris, à Moscou. Bonne lecture, agréable, dépaysement, également dans le temps, assuré. M.B.












 











samedi 5 février 2022

La peur Guy de Maupassant ( Nouvelle France )

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                                                           La Peur

            Le train filait, à toute vapeur, dans les ténèbres.
            Je me trouvais seul, en face d'un vieux monsieur qui regardait par la portière. On sentait fortement le phénol dans ce wagon du P.-L.-M., venu sans doute de Marseille.
            C'était par une nuit sans lune, sans air, brûlante. On ne voyait point d'étoiles, et le souffle du train lancé nous jetait quelque chose de chaud, de mou, d'accablant, d'irrespirable.
            Partis de Paris depuis trois heures, nous allions vers le centre de la France sans rien voir des pays traversés.
            Ce fut tout à coup comme une apparition fantastique. Autour d'un grand feu, dans un bois, deux hommes étaient debout.
            Nous vîmes cela pendant une seconde : c'était, nous sembla-t-il, deux misérables, en haillons, rouges dans la lueur éclatante du foyer, avec leurs faces barbues tournées vers nous, et autour d'eux, comme un décor de drame, les arbres verts, d'un vert clair et luisant, les troncs frappés par le vif reflet de la flamme, le feuillage traversé, pénétré, mouillé par la lumière qui coulait dedans.
            Puis tout redevint noir de nouveau.
            Certes, ce fut une vision fort étrange ! Que faisaient-ils dans cette forêt, ces deux rôdeurs ? Pourquoi ce feu dans cette nuit étouffante ?
            Mon voisin tira sa montre et me dit :
            - Il est juste minuit, Monsieur, nous venons de voir une singulière chose.
            J'en convins et nous commençâmes à causer, à chercher ce que pouvaient être ces personnages : des malfaiteurs qui brûlaient des preuves ou des sorciers qui préparaient un philtre ? On n'allume pas un feu pareil, à minuit, en plein été, dans une forêt, pour cuire la soupe ? Que faisaient-ils donc ? Nous ne pûmes rien imaginer de vraisemblable.
            Et mon voisin se mit à parler... C'était un vieil homme, dont je ne parvins point à déterminer la profession. Un original assurément, fort instruit, et qui semblait peut-être un peu détraqué.
            Mais sait-on quels sont les sages et quels sont les fous, dans cette vie où la raison devrait souvent s'appeler sottise et la folie s'appeler génie ?
            Il disait :

            - Je suis content d'avoir vu cela. J'ai éprouvé pendant quelques minutes une sensation disparue !
            Comme la terre devait être troublante autrefois, quand elle était si mystérieuse !
            A mesure qu'on lève les voiles de l'inconnu, on dépeuple l'imagination des hommes. Vous ne trouvez pas, Monsieur, que la nuit est bien vide et d'un noir bien vulgaire depuis qu'elle n'a plus d'apparitions.      hugolescargot.com

            On se dit :  " Plus de fantastique, plus de croyances étranges, tout l'inexpliqué est explicable. Le surnaturel baisse comme un lac qu'un canal épuise ; la science, de jour en jour, recule les limites du merveilleux. "
            Eh bien, moi, Monsieur, j'appartiens à la vieille race, qui aime à croire. J'appartiens à la vieille race naïve accoutumée à ne pas comprendre, à ne pas chercher, à ne pas savoir, faite aux mystères environnants et qui se refuse à la simple et nette vérité.
            Oui, Monsieur, on a dépeuplé l'imagination en surprenant l'invisible. Notre terre m'apparaît aujourd'hui comme un monde abandonné, vide et nu, Les croyances sont parties qui la rendaient poétique.
              Quand je sors la nuit, comme je voudrais frissonner de cette angoisse qui fait se signer les vieilles femmes le long des murs des cimetières et se sauver les derniers superstitieux devant les vapeurs étranges des marais et les fantasques feux follets ! Comme je voudrais croire à ce quelque chose de vague et de terrifiant qu'on s'imaginait sentir passer dans l'ombre.
            Comme l'obscurité des soirs devait être sombre, terrible, autrefois, quand elle était pleine d'êtres fabuleux, inconnus, rôdeurs méchants, dont on ne pouvait deviner les formes, dont l'appréhension glaçait le cœur, dont la puissance occulte passait les bornes de notre pensée, et dont l'atteinte était inévitable ?
            Avec le surnaturel, la vraie peur a disparu de la terre, car on a vraiment peur que de ce qu'on ne comprend pas. Les dangers visibles peuvent émouvoir, troubler, effrayer ! Qu'est cela auprès de la convulsion que donne à l'âme la pensée qu'on va rencontrer un spectre errant, qu'on va subir l'étreinte d'un mort, qu'on va voir accourir une de ces bêtes effroyables qu'inventa l'épouvante des hommes ? Les ténèbres me semblent claires depuis qu'elles ne sont plus hantées.
            Et la preuve de cela, c'est que si nous nous trouvions seuls tout à coup dans ce bois, nous serions poursuivis par l'image des deux êtres singuliers qui viennent de nous apparaître dans l'éclair de leur foyer, bien plus que par l'appréhension d'un danger quelconque et réel. "

