mercredi 18 janvier 2012

Les Putains et les Jongleurs ( fablel conte extrait des Fabliaux )

         Les Putains et les Jongleurs

          Lorsque Dieu eut créé le monde tel qu'on peut le voir à la ronde, avec tout ce qu'il mit dedans, il fonda trois classes de gens : les nobles, les clercs, les vilains. Les chevaliers eurent les terres ; quant aux clercs il leur octroya le fruit des dîmes et des quêtes ; le travail fut le lot des autres. La chose faite, il s'en alla.
          Sur son chemin il aperçoit une bande de chenapans : des ribaudes et des jongleurs. Il ne va pas loin, ils l'accostent et se mettent tous à crier :
          " Restez là, sire, parlez-nous. Ne partez pas ; où allez-vous ? Nous n'avons rien eu en partage quand vous avez doté les autres "
          Notre-Seigneur les regarda et, les entendant, demanda à saint Pierre qui le suivait quels pouvaient être ces gens-là.
          " Ce sont des gens faits par mégarde, que vous avez pourtant créés comme ceux qui ont foi en vous. S'ils vous hèlent, c'est qu'ils voudraient avoir leur part à vos largesses. "
          Notre Seigneur, au même instant et sans faire d'autre réponse, vint aux chevaliers et leur dit :
          " A vous qui possédez les terres je baille et donne les jongleurs. Vous devez en prendre grand soin et les retenir près de vous. Ne les laissez manquer de rien ; accédez à tous leurs désirs. Tenez bien compte de mes ordres. A vous maintenant, seigneurs clercs, je donne à garder les putains. "
          Depuis, les clercs se gardent bien de désobéir au Seigneur : ils n'ont d'yeux que pour les ribaudes et les traitent du mieux qu'ils peuvent.
          Comme ce fabliau le montre, si vous l'avez bien entendu, les chevaliers vont à leur perte quand ils méprisent les jongleurs, leur refusant le nécessaire, et les laissent aller pieds nus. Les putains ont chaudes pelisses, doubles manteaux, doubles surcots ; les jongleurs ne reçoivent guère de tels cadeaux des chevaliers. Ils ont beau savoir bien parler ; ils n'ont droit qu'à de vieilles nippes ; on leur jette comme à des chiens quelques bouchées de bons morceaux. Mais en revanche les putains changent de robes tous les jours ; elles couchent avec les clercs qui subviennent à leurs besoins. Ainsi les clercs font leur salut. Quant aux chevaliers, ce sont pingres qui ne donnent rien aux jongleurs, oubliant les ordres de Dieu. Les clercs en usent autrement, pour les putains ont la main large et se plient à tous leurs caprices. Pour elles, voyez-les à l'oeuvre : ils dépensent leur patrimoine et les richesses de l'Eglise ; en leurs mains est bien employé l'argent des rentes et des dîmes.
          Donc, si mon fabliau dit vrai, Dieu veut que les clercs soient sauvés, que les chevaliers soient damnés.

          MR
         


















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