mercredi 5 mai 2021

Le Journal du Séducteur Sören Kierkegaard 13 ( Essai Danemark )










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            C'est assez curieux, la chance a voulu qu'à Ostergade deux pâtissiers se trouvent l'un vis-à-vis de l'autre. Au premier étage, à gauche, loge une petite demoiselle. D'habitude elle se cache derrière une jalousie couvrant le carreau où elle est assise. La jalousie est une étoffe très mince, et celui qui connaît la jeune fille, ou qui l'a souvent vue, s'il a de bons yeux, pourra aisément reconnaître tous ses traits, tandis que pour celui qui ne la connaît pas et qui n'a pas de bons yeux, elle n'est qu'une silhouette sombre. Je suis plutôt dans ce cas, au contraire d'un jeune officier qui, tous les jours, à midi précise fait son apparition dans ces parages et regarde la dite jalousie. 
            C'est elle, au fond, qui d'abord a attiré mon attention sur cette belle communication télégraphique. Les autres fenêtres n'on pas de jalousies, et celle qui, toute solitaire, ne cache qu'un carreau indique généralement que quelqu'un se trouve derrière elle.
            Un matin j'étais à la fenêtre du pâtissier d'en face. Il était juste midi. Sans faire attention aux passants dans la rue, je fixais mes yeux sur cette jalousie-là quand, subitement, la sombre figure commença à bouger. Une tête de femme de profil apparut à la vitre d'à côté, se tournant bizarrement dans le sens de la jalousie. Après quoi la propriétaire salua très amicalement d'un petit mouvement de cette tête et se cacha à nouveau derrière la jalousie. J'en conclus notamment que la personne qu'elle saluait était un homme, car son geste était trop passionné pour être dû à la vue d'une amie, mais j'en conclus aussi que l'objet du salut devait généralement venir du côté opposé. Elle s'était donc placée comme il fallait pour pouvoir le voit à l'avance et même le saluer cachée par la jalousie.
            Parfaitement, à midi juste, le héros de cette petite scène d'amour arrive, notre cher lieutenant. Je me trouve au rez-de-chaussée de la maison où la jeune fille loge au premier étage. Le lieutenant l'a déjà aperçue. Attention, mon cher ami, ce n'est pas si commode que cela de faire un beau salut à un premier étage. Il n'est d'ailleurs pas mal, assez grand, élancé, une belle figure, un nez aquilin, des cheveux noirs et un tricorne seyant. Mais maintenant il est dans l'embarras, les jambes commencent peu à peu à flageoler, elles deviennent trop longues. Pour les yeux, l'effet est comparable au sentiment qu'un mal de dents vous donne : que celles-ci poussent dans la bouche. A concentrer tout son pouvoir dans le regard et le diriger vers un premier étage, on risque d'ôter trop de force aux jambes.
            Pardonnez-moi, Monsieur le lieutenant, si j'arrête ce regard dans son vol vers le ciel. Mais oui, c'est une impertinence. Prétendre que c'est un regard qui en dit long serait faux, il ne compte plutôt pas, bien qu'étant plein de promesses. Mais toutes ces promesses lui montent apparemment trop à la tête, il chancelle ou, pour parler comme le poète à l'égard d'Agnèle, il titube, il tombe. Il ne le mérite pas. C'est bien fâcheux, car lorsque en galant homme on veut émouvoir les dames, il ne faut jamais tomber. Il faut faire attention à ces choses-là si on veut être homme du monde, mais elles sont indifférentes si on se présente simplement comme figure intellectuelle, car on s'enfonce alors en soi-même, on s'effondre et si on tombait réellement personne ne s'en étonnerait.
            Qu'est-ce que ma petite demoiselle a bien pu penser de cet incident ? Il est malheureux que je ne puisse pas être des deux côtés à la fois de ces Dardanelles. Je pourrais bien poster une de mes connaissances de l'autre côté, mais je préfère toujours faire mes observations moi-même, et d'ailleurs on ne peut jamais savoir ce qui peut résulter pour moi-même de cette affaire, et dans ce cas il n'est jamais bon d'avoir un confident car, alors, on perd du temps à lui arracher ce qu'il sait et à le déconcerter.
            Mon bon lieutenant commence réellement à m'ennuyer. Jour après jour il défile là en grand uniforme. Quelle terrible constance ! Est-ce digne d'un soldat ? Mon cher Monsieur, ne portez-vous pas d'arme blanche. N'est-ce pas votre devoir de prendre la maison à l'assaut et la jeune fille de force ? Ah ! si vous étiez un simple bachelier, un licencier ou un vicaire vivant d'espérance, ce serait autre chose. Mais je vous pardonne car, plus je regarde la jeune fille plus elle me plaît. Elle est belle, ses yeux bruns sont pleins d'espièglerie. En attendant votre arrivée sa mine devient rayonnante d'une beauté supérieure qui lui sied au-delà de toute expression. J'en conclus qu'elle doit avoir beaucoup d'imagination, et l'imagination est le fard naturel du beau sexe.


                                                                                Ma chère Cordélia !
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            Qu'est-ce que le désir ? La langue et les poètes font rimer désir et prison. Quelle absurdité ! Comme si celui qui est en prison pouvait brûler de désir ! Si j'étais libre, combien ne le ferais-je pas ! Et, d'autre part, je suis bien libre, libre comme l'oiseau et, croyez-moi, je brûle de désir, je le fais en me rendant chez toi et en te quittant et, même étant assis à ton côté, je brûle du désir de toi. Mais, peut-on donc désirer ce qu'on possède ? Oui, si on pense que l'instant d'après peut-être on ne le possèdera plus. 
            Mon désir est une impatience éternelle. Si j'avais vécu toutes les éternités et gagné la conviction qu'à tout instant tu m'appartiens, c'est alors seulement que je te rejoindrais et vivrais toutes les éternités avec toi. Je n'aurais, certes, pas assez de patience pour être séparé de toi un seul instant sans brûler de désir, mais j'aurais assez de confiance pour rester calme à côté de toi.

                                                                                             Ton Johannes.

                         Ma Cordélia !

            A la porte attend un petit cabriolet qui pour moi est plus grand que le monde entier puisqu'il y a place pour deux. Il est attelé d'une paire de chevaux sauvages et indociles, impatients comme mes passions, hardis comme mes pensées. Si tu le veux, je t'enlève, ma Cordélia ! Un mot de toi sera pour moi l'ordre qui lâchera les guides et l'envie de la fuite. Je t'enlèverai, non pas de quelques hommes pour en rejoindre d'autres, mais en-dehors du monde. Les chevaux se cabrent et la voiture se penche en arrière. Les chevaux à la verticale, presque au-dessus de nos tête, nous enfilons le ciel à travers les nuages, les oreilles nous tintent. Est-ce nous qui restons immobiles et le monde qui tourne, ou est-ce notre envolée aventureuse ? As-tu le vertige, ma Cordélia, tiens-toi ferme à moi qui ne l'aurai pas.
 
            On n'aura plus jamais de vertige spirituel si l'on ne pense qu'à une seule chose, et moi, je ne pense qu'à toi, ni de vertige physique, si l'on ne fixe le regard que sur un seul objet, et moi, je ne regarde que toi. Tiens ferme, même si le monde périssait, même si notre léger cabriolet disparaissait sous nous, serrés dans les bras l'un de l'autre nous planerions quand même dans l'harmonie des sphères.

                                                                                                    Ton Johannes.