            Il répéta : " On n'a vraiment peur que de ce qu'on ne comprend pas. "
            Et tout à coup un souvenir me vint, le souvenir d'une histoire que nous conta Tourgueneff, un dimanche, chez Gustave Flaubert.
            L'a-t-il écrite quelque part, je n'en sais rien.
            Personne plus que le grand romancier russe ne sut faire passer dans l'âme ce frisson de l'inconnu voilé, et, dans la demi-lumière d'un conte étrange, laisser entrevoir tout un monde de choses inquiétantes, incertaines, menaçantes.
            Avec lui, on la sent bien, la peur vague de l'Invisible, la peur de l'inconnu qui est derrière le mur, derrière la porte, derrière la vie apparente. Avec lui, nous sommes brusquement traversés par des lumières douteuses qui éclairent seulement assez pour augmenter notre angoisse.
            Il semble nous montrer parfois la signification de coïncidences bizarres, de rapprochements inattendus de circonstances en apparence fortuites, mais que guiderait une volonté cachée et sournoise. On croit sentir, avec lui, un fil imperceptible qui nous guide d'une façon mystérieuse à travers la vie, comme à travers un rêve nébuleux dont le sens nous échappe sans cesse.
            Il n'entre point hardiment dans le surnaturel, comme Edgar Poe ou Hoffmann ; il raconte des histoires simples où se mêle seulement quelque chose d'un peu vague et d'un peu troublant.
            Il nous dit aussi, ce jour-là : " On n'a vraiment peur que de ce qu'on ne comprend point. "
            Il était assis, ou plutôt affaissé dans son grand fauteuil, les bras pendants, les jambes allongées et molles, la tête toute blanche, noyé dans ce grand flot de barbe et de cheveux d'argent qui lui donnait l'aspect d'un Père éternel ou d'un fleuve d'Ovide.                                          twitter.com
            Il parlait lentement, avec une certaine paresse qui donnait du charme aux phrases et une certaine hésitation de la langue un peu lourde qui soulignait la justesse colorée des mots. Son œil pâle, grand ouvert, reflétait, comme un œil d'enfant, toutes les émotions de sa pensée.
            Il nous raconta ceci :
            Il chassait, étant jeune homme, dans une forêt de Russie. Il avait marché tout le jour et il arriva, vers la fin de l'après-midi, sur le bord d'une calme rivière.
            Elle coulait sous les arbres, dans les arbres, pleines d'herbes flottantes, profonde, froide et claire.
            Un besoin impérieux saisit le chasseur de se jeter dans cette eau transparente. Il se dévêtit et s'élança dans le courant. C'était un très grand et très fort garçon, vigoureux et hardi nageur.
            Il se laissait flotter doucement, l'âme tranquille, frôlé par les herbes et les racines, heureux de sentir contre sa chair le glissement léger des lianes.
            Tout à coup une main se posa sur son épaule.
             Il se retourna d'une secousse et il aperçut un être effroyable qui le regardait avidement.
             Cela ressemblait à une femme ou à une guenon. Elle avait une figure énorme, plissée, grimaçante et qui riait. Deux choses innommables, deux mamelles sans doute, flottaient devant elle, et des cheveux démesurés, mêlés, roussis par le soleil, entouraient son visage et flottaient sur son dos.
            Tourgueneff se sentit traversé par la peur hideuse, la peur glaciale des choses surnaturelles.
            Sans réfléchir, sans songer, sans comprendre, il se mit à nager éperdument vers la rive. Mais le monstre nageait plus vite et il lui touchait le cou, le dos, les jambes, avec de petits ricanement de joie. Le jeune homme, fou d'épouvante, toucha la berge, enfin, et s'élança de toute sa vitesse à travers le bois, sans même penser à retrouver ses habits et son fusil.
            L'être effroyable le suivit, courant aussi vite que lui et grognant toujours.
            Le fuyard, à bout de forces et perdu par la terreur, allait tomber, quand un enfant qui gardait des chèvres accourut, armé d'un fouet ; il se mit à frapper l'affreuse bête humaine, qui se sauva en poussant des cris de douleur. Et Tourgueneff la vit disparaître dans le feuillage, pareille à une femelle de gorille.
            C'était une folle, qui vivait depuis plus de trente ans dans ce bois, de la charité des bergers, et qui passait la moitié de ses jours à nager dans la rivière.
            Le grand écrivain russe ajouta : " Je n'ai jamais eu si peur de ma vie, parce que je n'ai pas compris ce que pouvait être le monstre. "

