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Le Melon
Quelle odeur sens-je en chambre ?
Quel doux parfum de Musc et d'Ambre
Me vient le cerveau resjiouyr
Et tout le coeur espanouyr ?
Ha ! bon Dieu ! i'en tombe en extase :
Ces belles fleurs qui dans ce vase
Parent le haut de ce buffet
Feroient-elles bien cet effet ?
A tonbruslé de la pastille
N'est-ce point ce vin qui petille
Dans le cristal, que l'art humain
A fait pour couronner la main
Et d'où sort, quand on en veut boire,
Un air de framboise à la gloire
Du bon terroir qui l'a porté
Pour notre eternelle santé ?
Non, ce n'est rie d'entre ces choses,
Mon penser, que tu me proposes.
Qu'est-ce donc ! Je l'ay descouvert
Dans ce panier remply de vert :
C'est un Melon, où la nature,
Par une admirable structure,
A voulu graver à l'entour
Mille plaisans chiffres d'Amour
Pour claire marque à tout le monde
Que d'une amitié sans seconde
Elle cherit ce doux manger
Et que, d'un soucy mesnager,
Travaillant aux biens de la terre,
Dans ce beau fruict seul elle enserre
Toutes les aymables vertus
Dont les autres sont revestus.
Baillez-le moy, je vous en prie,
Que i'en commette idolatrie :
O ! quel' odeur ! qu'il est pesant !
Et qu'il me charme en le baisant !
Page, un cousteau, que ie l'entame ;
Mais qu'auparavant on réclame, .kokopelli-semences.fr
Par des soins au devoir instruits,
Pomone, qui préside aux fruits,
Afin qu'au goust il se rencontre
Aussi bon qu'il a belle montre,
Et qu'on ne trouve point en luy,
Le défaut des gens d'aujourd'huy.
Nostre priere est exaucée,
Elle a reconnu ma pensée :
C'en est fait, le voilà coupé,
Et mon espoir n'est point trompé.
Ô dieux ! que l'esclat qu'il me lance,
M'en confirme bien l'excellance !
Qui vit iamais un si beau teint !
D'un jaune sanguin il se peint ;
Il est massif iusques au centre,
Il a peu de grains dans le ventre,
Et ce peu là, ie pense encor
Que ce soient autant de grains d'or ;
Il est sec, son escore est mince ;
Bref, c'est un vray manger de Prince ;
Mais, bien que ie ne le sois pas,
I'en feray pourtant un repas.
Hâ ! soustenez-moi, je me pâme
Ce morceau me chatouille l'ame ;
Il rend une douce liqueur
Qui me va confire le coeur ;
Mon appétit se rassasie
De pure et nouvelle ambroisie,
Et mes sens, par le goust séduits,
Au nombre d'un sont tous réduits.
Non, le cocos, fruit delectable
Qui luy tout seul fournit la table
De tous les mets que le desir
Puisse imaginer et choisir
Ny les baisers d'une maistresse,
Quand elle-mesme nous caresse,
Ny ce qu'on tire des roseaux
Que Crète nourrit dans ses eaux,
Ny le cher abrcot, que j'ayme,
Ny la fraise avecque la creme,
Ny la manne qui vient du ciel,
Ny le pur aliment du miel,
Ny la poire de Tours sacrée,
Ny la verte figue sucrée, blog.doctissimo.fr
Ny la prune au jus delicat,
Ny mesme le raisin muscat,
( Parole pour moy bien estrange ),
Ne sont qu'amertume et que fange
Au prix de ce Melon divin,
Honneur du climat angevin
Que dis-je, d'Anjou ? je m'abuse :
C'est un fruit du crû de ma muse,
Un fruit en Parnasse eslevé,
De l'eau d'Hyppocrene abreuvé,
Mont qui, pour les dieux seuls, rapporte
D'excellents fruits de cette sorte,
Pour estre proche du soleil,
D'où leur vient ce goust nompareil
Car il ne seroit pas croyable
Qu'un lieu commun, quoy qu'agreable,
Eust pu produire ainsi pour nous
Rien de si bon ni de si dous.
Ô vive source de lumière !