            C'est presque trop. Mon valet a attendu dix heures et moi-même deux dans la pluie et le vent, seulement afin de guetter la chère petite Charlotte Hahn. Tous les mercredis, entre deux et cinq, elle va d'habitude voir une vieille tante à elle, et justement aujourd'hui où je souhaitais tant la rencontrer, elle ne vient pas.
            Et pourquoi ce souhait ? Parce qu'elle sait m'imprimer un état d'âme tout à fait particulier. Je la salue, elle fait sa révérence d'une manière à la fois indescriptiblement terrestre et pourtant si sublime. Elle reste presque immobile, comme si elle devait disparaître sous la terre. Son regard, pourtant, semble dire qu'elle est prête à monter au ciel. En la voyant mon âme devient solennelle, en même temps pleine de désir. La jeune fille n'occupe d'ailleurs pas mes esprits et, sauf ce salut, je ne demande rien, voulût-elle me l'offrir. Son salut me met dans une bonne humeur dont je suis ensuite prodigue envers Cordélia.
Toutefois, je parie que, d'une façon ou d'une autre, elle nous a filé sous le nez. 
            Ce n'est pas seulement dans les comédies, mais dans la réalité aussi, qu'il est difficile de surveiller une jeune fille, il fau autant d'yeux que de doigts. Il y avait une fois une nymphe, Cardéa, qui s'appliquait à duper les hommes. Elle se tenait dans des contrées boisées, attirait ses amants dans la brousse la plus dense, et disparaissait. Elle voulut duper Janus aussi, mais c'est lui qui lui donna le change, grâce aux yeux qu'il avait derrière la tête.

            Mes lettres ne manquent pas leur but. Elles développent son âme, sinon son érotisme. Des lettres, d'ailleurs, ne peuvent servir, mais des billets. Plus l'érotisme fait son chemin, plus elles deviennent courtes, mais elles touchent avec plus de certitude au point érotique. Afin de ne pas la rendre sentimentale ou molle, l'ironie, de son côté, raidit les sentiments, et la rend en même temps avide de la nourriture qu'elle préfère. Les billets, au loin et vaguement, font deviner le bien suprême. Nos rapports se rompront à l'instant où ce pressentiment commencera à naître dans son âme. Sous ma résistance il prendra forme en elle, comme si c'était sa propre pensée, une impulsion de son propre cœur. Et c'est ce que je veux.

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            Il existe une petite famille ici, à Copenhague, comprenant une veuve et ses trois filles. Deux d'entre elles apprennent aux Cuisines du Roi. Un après-midi, au début de l'été, vers cinq heures, la porte du salon s'ouvre doucement et un regard scrutateur fait le tour de la pièce. Il n'y a personne, sauf une jeune fille au piano. On entrebâille la porte pour prêter l'oreille sans être vu. Ce n'est pas une artiste qui joue, dans ce cas on aurait sans doute refermé la porte. Elle joue une mélodie suédoise dont les paroles parlent de la jeunesse et de la beauté trop brèves, elles raillent la jeunesse et la beauté d'une jeune fille et celle-ci raille les paroles.
            Qui a raison ? La jeune fille ou les paroles ? La musique est si douce, si triste, comme si la mélancolie était l'arbitre chargé de trancher le conflit. Mais elle a tort, cette mélancolie. Quoi de commun entre la jeunesse et ces réflexions ? Entre le matin et le soir ? Les touches vibrent et frémissent, les esprits sonores du piano surgissent en désordre et ne se comprennent pas mutuellement. Ma Cordélia pourquoi cette véhémence, dans quel but cette passion ?
            A quel distance dans le temps un événement doit-il être éloigné pour qu'on s'en souvienne, et à quelle distance pour que le désir nostalgique du souvenir ne puisse plus l'atteindre ? La plupart des gens ont des bornes à cet égard. Ils ne peuvent pas se souvenir de ce qui leur est trop proche dans le temps, ni de ce qui leur est trop éloigné. Pour moi les bornes n'existent pas. Je recule de milliers d'années ce qui fut vécu hier, et je m'en souviens comme si c'était d'hier.

                                                                                                      Ton Johannes.

                                      Ma Cordélia !

            J'ai un secret à te confier, mon amie intime. A qui pourrais-je le confier ? A l'écho ? Il le trahirait. Aux étoiles ? Elles sont glaciales. Aux hommes ? Ils ne le comprennent pas. Il n'y a que toi à qui j'ose le confier, car tu sais l'oublier.
             Il existe une jeune fille plus belle que le rêve de mon âme, plus pure que la lumière du soleil, plus profonde que la source des mers, plus fière que le vol de l'aigle, il existe une jeune fille, Oh !
            Penche ta tête vers mon oreille et vers ma voix, pour que mon secret puisse s'y faufiler. J'aime cette jeune fille plus que ma vie, car elle est ma vie. Je l'aime plus que tous mes désirs, car elle est mon seul désir, plus que toutes mes pensées, car elle est mon unique pensée. Plus ardemment que le soleil aime les fleurs, plus intimement que le chagrin secret de l'âme en peine, plus impatiemment que le sable brûlant du désert aime la pluie. Je suis attaché à elle avec plus de tendresse que le regard de la mère à l'enfant, avec plus de confiance qu'une âme en prière. Elle est plus inséparable de moi que la plante de sa racine.
            Ta tête s'alourdit, devient pensive, elle s'affaisse sur la poitrine, la gorge se soulève pour la secourir, ma Cordélia ! Tu m'as compris, exactement, à la lettre, sans perdre un mot ! Dois-je tendre les cordes de mon oreille pour permettre à ta voix de m'en assurer ? Un doute, serait-il possible ? Garderas-tu ce secret ? Oserai-je compter sur toi ? On parle de gens qui, par des crimes horribles se vouaient l'un l'autre au silence. A toi j'ai confié un secret qui est ma vie et la substance de ma vie. N'as-tu rien à me confier qui soit assez important, assez beau, assez chaste pour que des forces surnaturelles s'agitent si le secret en est trahi ?

                                                                                                        Ton Johannes.

                             Ma Cordélia !

            Le ciel est couvert, de sombres nuages chargés de pluie, comme des sourcils noirs, sillonnent son visage passionné, les arbres dans la forêt s'agitent, ballotés par des rêves troubles. Pour moi, tu t'es égarée dans la forêt. Derrière chaque arbre je vois un être féminin qui te ressemble, mais quand je m'approche il se cache derrière un autre. Ne veux tu pas te montrer à moi, te ramasser sur toi-même ? Tout se brouille pour moi. Chaque élément isolé de la forêt perd son contour, tout n'est qu'une mer de brouillards dans laquelle des êtres féminins, qui te ressemblent, paraissent et disparaissent. Ce n'est pas toi que je vois, tu t'engloutis toujours dans les vagues de la vision, et pourtant, chaque image dans laquelle je crois te voir, me rend déjà heureux. A quoi cela tient-il ? Est-ce à la riche unité de ta nature, ou à la pauvre complexité de la mienne ? T'aimer, n'est-ce pas aimer un monde ?

                                                                                      Ton Johannes.