            Mon compagnon, à qui j'avais dit cette aventure, reprit :
            - Oui, on n'a peur que de ce qu'on ne comprend pas. On n'éprouve vraiment l'affreuse convulsion de l'âme, qui s'appelle l'épouvante, que lorsque se mêle à la peur un peu de la terreur superstitieuse des siècles passés. Moi, j'ai ressenti cette épouvante dans toute son horreur, et cela pour une chose si simple, si bête, que j'ose à peine la dire.
            Je voyageais en Bretagne tout seul, à pied. J'avais parcouru le Finistère, les landes désolées, les terres nues où ne pousse que l'ajonc, à côté des grandes pierres sacrées, des pierres hantées. J'avais visité la veille, la sinistre pointe du Raz, ce bout du vieux monde, où se battent éternellement deux océans : l'Atlantique et la Manche ; j'avais l'esprit plein de légendes, d'histoires lues ou racontées sur cette terre des croyances et des superstitions.
            Et j'allais de Penmarch à Pont-l'Abbé, de nuit. Connaissez-vous Penmarch ? Un rivage plat, tout plat, tout bas, plus bas que la mer, semble-t-il. On la voit partout, menaçante et grise, cette mer pleine d'écueils baveux comme des bêtes furieuses.
            J'avais dîné dans un cabaret de pêcheurs, et je marchais maintenant sur la route droite, entre deux landes. Il faisait très noir.
            De temps en temps, une pierre druidique, pareille à un fantôme debout, semblait me regarder passer, et peu à peu entrait en moi une appréhension vague ; de quoi ? Je n'en savais rien. Il est des soirs où l'on se croit frôler par des esprits, où l'âme frissonne sans raison, où le cœur bat sous la crainte confuse de ce quelque chose d'invisible que je regrette, moi.
            Elle me semblait longue, cette route, longue et vide interminablement.
            Aucun bruit que le ronflement des flots, là-bas, derrière moi, et parfois ce bruit monotone et menaçant semblait tout près, si près, que je les croyais sur mes talons, courant par la plaine avec leur front d'écume, et que j'avais envie de me sauver, de fuir à toutes jambes devant eux.
            Le vent, un vent bas soufflant par rafales, faisait siffler les ajoncs autour de moi. Et, bien que j'allasse très vite, j'avais froid dans les bras et dans les jambes : un vilain froid d'angoisse.
       istockphoto.com                                          Oh ! comme j'aurais voulu rencontrer quelqu'un !
            Il faisait si noir que je distinguais à peine la route maintenant.
            Et tout à coup j'entendis devant moi, très loin, un roulement. Je pensai : " Tiens, une voiture. " Puis je n'entendis plus rien.
            Au bout d'une minute, je perçus distinctement le même bruit, plus proche.
            Je ne voyais aucune lumière, cependant ; mais je me dis : " Ils n'ont pas de lanterne. Quoi d'étonnant dans ce pays sauvage. "
            Le bruit s'arrêta encore, puis reprit. Il était trop grêle pour que ce fût une charrette ; et je n'entendais point d'ailleurs le trot du cheval, ce qui m'étonnait, car la nuit était calme.