Toy dont la routte coustumiere
Illumine tout l'univers,
Phoebus, Dieu des Fruits et des Vers
Qui tout vois et qui tout embrasses,
Icy ie te rends humble grâces
D'un coeur d'ingratitude exent,
De nous avoir fait ce présent ;
Et veux, pour quelque récompense,
Dire en ce lieu ce que je pense
Et de ce Melon et de toy,
Suivant les signes que j'en voy ;
Mais que tandis, ô chere Troupes,
Chacun laisse en repos la Coupe,
Car ce que je vous vay chanter,
Vaut bien qu'on daigne l'escouter.
Après que Jupiter, avecque son Tonnerre,
Eut fait la pettarrade aux enfans de la terre,
Et que les Dieux, lassez, revindrent du combat
Où Pan perdit ses gands, Apollon son rabat,
Hercule, par un trou, l'argent de sa pochette,
Mercure une iartierre et Bacchus son cordon,
Pour s'estre, dans les coups, jettez à l'abandon ; maxisciences.com
Après, di-ie, ce chocq de Silene,
Aux plus mauvais Garçons fit enfin perdre haleine,
Par l'extrême frayeur que sa voix leur donna,
De quoy le ciel fremit et l'enfer bourdonna ;
On dit qu'il fut conclu qu'en signe de victoire
Tout le reste du iour se passeroit à boire,
Et que chacun d'entr'eux fournissant au banquet,
Apporterait son mets troussé comme un paquet.
Soudain, de tous costez, sur l'Olympe se virent
Plats deçà, plats delà, que les Nymphes servirent,
Le plat nud iusqu'au coude et le sein découvert,
0rné de quelque fleur avec un peu de vert.
Ce Dieu qui des premiers authorisa l'inceste,
Devant qui les plus grands de la troupoe celeste,
Plus petits que Cirons, de peur de le fascher,
N'oseroient seulement ny tousser ny cracher ;
L'audacieux Iupin, pour commencer la dance,
Et presenter à l'oeil dequoy garnir la pance,
Fit apporter pour soy, dans un bassin de prix,
Quantité de gibbier que son aigle avoit pris.
La superbe Junon qui, dans une charrette
Que des Pans font rouler, fait souvent sa retraite
En l'Empire certain des animaux volans,
Prit de la main d'Iris un bouquet d'Ortolans
Qui fleurissoit de graisse et convioit la bouche
A luy donner des dents une prompte escarmouche,
Durant qu'il estoit chaud, et qu'il s'en exhaloit
Un gracieux parfum que le nez avaloit.
Le compere Denis, à la trogne vermeille
Qui veut tousiours chifler mesme quand il sommeille
Rendant de son pouvoir Ganimede esbahy,
Voulut que le Nectar fist place au vin d'Ay,
Dont il fit apporter par ses folles Menades,
Qui faisoient en hurlant mille Pantalonnades,
Cinquante gros flacons remplis iusques aux bords,
Pour le plaisir de l'ame, pour le bien du corps
.
La deesse des Fours, des Moulins, des Plaines,
Où l'oeil du bon Pitaut voit l'espoir de ses peines,
Celle qui s'esclairant de deux flambeaux de pin,
A force de trotter usa maint escarpin,
En cherchant nuict et jour la Domzelle ravie.
Ceres au crin doré le soustien de la vie
Munit les Assistans, au lieu de pain mollet,
De biscuits à l'eau rose, de gasteaux au laict,
Celuy qui sur la mer impetueuse et fiere,
En son humide main porte une fourchefierie
Dont ils rossent les flots quand ils font les Mutins,
Excitez par les vents qui sont leurs vrais lutins
Fit servir devant luy par la fille de chambre
De Madame Thetis un plat d'Huistres à l'Ambre
Que l'un de ses Tristons, non pas sans en gouster,
Du fonds de l'Ocean luy venoit d'apporter.
Celle qui sur un mont sa chasteté diffame,
La Princesse des Fols qui, comme Sage-Femme,
Assiste à ce travail où l'on pisse des os,
Et dont elle delivre en disant cerains mots ;
Diane au front cornu, de qui l'humeur sauvage
Ne se plaist qu'aux Forests à faire du ravage,
Fit lettre sur la table un Fan de Daim rosty,
Que d'une sauce à l'Ail on avoit assorti.