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  J'aurais vraiment beaucoup d'intérêt à reproduire exactement mes conversations avec Cordélia. Mais je vois bien que c'est impossible car, même si je réussissais à me souvenir de chaque parole échangée entre nous, il est naturellement impossible de rendre l'ambiance qui, au fond, est le nerf de la conversation, les surprises reflétées par les exclamations, la passion, principe vital de la conversation. 
            Naturellement je ne me prépare pas pour ces entretiens, ce qui serait contraire au caractère même d'une conversation, surtout d'une conversation érotique. Seulement j'ai toujours " in mente " le contenu de mes lettres, de même que l'état d'âme créé chez elle par ces lettres est toujours présent à mon esprit.
Certes, je n'irai jamais lui demander si elle les a lues. Il m'est d'ailleurs facile de m'en assurer. Je ne lui en parle jamais directement, mais je maintiens une communication secrète avec elles dans ma conversation, aussi bien pour renforcer quelque impression dans son âme, que pour la lui arracher et ainsi l'égarer. Elle peut alors relire la lettre et en avoir une autre impression, et ainsi de suite.
            Elle a changé et elle continue à changer. Si je devais définir l'état de son âme, je dirais qu'actuellement il est de l'audace panthéiste. On le voit immédiatement dans son regard. Les espérances qui s'y reflètent sont audacieuses, presque téméraires, comme si ce regard, à tout instant, exigeait et pressentait l'extraordinaire. Comme un regard qui voit au-delà de soi, celui-ci voit au-delà de ce qui se montre immédiatement à lui voit le merveilleux. Audacieux, presque téméraire, mais non par confiance en lui-même c'est, par conséquent, un regard de rêve et de prière, non pas fier et impérieux. 
            Elle cherche le merveilleux en-dehors d'elle, elle le priera de se montrer comme s'il n'était pas en son propre pouvoir de le faire surgir. Il faut empêcher cela, car autrement je prendrais trop tôt de la prépondérance sur elle. Elle me disait hier qu'il y avait quelque chose de royal dans ma nature. Peut-être se courbera-t-elle, mais il ne le faut pas, à aucun prix. Sans doute, ma chère Cordélia, y a-t-il quelque chose de royal dans la nature, mais tu ne devines pas quel est le royaume sur lequel je règne. 
            C'est celui des tempêtes des états d'âme. Comme Eole, je les tiens enfermées dans l'antre de ma personnalité, et j'en déchaîne tantôt une, tantôt une autre. La flatterie lui donnera le sentiment de sa dignité, la différence entre le mien et le tien sera gardée, et tout lui sera attribué. Mais il faut une grande prudence si on veut flatter. Il faut parfois se placer sur un piédestal très haut, mais de façon qu'il en reste un plus haut encore, parfois il faut faire très peu de cas de soi-même.
            Pour un but spirituel la meilleure voie est la première, pour un but érotique la seconde. Me doit-elle quelque chose ? Mais rien. Pourrais-je le souhaiter ? Nullement. Je suis trop expert, j'ai trop de connaissance de l'érotisme pour une telle ineptie. Mais si elle avait réellement une dette envers moi, je ferais tout ce qui est mon pouvoir pour qu'elle l'oublie et endormir mes propres pensées à cet égard. Toute jeune fille par rapport au labyrinthe de son cœur est une Ariane qui tient le fil grâce auquel on peut s'y retrouver, mais elle ne sait s'en servir elle-même.


                                                                       à suivre...........
     

dimanche 2 mai 2021

Yoga Emmanuel Carrère ( Roman France )

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                                                                    Yoga

       




            Si mises au pilori les vritti quel combat pour l'auteur pressé de retrouver un semblant de calme afin de retendre sa pensée vers de nouvelles idées prêtes à combler l'ouvrage en cours ou simplement projeté. Ainsi Emmanuel Carrère, après dix années prolifiques, il écrivit cinq romans sans problème, tombe dans une mélancolie et un questionnement douloureux qui l'assèchent, bloquent toute pensée positive. En 2015 l'auteur est atteint d'une dépression grave, et les événements s'y prêtent. Il choisit de faire une retraite dans un centre enfoui loin du bruit de toutes agglomérations. Centre Vipassana.Yoga très strict, pas de téléphone personnel, pas de livre, pas même de quoi écrire. Soumis au régime longue méditation assis sur le zufu, petit coussin, silencieux, pas de conversation et nourriture légère. Venu pour écrire ce qu'il pensait un petit livre souriant et subtil sur le yoga, il se contente d'approfondir les techniques de méditation, notamment le souffle dans les narines, ce qu'il fit très sérieusement et lui fit décrire également un peu plus loin la méthode de concentration pour le corps, le souffle passant des os aux muscles, à la chair. " Toute personne qui pratique un art martial comprend à un moment ou à un autre qu’il ne s’agit pas de réussir une performance mais de faire advenir quelque chose à l’intérieur de soi......... " Brutalement interrompu le stage le ramène à Laroche Migennes, il quitte le Morvan après un appel familial auprès du maître du centre. L'effroyable carnage de Charlie Hebdo et des attentats qui suivirent, obligent l'auteur à retrouver le monde réel. Il sombre. Bipôlaire, il souffre et son internement à Sainte Anne, psychiatrie, avec électrochocs est ordonné et kétamine. Mais l'histoire porte aussi sur les différentes formes de yoga et de taï-chi également pratiqué par Em manuel Carrère. Pages Intéressantes . Alors que son couple se délite il prend un appartement proche des grands boulevards et raconte son interview par un journaliste américain qui pensera qu'il aurait dû prendre dans ses bras cet homme si visiblement en cours de destruction. " Cette horreur qui rôde sous la surface de ma vie, est-ce que la méditation peut l’apprivoiser........" Plus tard vacances familiales sur une île grecque qu'il quitte pour une autre île, Léros, avec un sac à l'épaule pour tout bagage. Maitrisant ce qu'il nomme " Un Ego encombrant ", dernier épisode dans ce lieu de passage pour des migrants. Le périple de quatre d'entre eux est raconté et celui triste de celle qui leur donne des cours d'anglais, Erika. Un jour d'automne l'auteur décide de quitter l'île. Au retour d'une conférence, se promenant sur l'île de Majorque " On continue à ne pas mourir, tant qu’on peut.......On croit qu’on a épuisé son crédit et que plus rien n’arrivera........ Un jour pourtant quelque chose arrive........ " Le lithium participe également au retour à l'écriture et à la vie. Le livre est assez long, plus de 300 pages, de nombreux retours en arrière, le livre d'un auteur cultivé, Patanjali et Plutarque apparaissent. Succès en librairie et très bonne lecture.







vendredi 30 avril 2021

Anecdotes et Réflexions d'hier pour aujourd'hui 141 Samuel Pepys ( Jourrnal Angleterre )

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                                                                                                               16 Mai 1665

            Levé tôt. Chez le duc d'Albemarle muni du compte rendu de mes démarches d'hier consignées par écrit. Derechef à mon bureau. Eus fort à faire toute la matinée. Après dîner en voiture voir Mr Povey, bref entretien, puis revins chez moi où je fus pris par la rédaction de lettres jusqu'à minuit et au-delà. Rentrai, souper puis, au lit, fort las.

                                  
                                                                                                                          17 mai

            Levé et, sur rendez-vous, à une réunion avec sir John Lawson, les avocats de Mr Cholmley, et Mr Povey, à la taverne du Cygne à Westminster, pour satisfaire leur requête au sujet de mon cautionnement pour le paiement d'une somme à sir John Lawson en l'absence de l'autre.
            Puis chez Langford, où je n'étais point retourné depuis la mort de mon frère, trouvai ma femme et Mercer qui s'étaient entendues pour me choisir deux costumes de soie magnifique, dont j'ai grandement besoin, mais la somme à payer est trop élevée, je le crains. Mais voilà qui est fait, ainsi soit-il. C'est, entre toutes les dépenses, celle qui m'agrée le mieux et la moins inutile.
            Puis chez moi. Après dîner au bureau, fort tard, puis chez moi, souper et, au lit.
            Sir John Mennes et moi-même avons cherché querelle au commissaire Pett, cet après-midi, pour avoir négligé ses devoirs et s'être absenté de chez lui à Chatham, sans que nous le sachions. De jour en jour sa fourberie m'apparaît davantage, à quoi s'ajoutent ses faux-fuyants.
            La flotte doit être, à n'en point douter, parvenue à Harwich à présent. Sir William Batten s'y est rendu aujourd'hui, et la duchesse d'York hier, pour retrouver le duc.