            Je cherchais : " Qu'est-ce que cela ? "
            Il approchait vite, très vite ! Certes, je n'entendais rien qu'une roue - aucun battement de fers ou de pieds - rien. Qu'est-ce que cela ?
            Il était tout près, tout près ; je me jetai dans un fossé par un mouvement de peur instinctive, et je vis passer contre moi une brouette, qui courait... toute seule, personne ne la poussant... Oui... une brouette... toute seule...
            Mon cœur se mit à bondir si violemment que je m'affaissai sur l'herbe, et j'écoutais le roulement de la roue qui s'éloignait, qui s'en allait vers la mer. Et je n'osais plus me lever, ni marcher, ni faire un mouvement ; car si elle était revenue, si elle m'avait poursuivi, je serais mort de terreur.
            Je fus longtemps à me remettre, bien longtemps. Et je fis le reste du chemin avec une telle angoisse dans l'âme que le moindre bruit me coupait l'haleine.
            Est-ce bête, dîtes ? Mais quelle peur ! En y réfléchissant, plus tard, j'ai compris : un enfant, nu-pieds, la menait sans doute cette brouette ; et moi, je cherche la tête d'un homme à la hauteur ordinaire !
            Comprenez-vous cela... quand on a déjà dans l'esprit un frisson de surnaturel... une brouette qui court... toute seule... Quelle peur ! "
            Il se tut une seconde, puis reprit :
            - Tenez, Monsieur, nous assistons à un spectacle curieux et terrible : cette invasion du choléra !
            Vous sentez le phénol dont ces wagons sont empoisonnés, c'est qu'il est quelque part.
             Il faut voir Toulon en ce moment. Allez, on sent bien qu'il est là, Lui. Et ce n'est pas la peur d'une maladie qui affole ces gens. Le choléra c'est autre chose, c'est l'Invisible, c'est un fléau d'autrefois, des temps passés, une sorte d'Esprit malfaisant qui revient et qui nous étonne autant qu'il nous épouvante, car il appartient, semble-t-il, aux âges disparus.
            Les médecins me font rire avec leur microbe. Ce n'est pas un insecte qui terrifie les hommes au point de les faire sauter par la fenêtre, c'est le choléra, l'être inexprimable et terrible venu du fond de l'Orient.
            Traversez Toulon, on danse dans les rues.
            Pourquoi danser en ces jours de mort ? On tire des feux d'artifices dans la campagne autour de la ville ; on allume des feux de joie ; des orchestres jouent des airs joyeux sur toutes les promenades publiques.
            C'est qu'Il est là, c'est qu'on le brave, non pas le Microbe, mais le Choléra, et qu'on veut être crâne devant lui, comme auprès d'un ennemi caché qui vous guette. C'est pour lui qu'on danse, qu'on rit, qu'on crie, qu'on allume des feux, qu'on joue ces valses, pour lui, l'Esprit qui tue, et qu'on sent partout présent, invisible, menaçant, comme un de ces anciens génies du mal que conjuraient les prêtres barbares... "


