1er Avril 1665
Eus fort à faire à mon bureau toute la matinée, ayant à mettre au clair pour milord le trésorier général les comptes du semestre dernier. A midi dîner léger puis visite à sir Philip Warwick et en voiture chez milord le trésorier. Après un entretien où je lui fis voir mes documents, revins à la Cité et chez George Carteret que je trouvai dînant en compagnie des membres de la commission de prises chez le capitaine Cocke qui habite à Broadstreet, tous fort gais. Entre autres, un violoneux aveugle se présenta à la porte, sir George Carteret le fit entrer en le conduisant par la main. Puis avec ce dernier chez milord le trésorier général bientôt rejoints par sir William Batten et sir John Mennes. Nous nous rendîmes devant milord et lui fîmes constater le montant de nos dépenses pour les six derniers mois ainsi que nos prévisions pour les sept mois à venir ; les premières s'élèvent à plus de 500 000 £, quant aux dernières, selon nos estimations, elles dépassent le million.
Voir milord le trésorier se signer et s'écrier qu'il n'en pouvait mais, ni ne pourrait donner plus d'argent qu'il n'en avait, quelles que fussent la gravité des circonstances et l'ampleur de la dépense, voilà qui n'est guère pour nous réjouir. Mais, lorsque ensuite j'entendis sir George Carteret, tel un âne enragé et ignare, contre les abus de billets de solde, je crus devenir fou et eus bien du mal à tenir ma langue.
Rentrai chez moi profondément irrité de voir de quelle stupidité nos grands hommes d'Etat se satisfont dans leurs réflexions comme dans les actions, tandis que le service du roi en pâtit furieusement
A mon bureau très tard, au point de manquer de sommeil à force de veiller la nuit et de courir de droite et de gauche.
2 avril
Jour du Seigneur
A mon bureau toute la matinée. J'ai renouvelé par écrit mes promesses. Chez moi pour le dîner. Mr Tasborough, l'un des secrétaires de Mr Povey passa l'après-midi avec moi au sujet des comptes de son maître. Le soir chantai avec Mr Andrews et Hill, ils ne restèrent point souper. Après quoi, au lit.
3 avril
Leve. Chez le duc d'Albemarle, puis au palais de Whitehall où j'eus fort à faire. Chez moi dîner. Avec Creed, ma femme et Mercer, au Théâtre du Duc voir une pièce de milord Orrery, Mustapha. La pièce étant médiocre le rôle tenu par Betterton ainsi que celui de Ianthe étaient d'un tel commun que nous en sortîmes mécontents. A la maison, puis à mon bureau un moment, rentrai souper et, au lit. Le seul agrément de la soirée au théâtre fut la présence du roi et de milady Castlemaine, ainsi que celle de la jolie Nell, cette actrice pleine d'esprit qui joue au Théâtre du Roi, et de la jeune Marshall, toutes deux assises près de nous, ce qui me plut fort.
4 avril
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Travaillai toute la matinée à mon bureau. A midi à la Bourse, puis montai à l'étage acheter une paire de bas de coton, à cette boutique tenue par celui qui a la plus jolie femme alentour. Elle m'invita à lui acheter aussi du linge, et j'en profitai pour lui commander quelques tours de cou, avec l'intention de faire d'elle ma couturière. C'est une des plus jolies femmes que j'aie jamais vues, et de mine fort
honnête
honnête
Dînai chez moi puis à mon bureau, très tard, au point de m'endormir, dodelinant de la tête plusieurs fois au milieu de mes lettres.
5 avril
Aujourd'hui fut un jour de jeûne public, sur ordre du roi, observé à l'occasion de la guerre contre la Hollande. Me rendis tôt chez milord Tooker que j'ai engagé dans la marine afin qu'il gère l'expédition des marchandises en temps voulu, d'ici vers la flotte ou ailleurs. Le conduisis à Woolwich et Deptford où j'avais été depuis longtemps empêché de me rendre en raison de mes affaires. Travaillâmes beaucoup. Puis chez moi où je trouvai Creed comme il me l'avait promis, et nous sortîmes en voiture avec ma femme et Mercer, prendre l'air. Nous rendîmes à Hackney, où nous sommes déjà allés, et mangeâmes des poulets que nous avions emportés ainsi que d'autres victuailles, puis rentrâmes après une ou deux parties de galets. Creed resta avec moi mais, comme il avait sommeil, il ne se sentait point l'esprit à parler affaires, si bien que je l'ai invité, sans le commander, à rester dormir chez moi. On se coucha donc, lui et moi, puis on s'endormit. C'est la première fois que j'ai pris autant de plaisir et de grand air depuis plusieurs semaines, voire des mois.