                                                                                                                           18 mai
   
            Levé et, avec sir John Mennes, chez le duc d'Albemarle. Fîmes une vaste besogne, ce dont je suis fort satisfait. Interrogeâmes, entre autres, Nixon et Stanesby qui, récemment, avaient fui le combat avec deux vaisseaux hollandais, ce pour quoi ils seront placés à bord d'un navire qui les mènera auprès de la flotte pour y être jugés. C'est, de la part de Nixon, un acte de couardise des plus vils et des plus détestables. Puis le duc d'Albemarle me prit dans son carrosse et chez milord le trésorier où nous nous trouvâmes devant le roi qui, dorénavant, m'appelle par mon nom, le lord chancelier et de nombreux autres nobles lords, pour discuter du projet d'assurer certains approvisionnements pour le roi. A l'issue de quoi ce dernier accepta ma proposition de prendre une assurance. Partis donc fort satisfait.
            A mon bureau, puis dînai. Derechef à mon bureau, puis ressortis pour m'entretenir avec sir George Carteret. Dieu du ciel ! suis-je donc à ce point faible, à ce point le jouet de mes vanités, que j'ai si grand peine à renoncer à la quête du plaisir, si pressante soit la contrainte de mes affaires ! Mais je rentrai chez moi et travaillai fort tard. Eus, entre autres, une entrevue avec Mr Andrews au sujet de notre affaire de Tanger, où diverses embûches sont à prévoir, dont la tentative de milord Belalyse de nous supplanter. Voilà qui me chagrine. Quoi qu'il en soit, notre entreprise est si noble que nous sommes prêts à en découdre pour elle. Rentrai, souper puis, au lit.


                                                                                                                 19 mai 1665
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            Levé et à Whitehall où se réunit la commission de Tanger. Eus là les plus grandes peines du monde à éviter que notre entreprise n'échouât, et parvins à la faire ajourner. Bien que son mérite parût évident et que toute la compagnie, ou presque, y fût favorable, milord Arlington étant le principal manœuvrier, contre qui j'étais chagrin de devoir arguer avec vigueur. L'entreprise, je le crains, finira par ne pas aboutir, et tout sera perdu. Je dois m'efforcer, du mieux que je le peux, de trouver de l'argent autrement. Je fus navré de voir Creed s'y opposer si farouchement, mais je ne peux guère l'en blâmer, vu que je ne lui ai jamais dit qu'elle me tînt à cœur. 
            Mais mon inquiétude majeure est que milord Arlington me manda auprès de lui, dans le privé, et me demanda si j'avais confié, à qui que ce fût, mon désir de me défaire de cette tâche, n'ayant point de temps à y consacrer. Je lui fis répondre que non, que cette affaire une fois résolue, n'exigerait point qu'on y consacrât beaucoup de temps. Il me dit alors qu'il démentirait, et ce devant le roi, l'information qui lui avait été faite, ce dont je le priai instamment, 
            Il me rappela et me demanda si je disposais d'amis dans l'entourage du Duc et si, comme je me tenais sur mes gardes, Mr Coventry n'était pas de mes amis. Je lui répondis que j'avais reçu maints témoignages d'amitié de sa part. Il me conseilla de faire en sorte que le Duc, dans sa prochaine lettre à Coventry, lui écrivît de me maintenir dans mes actuelles fonctions, ceci afin d'éloigner tout obstacle. Je promis de le faire, et remerciai.
            Le quittai, fâché au premier chef, et ne sachant que penser de la conduite de milord Arlington. 
            A l'Echiquier où je reçus mes tailles à concurrence de 17 500 £. C'est le premier paiement que m'ait jamais fait l'Echiquier.
            A la Jambe, dépensai 14 shillings pour mes vieilles connaissances, certaines des commis.
            Chez moi, en voiture avec mes tailles, craignant à chaque instant d'en laisser choir une ou de m'en faire dérober.
            Chez moi, toujours soucieux, repris une voiture avec sir William Warren pour me tenir compagnie, pensant soumettre l'affaire à milord Arlington pour en connaître le fin mot, mais le manquai. Puis confiai la chose à sir William Warren. Il me donna plusieurs bons conseils et notamment de ne rien faire avec précipitation, mais d'attendre que la nuit me portât conseil....... 
            Derechef chez moi mais, n'étant point dispos pour le travail emmenai ma femme et Mercer, par le fleuve, à Greenwich, à 8 heures, par une belle soirée fraîche puis, au clair de lune, traversée fort agréable. Mangeâmes un ou deux gâteaux, puis rentrâmes vers 10 ou 11 heures du soir et, au lit, l'esprit agité et ne sachant que penser.


                                                                                                                               20 mai

            Levé et à mon bureau, travaillai toute la matinée. A midi dînai chez moi, puis au bureau, fort affairé et jusqu'à plus d'une heure du matin
                                                                                                                            21 mai
                                                                                                          Jour du Seigneur
à mon courrier destiné à la flotte et à d'autres. L'esprit déchargé de diverses affaires, rentrai me coucher et dormis jusqu'à 8 heures.
            Me levai donc. Aujourd'hui on me livra l'un de mes nouveaux habits de soie, celui qui est uni et taillé dans un très beau camelot, ma foi fort élégant. L'essayai, il me plaît, mais ne le mis point d'emblée . Je n'allais pas à l'église aujourd'hui. Le rangeai donc, puis me ravisai pensant aller voir milady Sandwich. Me mis donc en chemin, puis fis halte et revins dîner chez moi. Après dîner, montai dans mon cabinet de travail afin d'ajuster les comptes de Tanger, puis à mon bureau afin de faire de même avec d'autres documents. Le soir rentrai souper et, au lit.


                                                                                                                            22 mai

            Levé. Descendis auprès des navires que voilà empêchés à présent de rejoindre la flotte ( à notre honte et désarroi ) avec leur cargaison, le vent étant contraire. Chez le duc d'Albemarle, puis redescendis la rivière jusqu'à Deptford, car aujourd'hui est lundi de Trinity House, c'est-à-dire jour de l'élection du grand maître pour l'année qui vient. Là, à ma grande satisfaction, pus constater que le Duc, s'opposant à la pratique et à l'opinion de sir William Batten qui, au mépris des us et coutumes de la corporation, voulait élire sir William Rider ou sir William Penn en passant par-dessus la tête de
Hurlestone, que je crois d'ailleurs être un gredin. Les frères cadets votèrent tous contre les frères aînés qui, fort échauffés, assurèrent la victoire de Hurlestone. M'est avis que le Duc en sera blessé en son for intérieur.
            Puis, l'élection terminée, à l'église. Sermon oiseux de ce vaniteux Dr Breton, exception faite de son plaidoyer en faveur de l'unité et contre la jalousie ou la discorde au sein d'un même peuple, ce qui est fort opportun.
            De là à pied à Rotherhite, puis à Trinity House. Là banquet, comme le veut l'usage, puis à mon bureau, travaillai tout l'après-midi, fort tard, puis chez moi et, au lit, l'esprit agité à plusieurs chefs. D'abord en raison de la situation où se trouve la flotte qui manque de subsistances et de l'opprobre qui en résulte pour les membres du bureau, et de la honte bien méritée qu'ils se sont attirée du fait que les navires n'ont pas quitté le fleuve, ensuite au sujet de mon affaire de Tanger, toujours non résolue. Enfin par crainte qu'on ne m'ait pas vu récemment travailler à mon bureau autant qu'il l'aurait fallu. Encore que la seule chose qui ait occasionné mon absence soit le temps consacré à Tanger, par ailleurs assez bref.


                                                                                                                    23 mao 1665

            Levé et à mon bureau, fort pris toute la matinée. A midi dînai seul, ma femme et ma mère ayant été invitées à dîner chez l'ancien serviteur de ma mère, Mr Cordery, qui leur fit bon accueil. Ensuite chez Mr Povey, parlâmes un moment affaires, puis rentrai et à mon bureau, fort occupé.
            Sir Arthur Ingram vint me trouver, tard, pour m'informer que selon des missives d'Amsterdam datées du 28 de ce mois-ci, d'après leur calendrier, la flotte hollandaise, soit environ une centaine de bâtiments de guerre, brûlots non compris, etc, fit voile en dates du 23 et du 24 du mois, en 7 escadres......


