dimanche 8 janvier 2023

Dimanche après-midi Paul Eluard ( Poème France )

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                                              Dimanche après-midi

            S'enlaçaient les domaines voûtés d'une aurore grise dans un pays
gris, sans passions, timide.

            S'enlaçaient les cieux implacables, les mers interdites, les terres
stériles,

            S'enlaçaient les galops inlassables de chevaux maigres, les rues
 où les voitures ne passaient plus, les chiens et les chats mourants,

            S'auréolaient de pâleur charmante les femmes, les enfants et les
malades aux sens limpides,

            S'auréolaient les apparences, les jours sans fin, jours sans lumière,
les nuits absurdes,

            S'auréolait l'espoir d'une neige définitive, marquant au front la
haine,

            S'épaississaient les astres, s'amincissaient les lèvres, s'élargissaient les              pinterest.fr
fronts comme des tables inutiles. 
            
            Se courbaient les sommets accessibles, s'adoucissaient les plus fades
tourments, se plaisait la nature à ne jouer qu'un rôle,

            Se répondaient les muets, s'écoutaient les sourds, se regardaient les
aveugles

            Dans ces domaines confondus où même les larmes n'avaient plus que 
des miroirs boueux, dans ce pays éternel qui mêlait les pays futurs,
dans ce pays où le soleil allait secouer ses cendres.


                                       Eluard






































samedi 7 janvier 2023

Etat de Terreur Hillary Clinton - Louise Penny ( Policier Etats-Unis )


 





       

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                                                   Etat de Terreur

            Rarement le Bureau Ovale de la Maison Blanche, à Washington aura autant servi de décor à une œuvre de fiction. Hillary Clinton, un destin exceptionnel, avocate, épouse de Bill Clinton élu et réélu à la Présidence des Etats-Unis et de ce fait 1è Dame durant 8 ans, sénatrice puis sous la présidence d'Obama, 8ans aussi, Ministre des Affaires étrangères, Secrétaire d'Etat. Ellen Adams dans l'histoire que nous conte Louise Penny, canadienne auteure de romans policiers appréciés par la famille Clinton est Secrétaire d'Etat, fraîchement nommée à ce poste par le nouveau chef de l'Etat, alors que de politique elle ne connaissait que ce que les journalistes du grand groupe de presse rapportent. Elle sait être à un poste dangereux, donc éjectable, car ses journaux n'ont pas été tendres durant la campagne et même opposés à son élection. Nous apprenons donc qu'Ellen Adams revient bredouille d'une visite en Corée. Mais elle n'aura pas le temps de s'interroger sur son avenir, son groupe de presse dorénavant dirigé par sa fille Katherine. Un, puis deux et même un troisième attentat à la bombe font des dizaines de victimes à Londres, Paris et Francfort, dans des bus où se trouvaient des physiciens pakistanais spécialistes du nucléaire. A Francfort le fils de la Secrétaire d'Etat, Gil est grièvement blessé. Une bombe nucléaire cachée, prête à exploser aux Etats Unis ? Les ministres et agents de tous niveaux qui entourent le Président sont-ils fiables au regard d'un Président obligé de suivre les conseils de sa Secrétaire d'Etat. A la suite de divers renseignements notamment d'agents des Américains, le doute n'est plus possible; Ellen Adams doit rendre visite aux chefs d'Etat, ayatollahs en Iran, Premier Ministre les plus susceptibles d'avoir fomenté les attentats passés et à venir. L'avion présidentiel, Air Force 3 va conduire la Secrétaire d'Etat, sa fidèle secrétaire Betsy, d'Oman, au Pakistan, en Iran où le grand ayatollah lui délivre un message sous la forme d'une fable où il est question d'un rat, d'un chat. La visite au Kremlin est-elle crédible, un Président, russe, emploierait-il des termes aussi brutaux s'adressant à la représentante d'un pays étranger, éminent. Bashir Shah, remis en liberté, est en fait le centre de toutes les recherches, Ingénieur il a pour but de mettre en contact des chefs de groupes terroristes ou d'Etat désireux d'acquérir la bombe nucléaire, ce que ne voulait pas croire l'ex-Président réfugié à Miami. Evidemment cela ressemble à un règlement de comptes à travers les livres, mais peu importe, les voyages et les rencontres se ressemblent un peu trop, mais on est pris par l'ambiance, les personnalités, les rumeurs qui courent sur les uns ou les autres. Quelques pages de remerciements sur le choix de Louise Penny pour co-écrire ce thriller politique, complètent un roman de politique fiction, d'espionnage. Alors que Bill Clinton a " co-écrit " deux thrillers avec James Patterson, - Le Président a disparu et La fille du Président - le côté féminin de - l'Etat de terreur - co-écrit par Hillary Clinton et Louise Penny, est quand même féminin, sinon féministe. Bonne lecture.
















mercredi 4 janvier 2023

Nijinsky Dominique Osuch ( BD France )

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                                                               Nijinsky 