Le Forgeur ecloppé qui fait son domicile
Parmy les Pets-flambants que lasche la Sicile,
Ce beau fils qui se farde avecque du charbon,
Fit porter par Sterope un monstrueux Iambon,
Et six langues de Boeuf, qui depuis mainte année,
En grand pontificat ornoient sa cheminée,
Où tout expressément ce Patron des Cocus
Les avoit fait fumer pour les donner à Bacchus.
La Garce qui nasquit de l'excrement de l'Onde,
Pour courir l'esguillette en tous les lieux du Monde,
Venus la bonne Cagne aux paillards appetits,
Sçachant que ses Pigeons avoient eu des Petits,
En fit faire un pasté que la grosse Eufrosine
Qui se connoist des mieux à ruer en cuisine,
Elle-mesme apporta plein de culs-d'Artichaud
Et de tout ce qui celuy de l'homme chaud.
Le Bouc qui contraignit la Nymphe des quenouilles
De se précipiter dans les bras des Grenouilles,
Pour sauver son honneur qu'il vouloit escroquer,
En l'ardeur dont Amour l'estait venu picquer,
Pan le roy des flasteurs de qui dans l'Arcadie,
Les trouppeaux de Brebis fuient la mélodie,
Honora le Festin d'un Agneau bien lardé,
Que des pattes du Loup son Chien avait gardé.
Et bien que l'on eust creu qu'en cet acte rebelle,
La vieille au cul crotté, la terrestre Cybelle,
Des orgueilleux Geans eust tenu le party,
Auquel en demeura pourtant le desmenty
Elle ne laissa pas, quittant Phlegre à main gauche,
Comme mère des Dieux d'estre de la desbauche,
Et de leur apporter, se traisnant au baston,
Des Champignons nouveaux cuits au jus de mouton.
Le Seigneur de Jardins, que les herbes venerent,
Et Vertumne et Pomone ensemble s'y trouverent
D'Asperges, de Pois verds, de Salades pourueus
Et des plus rares fruicts que iamais on eust veus,
Bref, nul en ce banquet, hormis le vieux Saturne,
Qui flatté d'un espoir sanglant et taciturne
Du complot de Typhon avoit esté l'Autheur :
Nul, di-ie, horsmis Mars le grand Gladiateur,
Nul, horsmis le Thebain qui charge son espaule,
D'un arbre tout entier en guise d'une gaule :
Nul horsmi la Pucelle aux doigts laborieux :
Qui de ceux d'Arachné furent victorieux,
Et nul horsmis Mercure en cette illustre bande,
Ne vint sans apporter, par manière d'offrande,
De quoy faire ripaille, ainsi que l'avoit dit
Celuy qui sur l'Olympe a le plus de crédit.
Encore entre ceux-là l'Histoire représente
Que si de rien fournir Minerve fut exente,
C'est pour l'amour du Soin qu'elle voulut avoir
De mettre le couvert, où la Belle fit voir
Maint oeuvre de sa main supperbement tissuë,
Que quand au bon Hercule avecque sa massuë,
C'est qu'il estoit alors, pour garder ses amis
En qualité de Suisse à la porte commis,
Que quand au Furibond, au traisneur de rapière
Au soldat Tracien, qui d'une âme guerrière
Employe à s'habiller enclumes et marteaux,
Et que pour le Causeur à la mine subtile,
De qui la vigilance au festin est utile.
Et qu'il n'entreprend rien dont il ne vienne à bout fineartamerica.com
C'est qu'il s'estoit chargé de donner ordre à tout.
Or pour venir au poinct que je vous veux déduire,
Où ie prie aux bons Dieux qu'ils me vueillet coduire
Vous scaurez, Compagnons, que parmi tant de mets
Qui furent les meilleurs qu'on mangera iamais
Et parmy tant de fruicts, dont en cette Assemblée,
Au grand plaisir des sens la table fut comblée,
Il ne se trouva rien d'esgal à un Melon,
Que Thalie apporta pour son maistre Apollon,
Que ne fut-il point dit en celebrant sa gloire ?