                                                                                                                            24 mai

            Levé à 4 heures du matin. Jusqu'à midi, sans discontinuer, avec Will Hewer remis des papiers en ordre. Puis au café avec Creed, où je ne suis point allé depuis longtemps et où la seule nouvelle est celle de la sortie des Hollandais et de la peste qui progresse à Londres ainsi que des rumeurs à y apporter, chacun donne un avis différent.                                                                        
            Rentrai dîner, après avec Creed chez Colvill pensant lui     * témoigner tout le respect possible et l'obliger en lui portant cinq tailles de 5 000 £ l'une, espérant obtenir de lui un crédit au moins égal à celui qu'il avait accordé à Povey pour Tanger. Mais ce sot impertinent se met à ergoter, jamais de ma vie n'ai entendu homme plus ignorant. Par chance est arrivé Mr Vyner qui me parut fort pondéré, mais ne put faire entendre raison à cet âne. Repartis donc avec mes tailles et à mon bureau, mécontent, fort tard. Rentrai, souper et, au lit.

                                                                                                                                                                                                     25 mai

            Levé, à mon bureau toute la matinée. A midi dînai à la maison, puis à mon bureau tout l'après-midi, occupé jusqu'à près de minuit. Rentrai, souper et, au lit.


                                                                                                                              26 mai

            Levé à 4 heures et à mon bureau toute la matinée avec Will Hewer à finir de ranger mes papiers depuis si longtemps en désordre. A midi chez mon libraire où je commandai un ou deux ouvrages. Chez moi, dîner avec Creed, et après allâmes chez l'échevin Backwell pour tenter d'en obtenir de l'argent, ce qu'il refusa d'emblée, et n'en démordit pas, à ceci prés qu'il se radoucit quelque peu à la fin. Mais à la vérité je crois que je serai bien en peine de me procurer de l'argent. Chez moi, le soir par le fleuve chez le duc d'Albemarle que je trouvai de fort méchante humeur d'avoir appris que les navires n'ont pas quitté le fleuve. J'en suis aussi navré, d'autant que, je le crains, nous devons nous attendre à une relève ou à la désignation de nouveaux officiers si, bien que dorénavant je suis résolu à me montrer éminemment utile en vaquant à ma charge comme il se doit, sans jamais frotter à cette affaire de Tanger. A mon bureau un moment, rentrai souper, irrité et, au lit.


                                                                                                                         27 mai

            Levé, à mon bureau toute la matinée. A midi dînai chez moi et derechef à mon bureau, très tard. Puis, au lit, l'esprit absorbé par les affaires de cette charge et inquiet au sujet de celles de Tanger pour lesquelles Mr Povey est venu, mais il m'est de peu de secours et ne fait qu'accroître les raisons que j'ai de m'inquiéter. Ainsi, n'était-ce notre affaire de Plymouth, je m'en débarrasserais avec joie.


                                                                                                                              28 mai
                                                                                                         Jour du Seigneur
            Par le fleuve chez le duc d'Albemarle, où j'apprends que Nixon est condamné à être fusillé pour sa couardise par un conseil de guerre. A la chapelle où j'entendis un peu de musique, rencontrai Creed, fis quelques pas avec lui, puis entrai chez Wilkinson, gêné par des renvois. A midi allai dîner chez Philip Warwick où une nombreuse compagnie arriva à l'improviste. Je vis à ce propos un ustensile de ménage fort ingénieux. Comme la compagnie augmentait on ajouta une rallonge à une table ovale.
            Après dîner conversai à loisir avec sir Philip que j'estime être un homme de cœur, fort pieux et qui, de surcroît, professe une règle de vie et des principes philosophiques dignes d'Epictète, qu'il cite en maintes occasions. Puis chez milady Sandwich où, à ma honte, je n'étais pas allé depuis fort longtemps. 
            Entrepris de lui narrer l'histoire de milord Rochester qui enleva dans la nuit de vendredi dernier Mrs Malet, grande beauté, et riche héritière de l'Ouest, qui avait soupé à Whitehall avec Mrs Stuard et regagnait ses appartements avec son grand-père, milord Hawley, en carrosse et fut pris en embuscade à Charing Cross, par des hommes à pied, d'autres à cheval. On l'arracha de force à milord, on la mit dans un coche à six chevaux où deux femmes l'attendaient pour prendre soin d'elle et on l'enleva.
            Immédiatement poursuivi, milord Rochester, dont le roi avait souvent parlé en termes élogieux à la demoiselle, mais en vain, fut arrêté à Uxbridge. Quant à la dame point de nouvelle. Mais le roi est fort en colère et le lord a été envoyé à la Tour
            Après milady m'avoua en grand secret qu'elle s'intéressait à cette histoire, car si le projet d'union entre elle et milord Rochester casse alors, et tous les amis de la dame s'accordent à le penser, milord Hinchingbrooke sera bien placé et sera invité à la rencontrer.
            La fortune de la dame, du moins à la mort de sa mère qui lui lègue pratiquement tout, à 2 500 £ de rente annuelle. Dieu permette le succès de l'entreprise. Mais ma pauvre milady Sandwich qui redoute la maladie et avait résolu de partir pour la campagne, est contrainte de rester en ville un à trois jours de plus afin de suivre les événements.
            Chez moi puis visitai milady Penn qui nous fit voit, à ma femme et moi, une belle curiosité : des poissons vivant dans un bocal rempli d'eau et qui pourront y demeurer ainsi fort longtemps. Ils sont ornés de délicats motifs, n'étant point de chez nous.
            Puis souper à la maison et, au lit.
            Après avoir rencontré pour affaires de nombreuses personnes, parmi lesquelles les deux Bellamy au sujet de la vieille dette contractée à leur endroit par le roi pour leur fourniture de subsistances, ce dont j'espère tirer quelque argent.


                                                                                                                                  29 mai
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            Tardai au lit souffrant de mes vents et de coliques. Levé puis chez le duc d'Albemarle et de là au Cygne, chez Herbert me désaltérai. Chez moi en voiture, aujourd'hui étant férié dans toute la Cité, jour anniversaire de la naissance de la restauration du roi. A mon bureau où je restai observer Simpson le menuisier faire quelques travaux, de menues besognes, afin d'embellir mon cabinet et de fixer quelques belles gravures que Burston m'avait faites contre paiement. 
 

          Chez moi, dîner puis à Woolwich avec ma femme, ma mère et Mercer qui prirent une embarcation et moi une autre. De Greenwich je rentrai à pied pendant que le reste de la compagnie fit, en attendant mon retour, des allées et venues sur le fleuve. Revins, n'ayant guère avancé mes affaires. Chez moi puis souper et, au lit.
            Nous avons fait des prises un peu partout. Nos navires marchands ont eu le bonheur de rentrer saufs, des charbonniers du Nord, ainsi que, récemment, des bateaux de la Méditerranée. Nos navires hambourgeois, pour lesquels nous craignions tant, sont en sûreté à Hambourg. Notre flotte a résolu de faire à nouveau voile au départ de Harwich d'ici un à deux jours.


                                                                                                                   30 mai 1665

            Dormis tard. Fort occupé toute la matinée. A midi à la Bourse puis dîner chez sir George Carteret afin d'aviser au sujet de l'assurance de nos provisions à bord des navires hambourgeois. Fort bon repas à la française et à peu de frais, nous deux, plus milady et quelqu'un de sa maison.
            Rentrai, écrivis des lettres. Le soir, en voiture, allâmes faire notre tour habituel, ma femme, ma mère, Mercer et moi, avant d'aller manger à la vieille auberge d'Islington. Grand Dieu ! ma mère se mettait à parler de la moindre chose qui lui rappelait de vieilles histoires. Rencontrai quelqu'un dont j'appris que Jack Cole, mon ancien camarade d'école, était depuis peu mort et enterré, d'une phtisie, c'était un de mes bons compères.
            Rentrai de nouveau et à mon cabinet, rédigeai des lettres. J'apprends, à ma grande inquiétude, que nos navires de Hambourg qui transportaient des approvisionnements pour la marine du roi et des marchandises pour des négociants, que que peu, à concurrence de 200 000 livres, sont perdus. Puis, vers 11 heures, fus appelé depuis le jardin milady Penn et sa fille. Fîmes une promenade ensemble, avec ma femme, jusqu'à près de minuit. Puis, rentrai, scellai mes lettres et, au lit.