                                                           L'ange brûlé

            Dominique Osuch est l'auteure du texte et des dessins, un peu caricaturaux dans les portraits mais excelle dans les envolées de Nijinsky et des danseurs. La BD présentée sur papier épais, de qualité, même dans l'encrage, se déguste, plus de 250 pages. Très complète, si l'on sait que la carrière de l'unique Nijinsky ne dura à son sommet que quelques années, elle est complétée en fin de volume d'une biographie et d'une bibliographie. Stanislav ( Vaslav ) né en 1889, à Kiev, et sa sœur aînée Eleanora, après des tribulations familiales, décident de devenir danseurs et d'intégrer la troupe impériale ce que le père n'a jamais pu rejoindre. Jaloux de la réussite de l'enfant il fuit en Australie avec une de ses danseuses. Très pauvres, sa mère sans ressource travaille mais il est la risée de ses camarades, joueur, il est renvoyé de l'école, au grand chagrin de se mère. Néanmoins il continue à danser, d'autant que 1905 voit le peuple se révolter, réclamant de quoi se nourrir. Près de mille morts, et à Saint-Pétersbourg Nijinsky est remarqué pour son talent et ses bonds fabuleux. Il est remarqué par un prince et bientôt sous la coupe de Diaghilev qui pense créer la troupe des " Ballets Russes ". Premiers succès internationaux, il créé et danse sur la musique de Debussy " L'après-midi d'un faune ", et d'autres ballets modernes pour l'époque diversement appréciés. Cocteau, Dali, travaillent aux décors, Isadora peu appréciée des élèves qui ne comprennent pas son travail, applaudit le danseur aux bonds et à l'aisance particuliers. Mais Diaghilev voit avec déplaisir Vaslav Nijinsky épouser la fille d'une comédienne hongroise qui se révèle désagréable avec lui. Plus tard il s'interrogera sur l'attrait de sa célébrité et de son art qui ont poussé sa femme à l'épouser. Sans Diaghilev qui réglait les frais de la troupe avec le salaire de Nijinsky, ce dernier parcourt les Etats-Unis, danse dans les grandes villes, et rencontre Charlie Chaplin. Deux arts proches et éloignés. Au cours de ses années d'études, le talentueux danseur, victime de plusieurs chûtes, ressent les séquelles. Deux hommes, un jour, riches et russes, entraînent Nijinsky vers une nébuleuse qui englobe nourriture végétarienne, suivre les conseils de Tolstoï. Une approche de Dieu et du christianisme qui lui tournent la tête. Il ne veut plus danser et retourner vivre de la terre. Montre des signes de terreur. Il est interné puis soigné sous médicament. En 1939 voyant les titres des journaux il dit : " C'est le début du 2è acte ". Mal accueilli en Hongrie par la famille de sa femme le couple et leur enfant trouvent refuge à Londres où Nijinsky danseur mythique meurt le 8 avril 1950. Sa vie, ses accidents, son entourage, la Pavlova l'apprécia, remplissent les 255 pages de cette belle bande dessinée. Pour tous et tout particulièrement les amateurs de l'histoire des ballets. Bonne BD et bonne lecture.


 

















                                                

vendredi 30 décembre 2022

Volodymyr Zelensky Régis Genté Stéphane Siohan ( Document France )

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                                    Volodymyr Zelensky

                                    Dans la tête d'un héros

            Volodymyr Zelinsky, né russophone, enfant unique de parents juifs, scientifiques, grandit en partie dans un ensemble d'immeubles qui donnera son nom au groupe créé avec quelques camarades. Après le lycée il entreprend des études de droit vite abandonnées pour se consacrer à son ou ses spectacles, créant des sketches parodiant l'esprit populaire. L'un d'eux le rend célèbre dans toute les états russophones : " Serviteur du peuple ". Drôle et souple il danse et joue. Devenu producteur ses spectacles son achetés par la télévision. Mais, et c'est le grand intérêt du livre, court, moins de deux cents pages, les craintes de Zelinsky pour sa vie et celle de sa famille attaquée par le pouvoir russe pour la reconstitution d'une Russie illimitée et donc la réintégration de l'Ukraine dans le giron de l'"Urss ", avec Kiiv comme capitale-mère. Les deux journalistes intègrent habilement passé d'une région où passées les années tsar, l'oligarchie, la corruption se sont installées durablement dans les pays limitrophes et en Ukraine, pays riche en mines de fer, de charbon entre autres. Les oligarques se sont emparés de toutes ses richesses, soumettant à leurs lois les hommes à la tête du pays, agrandissant leurs domaines par la création de banques et de chaînes de télévision. Zelinsky, devenu habile producteur de divers spectacles vend sa production à un groupe de télévision, 1+1, qui appartient à un oligarque. L'étonnante élection de Vladymyr Zelinski, pas préparé à une histoire rude, compliquée laisse les journalistes et son entourage sceptiques et prudents quant à la suite de la nouvelle présidence, mais comme chacun le sait aujourd'hui, l'homme comique d'hier assez peu instruit de la chose politique se révèle très courageux et se sert habilement de ce qu'il connaît, la communication, durant cette guerre, qui englobe Donbass, Crimée et une Ukraine détruite dans sa culture. Un livre intéressant à plus d'un titre, lecture facile, dense. Quelle que soit l'opinion... Bonne lecture et bonne fin d'année 2022.  






