Et que ne diroit-on encor en sa memoire ?
Le temps qui frippe tout, ce Gourmand immortel
Iure n'avoir rien veu ny rien mangé de tel ;
Et ce grand Repreneur qui d'une aigre censure
Vouloit que par un trou l'on nous vist la fressure ?
Homme le medisant fut contraint d'avouer
Que sans nulle Hyperbole on le pouvait louer.
Dès qu'il fut sur la Nappe un aigu cry de ioye
Donna son corps de vent aux oreilles en proye
Le coeur en tressaillit, et les plus friands nez
D'une si douce odeur furent estonnez :
Mais quand ce vint au goust ce fut bien autre chose,
Aussi d'en discourir la Muse mesme n'ose :
Elle dit seulement qu'en ce divin Banquet,
Il fit cesser pour l'heure aux femmes le Caquet.
Phoebus qui le tenoit, sentant sa fantaisie
D'un désir curieux en cet instant saisie,
En coupe la moitié, la crueuse proprement ;
Bref, pour finir le conte, en fait un instrument,
Dont la forme destruit et renverse la Fable
De ce qu'on a chanté, ce que iadis fut le fable
Mercure trouvant mort un certain Limaçon
Qui vit par fois en beste et parfois en poisson ?
Soudain en ramassa la Cocque harmonieuse,
Avec que quoi d'une main, aux Arts ingenieuse,
Aussi bien qu'aux Larcins, tout à l'heure qu'il l'eut
Au bord d'une Rivière il fit le premier Lut.
Ainsi de cette escorce en beauté sans pareille,
Et fabriqué là-haut ce charmeur de l'oreille,
D'où sortit lors un son par accens mesuré
Plus doux que le manger qu'on en avoit tiré
Là maintes cordes d'arc en grosseur differentes,
Là mille traicts hardis entremeslez d'esclats,
Firent caprioller les pintes et les plats ;
Le plus grave des Dieux en dansa de la teste,
AEt le plus beau de tous pour accomplir la feste,
Ioignant à ses accords son admirable vois
Desconfit les Titans une seconde fois.
Voilà, chers Auditeurs, l'effect de ma promesse ;
Voilà ce qu'au iardin arrousé du Permesse
Terpsicore au bon bec, pour qui i' ai de l'amour,
En voyant des Melons me prosna l'autre iour.
I ay trouvé qu'à propos ie pouvois vous l'apprendre,
Pour descharger ma ratte, et pour vous faire entendre
Que ie croy que ce fruict, qui possede nos yeux,
Prouient de celuy là qui brifferent les Dieux :
Car le roy d'Helicon, le Demon de ma Veine,
Dans le coin d'un mouchoir en garda de la graine,
Afin que tous les ans il en pût replanter
Et d'un soin liberal nous en faire gouster.
O manger précieux ! délices de la bouche !
O doux reptile herbu, rampant sur une couche !
O beaucoup mieux que l'or, chef-d'oeuvre d'Apollon !
O fleur de tous les fruicts ! o ravissant Melon !
Les hommes de la Cour seront gens de parole,
Les bordels de Roüen seront francs de verole,
Sans vermine et sans galle on verra les Pedants,
Les preneurs de petun auront de belles dents,
Les femmes des badauts ne seront plus coquettes,
Les corps pleins de santé se plairont aux cliquettes,
Les Amoureux transis ne seront plus ialous,
Les paisibles Bourgeois hanteront les Filous,
Les meilleurs cabarets deviendront soliteres,
Les chantres du pont-neuf diront de hauts mistères,
Les pauvres Quinze-vingts vaudront trois cents Argus
Les esprits doux du temps paroistront fort aigus ?
Maillet fera des vers aussi bien que Malherbe,
Ie hayray Feret, qui se rendra superbe,
Pour amasser des biens avare ie serai, facebook.com
Pour devenir plus grand mon coeur i' abaisseray,
Bref, ô Melon, Succrin, pour t'accabler de gloire,
Des saveurs de Margot ie perdray la memoire,
Avant que ie t'oublie, que ton goust charmant,
Soit biffé des cayers du bo gros Saint-Amant.
( 1642 )
Marc-Antoine Girard de Saint-Amant