                                                                                                                          31 mai

            Levé, à mon bureau et à Westminstère. Travaillai jusqu'à midi, puis à la Bourse où la nouvelle de la perte de nos navires hambourgeois cause grand émoi et inquiétude. On en attribue largement la responsabilité à ce que Mr Coventry aurait oublié de les prévenir que notre flotte avait quitté les côtes hollandaises. A tort, car il l'a fait, mais les marchands n'étant point prêts restèrent plus longtemps qu'on ne leur avait prescrit, à savoir dix jours. 
            De là chez moi, dîner avec Creed et Mr Moore. On se quitta, puis je m'entretins avec Creed de nos histoires d'argent pour Tanger, qui me préoccupent. Puis à Gresham College, restai fort peu, repartis. Chez moi où j'eus fort à faire et très tard en cette fin de mois, avec mes comptes, compliqués par Tanger qui vient s'y ajouter, si bien, chose que je n'ai pas faite depuis un an et aurais volontiers souhaité ne pas faire aujourd'hui, que je ne les fis point. M'en chargerai dès que possible. Puis, las et ensommeillé, au lit.
            Ai essayé, mais en vain, de voir sir Thomas Ingram à Westminster, si bien que je suis allé chez Huysmans, le peintre, à qui j'avais l'intention de demander de faire le portrait de ma femme, mais il n'était point chez lui. Vis cependant de fort beaux tableaux.

*    perezartsplastiques.com

                                                                       à suivre...........

                                                                                                                              1er Juin 1665

            Levé, à...........

            
                      

mercredi 28 avril 2021

Lies César Vallejo ( Poème Pérou )

 


                                Lies

            Il pleut comme jamais cette après-midi ; et je n'ai
            pas envie de vivre, mon cœur.

            Cette après-midi est douce. Pourquoi ne le serait-elle pas ?
            Elle est vêtue de grâce et de peine ; vêtue comme une femme.

            Il pleut cette après-midi à Lima. Et je me rappelle
            les cavernes cruelles de mon ingratitude ;
            mon bloc de glace sur son coquelicot,
            plus fort que son " Ne sois pas ainsi ! "

            Mes orageuses fleurs noires ; et le soufflet
            énorme et terrible ; et le moment glacial.
            Le silence de sa dignité mettra
            avec des huiles brûlantes le point final.

            C'est pourquoi cette après-midi, comme jamais,
            j'ai en moi ce hibou, mon cœur.

            Et d'autres passent ; et me voyant si triste,
            elles prennent un petit peu de toi
            dans la ride abrupte de ma profonde douleur.

            Cette après-midi, il pleut, il pleut beaucoup. Et je n'ai
            pas envie de vivre, oh mon cœur !


images amicalesgms.blogspot.com

                              César Vallejo
                                                      ( in Poésies complètes )

                                      

jeudi 22 avril 2021

Le Journal du Séducteur Sören Kierkegaard 12 ( Essai Danemark )

 wish.com







    



                Ai-je tort de fixer mes yeux sur le beau mouchoir brodé que vous avez à la main au lieu de regarder le pasteur ? Avez-vous tort de la tenir ainsi ?... Il y a un nom dans l'angle... Vous vous appelez Charlotte Hahn ? Il est très séduisant d'apprendre le nom d'une dame de cette manière accidentelle. C'est comme s'il y avait un esprit compatissant qui, secrètement, me faisait faire votre connaissance... Ou n'est-ce pas par hasard que le mouchoir se plie de façon à me faire voir votre nom ?... Etes-vous émue, vous essuyez une larme... Le mouchoir flotte à nouveau... Vous vous étonnez que je vous regarde et non pas le pasteur. Vous regardez le mouchoir et vous comprenez qu'il a trahi votre nom... Mais il s'agit d'une affaire très innocente, il est si facile de se procurer le nom d'une jeune fille... Pourquoi donc vous en prendre au mouchoir, pourquoi le chiffonner et vous fâcher contre lui ? Pourquoi vous fâcher contre moi ? Ecoutez ce que dit le pasteur : " Que personnes n'amène un autre en tentation, celui aussi qui le fait tout en l'ignorant, celui-là aussi a une responsabilité, lui aussi a une dette vis-à-vis de l'autre dont il ne peut s'acquitter que par un renfort de bienveillance... " Maintenant il dit " Amen ".
            Hors de la porte de l'église vous oserez bien laisser le mouchoir flotter librement au vent... Où avez-vous pris peur de moi ? Mais qu'ai-je donc fait ?... Ai-je fait quelque chose que vous ne puissiez pardonner, plus que ce que vous oserez vous rappeler, afin de le pardonner.

            Une double manœuvre me sera nécessaire dans mes rapports avec Cordélia. Si je ne fais que fuir devant sa suprématie, il serait bien possible que l'érotisme en elle devienne trop mou, trop inconsistant pour permettre à la plus profonde féminité de se dégager distinctement. Elle serait alors incapable  d'offrir de la résistance lorsque commencera la seconde lutte. Il est bien vrai que la victoire lui vient en dormant, mais c'est aussi ce que je veux. En revanche, il faut qu'elle soit continuellement réveillée. Alors lorsqu'un instant elle aura l'impression que la victoire lui a été à nouveau arrachée, elle devra apprendre à n'en pas démordre. C'est dans ce conflit que sa féminité mûrira. La conversation pourrait servir à l'enflammer, des lettres à la tempérer, ou inversement, ce qui à tous égards serait préférable. Je peux alors jouir de ces instants les plus intenses. Une lettre reçue et le doux venin étant passé dans son sang, une parole suffira pour déchaîner l'amour. L'instant d'après l'ironie et le givre jetteront le doute dans ses esprits, ce qui n'empêchera pas qu'elle continue à croire en sa victoire et qu'à la réception d'une seconde lettre elle la croira accrue. L'ironie ne trouve pas non plus aussi bien sa place dans des lettres, car on court le risque de ne pas se faire comprendre d'elle. Les rêveries ne s'adaptent que par éclairs à une conversation. Ma présence personnelle empêchera l'extase. Si je ne suis présent que dans une lettre, elle peut mieux s'en accommoder, elle me confondra jusqu'à un certain point avec un être plus universel qui habite son amour.
            Dans une lettre on peut aussi mieux se démener, là on peut le mieux du monde se jeter à ses pieds, etc., ce qui, aisément, ressemblerait à du galimatias si je le faisais personnellement, et l'illusion serait perdue. La contradiction dans ces manœuvres provoquerait et développerait, fortifierait et consoliderait l'amour en elle, le tenterait.
            Pourtant ces lettres ne doivent pas prématurément adopter un fort coloris érotique. Il vaut mieux que pour commencer elles aient une empreinte plus universelle, qu'elles contiennent une ou deux indications à mots couverts et éloignent quelque doute possible. Occasionnellement elles indiqueront aussi l'avantage des fiançailles pour autant qu'elles peuvent écarter les gens en les mystifiant. D'ailleurs, l'occasion ne lui manquera pas de s'apercevoir de leurs défauts. Et, à côté de cela, j'ai la maison de mon oncle qui peut toujours me servir de caricature. Cordélia ne saurait engendrer l'érotisme profond sans mon aide. Et, si je le lui refuse, et si je permets à cette parodie de la tourmenter, elle perdra bien le goût d'être fiancée sans pouvoir, toutefois, dire qu'en somme c'est de ma faute.
  *         Elle recevra aujourd'hui une petite lettre qui, en décrivant mon état d'âme, lui indiquera légèrement où elle en est elle-même. C'est la bonne méthode et, de la méthode j'en ai, et cela grâce à vous, mes chères enfants que j'ai jadis aimées. C'est à vous que je dois ces dispositions de mon âme qui me rendent capable d'être ce que je veux pour Cordélia. Je vous adresse un souvenir reconnaissant, l'honneur vous en revient. J'avouerai toujours qu'une jeune fille est un professeur-né et qu'on peut toujours apprendre d'elle, sinon autre chose, tout au moins l'art de la tromper car, en cette matière, personne n'égale les jeunes filles pour vous l'apprendre. Si vieux que je vive, je n'oublierai pourtant jamais qu'un homme n'est fini que lorsqu'elle a atteint l'âge où il ne peut plus rien apprendre d'une jeune fille.