lundi 26 décembre 2022

L'histoire d'une huître Cualli Carnago ( BD France )

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                                                Histoire d'une Huître

                                  ou comment j'ai failli rater ma vie sexuelle

            Une pépite à ne pas offrir au hasard pour différentes raisons. Dessins extrêmement suggestifs, quoique répétitifs accompagnent un texte qui porte l'auteure, une jeune femme de trente ans quand elle entreprend l'écriture de ce roman graphique. Cualli Carnago est métis. De sa mère nicaraguayenne elle tient sa peau sombre et une épaisse chevelure noire. Après quelques années à l'étranger son père est nommé en France et la petite fille ( elle aura deux petits frères ) entrera à l'école avec ce bagage dont elle ignorait le poids, ses cheveux et la couleur de sa peau. Les années passent, des amitiés enfantines puis adolescentes, la curiosité et la puberté poussent la jeune fille qui entreprend quelques études aux Beaux Arts. Mais face au problème d'une vie de femme pleinement assumée Cualli est confrontée à un problème, technique. L'assumer, le comprendre lui prendra une décennie, ou presque. Durant ces années de semi-frustration, là encore elle assume, ses nombreux partenaires, qu'elle décrit , ses possibilités, et son goût pour les sports de l'extrême, ses voyages sportifs, séjours en auberge de jeunesse, ses amis. L'amour sans tabou, ou" plan cul " ainsi nommé dans le livre, n'était pourtant pas le but premier de Calli qui souhaitera tout au long de ses rencontres d'un jour ou quelques semaines vivre le " grand amour ". Mais il arrive que l'un de ses partenaires ait aussi un problème qui rend douloureux l'aboutissement. Les années passent, le travail la conduit à séjourner à Grenoble et : ".....Je fuyais les conversations concentrées sur les sports en espérant trouver un jour des affinités avec quelqu'un..... " Elle nous raconte Mr Funny, Mr Calliente, l'Homme des Bois ou encore Gentil Garçon, entre autres. A l'une de ses amies elle confie " - Je ne comprends rien aux mecs. - Alors là, m'en parle pas ! " Puis un jour, alors qu'elle souffre de divers maux, de dysmorphobie, elle ne s'aime pas etc. elle découvre les raisons probables de son impossible aboutissement. Les problèmes ne se résoudront pas d'un moment l'autre, mais le hasard et quelques concessions améliorent sa situation, ses réflexions, ses pensées parfois pathétiques. Dessins légers, noirs et blancs. L'auteur avoue simplement qu'elle souhaitait que son problème sexuel s'ouvre comme s'ouvre une huître. Bien menée, sans faiblesse, assez lucide. Bonne lecture, bonne BD.





















dimanche 25 décembre 2022

Quelques lettres à des petites filles de Lewis Carroll 21/22/23 ( Dodgson ) ( Lettres Angleterre )

 

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                                                          Lettre
                                                                      à
                                                                          Mary Mallalieu

                                                                                                            Oxford, le 11 novembre 1891  

            Ma chère Polly,
            J'aime beaucoup la photographie, et je te remercie de me l'avoir envoyée, et aussi de m'avoir envoyé ton affection, que j'apprécie beaucoup plus que la photographie. Les photographies sont de bien bonnes choses à conserver, mais l'affection est la plus belle chose au monde. N'es-tu pas de mon avis ? Bien sûr je n'entends pas le mot " affection" dans le sens qu'il a quand il s'applique à deux personnes qui tombent amoureuses l'une de l'autre. Il s'agit là d'un sens, et d'un seul, que revêt ce sentiment et il ne peut s'appliquer qu'à peu de gens. Je l'emploie au sens où nous disons que tous les êtres humains doivent avoir de l'affection pour leurs frères. Mais nous ne faisons pas toujours ce que nous devrions faire. Je crois que vous autres, enfants, le faites plus que nous. Nous sommes, nous autres adultes si prompts à critiquer autrui.
            J'ai entendu une petite fille à qui l'on demandait :
            " - Comment se fait-il, ma petite, que tout le monde t'aime ? " faire cette bien jolie réponse, du moins à mon avis,                                                                                               twitter.com 
            " - Je pense que c'est parce que, moi, j'aime tout le monde. "
            Et j'ai aussi entendu une autre histoire, peut-être l'as-tu toi aussi entendue, à propos d'un très vieil homme appelé Jean, qui vivait il y a bien longtemps. C'était à l'époque où les gens ne portaient qu'un seul nom, si bien qu'ils donnaient aussi le nom de leur père, et il s'appelait Jean, fils de Zébédée. Quand il fut devenu vraiment très vieux et très faible on le portait jusque dans l'église pour qu'il puisse parler au peuple. Mais il était trop faible pour parler longuement, et à la fin il ne disait plus qu'une seule chose :  
            " - Mes petits enfants, aimez-vous les uns les autres. "
             Je suppose que les gens se disaient :
             " - Pourquoi ne nous dit-il pas quelque chose de vraiment nouveau ? Cette leçon nous l'avons entendue et apprise des centaines de fois. "
            Cependant, cela se passait il y a mille huit cents ans, et je ne crois pas que nous la sachions tout à fait parfaitement, même aujourd'hui.
            Je t'adresse l'affection d'un vieil homme : moi-même.
            Affectueusement.