6 avril 1665
A mon bureau toute la matinée où, en l'absence de sir William Batten sir George Carteret, qui s'était emporté pour l'affaire des billets de solde, s'en prit à sir William Batten pour ses propos au sujet des signatures de billet et le traita devant nous, à table, les commis s'étant retirés, de " fieffé merdeux ", ce qui me contraria.
A midi à la Bourse où je soumis mon affaire à sir William Warren, à savoir l'acquisition d'allèges pour le roi, pour lesquelles, je crois, il me consentira un bon prix, je m'en réjouis.
Chez moi et, après avoir avalé un morceau, à mon bureau jusqu'à 6 heures. Au palais de Whitehall où, avec sir George Carteret et milord Brouncker, vîmes le duc d'Albemarle pour la question des fonds.
Puis chez mon barbier Jervas au sujet de ma perruque laissée chez lui pour être remise en état. J'apprends que Jane, tout à fait perdue de réputation, a pris ce bon à rien pour mari, bien qu'ils ne soient pas mariés et qu'elle l'a fréquenté pendant plusieurs semaines, alors qu'il avait déjà femme et enfants, et qu'elle va partir en Irlande.
Fis venir ma femme à la Bourse. A la maison puis à mon bureau où j'écrivis des lettres jusqu'à une heure du matin, près encore une fois de tomber de sommeil. On parle beaucoup d'une nouvelle comète, et il en est apparu une, la chose ne fait aucun doute, largement aussi brillante que la précédente, mais je ne l'ai point vue de mes propres yeux.
pinterest.fr 7 avril
Levé tôt, chez le duc d'Albemarle au sujet de l'argent qu'il nous faut obtenir pour la marine, faute de quoi nous devrons fermer boutique. De là à Westminster Hall, fis quelques allées et venues, sans plus. Revins à la Cité afin d'éviter de dîner avec Povey, revins à Westminster chez Herbert où je dînai. Ensuite chez milord le trésorier général, trouvai sir Philip Warwick, puis à Whiehall au cabinet de milord jusqu'à la nuit tombée, parlâmes environ quatre heures de l'affaire des dépenses de la marine et de la manière dont sir George Carteret dirige les choses, nous laissant dans l'ignorance de ce qu'il fait de son argent. En outre, sir Philip ne me cacha pas à quoi se trouvait le roi pour obtenir de l'argent pour la marine. Il m'assura qu'il lui était impossible de trouver des fonds, à moins de persuader quelques nobles ou gentilshommes riches et fortunés de lui consentir un prêt, ou de convaincre la Cité. " Nous avons déjà, explique-t-il, dépensé le tiers de trois ans de recettes fiscales, soit 2 500 000. "
Me voilà fort satisfait des discussions de la journée, sauf que je crains de perdre le crédit de sir George Carteret qui sait l'entretien que j'ai ici, dans le privé, toute la journée avec sir Philip Warwick. Quoiqu'il en soit je veillerai à ce qu'il en soit aussi peu offensé que possible.
Chez moi, à mon bureau puis, au lit.
8 avril
Levé, au bureau toute la matinée fort occupé. A midi dîner avec milord Povey. Nous examinâmes ensemble l'une de ses affaires. Me rendis ensuite chez milord le chancelier où je pensais m'entretenir avec le duc d'Albemarle, mais le roi et le Conseil étant occupés, je ne le pus.
A l'ancienne Bourse achetai quatre tours de cou chez ma jolie nouvelle couturière.
Rentré chez moi trouvai ma maison frottée de fond en comble, puis à mon bureau très tard, jusqu'à plus de minuit. Rentrai me coucher.