            Ma Cordélia !

            Tu dis que tu ne m'avais pas imaginé ainsi, mais moi non plus je ne m'étais pas figuré que je pouvais devenir ainsi. Est-ce donc toi qui as changé ? Car il serait bien possible qu'au fond ce ne soit pas moi qui ai changé, mais les yeux avec lesquels tu me regardes. Où est-ce moi ? Oui, c'est moi parce que je t'aime, et c'est toi, parce que c'est toi que j'aime. A la lumière froide et tranquille de la raison, fier et impassible, je regardais tout, rien ne m'épouvantait, rien ne me surprenait, oui, même si l'esprit avait frappé à ma porte, j'aurais tranquillement saisi le flambeau pour ouvrir. Mais vois, ce ne sont pas des fantômes à qui j'ai ouvert, des êtres pâles et sans force, c'était à toi, ma Cordélia, c'était la vie, la jeunesse, la santé et la beauté qui venaient à ma rencontre. Mon bras tremble, je ne parviens pas à tenir le flambeau immobile. Je recule devant toi sans pouvoir m'empêcher de fixer les yeux sur toi et de désirer tenir le flambeau immobile. J'ai changé, mais pourquoi ce changement, comment s'est-il produit et en quoi consiste-t-il ? Je l'ignore et ne sais d'autre précision, aucun prédicat plus riche que celui que j'emploie lorsque, de façon infiniment énigmatique je dis de moi-même : j'ai été transformé.

                                                                                                    Ton Johannes.

            Ma Cordélia !

            L'amour aime le secret, les fiançailles révèlent. Il aime le silence, les fiançailles sont annonciatrices. Il aime le murmure, les fiançailles proclament bruyamment. Et pourtant, les fiançailles, grâce justement à l'art de Cordélia, seront un excellent moyen pour tromper les adversaires. Dans une nuit sombre rien n'est plus dangereux pour les autres bateaux que de mettre les feux qui trompent plus que l'obscurité.

                                                                                          Ton Johannes

            Elle est assise sur le sofa devant la table à thé, je suis à côté d'elle. Elle me tient par le bras, sa tête, tourmentée de nombreuses pensées, s'appuie sur mon épaule. Elle est si près de moi et pourtant si lointaine encore, elle s'abandonne et pourtant elle ne m'appartient pas. Il y a encore de la résistance, mais pas subjectivement réfléchie, c'est la résistance ordinaire de la féminité, car la nature féminine est un abandon sous forme de résistance.
            Elle est assise sur le sofa devant la table à thé. Je suis assis à côté d'elle. Son cœur bat, mais sans passion, sa poitrine se lève et se baisse, mais sans agitation, parfois son teint change, mais par transitions douces. Est-ce de l'amour ? Nullement. Elle écoute. Elle comprend. Elle écoute la parole ailée et la comprend, elle écoute parler un autre et le comprend comme si c'était elle. Elle écoute sa voix qui fait écho en elle, elle comprend cet écho comme si c'était sa propre voix qui ouvre des perspectives pour elle et pour un autre.
  lesenfantsdudesign.com 

        Que fais je ? Est-ce que je la séduis ? Nullement, cela ne ferait pas non plus mon compte.
            Est-ce que je vole son cœur ? Nullement. Je préfère aussi que la jeune fille que je dois aimer garde son cœur.
            Que fais je alors ? Je me forge un cœur à l'image du sien. Un artiste peint sa bien-aimée et y trouve son plaisir, un sculpteur la forme, et c'est ce que je fais aussi, mais au sens spirituel. Elle ne sait pas que je possède ce portrait, et c'est en cela au fond que consiste mon crime. Je me le suis procuré clandestinement, et c'est dans ce sens que j'ai volé son cœur, comme lorsqu'on dit de Rebecca qu'elle vola le cœur de Laban en lui dérobant perfidement ses pénates.

            Pourtant, l'entourage et le cadre ont une grande influence sur nous, ils sont de ces choses dont s'imprègne le plus solidement et le plus profondément la mémoire, ou plutôt toute notre âme et qui, par conséquent, ne seront non plus oubliés. Quel que sera mon âge il me sera toujours impossible d'imaginer Cordélia dans une autre ambiance que celle de cette petite pièce. Quand je viens la voir, généralement la bonne m'ouvre la porte du salon. Cordélia vient de sa chambre et nous ouvrons en même temps les deux portes pour entrer dans la pièce familiale, de sorte que nos regards se rencontrent dès le seuil. Cette pièce est petite et d'une intimité charmante, On dirait presque un cabinet. Bien que l'ayant regardée de bien des points de vue, c'est toujours du sofa que je la préfère.
             Elle est assise là à mon côté, devant nous se trouve une table à thé ronde, couverte d'un tapis aux plis amples. Sur la table une lampe en forme de fleur qui, robuste et replète, pousse pour porter sa couronne d'où tombe un voile de papier finement découpé, et si léger qu'il oscille tout le temps. La forme de la lampe fait penser à l'Orient et les mouvements du voile rappellent les brises légères de ces pays lointains. Le parquet disparaît sous un tapis d'osier tissé, d'une espèce particulière qui trahit son origine étrangère.
            Par moments la lampe sera pour moi l'idée directrice de mon paysage. Alors nous restons étendus par terre sous la fleur de la lampe. A d'autres moments le tapis d'osier me fait penser à un navire, à une cabine d'officier. Nous voguons alors au milieu du grand océan. Comme nous sommes assis loin de la fenêtre nous plongeons nos regards immédiatement dans l'immensité du ciel, ce qui aussi augmente l'illusion. Etant ainsi assis à son côté, j'évoque ces choses comme une image qui passe furtivement sur la réalité, aussi vite que la mort sur votre tombe. 
            L'ambiance est toujours d'une grande importance, surtout à cause du souvenir. Toute relation érotique doit être vécue de manière qu'il vous soit facile d'en évoquer une image avec tout ce qu'il y a de beau en elle. Afin de réussir il faut surtout faire attention à l'ambiance. Si on ne la trouve pas au gré de vos désirs, il n'y a qu'à en produire une autre. 
            Ici il convient à Cordélia et à son amour. Mais quelle image toute différente se présente à mon esprit lorsque je pense à ma petite Emilie, et pourtant, son ambiance lui convenait aussi à la perfection. Je ne peux pas me l'imaginer, ou plutôt je ne le veux pas, sauf dans le petit salon donnant sur le jardin.                Les portes en étaient ouvertes, un petit jardin devant la maison limitait la vue et forçait le regard à s'y fixer, à l'arrêter avant de suivre hardiment la grand-route qui se perdait au loin. Emilie était charmante, mais plus insignifiante que Cordélia. Aussi le cadre ne visait qu'à cela. Le regard connaissait ses limites, il ne se lançait pas hardiment, impatiemment, il se reposait sur le petit premier plan. La grand-route elle-même, bien que se perdant romantiquement au loin, avait pourtant plutôt pour effet que les yeux suivaient son trajet, pour revenir en suivant le même trajet. Tout était terre à terre dans cette chambre. L'entourage de Cordélia ne doit avoir aucun premier plan, mais la hardiesse de l'horizon infini. Elle ne doit pas vivre près de la terre, mais planer. Elle ne doit pas marcher, mais voler, non pas de çà et de là, mais éternellement de l'avant.