                                                                                               C.L.Dodgson


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                                                      Lettre 
                                                                  à
                                                                      Enid Stevens

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            Ma chérie,
            ( En fait, je suis en train de commencer les lettres que je t'envoie de la même façon que celles que j'envoie à Isa ! Elle me pardonne, elle, la liberté que je prends, mais je ne sais pas encore si tu le fais aussi ! ) Je suis vraiment désolé que tu n'aies qu'un seul gros orteil ! Lorsqu'une enfant en a deux et qu'elle s'en foule un, elle peut évidemment boitiller grâce à l'autre, mais s'il n'y en a pas un second, la situation est bien triste !
            Si tu ne peux pas venir demain, je retarderai jusqu'à demain en huit ma visite à l'exposition de tableaux.
            De toute façon je passerai demain vers deux heures et demie, et si tu peux venir, grâce au tramway, tant mieux, sinon je resterai un petit peu ( disons dix ou douze minutes ) avec mon petit trésor.
            Ton ami qui t'aime


                                                                                                 C.L.Dodgson


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                                        Lettre
                                                     à
                                                          Enid Stevens

                                                               Oxford, le 12 décembre 1892.

           Je me demande vraiment, ma chérie, ce que tu crois avoir " découvert " ? Tu m'as envoyé sept opérations magnifiquement écrites et elle aboutissent à un total de douze livres dix-huit shillings et onze pence. Mais tu ne me dis pas ce que tu as " découvert " à partir d'elles ! Crois-tu avoir découvert que toute somme d'argent à laquelle tu pourrais penser arriverait nécessairement à ce total ? Si c'est bien cela que tu penses, prenons les choses, si tu veux bien, d'une autre façon.
            Suppose que tu sois allée te promener un beau jour et que tu aies rencontré sept hommes, l'un après l'autre. Et suppose que chacun d'eux ait eu une canne à la main : rentrerais-tu à la maison en disant à ta mère :
            " - J'ai découvert quelque chose concernant les hommes d'Oxford : ils ont tous " une canne à la main ! "
            Suppose alors qu'une autre fois tu sortes et que tu rencontres un homme portant un parapluie ! Que penserais-tu de la règle que tu croyais avoir découverte ? 
            Revenons maintenant au problème de l'argent. Suppose que, en essayant un second exemple, tu arrives à un total de dix livres, quinze shillings et neuf pence. Dirais-tu encore : " Je crois avoir résolu ton problème " ?
            Voici maintenant un autre problème à résoudre. Ta mère me prêtera-t-elle une de ses filles vendredi prochain ? Selon le mode comique habituel, bien sûr. Comment ? Tu ne connais pas le mode comique habituel ? Eh bien, voici la façon dont ta mère prête une de ses filles. Elle vous dit :
            " - Vous pouvez venir chez moi, et vous pouvez y rester aussi longtemps qu'il vous plaira, et vous pouvez la prendre sur vos genoux, et vous pouvez l'embrasser toutes les demi-heures ( mais attention ! pas plus souvent ! ) mais il est absolument interdit de la faire sortir de la maison. "
            Et maintenant, suppose que tu ailles chez Janet ( à propos, je suis désolé d'apprendre que vous vous êtes une fois de plus disputées ) et que tu lui dises :
            " - Ma chère Janet, pourrais-tu me prêter ton parapluie ? "
             Et suppose qu'elle te réponde :
             " - Oui, ma chérie. Voici mon parapluie, et tu peux rester assise aussi longtemps qu'il te plaira, tu peux le serrer dans tes bras, et tu peux l'embrasser toutes les vingt minutes ( mais attention ! pas plus souvent ! ) Mais il est absolument interdit de le faire sortir de la maison. "
            Si elle te disait cela, je me demande ce que tu penserais ? Je crains fort qu'alors tu ne te disputes avec elle et encore plus que jamais !
            Ton ami qui t'aime


                                                                                                       C.L.Dodgson






















            
                                                                                                                               
            
 
                                                                 
























           
               



















jeudi 22 décembre 2022

Quelques lettres à des petites filles de Lewis Carroll 19 / 20 ( Dodgson ) ( Lettres Angleterre )

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                                                           Lettre
                                                                        à              
                                                                            Isabelle Bowman