Les ambassadeurs de France sont arrivés incognito, devançant leur suite qui suivra en grande pompe. On pense qu'ils sont venus afin de convaincre notre roi de se joindre au roi de France pour l'aider dans sa lutte contre la Flandre, tandis qu'eux nous aideraient contre la Hollande. Voilà déjà longtemps qu'une grosse escadre est postée à Harwich. Les Hollandais n'ont pas encore déployé la leur, dit-on. Quant à nous, si notre escadre était défaite, nous aurions beau faire tout notre possible, m'est avis que nous serions incapables de faire appareiller une autre flottille. Dieu nous accorde la paix ! je l'en supplie.
9 avril
Jour du Seigneur
Le matin, à l'église avec ma femme parée de sa nouvelle robe de soie claire, ma foi des plus élégantes, avec sa nouvelle dentelle. Dînai à la maison, puis à Fenchurch l'après-midi. Cette petite église au milieu de Fenchurch Street où se trouvait fort peu de monde et presque aucune personne de rang.
Après le sermon, chez moi. Le soir allâmes marcher dans le parc, et milady Penn et sa fille se promenèrent avec moi. Rentrâmes à la maison manger tous ensemble, et ce fut fort gai, puis nous quittâmes et, au lit.
10 avril
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Levé et chez le duc d'Albemarle, de là au palais de Whitehall à une séance de la commission de Tanger où de nouvelles irrégularités apparaissent dans les comptes de milord Povey, à tel point que je désespère de pouvoir jamais lui succéder aux affaires de la Trésorerie. Le capitaine Cooke vint me trouver et parut mécontent de mon petit valet, Tom qui ne consacre pas assez de temps à son chant et à son luth. A cela je lui répondis sans ambages que selon son désir je m'en allais lui donner une bastonnade. A la Bourse et de là au vieux Jacques pour dîner avec quelques lords afin de discuter de la question du chanvre. Puis à Whitehall pour présenter mes devoirs au roi et au lord chancelier au sujet des dettes de la marine et afin d'obtenir de l'argent. Mais l'entrevue n'eut pas lieu. Milord Brouncker m'emmena donc, ainsi que sir Thomas Harvey, dans sa voiture, au parc, mais la poussière y est fort gênante et on ne vit guère de grandes beautés aujourd'hui, hormis Mrs Myddleton.
Revins à mon bureau où Mr Warren m'offrit 100 livres en échange de ma protection pour un navire qui doit quitter le port. Ce que je ferai, je crois. Rentrai, souper et, au lit.
11 avril
Levé et me rendis très tôt chez l'échevin Chiverton afin de régler le problème du chanvre, puis revins à mon bureau. A midi dînai à la taverne du Soleil, derrière la Bourse, avec sir Edward Dering, son frère et le commissaire Pett, car nous avons ce jour signé un contrat avec sir Edward au sujet du bois. Puis à mon bureau où j'eus fort à faire. Mais à la peine que je me donne vient s'ajouter l'espoir de quelques bénéfices. Rentrai souper et, au lit.
12 avril 1665
Dînai chez moi puis regagnai Whitehall, où je gaspillai le plus clair de mon temps ces jours-ci, et cela ne me vaut que soucis, surcroît de travail, pertes de temps et manque à gagner.
La séance levée, sir George Carteret, milord Brouncker et sir Thomas Harvey descendîmes au cabinet de milord le trésorier afin de le voir ainsi que le duc d'Albemarle. Je leur fis un compte rendu général du coût de la marine et de nos besoins en argent. Ce fut alors un spectacle des plus curieux : ils levèrent les bras au ciel en criant :
" - Mais que signifie tout ceci, Mr Pepys ? C'est la vérité, direz-vous, mais que voulez-vous que j'y fasse ? J'ai donné tout ce qu'il était en mon pouvoir de donner. Pourquoi refuse-t-on de donner de l'argent ? Pourquoi n'accorde-t-on pas au roi la confiance qu'on accordait à Olivier ? Pourquoi nos prises se réduisent-elles à rien, alors qu'elles nous rapportaient tant jadis ? "
Ce fut la seule réponse qu'on nous fit, et nous partîmes sans obtenir davantage. Et c'est ma foi fort triste de voir une époque comme celle-ci, alors qu'on se lance dans la plus grande entreprise jamais envisagée en Angleterre, on se moque de tout, on laisse tout aller à vau-l'eau, tant bien que mal.