            Quand on est fiancé soi-même on est initié à plaisir aux manières ridicules des fiancés. 
            Il y a quelques jours, le licencié Hansen accompagné de l'aimable jeune fille avec qui il s'est fiancé, se présenta. Il me confia qu'elle était charmante, ce que je savais d'avance. Il me confia qu'elle était très jeune, ce que je n'ignorais pas non plus, et enfin, il me confia que c'était justement à cause de sa jeunesse qu'il l'avait choisie pour la former selon l'idéal dont il avait toujours eu le sentiment.
            Seigneur Dieu ! ce bêta de licencié et une jeune fille saine, florissante et enjouée.
            Je suis pourtant un praticien d'assez vieille date, mais je ne m'approche jamais d'une jeune fille autrement que comme des " Venerabile " de la nature, et c'est elle qui me donne les premières leçons. Et si j'ai une influence quelconque sur sa formation, c'est en lui apprenant toujours et toujours ce que j'ai appris d'elle.
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            Il faut que j'émeuve son âme, que je l'agite dans tous les sens possibles, mais non par bribes et à-coups de vent, mais en entier. Il faut qu'elle découvre l'infini, qu'elle apprenne que c'est ce qui est le plus proche de l'homme. Qu'elle l'apprenne, non par le raisonnement qui, pour elle, est une fausse route, mais dans l'imagination qui est le vrai moyen de communication entre nous, car ce qui constitue une des facultés de l'homme est le tout pour la femme. Ce n'est pas par les voies laborieuses du raisonnement qu'elle doit s'efforcer d'atteindre l'infini, car la femme n'est pas née pour le travail mais par les voies faciles de l'imagination et du cœur qu'elle doit le saisir.
            Pour une jeune fille l'infini est aussi naturel que l'idée que tout amour doit être heureux. Partout où une jeune fille se tourne elle trouve l'infini autour d'elle et elle y passe d'un saut, mais, bien entendu, d'un saut féminin et non pas masculin. En effet, que les hommes sont donc maladroits ! Pour sauter ils prennent de l'élan, ils ont besoin de longs préparatifs, ils calculent la distance avec les yeux, ils commencent plusieurs fois, s'effrayent et reviennent. Finalement, ils sautent et tombent dedans. Une jeune fille saute d'une autre manière. Dans ces contrées montagneuses on trouve souvent deux rocs faisant saillies, séparés d'un gouffre sans fond, terrible à regarder. Aucun homme n'ose faire le saut. Mais, racontent les habitants de la contrée, une jeune fille a osé le faire et on l'appelle le " Saut de la     Pucelle ". Je ne demande qu'à le croire, comme tout ce qu'on raconte de bien et de merveilleux d'une jeune fille, et cela me réchauffe le cœur d'en entendre parler les braves habitants. 
            Je crois tout, même le merveilleux, et je ne m'en étonne que pour y croire, comme la première et la seule chose qui m'ait étonné dans ce monde a été une jeune fille, ce sera aussi la dernière. Et pourtant, un tel saut n'est qu'un sautillage pour elle, tandis que le saut d'un homme devient toujours ridicule parce que, quelle que soit la longueur de son enjambée, son effort ne sera rien par rapport à la distance entre les rocs, tout en donnant une sorte de mesure.
            Mais qui serait assez sot pour s'imaginer une jeune fille prenant de l'élan. On peut bien se la figurer courant, mais cette course est alors un jeu, une jouissance, un déploiement de grâce, tandis que l'idée de l'élan sépare ce qui se relie très étroitement chez la femme. Car la dialectique, qui répugne à sa nature, se trouve dans un élan. Et enfin le saut, là encore, qui oserait être assez inesthétique pour séparer ce qui est étroitement lié. Son saut est un vol plané et, en arrivant de l'autre côté elle se trouve là, non pas épuisée par l'effort, mais de nouveau plus belle que jamais, encore plus pleine d'âme. Elle nous jette un baiser, à nous qui sommes restés de ce côté-ci.
            Jeune, nouvelle-née, comme une fleur poussée des racines de la montagne, elle se balance sur l'abîme, presque à nous donner le vertige.
            Ce qu'elle doit apprendre, c'est à faire tous les mouvements de l'infini, c'est à se balancer, elle-même, à se bercer dans des états d'âme, à confondre poésie et réalité, vérité et fiction, à s'ébattre dans l'infini. Quand elle se sera familiarisée avec ce remue-ménage j'associerai l'érotisme et elle sera ce que je veux, ce que je désire. Alors j'aurai fini mon service, mon travail, je pourrai plier toutes mes voiles, je serai assis à son côté et nous avancerons en nous servant de ses voiles. Et je n'exagère pas.
            Une fois que cette jeune fille sera enivrée par l'érotisme, je serai sans doute assez occupé à tenir la barre et à modérer l'allure pour qu'il ne se produise rien de prématuré ni d'esthétique. De temps en temps on percera un petit trou dans la voile et, ensuite, nous nous élancerons de nouveau.

             Dans la maison de mon oncle, Cordélia s'indigne de plus en plus. Elle m'a, plusieurs fois, demandé de ne plus nous y rendre, mais sans succès. Je sais toujours trouver des prétextes. Hier soir en sortant de là elle m'a serré la main avec une passion extraordinaire. Elle s'est, sans doute, sentie très torturée là-bas, et cela n'est vraiment pas étonnant. Si je ne m'amusais pas toujours à observer les monstruosités de cette agglomération factice, je serais incapable de continuer à m'y intéresser. Ce matin j'ai reçu d'elle une lettre dans laquelle elle raille les fiançailles en général, avec plus d'esprit que je ne l'en l'aurais crue capable. J'ai baisé la lettre, la plus chère de celles que j'ai reçues.
            Très bien, ma Cordélia. Tout ce que je voulais.

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                                                                        à suivre............













         


















L'araignée César Vallejo ( Poème Pérou )

 

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                       L'araignée

            C'est une énorme araignée qui ne marche plus ;
            une araignée incolore, dont le corps,
            une tête et un abdomen, perd son sang.

            Aujourd'hui je l'ai vue de près. Et avec quel effort
           vers tous ses flancs
           elle étendait ses pattes innombrables.
           Et j'ai pensé à ses yeux invisibles,
           pilotes fatals de l'araignée.

            C'est une araignée qui tremblait posée                                                veganvalkyrie.canalblog.com 
            sur le tranchant d'une pierre ;                                                                  l'abdomen d'un côté,
            et de l'autre la tête.

            Et avec tant de pattes la pauvre, elle ne peut
            se décider. Et à la voir
            désemparée en telle épreuve,
            quelle peine m'a causée aujourd'hui cette voyageuse.
                                                                                                                
            C'est une araignée énorme, dont l'abdomen
            l'empêche de suivre sa tête.
            Et j'ai pensé à ses yeux
            et à ses pattes multiples...
            Et quelle peine elle m'a causée cette voyageuse !


                                  César Vallejo

mardi 20 avril 2021

Babel César Vallejo ( Poème Pérou )

 







     


                           Babel

            Doux foyer sans style, édifié
            d'un seul coup et d'une seule pièce
            de cire chatoyant. Et dans son foyer
            elle dégrade et répare ; parfois elle dit : 
            " L'hospice est bien beau ; ici, c'est tout ! "
            Et d'autres fois elle se met à pleurer !


                              César Vallejo