                                                                                                                Eastbourne, le 30 août 1890

            Oh, la vilaine, la vilaine petite fille ! méchante et coupable petite fille ! Tu as oublié de coller un timbre sur ta lettre, et ton pauvre vieil oncle a été obligé de payer " deux pence " ! Ses deux derniers pence ! Songes-y. Je te punirai sévèrement pour cette faute la prochaine fois que je t'aurai ici. Tu peux donc trembler ! M'entends-tu ? Sois gentille de trembler !
            Je n'ai aujourd'hui le temps que de te poser une seule question. Qui donc sont ces " tous " qui se joignent à toi dans ces " gros baisers " ? Est-ce que tu ne te croyais pas à la maison, en train d'envoyer des messages ( comme tout le monde le fait ) de la part de Nellie et d'Emsie sans leur en avoir transmis aucun ? Ce n'est pas très judicieux d'envoyer des message que les gens ne vous ont pas remis. Je ne veux pas dire que ce soit le moins du monde insincère, car chacun sait comme il est fréquent de les envoyer sans les avoir reçus, mais cela diminue le plaisir qu'on devrait ressentir à les recevoir. Dans leurs lettres mes soeurs me disent ; " Tout le monde t'embrasse ". Je sais que ce n'est pas vrai et je n'y attache par conséquent aucune valeur.                                                                      pinterest.fr
            L'autre jour, le mari d'une de mes "amies-enfants " qui, elle, m'écrit toujours " Très affectueusement ", m'a écrit et terminé par " Ethel se joint à moi pour vous transmettre son meilleur souvenir "  Dans ma réponse, je lui dis, en plaisantant bien sûr " Je n'ai pas l'intention d'envoyer à Ethel mon meilleur souvenir, et je ne lui transmets donc aucun message ". Elle m'a alors écrit qu'elle ne savait même pas que son mari m'écrivait ! " Il va de soi que je vous aurais envoyé toute mon affection ",  et elle a ajouté qu'elle avait dit à son mari ce qu'elle pensait de lui ! Pauvre mari !
            Ton oncle qui t'aime

                                                                                                          C.L.D.


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                                       Lettre
                                                     à
                                                           Enid Stevens

                                                                                            Oxford, le 7 avril 1891

            Ma chère Enid,
            Tu penses donc avoir le courage de venir faire une promenade avec moi ? Vraiment ? En ce cas je viendrai te chercher le 31 avril à 13 heures, et je t'emmènerai d'abord au Jardin Zoologique d'Oxford et je te mettrai dans une cage de Lions et, une fois qu'ils auront fait un bon repas, je mettrai ce qui restera de toi dans une cage de Tigres. Puis je te conduirai jusqu'à mon appartement et je donnerai une vraie raclée, avec un gros bâton, à ma nouvelle petite amie. Puis je te mettrai dans la cave à charbon et je te mettrai pendant huit jours au pain sec et à l'eau. Ensuite je te renverrai chez toi dans une voiture de laitier, à l'intérieur d'un des bidons à lait vides. Et après cela, si jamais je viens te chercher à nouveau, tu hurleras plus fort qu'un cacatoès !
            Ton ami qui t'aime

                                                                                 Lewis Carroll.
                                                                     

                                                                                                             

                                                                                      



                                                   

mardi 20 décembre 2022

De Brooklyn à Manhattan par le Bac Walt Whitman ( extraits suite III / IV ) ( Poèmes Etats-Unis )

pandorak.net







  


                                                           III

            Cela ne compte pas, le temps ni le lien ! Les distances
                    ne comptent pas.
            Hommes et femmes de votre génération, ou de telle autre
                    génération, dans le futur, je suis près de vous,
            Comme vous, j'ai ressenti ce que vous ressentiez au spectacle
                     du ciel et du fleuve,
            Comme vous, membre de la foule vivante, je fus l'un
                     de cette même foule,
            Comme vous que réjouit l'allégresse de l'eau, les reflets
                     de lumière sur le flux, je fus réjoui par eux,
            Comme vous qui, debout, accoudé à la rambarde, êtes déporté
                     par la vigueur du courant, debout moi aussi, je fus
                     déporté,
            Comme vous je vis les innombrables mâts des voiliers,     
                      les cheminées à col épais des vapeurs.

            Combien de fois n'ai-je pas moi aussi par le passé franchi                 pandorak.net/along-the-hudson-river
                    ce fleuve,
            Regardé les mouettes de décembre planer, immobiles,
                    très haut en l'air sur leurs ailes, ventres balançant,
            Reflet de lumière jaune éclairant une partie des plumes,
                    l'autre grise dans l'ombre,
            Lentes danses tournoyantes obliquant peu à peu vers
                    le sud,
            Vu l'image d'un ciel d'été se refléter dans l'eau,
            Eu les yeux éblouis par le cheminement miroitant des
                    rayons,                                                                                          francetvinfo.fr 
            Perçu ce délicat halo de lumière centrifuge coiffant ma 
                    propre tête au miroir ensoleillé des vagues,
            Aperçu en direction du sud et du sud-ouest la brume
                    noyant les collines,
            Surpris la vapeur affluant en nappes laiteuses chatoyantes 
                    de violet,
            Porté les yeux vers le fond de la baie où voir arriver 
                    vaisseaux,
            Suivi leur approche, espionné les ponts des plus voisins                   