Rentré contrarié. En chemin me rendis chez milady Batten. Je vis un grand nombre de femmes dans sa chambre, toutes fort ébaudies. Il y avait, entre autres, milady Penn et sa fille. Milady Penn me renversa sur le lit, se jeta elle-même par-dessus moi, puis avec d'autres, puis chacune à son tour, et on se divertit beaucoup. Rentrai chez moi et priai ma femme de venir souper avec milady Penn, et je fus aussi gai que possible, tout irrité que j'étais. Puis, au lit.
13 avril
Restai au lit un moment quelque peu indisposé par des vents, mais pas outre mesure. Puis à mon bureau toute la matinée. A midi dînai chez le shérif Waterman, étaient présents tous les membres du bureau qui étaient à Londres, ainsi que nos épouses, milady Carteret, ses filles, milady Batten, Penn etc. La chère fut bonne, la compagnie aussi. Le dîner fut accompagné et suivi de musique, un gaillard dansa une gigue, mais lorsque toute la compagnie se mit à danser je m'échappai, de peur d'y être entraîné. Dieu seul sait comment ma femme s'est comportée ! Toujours est-il que je l'ai laissée tenter sa chance.
Rentré, tard à mon bureau, puis chez moi, souper et, au lit.
14 avril
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Levé, de bonne heure chez Mr Povey, désireux de m'être fin à mon inquiétude pour mon affaire de la commission de Tanger et de savoir s'il avait l'intention d'accepter l'offre de milord Ashley, à savoir qu'il redevint trésorier. Je proposai alors, avec un semblant d'extrême générosité, qu'il reprit ses fonctions dans les termes qu'il estimait lui convenir, mais il me jura qu'il n'en ferait rien, au grand jamais, ce qui pour lors me satisfit.
Mais après l'avoir quitté rencontrai Creed dont les paroles me laissèrent craindre que, de par sa nature même, la situation n'exigeât qu'il fut réinvesti dans ses fonctions. Il me fit part des raisons avancées par les comptables qui, je dois l'avouer, coulent tellement de source, que je ne vois guère comment les contrer. Mais il me conseilla le plus ingénieusement du monde la conduite à suivre. Aussitôt, voyant arriver milord Berkeley en compagnie d'autres membres de la commission, bien que ne tenant pas réunion, j'obtins qu'ils donnassent l'ordre du transfert du solde des comptes de Povey à mon nom, ordre s'il est accepté, me sera d'un grand secours dans l'obtention du poste.
A midi chez un traiteur dans Charing Cross avec Creed, où nous pûmes dîner et discuter à loisir. Il me parla fort pertinemment de mon affaire et d'autres, parmi lesquelles le double jeu que joue avec nous William Howe, ce qui nous révéla à l'un et à l'autre qu'il joue différemment devant nous et dans notre dos. Quel fieffé fourbe en vérité.
Retour à Whitehall où passai l'après-midi. Passai chez moi prendre une lettre destinée au Conseil puis retournai à Whitehall. Marchai une heure en compagnie de Mr Wren, secrétaire de milord le chancelier et de Mr Agar. Puis chez Unthank où je passai prendre ma femme. Traversâmes ensemble la Cité jusqu'à Mile End Green pour manger des gâteaux à la crème. Revînmes à la maison, à mon bureau un moment, rentrai souper et, au lit.
Ce matin, la première nouvelle qui frappa mon oreille fut que les flottes, la notre et la hollandaise, s'étaient livré bataille. Qu'à Walthamstrow on avait entendu gronder toute la journée les bouches à feu et que le capitaine Teddema avait eu les jambes emportées par un boulet à bord du Royal Catherine. Mais dans la soirée j'entends le contraire, à la fois par les lettres que j'ai reçues et par les messagers venus de là-bas, à savoir que les nôtres sont tous saufs, que l'ennemi ne s'est pas encore montré, que le Royal Catherine a rejoint la flotte, et ne dépare pas parmi les autres navires du roi, ce dont je me réjouis de tout cœur, à la fois au nom de Christopher Pett et de celui du capitaine Teddeman qui est à son bord.
15 avril
Levé et à Whitehall pour plusieurs affaires, mais tout d'abord pour voir si Creed a fait avancer mes autorisations de paiement pour Tanger. Mais j'apprends, à mon désarroi, qu'elles ne sont pas prêtes. Revins à mon bureau où fus occupé tout l'après-midi et jusque très tard. Rentrai souper et me couchai, las.
à suivre.......................
16 Avril 1665
Restai............