                                                              Guy de Maupassant

                                               ( nouvelle parue dans le Figaro le 25 juillet 1884 )















                     































            


































jeudi 3 février 2022

... mais la vie continue Bernard Pivot ( Roman France )


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                                ... mais la vie continue

            C'est l'âge des grandes vacances. Un groupe d'octogénaires repus, sans autre préoccupation que la santé de l'un, de l'autre, ils s'apprécient ces JOP, jeunes octogénaires parisiens, et se racontent avec gourmandise, volupté peut-être, leurs divers maux et surtout leur addiction à toute forme de pharmacopée. Mais l'auteur se présente sous le nom de Guillaume Jurus, éditeur. Il y a Octo, notaire et Coco Bel Œil, le plus jeune d'entre eux mais rattrapé par une ronde septuagénaire qui l'entraîne vers un mariage périlleux pour un vieux cœur amoureux, un vieux ( encore vieux, c'est le sujet ) couple, seconde noces pour tous deux mais qui se disputent tant qu'ils gênent leurs amis lors de leurs agapes mensuelles et Nona 95 ans, bon pied, bon œil surtout, à l'affût de l'actualité et Mona la compagne de Guillaume mais chacun chez soi précise l'auteur, car les aises d'une semi solitude sont précieuses, Aucun enfant, les adultes jouent à enrober le mot du jour lors de leurs dîners. C'est un jolis livre qui, de fait, décrit la vie courante de JOP qui ulcéreux, fragiles, prostatiques discutent, menuiserie avec l'un,   l'artisan des bibliothèques de Catherine Deneuve, d'appartements avec l'agent immobilier si habile vendeur mais, le cœur, le cœur oublié, redouté, se manifeste douloureusement. Une liste précise de ce qui atteint et attend la majorité d'entre nous, de la chute aux vertiges, du sol buté du bout d'une chaussure d'où des rues parcourues le pied prudent et l'oeil aux aguets, et les escaliers traîtres et d'autres petites misères arrivent sournoisement,  . Néanmoins ce temps de virus troublant, cruel, a permis à Bernard Pivot, journaliste, de nous donner à lire la chronique de Jeunes Octogénaires Parisiens, en ces mois sombres où la lecture est bienvenue de ce court livre, parisien, sympathique.

           

                                                              

mardi 1 février 2022

Eiffel Nicolas d'Estienne d'Orves ( Roman-Biographie )a vea

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                                                    Eiffel

                                    Vous ne la verrez plus jamais comme avant

            1859. A Bordeaux un jeune ingénieur est chargé de la construction d'une passerelle sur la Garonne sous la direction de Pauwels. Ici la biographie de celui que l'on a coutume d'appeler Gustave Eiffel, est romancée et adaptée du film de Martin Bourboulon. Ce joli roman prend ses aises avec la réalité, mais ce lit passionnément tant l'odyssée de notre Tour nationale, l'odyssée et son aura sont pérennes et mondiales. Eiffel donc manquant de bois intervient auprès de l'un de leurs fournisseurs et ce sera l'occasion pour le jeune ingénieur de rencontrer Adrienne. Amour malheureux mais la passerelle de Gabarit construite sur un arc de métal est achevée. Puis d'un chapitre l'autre l'auteur passe du passe à 1886. Paris. Eiffel reçoit  des mains de l'ambassadeur des Etats-Unis médailles et félicitations pour la splendide statue de la Liberté. Chacun sait qu'elle est signée Bartoldi mais sans la structure métallique fabriquée par les ateliers Eiffel l'ouvrage ne tiendrait pas. Qui est donc Gustave Eiffel. Sa famille était allemande jusqu'à un siècle plus tôt puis ses parents s'installent en France. Ils se nommaient Bonickhausen. Arrivés de la région d'Eiffel ils substituèrent ce nom devenu universel au nom d'origine, plus difficile à prononcer, d'autant plus que pour la satisfaction des parents, le jeune Gustave intègre Sainte Barbe et prépare son entrée à Polytechnique, mais ce sera l'Ecole Centrale des arts et manufactures qui le conduira vers sa future entreprise, les établissements Eiffel. Ainsi, raconte d'Estienne d'Orves, un jour deux ingénieurs, Koechlin et Nouguier présentent à Eiffel une maquette, une tour, encore inachevée, qui pourrait être présentée au concours pour représenter la France pour l'Exposition Universelle, en 1889, anniversaire de la Révolution française. " Moche ", dit Eiffel qui veut un projet de métro, comme à Londres. Mais bien conseillé par Compagnon, Claire sa fille ainée, Gustave finira par s'enthousiasmer, rachète le projet aux deux ingénieurs, améliore, agrandit la tour. De rivets, 2 500 000, aux pièces métalliques, 18 038, de l'espace entre les pieds, 125 mètres, de la hauteur, 300, mètres, les chiffres ont beaucoup fait souffrir Gustave Eiffel, le budget malmené, une pétition signée d'artistes connus qui demandent la démolition de l'ouvrage qui à leurs yeux détruit ce qui est alors le joli Paris, on trouve les signatures de Maupassant, Sully Prudhomme, Victorien Sardou, Delaunay, Gounod et d'autres. Elle tient, notre tour, en forme de A, solide, et l'auteur donne les détails de la construction. Joli roman, Eiffel, un amour maltraité. Paris.