                    de moi,
            Admiré la voilure blanche des cotres et goélettes, les
                    coques à l'ancre,
            L'équipage en manœuvre dans les vergues, à cheval aux
                    espars,
            Le volume rond des mâts, le balancement des lisses
                   dans la houle, les flammes effilées sur leur hampe, 
            Les vapeurs de tout tonnage en action, les pilotes dans
                    leurs cabines,
            L'étrave blanche, le sillage, le rapide manège trépidant 
                    des hélices,
            Les pavillons de toute nationalité qu'on amène au                
                    couchant,
            L'arête de coquille des vagues au crépuscule, les louchées,
                    les riantes crêtes qui miroitent,                                                  jeanprovencher.com
            L'horizon à perte de vue s'obscurcissant dans la lumière 
                    défaillante,
            Telle masse d'ombre au centre du fleuve, énorme remorqueur
                    flanqué de deux trains de péniches ou gabare
                    au foin, ou bateau-phare annuité.
            Les flammes criantes montent des fonderies riveraines              
                    montant très haut,
            Crachant leur intermittence de suie contrastée avec les
                    rouges et les jaunes, bien au-dessus des toits, dans la
                    crevasse des rues.


                                                    IV

            Nulle nuance entre nous, vous et moi, dans notre fidélité
                    à l'inépuisable foule des tableaux !
            Ah ! Comme j'ai aimé ces villes, comme j'ai aimé notre
                     noble, notre fougueuse rivière !
           Comme ils furent proches de moi, ces hommes, ces                            istockphoto.com 
                     femmes que j'eus sous les yeux !
            Idem les autres vers qui je projetai mes regards comme 
                    eux vers moi tournent les leurs en arrière
            ( Cela se produira bientôt, même si ce soir, pour l'heure, j'ai
                    séjour avec vous ).


                                               Walt Whitman

     



















mercredi 14 décembre 2022

Bal des pendus Arthur Rimbaud ( Poème France )







               



                   Bal des pendus

                    Au gibet noir, manchot aimable,
                    Dansent, dansent les paladins
                    Les maigres paladins du diable
                    Les squelettes de Saladin.

            Messire Belzébuth tire par la cravate
            Ses petits pantins noirs grimaçant sur le ciel
            Et, leur claquant au front un revers de savate,
            Les fait danser, danser aux sons d'un vieux Noël !

            Et les pantins choqués enlacent leurs bras grêles :
            Comme des orgues noirs, les poitrines à jour
            Que serraient autrefois les gentes damoiselles,
            Se heurtent longuement dans un hideux amour.

            Hurrah ! Les gais danseurs, qui n'avez plus de panse !
            On peut cabrioler, les tréteaux sont si longs !
            Hop ! qu'on ne sache plus si c'est bataille ou danse !
            Belzébuth enragé racle ses violons !

            Ô durs talons, jamais on n'use sa sandale !
             Presque tous ont quitté la chemise de peau :
             Le reste est peu gênant et se voit sans scandale.
             Sur les crânes, la neige applique un blanc chapeau :

            Le corbeau fait panache à ces têtes fêlées,
            Un morceau de chair tremble à leur maigre menton :
            On dirait, tournoyant dans les sombres mêlées,
            Des preux, raides, heurtant armures de carton !

            Hurrah ! La bise siffle au grand bal des squelettes !
            Le gibet noir mugit comme un orgue de fer !
            Les loups vont répondant des forêts violettes :
            A l'horizon, le ciel est d'un rouge d'enfer.

            Holà, secouez-moi ces capitans funèbres
            Qui défilent, sournois, de leurs gros doigts cassés
            Un chapelet d'amour sur leurs pâles vertèbres :
            Ce n'est pas un moustier ici, les trépassés !

            Oh ! voilà qu'au milieu de la danse macabre
            Bondit dans le ciel rouge un grand squelette fou
            Emporté par l'élan, comme un cheval se cabre :
            Et, se sentant encor la corde raide au cou,

            Crispe ses petits doigts sur son fémur qui craque
            Avec des cris pareils à des ricanements,
            Et, comme un baladin rentre dans la baraque,
            Rebondit dans le bal au chant des ossements.

                    Au gibet noir, marchons aimable,
                    Dansent, dansent les paladins
                    Les maigres paladins du diable,
                    Les squelettes de Saladins.


                                                                      Arthur Rimbaud


















mardi 13 décembre 2022

Le secret de la force surhumaine Alison Bechdel ( BD Etats-Unis )

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                                            Le secret de la force surhumaine

            BD délicieuse pour... Boomer. Roman graphique d'une jeune femme née dans les années 60. Pépite. Casting étonnant pour l'histoire de l'héroïne, en faut l'auteure poursuit son histoire familiale, après Fun House et d'autres BD, multiple primée, l'une fut même adaptée en comédie musicale et jouée à Broadway après des débuts en off. Début donc un peu avant sa naissance, ses jeunes parents se rencontrent et mènent une vie joyeuse quelques années avant son arrivée en ce bas monde en 1960. Puis découpée en décennies, jusqu'en 2010, chacun évolue selon son rythme et dérange le quotidien familial, et voici le père, fera-t-il son coming out, la mère, la fille, ne se torturent pas. La fille, l'auteure, suit son père qui l'entraîne sur les pistes de ski. Et par goût parce qu'elle a le goût du sport elle fera du karaté, des sports d'endurance, escalade, et apparaissent Jack Kerouac et surtout " Les clochards célestes " et la philosophie bouddhiste. er l'esprit transcendantal, enfin toutes expériences, sans oublier psychotropes et méditation, en vogue dans les années 60 / 70. A cela il faut ajouter les noms de Emerson, Margaret Fuller, Wordsworth, Coleridge. Leurs biographies, souvent extraites de leurs journaux entrecoupent les aventures et mésaventures de l'auteure qui, un jour écrit, dessine sa vie de famille. Publiée avec succès et après des tribulations qui l'amèneront à chercher, à trouver, à se défaire enfin à se débattre avec son égo jusque chez son psychothérapeute. Et intègre la société lesbienne et ses codes. Pour elle, célibataire convaincue, ce sont couples éphémères avec des femmes aussi sportives qu'elle. Car le succès aidant elle poursuite un certain plaisir perçu une fois en course, et donc performance après performance en VTT, en training. Courir et la voilà pleine d'idées, ascension des plus hauts sommets, de la Sierra et du Matterhorn, se dépasser toujours. Et c'est ainsi qu'elle nourrit son esprit auprès de personnages du 19è siècle, elle fille du presque 21è, qui avaient par les mêmes aspirations. Voyages pour leurs œuvres souvent, vies disciplinées cependant malgré un certain désordre. Célibataire convaincue elle épouse sa dernière compagne après avoir sondé sondé, trouvé quelque explication à ses sentiments, jalousie face à ce vent de liberté. L'auteure en un peu plus de 200 pages grand format sur papier cartonné, brosse un panorama d'une certaine société durant ces dernières décennies. Très réussi ce roman graphique gay, offre de nombreuses pistes de réflexion ou un simple film plaisant. Dessins simples, secs, coloriés par sa dernière compagne-épouse. Bonne lecture.








vendredi 9 décembre 2022

On était des loups Sandrine Collette ( Roman France )

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                                                         On était des loups

            Liam raconte ; " ....... Je n'aime pas qu'on dise que le loup hurle parce que ce n'est pas ça hurler, quand un clébard s'énerve là je veux bien. Le loup lui il chante c'est très différent, ce n'est pas gueuler pour gueuler, il y met du cœur et des intonations surtout quand ils sont plusieurs ça me donne des frissons et je n'ai qu'une envie c'est de faire partie de la meute ça vient de loin à l'intérieur de moi.......
            Ainsi se dépeint Liam. Enfant né dans une ferme, trois frères et sœurs à ses côtés, ses parents alcooliques, les coups pour tout questionnement, il fuit à seize ans et aboutit après avoir travaillé dans diverses entreprises, toujours au grand air, dans cette montagne où il consacre sa vie à la chasse, aux loups, aux ours, aux cerfs et aux lapins entre autres. Une vie de chasseur qui l'emmène des jours durant loin, solitaire, avec deux chevaux, quand cela est possible, au poil roux, à la crinière blonde et aux chaussettes blanches, écrit l'auteur. Une femme l'accompagne, jeune après quelques années elle veut un enfant, lui sauvage, indépendant n'éprouve aucun sentiment, ne se sent pas père, il ne pense que pêche et chasse, gagnant ainsi son quotidien. Ava obtient cet enfant, Aru. Mais tout au long de l'histoire, Liam parle de cette absence de sentiment, après des rebondissements fréquents. La vie, la mort sont aussi présents que la nuit et le jour. Et Liam plein de colère inexprimée aura des pensées et des gestes meurtriers. Une longue course à cheval, descendus de leur montagne vers la ville à cheval, lui sur Dark, Aru, cinq ans et demi, sur Ball. Dans les montagnes, cachés dans des forêts vivent des gens bizarres, de petits boutiquiers inquiets mais offrent un toit dans une remise pour la nuit après l'achat de barres chocolatées et de viande séchée pour leur route, longue. Un des meilleurs livres de cette rentrée 2 022. Sentiments très forts, on ne naît pas père on le devient comme l'a écrit quelqu'un quelque part parlant de la maternité. Pas de sentimentalisme, mais une philosophie qui se dégage jusqu'au dénouement incertain jusqu'à la fin. Une écriture extrêmement efficace adaptée à un jeune héros, environ 35 ans, silencieux, sensible sûrement malgré un métier qui le conduit à tuer pour vendre les peaux, les viandes des animaux, qui assureront sa survie. Une histoire d'homme, à lire sans économie, avec appétit qui apporte, aventure, réflexion. L'auteur, de plusieurs romans Sandrine Collette vit dans le Morvan. Bonne lecture. MB



















 

mardi 6 décembre 2022

De Brooklyn à Manhattan par le Bac Walt Whitman ( extraits ) ( Poèmes Etats-Unis )

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                                                    1

             Marée montante ! Je te regarde en face, à mes pieds !
             Nuages à l'ouest, et toi soleil encore haut d'une
            demi-heure, je suis votre vis-à-vis.                                                         
            Foules humaines, femmes et hommes en costumes
            usuels, ce que vous m'êtes étranges !
            Centaines de centaines qui traversez les bacs au retour,
            m'êtes mille fois plus étranges que vous ne l'imaginez,
            Et vous qui dans cent ans d'ici irez d'une rive à l'autre,
            m'êtes davantage, m'êtes plus au cœur de mes méditations
            que vous ne le croiriez.

                                                   II

            Ce nourrisson impalpable m'alliant à toutes les choses
            à toutes les heures du jour,
            Cette fonction de cohérence, de jonction parfaite, 
            malgré ma dislocation à moi et aux autres, pourtant
            partie intégrante de la fonction,
            Les identités symétriques du futur et du passé,
            Les perles triomphales illuminant l'anneau de mes
            sensations, vue ou ouïe, les plus infimes, au hasard des rues
            ou de la traversée du courant,
            Le fleuve qui m'emporte en sa ruée si impétueuse qui
            m'emporte avec lui jusque vers l'horizon,
            Mes successeurs encore à venir, les liens nous liant 
            eux et moi,
            Ma certitude en autrui la vie, l'amour, la vue, la voix
            d'autrui.

            A leur tour ils entreront aux portes du ferry pour traverser              wallpaperflare.com     
            de rive en rive,
            A leur tour ils verront la vitesse de la marée montante
            A leur tour ils suivront le trafic des voitures au nord,
            à l'ouest de Manhattan, remarqueront les collines de
            Brooklyn à l'est et au sud.
            A leur tour ils verront les îles aux largeurs diverses.
            Les autres, ces autres qui traverseront dans cinquante 
            ans, sous un soleil d'une demi-heure encore,
            Qui traverseront dans cent ans, ou x fois cent années, 
            oui ils le verront,
            Oui ils aimeront le coucher du soleil, l'irruption liquide de 
            la marée ou la fuite du jusant vers le grand large.                                                                        

                                                        III

            Cela ne compte pas, le temps ni le lieu ! les distances ne
            comptent pas.
            Hommes et femmes de votre génération, ou de telle autre
            génération dans le futur, je suis près de vous,
            Comme vous, j'ai ressenti ce que vous ressentiez
            au spectacle du ciel et du fleuve,
            Comme vous, membre de la foule vivante, je fus l'un de
            cette même foule,
            Comme vous que réjouit l'allégresse de l'eau, les reflets de
            lumière sur le flux, je fus réjoui par eux,
            Comme vous qui, debout, accoudé à la rambarde, êtes déporté
            par la vigueur du courant, debout moi aussi je fus déporté,
            Comme vous je vis les innombrables mâts des voiliers,
            les cheminées à col épais des vapeurs

            Combien de fois n'ai-je pas moi aussi franchi ce
            fleuve,
            Regardé les mouettes de décembre planer, immobiles,
            très haut en l'air sur leurs ailes, ventres balançant,
            Reflet de lumière jaune éclairant une partie des plumes,
            l'autre grise dans l'ombre,
            Lentes danses tournoyantes obliquant peu à peu vers
            le sud,
            Vu l'image d'un ciel d'été se refléter dans l'eau,
            Et les yeux éblouis par le cheminement miroitant 
            des rayons,
            Perçu ce délicat halo de lumière centrifuge coiffant ma
            propre tête au miroir ensoleillé des vagues,
            Aperçu en direction du sud et du sud-ouest la brume
            noyant les collines,
            Surpris la vapeur affluant en nappes laineuses chatoyantes
            de violet,
            Porté les yeux vers le fond de la baie où vont arriver 
            les vaisseaux,
            Suivi leur approche, espionné les ponts des plus voisins
            de moi,
            Admiré la voilure blanche de cotres et goélettes,
            les coques à l'ancre,
            L'équipage en manœuvre dans les vergues, à cheval aux
            espars,
            Le volume rond des mâts, le balancement des lisses
            dans la houle, les flammes effilées sur leur hampe,
            Les vapeurs de tout tonnage en action, les pilotes
            dans leurs cabines,
            L'étrave blanche, le sillage, le rapide manège trépidant                      pinterest.cl 
            des hélices,
            Les pavillons de toute nationalité qu'on amène au
            couchant,
            L'arête de coquille des vagues au crépuscule, les louchées;
            les riantes crêtes qui miroitent,
            L'horizon à perte de vue s'obscurcissant dans la lumière 
            défaillante,
            Telle masse d'ombre au centre du fleuve, énorme remorqueur
            flanqué de deux trains de péniches, ou gabare au foin,
            ou bateau-phare anuité.
            Les flammes criantes montant des fonderies riveraines,
            montant très haut,
            Crachant leur intermittence de suie contrastée
            avec les rouges et les jaunes, bien au-dessus des toits,
            dans la crevasse des rues.                


                                                   Walt Whitman

                                           ( extrait -  in Feuille d'herbe 1856 )